14.) Le nouveau román I 14) LE NOUVEAU ROMAN 14) LE NOUVEAU ROMAN.........................................................................................................................................................1 14.1.) Heritage litteraire et environnement conceptuel........................................................................................................2 LaNouvelle Critique.......................................................................................................................................................................................3 14.2.) Naissance et cohesion du Nouveau Roman................................................................................................................4 14.3) polemique et theorisation (cf. chap. 15-le nr ii)....................................................................................................6 Les textes dereference....................................................................................................................................................................................6 • «... lorsqu'on a queIque peine - et pour cause - ä préciser le lien doctrinal ou simplement empir ique qui les unit, on les verse péle-méle dans l'avant-garde. Car on a besoin d'avant-garde : hen ne rassure plus qu'une revolte nommée. »* • En 1971, Jean RICARDOU s'interroge encore : « Le Nouveau Roman est-il done un mythe, un label collé sur ungroupe hétéroclite, diverses procedures formelles temporellement circonscrites? »2 • Ce á quoi ROBBE-GRILLET répond : « U f aut Men voir que le Nouveau Roman a tout de méme été d'abordun mythe. [...] Un certain nombre de cirConstances, dues en partie au hasard, ont réuni quelques écrivains etpassé d'autres sous silence... Pourquoi, par exemple, neparlons-nous jamais du Chiendent de Raymond Queneau, alors que ce texte est en un sens beaucoup plus moderne que La Modification de Butor ? Pourquoi ? Parce que lorsque nous par Ions de Nouveau Roman, que nous organisons un colloque sur le Nouveau Roman, nous admettons nous-mémes une liste officielle du Nouveau Roman donnée par quelques journalistes. Je le precise d'autant plus volontier s que justement maintenant je crois que le Nouveau Roman existe... »3 • Origines plus ou moins mythiques, • Constitution aléatoire et fluctuante, • ce qui semble clair néanmoins e'est que ľunité du Nouveau Roman se construit d'abord o sur un méme refus des conventions littéraires alors en vigueur, o sur une méme volonte ďexploration et ďinnovation formelles, o sur ľ emergence ďun nouveau rapport au monde. 1 Repris dans Essais critiques, Seuil, Paris, 1964, p. 101. 2 Nouveau Roman : hier, aujourďhui. I. Problěmes généraux, UGE, coll. « 10/18 », Paris, 1972, p. 26. 3 Ibid, p. 125. 14.) Le nouveau román I 14.1.) Heritage littéraire et environnement conceptuel - Tout mouvement culturel se construit sur les mines ďun precedent, mais aucun ne naít ex nihilo. - Les filiations ne sont pas toujours aisées á discerner, occultées le plus souvent par ľévidence de la rupture. - Les recherches du Nouveau Roman s'inscnvent dans la lignée d'une littérature avant tout préoccupée de problěmes spécifiquement littéraires, littérature formaliste o dont Flaubert (1821-1880) serait l'initiateur, qui révait ďun román se soutenant par les seules vertus du style. o PROUST (1871-1922) et CELINE (1894-1961), en France, KAFKA (1883-1924), JOYCE (1884-1941), FAULKNER (1897-1962), hors des frontiěres francaises, s'illustrent dans cette méme quéte d'une écriture renouvelée, tracant la voie aux explorations du Nouveau Roman. o Les experiences surréalistes et ses jeux ďécriture, que développera L'OULIPO, en sapant de facon radicale les conformismes de tous genres, contribuent de leur côté á sortir le langage de son usage « domésti que ». o Raymond ROUS SEL (Impressions d'Afrique, 1910 ; Locus Solus, 1914), reconnu comme un précurseur par les surréalistes, est célébré par certains Nouveaux Romanciers, dont Robbe-Grillet et Ricardou, pour ses inventions incongrues, ses calembours et ses associations verbales. o S'inscrivant dans une lignée formaliste envers laquelle il reconnait ses dettes, Nouveau Roman est par ailleurs aide dans son entreprise par un environnement conceptuel appartenant á la méme mouvance. 14.) Le nouveau román I La Nouvelle Critique se livre á une attaque en regies de la critique traditionnelle et teňte ďappréhender ľobjet littéraire á partir de ses caractéristiques formelles. o Les a priori biographiques, toriques, psychologiques ou moraux sont rejetés au profit de ľexamen minutieux de ľoeuvre littéraire considérée comme un systéme clos et autosuffisant, intrinséquement signifiant. o Le discours métalittéraire s'émancipant des critéres d'analyse extralittéraires, la critique devient « interne » au texte. Roland Barthes publie en 1963 son essai SurRacine, qui entraine une viol enté polémique et la condamnation de la Sorbonne. La revue Tel Quel est créée en 1960. o Cette Nouvelle Critique est elle-méme induite par un systéme de pensée qui va dominer toutes les sciences humaines dans les années soixante : le structuralisme. ■ Introduit par les travaux anthropologiques de Claude Lévi-Strauss (Anthropologie structurale, 1958 ; La Pensée sauvage, 1962), ■ il s'étendra rapidement aux autres domaines de la pensée : notamment • á la sociologie avec Michel FOUCAULT (Les Mots et les Choses, 1966), • á la psychanalyse avec Jacques LACAN, • á la philosophie avec Jacques DERRIDA ou ALTHUSSER, • á la linguistique avec GREJJVIAS (Sémantique structurale, 1966) et • á la narratologie : Ľ Analyse structurale du récit, de BARTHES, paraít aussi en 19664. o Cest le regne du discours, du texte en tant que systéme clos dont ľorganisation en oppositions et en analogies définit le sujet parlant de facon purement interne. o Le sujet, en somme, disparait, laissant place á un proces qui se déroule par la seule force de sa structure dynamique. La formule de Paul RICCEUR, « un kantisme sons sujet transcendantal», f era fortune. - Méme si « la fortune du structuralisme au cours des années soixante aura correspondu ď abord a un mirage ďunification des savoirs »5 bientôt dissipé par le jeu de la spécificité des disciplines, il n'en reste pas moins que, produit de la sensibilité d'une époque, il suscite des speculations dont les sciences humaines et la littérature sortent enrichies et renouvelées. 5 Marcel Gauč het, Le Débat, op. cit., p 178. 14.) Le nouveau román I 14.2.) Naissance et cohesion du Nouveau Roman - Le Nouveau Roman est une ■ réalité sociologique et culturelle géographiquement localise (phénoměne parisien) ■ et historiquement circonscrit (années cinquante et soixante, essentiellement). o En tant que groupe, il doit en partie son existence aux reactions violentes qu'il suscite dans la presse. ■ ^ De la méme facon que le scandale ď A bout de souffle, en 1960, entrainera la cohesion d'une « nouvelle vague » encore dispersée et embryonnaire, ■ ■=> la polémique qu'entraine la publication du Voyeur, d'Alain Robbe-Grillet, en 1955, attire l'attention du monde littéraire sur un nouveau type de roman qui est loin de rallier touš les suffrages. o Le roman se voit attribuer, á la grande indignation d'une partie du jury, le prix des Critiques, grace aux voix de Georges BATAILLE, de Maurice BLANCHOT et de Jean PAULHAN, auxquelles se joindra trěs vite le soutien de BARTHES, d André BRETON et d Albert CAMUS. o Au cours des années cinquante, les termes désignant les ceuvres publiées par les futurs Nouveaux Romanciers fleurissent, allant de ľ« anti-roman » (Sartre) ou de ľ« allitérature » (Claude Mauriac), á ľ« école du regard » (Barthes) et á la « littérature objectale », en passant par des denominations pejoratives telies que « roman au ras du sol » ou « technique du cageot» (Francois Mauriac). o Cest ďailleurs ľétiquette méprisante d'Emile HENRIOT -« Nouveau Roman » - qui demeurera associée á ľentreprise, aprěs encore maint tätonnement et mainte invention plus ou moins heureuse. ■=> ■=> Robbe-Grillet et son éditeur, Jérôme Lindon, s'emparent de ľappellation et lui contérent cette fois un sens positif o Propulsé au premier plan de la scéne littéraire par la vive polémique du Voyeur, ROBBE-GRILLET se voit offrir la tribune de L 'Express pour exprimer ses idées en matiére de littérature. ■ Les articles paraissent entre octobre 1955 et février 1956, avant d'etre réunis dans ľouvrage qui fera office de manifeste, Pour un Nouveau Roman (1963). ■ Cette activité critique et théorique de Robbe-Grillet contribue largement á la formation et á la cohesion ďun groupe reticent, comme lui-méme le rappelle : « Les créateurs ont toujours eu horreur des groupe s. Vous savez que j'ai fait le Nouveau Roman presque contre les Nouveaux Romanciers. lis ľont tous accepté du bout des lěvres, avec reticence. Nathalie Sarraute disait avec humour : "Cest une association de malfaiteurs". »6 ■ De fait, la parole infatigable et généreuse de Robbe-Grillet sur l'ceuvre de ses « compagnons de route » - en particulier Robert Pinget et Claude Simon - fut decisive pour la connaissance et la reconnaissance du Nouveau Roman. o Le discours théoricien de Robbe-Grillet, servant de « ciment » á ce qui n'est á l'origine qu'une juxtaposition ďindividualités travaillant dans le sens de la nouveauté, a un effet rétroactif. ■ Sont ainsi annexées au mouvement les ceuvres ďécrivains qui ont commence de publier dans les années quarante, voire déjá dans les années trente, • comme c'est le cas de BECKETT dont le premier grand roman, Murphy, date de 1938, • ou de Nathalie SARRAUTE qui publie Tropismes en 1939. • Le texte de Marguerite DURAS, Les Impudents, est sorti en 1943 ; • Le Tricheur, de Claude SIMON, en 1945 ; • Entre Fantoine et Agapa, de Robert PINGET, en 1951. o De leur côté, les Editions de Minuit jouent un role incontestable dans la cohesion du groupe. o Jérôme LINDON, ayant racheté á VERCORS la maison ďédition, fondée en 1942 pour résister á l'Occupation allemande, et se débattant dans ďénormes problěmes de gestion et de finances, se lance dans une entreprise audacieuse en faisant ceuvre de découvreur. o Encourageant dejeunes talents en marge de ľesthétique dominante, il construit son identite ďéditeur sur une authentique sensibilité á la modernitě littéraire, et non sur les critěres toujours séduisants du succěs et du profit. o Certes les Editions de Minuit n'ont pas publié la totalite des ceuvres des Nouveaux Romanciers. 6 « Les étapes du Nouveau Roman, Alain Robbe-Grillet, entretien avec Jacques Bersani», Le Debat, op cit., p. 272. 14.) Le nouveau román I o Certains ďentre eux confient leurs premiers livres á une autre maison ďédition (Le Tricheur, de Simon, paraít au Sagittaire ; Entre Fantoine et Agapa, de Pinget, á la Tour de Feu ; Tropismes, de Sarraute, chez Denoel ; Duras publie chez Plön, puis chez Gallimard ; Claude Mauriac chez Albin Michel). D'autres, qui publiaient chez Minuit, partent chez des éditeurs concurrents. Cest le cas de Duras qui, aprěs un passage rue Bernard-Palissy, retourne chez Gallimard, qui édite en outre une grande partie de la production de Michel Butor. Cest également le cas de Claude Ollier et de Jean Ricardou qui ne publient aux Editions de Minuit que deux ouvrages chacun. Nathalie Sarraute, quant á eile, n'a publié chez Lindon qu'un ouvrage -Tropismes -, racheté á Denoěl. o S'il semble done abusif d'identifier le Nouveau Roman et les Editions de Minuit, il est hors de doute que ľactivité conquérante et intrépide de Jérôme Lindon, á laquelle s'ajoute děs 1955 la collaboration de Robbe-Grillet, qui devient lecteur aux Editions, contribue largement á créer une sorte de famille littéraire, méme si ses fondements sont en partie mythiques. o La « photo de famille », desormais célébre, réunit sur le méme cliché, autour du directeur et devant la maison d'édition, Claude Mauriac (dont la presence est essentiellement due á son Allitérature), Nathalie Sarraute, Samuel Beckett, Robert Pinget, Claude Ollier, Claude Simon et Alain Robbe-Grillet. Duras en est absente (Moderato cantabile est de 1958), de méme que Butor (arrive en retard) et Ricardou (encore non produetif). o Le colloque de Cerisy-la-Salle, organise sur le Nouveau Roman du 20 au 30 juillet 1971, réunit á son tour Butor, Ollier, Pinget, Ricardou, Robbe-Grillet, Sarraute et Simon. Beckett et Duras, conviés, s'abstiennent7... 7 J. Ricardou fait de cette « autodétermination » un critere d'implication et d'appartenance Voir Le Nouveau Roman. Seuil, coll. « Écrivains de toujours », Paris. 1973 14.) Le nouveau román I 14.3) Polémique et théo h sáti o n (cf. chap. 15- le NR II) Les textes de reference • N'ayant jamais pris la forme ďune « école », ä peine celie ďun mouvement, il semble logique que le Nouveau Roman ne soit soutenu par aucun ouvrage théorique servant de reference unique. o Non seulement les textes de reflexion critique et théorique sont épars, émanant ďauteurs divers et apparaissant (de 1955 ä 1975) au gré des recherches personnelles de chacun ďentre eux, o mais aucun ne pourrait se vanter de se faire ľécho fidéle de tous les écrivains de la mouvance. o La pluralite de points de vue sur certaines questions, les contradictions qu'elle entraine parfois sont le reflet attendu de la diversité des personnalités qui composent le groupe et de revolution permanente d'une pensée dynamique qui ne concoit la pratique littéraire que dans un continuel dépassement de ses propres acquis. • 1) Les declarations théoriques de ROBBE-GRILLET ont joué un role important non seulement dans la formation et la cohesion du groupe, mais aussi dans la reception d'une nouvelle esthétique déroutante pour les lecteurs. o La volonte explicative et les prises de position idéologiques permettaient d'éclairer certains aspects d'une pratique littéraire qui restait souvent énigmatique et opaque. o Néanmoins, ce qui devint le « manifeste » du Nouveau Roman doit étre accueilli avec precaution, son radicalisme étant lié á sa vocation militante, comme le rappelle Robbe-Grillet lui-méme :________________ « Mes declarations théoriques ne constituent pas une théorie du román, c'est-á-dire un systéme clos, ce sont seulement des apergus théoriques sur le román. Or il faut bien voir que ces declarations théoriques sont simplificatrices par nature. [...] » Pour un Nouveau Roman est compose ď articles de journaux, commandés au depart par L'Express. Ce sont des textes de combat, courts, congus pour étre simples et, ä la limite, simplistes. Je m 'en rendais parfaitement compte. Je m 'y livrais par exemple, aprés ďautres, á une condamnation catégorique de la métaphore. Mais La Jalousie, que j'écrivais á la méme époque, est en un sens un festival de métaphores ! Si le Nouveau Roman, cela dit, a connu cette fortune, c'est bienparce que nous avancions des idées simples^. » o II n'en demeure pas moins que, malgré son caractěre parfois outre et dogmatique, en dépit des contradictions - assumées - entre théorie et pratique littéraire qui invitent ä voir dans le Nouveau Roman une recherche constante, ľouvrage donne une idée claire des tendances esthétiques et idéologiques du mouvement. 2) Déjä, en 1956, dans un recueil d'essais publiés sous le titre eloquent de L'Ere du soupgon, Nathalie SARRAUTE constatait o la fin de la relation de confiance entre écrivain et lecteur sur laquelle se fondait le roman traditionnel o et attirait l'attention sur un certain nombre de caractéristiques du jeune roman, en rupture avec les Conventions romanesques encore en vigueur, jetant la suspicion sur le vieux realisme omniscient : «Aussi, quand l'auteur songe á raconter une histoire et qu'il se dit qu'il lui faudra, sous l'oeil narquois du lecteur, se résoudre á écrire : "La marquise sortit á cinq heures", il hésite, le cceur lui manque, non, décidément, il ne peutpas9. » o La formule - « ľere du soupcon » — sera abondamment reprise et ľouvrage apparaitra aprés coup comme le texte fondateur de la nouvelle tendance. 3) L'ceuvre critique et théorique de Michel BUTOR, volumineuse, consiste en une suite de reflexions sur le roman (Essais sur le roman, 1964), sur divers écrivains présentant un intérét particulier pour le Nouveau Roman (Faulkner, Joyce, Proust, Roussel, Leiris...), et sur sa propre demarche créatrice (voir Les Repertoires). 4) Quant ä Jean RICARDOU, le plus jeune du groupe (né en 1932), il s'intéresse d'abord aux romans de Robbe-Grillet auxquels il consacre une étude děs 1958. C'est le debut d'une activité critique et théorique - probablement la plus dogmatique de toutes - qui débouchera sur la publication de Problémes du Nouveau Roman (1967), puis de Pour une théorie du Nouveau Roman, en 1971. 5) La méme année, il organise ä Cerisy-la-Salle un colloque destine ä rassembler tous les écrivains qui se définissent eux-mémes comme Nouveaux Romanciers. On le sait, Beckett et Duras déclinent l'offre. Les écrivains presents, irrités par la volonte normative de Ricardou, ses affirmations péremptoires qui frisent le terrorisme, se rebellent contre une rigiditě qu'ils jugent inacceptable. Ricardou persiste et signe, deux ans plus tard, dans un ouvrage intitule Le Nouveau Roman. En 1978, Nouveaux Problémes du roman consomme la rupture. 6) L'échec de l'initiative que prennent Jérôme LINDON et Alain ROBBE-GRILLET, en 1958, de demander aux Nouveaux Romanciers de travailler ensemble ä un dictionnaire qui ferait etat de la terminologie utilisée par la critique au pouvoir - en vue de dénoncer ľidéologie - est révélatrice des difficultés que rencontre toute volonte 8 « Les étapes du Nouveau Roman, Alain Robbe-Grillet, entretien avec Jacques Bersani», Le Debat, op. cit., p. 268. 9 Gallimard, coll. « Idées », Paris, p. 22. 14.) £e nouveau román I ďunification théorique du mouvement. Les membres du groupe, dont certains manquent ďenthousiasme ou ďassiduité, ne parviennent pas ä se mettre ďaccord sur la definition des notions fondamentales... En 1971, Robbe-Grillet constatait: « En somme, la seule existence reelle du Nouveau Roman a été ce dictionnaire, qui a été une des grandes entreprises des Editions de Minuit, qui nous a occupés pendant des mois et a été un échec total... »10 10 Nouveau Roman : hier, aujourd'hui, 1. Problěmes généraux, op. cit, p. 247.