17) ĽAntithéätre II • Comme le montre ľexemple de lonesco et de Beckett, - le theme de ľabsurde acquiert la plenitude de sa puissance dramatique grace ä son double pouvoir de liberation et de derision du langage : - il devient děs lors capable d'ouvrir des horizons aussi divers que cet inconnu du langage ainsi dévoilé. • Aussi le theatre contemporain tend-il ä devenir une sorte de laboratoire ďexpériences dramatiques - qui, certes, se referent ä une conception de ľhomme et du monde proche de ce que symbolise le theme de ľabsurde, - mais avec des variantes débordant la formule alors un peu étroite de « theatre de ľabsurde ». • Le theatre de l'absurde, terme formule par ľécrivain et critique Martin Esslin en 1962, est un type de theatre apparu dans les années 1950, se caractérisant par - une rupture totale par rapport aux genres plus classiques, tels que le drame ou la comédie. - II s'agit d'un genre traitant fréquemment de ľabsurdité de l'homme et de la vie en general, celle-ci menant á la mort. - Ľorigine de cette pensée étant sans conteste le traumatisme, la chute de ľhumanisme á la sortie de la deuxiěme guerre mondiale. - lonesco, Adamov, Beckett, Genet, voire Pinter sont pármi les auteurs de ces oeuvres qui ont bouleversé les conventions du genre. • Cest un dépaysement que nous proposent Adamov et lonesco dans des oeuvres de rupture, qui poussent tout au symbole, et semblent n'avoir retenu de ce siecle qu'une mythologie absurde, que la conquéte du monde par le Néant. • La saison 1950-1951 vit jouer les premieres pieces d'Arthur Adamov : ľinvasion et la Grande et la Petite Manoeuvre. Antithéätre métaphysique Arthur ADAMOV • Né en 1908 á Kislovotsk (Caucase), I'Armenien Arthur ADAMOV séjourne en France depuis ľäge de seize ans. Études á Mayence, puis á Paris. • Ses débuts au theatre datent de 1950: - ľlnvasion, Studio des Champs-Elysées, mise en scene de Jean Vilar). - la Grande et la Petite Manoeuvre (Noctambules, mise en scene de L.-M. Serreau, 1950), - la Parodie (Theatre Lancry, mise en scene de Roger Blin, 1952), - le Professeur Taranne, - le Sens de la Marche (Comédie de Lyon, mise en scene de R. Planchon, 1953), Tous contre tous (ĽCEuvre, mise en scene de J.-M. Serreau, 1953), - Le Ping-pong (Noctambules, mise en scene de J. Mauclair, 1955), - Paoli-Paolo (Comédie de Lyon, mise en scene de R. Planchon, 1957), - Printemps 71, la Politique des Restes (Theatre Gérard Philipe, Aubervilliers, mise en scene de Q. Martin, 1963). • Ľoriginalité d'Adamov — compte tenú de tout ce qu'il doit ä ľexpressionnisme allemand — est de nous proposer un theatre dépouillé á ľextréme ; - ľattitude, les gestes, le comportement physique de ses personnages suffisent ä les libérer des conventions du langage. - Toute intervention de la rhétorique, toute « mise en scene » se trouvent done exelues. - En se privant volontairement des ressources du dialogue ou de ľintrigue, Adamov pretend rendre ä ľceuvre dramatique sa probité. - II oppose done aux plus vieilles traditions de notre art (qui a toujours emprunté son efficacité au prestige de Taction, du verbe, de ľinvention scénique) un theatre réduit ä sa seule signification métaphysique. - La Grande et la Petite Manoeuvre (1950) reprend un procédé du Grand Guignol : - au lever du rideau, un personnage possěde ses quatre membres ; - aprěs le premier tableau, il a deux bras en moins ; - aprěs le deuxiěme, il s'est défait d'une jambe ; - au suivant, il revient dans une voiture de cul-de-jatte. - Mais ce n'est pas tout: chaque fois, la perte d'un membre est le signe d'une mutilation morale. • L'attrait ou la repulsion que cette piece suscite chez le spectateur est au premier chef physique. • Le theatre remplit ici la mission que lui assignait Antonin Artaud d'etre « une féte de destruction ». • Le lanqaqe lui-méme participe á ce jeu. • « II n'a plus la transparence un peu triste de celui de ľlnvasion ; plus simple et plus denude il porte mieux et plus loin, survolté en quelque sorte d'une ironie parfois féroce» (1). • Parce qu'il a profondément ressenti cette insécurité qui étreint les hommes děs qu'ils ne font plus confiance á leur verbe, Adamov pose ľanxiété et la terreur au debut de ses pieces. • « // renverse ainsi ľordre suivi par les autres dramaturges : au Heu de découvrirla folie ou la bouffonnerie au terme de /'experience banale, Adamov tient que les hommes connaissent déja cette détresse qu'il affirme sans la designer. Ainsi constituée, la situation est donnée pour que les personnages viennent se détruire et se mutiler les uns les autres. Person ne n'a ďoreille pour personne dans ce theatre parce que ľauteur a déja arraché aux hommes la possibilité de s'entendre, fut-ce sur un malen-tendu. Ainsi incarnent-ils tous une sorte de lyrisme de la névrose». • Au theatre descriptif (le Boulevard), rhetorique (Montherlant) ou lyrique (de Claudel á Pichette), Adamov en oppose un autre, fonde sur la litote et le symbole. - « Figure par laquelle on atténue la pensée que par calcul, afin d'en laisser entendre davantage. On dit le moins pour le plus. » (Morien Dictionnaire de poétique et de rhétorique, PUF, 1975) • Jean Vilar n'hésitait pas á poser la question : « Adamov ou Claudel ?» et á répondre : « Adamov ! » • Pourtant, il avait aussi monté Nucléa ; et le theatre de Pichette, si révolutionnaire soit-il, reste fonde sur la rhétorique, done aux antipodes de celui d'Adamov. • Ľoriginalité de ce dernier reside - dans sa contestation du langage ; - un décor volontairement pauvre, - une situation volontairement simple lui suffisent pour démonétiser la banalite quotidienne. - Adamov choisit des héros ordinaires - mais il les mine de ľintérieur, - il rend leur comportement dérisoire. - II y a toujours une action mais - celle-ci change de role et finit par« détruire et les héros et leur univers». - A partir de Ping-Pong (1955), cette parodie s'attaque á l'histoire et prend une signification politique. Arthur, l'un des deux héros, essaie unefois de plus de convaincre le Vieux, riche directeur du Consortium, des mérites de l'appareil á sous qu'il a imagine. Mais ce dernier s'intéresse davantage á lajeune manucure Annette, amie d'Arthur. Rien de bon, rien de grand ne sort jamais du monologue Le Vieux. — Ne vous échauffez pas comme 9a, jeune homme. Quoi? Vous ne voulez pas que je vous réponde? Mais c'est un dialogue qu'il nous faut. Rien de bon, rien de grand ne sort jamais du monologue. Arthur. — Eh bien l'essentiel, pour moi, est finalement dans les trous... II y a dans les trous toutes les possibilités imaginables. II faut considérer les trous, d'un bout á ľautre de la partie, comme une chance de gagner et un danger de perdre. II faut, á la fois, en avoir trěs peur et tout espérer d'eux. On les vise, on les rate, c'est peut-étre une chance. On les vise, on les atteint, c'est peut-étre encore une chance. On ne peut pas savoir. (Pause.) Mais la plus grande chance, la seule indiscutable, c'est ce que j'appelle en anglais, puisqu'il faut parier anglais, le « return-ball. » Pourquoi ce nom? Parce que la bille tombée dans ce trou-lá revient au joueur par la voie souterraine; c'est désormais une bille gagnée, une bille heureuse. Le Vieux. — Eh oui, rien de tel que de recommencer ! II rit, renouvelle une tentative auprěs ď Annette qui, cettefois, se lěve. • Arthur, agressif. — Attention! II n'y a pas un trou dont on pourra dire a priori: « C'est le " return-ball ". » Ce sera tantôt l'un, tantôt ľautre... et parfois, il n'y en aura pas, de « return-ball»; car si l'on sait d'avance ou est la possibilité, c'est de nouveau... le plaisir mediocre, le petit travail. Le Vieux, dans un gros rire. — Ah! ces sacrées billes, des coquines, hein! Elles n'ont pas fini ďétonner leur monde. Elles s'enfoncent dans leur trou, on les croit disparues, enterrées, et puis hop ! les voilá qui se remettent en branie... Et 9a court, et 9a saute, et 9a y va! Car les petites, entre temps, elles ont repris du souffle ! Pas folles ! • Arthur, ivre de rage. — Bien entendu, le « return-ball », á supposer qu'il existe, ne vaudra que pour une bille sur cinq. II ne s'agit pas, non plus, ďéterniser la partie. • Le Vieux. — Mais si la partie est plus longue, quelle importance? On la fait payer plus eher, et voilá... Et tout le monde sera d'accord. (Dans un gros rire qui ne le quittera plus.) Tout le monde sait bien que plus c'est long, plus c'est bon, ou plutôt, meilleur c'est, pardon! Ca coůte dix francs, eh bien, ca en coutera cinquante! Le tout, c'est que la bonne grosse piece passe dans la fente. Trop petite, la fente? Qu'á cela ne tienne, on l'agrandira! Cinquante francs, et les trois petites soeurs£ll s'allument! (Pause ; II halete.) On en a, de ces piěces-lá, dans lapoche, alors profitons-en, profitons-en... Le Vieux rampe sur son lit pour essayer d'attraper Annette, et apparait en longue chemise blanche. Annette recule, épouvantée. Les instruments de manucure tombent. Arthur etM. Roger[2]_ restentfigés. • Le Vieux, haletant et retombant sur son lit. — Roger! • M. Roger se précipite et recoit dans ses bras le Vieux expirant Arthur Adamov, Le Ping-Pong, Paris, Gallimard, 1955. [1] Figures qui décorent ľappareil á sous. \2\ Secretaire du Vieux. • On retrouvera au dernier tableau Arthur et son ami. Victor, devenus des vieillards, toujours prisonniers de leur obsession de ľargent et déchus par eile, jouant au pingpong, tels des pantins cassés, avec la merne ardeur et la merne acrimonie que du temps od ils jouaient ä ľappareil ä sous. • Deux efforts paralleles : le but dérisoire d'Arthur et, en contrepoint penible, le but obscene du Vieux. Obstination tétue du héros : repetitions et minutie de la monomanie. Lourdeur appuyée des réponses ä double sens du Vieux. Atrocité sordide de ľagonie finale. • Drame naturaliste et tragédie d'avant-garde? « II fallait, d'un point de depart absolument realisté, arriver logiquement a une certaine folie; mais la encore le danger pouvait surgir: le lyrisme échevelé, ou plutôt, dans mon cas, ľélucubration schizophrénique sur I'Appareil Centre du Monde. Je suis parvenu a éviter ce danger, et a faire qu'en dépit de la folie grandissante, ou a cause ďelle ľappareil reste un objet produit par une société precise : la nôtre, et dans u n but précis: gagner argent et prestige. » (Adamov.) Ľoeuvre deliberement provocante de Jean Genét (1910-1986) • écrivain, poete, et auteur dramatique. • Par une écriture raffinée et riche, Jean Genet exalte la perversion, le mal et ľérotisme ä travers la celebration de personnages ambivalents au sein de mondes interlopes. • Jean Genet, dans sa jeunesse, a été profondément inspire par Les nourritures terrestres de Gide, il a ďailleurs cherché ä rencontrer ľécrivain. - C'est en partant de ce modele qu'il a créé certains de ses personnages. • La vie de Jean Genet - et sa mise en scéne - telle que décrite notamment dans Le Journal du Voleur, oů il se présente sous les traits ďun vagabond anti-social et mystique, a servi ďinspiration aux auteurs de la Beat Generation. - On le trouve cite dans ľoeuvre de ľécrivain, proche du mouvement Beat, Charles Bukowski. • plus proche finalement de la tradition issue du marquis de Sade (revue par Jean-Paul Sartre) que de ľabsurde au sens oů Camus entendait ce mot. • Certes, un personnage des Něgres (1958) declare bien : « Nous sommes ce qu'on veut que nous soyons... et nous le serons jusqu'au bout, absurdement», mais il reste que cet « absurde » naít d'une rupture totale entre deux systěmes de valeurs également absolus : - le systéme de la Société et - le systéme inverse du Mal (Haute Surveillance). • Genét, en effet, élabore en dramaturgie son experience personnels de cette provocation qu'est la délinquance face ä ľordre social, • ce qui explique aussi que son engagement antisocial aille bien au-delä de la simple satire, et débouche sur une veritable métaphysique du Mal: - le personnage est, par definition, un proscrit, et il réagit á cette proscription par le refus non seulement de ľordre social mais aussi du monde reel ; - pour opérer /'inversion de la réalité qui doit fonder son existence, il a recours, comme Genét lui-méme, au theatre. • Void done que réapparaít, dans cette ceuvre révoltée, la technique du theatre dans le theatre, - ce qui a conduit J.-P. Sartre á donner (par allusion au Saint Genest de R otrou) u n titre-jeu de mots á son etude sur J. Genet: Saint Genét comédien et martyr (1952). • Dans Les Bonnes (1947), les deux heroines se jouent ä elles-mémes cejeu oů s'accomplit ľillusion de leur réve (ou de leur cauchemar); • mieux encore les personnages du Balcon (1956) habitent un veritable palais des illusions, avec un systéme de miroirs qui transforme les personnages en reflets, jusqu'ä ce qu'eux-mémes tentent de substituer, dans leur conscience, leur propre reflet ä leur condition. - lei ľitinéraire qui conduit de la revolte á ľillusion se poursuit jusqu'au mythe, - et le d ráme qui en est issu débouche sur un trag iq ue lié á la fascination du Mal, finalement trěs proche du «theatre de la eruauté» d'Antonin Artaiid COMMENT JOUER « LES BONNES » Furtif C'est le mot qui s'impose d'abord. Le jeu théätral des deux actrices figurant les deux bonnes doit étre furtif Ce n'est pas que des fenétres ouvertes ou des cloisons trop minces laisseraient les voisins entendre des mots qu'on ne prononce que dans une alcove, ce n'est pas non plus ce qu'il y a d'inavouable dans leurs propos qui exige ce jeu, révélantune psychologie perturbée : le jeu sera furtif afin qu'une phraséologie trop pesante s'allege et passe la rampe. Les actrices retiendront done leurs gestes, chacun étant comme suspendu, ou cassé. Chaque geste suspendra les actrices. II serait bien qu'á cer-tains moments elles marchent sur la pointe des pieds, aprěs avoir enlevé un ou les deux souliers qu'elles porteront á la main, avec pré-caution, qu'elles le posent sur un meuble sans rien cogner — non pour ne pas étre entendues des voisins d'en dessous, mais parce que ce geste est dans le ton. Quelquefois, les voix aussi seront comme suspendues et cassées. Ces deux bonnes ne sont pas des garces : elles ont vieilli, elles ont maigri dans la douceur de Madame. II ne faut pas qu'elles soient jolies, que leur beauté soit donnée aux spectateurs děs le lever du rideau, mais il faut que tout au long de la soiree on les voie embellir jusqu'á la derniěre seconde. Leur visage, au debut, est done marqué de rides aussi subtiles que les gestes ou qu'un de leurs cheveux. Elles riont ni cul ni seins provocants : elles pourraient enseigner la piété dans une institution chrétienne. Leur ceil est pur, trěs pur, puisque touš les soirs elles se masturbent et déchargent en vrac, l'une dans l'autre, leur haine de Madame. Elles toucheront aux objets du décor comme on feint de croire qu'une jeune fille cueille une branche fleurie. Leur teint est pale, plein de charme. Elles sont done fanées, mais avec elegance ! Elles riont pas pourri. Pourtant, il faudra bien que la pourriture apparaisse : moins quand elles crachent leur rage que dans leurs accěs de tendresse. Les actrices ne doivent pas montér sur la scene avec leur érotisme naturel, imiter les dames de cinéma. L'érotisme individuel, au theatre, ravale la representation. Les actrices sont done priées, comme disent les Grecs, de ne pas poser leur con sur la table Je n'ai pas besoin d'insister sur les passages «joués» et les passages sincěres : on saura les repérer, au besoin les inventer. Quant aux passages soi-disant «poétiques », ils seront dits comme une evidence, comme lorsqu'un chauffeur de taxi parisien invente sur-le-champ une métaphore argotique: eile va de soi. Elle s'énonce comme le résultat ďune operation mathématique : sans chaleur parti-culiěre. La dire méme un peu plus froidement que le reste. Limite du récit naitra non de la monotonie du jeu, mais d'une harmonie entre les parties trěs diverses, trěs diversement jouées. Peut-étre le metteur en scéne devra-t-il laisser apparaitre ce qui était en moi alors que j'écrivais la piece, ou qui me manquait si fort: une cer-taine bonhomie, car il s'agit d'un conte. «Madame», il ne faut pas I'outrer dans la caricature. Elle ne sait pas jusqu'á quel point eile est bete, á quel point eile joue un role, mais quelle actrice le sait davantage, méme quand eile se torche le cul? Ces dames — les Bonnes et Madame — déconnent ? Comme moi chaque matin devant la glace quand je me rase, ou la nuit quand je m'emmerde, ou dans un bois quand je me crois seul: c'est un conte, c'est-a-dire une forme de récit allégorique qui avait peut-étre pour premier but, quand je ľécrivais, de me degoüter de moi-méme en indiquant et en refusant ďindiquer qui j'étais, le but second ďétablir une espěce de malaise dans la salle... Un conte... II faut á la fois y croire et refuser d'y croire, mais afin qu'on y puisse croire il faut que les actrices ne jouent pas selon un mode realisté. Sacrées ou non, ces bonnes sont des monstres, comme nous-mémes quand nous nous révons ceci ou cela. Sans pouvoir dire au juste ce qu'est le theatre, je sais ce que je lui refuse d'etre: la description de gestes quotidiens vus de ľextérieur : je vais au theatre afin de me voir, sur la scene (restitué en un seul personnage ou á ľaide d'un per-sonnage multiple et sous forme de conte), tel que je ne saurais — ou rioserais — me voir ou me rever, et tel pourtant que je me sais étre. Les comédiens ont done pour fonction d'endosser des gestes et des accoutrements qui leur permettront de me montrer á moi-méme, et de me montrer nu, dans la solitude et son allégresse. Une chose doit étre éerite: il ne s'agit pas d'un plaidoyer sur le sort des doméstiques. Je suppose qu'il existe un syndicat des gens de maison — cela ne nous regarde pas. Lors de la creation de cette piece, un critique théätral faisait la remarque que les bonnes véritables ne parlent pas comme Celles de ma piece: qu'en savez-vous ? Je pretends le contraire, car si j'étais bonne je parlerais comme elles. Certains soirs. Car les bonnes ne parlent ainsi que certains soirs : il faut les sur-prendre, soit dans leur solitude, soit dans celle de chaeun de nous. Le decor des Bonnes. II s'agit, simplement, de la chambre á coucher dune dame un peu cocotte et un peu bourgeoise*. Si la piece est representee en France, le lit sera capitonné — eile a tout de méme des domésti ques — mais diserětement. Si la piece est jouée en Espagne, en Scandinavie, en Russie, la chambre doit varier. Les robes, pourtant, seront extravagantes, ne relevant ďaucune mode, ďaucune époque. II est possible que les deux bonnes déforment, monstrueusement, pour leur jeu, les robes de Madame, en ajoutant de fausses traines, de faux jabots ; les fleurs seront des fleurs reelles, le lit un vrai lit. Le metteur en scene doit comprendre, car je ne peux tout de méme pas tout expliquer, pourquoi la chambre doit étre la copie á peu pres exacte d'une chambre feminine, les fleurs vraies, mais les robes monstrueuses et le jeu des actrices un peu titubant. Et si l'on veut représenter cette piece á Epidaure ? II suffirait qu'avant le debut de la piece les trois actrices viennent sur la scene et se mettent d'accord, sous les jeux des Spectateurs, sur les recoins aux-quels elles donneront les noms de: lit, fenétre, penderie, porte, coiffeuse, etc. Puis qu'elles disparaissent, pour réapparaitre ensuite selon ľordre assigné par l'auteur. La chambre de Madame. Meubles Louis XV. Au fond, une fenétre ouverte sur la facade de l'immeuble en face. A droite, le lit. A gauche, une porte et une commode. Des fleurs á profusion. C'est le soir. L'actrice qui joue Solange est vétue dune petite robe noire de domestique. Sur une chaise, une autre petite robe noire, des bas de fil noirs, une paire de souliers noirs á talons plats.