DOCUMENT IX.b.
                                 
 
 
 
                  L'élection d'Hugues Capet (987)
 
 
 >>  Discours de l'archevęque [de Reims Adalbéron] en faveur du duc
[Hugues] :
 "  Puisque  Louis, de divine mémoire, a quitté cette  terre  sans
laisser  d'enfants,  il a fallu choisir, aprčs műre  délibération,
quelqu'un  qui  pűt  le  remplacer sur le trône  pour  que  l'État
abandonné   sans  pilote  ne  vînt  pas  ŕ  sombrer.  Nous   avons
derničrement jugé utile d'ajourner cette décision pour permettre ŕ
chacun de venir exposer ŕ l'assemblée l'idée personnelle que  Dieu
lui  aurait  inspirée.  En  réunissant ces  avis  individuels,  on
pourrait, pensions-nous, extraire de l'ensemble des opinions de la
multitude un résumé du sentiment général.
 "  Nous  voici donc maintenant rassemblés. Évitons,  ŕ  force  de
sagesse et de loyauté, que la haine n'étouffe la raison et que  la
passion n'affaiblisse la vérité. Nous n'ignorons pas que Charles a
ses partisans, qui prétendent qu'il a droit au trône parce que ses
parents  le  lui ont transmis. Mais, si on aborde la question,  on
verra  que  le  trône ne s'acquiert pas par droit  héréditaire  et
qu'on  ne  doit y élever que celui qui se distingue non  seulement
par  la  noblesse de son corps, mais encore par la sagesse de  son
esprit,  que celui qui a l'honneur pour bouclier et la  générosité
pour rempart [...]
 "  Choisissez-vous donc le duc qui se recommande par ses actions,
sa  noblesse et sa puissance militaire ; vous trouverez en lui  un
défenseur non seulement pour l'État, mais encore pour vos intéręts
privés. Grâce ŕ son dévouement, vous aurez en lui un pčre.  Qui  a
jamais  eu  recours ŕ lui sans obtenir son patronage  ?  Quel  est
l'homme qui, arraché ŕ la protection des siens, ne leur a pas  été
rendu par ses soins ? "
 >>  Élévation  d'Hugues  sur le trône.  Cet  avis  fut  adopté  et
unanimement  approuvé  ;  le  duc  fut  élevé  sur  le  trône   du
consentement de tous et, couronné ŕ Noyon par l'archevęque et  les
autres évęques, proclamé roi... <<
             Richer, Histoire de France (éd. et trad. R. Latouche.
                     Paris, Belles Lettres, 1964, II, p. 159-163).
 
 Ce  discours provient de l'Histoire de France rédigée  en  latin,
entre  991  et 998, par un moine de l'abbaye Saint-Rémi de  Reims,
Richer, pour continuer des Annales qui, commencées ŕ Reims  au  9e
sičcle  par  l'archevęque Hincmar, s'arrętaient en 882. L'Histoire
de  Richer  couvre  la période 882-995. Elle est  particuličrement
vivante  et instructive pour la période contemporaine de l'auteur,
surtout  de  985  ŕ  995.  Elle nous est  parvenue  en  un  unique
manuscrit, qui est un manuscrit d'auteur, c'est-ŕ-dire corrigé par
l'auteur  lui-męme.  Ce  manuscrit est  actuellement  conservé  en
Allemagne ŕ la bibliothčque de Bamberg (cote E.III.3). Partant des
événements  qui se sont déroulés récemment prčs de Reims,  Richer,
passionné  d'histoire romaine, reconstitue ici un  discours  ŕ  la
maničre  des historiens latins. C'est un discours fictif, que  n'a
sűrement pas prononcé en ces termes l'archevęque Adalbéron.  Mais,
par   le  moyen  de  ce  discours,  Richer  restitue  parfaitement
l'atmosphčre  de  l'époque,  avec la  division  qui  opposait  les
partisans du dernier Carolingien Charles de Lorraine (oncle du roi
défunt) et ceux d'Hugues Capet. Il montre le rôle décisif joué par
les  grands  du royaume, laďques et ecclésiastiques,  lors  de  la
succession royale, et l'hésitation entre deux modes de désignation
:  l'élection  et  l'hérédité. Il trace enfin le portrait  du  roi
idéal  en cette fin du 10e sičcle : un roi qui sert et qui  défend
les intéręts des grands.