IX.             Naissance           de          la          France
(10e -- 12e siècle)

 
 
 
 IX.Naissance de la France
    (10e -- 12e siècle)
   
   
>>  L'an mil <<, une idée fausse sûrement, mais aussi le temps  d'un
grand  changement. Après les dernières invasions, arabes,  hongroi
ses,  normandes, un extraordinaire essor économique, démographique
et  culturel  transforme la France et l'Occident. De ce  mouvement
bénéficie  la  famille royale des Capétiens, qui,  à  la  tête  du
royaume de France à partir de 987, accède au premier plan dans  le
courant du 12e  siècle.
 
 
 IX.NAISSANCE DE LA FRANCE                                      1
  IX.A.                                  L'ANARCHIE DU 10E SIèCLE
 2
   IX.A.I.                               LES DERNIèRES INVASIONS.
  2
   IX.A.II.                             LES GRANDES PRINCIPAUTéS.
  3
   IX.A.III. L'USURPATION DE 987.                               3
  IX.B.                         TERREURS ET PROMESSES DE L'AN MIL
 4
   IX.B.I.                              LES TERREURS DE L'AN MIL.
  4
   IX.B.I. LES GRANDS DéFRICHEMENTS.                            5
  IX.C.                                    LES PREMIERS CAPéTIENS
 6
   IX.C.I.             EFFACEMENT DU POUVOIR ROYAL AU 11E SIèCLE.
  6
   IX.C.II.                       SON REDRESSEMENT AU 12' SIèCLE.
  7
   IX.C.III.                                L'EMPIRE PLANTAGENêT.
  8
   
   On  ne  peut  pas  dater la naissance de la France...  On  peut
seulement,  dans  la longue évolution qui a conduit  de  la  Gaule
franque au royaume de France, poser quelques jalons. Le traité  de
Verdun, en 843 [voir document IX.a.], qui a donné au royaume  pour
plusieurs  siècles ses contours géographiques, en était  un.  Tout
aussi  importante, au terme de ce 10e siècle qui est un  des  plus
tourmentés   du  Moyen  Age,  apparaît  la  date  de   987,   avec
l'installation de la dynastie qui va incarner l'histoire de France
jusqu'à  la  Révolution : les Capétiens. Leurs  débuts,  avant  le
règne de Philippe Auguste (1180), sont lents et modestes : ils  se
situent  dans  un contexte féodal peu propice à un  pouvoir  royal
fort.   Mais,   en   même   temps,   le   royaume   bénéficie   de
l'extraordinaire essor économique, démographique et culturel  qui,
à partir de l'an mil, emporte l'Occident tout entier et transforme
le  monde  sous-développé du haut Moyen Age en un monde conquérant
face à l'Islam et à Byzance : nouveau rapport de forces exprimé, à
partir de la fin du 11e siècle, par le mouvement des croisades.

IX.a.    L'anarchie du 10e siècle

IX.a.i.  Les dernières invasions.
   Point  d'aboutissement,  depuis les  âges  préhistoriques,  des
grandes  migrations  eurasiatiques,  l'extrémité  occidentale   de
l'Europe  connaît  aux  9e et 10e siècles trois  dernières  vagues
d'invasions.  L'une,  venue  du sud, est  le  prolongement  de  la
poussée  musulmane : implantés en Afrique du Nord, en  Espagne  et
dans  les  îles  de  la  Méditerranée, les Sarrasins  lancent  des
expéditions navales sur les côtes du Languedoc, de la Provence  et
de  l'Italie, voire s'installent en quelques points fortifiés d'où
ils terrorisent les populations : par exemple Fraxinetum (La Garde-
Freinet  ?), en Provence, qu'ils occupent jusqu'à la  fin  du  10e
siècle.  Venus des pays Scandinaves, les Vikings - en  France,  on
les  appelle les >> hommes du Nord << : les Normands - ne  procèdent
pas  autrement.  Avec  leurs  longs  bateaux,  les  drakkars,  ils
remontent  le cours des fleuves, à commencer par la  Seine  et  la
Loire  ;  descendus à terre, ils volent des chevaux et  s'en  vont
piller  cités et monastères. D'abord sporadique dans  la  première
moitié du 9e siècle, leur action devient massive à partir de  840.
Ce  n'est qu'après des dizaines d'années de pillages subis  et  de
tributs versés, de batailles gagnées et perdues, qu'une résistance
efficace  s'organise.  L'échec des Normands devant  Paris,  qu'ils
assiègent  vainement en 885-886, a valeur de symbole  :  ils  vont
passer   désormais   du   stade  du  pillage   à   celui   de   la
sédentarisation.  C'est alors que surgit, de  l'est,  la  dernière
vague  d'invasions, terrestre cette fois : celle  des  Hongrois  -
devenus peut-être les >> ogres << -, dont les raids, catastrophiques
surtout  en Germanie et en Italie, atteignent à plusieurs reprises
la  Bourgogne et l'Aquitaine. Le danger n'est conjuré qu'au milieu
du  10e siècle quand le roi de Germanie, Otton Ier,1 les arrête  à
la  bataille  de Lechfeld (955). Nouveau sauveur de la Chrétienté,
Otton  va fonder en 962 un nouvel empire, le Saint Empire,  centré
sur  la  Germanie et l'Italie, et dont la France  ne  fera  jamais
partie.
   
IX.a.ii.     Les grandes principautés.
   C'est  une époque de désolation pour les paysans, les habitants
des  villes  et  les moines, dont les lamentations sont  parvenues
jusqu'à nous. C'est en même temps une époque de redistribution  du
pouvoir  politique. Les effets conjugués des attaques extérieures,
des  rivalités  entre  les  rois et du  processus  de  dissolution
interne  que  nous  avons déjà noté - tendance  à  l'hérédité  des
charges  comtales  et  des bénéfices vassaliques  -  mènent  à  un
véritable  transfert de la puissance publique de  l'échelon  royal
vers  des échelons inférieurs, qui permettent de mieux assurer  la
protection  et  l'encadrement  des populations.  Déjà  la  Francie
médiane  s'est démembrée en ensembles territoriaux beaucoup  moins
vastes : royaume de Provence, royaume de Bourgogne et, au nord, la
Lotharingie proprement dite, qui va devenir la Lorraine et que  se
disputent  âprement  Francs  de  l'Est  et  Francs  de  l'Ouest  :
finalement, toute cette Francie médiane va passer au Saint Empire.
En  Francie occidentale, dès le début du 10e siècle, s'opèrent des
regroupements  de  comtés  au profit de princes  territoriaux  qui
prennent  souvent  le  titre de marquis (en  principe,  celui  qui
défend une marche aux frontières) ou de duc. Au sud, les comtes de
Toulouse  deviennent marquis de Gothie, et les comtes de Poitiers,
ducs  d'Aquitaine. A l'est se forme un duché de Bourgogne, que  la
Saône  sépare  du royaume du même nom. Mais c'est au  nord  de  la
Loire  que  se joue l'avenir de la Francie occidentale,  dans  les
vicissitudes de la lutte contre les Bretons - dont le chef, Alain,
prend  en  912 le titre éphémère mais significatif de  >>  roi  des
Bretons   <<  -  et  surtout  contre  les  Normands.  Deux  grandes
principautés  s'affirment alors : au nord,  celle  des  comtes  de
Flandre  ; à l'ouest, celle des Robertiens, descendants de  Robert
le  Fort2,  qui  avait  vaincu  les Normands  à  Brissarthe,  près
d'Angers,  en  866. Entre les deux se crée en 911 une  principauté
originale  :  par  le  traité  de  Saint-Clair-sur-Epte,  le   roi
carolingien Charles le Simple abandonne aux Normands installés sur
la basse Seine et à leur chef Rollon, en échange de la promesse de
devenir  chrétiens  et  de  défendre le pays  contre  tout  nouvel
envahisseur,  le  comté  de  Rouen,  qu'ils  vont  progressivement
élargir en duché de Normandie.
   
IX.a.iii. L'usurpation de 987.
   Dans   ces   conditions,  le  pouvoir   du   roi   carolingien,
   circonscrit dans la région de Laon et de Reims - on  s'explique
ainsi  son intérêt pour la Lorraine -, s'efface de plus  en  plus.
Dès  la fin du 9e siècle, les grands du royaume, c'est-à-dire  les
princes  territoriaux et les évêques, se sentent assez forts  pour
choisir  eux-mêmes le roi, faisant jouer le principe de l'élection
au  détriment de l'hérédité dans la famille carolingienne. Pendant
un  siècle,  de  888  à  987, alternent  ainsi  rois  carolingiens
(Charles le Simple de 893 à 923, Louis IV, Lothaire et Louis V  de
936  à  987)  et non carolingiens. Ces derniers, à part  Raoul  de
Bourgogne de 923 à 936, appartiennent à la famille des Robertiens.
Vainqueurs  des  Normands,  marquis de  Neustrie,  puis  ducs  des
Francs, ils tiennent la majeure partie des comtés de la Seine à la
Loire  et contrôlent comme abbés laïques les plus grandes abbayes,
à  commencer  par Saint-Martin de Tours et Saint-Denis.  Les  deux
fils  de  Robert le Fort deviennent rois : Eudes, le défenseur  de
Paris,  de 888 à 893, et Robert Ier, en 922-923. Le fils de Robert
Ier,  Hugues  le  Grand, est l'homme fort du 10e siècle,  mais  il
laisse  aux  carolingiens le titre royal.  Cependant,  lorsque  le
jeune  Louis V meurt accidentellement et sans héritier  direct  en
987,  les  grands  du royaume, poussés par l'archevêque  de  Reims
Adalbéron  [voir  document IX.b.], choisissent pour  la  troisième
fois  un  Robertien pour roi : le fils d'Hugues le  Grand,  Hugues
Capet   (ce  surnom,  apparu  plus  tard,  évoque  peut-être   les
nombreuses  chapes3  [en latin, capa] d'abbé laïque  détenues  par
Hugues).  La  nouvelle dynastie, cette fois, était née.  Dès  987,
Hugues,  par  précaution, associe au pouvoir  son  fils,  qui  lui
succède  ensuite  sans difficulté en 996 :  ce  Robert  II,  qu'on
appellera >> le Pieux <<, est le roi de l'an mil.
   
IX.b.        Terreurs et promesses de l'an mil

IX.b.i.      Les terreurs de l'an mil.
   Les  terreurs de l'an mil sont nées sous la plume des écrivains
des  17e et 18e siècles, toujours prêts à dénoncer l'obscurantisme
du  Moyen Age ; elles ont fourni à l'histoire romantique un  thème
porteur,  illustré  par  Michelet.  Mais  l'historien  en   trouve
aujourd'hui difficilement la trace dans cette période,  si  pauvre
   en  sources écrites, qui va du début du 10e siècle au milieu du
11e. Certes, très tournés vers l'au-delà, les hommes du Moyen  Age
ont  eu  volontiers tendance à voir dans les catastrophes humaines
(invasions,    guerres,   famines,   épidémies)   ou    naturelles
(tremblements  de  terre, inondations), et plus  encore  dans  les
phénomènes  célestes (éclipses, comètes), des signes annonciateurs
de  la  fin  du  monde. Annales et chroniques  les  cataloguent  à
l'envi.  Mais  il est difficile de savoir s'ils furent  considérés
comme  plus  nombreux aux approches de l'an mil qu'auparavant.  Il
est  surtout  loin  d'être  prouvé  que,  dans  cette  époque  aux
chronologies  incertaines,  une  proportion  significative  de  la
population   ait  attendu  la  fin  du  monde  pour  le   millième
anniversaire  de la naissance ou plutôt de la mort du  Christ,  en
1033.  Quelques allusions, très rares, à des craintes de ce  genre
les  montrent aussitôt balayées par des citations scripturaires  :
l'homme  ne  peut connaître >> ni le jour ni l'heure <<.  Telle  est
l'attitude dominante, celle des ecclésiastiques.
   
IX.b.i. Les grands défrichements.
 Fin  du monde ? ou fin d'un monde ? Les auteurs du 11e siècle qui
évoquent  l'an  mil,  et tout d'abord un moine bourguignon,  Raoul
Glaber,  qui  écrivait vers 1040, voient plutôt  dans  cette  date
symbolique  la  promesse  d'un  âge  nouveau  dans  l'histoire  de
l'humanité, un printemps du monde, incarné par les églises  neuves
dont  se couvre le pays : >> C'était comme si le monde lui-même  se
fût  secoué et, dépouillant sa vétusté, eût revêtu de toutes parts
une  blanche robe d'églises. << De ce renouvellement profond, moral
et matériel, pressenti par les contemporains, l'historien accumule
aujourd'hui   les   témoignages.   Le   phénomène   majeur,   bien
qu'impossible  à  mesurer,  est d'ordre démographique.  Après  des
siècles  de  dépression, pendant l'Antiquité tardive  et  le  haut
Moyen  Age,  le  mouvement  s'est  inversé  :  contrarié  par  les
dernières invasions des 9e et 10e siècles, il s'épanouit enfin dès
avant  l'an mil et va se poursuivre jusqu'au milieu du 13e siècle,
soutenant la première grande croissance de l'économie européenne.
   A  cette  croissance est traditionnellement associée la  notion
des grands défrichements du Moyen Age. L'expression a le mérite de
souligner le caractère prioritairement rural de la croissance.  Il
s'agit  d'une  augmentation massive de la production  agricole  et
surtout  de  la  production des céréales. Elle est due  d'abord  à
l'extension des surfaces cultivées par défrichement des forêts  et
des  landes, mais aussi par assèchement des vallées humides et des
marais  :   150  000 hectares furent ainsi gagnés sur  les  marais
atlantiques,  du 10e au 12e siècle. Elle est due en même  temps  à
l'élévation  des  rendements agricoles liée à  l'amélioration  des
techniques  et  au plus grand nombre des hommes : outils  en  fer,
charrue attelée, labours plus profonds et plus nombreux ; de 2 à 3
pour  1 à l'époque carolingienne, les rendements atteignent 4 pour
1 en Bourgogne au milieu du 12e siècle et 6 à 8 pour 1 en Picardie
à   la   fin   de  ce  siècle.  Cette  extraordinaire   croissance
s'accompagne  de la création ou de la réorganisation des  terroirs
et  des habitats, avec la fixation définitive des villages et  des
paroisses. Mais les défrichements n'épuisent pas tous les  aspects
de  la croissance. L'augmentation de la production agricole libère
des  surplus  qui  sont  négociables et  des  hommes  qui  peuvent
s'employer  à des activités autres que purement rurales.  On  voit
alors  se  multiplier de nouveaux groupements humains  à  vocation
marchande  ou  artisanale  : faubourgs  près  des  vieilles  cités
épiscopales  ou bourgs nouveaux près des châteaux et des  abbayes.
Déjà  nombreuses  en l'an mil, ces créations, dont  le  rythme  de
fondation s'accélérera par la suite, justifient la construction de
ces  nouvelles églises - dans un nouveau style qu'on  appellera  >>
roman  << parce qu'il retrouve certaines traditions romaines -  qui
ont  tant  frappé Raoul Glaber.  Mais, pour ce moine, le renouveau
n'est  pas seulement matériel, il est aussi moral : c'est un vaste
mouvement qui, parti de la fondation de l'abbaye de Cluny  en  910
et  des  institutions de paix4 garanties par l'Église à la fin  du
10e  siècle,  aboutit,  au 11e siècle,  à  une  vaste  réforme  de
l'Église elle-même : la réforme grégorienne5. Mais notons tout  de
suite  que  le  mouvement  de construction  et  de  réforme  s'est
accompagné  de  la  première floraison  artistique  de  l'Occident
   médiéval qui ait laissé des traces abondantes.  Le 11e et le 12e
siècle  sont  les  grands siècles de l'art roman, dont  témoignent
encore,  avec  leur  décor de sculptures et de fresques,  de  très
nombreuses églises rurales et urbaines dans la plupart des régions
de la France.
   De  cet essor, tous ont profité : à court terme, les paysans et
leurs seigneurs immédiats ; à long terme, le roi capétien.
   
   
IX.c.        Les premiers Capétiens

IX.c.i.      Effacement du pouvoir royal au 11e siècle.
   Quand  Hugues Capet devient roi de France en 987, le  processus
d'accaparement  de  la  puissance publique par  les  princes  joue
maintenant contre les plus grands d'entre eux au profit de  comtes
d'un  rang  inférieur  et même bientôt de simples  possesseurs  de
châteaux  :  nous  sommes désormais en pleine  féodalité6.  De  la
grande  principauté que les Robertiens avaient tenté de constituer
entre  la Seine et la Loire, se sont détachés des ensembles  moins
vastes  en faveur de dynasties comtales : comtes du Maine,  comtes
d'Anjou,  comtes  de  Blois...  Hugues  Capet  ne  contrôle   plus
directement  que  les comtés de Paris, Senlis, Dreux  et  Orléans.
Ainsi  cantonnés  en Ile-de-France et en Orléanais,  les  premiers
Capétiens ne sont que des princes territoriaux comme les autres  -
et souvent beaucoup moins prestigieux que d'autres. Robert II (996-
1031). Henri Ier (1031-1060) et Philippe Ier (1060-1108) n'ont pas
bonne réputation auprès des historiens. Du premier, célèbre en son
temps  pour ses démêlés conjugaux, un moine contemporain a  dressé
le portrait d'un parfait dévot ; le deuxième n'est guère connu que
pour  avoir  épousé  une  princesse  russe,  Anne  de  Kiev,   qui
introduisit dans la famille capétienne le prénom grec de  Philippe
; le troisième fut trois fois *excommunié pour avoir voulu épouser
sa  maîtresse  et légitimer ses bâtards. Ils font pâle  figure  en
face des grands princes du 11e siècle : un Guillaume >> le Grand <<,
   duc d'Aquitaine (vers 990-1030), qui faillit devenir empereur ; un
Guillaume  >>  le  Conquérant <<, duc de Normandie (1035-1087),  qui
réalisa  en  1066 la conquête de l'Angleterre. Mais les  Capétiens
étaient  rois : rois sacrés qui, par nature, appartenaient  autant
au monde ecclésiastique qu'au monde laïque et tiraient avantage de
cette  position unique, auprès des comtes comme des  évêques.  Ils
ont eu aussi la chance d'avoir chacun un héritier mâle, associé au
pouvoir  du  vivant de son père, et d'éviter ainsi,  au  terme  de
longs  règnes, tout problème de succession. Ils ont été enfin  des
princes  obstinés  qui  ont patiemment cherché,  avec  des  succès
divers,   à   maintenir   l'étroit  domaine  qu'ils   contrôlaient
directement et, si possible, à l'élargir. Robert le Pieux  réussit
à  mettre  la  main sur le duché de Bourgogne, mais doit  vite  le
céder  à l'un de ses fils : ce duché capétien de Bourgogne  durera
jusqu'au  milieu du 14e siècle. Philippe Ier s'empare du Gâtinais,
du  Vexin  et  de  Bourges.  Mais, dans son  propre  domaine,  son
autorité  est battue en brèche par les seigneurs pillards  qui,  à
partir  de  leurs châteaux, dominent les campagnes et écument  les
routes.
   
IX.c.ii. Son redressement au 12' siècle.
 Pourtant,  le mouvement féodal va jouer finalement en  faveur  de
la  royauté.  Ce revirement, peut-être amorcé sous  Philippe  Ier,
s'affirme sous Louis VI le Gros (1108-1137) et Louis VII le  Jeune
(1137-1180). La lente récupération du pouvoir par le  roi  a  pris
des  formes  très  variées. Nous pouvons  en  discerner  au  moins
quatre. La plus spectaculaire est la lutte sans merci qu'ont menée
Philippe  Ier et surtout Louis VI contre les seigneurs  turbulents
d'Ile-de-France et d'Orléanais, tels Hugues du Puiset ou Thomas de
Marie : ils y ont gagné d'être véritablement maîtres chez eux.  La
deuxième  est  l'utilisation systématique  des  liens  féodaux  au
profit du roi : l'habitude étant prise que chacun soit l'homme  ou
le  vassal d'un seigneur, il se constitue peu à peu une chaîne  de
vassalités  qui aboutit au roi, lequel ne peut être le  vassal  de
personne.  A  cette  remise  en  ordre  -  troisième  aspect  -  a
puissamment contribué l'Église, déjà protectrice des mouvements de
paix  du  11e siècle ; les Capétiens ont su accepter en France  la
réforme grégorienne et ont soutenu les papes engagés alors dans un
grand conflit - querelle des Investitures et, plus tard, lutte  du
Sacerdoce  et  de  l'Empire  -  avec  les  empereurs  germaniques,
hostiles à la réforme et désireux de contrôler l'Italie. L'étroite
alliance  du  roi et de l'Église apparaît au temps  de  Louis  VI,
Louis  VII  et Suger. Abbé de Saint-Denis de 1122 à 1151,  ami  et
principal conseiller de Louis VI, tuteur du jeune Louis VII, Suger
devient  régent du royaume (de 1147 à 1149), quand Louis VII  part
pour  la  croisade ; l'abbaye de Saint-Denis, qui est la nécropole
royale,   abrite  les  insignes  de  la  royauté  -  la  couronne,
l'oriflamme  -, et ses moines, à commencer par Suger lui-même  qui
écrit  la  Vie de Louis VI le Gros, rédigent l'histoire officielle
des rois de France.
 C'est  enfin  l'époque  où  apparaît autour  du  roi  un  embryon
d'administration, centrale et locale. Dans son entourage, dans  sa
Cour,  il  choisit  des  familiers qui lui  donnent  des  conseils
politiques et qui vont former le Conseil du roi ; autour des chefs
des  services  domestiques  du  palais  -  sénéchal,  connétable7,
bouteiller,  chambrier, chancelier8 -, s'organisent  les  premiers
services  centraux  de  la  monarchie ;  en  même  temps,  le  roi
surveille de plus en plus étroitement les agents locaux à  qui  il
confie  la gestion de ses domaines - les prévôts9 -, et il réussit
à les empêcher de rendre leur fonction héréditaire.
   Le  mouvement  de réorganisation qui profite au roi  de  France
profite également aux plus grands princes du royaume, qui sont ses
vassaux directs et ses interlocuteurs naturels. A chaque occasion,
le  roi  les  convoque à de grandes assemblées, à  des  cérémonies
familiales ou pour des expéditions militaires. Il intervient  dans
leurs  différends, propose sans cesse son arbitrage et  cherche  à
imposer, souvent à leurs dépens, sa justice. Il encourage  à  leur
détriment ces nouveaux corps politiques qui, apparus à la  fin  du
11e  siècle, se multiplient au 12e siècle : les communes urbaines.
Mais il a affaire à forte partie. En France du Sud, les comtes  de
Toulouse  et  les  ducs  d'Aquitaine se conduisent  en  souverains
   indépendants. En France du Nord, deux grands vassaux du roi  de
France,  portés peut-être par l'avance économique qui  caractérise
dès  le 11e siècle l'Europe du Nord-Ouest, ont su plus tôt que lui
utiliser les liens féodaux au profit d'un pouvoir supérieur  :  le
comte de Flandre et le duc de Normandie ; devenu roi d'Angleterre,
ce  dernier  développe  de façon décisive dans  l'ensemble  anglo-
normand  les  institutions  féodales dans  un  sens  favorable  au
pouvoir  central. Les pays riverains de la mer du Nord  et  de  la
Manche  -  Flandre, Normandie, Angleterre - représentent alors  un
pôle de modernité politique et économique par rapport à l'ensemble
du royaume et à l'Occident tout entier, Italie exceptée.
   
IX.c.iii.     L'empire Plantagenêt.
   De  fait,  dans  la première moitié du 12e siècle,  le  roi  de
France  est bien moins puissant et moins riche que son  vassal  de
Normandie.  Il y a là un danger potentiel pour les Capétiens,  qui
se  précise  au  milieu du siècle lorsque s'éteint la  descendance
directe de Guillaume le Conquérant. On assiste alors à l'ascension
fulgurante  d'un  seigneur de second rang, Henri  Plantagenêt.  Il
hérite en 1151 du comté d'Anjou et de la Normandie, rassemblés par
son  père  ;  il  épouse en 1152 la dernière  héritière  des  ducs
d'Aquitaine,  Aliénor,  divorcée quelques semaines  auparavant  de
Louis  VII  après six ans de mariage ; il devient roi d'Angleterre
en  1154 et s'empare ensuite du comté de Nantes et de la Bretagne.
Les  historiens français n'ont jamais pardonné à Louis VII d'avoir
laissé  échapper,  avec Aliénor, l'héritage  aquitain  et  d'avoir
permis  la  constitution au profit d'Henri  II  de  cet  >>  empire
angevin << ou >> empire Plantagenêt << qui s'étendait de la frontière
de  l'Ecosse  aux  Pyrénées et englobait le  tiers  du  territoire
français,  avec la totalité du littoral du Tréport à la  Bidassoa.
Mais nous touchons là le caractère paradoxal du pouvoir du roi  de
France  à  cette époque : qu'il n'ait pas pu empêcher la formation
de  l'empire d'Henri II prouve sa faiblesse ; qu'il ait survécu  à
ce  danger et en ait, à la génération suivante, tiré le plus grand
profit  témoigne de sa force. Un tel paradoxe ne se  comprend  que
dans le cadre de la société féodale.
_______________________________
 1  Fils d'Henri Ier l'Oiseleur de la dynastie Saxonne, Otton  Ier
fut  le  premier  empereur du Saint Empire romain  germanique,  en
recevant  des  mains  du  pape  Jean  XII,  en  962,  la  couronne
impériale.
 2  Comte d'Anjou et de Blois, marquis de Neustrie, Robert le Fort
lutta contre les Normands
 3 Chape. Grand et long manteau qui s'agrafe par-devant et qui est
porté  par  l'officiant  dans  les  cérémonies  religieuses.   Les
Capétiens  possédaient comme relique la chape de saint  Martin  et
l'emportaient dans leurs expéditions militaires.
 4  Paix  (institutions de). Ensemble d'institutions établies  par
l'Église  à  partir  de  la  fin du 10e siècle  pour  limiter  les
vengeances  et  les  guerres privées. La  paix  de  Dieu  proclame
l'inviolabilité  de certains lieux (droit d'asile)  et  le  statut
protégé  des  églises  et  de certaines  catégories  de  personnes
(femmes,  enfants, pèlerins, clercs, marchands...).  La  trêve  de
Dieu  interdit la guerre pendant certains jours de la  semaine  et
certaines périodes de l'année. Les participants s'engageaient  par
serment   à  respecter  la  paix  et  pouvaient  donc,  s'ils   ne
respectaient pas leur serment, être frappés d'excommunication.
 5  Réforme grégorienne. Grand mouvement de rénovation de l'Église
entrepris  et  réalisé  aux 11e et 12e  siècles,  auquel  le  pape
Grégoire  VII  (1073-1085) a donné son nom. Ce  mouvement  vise  à
émanciper l'Église de la tutelle des laïques.
 6  Féodal,  féodalité.  Au  sens  strict,  la  féodalité  désigne
l'ensemble des institutions dites féodo-vassaliques qui  régissent
les  rapports  entre  un  seigneur et  son  vassal,  rapports  qui
comportent la remise d'un fief (en latin, feodum) par le  seigneur
au  vassal.  Au  sens large, la féodalité désigne la  société  qui
reposait  sur  ces liens féodo-vassaliques et qui se caractérisait
par  une hiérarchie des hommes et des terres, par la prépondérance
d'une aristocratie de guerriers, par le morcellement de l'autorité
publique et des droits de propriété.
 7  Connétable.  Chargé, avec l'aide des maréchaux, de  surveiller
les écuries royales (comes stabuli, comte de l'étable), il devient
sous  les  Capétiens un des cinq grands officiers de la  couronne.
C'est le conseiller militaire du roi et le chef de l'armée en  son
absence.
 8  Chancelier, chancellerie. Devenu, sous les Capétiens,  un  des
cinq  grands  officiers de la couronne, il est alors le  principal
personnage du Conseil du roi, qu'il préside en l'absence  du  roi,
et  le chef de l'administration royale. A la fin du Moyen Age,  il
devient aussi le premier personnage du Parlement.
 9   Prévôt.   Au  Moyen  Age,  agent  ou  régisseur   chargé   de
l'administration des domaines d'un seigneur. Les  prévôts  royaux,
qui  administrent les domaines du roi, exercent en même temps  des
fonctions fiscales, judiciaires et militaires.