IX. Naissance de la France (10e-12esiěcle) IX. Naissance de la France (10e - 12e siěcle) « Ľan mil », une idee fausse sůrement, mais aussi le temps d'un grand changement. Apr es les derniěres invasions, arabes, hongroises, normandes, un extraordinaire essor économique, démographique et culturel transforme la France et l'Occident. De ce mouvement bénéficie la famille royale des Capétiens, qui, ä la téte du royaume de France ä partir de 987, accede au premier plan dans le cour ant du 12e siécle. IX. NAISSANCE DE LA FRANCE................................................................................................................1 IX.a. L'ANARCHIE DU 10E SIĚCLE....................................................................................................................2 IX. a. i. Les derniěres invasions......................................................................................................................2 IX. a. ii. Les grandes principautés...................................................................................................................2 IX. a. Hi. L 'usurpation de 987..............................................................................................................................3 IX.b. Terreurs et promesses de ľan mil....................................................................................................4 IX. b. i. Les terreurs de ľan mil.......................................................................................................................4 IX. b. i. Les grands défrichements........................................................................................................................4 IX.c. Les premiers Capétiens.....................................................................................................................6 IX. c. i. Effacement du pouvoir royal au lľ siěcle.........................................................................................6 IX.c.ii. Son redressement au 12' siěcle...........................................................................................................7 IX.c.Hi. Ľ empire Plantagenět........................................................................................................................9 On ne peut pas dater la naissance de la France... On peut seulement, dans la longue evolution qui a conduit de la Gaule franque au royaume de France, poser quelques jalons. Le traité de Verdun, en 843 [voir document DC a.], qui a donne au royaume pour plusieurs siěcles ses contours géographiques, en était un. Tout aussi importante, au terme de ce 10e siěcle qui est un des plus tourmentés du Moyen Age, apparait la date de 987, avec installation de la dynastie qui va incarner l'histoire de France jusqu'á la Revolution : les Capétiens. Leurs debuts, avant le regne de Philippe Auguste (1180), sont lents et modestes : ils se situent dans un contexte féodal peu propice á un pouvoir royal fort. Mais, en méme temps, le royaume bénéficie de ľ extraordinaire essor économique, démographique et culturel qui, á partir de ľan mil, empörte l'Occident tout entier et transforme le monde sous-développé du haut Moyen Age en un monde conquérant face á l'Islam et á Byzance : nouveau rapport de forces exprimé, á partir de la fin du lle siěcle, par le mouvement des croisades. i IX. Naissance de la France (10e-12esiěcle) IX.a. L'anarchie du 10e siěcle IX.a.i. Les derniěres invasions. Point ďaboutissement, depuis les ages préhistoriques, des grandes migrations eurasiatiques, 1'extrémité occidentale de 1'Europe connait aux 9e et 10e siěcles trois derniěres vagues ďinvasions. L'une, venue du sud, est le prolongement de la poussée musulmane : implantés en Afrique du Nord, en Espagne et dans les Ties de la Méditerranée, les Sarrasins lancent des expeditions navales sur les côtes du Languedoc, de la Provence et de l'ltalie, voire s'installent en quelques points fortifies d'ou ils terrorisent les populations : par exemple Fraxinetum (La Garde-Freinet ?), en Provence, qu'ils occupent jusqu'á la fin du 10e siěcle. Venus des pays Scandinaves, les Vikings - en France, on les appelle les « hommes du Nord » : les Normands - ne procědent pas autrement. Avec leurs longs bateaux, les drakkars, ils remontent le cours des fleuves, á commencer par la Seine et la Loire ; descendus á terre, ils volent des chevaux et s'en vont piller cités et monastěres. D'abord sporadique dans la premiere moitié du 9e siěcle, leur action devient massive á partir de 840. Ce n'est qu'apres des dizaines ďannées de pillages subis et de tributs verses, de batailles gagnées et perdues, qu'une resistance efficace s'organise. L'échec des Normands devant Paris, qu'ils assiěgent vainement en 885-886, a valeur de symbole : ils vont passer désormais du stade du pillage á celui de la sédentarisation. C'est alors que surgit, de ľest, la derniěre vague ďinvasions, terrestre cette fois : celie des Hongrois -devenus peut-étre les « ogres » -, dont les raids, catastrophiques surtout en Germanie et en Itálie, atteignent á plusieurs reprises la Bourgogne et l'Aquitaine. Le danger n'est conjure qu'au milieu du 10e siěcle quand le roi de Germanie, Otton Ier,1 les arréte á la bataille de Lechfeld (955). Nouveau sauveur de la Chrétienté, Otton va fonder en 962 un nouvel empire, le Saint Empire, centre sur la Germanie et l'ltalie, et dont la France ne fera jamais partie. IX.a.ii. Les grandes principautés. C'est une époque de desolation pour les paysans, les habitants des villes et les moines, dont les lamentations sont parvenues jusqu'a nous. Cest en měme temps une époque de redistribution du pouvoir politique. Les effets conjugués des attaques extérieures, des rivalités entre les rois et du processus de dissolution interne que nous avons déjá note - tendance á ľhérédité des charges comtales et des benefices vassaliques - měnent á un veritable transfert de la puissance publique de 1 Fils d'Henri Ier l'Oiseleur de la dynastie Saxonne, Otton Ier flit le premier empereur du Saint Empire romain germanique, en recevant des mains du pape Jean XII, en 962, la couronne imperiale. 2 IX. Naissance de la France (10e-12esiěcle) ľéchelon royal vers des echelons inférieurs, qui permettent de mieux assurer la protection et l'encadrement des populations. Déjá la Francie mediane s'est démembrée en ensembles territoriaux beaucoup moins vastes : royaume de Provence, royaume de Bourgogne et, au nord, la Lotharingie proprement dite, qui va devenir la Lorraine et que se disputent äprement Francs de l'Est et Francs de l'Ouest : finalement, toute cette Francie mediane va passer au Saint Empire. En Francie occidentale. děs le debut du 10e siěcle, s'operent des regroupements de comtés au profit de princes territoriaux qui prennent souvent le titre de marquis (en principe, celui qui defend une marche aux frontiěres) ou de due. Au sud, les comtes de Toulouse deviennent marquis de Gothie, et les comtes de Poitiers, dues d'Aquitaine. A l'est se forme un duché de Bourgogne. que la Saône sépare du royaume du méme nom. Mais e'est au nord de la Loire que se joue ľavenir de la Francie occidentale, dans les vicissitudes de la lutte contre les Bretons - dont le chef, Alain, prend en 912 le titre éphéměre mais significatif de « roi des Bretons » - et surtout contre les Normands. Deux grandes principautés s'affirment alors : au nord, celle des comtes de Flandre ; á ľouest, celie des Robertiens, descendants de Robert le Fort1, qui avait vaincu les Normands á Brissarthe, pres dAngers, en 866. Entre les deux se crée en 911 une principauté originale : par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, le roi carolingien Charles le Simple abandonne aux Normands installés sur la basse Seine et á leur chef Rollon, en échange de la promesse de devenir chrétiens et de défendre le pays contre tout nouvel envahisseur, le comté de Rouen, qu'ils vont progressivement élargir en duché de Normandie. IX.a.iii. Ľusurpation de 987. Dans ces conditions, le pouvoir du roi carolingien, circonserit dans la region de Laon et de Reims - on s'explique ainsi son intérét pour la Lorraine -, s'efface de plus en plus. Děs la fin du 9e siěcle, les grands du royaume, c'est-á-dire les princes territoriaux et les évéques, se sentent assez forts pour choisir eux-mémes le roi, faisant jouer le principe de ľélection au detriment de ľhérédité dans la famille carolingienne. Pendant un siěcle, de 888 á 987, alternent ainsi rois carolingiens (Charles le Simple de 893 á 923, Louis IV, Lothaire et Louis V de 936 á 987) et non carolingiens. Ces derniers, á part Raoul de Bourgogne de 923 á 936, appartiennent á la famille des Robertiens. Vainqueurs des Normands, marquis de Neustrie, puis dues des Francs, ils tiennent la majeure partie des comtés de la Seine á la Loire et contrôlent comme abbés laiques les plus grandes abbayes, á commencer par Saint-Martin de Tours et Saint-Denis. Les deux fits de Robert le Fort deviennent rois : Eudes, le défenseur de Paris, de 888 á 893, et Robert Ier, en 1 Comte d'Anjou et de Blois, marquis de Neustrie, Robert le Fort lutta contre les Normands 3 IX. Naissance de la France (10e-12esiěcle) 922-923. Le fils de Robert Ier, Hugues le Grand, est ľhomme fort du 10e siěcle, mais il laisse aux carolingiens le titre royal. Cependant, lorsque le jeune Louis V meurt accidentellement et sans héritier direct en 987, les grands du royaume, poussés par ľarcheveque de Reims Adalbéron [voir document IX.b.], choisissent pour la troisiěme fois un Robertien pour roi : le fils d'Hugues le Grand, Hugues Canet (ce súrnom, apparu plus tard, évoque peut-étre les nombreuses chapes1 [en latin, capa] ďabbé laique détenues par Hugues). La nouvelle dynastie, cette fois, était née. Děs 987, Hugues, par precaution, associe au pouvoir son fils, qui lui succěde ensuite sans difficulté en 996 : ce Robert II, qu'on appellera « le Pieux », est le roi de ľan mil. IX.b. Terreurs et promesses de ľan mil IX.b.i. Les terreurs de ľan mil. Les terreurs de ľan mil sont nées sous la plume des écrivains des 17e et 18e siěcles, toujours préts á dénoncer ľobscurantisme du Moyen Age ; elles ont fourni á ľhistoire romantique un théme porteur, illustre par Michelet. Mais ľhistorien en trouve aujourďhui difficilement la trace dans cette perióde, si pauvre en sources écrites, qui va du debut du 10e siěcle au milieu du lle. Certes, trěs tournés vers ľau-delá, les hommes du Moyen Age ont eu volontiers tendance á voir dans les catastrophes humaines (invasions, guerres, famines, épidémies) ou naturelles (tremblements de terre, inondations), et plus encore dans les phénoměnes celestes (eclipses, comětes), des signes annonciateurs de la fin du monde. Annales et chroniques les cataloguent á ľenvi. Mais il est difficile de savoir s'ils furent considérés comme plus nombreux aux approches de ľan mil qu'auparavant. II est surtout loin d'etre prouvé que, dans cette époque aux chronologies incertaines, une proportion significative de la population ait attendu la fin du monde pour le milliěme anniversaire de la naissance ou plutôt de la mort du Christ, en 1033. Quelques allusions, trěs rares, á des craintes de ce genre les montrent aussitôt balayées par des citations scripturaires : ľhomme ne peut connaitre « ni le jour ni ľheure ». Telle est ľattitude dominante, celie des ecclésiastiques. IX.b.i. Les grands défrichements. Fin du monde ? ou fin ďun monde ? Les auteurs du lle siěcle qui évoquent ľan mil, et tout 1 Chape. Grand et long manteau qui s'agrafe par-devant et qui est porté par l'officiant dans les ceremonies religieuses. Les Capétiens possedaient comme relique la chape de saint Martin et ľemportaient dans leurs expeditions militaires. 4 IX. Naissance de la France (10e-12esiěcle) ďabord un moine bourguignon, Raoul Glaber. qui écrivait vers 1040, voient plutôt dans cette date symbolique la promesse d'un age nouveau dans ľhistoire de ľhumanité, un printemps du monde, incarné par les églises neuves dont se couvre le pays : « C'était comme si le monde lui-méme se füt secoué et, dépouillant sa vétusté, eüt revétu de toutes parts une blanche robe ďéglises. » De ce renouvellement profond, moral et materiel, pressenti par les contemporains, ľhistorien accumule aujourďhui les témoignages. Le phénoměne majeur, bien qu'impossible á mesurer, est ďordre démographique. Aprěs des siěcles de depression, pendant l'Antiquité tardive et le haut Moyen Age, le mouvement s'est inverse : contraria par les derniěres invasions des 9e et 10e siěcles, il s'épanouit enfin děs avant ľan mil et va se poursuivre jusqu'au milieu du 13e siěcle, soutenant la premiere grande croissance de ľéconomie européenne. A cette croissance est traditionnellement associée la notion des grands défrichements du Moyen Age. L'expression a le mérite de souligner le caractere prioritairement rural de la croissance. II s'agit d'une augmentation massive de la production agricole et surtout de la production des céréales. Elle est due d'abord á ľextension des surfaces cultivées par défrichement des foréts et des landes, mais aussi par assěchement des vallées humides et des marais : 150 000 hectares furent ainsi gagnés sur les marais atlantiques. du 10e au 12e siěcle. Elle est due en méme temps á ľélévation des rendements agricoles liée á ľamélioration des techniques et au plus grand nombre des hommes : outils en fer, charrue attelée, labours plus profonds et plus nombreux ; de 2 á 3 pour 1 á ľépoque carolingienne, les rendements atteignent 4 pour 1 en Bourgogne au milieu du 12e siěcle et 6 á 8 pour 1 en Picardie á la fin de ce siěcle. Cette extraordinaire croissance s'accompagne de la creation ou de la reorganisation des terroirs et des habitats, avec la fixation definitive des villages et des paroisses. Mais les défrichements n'épuisent pas touš les aspects de la croissance. L'augmentation de la production agricole liběre des surplus qui sont négociables et des hommes qui peuvent s'employer á des activités autres que purement rurales. On voit alors se multiplier de nouveaux groupements humains á vocation marchande ou artisanale : faubourgs pres des vieilles cites episcopates ou bourgs nouveaux pres des chateaux et des abbayes. Déjá nombreuses en ľan mil, ces creations, dont le rythme de fondation s'accélérera par la suite, justifient la construction de ces nouvelles églises - dans un nouveau style qu'on appellera « roman » parce qu'il retrouve certaines traditions romaines - qui ont tant frappé Raoul Glaber. Mais, pour ce moine, le renouveau n'est pas seulement materiel il est aussi moral : c'est un vaste mouvement qui, 5 IX. Naissance de la France (10e-12esiěcle) parti de la fondation de ľabbaye de Cluny en 910 et des institutions de paix1 garanties par l'Eglise á la fin du 10e siěcle, aboutit, au lle siěcle, á une vaste reforme de l'Eglise elle-méme : la reforme grégorienne2. Mais notons tout de suite que le mouvement de construction et de reforme s'est accompagné de la premiere floraison artistique de l'Occident medieval qui ait laissé des traces abondantes. Le lle et le 12e siěcle sont les grands siěcles de l'art roman, dont témoignent encore, avec leur decor de sculptures et de fresques, de trěs nombreuses églises rurales et urbaines dans la plupart des regions de la France. De cet essor, tous ont profite : á court terme, les paysans et leurs seigneurs immédiats ; á long terme, le roi capétien. IX.c. Les premiers Capétiens IX.c.i. Effacement du pouvoir royal au lle siěcle. Quand Hugues Capet devient roi de France en 987, le processus ďaccaparement de la puissance publique par les princes joue maintenant contre les plus grands d'entre eux au profit de comtes d'un rang inférieur et merne bientôt de simples possesseurs de chateaux : nous sommes désormais en pleine féodalité3. De la grande principauté que les Robertiens avaient tenté de constituer entre la Seine et la Loire, se sont detaches des ensembles moins vastes en faveur de dynasties comtales : comtes du Maine, comtes d'Anjou, comtes de Blois... Hugues Capet ne contrôle plus directement que les comtés de Paris, Senlis, Dreux et Orleans. Ainsi cantonnés en Ile-de-France et en Orléanais, les premiers Capétiens ne sont que des princes territoriaux comme les autres - et souvent beaucoup moins prestigieux que d'autres. Robert II (996-1031). Henri Ier (1031-1060) et Philippe Ier (1060-1108) n'ont pas bonne reputation auprěs des 1 Paix (institutions de). Ensemble destitutions établies par l'Église á partir de la fin du 10e siěcle pour limiter les vengeances et les guerres privées. La paix de Dieu proclame ľinviolabilité de certains lieux (droit d'asile) et le statut protégé des églises et de certaines categories de personnes (femmes, enfants, pělerins, clercs, marchands...). La tréve de Dieu interdit la guerre pendant certains iours de la semaine et certaines périodes de ľannée. Les participants s'engageaient par serment á respecter la paix et pouvaient done, s'ils ne respectaient pas leur serment, étre fiappes d'excommunication 2 Reforme grégorienne. Grand mouvement de renovation de l'Église entrepris et realise aux IT et 12e siěcles, auquel le pape Grégoire VII (1073-1085) a donné son nom. Ce mouvement vise á émanciper l'Église de la tuteile des laiques. 3 Féodal, féodalité. Au sens strict, la féodalité designe l'ensemble des institutions dites féodo-vassaliques qui régissent les rapports entre un seigneur et son vassal, rapports qui comportent la remise d'un fief (en latin, feodum) par le seigneur au vassal. Au sens large, la féodalité designe la société qui reposait sur ces liens féodo-vassaliques et qui se caractérisait par une hierarchie des hommes et des terres, par la preponderance d'une aristocratie de guerriers, par le morcellement de ľautorité publique et des droits de propriété. 6 IX. Naissance de la France (10e-12esiěcle) historiens. Du premier, célěbre en son temps pour ses démélés conjugaux, un moine contemporain a dressé le portrait d'un parfait dévot ; le deuxiěme n'est guěre connu que pour avoir épousé une princesse russe, Anne de Kiev, qui introduisit dans la famille capétienne le prénom grec de Philippe ; le troisiěme fut trois fois *excommunié pour avoir voulu épouser sa maítresse et legitimer ses bätards. lis font pale figure en face des grands princes du lle siěcle : un Guillaume « le Grand », due ď Aquitaine (vers 990-1030), qui faillit devenir empereur ; un Guillaume « le Conquérant », due de Normandie (1035-1087), qui réalisa en 1066 la conquéte de lAngleterre. Mais les Capétiens étaient rois : rois sacrés qui, par nature, appartenaient autant au monde ecclésiastique qu'au monde laique et tiraient avantage de cette position unique, auprés des comtes comme des évéques. lis ont eu aussi la chance ďavoir chacun un héritier male, associé au pouvoir du vivant de son pere, et ďéviter ainsi, au terme de longs rěgnes, tout probléme de succession. lis ont été enfin des princes obstinés qui ont patiemment cherché, avec des succěs divers, á maintenir ľétroit domaine qu'ils contrôlaient directement et, si possible, á ľélargir. Robert le Pieux réussit á mettre la main sur le duché de Bourgogne, mais doit vite le céder á l'un de ses fils : ce duché capétien de Bourgogne durera jusqu'au milieu du 14e siěcle. Philippe Ier s'empare du Gätinais, du Vexin et de Bourges. Mais, dans son propre domaine, son autorite est battue en breche par les seigneurs pillards qui, á partir de leurs chateaux, dominent les campagnes et écument les routes. IX.c.ii.Son redressement au 12' siěcle. Pourtant, le mouvement féodal va jouer finalement en faveur de la royauté. Ce revirement, peut-étre amorcé sous Philippe Ier, s'affirme sous Louis VI le Gros (1108-1137) et Louis VII le Jeune (1137-1180). La lente recuperation du pouvoir par le roi a pris des formes trěs variées. Nous pouvons en discerner au moins quatre. La plus spectaculaire est la lutte sans merci qu'ont menée Philippe Ier et surtout Louis VI contre les seigneurs turbulents d'lle-de-France et d'Orléanais, tels Hugues du Puiset ou Thomas de Marie : ils y ont gagné d'etre véritablement maitres chez eux. La deuxiěme est ľutilisation systématique des liens féodaux au profit du roi : ľhabitude étant prise que chacun soit l'homme ou le vassal d'un seigneur, il se constitue peu á peu une chaine de vassalités qui aboutit au roi, lequel ne peut étre le vassal de personne. A cette remise en ordre - troisiěme aspect - a puissamment contribué l'Eglise, déjá protectrice des mouvements de paix du lle siěcle ; les Capétiens ont su accepter en France la reforme grégorienne et ont soutenu les papes engages alors dans un grand conflit - quereile des Investitures et, plus tard, lutte du Sacerdoce et de l'Empire - avec les empereurs germaniques, hostiles á la reforme et désireux de contrôler ľltalie. Ľétroite alliance du roi et de l'Eglise 7 IX. Naissance de la France (10e-12esiěcle) apparaít au temps de Louis VI, Louis VII et Suger. Abbé de Saint-Denis de 1122 á 1151, ami et principal conseiller de Louis VI, tuteur du jeune Louis VII, Suger devient regent du royaume (de 1147 á 1149), quand Louis VII part pour la croisade ; l'abbaye de Saint-Denis, qui est la nécropole royale, abrite les insignes de la royauté - la couronne, l'oriflamme -, et ses moines, á commencer par Suger lui-méme qui écrit la Vie de Louis VI le Gros, rédigent ľhistoire officielle des rois de France. Cest enfin ľépoque oú apparaít autour du roi un embryon ďadministration, centrale et locale. Dans son entourage, dans sa Cour, il choisit des familiers qui lui donnent des conseils politiques et qui vont former le Conseil du roi ; autour des chefs des services domestiques du palais - sénéchal connétable1. bouteiller. chambrier. chancelier2 -, s'organisent les premiers services centraux de la monarchie ; en méme temps, le roi surveille de plus en plus étroitement les agents locaux á qui il confie la gestion de ses domaines - les prévôts3 -, et il réussit á les empécher de rendre leur fonction héréditaire. Le mouvement de reorganisation qui profite au roi de France profite également aux plus grands princes du royaume, qui sont ses vassaux directs et ses interlocuteurs naturels. A chaque occasion, le roi les convoque á de grandes assemblées, á des ceremonies familiales ou pour des expeditions militaires. II intervient dans leurs différends, propose sans cesse son arbitrage et cherche á imposer, souvent á leurs dépens, sa justice. II encourage á leur detriment ces nouveaux corps politiques qui, apparus á la fin du lle siěcle, se multiplient au 12e siěcle : les communes urbaines. Mais il a affaire á forte partie. En France du Sud, les comtes de Toulouse et les dues d'Aquitaine se conduisent en souverains indépendants. En France du Nord, deux grands vassaux du roi de France, portés peut-étre par ľavance économique qui caractérise děs le lle siěcle lEurope du Nord-Ouest, ont su plus tôt que lui utiliser les liens féodaux au profit d'un pouvoir supérieur : le comte de Flandre et le due de Normandie ; devenu roi dAngleterre. ce dernier développe de facon decisive dans ľensemble anglo-normand les institutions féodales dans un sens favorable au pouvoir central. Les pays riverains de la mer du Nord et de la Manche - Flandre, Normandie, Angleterre - représentent alors un póle de modernité politique et économique par rapport á ľensemble du royaume et á ľOccident tout 1 Connétable. Chargé, avec ľaide des maréchaux, de surveiller les éeuries royales (comes stabuli, comte de ľétable), il devient sous les Capétiens un des cinq grands officiers de la couronne. C'est le conseiller militaire du roi et le chef de ľarmée en son absence. 2 Chancelier, chancellerie. Devenu, sous les Capétiens, un des cinq grands officiers de la couronne, il est alors le principal personnage du Conseil du roi, qu'il preside en ľabsence du roi, et le chef de ľadministration royale. A la fin du Moyen Age, il devient aussi le premier personnage du Parlement. 3 Prévôt. Au Moyen Age, agent ou régisseur chargé de ľadministration des domaines d'un seigneur. Les prévôts royaux, qui administrent les domaines du roi, exercent en méme temps des fonetions fiscales, judiciaires et militaires. 8 IX. Naissance de la France (10e-12esiěcle) entier, Itálie exceptée. IX.c.iii. Ľempire Plantagenét. De fait, dans la premiere moitié du 12e siěcle, le roi de France est bien moins puissant et moins riche que son vassal de Normandie. II y a lá un danger potentiel pour les Capétiens, qui se precise au milieu du siěcle lorsque s'éteint la descendance directe de Giiillaiime le Conaiiérant On assiste alors á l'ascension fulgurante d'un seigneur de second rang, Henri Plantagenét II hérite en 1151 du comté d'Anjou et de la Normandie, rassemblés par son pere ; il épouse en 1152 la derniěre héritiěre des dues ď Aquitaine, Alienor, divorcee quelques semaines auparavant de Louis VII aprěs six ans de manage ; il devient roi ďAngleterre en 1154 et s'empare ensuite du comté de Nantes et de la Bretagne. Les historiens francais n'ont jamais pardonné á Louis VII ďavoir laissé échapper, avec Alienor, ľhéritage aquitain et d'avoir permis la constitution au profit d'Henri II de cet « empire angevin » ou « empire Plantagenét » qui s'étendait de la frontiěre de ľEcosse aux Pyrenees et englobait le tiers du territoire francais. avec la totalite du littoral du Tréport á la Bidassoa. Mais nous touchons lá le caractere paradoxal du pouvoir du roi de France á cette époque : qu'il n'ait pas pu empěcher la formation de ľempire d'Henri II prouve sa faiblesse ; qu'il ait survécu á ce danger et en ait, á la generation suivante, tiré le plus grand profit témoigne de sa force. Un tel paradoxe ne se comprend que dans le cadre de la société féodale. 9