X. La Société féodale (10e -- 12e siècle) X. La société féodale Progressivement, dans le courant du Moyen Age, s'élabore une organisation originale de la société, qui distingue le monde des combattants, celui des paysans et celui des clercs. C'est la société féodale, qui va faire l'encadrement de la quasi-totalité de la population du royaume pendant plusieurs siècles. X. LA SOCIéTé FéODALE 1 X.A.CEUX QUI COMBATTENT : LE MONDE DES CHâTEAUX ET DES CHEVALIERS 2 X.A.I. SEIGNEURS ET VASSAUX. 2 X.A.II. LES CHâTEAUX. 2 X.A.III. LES CHEVALIERS 3 X.B.CEUX QUI TRAVAILLENT : LE MONDE DES CAMPAGNES ET DES VILLAGES 4 X.B.I. LA SEIGNEURIE RURALE. 4 X.B.II. LA CONDITION PAYSANNE. 5 X.B.III. LE VILLAGE ET LA COMMUNAUTé PAYSANNE. 5 X.C. CEUX QUI PRIENT : UNE GRANDE RéFORME 6 X.C.I. L'ÉGLISE FéODALE. 6 X.C.II. LA RéFORME GRéGORIENNE. 7 X.C.III. LA CROISADE. 8 X.C.III. ET LES AUTRES... 9 Pour caractériser la société du Moyen Age, en France et dans l'ensemble de l'Occident, deux termes sont couramment employés : >> féodal <<, >> féodalité <<. Forgés à partir du mot latin feodum, fief, ces termes recouvrent plusieurs réalités et peuvent prêter à confusion. Au sens propre, la féodalité désigne, dans les couches supérieures de la société, un système de relations qui repose sur l'existence de fiefs concédés par des seigneurs à des vassaux en échange de services particuliers, qui sont surtout militaires : ce monde des seigneurs et des vassaux représente la société féodale proprement dite. Mais, au sens large, la féodalité, c'est aussi cette appropriation de la puissance publique par des seigneurs de tout rang - ducs, marquis, comtes, châtelains -, que nous avons observée au précédent chapitre. Elle suppose enfin, au profit de ces >> féodaux << laïques ou ecclésiastiques, des moyens d'existence : ils leur sont assurés dans le cadre de la seigneurie rurale1, qui consacre à leur égard la dépendance du monde paysan. Vers 1030, l'évêque de Laon, Adalbéron, constatait cette sorte de répartition des tâches dans un plan voulu par Dieu : >> La maison de Dieu que l'on croit une est donc triple : les uns prient, les autres combattent, les autres enfin travaillent. Ces trois parties qui coexistent ne souffrent pas d'être disjointes ; les services rendus par l'une sont la condition des ¶uvres des deux autres. << X.a.Ceux qui combattent : le monde des châteaux et des chevaliers X.a.i. Seigneurs et vassaux. Au centre du système, il faut placer le fief. Nous avons vu que les titulaires des *bénéfices distribués à l'époque carolingienne les ont rendus progressivement héréditaires. Ils en ont distribué à leur tour. Ces bénéfices, qu'on appelle >> fiefs << à partir du 11e siècle, sont alors devenus non plus la conséquence - on reçoit un bénéfice parce qu'on rend un service - mais la cause - on rend un service pour avoir ou pour conserver un fief - de l'engagement vassalique. Le lien entre le seigneur et son vassal est noué au cours d'une cérémonie remplie de gestes symboliques ; la foi2, l'hommage3, l'investiture4 [voir document X.a.]. La foi et l'hommage entraînent pour le vassal une obli gation qu'on pourrait appeler négative : ne jamais nuire à son seigneur. La remise du fief implique des devoirs plus précis : l'aide et le conseil. Aide militaire avant tout : le vassal est un combattant à cheval qui doit répondre aux appels du seigneur pour des expéditions guerrières et pour la garde de ses châteaux. Aide financière aussi, progressivement limitée à quatre cas précis : la rançon du seigneur fait prisonnier, son départ pour la croisade, l'adoubement5 de son fils aîné, le mariage de sa fille aînée. Quant au conseil dû par le vassal, il se manifeste surtout par sa présence à la cour du seigneur et sa participation, dans ce cadre, aux décisions politiques ou aux assemblées judiciaires. X.a.ii. Les châteaux. Le monde des seigneurs et des vassaux a son cadre de vie propre : le château. C'est dans le courant du 10e siècle que s'édifient, surtout dans la France du Nord, les premiers châteaux à motte, c'est-à-dire des tours en bois entourées d'un fossé et d'une palissade et dressées sur une éminence artificielle en terre. Il faut attendre l'extrême fin du 10e siècle pour voir apparaître les premiers châteaux en pierre - ils seraient dus aux comtes d'Anjou - et le 12e siècle pour les voir se généraliser. Il s'agit alors de puissants donjons quadrangulaires entourés d'un système de plus en plus complexe de cours et de remparts qui peuvent abriter la population d'alentour. De la grande salle située le plus souvent au premier étage du donjon, le seigneur règne en maître sur sa famille, son personnel domestique et sur un ensemble de vassaux qui forment à la fois sa cour, la garnison du château et une troupe de guerriers à cheval, dont les sorties fréquentes ont pour but d'assurer l'ordre et de manifester la puissance du maître. C'est du château que part l'autorité que le seigneur exerce sur les habitants des environs. C'est au château qu'aboutissent les redevances en nature ou en argent dues par ces habitants. C'est dans le château que se déroulent les principales scènes de la vie seigneuriale, depuis l'exercice de la justice jusqu'aux divertissements de cour qui vont donner naissance à une littérature et à une civilisation dites >> courtoises <<, sans oublier l'essentiel : l'entraînement militaire de toute une classe sociale dont la fonction principale reste la guerre. X.a.iii. Les chevaliers Seigneurs et vassaux, en effet, sont d'abord des combattants à cheval. La supériorité militaire de la cavalerie lourde a un double corollaire. Le premier est d'ordre financier, lié au coût des chevaux et de l'armement du cavalier, offensif - lance, épée - et défensif - heaume (casque), haubert (armure), boulier. Ce coût très élevé en réserve la possession à une petite élite, celle qui possède des fiefs et gravite autour des châteaux. Le second est d'ordre professionnel : le maniement de ces armes et de ces chevaux exige un entraînement précoce, intensif et permanent - exercices journaliers, chasses, tournois -, lui aussi réservé à une élite qui peut s y consacrer entièrement. Une fois entraîné, le jeune homme pénètre dans le monde des guerriers adultes par un rite d'initiation : l'adoubement. On imagine sans peine la violence inhérente à ce groupe social dont la prépondérance repose sur l'exercice de la force brutale. D'où l'intervention de l'Église, qui a cherché à limiter et à canaliser cette violence [voir document X.b.] ; elle a imposé, avec plus ou moins de succès, à ces cavaliers devenus chevaliers6 des règles de conduite et un idéal moral d'inspiration chrétienne, elle a béni les armes destinées à de justes causes et transformé l'adoubement en une cérémonie religieuse d'accès à une société nouvelle : la chevalerie. D'où, enfin, la fermeture du groupe sur lui-même, avec la tendance à réserver l'état, le genre de vie et les vertus du chevalier - la vaillance, l'honneur qu'exaltent les chansons de geste - aux fils de chevaliers, c'est-à-dire la tendance à la formation d'une noblesse. Au 12e siècle, on n'oppose plus les libres et les non-libres, mais les nobles et les non-nobles : ces + ignobles << - serfs, vilains, rustres - forment l'immense majorité de la population. X.b.Ceux qui travaillent : le monde des campagnes et des villages X.b.i. La seigneurie rurale. Les rapports entre les féodaux et la masse paysanne se définissent dans le cadre de la seigneurie rurale, qui est double. Il y a d'abord la seigneurie foncière. Grand propriétaire, le seigneur exploite directement une partie de son domaine -- la réserve7 - et concède le reste aux paysans en lots ou tenures, moyennant une redevance foncière - le cens8 - et des journées de travail sur la réserve - les corvées9. Il y a ensuite - et cet aspect n'a cessé de grandir pendant la période qui nous occupe - la seigneurie banale, celle qui dérive du droit de ban10 ou de commandement exercé par le détenteur du château sur tous les hommes qui résident (ce sont les manants, du latin manere, demeurer) sur le territoire dépendant du château, qu'ils soient ou non ses tenanciers, qu'ils soient d'origine libre ou non libre. Sur ces hommes, le seigneur exerce une série de droits et de monopoles dont le produit, levé par une cohorte d'agents issus de son entourage domestique, constitue le principal de ses revenus ; droits pour la justice, la surveillance des routes et des marchés, l'usage des moulins et autres équipements collectifs, corvées pour l'entretien de la forteresse, contributions arbitraires comme la taille... Au moment même où disparaissait l'esclavage antique, une grande partie de la population se trouva ainsi englobée dans un nouvel état de dépendance héréditaire, le servage11, avec son cortège de redevances caractéristiques : chevage12, mainmorte13, formariage14. Ces droits seigneuriaux mis en place dans le courant du 11e siècle à la faveur du grand élan qui transforme le monde rural, les textes contemporains les appellent >> exactions <<, >> mauvaises coutumes <<. X.b.ii. La condition paysanne. Faut-il dresser pour autant le plus noir tableau de la condition du paysan, accablé sous le poids des >> exactions <<, auxquelles s'ajoute la dîme au profit de l'Église ? Il ne semble pas, pour un ensemble de raisons d'ordre économique et social. Dans l'ordre économique, les paysans n'ont pas été seulement les artisans, mais aussi les bénéficiaires du grand essor de la production rurale, de 1000 à 1250. Cet essor a permis une élévation générale du niveau de vie, qui se traduit certes par une augmentation du nombre des hommes, mais en même temps par une amélioration de leur condition physique et par un allongement de leur espérance de vie, confirmés par les fouilles des cimetières médiévaux. Le paysan de cette époque commence aussi à accéder à l'économie monétaire ; il achète, il vend, il épargne : il pourra ainsi négocier avec le seigneur l'octroi de chartes de franchises15 qui feront disparaître les contraintes les plus arbitraires et les plus vexatoires [voir document X.c.]. D'autre part, dans l'ordre social, le paysan n'est pas seul. On voit alors s'affirmer des solidarités qui rétablissent en sa faveur un certain équilibre : solidarités familiales, paroissiales, villageoises enfin, tissées au sein de communautés qui seront pendant des siècles le cadre réel de la vie paysanne, quel que soit le statut juridique des hommes ou de la terre. X.b.iii. Le village et la communauté paysanne. Car le grand événement de l'histoire de la paysannerie entre le 10e et le 12e siècle est sans conteste la fixation définitive des villages : fixation du site, qu'il s'agisse d'anciens terroirs ou de villages neufs ; fixation des différents types de villages avec une infinie variété, depuis les villages perchés de Provence, aux maisons de pierre serrées les unes contre les autres, jusqu'aux villages de plaine de la France du Nord, aux maisons de bois ou de torchis16, couvertes de chaume17 et isolées au milieu d'un enclos. Fixation surtout d'une organisation collective en vue de l'exploitation du terroir, sous tous ses aspects : accès aux terres communes - la forêt omniprésente...-, réglementation des travaux agricoles et de l'élevage, utilisation des équipements collectifs - moulin, forge, pressoir, four... -, gestion de la paroisse, et enfin élaboration progressive d'un système communautaire d'aménagement de l'espace rural qui va aboutir, en France du Nord, à l'assolement triennal18. C'est dans la vie quotidienne, au temps des grands défrichements, qu'est née la communauté paysanne, ensemble des hommes vivant dans un village qui est aussi une paroisse. Les textes l'appellent >> les hommes de... <<, suivi du nom du village. C'est en faveur de ces communautés qu'ont été rédigées les chartes de franchises. Documents par excellence pour la connaissance du monde rural, elles datent pour la plupart des 12e et 13e siècles. En France du Nord, un quart d'entre elles sont antérieures à 1190, la moitié s'échelonnent entre 1190 et 1240, le dernier quart étant posté rieur. Elles marquent la reconnaissance du fait villageois par les seigneurs. X.c.Ceux qui prient : une grande réforme X.c.i. L'Église féodale. En France comme ailleurs, la société féodale ne se comprend pas sans l'Église, qui à la fois en procède et la transforme profondément. Au 10e siècle, l'Église s'était féodalisée. Grands propriétaires fonciers et détenteurs de châteaux, évêques et abbés étaient des seigneurs féodaux. A ce titre, les pouvoirs laïques, considérant non seulement les biens mais les fonctions ecclésiastiques comme des fiefs, contrôlaient les nominations dans l'Église, et cela à tous les niveaux. Les empereurs choisissaient les papes. Dans les royaumes, le roi et les grands princes se réservaient, souvent en faveur de leurs propres parents, le choix des évêques et des abbés, en exigeaient la foi et l'hommage, leur accordaient l'investiture de leur charge. A une échelle plus modeste, les fondateurs des églises locales en touchaient les revenus, dont ils ne laissaient qu'une part minime à des curés qu'ils nommaient eux-mêmes. D'où le faible niveau moral, religieux et intellectuel d'un clergé recruté dans ces conditions. Les clercs et parfois les moines mènent la même vie que les laïques. Prêtres mariés ou concubins, évêques pillards, abbés guerriers ne sont pas rares. C'est pourtant au sein de cette Église féodale que sont apparues les forces de rénovation qu'observait Raoul Glaber aux environs, de l'an mil. X.c.ii. La réforme grégorienne. Trois grands mouvements ont contribué à la réforme de l'Église, dont les deux premiers sont issus du royaume de France. Il y a d'abord eu, dès le 10e siècle, une réforme monastique née à Cluny, en Bourgogne, qui se caractérise par deux traits principaux : une indépendance totale à l'égard des pouvoirs locaux, laïques ou ecclésiastiques, car Cluny ne relève que de Rome ; une remise à l'honneur de la prière et de la célébration liturgique, qui sont les fonctions essentielles du moine. Cette réforme clunisienne a connu un extraordinaire succès, aboutissant à la constitution du premier ordre monastique de l'histoire de l'Occident, qui, au début du 12e siècle, regroupait sous la direction de l'abbé de Cluny 1100 établissements ecclésiastiques, dont 800 en France. Il y a ensuite eu l'action menée par l'Église pour limiter la violence des guerriers. Née dans de grandes assemblées tenues en France méridionale - Charroux, Limoges, Le Puy, Narbonne - à la fin du 10e siècle, la >> paix de Dieu << vise d'abord à placer certains lieux - lieux d'asile - et certaines catégories de personnes considérées comme faibles - paysans, clercs, pèlerins, marchands... - à l'abri des attaques des puissants : ceux-ci sont invités à s'engager par serment à respecter la paix [voir document X.b.] ; s'ils manquent à leur serment, ils encourent des sanctions ecclésiastiques graves, telles que l'excommunication19. Apparaît ensuite, au début du 11e siècle, la >> trêve de Dieu <<, qui interdit toute entreprise guerrière en certains jours et certaines périodes, en fonction du calendrier liturgique. C'est ainsi que peu à peu le monde de >> ceux qui prient << s'est démarqué du monde de >> ceux qui combattent <<. Un nouvel état d'esprit était né. Il aboutit, à Rome cette fois, à la réforme grégorienne20 - du nom du pape Grégoire VII (1073-1088) - qui réussit à ôter aux laïques le contrôle des nominations ecclésiastiques et qui, en donnant son indépendance à l'Église, permit de réformer les m¶urs et le comportement de ses membres. Cette réforme a rencontré de vives résistances de la part des pouvoirs laïques, spécialement en Allemagne et en Angleterre. Les rois de France ont su s'en accommoder ; Au 12e siècle, l'Église du royaume de France est profondément marquée par la réforme. En ce qui concerne l'Église séculière, même si les pressions laïques restent très fortes et les interventions fréquentes, un principe est affirmé ; ce sont les chanoines des chapitres cathédraux qui élisent les évêques. Cela, joint à un grand effort de formation qui se traduit par la création d'écoles - elles avaient presque toutes disparu - auprès des cathédrales, permet enfin au clergé séculier de se consacrer avec succès à sa mission, qui est le service des fidèles. En ce qui concerne l'Église régulière - pour laquelle l'élection des abbés a été rendue aux moines -, le 12e siècle est un grand siècle monastique. L'ordre de Cluny parvient au faîte de sa puissance avec la construction à Cluny même, de 1088 à 1130, de la plus grande église de la Chrétienté. De nouvelles formes de vie monastique apparaissent, pour mieux répondre aux besoins spirituels nés de la réforme : tendance à l'érémitisme avec l'ordre des chartreux, fondé en 1084 par saint Bruno dans la région de Grenoble ; tendance inverse à une certaine action sur le monde par l'exemple et la prédication avec l'ordre de Prémontré, fondé par saint Norbert dans la région de Laon en 1120 ; et surtout tendance au retour à la pureté primitive de la règle de saint Benoît, en mettant l'accent sur la pauvreté et la fuite du monde, avec la fondation de Cîteaux, en Bourgogne, en 1098. La réussite des cisterciens est liée à la fois à une insertion parfaite dans la spiritualité du temps et au rayonnement de la personnalité de saint Bernard, de 1112 à 1153. A sa mort, l'ordre compte 343 monastères, et 530 en 1200. Ainsi dégagée du monde laïque, cette Église purifiée se consacre - et pour la première fois peut-être en profondeur - à la christianisation de la société : ¶uvre multiforme qui englobe le soin des âmes et le soin des corps. Soin des âmes avec un grand effort d'instruction des fidèles, de définition de leurs obligations religieuses - qui sont codifiées en 1215 au concile de Latran - et morales - spécialement en matière conjugale -, et de développement de certaines formes de piété, comme les pèlerinages. Soin des corps avec la multiplication des hôpitaux, hôtels-Dieu, maisons-Dieu... Toutes les ¶uvres d'assistance sont aux mains des clercs. Il en est de même pour les ¶uvres d'enseignement, avec le renouveau des écoles cathédrales ; celles de Chartres et de Paris sont les plus célèbres. X.c.iii. La croisade. Mais ce n'est pas tout. L'Église de l'époque féodale a cherché, sous la direction du pape, à christianiser la société sous tous ses aspects, y compris la politique et la guerre. Nous avons vu comment elle a favorisé l'institution de la chevalerie. On peut dire aussi qu'elle a réussi à conjuguer les forces guerrières et l'élan religieux des 11e et 12e siècles dans une entreprise exceptionnelle, menée sous la direction des légats21 du pape : les croisades, destinées à reprendre le tombeau du Christ aux musulmans qui occupaient Jérusalem. Les Français ont joué, avec les Lorrains, un rôle majeur dans la première croisade. Prêchée par le pape Urbain II à Clermont en 1095, elle lance sur les routes aussi bien les petites gens, sous la conduite de prédicateurs populaires comme Pierre l'Ermite, que les chevaliers, menés par de grands princes comme le comte Raymond de Toulouse ou Godefroi de Bouillon. Elle aboutit, en 1099, à la prise de Jérusalem. Au 12e siècle, les rois eux-mêmes se joindront au mouvement : Louis VII à la deuxième croisade, Philippe Auguste à la troisième. Dans ce contexte apparaissent - ultime paradoxe - des ordres religieux militaires pour la défense de la Terre sainte : templiers en 1119, hospitaliers en 1120. X.c.iii. Et les autres... Le schéma des trois >> ordres << ou des trois >> fonctions << - les prêtres, les guerriers et les paysans - et celui de la féodalité ne recouvrent pas toute la richesse de la société du royaume de France au temps de la grande croissance médiévale : sa diversité défie tous les classements des historiens. Ces schémas, qui sont ceux d'une société profondément rurale, nous ont conduits à laisser provisoirement de côté le monde des villes ; nous y reviendrons. Ils ne doivent pas non plus nous laisser oublier les exclus ou les marginaux de cette société médiévale : les exclus de la société tout court que sont les lépreux, rejetés hors des villes et des villages ; les exclus de la société chrétienne que sont les juifs, nombreux et bien intégrés aux activités économiques ; les rebelles à cette société chrétienne telle qu'elle se définit à partir de 1a réforme grégorienne : par contrecoup foisonnent alors les hérétiques. L'hérésie cathare ou albigeoise, venue d'Orient par l'Italie du Nord, se répand au 12e siècle dans toute la France du Midi. Marchands, artisans et bourgeois ; lépreux, juifs et hérétiques : chacun, à sa façon, marque les limites de la société féodale. _______________________________ 1 Seigneurie, seigneur. Dans la société médiévale et jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, la seigneurie est une forme de propriété d'un ensemble foncier et d'une partie de la puissance publique sur cet ensemble foncier. Celui-ci se divise en domaine propre, ou réserve seigneuriale, que le seigneur exploite, directement ou non, et en tenures ou censives concédées à des paysans qui en sont propriétaires sous réserve du droit de propriété éminente du seigneur reconnu par le paiement de diverses redevances. Le seigneur, qui peut être un noble, une communauté religieuse, voire un roturier, possède en outre le droit de justice et de police sur les paysans de sa seigneurie. 2 Foi. Dans le vocabulaire féodal, fidélité jurée par le vassal à son seigneur. 3 Hommage. Acte par lequel un vassal se reconnaît comme étant l'homme d'un seigneur. 4 Investiture. Dans le vocabulaire féodal, acte par lequel un seigneur remet à son vassal un objet symbolisant le fief qu'il lui octroie. 5 Adoubement. Cérémonie au cours de laquelle est armé un chevalier. Purement laïque à l'origine, l'adoubement prend un caractère religieux de plus en plus marqué. 6 Chevalier, chevalerie. A l'origine, le chevalier est un combattant à cheval muni d'un armement particulier. Les chevaliers combattent le plus souvent au service d'un seigneur, dont ils sont les vassaux. A partir du 12e siècle, ils tendent à former une caste qui se confond avec la noblesse et qui se reconnaît dans un idéal moral et social influencé par l'Église et par la littérature courtoise : la chevalerie. On devient chevalier lors de la cérémonie de l'adoubement. 7 Réserve. Au Moyen Age, partie d'un grand domaine réservée à l'exploitation directe par le maître et ses agents. (výminka) 8 Cens. Au Moyen Age, redevance annuelle, fixe et perpétuelle, en argent ou en nature, due pour une tenure au propriétaire foncier. Le paiement du cens est la reconnaissance du droit éminent du seigneur sur la terre. (úrok) 9 Corvée. La corvée est un travail exigé des paysans par le maître en sa qualité de propriétaire du sol ou de seigneur. 10 Ban, banal. Pouvoir d'ordonner, de contraindre et de punir, le ban a été confisqué et exploité à partir du 10e siècle par les seigneurs, qui se sont substitués au roi pour exercer la justice et la police, percevoir les impôts, surveiller les routes et les marchés, et réquisitionner les hommes pour des travaux divers. (Le Petit Robert : 3¨ Féod. Convocation des vassaux par le suzerain, et par ext. Le corps de la noblesse ainsi convoqué. --- Loc. fig. Le ban et l'arrière-ban : tout le monde. Il avait convoqué à cette réception le ban et l'arrière-ban de ses amis et connaissances.) (Manstvo (povinné voj. slu¾bou), povolání do zbranì) 11 Servage. Statut héréditaire qui implique une étroite dépendance juridique, sociale et économique du serf à l'égard de son seigneur. (nevolnictví) 12 Chevage. Redevance perçue par un seigneur sur la personne (et non sur les biens) de ses dépendants. Le chevage est une des taxes caractéristiques du servage. 13 Mainmorte. Impossibilité pour un individu dépendant de transmettre librement son héritage et droit pour le seigneur de se l'approprier. Taxe payée au seigneur par les héritiers du défunt pour garder l'héritage. La mainmorte est une des taxes caractéristiques du servage. (mrtvá ruka -- nemo¾nost pro poddanéno odkazovat svùj majetek) 14 Formariage. Mariage en dehors de la seigneurie ou avec une personne de condition différente. Taxe payée pour obtenir le droit de contracter un tel mariage. Le formariage est une des taxes caractéristiques du servage. (Nerovné man¾elství) 15 Franchise. Privilèges accordés par un seigneur à une communauté rurale ou urbaine, qui suppriment ou limitent les droits que le seigneur exerçait auparavant de façon arbitraire. Au Moyen Age, >> franchises << (toujours employé au pluriel) est synonyme de >> libertés <<. La charte de franchises est l'acte écrit dans lequel le seigneur énumère les franchises accordées à une communauté d'habitants. (Právo na volnost, osvobození) 16 Terre argileuse, malaxée avec de la paille hachée ou du foin (utilisée pour lier les pierres d'un mur, pour former le hourdis d'une construction en colombage). (lepenice) 17 Paille qui couvre le toit des maisons. Þ glui. (Maison à toit de chaume) -- (do¹ek). 18 Procédé de culture par succession et alternance sur un même terrain (pour conserver la fertilité du sol). Þ rotation (des cultures). Assolement triennal, à alternance de trois cultures (ou autrefois de deux cultures et une année de jachère). (Støídavý osev, støídavé osevní hospodáøství) 19 Excommunication. Sentence rendue par l'Église qui exclut un chrétien de la communauté des fidèles. L'excommunication mineure le prive du droit de recevoir les sacrements. L'excommunication majeure lui interdit d'être enterré en terre bénite et interdit aux autres fidèles d'entretenir des rapports avec lui. 20 Réforme grégorienne. Grand mouvement de rénovation de l'Église entrepris et réalisé aux 11e et 12e siècles, auquel le pape Grégoire VII (1073-1085) a donné son nom. Ce mouvement vise à émanciper l'Église de la tutelle des laïques. 21 Légat. Représentant du pape envoyé (du latin, legatus) pour une mission générale ou particulière, à titre provisoire ou permanent.