XI. Les Capétiens (1180-1328) De 1180 `a 1328, et particulierement sous les regnes de Philippe Auguste, Saint Louis et Philippe le Bel, le royaume capétien connaît son apogée, apogée fait du rayonnement des personnalités royales, du bon fonctionnement des institutions, du dynamisme de l'économie - malgré l'essoufflement de la fin de la période - et d'un essor culturel qui met tout l'Occident dans le sillage de la civilisation française. XI. Les Capétiens(1180-1328) 1 XI.a. Les grands Capétiens. 2 XI.a.i. Philippe Auguste et Louis VIII. 2 XI.a.ii. Saint Louis. 3 XI.a.iii. Philippe III et Philippe IV. 3 XI.b. Le perfectionnement des institutions. 4 XI.b.i. L'accroissement du domaine. 4 XI.b.ii. Les institutions locales. 5 XI.b.iii. Les institutions centrales. 6 XI.c. Les fruits de la croissance. 7 XI.c.i. La richesse du royaume. 7 XI.c.ii. La renaissance urbaine. 8 XI.c.iii. Paris. 9 XI.c.iv. Les foires de Champagne. 10 XI.d. Le rayonnement français. 10 XI.d.i La civilisation française. 10 XI.d.ii. Une politique de prestige. 12 XI.d.iii. Des signes d'essoufflement. 12 Le 13^e siecle représente l'apogée au sens strict du terme, c'est-`a-dire le plus haut degré, de l'expansion commencée avant l'an mil. Expansion démographique qui fait de l'Occident vers 1300, avec une densité de 40 habitants au kilometre carré, un « monde plein », selon l'expression de Pierre Chaunu. Expansion économique avec la poursuite des défrichements jusqu'aux limites du possible, avec l'essor de la draperie flamande, avec la mise sur pied par les Italiens d'un grand réseau commercial qui allait, a dit Roberto Lopez, « du Groenland `a Pékin ». Expansion politique enfin, sous forme de croisade. Le siecle s'ouvre avec la prise de Constantinople par les croisés de la quatrieme croisade, en 1204 : phénomene inoui, qui amene la constitution, pour pres de soixante ans, d'un Empire latin d'Orient ; tandis que d'autres croisades permettent d'attacher de façon plus durable `a la Chrétienté latine l'Espagne musulmane et les Slaves paiens d'au-del`a de l'Oder. Cet apogée est en meme temps classicisme politique, artistique et intellectuel. Siecle du pape Innocent III (1198-1216), de l'empereur germanique Frédéric II (1212-1250) et du roi de France Saint Louis (1226-1270), il est aussi celui des cathédrales et des universités. Et, dans presque tous les domaines, le royaume de Philippe Auguste, de Saint Louis et de Philippe le Bel figure au premier plan. XI.a. Les grands Capétiens XI.a.i. Philippe Auguste et Louis VIII. Les cinq rois capétiens qui se sont succédé de 1180 `a 1314 ont fait de la France le grand royaume d'Occident. La grande affaire du long regne de Philippe Auguste (1180-1223) est la lutte contre Henri II Plantagenet et ses fils, Richard Cœur de Lion, puis Jean sans Terre. Philippe Auguste réussit `a faire prononcer la confiscation des fiefs français de ce dernier, en 1202, et `a en conquérir la majeure partie, provoquant l'effondrement de cet « empire angevin » qui avait représenté pendant un demi-siecle une menace mortelle pour le roi de France. I1 réalise du meme coup un spectaculaire accroissement du domaine royal, devient le maître incontesté de la France du Nord et le plus grand prince territorial du royaume : toutes les données politiques s'en trouvent transformées. Cette puissance montante du roi de France inquiete ses voisins comme ses vassaux et Jean sans Terre réussit `a susciter contre lui une coalition menée par l'empereur Othon de Brunswick, dont Philippe Auguste, `a la tete de sa chevalerie et de l'infanterie de ses bonnes villes, triomphe `a Bouvines, pres de Lille, le 27 juillet 1214. Le court regne de Louis VIII (1223-1226), époux de Blanche de Castille, qui assurera la régence pendant la minorité de leur fils Louis IX, est celui de la pénétration capétienne dans le sud du royaume : Louis VIII effectue une grande tournée en Languedoc pour affirmer les droits du roi sur les principautés méridionales au lendemain de la croisade contre les Albigeois, menée de 1209 `a 1213 par les barons du Nord, `a l'initiative du pape Innocent III. XI.a.ii. Saint Louis. Le regne de Saint Louis (1226-1270) a donné son nom `a ce siecle : parce que, dans le royaume, il marque l'apogée d'une certaine forme de gouvernement - la monarchie féodale - qui, utilisant toutes les ressources des liens vassaliques, a pour mission de faire régner la justice et la paix du roi ; parce que, `a l'extérieur, au moment ou le pape et l'empereur se déchirent dans les ultimes secousses de la lutte du Sacerdoce et de l'Empire et ou le roi d'Angleterre est déconsidéré par la perte de l'« empire angevin », le roi de France se comporte en arbitre de la Chrétienté ; parce que la personnalité meme du roi, modele des vertus du chevalier, du chrétien et du croisé portées jusqu'`a leurs extremes conséquences, a marqué son époque. De 1248 `a 1254, Louis IX dirige en Orient la septieme croisade et connaît, en 1250, la défaite et la captivité en Égypte ; il entreprend pourtant, en 1270, une huitieme croisade et trouve la mort devant Tunis, apres avoir adressé `a son fils, le futur Philippe III, des Enseignements ou Instructions qui résument l'idéal du roi chrétien. Il sera canonisé des 1297, et les mérites de sa sainteté rejailliront sur toute la dynastie capétienne. XI.a.iii. Philippe III et Philippe IV. Pourtant, les temps changeaient. Profitant de la prépondérance française, freres et fils de Saint Louis se lancent dans des aventures extérieures au royaume, surtout vers le sud : Philippe le Hardi (1270-1285) meurt au retour d'une expédition contre l'Aragon. Mais, ce qui domine le plus nettement cette période, ce sont les progres du pouvoir royal : un pouvoir qui ne s'appuie plus seulement sur la possession d'un domaine étendu et sur l'utilisation des liens féodaux, mais qui, profitant de la renaissance du droit au 13^e siecle, remet `a l'honneur les notions - sinon les mots - d'État et de souveraineté. Le regne de Philippe le Bel (1285-1314) est caractéristique `a cet égard. Ce roi est une personnalité énigmatique, connu surtout pour avoir condamné les templiers et abusé de ses pouvoirs en matiere monétaire : on l'a accusé d'etre un faux-monnayeur ; mais le sens de son regne est tres clair. Proclamant que le roi de France est « empereur en son royaume », le roi et les légistes qui l'entourent ne tolerent plus aucune intervention extérieure, fut-ce celle du pape : d'ou le célebre conflit avec Boniface VIII, qui aboutit en 1303 `a l'attentat d'Anagni, au cours duquel l'envoyé du roi aurait souffleté le pape. Dans le royaume, le roi supporte de plus en plus difficilement la quasi-indépendance des derniers grands fiefs, spécialement l'Aquitaine - qu'on appelle maintenant, en français, la « Guyenne » - et la Flandre, contre lesquelles sont lancées plusieurs campagnes militaires. Dans tous ces conflits, le roi cherche et obtient - autre signe de modernité - l'appui de l'opinion publique du royaume : c'est `a cet effet que sont convoquées - et pour la premiere fois `a Paris en 1302 contre Boniface VIII - de grandes assemblées de barons, d'ecclésiastiques et de bourgeois qui sont `a l'origine des états généraux. Réunies pour approuver la politique du roi et lui procurer de nouvelles ressources par la voie de l'impôt, elles contribuent `a l'exaltation du pouvoir royal. XI.b. Le perfectionnement des institutions XI.b.i. L'accroissement du domaine. Le point de départ des transformations est `a chercher du côté de l'accroissement continu du domaine royal, regne apres regne ; sous Philippe Auguste : la Normandie, le Maine et l'Anjou pris `a Jean sans Terre, mais aussi l'Artois, le Valois, le Vermandois, l'Amiénois, acquis par mariages et héritages ; sous Louis VIII et pendant la minorité de Louis IX : le Poitou, l'Aunis, la Saintonge et les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne. Saint Louis n'accroît pas le domaine, mais regle le contentieux franco-anglais : restituant quelques territoires au roi d'Angleterre Henri III - en particulier le sud de la Saintonge -, il obtient, par le traité de Paris en 1259, que ce dernier lui fasse hommage pour le duché de Guyenne et revienne donc dans sa vassalité. Philippe le Hardi rattache au domaine le comté de Toulouse, et Philippe le Bel celui de Champagne. Plusieurs de ces territoires ne sont pas restés sous le contrôle direct du roi, mais ont été cédés en apanages[1] aux cadets de la dynastie, avec retour `a la couronne en cas d'absence d'héritier mâle. Ces apanages sont administrés suivant les memes méthodes que le domaine. XI.b.ii. Les institutions locales. La gestion quotidienne du domaine royal était assurée jusqu'`a la fin du 12^e siecle par les prévôts, agents locaux du roi qui administraient ses terres, percevaient ses revenus et s'occupaient en son nom des questions judiciaires et militaires. Recrutés suivant le systeme de 1'affermage[2], ils avaient tendance `a pressurer leurs administrés. A la fin du 12^e siecle, Philippe Auguste emprunte `a l'administration anglo-normande l'institution des baillis[3], commissaires itinérants `a la maniere des missi dominici de Charlemagne et chargés de vérifier la gestion des prévôts. Progressivement, dans le courant du 13^e siecle, ils se fixent dans des circonscriptions stables, englobant plusieurs prévôtés : les bailliages. Nommés, rémunérés, contrôlés directement par le roi et son Conseil, ils deviennent le rouage essentiel de l'administration provinciale. Les sénéchaux jouent le meme rôle dans le Midi. A la fin du 13^e siecle, le royaume compte vingt-trois bailliages et sénéchaussées. Et, pour éviter tout abus, Saint Louis a mis `a l'honneur la procédure des enqueteurs-réformateurs qui vérifient `a leur tour la gestion des baillis. Ces enquetes sur les droits du roi sont une des meilleures sources pour la connaissance des réalités françaises au 13^e siecle ; elles vont constituer un redoutable instrument en faveur de l'extension du pouvoir royal. XI.b.iii. Les institutions centrales. Le développement des organes centraux de gouvernement et leur fixation dans le palais de la Cité `a Paris, qui s'affirme ainsi comme capitale du royaume, constituent, avec l'extension du domaine et la création des baillis, l'aspect majeur de l'évolution institutionnelle du 13^e siecle. Autour du roi se développent les services domestiques de l'Hôtel du roi et les services administratifs de la Chancellerie[4], dont le rôle croît avec celui des actes écrits. De la Cour du roi - curia regis - se sont dégagées successivement trois institutions fondamentales. Le Conseil du roi - curia in consilio -, organisme politique ou sont traitées les affaires du royaume, existe des le 12^e siecle. Au milieu du 13^e siecle, au temps de Saint Louis, apparaît le Parlement[5] - curia in parlamento -, ou est rendue la justice du roi, `a laquelle tous les habitants du royaume peuvent désormais faire appel des jugements prononcés dans le domaine et hors du domaine. A la fin du siecle est créée la Chambre des comptes[6] - curia in compotis -, qui vérifie la gestion des ressources financieres grandissantes de la royauté. Si vassaux et grands barons continuent `a fréquenter assidument la Cour du roi, c'est tout un nouveau monde d'agents compétents et zélés au service du pouvoir royal qui peuple les organismes centraux et remplit les offices de bailli et de sénéchal. Sur ces bases, le roi peut commencer `a se comporter en souverain dans son royaume. C'est ainsi que Saint Louis a pu imposer le cours de la monnaie royale dans tout le royaume et chercher `a limiter les guerres privées entre les barons. Mais la mesure la plus efficace pour le développement du pouvoir royal fut la généralisation, par ce meme Louis IX, de l'appel `a la justice du roi : l'imagerie populaire, qui le représente exerçant cette justice sous le chene de Vincennes, ne s'y est pas trompée. (Voir document XI. La Justice de Saint Louis) XI.c. Les fruits de la croissance XI.c.i. La richesse du royaume. Les progres du pouvoir royal vont alors de pair avec ceux de la richesse du royaume. C'est probablement vers 1250 que le meilleur équilibre est atteint entre la population et les ressources du sol, compte tenu des possibilités techniques de l'époque. Le mouvement des défrichements est, vers cette date, parvenu `a sa limite : aller au-del`a compromettrait gravement les équilibres naturels et les ressources en bois comme celles de la cueillette et de l'élevage. Pour continuer `a accroître la production agricole, il faut tirer le meilleur parti des terres déj`a mises en culture. C'est alors que s'étend l'assolement triennal ; que s'organisent, pour l'exportation, des cultures plus lucratives que les céréales : vigne - c'est la grande époque des vins de Poitou puis de Bordeaux -, plantes « industrielles » - lin, chanvre, plantes tinctoriales - destinées `a l'artisanat textile, cultures maraîcheres pres des villes. C'est alors aussi que les exploitants les mieux équipés réussissent `a atteindre pour les céréales des rendements inégalés : 11 pour 1 chez un seigneur de l'Artois au début du 14^e siecle. C'est dans ce contexte d'expansion que la seigneurie[7] rurale a connu son meilleur équilibre et que les communautés paysannes ont obtenu leurs franchises[8]. XI.c.ii. La renaissance urbaine. Depuis la fin du 10^e siecle, l'essor des campagnes s'accompagnait d'une renaissance urbaine liée `a la reprise de l'artisanat et du commerce. Qu'il s'agisse de la renaissance des vieilles cités épiscopales remontant `a l'époque romaine ou de la création de « villeneuves », de « villefranches » ou de bourgs nés aupres des monasteres, des ports ou des marchés, le mouvement est partout le meme et se caractérise toujours par trois éléments fondamentaux : la prééminence d'activités non agricoles, c'est-`a-dire du commerce et de l'artisanat ; la présence d'un nouveau groupe social qui assure ces activités, la bourgeoisie ; la naissance de nouvelles entités politiques : les villes de commune[9] (ou de consulat dans le Midi), qui jouissent d'une large autonomie, et les villes de franchises, qui ont reçu surtout des privileges économiques. A l'origine des communes, on trouve des liens horizontaux tissés entre égaux et sous la foi du serment : associations de paix, confréries religieuses, corporations de marchands et d'artisans. La commune elle-meme résulte du serment preté entre les bourgeois, d'abord pour obtenir la commune, ensuite pour l'administrer. La plus ancienne commune connue en territoire français est celle, éphémere, du Mans en 1070 ; mais la grande époque de concession des communes est le 12^e siecle. C'est, par rapport aux hiérarchies verticales de la société féodale, un élément nouveau sur lequel les rois de France ont su tres tôt s'appuyer. La large diffusion du statut communal prouve la vigueur de l'élan démographique et économique qui sous-tend l'essor des villes. Les progres de leur peuplement se suivent grâce au tracé de leurs enceintes successives, `a la multiplication des quartiers et des paroisses, `a l'apparition au début du 13^e siecle de nouveaux ordres religieux spécialisés dans la prédication en milieu urbain, les ordres mendiants[10] : franciscains, dominicains... Au début du 14^e siecle, la France compte environ vingt-cinq villes de plus de 10 000 habitants, qui sont de grandes villes pour l'époque. La majorité sont situées dans la France du Nord : ainsi Rouen et le groupe compact des villes flamandes qui vivent de la draperie (Bruges, Ypres et Gand) ; mais Toulouse, Montpellier et Bordeaux sont aussi des grandes villes. Aucune n'approche, meme de loin, la population de la capitale, qui aurait peut-etre atteint 200 000 habitants. XI.c.iii. Paris. Située au cœur de la plus riche région agricole du royaume - cette « France » que nous appelons « Ile-de-France » et qui a donné son nom au pays tout entier -, choisie comme capitale par les Capétiens, Paris résume `a elle seule toutes les fonctions urbaines. C'est, au 13^e siecle, une ville tripartite : la cité, la ville et l'université. Au centre, l'île de la Cité abrite les fonctions les plus anciennes : la fonction politique, dans le palais sans cesse agrandi pour accueillir les nouveaux services de la royauté, et la fonction religieuse autour de la toute neuve cathédrale Notre-Dame. Sur la rive gauche, encore rurale et peu peuplée, s'épanouissent les activités intellectuelles au sein de l'université, corporation de maîtres et d'étudiants qui a reçu ses statuts en 1215. Sur la rive droite, la ville voit se développer, autour du port de Greve et des halles[11] construites par Philippe Auguste, les principales activités économiques, contrôlées par la puissante corporation des marchands qui ont le monopole du trafic sur la Seine et ses affluents, la hanse[12] des marchands de l'eau. Son chef, le prévôt des marchands, est le représentant de la bourgeoisie parisienne ; son pouvoir cependant est limité par la présence du prévôt royal qui administre la ville au nom du roi : toujours prets `a encourager le mouvement communal au détriment de leurs vassaux, les Capétiens n'ont jamais laissé les Parisiens former une commune. L'activité est intense et, en 1268, le prévôt royal Étienne Boileau recense cent une corporations dans son Livre des métiers. La population déborde déj`a largement l'enceinte construite en 1190 par Philippe Auguste. XI.c.iv. Les foires de Champagne. Ces activités parisiennes s'expliquent surtout par la présence d'un tres grand centre de consommation. Elles s'inscrivent aussi dans un contexte plus large. Lors du réveil économique de l'Occident, deux grands pôles d'activité s'étaient formés. L'un s'était établi au nord, `a partir de la laine anglaise, de la draperie flamande et de l'axe de communication Manche-mer du Nord-Baltique : Bruges en est le symbole. L'autre se situait en Italie, ou Genes et Venise utilisaient l'axe méditerranéen pour alimenter l'Occident en soieries, épices et autres produits de luxe de l'Orient. Entre le monde nordique et le monde méditerranéen, il fallait un lieu de rencontre pour l'échange des marchandises et l'appel des capitaux. Il s'organise au 12^e siecle en Champagne, dont les villes de foire[13] - Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube - deviennent le marché permanent de l'Occident. La grande époque des foires de Champagne est le 13^e siecle, mais peu `a peu le commerce des marchandises y est supplanté par le commerce de l'argent, tres lié au milieu des banquiers et changeurs[14] parisiens. XI.d. Le rayonnement français XI.d.i La civilisation française. Le 13^e siecle, comme plus tard le 18^e siecle, est une grande époque de rayonnement de la civilisation française. De tous les domaines dans lesquels s'est exercé ce rayonnement - on pourrait commencer par celui de l'idéal du chevalier, qui est d'abord français -, trois retiennent particulierement l'attention. Le premier, le plus connu, est celui de l'art. Le modele de la cathédrale gothique est apparu en Île-de-France `a l'église de Saint-Denis rebâtie vers 1140 par Suger ; il inspire tres vite les cathédrales de Noyon, Laon, Soissons, Senlis et, bien sur, Notre-Dame de Paris, commencée en 1163. Le nouveau style s'épanouit au 13^e siecle `a Chartres, Bourges, Reims, Amiens, Beauvais... et se diffuse bientôt non seulement dans l'ensemble du royaume, mais dans tout l'Occident, `a Salisbury comme `a Cologne, `a Milan comme `a Burgos. Le deuxieme domaine est celui de la langue et de la littérature. Comme langue littéraire, le français - le français du Nord, la langue d'oil - a acquis ses lettres de noblesse au 12^e siecle avec les chansons de geste et les poésies des trouveres[15], ces derniers s'inspirant des troubadours[16], qui chantaient en langue d'oc. A la fin du 12^e et au 13^e siecle s'épanouit surtout le genre romanesque, en vers ou en prose, depuis les œuvres de Chrétien de Troyes jusqu'au Roman de Renart et au Roman de la rose. L'emploi du latin se restreignant de plus en plus au monde des clercs, le français devient alors une langue de culture, dont l'emploi dépasse largement les frontieres du royaume : il est parlé aussi bien par les nobles de la cour d'Angleterre que par les marchands italiens, tel le Vénitien Marco Polo, qui, en 1298, le choisit pour relater dans le Livre des merveilles son extraordinaire voyage en Chine. Le dernier domaine, et non le moindre, est celui de la pensée. L'université de Paris au 13^e siecle, par son enseignement des arts libéraux[17] et de la théologie[18], par la mise au point d'une méthode d'étude et de raisonnement qu'on appelle la scolastique[19], s'affirme comme la capitale intellectuelle de la Chrétienté. Elle attire les étudiants de tout l'Occident - ils sont d'ailleurs organisés en « nations » - et les maîtres les plus prestigieux, comme l'Allemand Albert le Grand ou l'Italien Thomas d'Aquin. XI.d.ii. Une politique de prestige. Ce rayonnement culturel est `a l'image de l'influence du royaume de France. Il accompagne toute une politique de prestige qui, apres 1270, mene la dynastie capétienne au premier plan en Europe. Au début du 14^e siecle, des Capétiens regnent `a Naples et en Hongrie. Rois de France, Philippe le Bel et ses fils sont aussi, de 1284 `a 1328, rois de Navarre. Le frere et le fils de Philippe le Bel ont été candidats `a l'Empire et, `a partir de 1309, le roi de France réussit `a fixer la papauté `a Avignon, aux portes du royaume. « Dans toute la Chrétienté, note alors un écrivain italien, le roi de France n'a point d'égal. » XI.d.iii. Des signes d'essoufflement. Des felures pourtant apparaissent dans ce brillant édifice. Les historiens estiment que, des la seconde moitié du 13^e siecle, le long mouvement d'expansion démographique et économique dont avait tant profité le royaume de France est, pour l'essentiel, terminé. Terminé aussi, avec les derniers échecs de Saint Louis, le grand élan des croisades : en 1291, la derniere place chrétienne en Terre sainte, Saint-Jean-d'Acre, tombe aux mains des musulmans. A l'intérieur meme du royaume, les premieres difficultés économiques s'accompagnent, `a la fin du 13^e siecle, de violents troubles sociaux dans les villes du Nord et, en 1302, les milices flamandes écrasent la chevalerie française `a Courtrai : signe précurseur d'autres désastres. En 1314-1315, apres la mort de Philippe le Bel, dont le regne autoritaire avait suscité de nombreux mécontentements, des soulevements nobiliaires se produisent dans l'ensemble du pays. Enfin, la rapide succession au trône entre 1314 et 1328 des trois fils de Philippe le Bel, morts sans héritiers directs, va ouvrir la premiere crise dynastique depuis l'avenement d'Hugues Capet en 987. ------------------------------- [1] Apanage. Terre donnée par le roi `a ses fils cadets ou `a ses freres pour assurer leur subsistance, en compensation de la couronne réservée au fils aîné. [2] Affermage. Action de donner `a ferme. La ferme est un procédé d'administration par lequel l'autorité se repose sur une personne de l'exercice d'un droit ou de la perception d'un revenu, moyennant le paiement d'une somme forfaitaire. Au Moyen Age, les prévôtés royales étaient affermées. [3] Baillis, bailliages. Les baillis sont, `a la fin du 12^e siecle, des officiers royaux détachés de la Cour du roi pour contrôler la gestion des prévôts. A partir du milieu du 13^e siecle, ils exercent leurs fonctions, qui sont `a la fois financieres, judiciaires et militaires, dans une circonscription fixe, le bailliage, qui regroupe plusieurs prévôtés. A la différence des prévôts, qui tiennent leur charge `a ferme, les baillis reçoivent des gages du roi. [4] Chancelier, chancellerie. Chargé sous les Carolingiens de contrôler la rédaction et l'expédition des actes royaux et d'y apposer le sceau du roi, le chancelier dirige une équipe de plus en plus importante de notaires et de scribes (la chancellerie). Devenu, sous les Capétiens, un des cinq grands officiers de la couronne, il est alors le principal personnage du Conseil du roi, qu'il préside en l'absence du roi, et le chef de l'administration royale. A la fin du Moyen Age, il devient aussi le premier personnage du Parlement. [5] Parlement. Cour de justice issue de la Curia regis dans le courant du 13^e siecle et définitivement organisée par l'ordonnance du 11 mars 1345. [6] Chambre des comptes. Organe financier issu de la Cour du roi vers 1300 et organisé par l'ordonnance de Vivier-en-Brie en 1320. Il s'occupe du contrôle de la gestion financiere du domaine royal et des comptes de l'Hôtel du [7] Seigneurie, seigneur. Dans la société médiévale et jusqu'`a la fin de l'Ancien Régime, la seigneurie est une forme de propriété d'un ensemble foncier et d'une partie de la puissance publique sur cet ensemble foncier. Celui-ci se divise en domaine propre, ou réserve seigneuriale, que le seigneur exploite, directement ou non, et en tenures ou censives concédées `a des paysans qui en sont propriétaires sous réserve du droit de propriété éminente du seigneur reconnu par le paiement de diverses redevances. Le seigneur, qui peut etre un noble, une communauté religieuse, voire un roturier, possede en outre le droit de justice et de police sur les paysans de sa seigneurie. [8] Franchise. Privileges accordés par un seigneur `a une communauté rurale ou urbaine, qui suppriment ou limitent les droits que le seigneur exerçait auparavant de façon arbitraire. Au Moyen Age, « franchises » (toujours employé au pluriel) est synonyme de « libertés ». La charte de franchises est l'acte écrit dans lequel le seigneur énumere les franchises accordées `a une communauté d'habitants. [9] Commune. Association jurée entre les habitants d'une ville pour la défense de leurs intérets collectifs. Si elle est reconnue par le seigneur, la commune devient une institution permanente chargée de l'administration de la ville, considérée alors comme ville de commune ou simplement commune. [10] Mendiants (ordres). Ordres religieux apparus, `a l'initiative de saint Dominique et de saint François, au début du 13^e siecle. Ils mettent en avant la pratique de la pauvreté (qui implique la mendicité) et la prédication. Par opposition aux moines des ordres traditionnels, on appelle les religieux mendiants les « freres ». Ils ont joué un rôle de premier plan dans les villes et les universités au 13^e siecle. Les principaux ordres mendiants sont les freres precheurs ou dominicains, les freres mineurs ou franciscains, les carmes et les augustins. [11] Halle. La ou les halles sont les monuments typiques de la fonction économique de la ville médiévale : halle aux draps, halle aux blés... C'est l`a que la ville imposait ses marques, garantissant ainsi que les produits vendus étaient conformes `a ses lois. [12] Hanse. Terme d'origine germanique qui désigne, au Moyen Age, une association de marchands. [13] Foire. Le mot vient du latin feria, fete, parce que `a l'origine les marchands se regroupaient `a l'occasion des fetes religieuses. Les foires sont des rassemblements périodiques, réguliers et protégés par l'autorité publique, de marchands venus de régions éloignées. Il existe des foires régionales et d'autres plus importantes qui sont un élément fondamental du grand commerce international : foires de Champagne au 13^e siecle, foires de Lyon ou de Geneve `a la fin du Moyen Age. [14] Changeurs, change, lettre de change. Le change est d'abord au Moyen Age l'opération qui consiste `a échanger des especes monétaires : pratique rendue tres courante et nécessaire `a cause de la grande variété des monnaies. Le métier de changeur était souvent exercé par des juifs. Puis, en raison de l'interdiction du pret `a intéret par l'Église, le change est devenu l'occasion d'opérations de crédit dissimulé. A partir de 1300, `a l'initiative des Italiens, se développe la lettre de change : ordre écrit qui prévoit, `a partir d'une somme exprimée dans une monnaie donnée, son remboursement dans un autre lieu et une autre monnaie. L'intéret du pret est dissimulé dans le taux du change. [15] Trouveres. Ce sont les auteurs-compositeurs de poésies lyriques en langue d'oil. Ils sont, pour la France du Nord, l'équivalent des troubadours pour la France du Midi. [16] Troubadours. Ce sont « ceux qui trouvent », c'est-`a-dire des auteurs-compositeurs en langue d'oc. Leurs poésies sont inspirées des regles de l'amour courtois. La grande époque des troubadours commence vers 1100 avec Guillaume IX d'Aquitaine et couvre tout le 12^e siecle, jusqu'au milieu du 13^e siecle. [17] Arts libéraux. Ensemble des matieres qui constituent l'enseignement classique au Moyen Age, soit sept « arts » répartis en deux groupes : le trivium, constitué par la grammaire, la rhétorique et la dialectique ; te quadrivium, constitué par l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique. [18] Théologie. Étude des questions religieuses (au sens littéral, c'est la « science de Dieu ») `a partir des textes sacrés et de la tradition. La théologie est la science majeure des universités médiévales. [19] Scolastique. Le mot vient du latin schola, école. Il désigne la méthode d'enseignement et de raisonnement qui a été mise au point et pratiquée dans les universités médiévales.