r «í LE LEXIQUE 58 STYLISTIQUE COMPARÉB CHAPITRE I LE PLAN DU REEL ET LE PLAN DE L'ENTENDEMENT S 41. La representation linguistique peut se faire soit sur le olon du reel, ä l'aide de mots images, soit sur eclui de ľeníendement, a l'aide de mots signes. Nous appeions mot signe tout ce qui tend au sit;ne abstrait, c'est-ä-dire á cc qu'est le chiffre dans le langage inathematique ct qui par consequent parle plus ä ľesprit qu'aux sens. Des termes comme "dress rehearsal", "way station", "unveil" (íl statue), "unseat" (a member of Parliament) sont plus images que leurs equivalents frangais : "repetition generale", "arret intermédiai-ze", "inaugurer", "invalider". De meine dans "He swam across the river : 11 traversa la riviere ä la nage", dont il sera question plus loin á propos du chasse-croisé, le mot "nage", qui sans doute n'est pas moins image que "swim", est subordonné au terme abstrait "traverser". Autremcnt dit, ia phrase anglaise s'organise autour d'un mot image et la phrase francaise autour d'un mot signe. Par plan du reel nous entendons le plan sur lequel la representation linguistique côtoie la realite concrete. Le plan de l'entendement est uii niveau d'abstraction auquel ľesprit s'éleve pour considérer la realite sous un angle plus general. II est ä peine nécessaire de faire rcmarquer que les quatre termes que nous venons de définir ne doivent pas s'entendre absolument ; tout mot est déjä une abstraction, mais 1'abstraction com porte des degrés. Et de méme que "grincement" est plus concret que "son", nous disons que "scrub" est plus concret que "brosser". Ľidée et la terminologie du développement ci-dessus sont em-pruntées á A. Malblanc, dont le livre Pour une stylistique comparée du francais et de l'allemand découle en grande partie de cette distinction. STYLISTIQUE COMPARÉE 59 § 42. D'une facon generale les mots francais se situent généra-lement ä un niveau d'abstraction supérieur ä celui des mots anglais correspondants. lis s'embarrassent moins des details de la realite. La remarque de Bally comparant l'allemand et le frangais reste vraie si on oppose le frangais ä ľanglaís: « ...la langue allemande, mise en presence d'une representation complexe de ľesprit, tend ä la rendre avec toute sa complexité, tandis que le francais en dégage plutôt le trait essentiel, quitte á sacrifier le reste. » (Le Langage et la vie, 2" éd., p. 81). Et avant lui Taine avait déjä dit: « Traduire en francais une phrase anglaise, e'est copier au crayon gris une figure en couleur. Réduisant ainsi les aspects et les qualités des choses, ľesprit francais aboutit ä des idées generates, c'est-á-dire simples, qu'il aligne dans un ordre simplifié, celui de la logique. » (cite par A. Chevrillon, RDM, 1" ma i 1908). Ce que Gide dira encore plus simplement dans cette remarque : « II est du genie de notre langue de faire prévaloir le dessin sur la couleur. » (Lettre sur le langage, Amérique francaise, novembre 1941). § 43. On peut considérer que trčs souvent le mot frangais sert de dénominateur commun á des series de synonymes anglais dont le terme générique fait défaut. Cest ainsi que ľanglais ne peut expri-mer le concept de promenade ; il peut seulement en designer les differences sortes : á pied, "walk" ; á cheval et ä bicyclette, "ride"; en voiture, "drive", "ride"; en bateau, "sail". De méme "allée" au sens de "chemin" sert de dénominateur commun ä "walk", "ride", et "drive" (ou : driveway). Au besoin le frangais précisera au moyen d'un adjectif : "allée cavaliére", "grande allée". Sans doute "here" traduit "ici", mais trěs souvent ľanglais ne s'en contente pas ; il veut exprimer ľopposition entre "ici" et ľendroit auquel "ici" soppose, ďoú les : "up here", "down here", "in here", "out here", "over here", "back here", qui déroutent le Frangais au debut, parce qu'il n'a pas ľhabitude ďévoquer ainsi le reel. Un Anglais dira "out here" en Austrálie et "over here" au Canada (151). " Ou voulez-vous que je me mette ? " demandera un Frangais, laissant au contexte ou ä la situation le soin de decider s'il sera assis ou debout. Ce terme general "se mettre" ne peut se traduire en anglais que par des mots particuliers. "Where do you want me to stand (ou : to sit) ?" Et de la méme fagon, nous nous contentons de dire que "le tableau est au mur", "la bibliothěque est dans un coin", "le livre est sur la table". Rien n'empeche ľanglais de faire de méme, mais 60 STYLISTIQU13 COMPARES il préfére généralement remplacer "étre", mot signe, par un mot image: "the picture hangs on the wall", "the bookcase stands'm a corner", "the book lies on the table." Nous enlevons le tapis et les tentures ou les tableaux quand nous déménageons. L'anglais possěde un mot general "remove", mais plus idiomatiquement il dira "to take down the pictures and the drapes and to take up the rugs." Notre mot "coup" est trés commode parce qu'il peut s'appliquer ä quantité de phénoménes dont il exprime ce qu'ils ont de commun : une impression de choc. Ľéquivalent "blow" est loin d'etre aussi étendu. II est en effet concurrence par toute une série de vocables particuliers : "cut" (de sabre), "thrust" (d'épée ou de lance), "shot" (de feu), "kick" (de pied), "clap" (de tonnerre), "gust" (de vent), "crack" (de fouet), "stroke" (de pinceau, de sang), etc. § 44. Mais e'est surtout dans le domaine des perceptions auditives et visuelles que s'affirme la superiorito de l'anglais pour le detail des notations. "Grincement" est plus precis que "bruit", mais il fait figure de terme general en face de ses equivalents anglais : "grating" (ďune clef), "screeching" (d'un crayon d'ardoise), "squeaking" (d'un levier de pompe). De méme "sifflement" ne peut se rendre en anglais sans préciser de quel sifflement il s'agit, ä moins ďemployer "sibilation" qui est un mot rare. On a le choix entre "whistle" (module), "hiss" (d'un serpent ou de la vapeur), "whiz" (d'une balle), "swish" (d'une baguette fouettant l'air). II arrive que les Américains sifflent, au spectacle, pour applaudir. Mais ils sifflent aussi pour huer. Seulement ce n'est pas le méme sifflement et leur langue ne leur permet pas de confondre ces deux variétés, puisqu'elle posséde deux mots nette-ment distincts : "whistle" et "hiss". Nous lisons sous la plume d'un écrívain impressionniste comme A. Daudet: "... un bruit de soie, de chaises..." Cest tout ce que le francais lui permet de faire. L'anglais dira : "the rustle of silk, the scraping of chairs." De méme "le bruit á peine perceptible des mor-ceaux de glace dans un verre" (Julien Green) sera plus simplement mais aussi plus exactement: "the faint clink of ice in a glass". La gaucherie du francais apparait également chez un autre écrivain qui excelle cependant dans la description : "...les espadrilles font entendre de petits claquements mouillées, des floe, floe, d'eau battue." (P. Loti). L'anglais rendra tout cela avec un mot: "the rope-soled shoes squelch through the mud." Souvent le francais ne distingue pas entre le mouvement et le STYLISTIQUli COMPAREE 61 bruit: "coup de fouet: the crack of a whip (son) ou the lash of a whip (mouvement)". "De ľautre côté du mur un fiacre roulait sur le pave." On ne voit pas le fiacre, on l'entend, mais le vocabulaire du mouvement supplée ici a celui du son. On entendra le rouiement beaucoup mieux en anglais : "On the other side of the wall a cab rattled over the cobblestones." Ou encore : "...le silence des quarters riches traverses seulement des voitures qui roulaient. (A. Daudet) : the quiet of high-class residential sections broken only by the rattle of carriages". II n'est pas indifferent de noter que "broken" qui se rapporte ä "quiet" a remplacé "traverse" (mot de mouvement) qui modifie "quartiers", compictant ainsi la substitution du son au mouvement. Dans une liste de bruits, une porte qu'on ferme deviendra "the slam of a door"; un bruit mat, "a thud"; un bruit confus de voix, "a buzz of voices" ; le bruit du barrage, "the plash of the weir" ; le bruit d'une bouteille qu'on débouche, "the pop of a cork"; un bruit de vaisselle remuée, "the clatter of dishes"; le bruit des arbres qui s'égouttent, "the dripping of trees". Dans le domaine des sensations visuelles, nous pouvons prendre comme exemp'e notre verbe "luire" : luire: to glimmer (d'une lueur faible et tremblotante) to gleam (d'une lueur pále) to glow (d'une lueur rougeoyante) to glisten (avec le luisant d'une surface mouillée) to glint (avec le luisant d'une surface sombre) Ex. : "objets de cuivre qui luisaient doucement dans l'ombre: glinting in the dark". II y a lá un domaine que la lexicographic est loin ďavoir complě-tement explore. Cest ainsi que le grand dictionnaire de Mansion ne donne guěre, les exemplcs mis a part, que "to shine" comme equivalent de "luire". Autre cxemple de sensation physique : ľhumidité. Ici encore la sobriété du francais contraste avec la luxuriance de l'anglais : "damp" (humide et froid), "humid" (humide et chaud) en parlant du temps, "dank" (humide et malsain), "moist" (humide et tiéde en bonne part), "clammy" (humide et tiéde nu sens péjoratif, c'est-á-dire moite), "dewy" (terme poctique). § 45. Aprés avoir souligné la preference de l'anglais pour le concret, il convient de noter que dans certains cas, beaucoup plus rares, e'est le francais qui est plus concret. La traduction de "sir", par exemple, depend de chaque cas particulier (ou situation): un soldát donnera 62 STYLISTIQUß COMPAREE ä l'-officier son grade : "mon lieutenant", "mon capitaine" ; un marin également, mais sans le faire précéder du possessif: "oui, commandant" ; un écolier dira "M'sieur", un professeur parlant ä ses chefs hiérarchiqucs : "monsieur le Proviseur", "monsieur ľlnspecteur" ; un employe : "monsieur le Directeur" ; un depute : "monsieur le President", etc... Si l'anglais n'a pas de mot aussi abstrait que "promenade", le francais manque ďun terme générique comme "bell" pour designer "cloche", "clochette", "sonnette", "grelot", "timbre", etc... De merne "size" est le dénominateur commun de "dimensions", "taille", "grandeur", "pointure", "module", "format". La terminologie de !a remuneration est plus détaillée en francais. L'anglais ne distingue pas entre "gages" et "salaire" (wages), "solde" et "pret" (pay), "honoraires", "feux" et "cachet" (fees), etc. La métalinguistique (246 sq.) petit avoir son mot ä dire dans cet ordre ďidées, car la differentiation des termes correspond souvent á celie des fonctions et des metiers. En Amérique un "carpenter" fait le travail non seulement du charpentier mais aussi du menuisier ("joiner" ne s'emploie guére) ainsi que du macon et du couvreur lorsque les maisons, ce qui est souvent le cas, sont entierement en bois. De merne le "supermarket", ou magasin d'alimentation, se generalise au point d'évincer de ['usage courant les mots qui tradui-sent "charcutier", "poissonnier", "fruitier", et méme "boulanger" et "boucher" : On ne va pas ä la boucherie, mais au rayon de la viande (meat counter). La simplification de ľexistence aboutit ä ľélimination de termes particuliers. Par ailleurs l'anglais tend á généraliser par commodité et défaul de precision. Un certain nombre de mots passe-partout comme "conditions", "facilities", "development" se rendront chaque fois en francais par le mot convenant au cas particulicr. Ex. : "Glass subjected to such conditions is liable to break." II s'agit du passage rapide du froid au chaud. Nous dirons done : "Un verre soumis á de tels écarts de temperature se brise généralement". "We don't have the facilities for it ■ Nous ne sommes pas installés (ou outillés) pour cela". "There will be shopping facilities. (II s'agit d'un aéroport en construction) : Des magasins sont prévus pour la commodité des passagers" (219). STYLISTIQUE COMPAREE 63 CHAPITRE II VALEURS SÉMANTIQUES § 46. Les dictionnaires donnent le sens des mots, mais ils n'ont pas la place nécessaire pour caractériser les differences de sens. Nous pen-sons qu'un traité de traduction doit proposer un repertoire de valeurs sémantiques permettant de mieux comprendre pourquoi certains mots jugés equivalents ä premiere vue sont en fait sur des plans différents Une erreur de traduction piovient parfois de ce que le traducteur n'a pas peicu ľécart entre deux termes qui paraissaient de prime abord interchangeables. II importe de cataloguer ces écarts dans la mesure du possible, et e'est ce que nous tenterons de faire dans les pages qui suivent. A. — DIFFERENCES D'EXTENSION DVNE LANGUE A LAUTRE. § 47. Les differences d'extension entre les mots de deux langues données constituent sans doute la distinction lexicologique la plus élémentaire. II n'y a en fait aucune raison pour que deux equivalents aient la méme extension, ou si 1'on préfěre, pour qu'ils recouvrent la méme aire sémantique. Nous rejoignons ici la notion de valeur telle que l'entend F. de Saussure dans son Cours de linguistique generale ; ľexemple qu'il en donne avec le mot "mouton" a été cite plus haut (9). Un exemple encore plus probant nous est fourni par le mot "clerc" dont l'extension varie du francais ä ľaméricain en passant par l'anglais britannique. En francais "clerc" ne se dit que du commis d'un officier ministériel ; en anglais britannique le "clerk" est ľemployé qui manie une plume, le commis en general; en américain, "clerk" ajoute aux sens francais et britanniques celui de vendeur : "a shoe clerk : un 64 STYUSTIQUE COMPARES vendcur dans un magasin de chaussures". "He made some money clerking in a store: II a gagné de ľ argent en travaillant comme ven-deur dans un magasin". De la méme facon, nous dirons que "sergent" a moins d'extension que "sergeant" parce qu'il est concurrence par "maréchal des logis", tout comme en britannique "colonel" est concurrence par "group captain" (colonel d'aviation). "Skin", c'est la peau, mais peau n'est pas nécessairement "skin", car la peau ou le cuir de certains animaux (vache, elephant, etc.) se dit "hide". "Carte" parait avoir plus d'extension que "map" parce qu'il correspond aussi ä "chart" (carte marine), mais "map" traduit également "plan de ville". Les deux mots ont peut-étre autant d'extension ľun que l'autre, mais leurs aires sémantiques ne coincident pas. Dans le domai-ne medical le francais s'accommode fort bien de "vaccination" la ou l'anglais distingue soigneusement cntre "vaccination" et "inoculation". A propos des exemples ci-dessus on peut dire qu'il y a particu-lamation quand une langue emploie un terme de moindre extension (ex. "clerc" en francais et "vaccination" en anglais et generalisation dans le cas contraire (ex. "carte" en francais et "sergeant" en anglais). Nous donnons ci-dessous un certain nombre d'exemples courants em-pruntés aux domaines les plus divers, et dont la liste peut s'allonger indéííniment. Le francais distingue entre : "poéle" et "fourneau" (stove), "guichet", "fenétre" et "devanture" (window), "autobus" et "car" (bus), "classe" et "cours" ("class", en américain), "mines" et "décombres" (ruins), "écharpe" et "cache-col" (scarf), "eclairs" et "foudre" (lightning), "peindre" et "badigeonner" (paint), "remplacer" et "replacer" (replace), "difference" et "difŕé-rend" (difference), "reflet" et "reflexion" (reflection), "os" et "aréte" (bone), "cartouche" et "gargousse" (cartridge), "atterrir" et "débarquer" (land), "herbe" et "gazon" (grass). L'anglais distingue entre : "shovel" et "dustpan" (pelle), "gutter" et "brook" (ruisseau), "experience" et "experiment" (experience), "human" et "humane" (hu-main), "stranger", "foreigner" et "alien" (étranger), "obscurity" et "darkness" (obscurité), "cot" et "bed" (lit), "paints" et "colours" (couleurs), "sticker", "label" et "tag" (etiquette), "beak" et "bill" (bee), "work" et "labour" (travail), "estimate" et "esteem" (estimcr), "study" et "office" (bureau), "spectre" et "spectrum" (spectre), "isolate" et "insulate" (isoler), "ladder" et "scale" (échelle), "Arab", "Arabian" et "Arabic" (arabe). Remarquons ä propos de ce dernier exemple que l'anglais ne fait pas de distinction entre "hébreu" et "hébralque". STYUSTIQUE COMPARÉE 65 Certaines distinctions n'apparaissent pas en anglais parce qu'il y a ellipse, et ľellipse est ŕréquente. L'anglais peut marquer la difference entre "aréte" et "os" en employant "fishbone", mais ie mot simple suffit quand le contexte est clair. De méme "chair" peut vouloir dire "fauteuil" aussi bien que "chaise", et "coat" traduit "veston" ou "pardessus" suivant le cas. Differences d'extension sur ie plan stylistique. § 48. Sur Ie plan de la stylistique interne (13) ou nous nous placons ici, la valeur stylistique d'un mot comprend essentiellement (a) les caractěres affectifs naturels. (Ex. la valeur pejorative) et (b) les effets par evocation, c'est-ä-dire par revocation d'un milieu ou ďune activité (mots vulgaires, techniques, etc.), ce que nous expli-quons á la rubrique "niveaux de langue". (14-16) "Tank" a er francais moins d'extension qu'en anglais parce que c'est un mot familier, concurrence par le terme technique "char" (de combat) tandis que "tank" en anglais est á la fois le mot des spécialistes et des profanes. Nous pouvons renvoyer ici au § 55 sur les faux amis stylistiques. Mots techniques et mots usuels. § 49. La remarque qui precede peut étre reprise d'un point de vue legerement different. II arrive en effet qu'une des deux langues possěde deux synonymes dont l'un est technique et l'autre d'usage courant, alors que l'autre langue ne dispose que d'un terme, qui s'emploie par consequent et dans le langage technique et dans la langue usuelle. C'est, nous l'avons vu, le cas de "tank". En void d'autres exemples : private — simple soldát et soldát de 2a classe compass — boussole et com pas brush •— pinceau et brosse door-handle •— bee de cane et béquille reed -— roseau et anche Inversement l'anglais rend "disque" (de phonographe) par "record" (usuel) et "disc" (technique). L'opposition entre termes techniques et usuels se presence également sous un autre aspect: il existe des mots usuels ayant un sens technique. Ce sont des mots techniques déguisés. U n'est d'ailleurs pas tou jours facile de dire exactement quand un mot ordinaire devient technique. "Arroser" est un terme courant, comme la chose qu'il designe, et personne ne songe a le ranger parmi les mots techniques. 66 STYLISTIQUB COMPARER En fait, du point de vue du jardinage on a le droit de le considérer comme tel. Mais sa technicité est plus apparente quand il designe l'arrosage de la viande en train de cuire au four ou ä la broche —• en anglais, "to baste". "Hovel" a un sens technique : "hangar ouvert" que beaucoup ď Anglais ignorent parce que le mot a été accaparé par son sens affectif. "Croquer" est familicr ; il devient technique dans "chocolat á croquer". De la méme facon nous dirons que "frappé" dans "champagne frappé" (iced), "éventail des salaires" (spread, range), "recognize" dans "the chair recognizes" (le president donne la parole á) sont des mots techniques, et comme tels ils ne se traduisent gcnéralement pas par leurs equivalents habituels.. Des adjectifs trěs courants peuvent prendre un sens technique, lis sont gcnéralement antéposés et forment avec le nom qu'ils quali- fient une unite de traduction (24). C'est le cas entre autres de "grand", "long", "petit", "bon", "blane", etc. Ex. : ies grandes lignes the main lines (railway); outline le grand film the feature le beau-pěre the father-in-law, the step-father du bois blanc deal (Br.), pitchpine (U.S.) les bas morceaux the cheap cuts du petit lait whey De méme en anglais : a long-boat une chaloupe small-ware la mercerie small glass-ware la verroterie II y a également á considérer les différenciations de sens technique entre derives, qui ne se retrouvent pas sous la méme forme dans 1'autre langue. Nous distinguons entre "éclairage" et "éclairement" (lá oů ľanglais se contente de "lighting"), entre "étalage" et "étalement" ("display" et "staggering)", entre "adherence" et "adhesion" (ľanglais donne au premier le sens du second et vice versa) (54), entre "mosco-vite" et "moscoutaire" (distinction que ľanglais n'est pas en mesure de marquer). Nous retombons comme on le voit dans le domaine des differences d'extension qui dominent toutes les considerations qui precedent. Sens propre .et sens figure. §50. Cettc opposition bien connue des traités de rhétorique mérite d'etre retenue pour le classement des sens. Certains mots en vieillis-sant perdent leur sens propre et gardent leur sens figure. Les diction-naires ne marquent pas toujours les étapes de cette evolution et STYLISTIQUE COMPARES 67 l'apprenti traducteur peut s'y laisser prendre. Rien n'indique ä premiere vue que "dwell", "delve", et "shun" n'ont plus en anglais moderne que leur sens figure, et qu'au sens propre il faut dire "live", "dig", et "avoid". "Motherly" veut bien dire "maternel", mais seule-ment au sens figure, tandis que "maternal" a et le sens propre (ou intellectuel) et le sens figure (ou affectif). "Thunderstruck" tend ä céder la place ä "struck by lightning" au sens propre. "Seething" ne s'emploie guěre qu'au sens figure. Ces differences peuvent étre presentees sous forme de tableau : sens francais anglais propre ivresse drunkenness, intoxication figure ivresse intoxication, rapture propre canal canal, channel figure canal channel propre maigre thin, lean figure maigre meagre Sens intellectuel et affectif. § 51. Cette distinction sur laquelle repose le Tratte de stylistique de Ch. Bally coincide souvent avec la precedente. La distinction entre le mode intellectuel et le mode affectif est peut-étre plus fami-liěre aux linguistes qu'au grand public. Rappelons que certains mots peuvent étre purement intellectuels, ex. : "remuneration", "circonfé-rence", "intermédiaire", "situer". D'autres sont uniquement affectifs : "inoui", "sordide", e'est-a-dire qu'ils ne peuvent jamais s'employer sans engager notre sensibilité. La plupart des mots, enfin, sont tantôt intellectuels, tantôt affectifs. C'est une question de contexte. On aurait pu croire que la valeur intellectuelle de "inférieure", était suffi-samment protegee dans ľexpression "Charente-Inférieure", mais apparemment, et surtout ä ľétranger, le mot a dégagé une valeur emotive suffisamment forte pour que ľon ait cru devoir changer "inférieure" en "maritime". Et il en va de méme de la Seine-Infé-rieure. Ici encore nous disposerons les exemples sous forme de tableau : sens intellectuel francais sauter anglais jump affectif intellectuel affectif mtellectuel sautei grand (postposé) grand (antéposé) petit leap large great, big small affectif petit little 68 STYUSTÍQUE COMPARÉB intellectuel unique only, sole affectif intellectuel unique pleurer unique cry affectif intellectuel pl eurer rapide cry, weep fast affectif rapide swift, rapid Nous relrouvcrons cctte distinction á propos des faux amis (55). Lacunes. § 52. Puisque la representation linguistique n'est jamais totale, il serait surprenant qu'elle soit rigoureusement la méme dans deux langues differences. Chaque langue a done ses trous, qui ne sont pas forcément les mémes que ceux de la langue dans laquelle on traduit. Tout traducteur doit s'attendre ä ce qu'il y ait dans la langue de depart des mots qui cherchent en vain leur equivalent dans la langue ďarrivée. Ou bien la chose n'existe pas — ou n'est pas reconnue dans l'une des deux civilisations, ou bien eile existe dans les deux, mais une langue éprouve le besoin de nommer ce que ľ autre passe sous silence. On peut d'ailleurs se demander si ľomission n'est pas ici un indice du peu d'importance que présente pour le groupe linguistique en question cctte chose qui n'a pas de nom. II y aurait a van tage ä faire des repertoires aussi complets que possibles des lacunes existant actuellernent. Certaines ne sont qu'ap-parentes, et si l'on pouvait tenir presents á ľesprit les deux registres, il est probable que certaines equivalences auxquelles on n'avait pas songé s'établiraient inopinément. En fait beaucoup des remarques déjä faites ou á faire reposent sur des lacunes. Nous avons vu par exemple, ä propos du general et du particulier, que souvent ľ anglais, et quelquefois le francais presentaient des lacunes dans le domaine des mots abstraits ou des termes génériques. S'il n'y avait pas de lacunes une bonne partie de ce livre serait ä supprimer. Pármi les lacunes du francais dans le domaine des termes génériques, nous pouvons citer : "nuts", qui comprend les noix, noisettes, amandes, etc. "awards", qui s'applique aussi bien aux prix qu'aux bourses ďétudes, d'une facon generale á tout ce qui reconnait le mcrite (distinctions honorifiques) "utilities", qui englobe ľeau, le gaz, ľéleetricité, le telephone. "Services publics", pourrait-on proposer. Inequivalence est possible dans certains cas, mais les transports en commun font partie des services publics et non des "utilities". STYLISTIQUH COMPARÉB 69 Com me exemples de lacunes dues ä des raisons de métalinguis-tique, nous pouvons rappeler celui de "charcuterie" (au sens de maga-sin) qui se traduit facilement en britannique mais non en américain, ou citer celui de "mie" qu'on ne peut guěre rendre que par "soft part of the bread" sans doute parce que le pain anglais est fait de telle sorte que 1'opposition entre "mie" et "croúte" ne s'impose pas á ľesprit de ceux qui le consomment. "Crumb" traduit surtout notre mot "miette" et de ce fait s'emploie le plus souvent au pluriel ; et peut-étre est-ce parce que "hocher la téte" n'est pas un geste anglo-saxon qu'il n'y a pas en anglais de traduction commode de cette expression. Par contre l'anglais reprend 1'avantage clans le cas de "nod" en face duquel le frangais ne peut guěre aligner que "dire" ou "faire oui de la téte". Nous aurons d'ailleurs l'occasion de revenir sur ces faits de métalinguistique (246-259). Les cas ou la lacune existe parce qu'une langue n'a pas poussé aussi loin que ľautre ľ analyse de la realite ne sont pas les moins intéressants. Nous n'avons pas de mot special pour "curb" (bordure de trottoir ou bord du trottoir) et l'anglais n'en a pas pour "margelle". Pour "chaussée" il hésite entre "roadway" et "street"; dans ce dernier cas il ne distingue pas comme nous le faisons entre "rue" et "chaussée". "Look both ways before stepping into the street: Regarder des deux côtés avant de descendre sur la chaussée". Nous n'avons pas de mot pour designer un mouvement alternatif de montée et de descente, de faible amplitude. "On avait vu sa casquette en mouvement par-dessus la haie de tamarins. (G. Duhamel) : His cap could be seen bobbing above the hedge". Au mot "bob" correspond done un trou qu'un bon écrivain francais comble comme il peut. Parmi les mots courants en anglais qui n'ont pas ďéquívalents commodes en francais on peut citer : "pattern", "privacy", "emergency". Le cas de "facilities" a été vu précédemment. Derivation irréguliěre. § 53. Moins sans doute que l'allemand, mais plus que le francais, l'anglais présente un systéme de derivation assez regulier. II le doit ä son jeu de suffixes, notamment "-ness" pour former des noms et "-ly" pour former des adjectifs et des adverbes, qui s'ajoutent facilement aux mots plus simples. A cet égard le francais est moins souple, et beaucoup d'adverbes anglais ne peuvent se rendre en francais que par des locutions adverbiales: "concisely" (avec concision), "shortly" (á brěve échéance), "inadvertently" (par inadvertance) et il en va de méme de certains adjectifs (112). De plus le francais est 70 STY I. LSTI QIJ li c;OMJ'ARÜI! encore handicape du fait que les families étymologiques existantes présentent souvent des dislocations sémantiques du type "meurtre/ meurtrir", "ménage/ménagerie", "aveugle/aveuglement", "courtisan/ courtisane", etc. (voir Bally, TSF § 45). "The vastncss of the hall below..." est une expression parfaite-rnent naturelle en anglais, tout au moins dans la langue écrite. Sa traduction ne dcvrait presenter aucune difficulté, mais nous butons tout de suite sur "vastness". "Vastité" existe mais ne se dit pas. "Immensité" va trop loin. II faut done ou transposer par un adjectif, "le vaste hall en bas" (mais ceci contrarie la tendance du francais á employer des substantifs qualificatifs) ou trouver un nom auquel peut s'adjoindre ľadjectif "vaste" : "les vastes proportions". Le rnéme procédé sera nécessaire pour rendre : "The admirable-ness of Lord Warburton and the impressiveness of his world are essential to the significance of Isabel's negative choice". (F. R. Leavis, The Great Tradition.) "Ce qu'il y a d'admirable chez Lord Warburton et d'imposant dans le monde oú il évolue est essentiel pour compren-dre la decision negative d'Isabelle." "Unquestionable" se rend sans peine par "incontestable", mais dirons-nous "incontestabilité" pour "unquestionableness" meme si le dictionnaire nous y autorise ? Cette "stately unquestionableness" des langues classiques dont parle P. G. Hamerton exige pour étre rendue une transposition et une amplification. La transposition, ici le rem-placement d'un nom par un adjectif, nous donne "incontestable" ou mieux encore, dans ce contexte, "indiscutable". Accolons-y "stately", "majestueux", ou "hautain" et ajoutons un substantif qui serve de support á ccs deux adjectifs : "Ľautorité hautaine et indiscutable des langues classiques", ou encore "le prestige indiscutable". ß. — LES FAUX AMIS. § 54. Ľexpression, variante des mots-sosies de Veslot et Banchet (Les Traquenards de la version anglaise), a etc employee pour la premiere fois par Kcessler et Derocquigny dans leur livre Les Faux Amis ou les trahisons du vocabulaire anglais, Vuibert, 1928. Un supplement de J. Derocquigny, Autres mots anglais perfides, a paru en 1931, et Felix Boiliot a repris la question dans son Vrai ami du traducteur, anglais-jrancais et franfais-anglais (PUF, 1930 • 2" edition, Oliven, 1956)'. STYLISTIQUli COMPAItfU! 71 Sont de faux amis du traducteur ces mots qui se correspondent ď une langue ä l'autre par ľ etymologie et par la forme, mais qui ayant évolué au sein de deux langues et, partant, de deux civilisations dífférentes, ont pris des sens différents. Les livres cites plus hauts donnent des exemples abondants et precis de cette varieté de mots. Nous ne saurions mieux faire que d'y renvoyer le lecteur. Mais les listes qu'il y trouvera ne sont qu'un point de depart et chacun aura ľoccasion de les completer. II faut d'ailleurs envisager la question sous trois aspects différents : § 55. 1. ľaspecŕ sémanřique : Les faux amis se distinguent par des differences de sens, actuel : present éventuellement : if need be actual : reel eventually : par la suite Cest l'aspect auquel se sont surtout attaches Koessler et Derocquigny, ainsi que Boiliot. Ajoutons-y quelques exemples en donnant l'anglais en premier: "antiquary: amateur de choses anciennes", plutôt que "antiquaire", qui avait encore ce sens ä ľépoque de Balzac, mais qui a pris aujourd'hui celui de "antique dealer"; "maroon: (couleur) lie de vin" — cf. "marron: brown"; "intangible: imperceptible", e'est-a-dire qu'on ne peut pas toucher ou saisir, et non pas, comme en francais, ce á quoi on ne doit pas toucher ; "delay : retard" et non pas temps requis pour faire quelque chose ; "vendor : marchand ambulant". Dans ce genre ď etude, on pense surtout aux faux amis qui n'ont aueun des sens de leurs vis-ä-vis étymologiques. Mais beaucoup plus nombreux sont les faux-amis partiels, e'est-a-dire qui ont des sens communs: "correct" correspond ä son homonyme francais au sens de conforme á la grammaire ou aux convenances.il a en plus le sens de "exact". "That's correct: e'est bien cela, e'est exact" — cf. l'anglicisme canadien "e'est correct". "journal" peut traduire "journal" au sens de "périodique" mais il a généralement le sens de "revue savante". "granary" a le sens figure de "grenier", mais non le sens usuel qui se rend par "loft" ou "attic". C'est d'ailleurs le sens étymologique: "reserve de grain". "pile" veut dire "pile" (a pile of boxes) mais aussi "tas", "amas". C'est "stack" qui correspond exactement ä notre mot "pile", "obliterate: effacer", au sens general, et non pas "oblitérer" qui se dit "to postmark" ou "to cancel". 72 STYI.ISTIQUE COMPARÉE "inspect: inspector, passer en revue" mais aussi "regarder", "venir voir" : "You are cordially invited to inspect our collection of picture postcards". "indicator": dans unc gare anglaise, non pas l'indicateur, mais "le tableau des departs". 2. I'aspect stylistique : lei les faux-amis on t ä peu pres le méme sens mais sont sépa-rés par des differences ďordre stylistique, c'est-á-dire se rapportant ä des valeurs intellectuclles ou affectives (pejoratives ou laudatives ou neutřes) ou ä revocation de milieux différents. Les tableaux ci-dessous réunissent un certain nombre d'exemples typiques: le premier se rapporte aux caracteres affectifs naturels et le second aux effets par evocation. TABLEAU A Sens intcllectuels francais 1. maternel 2. ennemi (adj.) 3. 4. belüge ran t 5. rural 6. foule Sens affectifs francais anglais maternel hostile juvenile belliqueux de Campagne rural populace rabble motherly, maternal hostile, inimical juvenile belligerent anglais maternal hostile juvenile belligerent rural populace Ce tableau appelle certaines remarques : 1. "Motherly" a toujours une valeur affective. 2. "Hostile" est toujours affectif en francais. En anglais il peut avoir le sens intellectuel: "hostile forces: forces ennemies". 3. "Juvenile" n'a jamais le sens intellectuel en francais; en anglais il peut étre intellectuel ou affectif, mais dans ce dernier cas il est souvent péjoratif. 4. "Belligérant", en francais ne peut étre qu intellectuel; son equivalent affectif est "belliqueux". 5. Exemple : "a rural church: une église de Campagne". TABLEAU B Langue litt ér ah e, administrative Langue usuelle ou technique francais anglais francais anglais carié carious carié bad obsěques funeral enterrement funeral char de combat tank tank tank condoléances condolences condoléances sympathy STYLISTIQUE COMPARÉE 73 Done, "carious" est exclusivement technique, "obsěques" appar-tient au style éerit, "tank" est en anglais ä la fois technique et usuel, tandis que "condolences" n'est pas le mot usuel. 3. I'aspect phraséologique ou syntaxique, dont il sera question plus loin ä propos des faux amis de structure (154-155). § 56. Doublets savants et populaires : Une importante difference stylistique entre ľanglais et le francais est la preference de ľanglais pour des mots simples tires du vieux fonds germanique lá oú le francais emploie un terme savant dont le sens n'est pas evident pour une personne peu instruite. Le fait qu'en anglais le nom peut s'employer comme adjectif élimine de l'usage courant un certain nombre d'adjectifs savants du type francais "oculaire". Tout Anglais comprendra du premier coup le compose "eye-witness", tandis que "témoin oculaire" exige un effort de comprehension et une connaissance plus approfondie de la langue maternelle. II arrive que les tests de vocabulaire en usage aux Etats-Unis soient plus faciles pour un Francais que pour un Américain parce que le vocabulaire savant est presque le méme dans les deux langues et est dun accěs plus facile en francais. Voici une liste de doublets savants et populaires : concours hippique : horse show exposition d'horticulture : flower show exposition canine : dog show Compagnie generale transatlantique : the French Line arbre généalogique : family tree plan quinquennal : five-year plan empreintes digitales : fingerprints véhicule hippomobile : horse-drawn vehicle eau potable : drinking water calvitie : baldness reforme agraire : land reform papille gustative : taste bud isolation phonique : sound proofing frégate météorologique : weather ship domaine hydrographique : watershed heures supplémentaires : overtime miroir rétroviseur : rear (or driving) mirror charge alaire : wing load reaction caténaire : chain reaction 74 STYUSTiyUI! COMPARÉli quotidien : daily hebdomadaire : weekly cécité : blindness myope : short-sighted mensuel : monthly trimestriel : quarterly surdité : deafness inoxydable : stainless Le cas inverse, oú le francais est moins savant que ľanglais, existe, mais il est assez rare : progressive education : ľéducation nouvelle basic English bifocal lenses (ou bifocals) le francais élémentaire verres á double foyer Cette distinction une fois comprise, on sera moins porté á commet-tre ľerreur qui consiste á traduire le mot francais par son vis-á-vis anglais de méme racine. Tout lemonde sait que "éteindre" ne se traduit gcnéralement pas par "extinguish" (encore que "extinguisher" traduise "extincteur"), mais il existe des cas moins évidents. "Confisquer", quand ii s'agit dun jouet ďenfant, ne se dira pas "confiscate", mot qui paraitrait pompeux dans un tel contexte, mais simplement "take away". De méme "condoléances" (voir plus haut) ne se rend pas ordinairement par "condolences". "He expressed the government's condolences", lisait-on cependant dans le New York Times. Sans doute, mais dans la vie privée ce haut fonctionnaire se contenterait du mot "sympathy": "Please accept my sympathy..." Dans la traduction anglaise dun article de journal canadien-francais nous lisons : "If we asked one or the other to consummate the divorce..." On recon-nait sous ces mots 1'expression francaise "consommer le divorce". Mais la traduction anglaise n'est pas idio natique II serait mieux de dire "to go through with the divorce". STYLISTIQUE COMPARÉE 75 CHAPITRE III ASPECTS LEXICAUX A. — LA NOTION D'ASPECT APPUQUÉE AU LEXIQUE § 57. Tel qu'on ľentend habituellement, ľaspect est une notion grammaticale afferente au verbe, en particulier dans les langues slaves. Nous montrerons ailleurs (132) que dans les langues occi-dentales, le verbe peut aussi avoir un aspect et que le traducteur doit en tenir compte. Nous voudrions, en attendant, étendre la notion ďaspect ä d'autres parties du discours telies que le nom, ľadjectif, et le verbe en tant que mots, et montrer que la notion d'aspect existe dans le lexique aussi bien qu'en grammaire. II y a en effet un aspect implicite dans les sens de certains mots, et dans sa Linguistique gene-rale et linguistique jranqaise, Ch. Bally avait déjä reconnu la valeur aspective des suffixes "-age" et "-ment". Ainsi compris, ľaspect est une catégorie sémantique ä côté de ľ extension, de ľaffectivité, des faux amis, etc... L'opposition entre "dormir" et "s'endormir", "porter" et "mettre" (sur soi) est une difference d'aspect: aspect duratif dans un cas, inchoatif dans lautre. Mais il y a des cas oú "dormir" est inchoatif ; "dors!", et oú ľanglais, plus logiquement, dit: "go to sleep!" De méme quand une femme dit: "Je n'ai rien ä me mettre", eile emploie "mettre" á ľaspect duratif: "I have nothing to wear". Les exemples ci-dessous montrent qu'il n'y a pas qu'une facon de rendre un aspect donne dans une certaine langue. Notre verbe "parier" a généralement ľaspect duratif, mais ce n'est pas le cas dans : "II n'en a pas parle. : He did not mention it", oú il a ľaspect ponctuel. D'autre part, "speak" prend souvent un aspect inchoatif que "parier" ne rend pas. II nous faut dans ce cas avoir recours ä une tournure inchoative: He never speaks to me. : II ne m'adresse jamais la parole. A man spoke to me on the street. : Un homme s'est adressé á moi dans la rue (m'a abordé). He spoke at the meeting. : II a pris la parole ä la reunion. Le dictionnaire propose "matinal" comme un equivalent de 76 STYLISTIQUE COMPARÉB "early", et en effet "an early walk" est "une promenade matinale". Pourquoi cependant ne peut-on pas, le plus souvent, traduire "II est matinal" par "He is early"? Parce que si "matinal" est susceptible d'avoir l'aspect ponctuel, il a plus souvent l'aspect habituel, que "early" n'a pas. D'oú la nécessité d'une traduction oblique : "he is an early riser". II peut arriver cependant que "matinal" ait l'aspect ponctuel : "Vous étes matinal aujourd'hui. : You are early today". On trouvera ci-dessous un essai de classification des aspects lexicologiques. Ici encore nous distinguerons l'intellectuel et l'affectif. La plupart des aspects sont des notions intellectuelles : durée, commencement, frequence. Mais il y a aussi des aspects affectifs. Les exemples sont tires des deux langues. B. — ASPECTS 1NTELLECTUELS § 58. 1) i-'espect duroHf indique que Taction se prolonge ; il est apparenté ä l'aspect itératif et á l'aspect graduel (voir ci-dessous) . Aux exemples données plus haut on peut ajouter : — "voir", mais non "apercevoir", qui est toujours inchoatif. — "étre assis : to sit", mais non "s'asseoir : to sit down". Cependant "to sit" peut avoir l'aspect inchoatif. Ex. : "Where do you want me to sit? : Oú voulez-vous que je me mette ?" — "s'infiltrer : to seep"; "suinter : to ooze". —- "journée", "matinée", "soirée", "veillée", qui n'ont pas d'équi-valents en anglais. — "baigneur", au sens vieilli de celui qui fréquente une station balnéaire : "les baigneurs : the summer people". — "blesser" dans "Cette chaussure me blesse : This shoe pinches me". — "montér á cheval", au sens de "to ride" (U.S. "to go horseback riding"). — tous les mots désignant des bruits Continus par opposition avec ceux qui sont discontinus. Cette distinction a servi de principe de classification dans le Roget's Thesaurus. Que I'on compare, par exemple "snap", "clap", "report", "thud", "shot", "bang" avec "roar", "rumble", "whirr", "tick", "din". "Rumeur" est duratif, "claquement" est ponctuel. — "to stare" a l'aspect duratif, comme "dévisager" et "regarder fixement". STYLISTIQUH COMPARÉE 77 La particule "away", que nous retrouverons ä l'aspect graduel, peut également exprimer la durée, la continuité. Ex. : He looked at the little girl ironing away so quietly with her head bent over the board. (Betty Smith) : II regardait la petite tandis que, penchée sur la planche, eile maniait silencieusement son fer ä repasser. L'imparfait ne rend qu'en partie la nuance de "away", car il s'emploierait de toute facon dans la proposition subordonnée. Cest surtout "manier son fer ä repasser" qui vise ä marquer la continuité de ľeffort exprimée par "away". § 59. 2) L'aspect poncfue! s'oppose á l'aspect duratif et est proche de l'aspect inchoatif (voir plus loin). II caractérise des actions qui ne sont pas susceptibles de durer, qui prennent fin aussitôt qu'elles ont commence. Cest le cas de "frapper : to strike", de "trancher : to cut, to sever", de "fendre : to chop", "d'avaler d'un trait : to gulp, to quaff", qui s'opposent ä "battre : to beat", "tailler : to trim", "hacher : to chop", "grignoter : to nibble", "siroter : to sip", "Mordre" a l'aspect ponctuel. De méme "bite", son equivalent habituel. Cependant nous remarquons que "bite one's nails" correspond á "se ronger les ongles", ce qui montre que "bite" peut prendre l'aspect duratif. "Jamais" évoque la durée, mais son correspondant "never" peut prendre l'aspect ponctuel dans des contextes tels que: — We never asked. : Nous avons oublié de demander. — He never thanked me. : II ne s'est pas donne la peine de me remercier. — There never was a trace of a tyre on that hard road. (II s'agit d'un seul incident.) : Pas la moindre trace de pneu sur cette route empierrée. Ce dernier exemple permet de serrer de plus pres une difference d'extension entre "jamais" et "never". Comme on pouvait s'y attendre, la correspondance des aspects d'une langue ä ľautre n'est pas absolue. Nous distinguons entre "impétrant" (ponctuel) et "titulaire" (duratif), "récipiendaire" et "académicien", ce que ľanglais ne fait pas. Par contre nous ne pouvons rendre la nuance qui sépare "graduate : diplome" et "graduand". Ce dernier terme est parallele á "impétrant" et á "récipiendaire" et designe ľétudiant en train de recevoir son diplome. De méme "confirmand", celui qui recoit la confirmation est comparable ä "premiére communiante". Cest aussi une difference d'aspect qui sépare "votant" de "électeur". 78 STYLISTIQUE COMPARÉB § óO. 3) Ľaspecí inchoařiř marque le debut de Taction, exclut done la durée et s'oppose, autant que ľaspect ponctuel, á I'aspect duratif. Nous avons déjá vu comment "s'endormir", "mettre sur soi", "adresser la parole" contrastent respectivement avec "dormir", "porter sur soi", et "parier". De méme "montér á cheval" est inchoatif au sens de "se mettre en seile", et duratif quand il designe Faction de "aller ä cheval". Ľaspect de "to know" depend du contexte : — He must have known that it was so. : II ne pouvait pas ne pas le savoir. ■—■ He was to know later that... : II devait apprendre plus tard que... Nous verrons á la deuxiéme partie (134) que le passé simple et le passé compose prennent I'aspect inchoatif ou terminatif, alors que l'imparfait est duratif. Lune des ressources de ľanglais pour marquer l'inchoatif et le distinguer du duratif est l'adjonction dune particule telle que "off ou "away" dans : to doze off : s'assoupir (cf. to doze : sommeiller) to go off (away) : s'en aller (cf. to go : aller) to fly away : s'envoler (cf. to fly : voler) — Des lumieres commencent á s'allumer... Un phare á acetylene éclôt aveuglant et répand un dome de jour (Barbusse) : Lights begin to shine forth... An acetylene lamp flares forth blindingly, shedding a dome of light. "To laugh" a souvent I'aspect inchoatif : "se mettre á rire". Le suffixe "escent" existe dans les deux langues mais pas au méme degré. "Obsolescent" et "obsolete" ne peuvent guěre se rendre que par le méme mot en francais. Mais nous distinguons entre "archalsant" et "archai'que". Le suffixe "ir" en francais a souvent une valeur inchoative et correspondrait au suffixe "en" (ex. "to redden") si les verbes en "en" étaient aussi frequents que les verbes en "ir" et si le suffixe "en" était encore vivant. Ľanglais supplée á cette insuffisance avec des locutions verbales telies que : to turn yellow : jaunir to grow old : vieillir to become rich : s'enrichir to get narrower : se rétrécir "To get" est un equivalent familier de "to grow" et de "to become": "to get old", "to get rich", etc... II convient d'ailleurs de reconnaitre ä propos de ces derniers STYLISTIQUE COMPARER 19 exemples qu'il n'est pas facile de faire le depart entre I'aspect inchoatif et I'aspect graduel. § 61. 4) Ľaspecí iíéraíif se rapproche de ľaspect duratif et peut méme se confondre avec lui quand Taction se repete ä une. cadence trěs rapide. "Ronger", "siroter", "grignoter" peuvent étre considérés comme relevant de ľun ou de ľautre de ces aspects. Autres exemples: "to pound : pilonner", "to hammer : marteler", "to beat : battre", "to whittle : taiiler", "to din : faire un bruit assour-dissant", "to nag : faire des reproches", "to crack : se fendiller", "to tug : tirailler". Ces deux derniers verbes combinent ľitératif et ľatténuatif. "To whip", au sens de "fouetter", est itératif ; il est ponctuel sous la forme "whip up : enlever (le cheval) d'un coup de fouet", et il est perfectif au sens familier de "battre á plate couture". § 62. 5) Ľaspect grádue! offre avec I'aspect duratif et ľaspect itératif des affínités evidentes. II évoque la durée ou la repetition accompagnée ďune transformation. II n'est pas sans intérét de noter que "sink" a ľaspect graduel. Cest pourquoi il convient, le cas échéant, de le rendre par "baisser", "s'enŕoncer", etc. De méme "to sag", "to settle" indiquent des actions beaucoup plus lentes que "to collapse". "To work" a ľaspect graduel dans ľexemple ci-dessous : The bar of the watch-guard worked through the button-hole. : La barre de la chaine de montre finit par sortir de la boutonniěre. "Dégrader" est ponctuel quand il signifie "reduce to the ranks"; il est graduel au sens de "détériorer", tout comme "s'effriter". Le mur est degrade. : The wall is defaced. Ľaspect graduel est également present dans "to loom : grandir" (souvent d'une facon menacante). Ľanglais marque souvent ľaspect graduel par l'adjonction de "away" au verbe. Cette particule s'oppose alors ä "out" qui exprime I'aspect perfectif (64). Ainsi "to fade away" et "to die away" sont plus graduels que "to fade out" et "to die out". De sons qui meurent au loin nous dirons: "they die away", pour indiquer le prolongement de leur vibration. De méme : He is worn out. : II est épuisé. The steps are worn away. : Les marches sont usees. He was cutting away on a stick. (Hemingway) : 80 STYLISTIQUE COMPARÉE II taillait un baton. (Cest aussi un aspect continu.) Here too there is a haze rubbing away the edges of ideas : Lá aussi il y a une brume qui estompe le contour des idées (J.B. Priestley). A propos de ce dernier exemple on peut encore opposer "out" ä "away" : "The word was rubbed out. : Le mot a été efface". Nous saisissons ici une difference caractéristique entre les deux langues : l'anglais marque par le jeu des particules une distinction que le frangais ne peut rendre qu'en changeant de mot: to rub away : estomper to rub out : effacer § 63. 6) L'aspect habituel ou chronique marque une tendance, une disposition habituelle, sans que la repetition de Taction envisagée arteigne ä la frequence de l'aspect itératif. A l'exemple de "matinal", examine dans les remarques préliminaires (57), on peut ajouter : — "frileux", que les dictionnaires traduisent souvent par "chilly", ce qui ne satisfait pas, car "frileux" a l'aspect habituel tandis que "chilly" s'applique á une occasion. II faut dire, pour "frileux", "susceptible to the cold". -— "sobre : abstemious, eating sparingly". "Sober", en anglais, a l'aspect ponctuel : "When he is sober : Quand il est ä jeun" ou "Quand il n'a pas bu". — "famélique" est habituel, ou chronique, á ľencontre de "affa-mé" qui est ponctuel. Tous deux correspondent ä "starving" qui est surtout ponctuel. Nous avons ainsi quatre adjectifs frangais dont l'aspect chronique passe difficilement en anglais. Le verbe "to thieve" se distingue de "to steal" en ce qu'il marque uniqucmcnt ľhabitude de voler. De méme "to tipple" par rapport ä "to drink". § 64. 7) L'aspect- terminatif ou perfectif indique que Taction est uchevee. Nous avons vu, ä propos de l'aspect graduel, que "out" peut, le cas échéant, marquer l'aspect perfectif. En fait on peut dire que l'anglais utilise souvent ses postpositions pour rendre cet aspect. Le frangais, par contre, préfěre procéder par implicitation. Comparez : Je froissai les télégrammes. (Mauriac) Clare crumpled up the paper. (Th. Hardy) STYLISTIQUE COMPARÉE 81 Une phrase aussi usuelle que : I crumpled it up and threw it away, sera traduite en frangais sans que soit explicitée la difference entre le perfectif et ľimperfectif : Je le froissai et je le jetai. Celui qui traduit du frangais en anglais doit done s'assurer qu'il rend suffisamment explicite ce que le frangais sous-entend. La langue usuelle fournit de nombreux exemples : souffler une boueie vendre (tout ce qu'on a) fondre Targenterie raboter une porte On ľa garde, donnef un livre s'écailler s'outiller to blow out a candle to sell out to melt down the silver to plane a door down He was kept on. to give away a book to peel off to tool up L'anglais peut ainsi marquer la difference entre Elle a déchiré sa robe. : She tore her dress. Elle a déchiré la lettre. : She tore up the letter. Elle a déchiré (arraché) une page de son carnet. : She tore out a page of her notebook. Quelquefois Tadjectif remplace la particule. to wipe a knife clean : bien essuyer un couteau He wiped the muddy roots clean in the current. (Hemingway) : II lava soigneusement dans le courant les racines pleines de boue. He pushed the door open. : II poussa la porte. II arrive aussi que la particule remplace le complement nominal du verbe. He fell in. : II est tombé ä Teau. to light up : allumer les lampes (ou Ies cigarettes) to saddle up : seller les chevaux to wash up : faire la vaisselle to fold up : plier bagages to lock up : fermer la maison Notre participe passé marque souvent l'aspect perfectif pai rapport á ľadjectif de méme famille. Nous opposons ainsi "jaune" ä "jauni", "doux" ä "adouci", "long" á "allonge". Sauf quand ce dont il s'agit a été effectivement allonge, adouci, etc. ľadjectif suffit en anglais. II faut done s'attendre k ce qu'il se traduise parfois par un participe passé (Voir le Texte 5). 82 STYLISTIQUĽ COMPARES § 65. 8) Ľaspect collecřif est ä ľespace ce que ľaspect ítératif est au temps. II peut s'exprimer en anglais au moyen ďun suffixe'. "tiling : le carrelage", "the brasswork (ou "brightwork") : les cuivres d'un bateau", "the paintwork : les peintures , "the stonework : la maconnerie". On voit que le francais utilise tantôt un suffixe, tantôt le pluriel. Dans I'une et l'autre langue ľaspect peut étre implicite et tenir au sens du mot. Ex. : "massacre : slaughter". En anglais le vocabulaire zoologique et surtout cynégétique abonde en termes de ce genre, dont la plupart sont sans equivalents en francais. un vol de canards sauvages : a flight of wild duck une compagnie de perdrix : a covey of partridges un essaim d'abeilles : a swarm of bees un couple de lapins : a brace of rabbits Certains sont d'ailleurs fantaisistes. (Voir Eric Partridge, Usage and Abusage, á ľarticle "Sports"). § 66. 9) Ľaspect- statique caractérise les verbes de mouvement quand ils prennent un sens oú le mouvement est figé. Ex.: "Cette montagne s'élčve á 2.000 metres". Ľanglais fournit ici un equivalent exact : "This mountain rises to 6,000 feet". Mais dans : "Le paysage disparaissait derriěre la brume", "disparaissait", verbe d'action ä aspect statique, ne trouve pas son vis-a-vis en "disappear" qui reste dynamique. On dira done : "The landscape was veiled in mist". Nous touchons ici ä ľaspect grammatical, car "disparaitre" reprendrait ľaspect dynamique au passé simple. Dans une langue qui comme le francais pratique la subjectivation (187) et anime ľinanimé (188), beaucoup de verbes d'action s'em-ploient au figure et ont de ce fait ľaspect statique. § 67. 10) Ľaspect vectoriel est celui des mots ayant une orientation déterminče, ä l'encontre des mots ambivalents qui comportent une double orientation. Ainsi, "höre" et "louer" sont ambivalents, mais "host" et "guest" sont vectoriels ; "rent" est ambivalent comme "louer", mais "hire" est vectoriel, au sens de "prendre en location", ä moins qu'il ne soit suivi de "out". Autres exemples : ambivalents vectoriels to pass (dans le merne sens) : dépasser. doubler to pass (en sens contraire) : croiser STYLIST1QUE COMPARÉB 83 to climb (up) to climb (down) to be in charge of (in command) gnmper dégringoler avoir la garde de, le commandement de étre confié ä half way up half way down a while back presently last night to-night to be in charge of (in the care of) ä mi-pente (en montant) á mi-pente (en descendant) tout ä ľheure (passé) tout á ľheure (ä venir) cette nuit (passée) cette nuit (ä venir) "To go up to Oxford" (pour un étudiant d'Oxford), "to go down to Oxford" (pour un Londonien) sont des expressions vectorielles. Nous rejoignons ici la distinction entre mots signes et mots images. "Ici", en francais, n'est pas vectoriel, e'est un absolu et un mot signe. En anglais "here" devient vectoriel quand il s'adjoint des particules telies que "up", "down", "out", "in", "over", "back", qui le polaris-sent et ľopposent chaque fois ä un lieu particulier. En méme temps et comme nous l'avons vu (43) "out here" fait davantage image que "ici". Certains mots, sans changer de sens, changent d'orientation suivant les pays et suivant les époques. Ex. : "continent" : aux Etats-Unis, tantôt "ľAmérique", tantôt "l'Europe". "réactionnaire" : homme d'extréme droite en France, d'extréme gauche au Canada "tricolore", pour un Francais, est limite aux couleurs du drapeau national Logiquement, "grade" devrait s'appliquer á quiconque a un grade ; en fait il est synonyme de "sous-officier". Historiquement, "succés", "chance" ont été jadis ambivalents, ils sont aujourd'hui i vectoriels. "Tiede" et "frais", appliques au temps, sont vectoriels. Ils peuvent correspondre au mčme degré de temperature, mais, ä temperature égale, on parlera d'une journée tiěde en hiver et fraíche en été. C. ASPECTS AFFECTIFS § 68. 1) Aspect intensif ou augmentatif. Relévent de cette catégorie les mots qui représentent une action, une chose ou une qnalité portées ä un haut degré d'intensité. II y a de la force dans "to swing", "to swerve", et de la violence dans 84 STVLISTIQUE COMPARÉE "to hurl", "to slash", "to crash", "to smash", "to dash". Si le mot de force égale n'existe pas en francais il ne faut pas hésiter ä ajouter l'adjectif ou la locution adverbiale nécessaire. Cest ainsi que "to sprawl", superlatif de "to spread", demandera, ä ľoccasion, ä étre rendu par "s'étaler" plutôt que par "s'étendre", et parfois méme, par "s'étaler largement". Nous voyons done que la notion de superlatif ■—■ ou d'intensif — n'est pas liée uniquement aux formes grammaticales. Le lexique a lui aussi ses superlatifs et il est normal d'en faire etat dans une etude de ce genre, puisque aussi bien e'est le sens et non la forme qui est le facteur determinant. Dans le méme rapport que "sprawl" et "spread" peuvent se placer quantité de mots, dont, ä titre d'exemples: 'icy" (glacial) et "cold" "broiling" (brülant) et "hot" 'to shatter" (fracasser, détruire) et "break" 'filthy" (d'une saleté repoussante) et "dirty" "ravenous" (qui a une faim de loup) et "hungry". Ľintensité est également obtenue en renforcant le "positif" au moyen d'un adjectif ou d'un adverbe, ce qui donne les locutions ď intensitě qui figurent pármi les unites de traduction, spotlessly clean : d'une propreté immaculée brand new : flambant neuf to watch closely : surveiller de pres an unswerving loyalty : une fidélité ä toute épreuve broiling hoct: bouillant (p. ex. pour le café) piping hot : trés chaud (sortant du four) § 69. 2) Aspect atténuatif ou diminutif. II s'oppose au precedent. II peut étre soit explicite au moyen d'un suffixe, soit étre implicite dans le sens du mot. Ex. : "to trim", forme atténuée de "to slash" to tug : tirailler" ou "tirer doucement" maigriot, maigrichon : small and skinny" 'brunette", qui a l'aspect diminutif en francais, mais non en inglais (cf. "a tall brunette : une grande brune"). § 70. 3) aspect desinvoite Ex. : "to pick up : ramasser négligemment" (ou du moins "sans peine"), et son contraire "to toss : jeter négligemment" STYLISTÍQUE COMPARÉE 85 ("The remark he tossed off the other day : Ce qu'il a dit l'autre jour sans avoir l'air de rien") ; — "to lounge : avoir une attitude nonchalante" ("...lounging against the doorframe, with both hands in his pockets... : appuyé nonchalamment au chambranle, les deux mains dans les poches...") ; — "to flick" ("at the flick of a switch : il suffit de tourner un bouton") ; — "to nibble : manger du bout des lěvres" ; — "to saunter : fläner" ("He came sauntering into the office : II arriva tranquille-ment au bureau") ; — "to glance through : feuilleter" ; — "to scribble, to scrawl : griffonner". § 71. 4) aspect perfectionnistc Ex. : "II aime fignoler : He is a bit finicky". He likes the extra finishing touch", "un style trés travaillé : a carefully wrought style" "déguster : to eat with relish" "siroter : to sip" § 72. 5) ospect honorifique Nous touchons ici ä la métalinguistique, car les distinctions honorifiques relěvent des usages. La traduction littérale est le plus souvent exclue. "Monsieur le Directeur" devient simplement "Sir", "Madame votre mere", "your mother", ou "Mrs. Smith", ou méme "Lady Smith". "Madame est servie" ne peut étre rendu que par "Dinner is served". L'anglais ne dispose ni du tutoiement ni de la troisiéme personne employee pour la deuxiéme. Le traducteur devra done procéder par compensation, employer par exemple le prénom comme equivalent du tutoiement, mais en tenant compte de ce que ľemploi du prénom est plus generalise dans les pays anglo-saxons, surtout en Amérique, que le tutoiement ne l'est en France (172). La note familiěre ou formaliste devra done étre rétablie autrement, en fonction du contexte. § 73. Des exemples qui precedent ont peut conclure que l'aspect est une realite lexicale et qu'il intervient dans la traduction. II faut done l'identifier, qu'il soit implicite comme dans "dormir" (duratif) 86 STYLISTIQUE COMPARÉF ou explicite comme dans "toussoter" (itératif et diminutif), puis essayer de le rendre en ay ant recours ä l'un des trois moyens suivants : 1. par un mot simple dont le sens implique l'aspect en question, ex. : "to crash : s'écraser" 2. par une locution ou périphrase qui explicite l'aspect. ex. : "to sprawl : s'étaler largement" 3. par compensation, en rétablissant la nuance sur un autre point du texte. STYLISTIQUE COMPARES 87 CHAPITRE IV LEX1QUE ET MEMOIRE A. — ASSOCIATIONS MÉMORIELLES § 74. Point n'est besoin ďune grande experience de la traduction pour savoir que les mots doivent y étre considérés non seulement individuellement, mais encore, et surtout, dans leurs associations. Celles-ci sont de deux sortes : les associations syntagmatiques et les associations mémorielles. Les premieres groupent les mots en syntagmes dans la chaine du discours, les secondes les associent dans la memoire, en dehors du contexte. Les associations syntagmatiques relevent surtout de la syntaxe. II en a été question á propos des unites de traduction (20-26) et nous en reparlerons ä ľagencement (140-144) et au découpage (App. 2). Nous nous bornerons done ici ä considérer les associations mémorielles qui mettent en jeu les elements du lexique en dehors de ľagencement. On sait comment un mot, une expression, évoquent un synonyme ou un antonyme. A côté de ces categories bien connues nous voudrions en établir une troisiěme, celle des termes paralleles. Une série de termes paralleles est formée de mots qui ne sont ni synonymes ni antonymes, mais qui ont ceci de commun qu'ilá représentent les aspects particuliers ďune idée ou d'une chose generale. La série parallele appelle un terme générique qui la coiffe. Les mots qui la composent sont sur le méme plan ; ils ne forment jamais une gradation du type "froid", "frais", "tiěde", "chaud". En 1914, ľaéronautique était du méme ordre que ľartillerie, ľinfan-terie, le génie, la cavalerie. Promue au rang ďaviation, eile devient parallele ä armée de terre et ä marine. Le terme générique dont eile reléve n'est plus ľarmée de terre, mais les forces armées. On voit ľutilité que présente cette notion pour ľétude du voca-bulaire. Mais eile n'est pas sans intérét pour le traducteur parce quelle crée un contexte mémoriel permettant ďidentifier le sens auquel on a affaire. Ľaméricain emploie "swim" lá oú nous disons soit "nager" soit "se baigner". Quand "swim" est parallele ä "walk, 8(5 STYUSTIQUE COMPARÉF ou explicite comme dans "toussoter" (itératif et diminutif), puis essayer de le rendre en ayant recours ä Fun des trois moyens suivants: 1. par un mot simple dont le sens implique l'aspect en question, ex.: "to crash : s'écraser" 2. par une locution ou périphrase qui explicite l'aspect. ex. : "to sprawl : s'étaler largement" 3. par compensation, en rétablissant la nuance sur un autre point du texte. .STYUSTIQUE COMPAREE 87 CHAPITRE IV LEX1QUE ET MEMOIRE A. — ASSOCIATIONS MÉMORIELLES § 74. Point n'est besoin ďune grande experience de la traduction pour savoir que les mots doivent y étre considérés non seulement individuellement, mais encore, et surtout, dans leurs associations. Celles-ci sont de deux sortes : les associations syntagmatiques et les associations mémorielles. Les premieres groupent les mots en syntagmes dans la chaine du discours, les secondes les associent dans la memoire, en dehors du contexte. Les associations syntagmatiques relevent surtout de la syntaxe. II en a été question ä propos des unites de traduction (20-26) et nous en reparlerons ä ľagencement (140-144) et au découpage (App. 2). Nous nous bornerons done ici ä considérer les associations mémorielles qui mettent en jeu les elements du lexique en dehors de ľagencement. On sait comment un mot, une expression, évoquent un synonyme ou un antonyme. A côté de ces categories bien connues nous voudrions en établir une troisiěme, Celle des termes paralleles. Une série de termes paralleles est formée de mots qui ne sont ni synonymes ni antonymes, mais qui ont ceci de commun qu'ils représentent les aspects particuliers ďune idée ou d'une chose generale. La série parallele appelle un terme générique qui la coiffe. Les mots qui la composent sont sur le méme plan ; ils ne forment jamais une gradation du type "froid", "frais", "tiěde", "chaud". En 1914, ľaéronautique était du méme ordre que ľartillerie, ľinfan-terie, le génie, la cavalerie. Promue au rang d'aviation, eile devient parallele á armée de terre et ä marine. Le terme générique dont eile relěve n'est plus ľarmée de terre, mais les forces armées. On voit ľutilité que présente cette notion pour ľétude du voca-bulaire. Mais eile n'est pas sans intérét pour le traducteur parce qu'elle crée un contexte mémoriel permettant ďidentifier le sens auquel on a affaire. Ľaméricain emploie "swim" lá oú nous disons soit "nager" soit "se baigner". Quand "swim" est parallele ä "walk, 88 STYLISTIQUĽ COMPARÉE run, jump", etc. il se traduit par "nager". Quand il est parallele ä "go for a walk, read, play tennis", (série de distractions et non d'exercices physiques) il se traduit par "se baigner". Dans ce cas il apparait souvent sous la forme "to go swimming". De méme "taken orally", en parlant d'un medicament, s'oppose ä "taken by injection"; la traduction qui s'impose est "par voie buccale" On voit que les associations mémorielles peuvent rendre le méme service que le contexte. B. — MODULATION LEXICALE § 75. Rappelons que la modulation est le terme que nous propo-sons (37) pour designer un certain nombre de variations qui devien-nent nécessaires quand le passage de LD á LA ne peut se faire directement. Nous avons montré que ces variations tiennent ä un changement de point de vue. Tandis que la transposition opere sur les espěces grammaticales, la modulation s'exerce sur les categories de la pensée. Les anciennes figures de rhétorique, métonymie et synecdoque, sont des modulations unilingues. On est amené ä en effectuer de semblables d'une langue ä l'autre. Les exemples cités au § 76 sont des exemples de modulation lexicale. Ils montrent bien que celle-ci représente la méme réalité sous un jour different. De méme "pompier" et "bateau-pompe" ont ďabord évoqué un moyen de combattre ľincendie ; leurs equivalents anglais "fireman" et "fire-boat" dérivent de la chose ä combattre, mais le résultat est le méme, et ä part de légers details techniques "fireman" et "pompier", "fire-boat" et "bateau-pompe" évoquent la méme image. Ces modulations, et celieš qui vont suivre, sont figées. Elles sont consignees dans les dictionnaires. Mais le procédé qui les a créées est ä la disposition du traducteur qui peut ľutiliser pour tour-ner une difficulté. On a alors affaire ä une modulation de la parole qui, si eile se révěle utile, peut passer dans la langue. Au moment du blocus de Berlin en 1948, ľidée exprimée par le mot "airlift" a trouvé son signifiant frangais dans ľexpression "pont aérien" qui illustre le passage caractéristique du dynamique au statique et du mot concret ä la métaphore. Cest la une modulation libre, mais dans la mesure oú ľoccasion de l'employer se répéterait, eile se figerait et passerait dans le lexique. II en est de méme de ces autres expressions de la guerre froide dont la traduction est plutot calquée STY LISTI QU Ľ COMPARED 89 que modulée : "containment : endiguement" et "roll-back : refou-lement". Une modulation peut se définir par ses termes, c'est-a-dire par les points de vue qu'elle oppose. Ramenées ä un certain niveau d'abstraction, ces differences ďéclairage fournissent un principe de classement dont on trouvera ľapplication ä propos des exemples donnés ci-dessous, sans qu'il soit toujours possible de faire une distinction absolue entre la modulation du lexique et celle de la syntaxe (216 sq.). § 76. Exemples de modulation Nous laissons de côté comme relevant de la syntaxe une modulation trěs courante qui consiste ä moduler par la negation du contraire. 1. ľ ab str ait et le concret: le dernier étage : the top floor un film en exclusivité : a first-run movie jusqu'ä une heure avancée de la nuit : until the small hours of the morning 2. cause et ej j et: the sequestered pool : ľétang mystérieux a stubborn soil : un sol ingrat baffles analysis : échappe ä ľanalyse 3. moyen et résultat : tooled leather : cuir repousse firewood : bois de chauffage firing party : peloton ďexécution vacuum bottle : bouteille isolante 4. la partie pour le tout : livre de classe : school book envoyer un mot : send a line to wash one's hair : se laver la téte sawdust Caesar : César de carnaval 5. une partie pour tme autre : the keyhole : le trou de la serrure offhand : au pied levé 6. renversement du point de vue : entered the highway : déboucha sur la route a retaining wall : un mur de soutěnement draft beer : de la biěre sous pression folder : dépliant 90 STYLISTIQUE COMPARÉE 7. int ervalles et limites (ou durée et date, distance et destination): three flights of stairs : trois étages How long? : Depuis quand ? 8. modulation sensorielle: a) couleur goldfish : poissons rouges b) son et mouvement the rattle of a cab : le roulement d'un fiacre rattled his sabre : agita son sabre c) toucher et poids the intangibles : les imponderables 9. forme, aspect, usage : a high chair : une chaise d'enfant a box car : un wagon couvert papier peint : wall paper 10. modulation géographique: lanterne vénitienne : Chinese lantern (Br.) Japanese lantern (U.S.) porcelaine de Saxe : Dresden china encre de Chine : India ink 11. changement de comparaison ou de symbole; saut de mouton : cloverleaf intersection dune autre trempe : of another calibre sous-fifre : second fiddle fond de tiroir : bottom of the barrel de la premiere page ä la derniěre : from cover to cover ďune mer ä ľ autre : from coast to coast white as a sheet : pale comme un linge L'analyse et le classement des exemples ci-dessus donne une idée de la diversité du procédé. Cest que la modulation utilise essen-tiellement les associations des mots et celles-ci peuvent étre trěs nombreuses. Elles forment autour de chaque mot un champ asso-ciatif que le traducteur a intérét ä explorer car il y trouvera de nouvelles modulations qui lui permettront de tourner la difficulté Lorsque la traduction directe se refusera ä lui.