Marie NDIAYE- En famille (1990) Question : Quels sont les sentiments principaux qu'éprouve Fanny ? (les deux extraits suivants) Quand eile arriva devant la maison de ľaieule, au bout du village, les deux chiens qu'elle avait bien souvent caresses autrefois, maintenant si vieux qu'ils n'y voyaient plus, trouvěrent assez de forces pour se Jeter rageusement contre la grille, et ils aboyaient, děs qu'elle faisait mine de passer son visage entre les barreaux, avec une violence qu'elle ne leur avait jamais connue. Elle les appela doucement par leur nom. Leur fureur redoubla. Posant sa valise, eile se hissa sur une grosse pierre ä une extremitě de la grille et, certaine alors que les chiens ne l'atteindraient pas, eile engagea le buste entier entre deux barreaux, criant vers la maison qu'on vint lui ouvrir. Et eile était chagrinée que les chiens ne ľeussent pas reconnue, voyait la le signe ďun grave manquement de sa part. Un de ses oncles parut sur le seuil. "Que fait—il chez ľaieule aujourďhui" se demanda—t—eile avec un petit rire, car ľoncle avait perdu beaucoup de cheveux. II lui semblait, pourtant, que sa derniěre visitě ä la famille était assez récente pour que ľoncle fůt reste le méme et que les chiens eussent garde souvenir ďelle. Ľoncle ä demi chauve tenait un verre ä la main et de ľautre, un friand qu'il croquait sans se soucier des miettes. "Voyons, Georges, c'est moi, ta niěce!" dit—eile en souriant. Et eile tendait les bras vers lui malgré la douleur que lui causaient les barreaux au moindre mouvement. Elle respirait d'ailleurs avec la difficulté, mais pouvait rester derriěre la grille comme une étrangěre humilié des chiens? Elle n'avait, ä sa connaissance, jamais fait tort ä la famille et s'était toujours occupée des deux chiens avec sollicitude, lors de ses brefs séjours chez ľaieule. Mais, qu'on lui en voulut pour une raison qu'elle ignorait, voilä qui était probable, voilä devant quoi il faillait s'incliner. Ľoncle fronca les sourcils, tout en la dévisageant d'un air indifferent. II ne fit pas un geste vers eile, mais avala une derniěre bouchée, fmit son verre, puis haussa les épaules et rentra lentement chez ľaieule, la porte claqua. Ľoncle Georges lui avait offert autrefois une poupée aux longs cheveux qu'elle avait encore ! Elle songea que le bruit se répandait vite que George lui avait laissée dehors, ce dont toute la famille lui ferait honte jusqu'ä la fin de ses jours. (p. 7-9) — Dis —moi, Lucette, connais—tu Georges R. qui était la tout ä l'heure? — Georges ? Oui, c'est un habitue, bien sůr, il vend des savonnettes, dit Lucette haussant les épaules. — C'est mon oncle ! s'écria Fanny avec espoir. — Ton oncle ? Ah ! Lucette eut un grand rire méprisant, sans que Fanny sut deviner si son dédain s'adressait ä la personne de ľoncle Georges ou si, simplement, eile ne pouvait croire que Fanny dit la vérité. Elle chassa les clients d'un geste, puis eile s'accroupit pour chuchoter : — Comment, toi, peux—tu avoir pour oncle cet homme-la ? Je n'en crois rien! — C'est pourtant vrai, dit Fanny sur un ton de défi. — En tout cas il m'a souvent parlé de sa famille mais de toi, jamais. — C'est que j'ai maintenant un nouveau prénom, répondu Fanny ennuyée, et, voyant la méfiance assombrir le large visage de Lucette, eile se tut, et baissa les yeux. Lucette fit « hum », indécise. Elle ajouta comme machinalement, avant de se relever : Ce Georges est bien de chez nous. (p. 85-86) Marie NDIAYE, En famille, Paris, Minuit, 1990. Question : A l'aide de deux extraits suivants, essayez de caractériser le personnage principal. Est-ce qu'elle ressemble á un autre personnage ? Pourquoi ? Elle se détourna de l'affiche, manqua buter alors contre le grand chien jaune du soupirail, qui se dressait la sur ses pattes pelées, grondant. II avait surgi sans quelle l'entendit, eile poussa un petit cri de frayeur et s'en alia rapidement en tirant bas sur son front le capuchon de impermeable. Le crépitement de la pluie ľempéchait de percevoir tout autre bruit. Fanny jeta derriěre eile un ceil a épeuré : le chien la suivait sans souci du mauvais temps, balancant ses flancs maigres. II était si laid, soudain, que Fanny en acquit de ľassurance. Elle s'arréta, le laissa approcher. Elle lui donna un violent coup de pied sous la mächoire, songeant : Mais un autre finira bien par le venger!, le renversa ďune poussée, sourde ä ses glapissements. Le chien lui paraissait maintenant bien vieux et bien use. Avait—il réellement voulu la menacer ou s'était—eile méprise ? II aurait fait, peut—ětre, un compagnon sůr et plus fiable qu'Eugene, qui avait nourri toutes sortes d'arriere— pensées. Elle acheva le chien d'un coup de talon en plein ventre, épuisée de tout ce quelle avait du lui assener déjä, puis du bout de son pied fit glisser le cadavre tout pesant de pluie du trottoir dans le caniveau... (p. 88-89) Redressant la téte, comme eile le faisait pour se reposer une ou deux fois par heure, Fanny apercut soudain qui pénétrait dans la salle, se dirigeait vers les caisses, Tante Colette en manteau de fourrures sous lequel scintillait par intermittentes quand s'entrouvraient les deux pans, l'improbable bleu de la robe des jours de féte de Tante Colette. Elle lächa petit pain, tomate et oignon malgré les protestations étonnées de ses collěgues, et entreprit de contourner le long comptoir, qui semblait n'avoir pas de bout. Elle ne quittait pas des yeux Tante Colette. Ne voilä —t—il pas que sa tante commandait un hamburger, une main serrant le haut de son manteau en un geste que Fanny ne lui avait jamais vu, une expression ďimpatience cependant bien connue de Fanny sur son visage charnu, mécontent ? Mais Fanny n'avancait pas quoique courant. Toujours quelque obstacle survenait afin de la ralentir : un groupe ďemployés lui barrait le chemin en maniere, de plaisanterie, sa calotte tombait, se glissät sous son pied, quant au comptoir il n'en fmissait pas de s'étendre, et Tante Colette devenait de plus en plus petite et s'éloignait ä chaque pas ! Bientôt Fanny ne la vit plus. Lorsqu'elle fut enfin de ľ autre côté, Tante Colette avait disparu, ayant sans doute empörte son repas car Fanny ne la trouva assise devant aucune table. Désespérée, eile revint lentement ä son poste. Son escapade lui valut d'etre effacée de ľardoise et une dure remontrance. Mais comment expliquer qu'ä chaque fois, maintenant, que Fanny releva la téte, eile vit entrer, pour sortir presque aussitôt, Tante Colette dans le merne vétement, passant si rapidement que Fanny n avait plus seulement le temps de s'élancer et, toujours, semblant chagrine, contrariée, comme fächée de devoir se faire voir en un tel endroit mais ne pouvant ľempécher ? Et, en dépit de ses continuelles apparitions dans la salle du fast-food, Tante Colette jamais ne se montra dans l'appartement de la mere de Fanny, non plus que cette derniěre du reste. (p. 137-138) Question : Quels mouvements/ tendances/ auteurs vous rappelle cet extrait? II se produisit alors cette singuliěre circonstance : quelqu'un, la fiancee peut—ětre, jeta ce cri : Voilä! Leda, et Eugene! Et ľon vit Fanny bondir hors la niche sous ľescalier, rouler sur le carrelage, un peu de bavé aux lěvres, les yeux ä demi clos. Un grand chien vigoureux que tenait Eugene échappa ä sa poigne. II s'élanca sur Fanny en aboyant si fort que chacun recula de frayeur. H la saisit ä la gorge et entreprit de la dépecer. De gros morceaux de chair qu'il arrachait étaient recrachés tout aussitôt, comme s'il eůt voulu la goůter entiěre avant de se decider ä ľavaler. II grondait, defendant qu'on approchät. Personne ne bougeait. Eugene, consterne, tirait ses rouflaquettes, rouge de honte. Le chien avait ses quatre pattes sur la poitrine de Fanny, le cou déjä se trouvait presque tranche. Fanny n'avait fait entendre qu'un Marie NDIAYE, Enfamille, Paris, Minuit, 1990. léger, trěs léger couinement I Maintenant, il fouissait le poitrail, ä la recherche du cceur. II se lassa soudain et revint docilement ä Eugene en frétillant de la queue. Alors Tante Colette retrouva sa vivacité d'esprit, eile enveloppa sans dégoůt (comme eile vidait les lapins, nettoyait les tétes de veau) ce qu'il demeurait de Fanny dans un vieux drap et s'en alia Jeter le tout sur le tas de fournier, au fond du jardin. Tante Clémence lessiva le carreau. La mere de Fanny s'occupait de servir ľapéritif, non sans entrain. Eugene descendit attacher son chien dans la cour, et les conversations reprenaient, portant sur ce qu'on buvait qui pourtant ne changeait jamais : un anis pour les hommes, pour les femmes un petit vin cuit. A../ Brusquement, Georges fit son apparition, son beau visage transplant, un peu hagard: Ou est Fanny ? demanda—t—il ä Tante Colette. Tante Colette eut quelque peine ä se remettre Georges. Quand eile ľeut reconnu, eile sourit froidement: Au jardin, dit—eile, sur les ordures. Mais les poules, déjä, avaient englouti tout ce que le chien avait laissé de Fanny, et Georges, ne trouvant que quelques os grattés, quelques cheveux sanglants, pensa qu'on s'était moqué de lui et qu'il s'était mépris en prenant ä la lettre la réponse de Tante Colette. (p. 149-150) Marie NDIAYE, En famílie, Paris, Minuit, 1990.