Georges PEREC (1936-1982) Georges PEREC, La disparition, Gallimard, Ľimaginaire, Paris, 1969 LA DISPARITION Le travail de ľécrivain ou ľécriture sous contrainte Le lipogramme consiste composer des textes en s'interdisant ľemploi ďune ou plusieurs lettres. La Disparition de Georges Perec est un roman entirement écrit sans la lettre e . Dans le passage qui suit, le héros de ľhistoire, Anton Voyl, souffre ďinsomnies. Un voisin compatissant ľaccompagna la consultation ľhôpital Cochin. Il donna son nom, son rang ďimmatriculation ľAssociation du travail. On ľinvita subir auscultation, palpation, puis radio. Il fut ďaccord. On ľinforma : souffrait ­ il ? Plus ou moins, dit ­ il. Qu'avait ­ il ? Il n'arrivait pas dormir ? Avait ­ il pris un sirop ? Un cordial ? Oui, il avait, mais ça n'avait pas agi. Avait ­ il parfois mal ľiris ? Plutôt pas. Au palais ? Ca pouvait ; Au front ? Oui. Aux conduits auditifs? Non, mais il y avait, la nuit, un bourdon qui bourdonnait. On voulut savoir : un bourdon ou un faux - bourdon ? Il ľignorait. Il fut bon pour ľoto-rhino, un gars jovial , au poil ras, aux longs favoris roux , portant lorgnons, papillon gris pois blancs, fumant un cigarillo qui puait ľalcool. Ľoto-thino prit son pouls, ľausculta, introduisit un miroir rond sous son palais, tripota son pavillon, farfouilla son tympan, malaxa son larynx, son naso ­ pharynx, son sinus droit, sa cloison. Ľoto-rhino faisait du bon travail, mais il sifflotait durant ľauscultation ; ça finit par aigrir Anton. * * * Il y avait au mur un rayon ďacajou qui supportait vingt-six in-folios. Ou plutôt, il aurait d y avoir vingt-six in-folios, mais il manquait, toujours, ľin-folio qui offrait (qui aurait d offrir) sur son dos ľinscription "CINQ". Pourtant, tout avait ľair normal: il n'y avait pas ďindication qui signalât la disparition ďun in-folio (un carton, "a ghost" ainsi qu'on dit la National Library); il paraissait n'y avoir aucun blanc, aucun trou vacant. Il y avait plus troublant: la disposition du total ignorait (ou pis: masquait, dissimulait) ľomission: il fallait la parcourir jusqu'au bout pour savoir, la soustraction aidant (vingt-cinq dos portant subscription du "UN" au "VINGT-SIX", soit vingt-six moins vingt-cinq font un), qu'il manquait un infolio; il fallait un long calcul pour voir qu'il s'agissait du "CINQ". Mais, plus tard, quand nous aurons compris la loi qui guida la composition du discours, nous irons admirant qu'usant ďun corpus aussi amoindri, ďun vocabulariat aussi soumis la scission, ľomission, ľimparfait, la scription ait pu s'accomplir jusqu'au bout. Puis, la fin, nous saisirions pourquoi tout fut bâti partir ďun carcan si dur, ďun canon si tyrannisant. Tout naquit ďun souhait fou, ďun souhait nul: assouvir jusqu'au bout la fascination du cri vain, sortir du parcours rassurant du mot trop subit, trop confiant, trop commun, n'offrir au signifiant qu'un goulot, qu'un boyau, qu'un chas, si aminci, si fin, si aigu qu'on y voit aussitôt sa justification. Georges PEREC, La disparition, Gallimard, Ľimaginaire, Paris, 1969 Questions pour préparer le commentaire : 1) Quels commentaires le nom du héros appelle t-il ? 2) Ľabsence de voyelle est entraîne t-elle une forme ďincompréhension ou ďobscurité ? 3) Repérez les différents procédés stylistiques et mesurez leur effet comique et humoristique ? 4) Sur le plan imaginaire, quoi aboutit ce travail sur les contraintes ?