D comme décrire ou prescrire par Marc Wilmet Mine de rien, nos deux paronymes - décrire, prescrire -sont lourds de passé et ďavenir. On en jugera. Dans ľimmédiat, ils forment la source oů s'alimentent les acti-vitěs divergentes des linguistes (les descripteurs) et des grammairiens (les prescripteurs), que le grand public francophone, il est vrai, tend ä confondre. Pour quelle raison ? Reprenons les choses de loin et de haut. Les langues sont des produits sociaux distinguant ľespéce humaine parmi les autres espěces animales (car, bien entendu, l'homme n'est qu'un animal, un mammifere supcrieur, simplement muni d'un plus gros cerveau que les chimpanzés). D'outil de communication, le langage devient objet ď etude philosophico-logique en Grěce, au vcsiěcle avant Jésus-Christ: Platon, puis Aristote, les stoi-ciens... Les sophistes s'intéressent ä ses pouvoirs rhéto-riques. Deux cents ans encore, et les « Alexandrins » - des lettrés vivant ä Alexandrie et ä Pergame - concoivent ľidée d'une norme langagiěre. Ils se divisent bientôt en analogistes, imitateurs des moděles anciens, et en anoma-listes, ouverts ä revolution ; bref, des conservateurs et des progressistes. Ces clivages issus de l'Antiquité - le courant objectif de 52 LE FRANCAIS DANS TOUŠ SES ETATS la grammaire-science, le courant subjectif de la gram-maire-code - se répercutent ä ľépoque moderne. Premier courant La grammaire scientifique chemine des Grecs aux Latins et aux « modistes » médiévaux (ainsi baptises du nom de leurs traités De modis significandi, «Les maniěres de signifier ») pour donner en France la « grammaire generale » de Port-Royal (1660), de l'Encyclopédie (Dumar-sais, Beauzée...) et des Ideologues (Destutt de Tracy...). S'ajoutent, au xixesiecle, la «grammaire historique», la « grammaire comparée », nées en Allemagne, et, aujour-ďhui, les grammaires « distributionnelle », « generative », «transformationnelle », « relationnelle », « casuelle »..., ď inspiration nord-américaine. Voilä les occupations grammaticales que dans les pays de langue francaise on a pris l'habitude de coiffer du nom de «linguistique » afin ďéviter toute ambigíiité. Cest que la veine normative y avait progressivement acquis au titre de «grammaire » une visibilité partout ailleurs inconnue. Second courant Le flux longtemps perdu de la grammaire esthétisante ressurgit, au xvncsiecle, en la personne de Claude Fabre de Vaugelas, ľoracle des Précieux et des Précieuses (on se rappelle la pauvre servantě Martine des Femmes savantes, congédiée parce qu'elle «offense la grammaire» et « manque ä parier Vaugelas »), que les trés impression-nistes Remarques sur la langue frangaise (1647) installent en thuriféraire d'un « bon usage » aristocratique,«la f agon de parier de la plus saine partie de la Cour, conformément ä la f aeon ďécrire de la plus saine partie des auteurs... ». DÉCRIRE OU PRESCRIRE 53 Le pli élitiste du francais était pris. Au fil du temps, le « bon usage » va certes s'embourgeoiser, jamais se popularises Maurice Grevisse, parfois taxe de «Vaugelas du xxesiěcle», donne en exemple la pratique des « bons » écrivains (quitte ä sélectionner - admirez le cercle vicieux - le « bon » écrivain en vertu de sa capacité ä respecter le « bon » usage !). Georges et Robert Le Bidois poussent le dé jusqu'ä déplorer certaines « fautes » de Corneille ou de Moliěre, « grand écrivain, toujours un peu presse » (sie). Deux puissants renforts acheveront d'assoir la prescription-proscription au detriment de la description pure. Primo, ľ Academie francaise. Créée ä ľ initiative de Richelieu (le 22 février 1634), rétablie sous Louis XVIII (le lOjuillet 1816), primitivement chargée de « rendre la langue pure, eloquente et capable de traiter les arts et les sciences », eile finit par s'oetroyer le droit inou'f de légi-férer en matiěre d'usage, pretention bien plus fondée sur la crédulité des administrés potentiels que sur son mode de recrutement (une election ä forte couleur de parisianisme) et le professionnalisme approximatif de ses membres (le dernier linguiste ä siéger entre les écrivains, les historiens, les diplomates, les militaires, etc., fut Gaston Paris, mort { en 1903). En tout etat de cause, ľétat-major du Quai Conti rallie ä son panache vert la plus forte concentration qui soit de tirailleurs puristes, de chroniqueurs mondains, ď« amateurs de beau langage » pusillanimes et de « gendarmes des lettres » (les expressions sont de Proust), toujours prěts a chicaner un mot, une tournure, un trait d'union, une apostrophe ou une virgule. Secundo, la grammaire scolaire. Le premier manuel date de 1780. II est l'oeuvre de Charles-Francois Lhomond, dit «le bon Lhomond », regent de sixiéme au college Car-dinal-Lemoine, auteur, parallělement, du De viris illus-tribus et d'une Doctrine chrétienne. Quand la République instaurera ľécole «lai'que et obligatoire », la grammaire continuera tout naturellement ä s'enseigner sur le mode du catéchisme (par questions et réponses stéréotypées, en 54 LE FRANCAIS DANS TOUŠ SES ÉTATS exercant la memoire plutôt que le raisonnement). D'autant que les instituteurs la mettent au service ďune nouvelle divinité : ľorthographe. La reflexion grammaticale s'in-féode ä la « syntaxe ď accord » et invente un cortege de functions ad hoc: le «sujet», nécessaire ä ľ accord du verbe ; le « complement ďobjet direct», utile ä ľaccord du participe passé, et son repoussoir inutile, le « complement ď objet indirect» ; les « complements circonstancicls » (pour lcs dissocier, s'ils sont directs, des complements ď objet), ľ« attribut» (une sorte de complement d'objet direct du verbe étre qui ne provoque pas ľaccord du participe passé), ľ« apposition » (ä retirer soi-gneusement des candidats sujets et complements directs), ľ«épithete détachée» (une apposition accordable), ľ« attribut du complement d'objet direct», ľ« apostrophe»... Le moindre francophone scolarisé héritera de ce bric-ä-brac, qui, hélas, lui tient souvent lieu de culture linguistique. Les bases historiques désormais stabilisées, il est temps de passer aux illustrations, Deux suffiront. Premiere illustration Le cas du mode suivant aprěs que a valeur embléma- tique. On connait les faits, De méme que la conjonction avant que se construct avec le subjonctif (Pierre arrive avant que Marie ait déjeuné), la conjonction symétrique aprěs que devrait en principe exiger l'indicatif (Pierre arrive aprěs que Marie a déjeuné). Or, des contraventions ä la « regie » apparaissent vers la fin du xixesiécle et se multiplient depuis la Seconde Guerre mondiale, au point que le subjonctif détróne statistiquement l'indicatif; Pierre arrive aprěs que Marie ait déjeuné. Du coup, les censeurs de touš poils s'émeuvent. « Faute flagrante », assene Vadius. « Solécisme », opine Trissotin, DÉCRIRE OU PRESCRIRE 55 La surenchěre est en marche: « snobisme » (Fernand Feu-gěre), « mécanisation aberrante » (Joseph Hanse), « grave offense ä la syntaxe » (Jacques Laurent), « symptóme non négligeable d'un certain dérěglement de ľ esprit» (Pierre-Henri Simon)... Les correcteurs d'imprimerie se mobili-sent ä leur tour, empoignent l'oriflamme de la croisade, trafiquent pieusement les textes authentiques, non sans semer cä et lä des scories qui dénoncent la supercherie (Brigitte Bardot čciit-cllc, bizarrcment, a la page 378 dc Initiales B.B., que son ami tie avec Valéry Giscard d'Estaing « dura longtemps aprěs que fai porte ses cou* leurs pour son election en 1974 » ? Le prote a efface le e final ď un sulfureux - ä son estime - subjonctif aie porte,,, mais négligé de rétablir la juste forme : eus porte). D'oú procěde pareille hargne ? Ni du respect de ľ« usage », qui a d'ores et déjä tranche. Ni d'un prétendu « bon usage », puisque les écrivains pécheurs sont légion et alignent, de Saint-John Perse ä Albert Camus, de Mau^ rice Druon (eh ! oui, ľ ex-seerétaire perpétuel et « Jupiter tonnant» de l'Académie francaise) ä Hervé Bažin (ancien secretaire, lui, soyons équitables, de ľacadémie Goncourt) quelques patronages illustres, Non, 1'anathěme se reclame d'un pseudo-raisonnement grammatical, dont il est assez facile de démontrer la fausseté, L'indicatif serait le mode « de la réalité» et « de la certitude » (nonobstant des phrases courantes comme J'espere que Pierre viendra), le subjonctif le « mode du doute » (malgré Je regrette que Pierre soiT venu, etc.). Étant donne que la conjonction aprěs que enregistre 1'évěnement secondaire dans ľ ante' riorité de ľévenement primaire (le déjeuner de Marie se situe avant ľarrivée de Pierre), il ne pourrait etre qu'assure, done traduit ä l'indicatif. Peu chaut ä ces docteurs que 1'évěnement primaire lui' merne se révěle incertain : Et si Pierre arrivait aprěs que Marie.,.. ? lis ne balancent ďailleurs nullement ä accepter derriěre aprěs que le « mode conditionnel», en dépit de 56 LE FRANCAIS DANS TOUŠ SES ETATS son irréalité fonciěre : Pierre arriverait aprěs que Marie AURAIT déjeuné... Aux yeux du linguiste, un tissu d'aneries. Que propo-sera-t-il de son côté, mis au pied du mur ? D'abord, etape inductive, il rassemble un important materiel philologique, le vérifie, le classe et collationne les essais ď interpretation antérieurs, notamment ľ explication-bateau de ľ analogie avant que/aprés que (pourquoi la contamination n'aurait-elle pas joué en sens contraire et pourquoi le subjonctif, repute plus difficile, prévaudrait-il sur ľindicatif ?). II opere ä ce stade deux rapprochements ; 1. Normalement, aprěs que requiert ä la difference ďavant que une forme verbale composée : Pierre arrive avant que Marie déjeuné ou... avant que Marie ait déjeuné, vis-ä-vis de Pierre arrive aprěs que Marie A déjeuné et non... aprěs que Marie déjeuné. En ďautres termes, ľ attention se déplace du proces (déjeuner = « étre en train de manger») vers sa séquelle (avoir déjeuné - « avoir cessé de manger »). 2. Le subjonctif prend son essor derriěre aprěs que ä ľépoque - le dernier tiers du xixesiecle - ou le passé simple (p. ex. déjeuna) sort de ľusage oral, abandonnant le registre du francais parle au passé compose (p, ex, a déjeuné), Vient ľhypothese deductive: Le passé compose moderne occultant, faute ďantago-niste simple, sa personnalité sémantique, la langue demande ä une forme composée du subjonctif de la resti-tuer. II n'incombe plus au specialisté qu'ä parer les objections prévisibles. 1. Une autre forme composée de ľindicatif n'aurait-elle pas fait ľ affaire ? Mais eut déjeuné, avait déjeuné, aura déjeuné, aurait déjeuné ne conviennent respectivement qu'ä un passé simple arriva, un imparfait arrivait, un futur simple arrivera, un futur simple du passé arriverait, tandis DÉCRIRE OU PRESCRIRE 57 que le subjonctif ait déjeuné sert indistinctement aux quatre avatars. 2. Ou alors une quelconque forme surcomposée de ľindicatif ? Mais a eu déjeuné, eut eu déjeuné, avait eu déjeuné, aura eu déjeuné, aurait eu déjeuné, outre qu'ils demeurent rares, assortissent les inconvénients precedents ď une circonstance aggravante : ils rompraient la régularité de la coexistence des formes simples et des formes compo-sées dans les systěmes temporeis: ? Pierre arrive aprěs que Marie A eu déjeuné... (le point ď interrogation antéphrastique signále un tour ďacceptabilité suspecte), et aboutiraient fatalement ä déclencher un jour, au contact d'une forme déjä composée, des formes hypercomposées : *Pierre est arrive aprěs que Marie A eu eu déjeuné (ľ asté-risque signále un tour agrammatical) ! La conclusion va de soi. Le frangais a su trouver les res-sources capables de pallier ä faible cout une défaillance accidentelle, et les grammairiens brandissant la férule se conduisent en médecins de Moliôre, acharnés ä purger et ä saigner, « maladus düt-il crevare et mori de suo malo ». J'entends ďici les protestations. «Vous choisissez les armes et le terrain. Qu'en irait-il de l'orthographe, le domaine par excellence de la grammaire scolaire ? » Soit. Prenons le sacro-saint «accord du participe passé» et plus particuliěrement le pont aux änes du « participe passé des verbes pronominaux ». ( Seconde illustration Que de complications, souvenez-vous, lecteurs. Des verbes «exclusivement» pronominaux, «essentielle-ment» pronominaux et « accidentellement» pronominaux. Des « réfiéchis », des « réciproques », des « neutřes », des pronominaux «ä sens passif ». Un accord qui s'effectue tantôt avec le sujet, tantôt avec le complement ď objet direct, et tantôt, inopinément, sans crier gare, échoue. Des 58 LE FRANCAIS DANS TOUŠ SES ETATS exceptions en cascade. La nécessité de tourner au mépris de la correction qu'on pretend servir, ou ďun élémentaire bon sens, ľauxiliaire étre par l'auxiliaire avoir: Marie s'est lavée —» « Marie a lavé Marie », Pierre et Marie se sont battus —> « Pierre et Marie ont battu Marie et Pierre », Les feuilles mortes se sont ramassées ä la pelle (mille excuses ä Prévert) —> «les feuilles mortes ont ramassé les feuilles mortes ä la pelle », etc., etc. La quasi-totalité de ce fatras est bon ä jeter. En regard, la linguistique stipulera que le participe passé (PP) est au fond un adjectif et qu'il s'accorde « avec le nom auquel il se rapporte ». Si le se accolé au verbe est caduc, la question « qui ou qu'est-ce qui est PP ? » repé-rera le donneur ď accord ; si le se est persistant (indispensable ä la forme ou au sens), la question « qui ou qu'est-ce qui s'est PP ? ». Exemples : Marie s'est lavée ; «qui est-ce qui est lavé ? » —» Marie (accord du PP au feminin singulier). Pierre et Marie se sont battus; «qui est-ce qui est battu ? » ou « qui est-ce qui s'est battu ? » —» Pierre et Marie (accord du PP au masculin pluriel). Les feuilles mortes se sont ramassées ä la pelle ; « qu'est-ce qui est ramassé ? » —» les feuilles mortes (accord du PP au feminin pluriel). Marie s'est apergue de quelque chose ; « qui est-ce qui s'est apercu ? » —> Marie (accord du PP au feminin singulier). Un zeste d'histoire montrera pour le surplus comment la loi non écrite « du moindre effort» a bloqué le donneur ď accord postposé au participe : Pierre et Marie se sont serré la main en partant; « qu'est-ce qui est serré ? » ? la main (accord théorique du PP au feminin singulier, n'était que les copistes médiévaux, ayant laissé le participe provi-soirement invarié, mais, le donneur ď accord débusqué, oubliant au fil de la plume de revenir en arriere, rataient ľ accord une fois sur deux, et que les grammairiens du xvrsiěcle ont coulé la tendance en doctrine). DÉCRIRE OU PRESCRIRE 59 Économie de temps (done ď argent), simplification rationalisation, abandon des procedures scolastiques nui-sibles ä la comprehension en profondeur de la langue. Tout le monde gagne. En veut-on un témoignage supplémentaire ? Le Soir du 14 décembre 1998 reproduit la dietée qu'un « champion d'orthographe » venait de mitonner ä ľinten-tion de «juniors», de «seniors» et ď« adultes profes-sionnels », y glissant, comme on l'imagine assez, tel participe passé sournois: Combien de telescopes, de camés-copes et de longues-vues se sont approprié le ciel..., qui suscite ä son étonnement réprobateur une avalanche de masculins pluriels. Bien que la doxa appuie le masculin singulier (e.a. le Dictionnaire Robert, s.v. s'approprier : Lafamille s'est approprié cette terre...), les coupables - mais que diable, aussi, allaient-ils faire dans cette galere ? - auraient mérité les felicitations d'un jury éclairé. Ou bien s'approprier a un se caduc, son donneur d'accord est le ciel (répondant ä « qu'est-ce qui est approprié ? »), mais il troque l'acception « faire sien » contre un incongru appro-prier - « adapter » ; ou bien son se est persistant et le participe s'accorde avec combien de telescopes, de camés-copes et de longues-vues (répondant ä « qu'est-ce qui s'est approprié ? »). Dans la foulée, on tirerait -révons un brin... -un bel argument en faveur d'une reforme ä venir qui réintégrerait le déviant s'arroger ä la logique des verbes munis d'un se persistant: Les droits que Pierre s'est arrogé... (en lieu et place de l'officiel arrogés) ; Le droit que Pierre et Marie se sont ARROGÉS... et Le droit que Marie et Juliette se sont ARROGÉES... (au lieu de arrogé); questions « qui est-ce qui s'est arrogé ? » (impossible d'avoir « qu'est-ce qui est arrogé ? », d'oü l'obligation concrete de substituer usurper au disparu arrogef), réponses : 1er Pierre (masculin singulier), 2C Pierre et Marie (masculin pluriel), 3e Marie et Juliette (feminin pluriel). Nous pouvons conclure. 60 LE FRANCAIS DANS TOUŠ SES ÉTATS Décrire, prescrire.., Décrire et prescrire ? Décrire ou prescrire ? Une certaine tradition francaise (celie de la « haute » couture et de la « grande » cuisine) a malencontreusement choisi la seconde branche de ľalternative. N'importe quel idiome appartient pourtant aux individus qui s'en servent, non ä une oligarchie ďautoproclamés « arbitres des elegances » qui les brime. La politique linguistique du baton entraine deux consequences funestes. D'une part, les francophones natifs, éternellement sur-veillés, dresses ä se garder ä gauche et ä droite, qui « ne sauraient seulement vous dire qu'ils ont le cul galeux s'ils ne vont regarder en leur lexicon galeux et derriěre » (Montaigne), risquent de perdre leur spontanéité créatrice. D'autre part, les nouveaux francophones et les étrangers voient multiplier comme ä plaisir sous leurs pieds les écueils et les chausse-trapes. Le jour oü le francais se repliera définitivement sur des structures figées, renoncera aux innovations lexicales, morphologiques, syntaxiques..., il ne sera plus loin ďune langue morte. Des remědes ? Repenser ľenseignement ä ľécole (moins de grammaire prescriptive, et moins tôt, plus de linguistique descriptive, et plus tard), basculer la dictée de son piedestál (de pair avec les pernicieux concours qui, assimilant abusivement la chair et le vetement, contribuent ä l'y maintenir en cultivant l'aberration et en traquant le digraphisme). Écouter la voix « damans in deserto » des linguistes les plus autorisés, anciens et modernes. Ferdinand Brunot (Lettre ouverte ä Monsieur le Ministře de ľ Instruction publique, 1905): « Demandez ä vos directeurs, ä vos inspecteurs : le cri sera unanime : l'orthographe est le fléau de ľécole. Cet enseignement a ďautres défauts que d'etre encombrant (car les heures de dictée sont prises sur le temps donné DÉCRIRE OU PRESCRIRE 61 jusqu'alors au calcul, ä ľhistoire et ä la géographie). Comme tout y est illogique, contradictoire, que, ä peu pres seule, la memoire visuelle s'y exerce, il oblitére la faculté de raisonnement; pour tout dire, il abétit. » Albert Sechehaye (Essai sur la structure logique de la phrase, 1926): « La grammaire n'initie pas ľéléve aux faits de langue et aux phenoménes de langage qu'elle prétend faire connaitre. II n'est pas bon de réfléchir un peu profondé-ment sur ses formules, car on en découvre aussitôt les insuffisances. Et comment ľesprit de ľhomme pourrait-il s'intéresser ä ce qui ne supporte pas la reflexion ? » André Chervel (Histoire de la grammaire scolaire. Et il fallut apprendre ä écrire ä tous les petits Frangais..., 1977): « [...] c'est bien d'une veritable mystification que sont victimes les éléves, et les maitres. L'appareil des concepts ä partir desquels ils travaillent s'effondre comme un chateau de cartes quand on le soumet ä une analyse rigoureuse ». Les revolutions en general demandent un changement des esprits. Pour la mentalite francaise, la repudiation du prescriptivisme s'annonce proprement copernicienne. Qui sait, peut-étre qu'ä force de taper sur le clou...