oti trn** <* .ON'NPi«1-" w fAANte ,ť«TOi4 WKAfcu? e< Mi'twtí. 5eító vooWfon QuW f>'CWe. ÍMMÉ tAfttf PonRCAWe s comme Suisse sans autre, schwentser, septante, séré, soccolis, Sonderfall, souper, stamm, syndic... par Marie-José Béguelin et Jean-Francois De Pietro Ces quelques expressions, toutes empruntées au recent Dictionnaire Suisse romand, nous rappellent que derriěre l'apparente unicité de la langue francaise se profilent des usages qui illustrent de facon immediate et vivante sa diversité. Les quelques exemples choisis ici - que ľ on peut gloser respectivement par sans probléme ou Men sür, man-quer l'école, soixante-dix, fromage blane, sorte de sabot, cas particulier (fréquemment appliqué ä la situation politique particuliěre de la Suisse), diner, local de reunion, maire - expriment certes parfois des influences « exté-rieures » (germanique pour schwentser, sonderfall..., ita-lienne pour soccolis, dialectale pour séré, etc.), mais ils font bei et bien partie du francais, tel qu'il est parle dans ce pays quadrilingue qu'est la Suisse. Un pays, plusieurs langues Car en Suisse, on ne parle pas le Suisse, mais l'alle-mand (64 % de la population), le francais (19 %), l'ita- 274 LE FRANgAIS DANS TOUŠ SES ÉTATS lien (8 %) et le romanche (1 %), qui touš ont le statut de langues nationales. Ä la difference d'autres pays européens, aucune langue n'y est done ici directement liée ä ľ identite nationale. Toutefois, cela ne signifie pas que tous les Suisses soient plurilingues, loin de la ! En effet, ľusage des langues est régi par deux principes, celui de la territorialité des langues et celui de la líbené des langues, qui soul dčduits de la Constitution sans y etre explicitement inserits : le premier dčlimite, a ľintérieur du pays, des zones oťliciellement uni-lingues ; le second garantit ä tout individu le libre usage de sa langue. Le tableau qui en résulte est celui ď une mosai'que de regions séparées par des frontiěres linguis-tiques plus ou moins nettes, sources parfois de quelques tensions. Les langues de la Suisse SUISSE 275 Le plurilinguisme apparait done avant tout comme un attribut juridique de ľ Etat, favorisant, ď une certaine maniere, ľunilinguisme des habitants. Une telle affirmation doit cependant étre nuancée : • tous les élěves apprennent, des la scolarité primaire, une deuxiéme langue nationale au moins, dans laquelle ils sont censés se débrouillcr en fin d'apprcntissagc ; •les imbrications cntrc regions liiigtii.sliqucs sont ľrc-quentes (cela est en particulier le cas pour ies locutems du rhéto-ronian: comme leur idiome ne ieur permet pas dc communiquer avec les autres confédérés, plus aucun d'entre eux n'est aujourd'hui unilingue !); • de nombreux Suisses vivent ailleurs que dans leur region d'origine, tout en continuant d'entretenir des relations étroites avec celle-ci (Geneve compte ainsi 6 % de ressortissants germanophones et 5 % d'italophones ; Berne 5 % de francophones, etc.); • chaque aire linguistique connait elle-měme des variations internes ; ce phénoměne est particuliěrement marqué en Suisse alémanique oů les dialectes locaux sont trěs vivants et oü prévaut une situation de diglossie entre ces dialectes (qu'on regroupe sous le terme générique de Schwyzertütsch) et ľallemand standard, appris ä ľécole et seul couramment écrit; • chaque region compte aussi une importante population dont la langue ďoriginc n'cst pas une des quatre langues nationales (pres de 20 % ä Geneve, dont 5 % de luso-phones, 5 % ďhispanophones, 3 % ďanglophones...). Dans ľidéal au moins, chaque habitant de ľune ou ľautre region linguistique devrait ainsi, au bout du compte, étre capable de communiquer avec les autres confédérés, en recourant lui-meme ä sa propre langue et en y mélant quelques elements de la langue de ľautre. C'est la ce que ďaucuns ont appelé le « modele suisse » de la communication. Ce modele ne se realise cependant qu'ä demi, et se heurte ä divers obstacles : ainsi, bien qu'ils apprennent ľallemand standard comme premiére langue seconde, les 276 LE FRANCAIS DANS TOUŠ SES ÉTATS ressortissants des regions latines ne peuvent pour autant communiquer familiěrement dans cette langue avec leurs voisins alémaniques, qui parlent dialecte dans les contacts informels ; ď autre part, ä ľintérieur méme de la Suisse, ľanglais concurrence les langues nationales, jusque dans ľaffichage, la publicite et ľentreprise. « « Un écartplus ou moins grand entre \\e\frangais ďécole etlefrangais deplein air [...] » (Ch.-F. Ramuz). En Suisse, le francais est done parle par un peu moins de 20 % de la population, principalement dans les cantons de Geneve, Vaud, Neuchätel et Jura, ainsi que dans les parties francophones des cantons bilingues de Fribourg, Valais et Berne. Mais il est aussi parle dans les autres regions, en famille chez les ressortissants francophones, dans les contacts intercommunautaires, en partie dans l'administra-tion et les regies fédérales ; il est parle par des locuteurs dont il constitue la premiere langue, par des migrants qui en ont fait leur langue d'usage, par d'autres encore qui ľont uniquement étudié ä ľécole... En Suisse comme ailleurs, le francais est constitue d'une telle diversité. ' Ľexistence de variétés ä ľintérieur de la langue fran-caise -qu'il s'agisse de vocabulaire, de maniěres de dire ou ďorthographier - n'est ďailleurs pas sans poser quelques problěmes : d'abord aux puristcs, qui n'aiment pas beaucoup ces zones soustraites ä leur contrôle, mais aussi aux « simples usagers », en particulier les provin-ciaux, qui ont souvent tendance ä douter de leur parole et ä se sentir confusément en faute. Les ressortissants de Suisse romande, aussi prestigieux soient-ils, n'échappent pas ä la regie. En 1743 déjä, le grand Rousseau, citoyen genevois, réagissait en ces termes ä un compte rendu de sa Dissertation sur la musique, assorti de critiques ď ordre linguistique : SUISSE 277 « Ä ľégard des incorrections de mön langáge, j'en tombe ď accord aisément. Un Suisse n'await pas, je crois, trop bonne grace ä faire le puriste [...]» (Lettre ä Monthé-naut d'Égly, février 1743). Ľécrivain, cependant, ne pouvait en rester la : c'est par la ruse qu'il réaffírma tout ä la fois sa conception philoso-phique du langage et son identite regionale. Comme le montre Meizoz (1998), Rousseau se retranche derriěre un statut ď« éditeur » pour se disculper des « fautes » qu'il met en scene dans les lettres des «provinciaux », des « étrangers » de La Nouvelle Héloľse (1761) ; mais surtout, les usages deviants se chargent ä ses yeux d'une valeur morale, contrastant avec la futilité des modes parisiennes : « On me dira que c'est le devoir d'un éditeur de corriger les fautes de langue. Oui bien pour les éditeurs qui font cas de cette correction ; oui bien pour les livres dont on peut corriger le style sans le refondre et le gäter; oui bien quand on est assez súr de sa plume pour ne pas substituer ses fautes ä celieš de ľauteur. Et, avec tout cela, qu'aurait-on ä gagner ä faire parier un Suisse comme un académicien ? » (La Nouvelle Héloise, premiere partie, lettre XIX, Classiques Garnier, Paris, 1952, p. 44, note 1) Cest toute l'ambigüite des regions francophones péri-phériques qui se trouve exprimée dans ces propos, faite ä la fois de soumission ä la loi et de revendication identitaire, de sentiment d'infčriorité linguistique et de valorisation du parier regional, de loyauté conservatrice et ď innovation ä travers les contacts avec ľexterieur. Si J.-M. Klinkenberg propose, ici merne, ľimage du banlieusard pour caractériser le locuteur beige (cf. p. 347), c'est peut-étre celie du douanier que nous risquerions dans le cas du Suisse romand : d'abord parce que cela amusera certains lecteurs, ensuite parce que ľ identite linguistique de la Suisse francophone est indissociable de ľidée de frontiěre. Mais notre douanier, ä ľheure de l'Europe, ne 27 8 LE FRAN?AIS DANS TOUŠ SES ETATS sait plus trěs bien ni ce qu'il doit défendre, ni oú il doit le défendre : faut-il - sur le pont de la Sarine (riviere qui, sur une partie du territoire, sépare les regions francophone et germanophone du pays), ou encore sur cette barriére men-tale que ľ on norame barriére des röstis (du nom ďun plat bernois, fait de pommes de terre räpées en fines laniěrcs et rôties) - lutter contre la « germanisation rampante » de la langue dcnoncéc par certains ? Ou, «menace» plus récente, contre sa mcdonaldisation ? Doit-il conserver pré-cieusement, ou au contraire gommer ä tout prix, les particular! smes de son langage afin soit de se différencier, soit de se rapprocher du frangais de ses voisins ? Bref, le doua-nier romand, avec son accent ä couper au couteau et qui fait bien rire les Francais, ne sait plus toujours ou donner de lagrammaire... « La grande famílie des dialectes frangais [...] » (Ch.-F. Ramuz). L'histoire linguistique connue de la Suisse romande commence ä ľ époque des Celtes. Ceux-ci passérent sous domination romaine au cours du Ier siěcle avant J.-C. et adoptěrent le latin, ďabord ä ľécrit puis ä ľ oral. Les populations germaniques qui arrivěrent par la suite (Burgondes, Alamans) n'ont guěre laissé de traces linguistiques, excepté dans la toponymie. Toutefois, la fragmentation dialectale qui a suivi la chute de ľ Empire romain a égale-ment touché la Suisse. Sept des huit cantons qui la compo-sent ont alors développé des dialectes qui appartiennent au groupe franco-provencal (langue gallo-romane indépen-dante qui s'est développée cntre le vr et le vir siěcle dans les zones de transit alpin entre Lyon et Aoste), alors que le Jura relěve des dialectes ď oil. Pour la communication orale, tous ces dialectes ont été trěs largement utilises jusqu'au xviir siěcle, époque ä laquelle s'amorce un déclin inexorable, d'abord dans les cantons protestants et préco- SUISSE 279 cement industrialises (Geneve, Vaud et Neuchätel), un peu plus tardivement dans les cantons catholiques (Fribourg, Jura, Valais). Aujourd'hui, seules quelques personnes ägées, dans quelques villages, connaissent encore le patois de leur region, el les dialectes d'originc gallo-romanc ne vivent plus qu'ä ľintérieur d'associations qui s'efforcent d'en conserver la memoire. Ccrtcs, le frangais qui les a rcm-placés contient des régionalismes, dont certains rcmontent au patois, et que les locuteurs eux-mémes confondent par-fois avec le patois. Le public tend toutefois ä en surévaluer le nombre qui, ä ľheure de ľhomogénéisation et de la mondialisation, semble plutôt en diminution (Knecht, 1985, p. 161). « Le frangais, une espece de frangais [...]» (Ch.-F. Ramuz). Pour ľobservateur extérieur, le frangais de Suisse se repěre non seulement ä des traits lexicaux (cf. titre du cha-pitre), mais surtout ä ľ intonation. Sous ľ influence probable des anciens patois, certains Romands tendent en effet ä accentuer l'avant-derniere syllabe des groupes syn-taxiques, alors que le frangais standard en accentue la derniěre ; d'oü une montée perceptible de la courbe mélo-dique sur ľantépénultieme - bien pergue et reproduite par ceux qui parodient « ľ accent Suisse » : la ma/son, la tomate, etc. En revanche, et bien que ce trait soit souvent associé au frangais de Suisse, les etudes existantes ne per-mettent pas d'affirmer que ľ elocution soit plus lente chez les Romands que chez les autres francophones (Singy, 1996, p. 57). Quelques particularismes phonologiques sont également bien répandus: maintien de ľ opposition e/e (j'aurai/ j'aurais, rusé/rusait) et du couple o/d pour opposer peau/pot, 280 LE FRANgAIS DANS TOUŠ SES ÉTATS seaulsot, etc., excepté ä Geneve ; conservation de la distinction óěV e (brun vs brin), du moins chez les plus ägés, etc. Les particularismes morphologiques et syntaxiques, plus rares, reviennent souvent ä exploiter des potentialités ignorées ou perdues du systéme de la langue francaise. Ainsi en est-il de ľemploi du verbe vouloir comme auxi-liaire de futur: il veut pleuvoir (ďailleurs également attesté en Franche-Comté, en Wallonie, etc.), ou du placement particulier de certains pronoms, observable surtout dans le canton de Vaud : j'ai personne vu. Citons encore ľemploi bien vivant, dans des propositions indépendantes, ďun passé surcomposé exprimant ľidée de révolu et ďéloignement temporel: // a eu fait plus chaud. On peut aussi relever la productivité de certains suffixes, -ée en particulier, avec une valeur exprimant la quantité (golée, pellée, éreintée, etc.), et le fait que, dans certaines regions, c'est ľallongement de la derniěre voyelle et/ou l'ajout ďune légěre mouillure (le yod, note -j) qui, ä ľ oral, mar-quent morphologiquement le feminin (mon ami/mon amie ; cf. Klinkenberg, p. 345). Ce panorama sommaire est surtout destine ä donner au lecteur ľenvie ďaller y voir par lui-meme... Certes, il res-terait beaucoup ď observations ä faire, et notamment ä explorer le domaine de la phraséologie et des usages pragmatiques : ainsi lorsqu'un Romand - par souci de politesse ? par prudence ? par simple habitude ? -demande s'il peut payer la oü le Francais va directement au but (U addition, s'il vous plait !). Ces domaines-la sont encore bien mal connus, de merne que les autres traits conversationnels qui contribuent ä caractériser une parlure regionale. Les quelques particularismes présentés ci-dessus sont plus ou moins largement partagés par la population. Mais il ne faut pas s'y tromper: il n'existe pas, a proprement parier, de «francais Suisse» (Knecht, 1985, p. 158) ! Comme ľa montré un recent sondage effectué par un quotidien populaire (Le Matin, 7-11-99), les Romands SUISSE 281 s'estiment tout ä fait capables de distinguer le parier d'un Vaudois de celui d'un Valaisan, d'un Jurassien, d'un Neu-chätelois ou d'un Genevois. En effet, la plupart des traits régionaux sont limités ä une partie du territoire, ä moins qu'ils ne s'étendent au contraire au-delä des frontiěres hel-vétiques. Les seuls termes véritablement« suisses », et pour cause, sont ceux que les spécialistes nomment des stata-lismes, autrement dit des termes qui, en raison de ľ autonomie politique du pays, désignent des institutions qui lui sont propres dans des domaines comme ľ administration publique (syndic, conseiller d'État...), ľécole (gymnase, maturite...), ľarmée (cours de repetition...), etc. « Sans doute y a-t-il ä ľorigine une certaine defiance envers le langage [...] » (J. Starobinski). Le Romand n'est pas un banlieusard, disions-nous. II ne cherche généralement pas ä singer Paris, dont il se méfie-rait plutôt. II manifeste, ä ľégard de son propre parier, une attitude ambivalente, faite ä la fois de géne et de dévalori-sation, ď une attention marquée ä la norme qui n'est pas incompatible avec un attachement affectif aux expressions du terroir. Ainsi, d'apres certaines enquetes conduites dans le canton de Vaud, plus de 75 % des sujets interrogés se déclarent fiers de leur parier. Cependant, un tiers d'entre les sondes reconnaissent aussi qu'ils ont déjä tenté volon-tairement d'effacer leur accent devant un locuteur de natio-nalité francaise, et trois quarts d'entre cux se montrent plutôt hostiles ä un enseignement des formes regionales ä ľécole (Singy, 1996). D'autre part, le prestige de la profession attribuée ä un locuteur, son intelligence, sa facilité ď elocution, sont percus d'autant plus favorablement que ľ accent vaudois de ce locuteur est moins marqué; ä ľ inverse, on le jugera d'autant plus sympathique que son accent est prononcé. 282 LE FRANCAIS DANS TOUŠ SES ÉTATS Cette propension ä méler dévalorisation et surva-lorisation, complexe et fierté, rejet et loyauté, reflěte typiquement une situation ďinsécurité linguistique. Lun des personnages mis en scene par Étienne Barilier, dans une nouvelle intitulée UInterrogatoire, ľexprime ä sa facon : «[...] les Francais parlcnt francais ; nous parlons en fran9ais. Sans aller jusqu'a dire que cette langue serait, dans notre bouche, et dans les deux acceptions du terme, empruntée, j'affirme que cette langue, nous devrons la regarder, l'arracher un peu de nous pour la maitriser. Et si nous ne la regardons pas... bref, eile est notre outil, eile n'est pas notre ambiance » (« Romandie », NZZ-Folio, n° 8, aoüt 1993, p. 41). « Cette region ou Vallemand et le francais jouent ä saute-mouton par-dessus la limite des langues [...] » (J.-B. Vuillěme, L'amour en bateau). Le Romand ne serait done pas un banlieusard, mais plutôt un douanier... Toutefois, si Francois et Québécois veiUent ä limiter ľimportation des anglicismes, c'est davantage ä une « germanisation rampante » - cf. Le Canard enchatné, dossier consacré ä la Suisse, 1990 - que les Romands tentent vaillamment de s'opposer. Charpillod & Grimm-Gobat écrivent ä ce propos : ' «Une analyse structuraliste ferait apparaitre que si ľ anglais menace le francais de France, les Suisses francais sont les victimes du "frallemand" » (1982,61). Bon nombre de grammairiens, d'enseignants, de chroni-queurs linguistiques, mais aussi de politiciens et de journa-listes traquent ainsi inlassablement ľ influence germanique menacant le francais de leurs ancétres... SUISSE 283 De telies preoccupations s'inscrivent dans le contexte social propre ä la Suisse, oil la partie francophone est lin-guistiquement mais aussi politiquement et économique-ment minoritaire, ce qui ne va pas sans susciter inquietude et, parfois, amertume. En ce qui concerne la langue cepen-dant, les craintes exprimées sont excessives et parfois fan-tasmatiques. Les Romands ont ainsi tendance ä déceler une influence germanique dans toutc construction syntaxique qui s'écarte du standard (// lui aide, venir avec, attendre sur, etc.), alors que, verification faite, ces constructions se retrouvent dans d'autres regions francophones, peu sus-pectes ďinfluence allemande. En realite, ľinfluence germanique se limite essentiellement au vocabulaire, et reste relativement restreinte (ďaucuns en concluront que la vigilance porte ses fruits !). Puisqu'il n'y a guěre de menace « objective », e'est done une autre peur que les Romands expriment par leur crainte des germanismes. Au-delä du debat linguistique, e'est en effet leur identite culturelle qui est en jeu. Et ľidentité, qu'elle soit collective ou individuelle, n'est jamais défmitivement acquise : les acteurs sont voués ä la construire et ä la réaffirmer sans cesse, en la projetant dans des signes visibles. On peut dire que la relation des Romands avec le francais exprime leur besoin ď identite, projeté sur leur langue. De ce point de vue, leur attitude manifeste un certain désarroi, signe des difficultés iden-titaires de la Suisse dans son ensemble. N'attribue-t-on pas ä un ancien conseiller federal la boutade selon laquelle « en Suisse on s'entend bien parce qu'on ne se comprend pas » ? II n'est qu'ä penser, en ľ occurrence, aux relations complexes que ce pays entretient avec l'Europe, relations qui font, pour ľheure, partie du contentieux entre confédérés, la partie francophone étant majoritairement pro-européenne, au contraire de la partie germanophone. 284 LE FRANCAIS DANS TOUŠ SES ETATS «II faut que, notre rhétorique, nous nous la soyons faite sur place, etjusqu'a notre grammaire, etjusqu'a notre syntaxe [...]» (Ch.-F. Ramuz). Dans son ensemble, la Suisse est souvent presentee comme une sorte de laboratoire pour l'observation des relations entre communautés linguistiques. Les défis que ce pays a du et qu'il devra encore résoudre en la matiěre sont multiples et délicats. En 1973, le systéme fédéraliste a montré sa vitalite en permettant, apres des décennies de controverses, la creation ďun nouveau canton francophone, le Jura. Mais la protection des minorités donne des résultats plus décevants dans le cas du romanche, en constant recul en dépit des mesures prises pour en relancer ľ usage. Autre probléme épineux : le puissant canton de Zurich a récemment, et de facon unilaterale, decide ďintroduire ľenseignement précoce de ľanglais dans les petites classes du canton. Se pose ainsi, brutalement, la question de la place de ľanglais dans ľéconomie des langues nationales. Les autorités ont réagi en chargeant un groupe ď experts ďélaborer, pour les années ä venir, un « concept general pour ľenseignement des langues » en Suisse; les propositions qui ont été formulées et mises en discussion publique tentent peut-étre de concilier ľinconciliable : elles vont dans le sens ď une priorite accor-dée aux langues nationales, ďun développement des formes d'enseignement bilíngue, d'une reconnaissance accrue de ľcnsemblc des langues prcsenles sur le (crri-toire, mais aussi d'une prise en compte plus marquee de ľanglais comme langue de grande communication. Comme au Québec et en Communauté francaise de Bel-gique, la langue est, en Suisse romande, objet d'attention et de sollicitude constante. Le patrimoine linguistique a récemment été mis en valeur grace au Dictionnaire suisse romanci, realise sous ľégide du centre de dialectologie de ľuniversité de Neuchätel, ouvrage de grande qualité scien-tiíique et veritable succes de librairie; des moyens SUISSE 285 humains et financiers importants sont, en permanence, consacrés ä la reflexion sur la didactique du francais et ä ľ elaboration de moyens d'enseignement de qualité ; enfin a été créée, il y a quelques années, une Delegation ä la langue frangaise, avec pour mission de représenter la Suisse romande dans les débats internationaux concernant ľaménagement et ľavenir du frangais. Le Suisse francophone peut apparaitre aujourd'hui comme un douanier, avons-nous dit plus haut. On peut souhaiter qu'il donne plutôt ä ľavenir ľimage ďun pas-seur, ďun médiateur, puisque, francophone sans aueun doute, il se trouve ä la rencontre de trois grandes cultures européennes. C est ainsi qu'il pourra jouer pleinement son role, et faire entendre une voix originale au sein de la vaste communauté francophone. Depuis longtemps deja, des écrivains (Ramuz, Corinna Bille, Monique Läderach, etc.), des penseurs (Rougemont), des linguistes (Saussure, Bally) ont ouvert la voie, développant des forces créatives et mediatrices, renforcées par leur situation « ä ľ extreme peripheric du domaine linguistique frangais » (J. Staro-binski). La distance ďavec le centre provoque le doute, la reflexion. La proximité avec ľ autre invite ä ľ ouvertuře. Le douanier devient passeur. Bibliographie Babylonia (1999). Francais.ch — langue, littéralure et culture en Suisse. Revue éditée par la fondation Langues et cultures. Dictionnaire suisse romand. Particularités lexicales clu francais contemporain (1997). Concu et rédigč par Tiiibault, A., sous la direction de Knecht, P., Genéve, editions Zoé (version CD-Rom PC/Mac, 1999, editions Zoé). Charpillod, A. et Grimm-Gobat G., 1982, La Romandie dominie, Lausanne, editions Pierre-Marcel Favre. Francillon, R. (dir.), 1996-1999, Histoire de la littérature en Suisse romande (4 vol.), Lausanne, editions Payot.