Ill LE MESSAGE « í often feci that anthropologists, by making a careful « comparison between the languages of Dover and Calais, « could long ago have discovered truths that they only « brought to light recently by going all the way to the « South Sea islands. » J. G. Weightman "Translation as a Linguistic Exercise" English Language Teaching, V. 3 (1950) : 69-76. 156 STYLISTIQUE COMPARÉE J y allais , mais j irai ou j irais . Aprěs les comparaisons et aussi quand on veut éviter la repetition ďun adjectif attribut, le frangais "représente", alors que ľanglais sous-entend. — He came sooner than you expected : II est arrive plus tôt que vous ne vous y attendiez ". — He is satisfied, but I am not: II est satisfait, mais je ne le suis pas. — Don't do more than is necessary : N'en faites pas plus que ce n'est nécessaire. § 146. Par contre le frangais n'emploie pas de pronoms qui ne se rapportent ä un point precis de ľénoncé. Les rares exceptions sont des idiotismes du type : "II ľa échappé belle", ou des expressions familiěres ou vulgaires comme "Je ^a saute". En anglais le pronom qui ne représente rien de precis se rencontre dans la langue littéraire (voir les exemples A) ou dans la langue familiěre (voir les exemples B). II a fait en sorte que... A. He saw to it that... Rumor has it that... He was hard put to it to., I find it hard to believe.., He thought it wise to... B. Hop it! Skip it! Cut it out! Stop it! Cheese it, the cops! Watch it! Le bruit court que... II était trěs embarrassé pour... J'ai du mal ä croire... II crut bon de... Filez ! Qa. suffit ! En voilä assez ! £a va ! Finissez ! Vingt-deux, vlä les flics ! Attention ! \20) II semble cependant que l'ellipse soit permise dans le cas de "penser" : "...que vous ne pensiez". m LE MESSAGE « I often feci that anthropologists, by making a careful « comparison between the languages of Dover and Calais, « could long ago have discovered truths that they only « brought to light recently by going all the way to the « South Sea islands. » J. G. Weightman "Translation as a Linguistic Exercise" English Language Teaching, V. 3 (1950) : 69-76. STYUSTIQUE COMPARÉB 159 NOTIONS PRELIMINAIRES § 147. Notre IIP partie porte sur un sujet infiniment plus vaste que les deux précédentes. En effet, on notera que ľ analyse linguistique qui part des unites sonores pour aboutir aux systěmes les plus complexes de la syntaxe, s'éleve de niveau en niveau, passant chaque fois dans un domaine ou le nombre des faits observes est toujours plus nom-breux. Tant que ľ analyse porte sur les phonemes et leurs combinai-sons, il est possible ďopérer sur des nombres relativement maniables. Mais déjä sur le plan du lexique (notre Iro partie), les variations de sens des unites lexicologiques sont si nombreuses qu'elles sont presque en dehors de notre atteinte : en tout cas, les lexicographes ne s'entendent pas sur le nombre de ces unites et aucun dictionnaire ne saurait prétendre étre complet. Avec la syntaxe (notre IP partie), les combinaisons sont innombrables, et c'est sans doute pourquoi ce sujet est en general si mal traitc dans les grammaires; on ne peut pour ľinstant que rechercher des types généraux et extrapoler ä partir ďobservations forcément incompletes. Au niveau du message, que nous allons aborder maintenant, il nous paraít impossible de vouloir explorer ä fond ce domaine sans appareils spéciaux comme les machines ä memoire clcctronique. Mais il nous est heureusement loisible de faire un tour d'horizon, sans nous cacher que le linguiste ne peut guěre prétendre qu'ä suggérer les grandes lignes, sans aucunement épuiser le sujet. On a vu que le message est ľensemble des significations de ľénoncé, reposant essentiellement sur une realite extra-linguistique, la situation. Cette situation suggěre, appelle le message et par consequent fait entrer en ligne de compte les reactions psychologiques du sujet parlant et celles de son interlocuteur. Nous nous trouvons ici devant un probléme immense et essentiel, celui des rapports entre langue et pensce, qui sort évidemment du cadre de la presente étude, bien qu'il colore constamment nos considerations sur le message. Enfin, ľinterprčtation correcte de la situation est fonction, en dernier ressort, des connaissances métalinguistiques qui dominent le compor-tement social de chacun de nous. 160 STYLISTIQUE COMPAREE Dans les pages qui vont suivre, nous nous occuperons ďabord ďétudier le message dans son contexte linguistíque, puis dans ses rapports avec la situation et la métalinguistique ; eníin, nous essaierons de conclure cet exposé en montrant comment le traducteur peut se preparer convenablement ä sa täche par la documentation du texte ä traduire, qui fait appel ä la situation. STYLISTIQUE COMPAREE I6l CHAPITRE I MESSAGE ET SITUATION § 148. Les sens du message peut se dégager de plusieurs fa£ons; nous en retiendrons trois, dont ľimportance varie selon les cas : Le sens structural, c'est-a-dire celui qui se dégage normalement des elements de la structure fournis par le lexique et assembles selon les lois de ľagencement Ex. : "On entering the room, he saw him sitting at the table : En entrant dans la piece, il le vit assis ä la table". Cet exemple correspond parfaitement, sur le plan du message, ä ce que nous avons appelé un cas de traduction littérale, sur le plan de ľagencement. Autrement dit, il n'y a pas dans ce message, tout au moins tel qu'il est présenté ici, en dehors du contexte et avec une situation encore floue dans ľ esprit du lecteur, ďéléments srylisti-ques ou semantiques * qui se superposent ä la somme des mots dont il est compose. Ce parallélisme des langues rapprochées est trěs certai-nement ľindice ďune communauté historique de pensée et de culture: il oířre au traducteur des cas simples, susceptibles de recevoir une solution parfaite dans le cadre de LA. § 1.49. Le sens global, tel qu'il est fourni par le contexte. 11 y a des cas en effet ou la structure ne suffit pas ä expliciter la totalite du message ; il f aut noter d'ailleurs qu'en general, ce dernier ne se (lj Cette premiére definition du sens s'appuie done sur les deux axes essen tiels selon lesquels s*ordonncnt les fails dc languc, com m c nous ľavou s plu~ sieurs fois souligné. II convient de noter que le sens structural porte en lui-môrae des ambiguités qui ne relévent pas du message, mais qui le condition-nent. Par exemple, "il prit son chapeau" ; "s'étant cassé le bras" ; "I am meeting a friend" offrent au traducteur des ambiguités qui ne sont pas le fait du rédacteur du message. Seul le contexte dira s'il faut traduire par : "he took his (her) hat"; "having broken his (her) arm"; "je vais rencontrer un ami (une amie)". Ces servitudes structurales représentent une source ďentropie par rapport au message global ; le traducteur peut étre am en é ä les expliciter, ce qui représente un gain d'information (157). 162 STYUSTIQUB COMPARÉB situe guére sur le plan de la phrase, mais plutôt sur le plan du paragraphs De méme que ľon traduit "reed" par "anche" .ou par "roseau", selon le cas, de merne une phrase entiěre s'éclaire dun jour particulier suivant le contexte qui ľencadre3. C'est ce qui fait dire avec justesse aux professeurs qu'il ne faut jamais commencer ä traduire une version avant ď avoir lu (et relu) le texte tout entier ; c'est aussi en vertu de ce principe qu'il faut autant que possible replacer un texte de version dans le cadre du livre ďoú il a été tiré. Remarque : Trop souvent, les traducteurs ont ä travailler sur un texte dactyiographic qui ne reproduit pas le cadre veritable de ľ original : les illustrations manquent, la disposition des legendes ou des totes de chapitre est incomprehensible, les tableaux ou diagrammes sont donncs ä traduire separément, etc. : autant de sources de diffi-cultcs et d'erreurs. On traduit globalement, de méme qu'on comprend globalement, méme si, pour la commodité de ľ exposé et de la verification, nous prcconisons des étapes et des cadres ďanalyse. Exemble'l : Dans un texte de Duhamel, la traduction anelaise de : "Au debut des temps, etc." par "When the house was new' serait impossible, si on ne savait par les paragraphes precedents qu'il s'agit d une vieille maison. Dans un texte de R. Frost qui commence par : "Something there is that does not like a wall", on traduira "something" par "On dirait qu'un sort s'acharne sur les murs" ä cause des vers suivants, qui évoquent Ies formules magiques et la superstition. En realite, "sort" dit plus que "something": mais ce gain d'information n'est qu'apparent, comme nous allons le montrer au § 151. Exemple 2 : Du point de vue pédagogique, il est trés interessant de faire rechercher aux ctudiants les elements precis du contexte qui justifient ľ explicitation ďun terme particulier. Par exemple, pour le texte de H. MacLennan (page 295), on remarque que "flat" est rendu par: "posces á plat", explicitation qu'il faut rattacher, en les soulignant dun trait, aux mots : "propellers" (une hélice n'est pas plate), "sprawled", "waiting to be connected to their shafts". De méme, on a traduit "sprawled" par: "étalent Ieurs pales", parce qu'on sait qu'il s'agit de "propellers". Cette explicitation ne convien-drait pas ä n importe quel objet, ex. : "sprawling on a bed : vautré sur un lit." (2} 11 y a cependant des cas ou le sens global ne depend pas dn contexte non plus que de la situation. Nous avons alors affaire á des cliches ou allusions (240). STYLISTIQUE COMPARES 163 § 150. II y a des cas ou la traduction ne ressort ni de la structure ni du contexte, et oů le sens global ne peut étre peren pleinement que par celui qui connaít ia situation ä laquelle le message se réfěre. C'est le cas de certains éeriteaux, avis, affiches, qui ne sont pas compréhensibles sans un commentaire explicatif. II serait impossible, croyons-nous, de traduire une phrase telle que : "You're on!" (En scéne !) sans se refcrer ä la situation ; si, pour comble d'infortunc, la structure est ambigué, alors il n'y a plus moyen de traduire du tout: "Je suis votre femme" peut corresponds á "I am your wife", ou ä "I am following your wife" ; de méme "aller ä ľécole : to go to (the) school" ; "aller ä l'Ecole : to attend courses at some specialized institution" (cf. 1'Jxole normale). On aura note que, dans ce dernier cas, la majuscule supprime une partie de ľambiguíte, en éliminant au moins les deux premiers exemples. Cependant il arrive souvent que des cas d'ellipse ne soient pas soulignés par une marque quelconque : "il a son certificat (ďetudes primaires)" ; "he was having his usual (drink)"; "he stopped at the local (pub)"; "il a fait un papier Ia-dessus" ; "il a été collé (au baccalauréat) en septembre8. Si le sens structural est sufřisamment éclairé par les remarques exposées au cours des deux premieres parties, il n'en est pas de méme pour les deux autres sens, que nous nous proposons maintenant d'etudier avec des exemples á ľappui. § 151. Gains et pertes : L'un des soucis majeurs du traducteur est de s'assurer que sa traduction transmet le contenu de ľoriginal sans rien en perdre, toute perte, de sens ou de tonalité, en un point du texte, devant en principe étre récupérée ailleurs grace au procédé de compensation. Le cas inverse pent-il se proeluire ? Peut-il y avoir gain par rapport á ľoriginal ? A premiére vue, il sembierait que non. II faut considérer cependant que le bon traducteur ne traduit pas seulement les mots, mais la pensée qui est derriěre et que pour cela, il se référe constamment au contexte et ä la situation. Celle-ci ayant été claire- (3) Beaucoup de ces arnbiguités ne sont qu'apparentcs et ne sauraient troubler un traducteur experimente ; une bonne technique de découpage des UT (App. 2) les dépistera sans peine, ce qui est d'ailleurs un exercicc pédagogique interessant. On notera en particulier les cas oil la divergence de sens global cntre deux énoncés ne repose que sur une tres petite difference de structure. Exemples : II est entré au Métro/U est cntre dans le Metro ; je vais vous meltre h votre porte/je vais vous mcttre a la porte ; une heure plus tard, il mou rait (He died an hour later)/une heure plus tard ct il mourait (An hour later he would have been dead). Voir la discussion célebre autour de la remarque du préfet de police Chiappe : "Demain je serai ä la rue", qui avait été interprétée comme : "Demain,, je serai dans la rue". 164 STYLISTIQUE COMPARÉB ment analysée et reconstituée, il est fort possible qu une des deux langues, et pas nécessairement LD, en rende compte avec une plus grande precision. On sait en effet que deux langues données ne renseignent pas de la merne facon sur une merne situation. Cest ainsi que, pour prendre un exemple tres simple, "his patient" renseigne sur le sexe du docteur, mais non sur celui du malade, alors qu'en frangais c est le contraire. Nous dirons done qu'il y a gain lorsque la traduction explicite un element de la situation que LD laisse dans ľombre4. Une phrase qui marque un gain se suffit davantage ä elle-méme, eile rétablit les sous-entendus ou rappelle ce qui a été dit précédemment. Et parce qu'elle depend moins, pour sa comprehension, du contexte ou de la situation, eile dispense le lecteur de s y reporter. Cette explicitation est due á des raisons d ordre soit sémantique soit structural. Tantôt un mot se trouve ä un plus haut niveau de generalisation que son equivalent en LA qui est par consequent plus precis (comparer, par exemple, "atterrir" et "débarquer" avec "to land") ; tantôt la structure de la langue oblige ä employer une tour-nure qui se trouve serrer la realite de plus pres. N'ayant pas la ressour-ce des verbes á particules, le francais est plus explicite quand il dit "Entrez sans frapper" pour "Walk in". Non pas que cette inscription sur une porte ne soit parfaitement claire pour un anglophone ; mais nous constatons que sa clarté depend beaucoup plus de la situation que ce n'est le cas pour la traduction franchise. Le gain n'est qu'apparent s'il n'ajoute en fait rien au sens de la phrase. Cest le cas des explétifs, des mots qui ne servent qu'ä la corser, á lui donner une meilleure assiette, ou encore ä satisfaire un certain besoin d'expressivite qui n'est pas logiquement nécessaire. Logan P. Smith, dans son livre Words and Idioms, fait de ties justes remarques sur la valeur cinétique des particules en anglais. "Up" est une servitude qui n'ajoute aucune precision dans des expressions du type "hurry up", "cheer up0". II en est de méme de "down" dans le premier des exemples ci-dessous. Exemple N° 1 : On the way down from London to Brighton En allant de Londres ä Brighton (4) Un gain par rapport ä la situation serait impensable. Puisqu'il s*agH d'une transmission ďinformation de LD en LA, on peut appliquer le principe de la conservation de rinformation, voir R. Ruyer, La Cybernétique et Vorigine de Vinformation (Paris, Flammarion, 1954) ..."puisque toute machine, queique perfectioiinée qu*elle soit,... ne peut qu'augmenter l'entropie, il est evident que, corrélativement, eile ne peut que diminuer rinformation". Nous allons montrer que le traducteur se révéle ici supérieur ä la machine, puisque nous pouvons parier de gain ; mais ce mot s'applique an message et non á la situation. (5) "In fact, we often add up to verbs in cases where, for the logical meaning, the preposition is not needed, as: wake up, hurry up, cheer up, fill STYLISTIQUK COMPARKE 165 "Down" a ici une valeur cinétique, plutôt que sémantique. II indique la direction vers un endroit jugé moins important. Le frangais n'en a cure. On peut done ne pas tenir compte de "down" dans la traduction en frangais, mais il n'est pas inutile de ľajouter quand on passe du frangais ä ľanglais. II rend la phrase angiaise plus idioma-tique. II satisfait le besoin de dynamisme qui est une des caractéris-tiques de ľanglais. Exemple N° 2 : Si nous modifions la phrase donnée plus haut en supprimant ['indication du point de depart: On the way down to Brighton nous constatons que "down" joue maintenant un role plus important: il est en effet le seul moyen que nous ayons de supposer que le voyageur a clu partir de Londres ou ďune ville située dans le nord de ľAngleterre, et non pas de Portsmouth ou de Dieppe, car ľanglais dirait alors : on the way over to Brighton; on the way across to Brighton fl La traduction frangaise sera simplement: "En allant ä Brighton". Elle accuse une perte par rapport ä LA, puisqu'elle ne comporte aucun rappel du point de depart. Nous voyons ici que dans certains cas la particule n'est pas purement cinétique ; eile a aussi une valeui sémantique. Exemple N° 3 : "...he gave the two of them handsome tips, said good-by, and drove to the Warsaw station." (James Hilton) II faut connaitre la situation pour savoir que le monsieur en question ne s'est pas rendu ä la gare dans sa propre voiture, mais dans un fiacre. Nous dirons done : "et se fit conduire ä la gare de Varsovie." II V a gain reel en frangais. Exemple N° 4 : "We passed few cars on the road." up, clean up, etc. It would almost seem as if these particles and verbs of action took the place in our northern speech of the gestures in which our intercourse is lacking, but which arc so vivid an accompaniment to the speech of the Latin peoples, whose languages are poor in the emphatic use o particles." (Logan Pearsall Smith, Words and Idioms, Londres, Constable, 1925.) Ou ne conlondra pas ces exemples avec ceux oil la particule rend 1 aspect terminatif (64). (6) "Over" pourrait également s'einployer pour indiqucr la traversée de Dieppe ä Brighton. 166 STYLÍSTIQUE COMPARÉE L'extension sémantique du verbe "pass" en anglais ne permet pas de decider si celui qui parle veut dire: "croiser", "dépasser", ou ä la fois "croiser et dépasser". Le fran$ais n'ayant pas un mot aussi general est oblige de préciser. Ici encore, ť est ľinsuffisance sémantique qui aboutit á un gain. De merne nous sommes amenés á étre plus explicites quand nous traduisons "coat" (pardessus ou veston), "chair" (chaise ou fauteuil), "notebook'" (U.S.) (carnet ou cahier). Exemple N° 5 : "Montez les bagages." Le contexte, mais non la langue, indique si celui qui parle est en bas ou en haut. Ľanglais fournit cette indication sans effort. "Take up" ou "Bring up the bags". De merne "Sv>rtez !" ne nous dit pas si le locuteur est dedans ou dehors. Compares : "Go (ou "get") out;" et "Come out!" Dans la phrase : "II rentre dans la maison", il y a ambiguiti, celle-ci disparait en anglais : "He goes (comes) back into the house". La phrase anglaise révěle la position de ľobservateur. Suivant le cas notre mot "ici" deviendra done "in here", "out here", "up here", "down here", "over here", "back here" (43). Exemple N° 6 : "I'll be right over : J'arrive (Je viens tout de suite)." La phrase anglaise indique la position des deux interlocuteurs ľun par rapport ä lautre. lis sont séparés par une certaine distance, sans qu'il y ait idée de montée ou de descente et sans qu'on tienne ä souligner une sortie ou une entrée implicites. Rien n'empéche de dire en frangais si la situation ľexige: "Je monte" ou "je descends (ou "je traverse") tout de suite", mais le plus souvent on se conten-tera de : "Je viens tout de suite" alors que ľanglais précisera au moyen de ses particules : I'll be right over, down, up, in, out. II y a done chaque fois gain reel en anglais, ce qui est normal étant donne la preference de cette langue pour les mots-images quand il s'agit de décrire une situation concrete (41). Exemple N° 7 : "...there was no sound but the ticking of a clock and the muffled clatter of the typewriters behind the glass." Hugh MacLennan, Barometer Rising, p. 77. (7) Ľaméricain emploie peu "copy-book" ou "exercise-book". "Notebook" a 1 cs deux sens de "cahier" et de "caruet". Cf. aussi "pocket-book" pour rendre "agenda" et "portefeuille". STYLÍSTIQUE COMPARÉE 167 Prise séparément, ou méme dans le cadre de son paragraphs cette phrase ne permet pas ďévoquer ä coup sür ce que represente "glass". Mais si on se reporte de sept pages en arriěre, on se rend compte qu'il s'agit ďune cloison de verre dépoli: "a partition of frosted glass" (p. 70). Nous dirons done : "derriěre la cloison vitrée", ce qui represente un gain par rapport ä LD, ďaprěs la definition donnée plus haut. Remarquons que si "verre" était susceptible du méme emploi que "glass" la phrase ne serait pas plus claire en frangais qu'en anglais. La precision du fran^ais tient done á une moindre extension du mot "verre". Exemple N° 8 : Ľécriteau "To the Station" peut étre place soit ä ľentrée, soit ä quelque distance de la gare. Des raisons de structure (91) empéchent de traduire "to" simplement par "ä". Nous savons que ľétoffement obligatoire de la preposition se fera ici par un substantif. Le choix de ce substantif aměne le traducteur ä se rendre compte de la situation et ä dire "Entrée de la Gare" ou "Direction de la gare". II y a gain en frangais pour des raisons de structure. Exemple N° 9 : "Le matin du troisiěme jour, la mer s'était calmée. Touš les passagers..." (La Revue de Paris, Janvier 1956). Jusqu'ä la virgule, et méme jusqu'au point aprěs "calmée", on ne peut traduire les premiers mots que par : "On the morning of the third day..."; mais, dans la deuxieme phrase, le mot "passagers" indique qu'il s'agit ďune traversée : nous dirons done: "On the morning of the third day out,.,." La traduction anglaise éclaire sa lanterne děs le debut : gain reel en anglais. II n en va pas de méme pour les deux exemples ci-dessous, qui ne représentent que des gains apparents pour ľanglais: "He laid the newspaper on the table: il posa le journal sur la table" (Un journal se pose généralement ä plat) ; "I am down at the other end: Je suis (ma chambre est) ä ľ autre bout du couloir". (Les couloirs sont généralement horizon taux.) On notera que le principe de ľexplication par le contexte, base sur ľinterprétation globale ďéléments du message dépourvus de marques morphologiques, semble relever exclusivement de la pensée. Reposant sur des' circuits de probabilités extrémement vastes et complexes, ce phenoměne est sans doute l'obstacle majeur aux machines ä traduire électroniques. La machine ne saurait ä eile seule decider que dans les cas cites plus haut "glass" doit se rendre par "cloison vitrée", plutôt que par "verre", ou "To" par "entrée" plutôt que par "direction". 168 STYLISTIQUE COMPARÉE § 152. U n cas ty pique : les titres : En general, les titres de romans et de pieces de theatre ne sont pleinement intelligibles que pour ceux qui ont lu le livre ou vu la piece. Cest ďailleurs lá-dessus que comptent les auteurs, qui piquenr la curiosité du public avec un titre parfaitement sibyllin vu de ľextérieur, et qui pourtant a des rapports secrets avec le message. La traduction de ces titres n'est done possible que si ľon connait le contexte, et il faut ľaborder en dernier lieu. Cest un exemple ďexplicitation ä ľétat pur. Comme le raccourci stylistique qui aboutit au titre est propre au génie ďune langue, on comprendra aisément que les titres demandent ä étre traduits par modulation (216 sq.), voire par adaptation (246 sq.). Nous en citons ici quelques bons exemples, dont la pertinence n'est toutefois apparente que pour ceux qui connaissent le sujet des livres cites : "Hollow Triumph ; Chateau de Cartes" ; "Wuthering Heights : Les Hauts de Hurievent" (Ici, transposition de ľeffet sonore du nom propre) ; "Fatal in My Fashion : Cousu de fil rouge" (Jeu de mot sur "fashion" ; il s'agit d'un crime commis chez un grand couturier) ; "The Man with My Face : Comme un frěre" (histoire de sosie). L'ellipse dune partie d'un proverbe ou dune locution habituelle semble trěs fréquente dans les titres modernes, cf. "Tel qu en lui-méme", etc.) ; "Le Grand Meaulnes : The Wanderer" ; "Out of the Past of Greece and Rome : Tableaux de la vie antique" (Noter la transposition vers le substantif) ; "Blackboard Jungle : Graine de violence" (Film sur ľenfance délinquante) ; "Le compteur est ouvert: Twice Tolled Tales"; "Mixed Company : De tout pour faire un monde" ; "Thicker than Water : Les liens du sang" ; "Figure it out for yourself! : Cest le bouquet!" ; "An Alligator Named Daisy: Coquin de saurien", etc. § 153. Les manchettes des journaux: Les manchettes de journaux nous offrent, surtout en pays anglo* saxons, des cas assez voisins qui demandent le plus souvent ä étre éclairés non seulement par le contexte, mais surtout par des connais-sances métalinguistiques : allusions culturelles, politiques, historiques, faits divers, etc. Par exemple, ľallusiori á Mussolini doit étre comprise sous ľépithete de : "César de Carnaval", qui a été bien rendue en anglais par ; "Sawdust Caesar" (MOD sur ľidée de carnaval, ďoů le cirque, ďoú ľ aréne, ďou la moulée ou sciure de bois ; jeu de mot sur "sawdust", qui sert aussi ä remplir les poupées de son.) STYLISTIQUE COMPARÉE 169 Ľinterprétation des manchettes anglaises et américaines repose presque entiěrement sur la situation et sur une série de conventions stylistiques, relativement récentes, qui tendent ä la fois ä surprendre le lecteur, ä économiser de la place et ä dire le plus de choses possibles avec le plus petit nombre de caractéres typographiques. Au point de vue stylistique, ces manchettes ne relévent pas directement de notre etude, car el les forment une langue marginale avec ses conventions propres, qui a fait ľobjet de quelques études particuliéres". Mais il convient de les signaler en passant, d'abord parce qu'elles posent des problémes importants au tradueteur, ensuite parce qu'elles reflětent une conception métalinguistique trěs particuliére de ľinformation qui tend, par suite du prestige actuel de la presse anglo-américaine, á s'imposcr ä des journaux francais et surtout aux journaux canadiens. Ainsi, les manchettes de la presse canadienne frangaise ne sont trop souvent qu'une adaptation plus ou moins heureuse des manchettes anglaises correspondantes. Voici quelques exemples de manchettes suivies d'un essai de traduction qui n'est parfois qu'une explicitation : (1) "SOLID CLUES IN MURDER CLAIMED : L'affaire de ľavé-nue X : La police serait sur une piste importante." (2) "SOVIET CLOSE GAP IN AIR POWER RACE : Les Soviets rattrapent leur retard dans la course aux armements aériens " (3) "PORT TO GET NEW GRAIN FACILITIES: [De] nouvelles installations [sont] prcvues pour la manutention des grains dans le port [de Montreal.]" (4) "EXPORTS HOLD UP AGREED : Le gouvernement accepte l'embargo sur les envois d'armes." (5) "PORT DARWIN, ALLIED NAVAL BASE, TARGET : L'aviation japonaise bombarde la base návale de Port Darwin". Nous perdons ici la notion ď"allié". On pourrait la réintroduire en traduisant: "la base návale russe", en laissant au lecteur le soin de conclure que Port Darwin était, 2 cette époque, une base "alliée". (6) "The Saving Skates" (Time) ; il s'agit des Jeux olympiques d'hiver. Seule la lecture des paragraphes qui suivent permettent de traduire ce titre sibyllin : "Grace aux patineurs, ľhonneur est sauf". (7) "Dashing Skis: Sur les pentes neigeuses (accompagne une illustration; bon exemple de modulation). (8) "Noise to Live With"; il s'agit du bruit des avions ä reaction, sous la rubrique "Aviation". Traduction possible : "On s'habitue ä tout". Toutes nos traductions, dont certaines pourraient naturellement étre plus elliptiqnes dans le cas d'un événement connu du public, (8) Notamment cell e de Heinrich Straumann : Newspaper Headlines; a study in linguistic method. Londres, G. Allen & Unwin, 1925. 170 STYLISTIQUE COMPARÉE représentent une precision, parfois considerable, par rapport ä ľan glais. Pour s'en rendre compte, il suffit de citer ici quelques man-chettes hors de leur contexte: elles deviennent, par lä-méme, totale-ment intraduisibles : "DEVIATES ISOLATION URGED ; PLAN GETS GO AHEAD ; WESTPORTERS MOB PECK ; INSANITY RULES CRITIC ; HANGING PROBE NAMED SOON", etc... S 154. Les faux amis de structure. A côté des faux amis de la sémantique et de la stylistique (54 et 55), il faut maintenant considérer une troisieme catégorie, celie oú des structures soit lexicales (mots composes ou derives) soit syntaxi-ques, n'ont pas le sens que ľanalyse de leurs elements semblerait indiquer, bien que ces elements, pris séparcment, ne soient pas eux-méme des faux amis sémantiques ou stylistiques. Pour englober ces deux aspects de la question, ľaspect lexical et ľaspect syntaxique, nous proposons le terme de faux amis de structure, qu'il s'agisse d'un mot, d'un syntagme ou d'une phrase. Nous dirons qu'il y a faux amis de structure quand le sens global est different du sens structural, et c'est bien entendu le sens global qui ľemporte. Sont done classées dans cette catégorie toutes structures réunissant les conditions suivantes : a) les mots, ou elements de mots, qui les composent ont indivi-duellement le méme sens dans les deux langues. b) ces elements sont agencés dans le méme ordre, compte tenu de certaines obligations structurales propres á chaque langue (voir le cas de "pine-apple", "pomme de pin") c) leur agencement aboutit ä un sens, disons ä un message different. Exemples : Des mots comme "pine-apple", "lodger", "counterpart", "cut-throat", "distaste" semblent, de par leur composition ou derivation, appeler ľéquivalence avec "pomme de pin", "logeur", "contre-partie", "coupe-gorge", "dégout". En fait, on sait qu'ils veu-lent dire respectivement: "ananas", "locataire", "pendant", "coupe-jarret" (ex. de modulation), "repugnance". L'erreur la plus grossiere serait de traduire "pine-apple" par "pomme de pin" et "lodger" par "logeur", ou encore "cut-throat" (qui est un homme) par "coupe-gorge" (qui est un endroit) ; la distinction est plus subtile entre "contre-partie" (idée ďéchange, de compensation) et "counterpart" (pendant) ou entre "repugnance" (distaste) et "dégout" (disgust). A la méme catégorie appartíennent des expressions comme : "a man of the people : un homme sorti du peuple" (et non "un homme du STYLISTIQUE COMPARÉE 171 peuple") ; "confidence man : un escroc, un chevalier ďindustrie * (et non "un homme de confiance"). § 155. Dans le cadre de la syntaxe les exemples qui suivent of f rent des paraliclismes de structure et des divergences de sens. "II n'y a rien de tel que..." veut dire "There's nothing like...' et non "There's no such thing as..." qui se traduit par "...n'existe pas". "C'est beaucoup dire" qui pourrait signifier "That's saying a lot" doit en fait se rendre par "That's going rather far", tandis que "That's saying a lot" a pour equivalent "Ce nest pas peu dire". Le risque de confusion tient ä ce que dans les deux expressions francaises "pas peu" n est pas la méme chose que "beaucoup" De méme: — in view of : étant donne que (et non "en vue de") — to have reason to : avoir lieu de, avoir des raisons de (et non "avoir raison") — nothing less than : tout ce qu'il y a de plus (le contraire par consequent de "rien moins que") "Comment est la maison ? : What's the house like?" et non "How is the house?" qui n'appelle pas le méme genre de réponse. Cf. "How was the movie? : Cétait bien le film ?", "Comment avez-vous trouvé le film ?" "Since when...?" veut bien dire "Depuis quand...?", mais seulement avec une nuance sarcastique. ("Depuis quand répond-on comme cela ä ses parents?") II faut done considérer que quand cette nuance est exclue, c'est "How long...?" qui traduit ä la fois "Depuis quand?" et "Depuis combien de temps?". "When", equivalent de "and then", ne peut se rendre par "quand". Ex. : Three men were killed when a tank blew up." II ne s'agit pas d'une coincidence mais d'un rapport de cause ä effet*. Disons done: "Trois hommes furent tués ä la suite de ľexplosion d'un reservoir", ou mieux encore : "Ľexplosion d'un reservoir fit trois victimes". (120-121). "Dear Sir, : Monsieur" (et non "Cher Monsieur" qui eorrespondrait ä "Dear Mr. Smith") "Be sure that..." : non pas "Soyez sür que...", qui se dirait "You can be sure", mais "assurez-vous que..." "Be sure he knows what he has to do: Assurez-vous qu'il sait ce qu'il a ä faire." (9) C'est une des fautes les plus fréquentes au Canada francals. 172 STYLISTIQUE COMPARÉE "Without doubt : Sans aucun doute", et non pas "sans doute" qui se dit "no doubt". — His wife of thirteen years... : Aprěs treize ans de manage, sa femme... (et non : "sa femme de treize ans"!) — I don't think much of him : II ne m'emballe pas (et non "Je ne pense pas beaucoup ä lui.") — II est intéressé dans cette affaire : He has interests in this concern, (et non: "He is interested in it." Remarquons en passant que la difference de sens entre "So did J" (moi aussi) et "So I did" (ce que je fis) parait purement arbitraire ä un Frangais. Bien que ces deux tournures n'entrent pas vraiment dans la catégorie des faux amis de structure, elles permettent de constater une fois de plus ľécart entre le mot ä mot et le sens global. Les exemples qui precedent appartiennent ä la langue. lis restent valables pour n'importe quel contexte. Mais il peut arriver que la iangue admette au moins deux interpretations pour une structure donnée : le sens littoral et un autre, auquel cas c'est le contexte qui doit decider. Ce n'est pas tout ä fait ce qui se passe avec "I'll thank you to be polite", car le futur ici indique ciairement qu'il faut traduirc par "Je vous prierai d'etre poli" et non pas par "Je vous remercie de votre politesse". De méme "You can say that again!" ľaccentuation de "that" signále au traducteur que le sens est: "Je vous crois!" "Vous ľavez dit!" "Et comment!" Par contre "se sauver" peut évi-demment vouloir dire dans certains cas : "to save oneself" au lieu de "to run away". "Yes sir!", "No sir!" signifiera trěs souvent, comme on s'y attend : "Oui monsieur", "non monsieur", mais dans la bouche dun Américain, cette expression peut s'employer sans que "sir' designe un interlocuteur. "No sir! nobody is going to tell me how to run my business : Je vous le dis, personne ne va m'apprendre ä faire marcher mon affaire." De méme "You asked for it" se rendra, suivant le contexte, par : "Vous ľavez demandé", ou "Cest bien fait pour vous". On voit d'apres ce qui precede qu'il faut ranger pármi les faux amis de structure beaucoup de locutions figées, ďidiotismes ä ne pas traduire littéralement: "He is talking through his hat : II ne sait pas ce qu'il dit" (et non pas comme on entend dire parfois au Canada : "II parle ä travers son chapeau".) "Give me Beethoven any time : £a ne vaut pas Beethoven" 10. Ces idiotismes sont souvent précisés (10) Ici encore, on ne voit pas comment ľidée de comparaison qu'explicite la traduction franchise pourrait sortir d'une machine ä traduction. STYLISTIQUB COMPARES I73 dans des ouvrages de reference, mais le processus selon lequel le traducteur reconnait ľéquivalence entre deux locutions n'a pas encore été étudié. II se réf ere non pas tant ä un critere contextuel qu'aux critéres de situation dont nous allons maintenant parier. § 156. Explication par la situation : II y a des cas, avons-nous dit, ou la traduction ne ressort ni de la structure, ni du contexte, mais oú le sens global et ultime n'est perceptible que pour celui qui connait la situation. On peut définir ce dernier terme comme englobant toute la realite, concrete et abstraite que décrit ľénoncé. La situation étant le support conceptuel du message, il faut done la connaítre pour pouvoir déchiffrer ce dernier sans risque ďerreur, particuliěrement toutes les fois ou la seule structure est impuissante ä évoquer nettement la situation". C'est le cas, par exemple, de certains avis ou affiches, qui ne sont pas suivis de commentaires explicatifs. Soit le signe SVP ; il ne correspond en soi qu'a une situation trěs vague, celle d'une demande polie. Mais si 1'on voit un ecriteau fíché sur une pelouse canadienne, avec le seul mot "SVP", on comprendra sans trop d'effort qu'il est preferable de ne pas marcher sur le gazon. De méme, au Canada, un ecriteau "WORMS" pres d'une riviere suffit ä indiquer que ľon vend des vers ou de la boette, alors que le méme ecriteau en Allemagne indi-querait la direction de la ville de Worms. II serait facile de multiplier les exemples de ce type ďambiguíté, et nous allons en donner quelques-uns ci-dessous ; il faut noter toute-fois que ľambiguité dont il s'agit, n'est valable que pour la langue écrite, ou l'absence de marques adéquates, destinées ä transcrire le rythme, ľaccentuation et ľintonation, risque ďégarer le traducteur au moment du découpage. (a) Exemples jranqais: "II faut séparer les culasses des fusils" ("from" ou "of?") ; "les ouvriers qui étaient fatigues demandérent á interrompre le travail". (Ici, on pourrait mettre une virgule avant et aprěs "qui étaient fatigues" pour préciser le sens de la phrase); "je tra- (11) A. Blinkenbcrg fait bien ressortir cette primauté de la situation, voir en particulier VOrdre des mots en francais moderne, Copenhague, Host, 1928, p. 5. II se poursuit en effet une evolution vers une independence vis-ä-vis de la situation qui méme aux niveaux les plus élevés de la demarche intellektuelle (raisonnement philosophique, demonstration mathémaUque, etc.) n'aboutit ccpendant jamais ä une rupture. Autrement, le message n'aurait de valeur que par Iui-méme et non par rapport ä sa fonction ďlnformation. Cette derniére etape ďindépendance se realise sans doute dans la creation poétique moderne, qui de ce fait devient pratiquement intradulsible. 174 STYLISTIQUE COMPARÉE vaillerai tant que je réussirai" ("so much that" ou "as long as"?) ; "vous connaissez touš les effets de cette maladie" ("You all know" ou "you know all the effects"?). Dans les deux derniers cas, ľ intonation ou la pronunciation ("touš" prononcé avec ou sans /s/ final) suffisent pour dissiper toute ambiguíté M. (b) Examples anglais : "The Rare Book Room : dans une universitě, "la salle des incunables" ; "a light blue material : une étoffe bleu clair" ou "bleue et légěre" ; "a speed zone : zone de vitesse surveillée", ou "zone ou la vitesse est permise?" "A French teacher", "a French book" : doit-on interpreter "French" comme un adjectif de relation ou comme une épithěte ? "Supplementary Staff Test" : s'agit-il d'un test supplemental, ou d'un test pour le personnel supplemental ? Ľ ambiguité demeure avec une autre redaction possible : "Additional Personnel Test". Enfin, nous avons eu ľoccasion de parier du cas de : "A monk's cell", par rapport au frangais : "une cellule de moine", "la cellule d'un moine" (l4l). On peut également ranger dans la merne catégorie la mode d'un gout assez douteux qui veut que ľon remplace dans certains restaurants américains ľindication "Men/Women" or "Men/Ladies" par "He/ She" ou "Pa/Ma". On notera qu'en raison du caractere elliptique de ces annonces, il n'y a que la situation qui puisse en rendre compte. II en va de merne d'indications telies que : "Down trains/Up Trains" dans une gare anglaise indique les trains en provenance ou a destination de Londres ; "From", sur une enveloppe "expéditeur" ; "Haut", sur une caisse ; ľanglais est plus clair avec "This Side Up" ; "Stage Door : Entree des artistes" M. § 137. Etude des situations : Contrairement ä ce qui se passe pour les unites lexicologiques., les situations ne se trouvent pas dans les dictionnaires. A peine en trouve-t-cn mention dans les ouvrages de stylistique, sauf chez Bally qui utilise cette notion dans son Traité (TSF § 103) et en parle plus longuement dans Le hmgage et la vie (pp. 113-115, 2e éd.). F. Brunot y pensait deja, sur un autre plan, quand il ccrivait: « II f aut se (12) Ces trois derniers exemples sont de Bally, LGLF § 609. (13) II y a, dans tous ces exemples, une opposition fundamentale cntre deux tendances : explicitation de ľanglais, renvoi a la situation du francais. Ainsi, une pancarte dans un magasin DEMANDEZ NOTRE CATALOGUE pourra se traduire par ASK FOR OUR CATALOG(UE) ; mais, dans une annonce de journal, ťanglais dira WRITE FOR OUR CATALOGUE, ä la radio, PHONE FOR OUR CATALOGUE. La situation suffit done ä eile seule pour éclairer le traducteur partant du francais, qui joue surtout avec des mots signes. STYUSTIQUn OOMPARÍin 175 résoudre ä diesser des methodes de langage oü les faits ne soient plus ranges ďapres ľordre des signes, mais ďaprés ľordre des idées » (La Pensée et la langue, 2e ed., Paris, Masson, 1929). L* etude des situations est pourtant essentielle en stylistique comparce, puisqu'elle seule permet de decider, en dernier ressort, de la signification d'un message. Comme le souligne trěs justement E. Nida, «the person who is engaged in translating from one language into another ought to be constantly aware of the contrast in the entire range of culture represented by the two languages» (Word, vol. 1, n° 2, aout 1945). Méme si par la force des circonstances la majorite des traductions rapprochent des langues participant ä une méme aire generale de culture (par exemple la culture dite occidentale), il reste que chaque groupe culturel est suffisamment individualise pour que les langues reflětent ces divergences dans leur stylistique. On remar-quera en effet que toute la stylistique comparée est basée sur la difference ďinterprétation ďune meme situation par deux groupes linguis-tiques. On peut meme poser en principe que, dans la mesure ou une phrase se laisse traduire littéralement, eile reflěte une communauté culturelle et, sur un plan plus éleve, une communauté conceptuelle et philosophique. Nous indiquerons plus loin (App. 1) quelques moyens ďexplorer la situation, ä propos des techniques de nomenclature et de documentation. Nous voudrions seulement souligner ici la difficulté de cette recherche, qu'il s'agisse d'ailleurs dune langue étrangére ou de notre langue maternelle. A notre connaissance, le travail de H. Frei, Le livre des deux mille phrases (Geneve, Droz, 1953) est le premier pas dans cette direction, § 158. Pour bien saisir la valeur de cette recherche, que le lecteur se demande ä quelles situations correspondent les phrases suivantes : (1) "Le mécanicien n'a pas apercii le signal" ; (2) "Saignant?" (3) "Et avec £a, Madame ?" (4) "You can't miss it!" (5) "You're on!"; (6) "Wrong number"; (7) You're a stranger here", variante: "Hello, stranger!". Nous pensons que ces messages ne peuvent s'entendre que pour les situations suivantes : (l) il s'agit d'un mécanicien de chemin de fer, ce qui est d'ailleurs indiqué par les « marques» sémantiques "mécanicien" et "signal", ces deux mots excluant par exemple ľhypothese d'un garagiste ou d'un fabricant de prothěses dentaires ; de plus, il est probable qu'il y a eu une catastrophe ferroviaire, autrement la remar-que n'aurait pas de sens. (2) II ne s'agit pas d'un monsieur qui saigne, 176 STYLISTIQUE COMPARÉB mais ďun biftek. (3) Ne se dira que dans un magasin, par une ven-deuse á une cliente qui a déja acheté un article. (4) Fait partie des indications fournies par quelqu'un qui vous montre le chemin. (5) On est au theatre : "En scene!" Cest le régisseur qui parle. (6) Au telephone. (7) On dit cela ä quelqu'un qu on n'a pas vu depuis long-temps, par exemple en ouvrant la porte pour répondre ä un coup de sonnette "On ne vous voit plus !" ; le tour familier implique une certaine intimite entre les interlocuteurs. II faudrait naturellement étudier la possibilité d'appliquer ces messages á ďautres situations ; autrement dit, les phrases ci-dessus pourraient-elles venir naturellement aux lěvres dans des circonstances autres que celieš précisées plus haut ? Par exemple, une demoiselle du telephone dirait-elle ä un nouvel abonné : "Hello, stranger?" On voit que e'est bien peu probable et qu en fait chaque situation appelle normalement et en quelque sorte automatiquement, un message et un seul. Par exemple, "Do you think we'll make it?" ne peut étre dit que par une personne en retard pour son train ou qui craint de ne pas réussir dans ce quelle a entrepris; la phrase suppose une atmosphere tendue, précipitée, etc. Cette correspondance du message et de la situation est ďautant plus interessante ici, qu'aucune marque sémantique ne semble restreindre le sens de "make". § 159. Dans les exemples cites plus haut-, ľassociation entre la situation et le message se fait presque automatiquement par suite de la frequence de ces cas et de leur relative simplicitě". Inversement, il txiste des cas ou, si la situation est nécessaire ä la comprehension, eile n'est pas forcément évoquée par le message : il n'y a pas réver-sibilité. Cest ainsi que "You're coming home" peut aussi bien signi-fier : "Vous touchez au but" que "Vous rentrez chez vous" ; "Let it stand" peut s'appliquer au the : "Laissez-Ie infuser", mais évoque tout aussi bien une correction typographique : "Ne pas tenir compte de la correction", ou la discussion d'une clause de contrat: "passons" — sans compter ľimprobable "Ĺaissez-ie debout !" II est á remarquer que le plus souvent la langue ne souffre pas ces ambiguítés structurales et introduit une marque permettant de se (1.4) Comme le fait remarquer Blinkenbcrg (op. cit. p. 9) la trěs grande majorite des phrases que nous disons le long de la journée ont a ce point le caractére d'habitudes solidcment établics, qu'elles sont déclenchées automatiquement. On peut done prendre la question par les deux bouts : a) quelle est, pour une langue donnée, la reaction linguistique ä une situation donnée ? b) quel est, pour une situation donnée, le cadre linguistique qui a tendance a se déclencher automatiquement. Cf. sur ce point J. P. Vinay, Traductions, pp. 47-64. STYLISTIQUE COMPARES 177 référer exclusivement ä une situation donnée, cf. la distinction entre "Smith called this morning" (message ambigu pour un Britannique ; est-ce au telephone ou ä la maison ?) et "Smith called here this morning", qui est un message parfaitement clair : il ne peut s'agir que dun visiteur. L'ambiguíté nexisterait peut-étre pas pour un Americain, qui dira "stop by" pour "passer chez". Les véritables ambigu'ítés, au contraire, dérivent de ľignorance oü se trouve le lecteur de la situation originale. Par exemple, dans un livre sur les recherches archéologiques en Grande-Bretagne, on lit: "Accordingly, in August 55, he. (Julius Caesar) made a start by crossing from Boulogne with some 10,000 men", etc. Pour comprendre cette phrase, il faut suppléer les données topo-graphiques qui sont implicites et rétablir la Manche ; on sent que la phrase a été écrite par un insulaire et de son point de vue. Cest la merne attitude qui pousse les Anglais ä appeler ľEurope occidentale: "The Continent", si bien qu un jour de brouillard sur la Manche on a pu lire dans les journaux londoniens "Continent cut off", que nous traduirions naturellement par: "ĽAngleterre isolée (du continent) par le brouillard". II est ä noter que ce sens particulier de "continent" s'est acclimate merne aux Etats-Unis, de sorte que le plus souvent, il faut le traduire par : L'Europe. Comme dans certains cas, ce mot peut designer le continent nord-américain, seule la situation ou le contexte pourront nous guider dans son interpretation correcte. Uexplication par la situation se présente done comme le probléme le plus délicat auquel le traducteur devra faire face: et pour le résoudre, il ne dispose que ďun moyen : la connaissance métalinguis* tique. Puisque cette derniěre repose, en fin de compte, sur la connaissance de ľhomme, de sa philosophic et de son milieu, la traduction est done vraiment un humanisme, et a sa place pármi les exercices les plus formateurs de ľesprit. On le savait déjä, au moins intuitive-ment, depuis longtemps. 178 STYLISTIQUE COMPARE!* CHAPITRE II LES FAITS PROSODIQUES § 160. D'apres la definition qiťen donne la linguistique structurale, un fait prosodique est un phčnomene étalé sur plusieurs segments de ľénoncé. Par exemple, la fonction pluriel est étalée en fran^ais écrit, et ä un moindre degré en frangais oral, sur un grand nombre de segments : noms, adjectifs, verbes, articles, pronoms. Nous dirons que la fonction pluriel est un trait prosodique. La prosodie est 1 utilisation des faits prosodiques sur un plan donne de la parole, et le prosoděme est ľunité de prosodie dans une langue donnée. Nous avons fait deja plusieurs fois allusion a cette conception de ľétalement des signes, qui participe essentiellement du message, puisqu'elle repose sur un déroulement ďunítés successives le long de ľaxe du temps, et puisque ľeffct obtenu par un prosoděme n'esc sensible qu'apres exploration de la totalite du segment intéressé. Les prosoděmes se situent ä touš les niveaux de ľ analyse linguistique. Sur le pian phonologique, en particulier, citons les phénoměnes cľintonation qui sont charges ďune valeur différenciatrice: par exemple, la difference entre "(Ja va ?" et "(Ja va !" est rendue immcdiatement sensible grace aux variations mclodiques ; il en va de meme pour "Personne n'est venu ?" et "Pcrsonnc n'est venu !" Sur le plan du lexique, citons la dilution des morphemes ncgatifs, en particulier le role de "ne" dans des phrases telies que : "II n'a plus guěre de temps á vivre", "II ne s'agit pas que dc lui", "II n'y va plus jamais", etc. Sur le plan syntaxique, citons la concordance des temps, et sur le plan stylistique, la modulation et la compensation. 8 161. Prosoděmes de la langue parlée . Nous venons de noter que la langue parlée possěde un prosoděme d'intonation, qui comporte d'ailleurs plusieurs formes distinctes, auxquelles on peut rattacher des categories modales telies que ľ inter- STYLISTIQUE COMPARÚE 179 rogation, ľaffirmation, ľincrédulité, le sous-entendu, etc. Ces phénoměnes prosodiques sont trěs importants, puisqu ils permettent de résoudre des ambigultés du type "Personne n'est venu" (l) "Nobody came" (2) "Did anybody come?" La langue écrite n'a pas suffisam-ment de marques pour signaler clairement ces modalités, bien que /!/,/?/.../ soient généralément affectés aux prosoděmes d'intonation. On a méme essayé, sans succěs, d'introduire en frangais un point d'ironie/?/, qui aurait permis de distinguer entre "Ce n'est pas mal!" et "Ce n'est pas mal?" ; "Tu as bonne mine!" et "Tu as bonne mine?" La question a son importance en stylistique comparée, puisque les tradufteurs sont appelés á rencontrer nombre de phrases elliptiques, notamment dans les dialogues. L'accent tonique, dans les langues oú il peut tomber sur diffé-rentes syllabes, est également un phčnomene prosodique qui apparait clairement ä ľ audition, mais que l'orthographe ignore souvent. En anglais, la variation tonique dite d'insistance (emphasis) est généralément notce par un souligné, par des italiques dans un texte imprimé (190). Enfin, et ceci est plus grave, les phénoměnes accompagnant la suture morphologique ne sont généralément pas notes dans ľortho-graphe. La traduction suppose done un bon découpage du texte, qui n'est possible que par une lecture mentale qui reconstitue les prosoděmes et délimite correctement les groupes accentuels. En frangais par exemple, la distinction entre: "un savant aveugle : a blind scientist", et "un savant aveugle : a learned blind man" repose dans la langue parlée sur la presence ou ľabsence de la liaison aprěs "savant" ; il faudrait de toute evidence une marque orthographique pour noter les liaisons. En anglais, on peut citer un cas semblable. qu'il faut supposer imprimé en majuscules, en manchette sur une page de journal: PROFESSOR BURNS LEAVES ON COMMENCEMENT DAY. Seul le découpage des prosoděmes permet de savoír s'il faut traduire "Le professeur Burns quitte son poste le jour de la collation des grades" ou bien "Le professeur brüle des feuilles mortes le jour de la collation des grades." Bien entendu, ce texte imprimé en minuscule n'offrirait aucune difficulté, ä cause de la majuscule affectée au nom propre. 180 STYLISTIQUE COMPARÉB LA PONCTUATION § 162. Les remarques qui precedent intéressent surtout la langut parlée, qui possěde des marques particuliěres (pauses, liaisons, intonation, etc.) pour dissiper dans une certaine mesure sqs ambiguités de structure. Dans la langue écrite, ces marques sont soit absentes, soit transcrites assez gauchement par les signes de ponctuation. Nous ne voulons pas entamer ici une etude comparative des systě-mes de ponctuation en anglais et en frangais; c'est en effet un domaine trěs vaste et oú regne un arbitraire parfois genant : « L'usage, dit Grevisse (LBU § 1058) laisse une certaine latitude dans ľemploi des signes de ponctuation ; tel écrivain en use avec moderation, laissant au lecteur le soin de faire aux endroits voulus certaines pauses demandées par le sens et les nuances de la pensée.» Le méme flot-tement se relěve chez les auteurs anglais. H.W. Fowler écrit: « It is a sound principle that as few stops should be used as will do the work... Stops are not to alter the meaning, but merely to show it up.» Un autre auteur, qui essaie de dégager quelques regies ä partir des groupes de sens, ajoute : « Freedom in the use of punctuation marks is like any other freedom, in that it rests upon the recognition and utilization of necessity »u. § I63. En matiere de ponctuation, il f aut distinguer comme partout ailleurs ce qui est servitude et ce qui est option u. II faut ranger parmi les servitudes les virgules ä valeur sémantique utilisées dans les man-chettes anglaises : "FRANCE, UK JOIN IN PACT", oů la virgule a la valeur de "AND" : "pacte franco-britannique" ; les virgules de remplacement: "Mary wore a red dress; Helen, a blue one"; la virgule (15) Robert Brittain, Punctuation, a Practical Method Based on Meaning. New York. Barnes a Nobles, 1950. (16) ha type parfalt de la virgule de servitude se trouve en allemand, qui indiquc chaque membre de phrase par ce signe de ponctuation : "Herr Vater, erlauben Sie doch, dass ich, ohne im geringsten meine Achtung vor Ihnen zu verletzen, die Frage stelle, worauf Ihre Ungnade zurückzuführen ist?" Certains écrivains anglais affectent de multiplier les virgules pour separer les incidentes, ce qui donne un rythme un peu saccadé a leur phrase : "the whole of the dialogue, in which the woodwinds, then the strings, join» is a slow lighting of the scene", etc. (I. Kolodin). II faut noter cependant, en anglais comme en francais, l'usage ďunc virgule de separation des propositions determinatives qui rappclle l'usage allemand : "L'hommc qui ne pense qu'h soi et ä ses intérôts dans la prosperite, restera seul dans le malheur" (Grevisse). "The question whether it is legitimate to use a comma to mark the end of a subject, is a debatable one." (Gowers). STYLISTIQUB COMPARES 181 aprěs une circonstancielle en frangais, qui occupe généralement une place privilégiée en téte du paragraphe : "En juin 1950, il s'embarqua pour la Hollande/' On remarquera que cette derniěre virgule manque le plus souvent en anglais aprěs une circonstancielle: "In Mesopotamia the highest mound will probably conceal the Ziggurat..." Et il est bien entendu que dans un texte francais ä destination de ľEurope, le traducteur devra transformer les decimal points en virgules et vice versa : S10.50 mais Frs. s. 10,50. Autres exemples de ponctuation de servitude, que ľon devra pat consequent transposer dans ľautre langue : a) la virgule aprěs le mois dans une date : ''September 5, 1955 : le 5 septembre 1955". b) Ľ anglais semble toujours préférer une virgule avant "and", alors qu'en francais on peut distinguer entre "et" sans virgule qui relie deux idées connexes, et "et" avec virgule joignant deux propositions qui n'ont pas le méme sujet: "L'ennemi est aux portes, et vous délibérez". II faut également voir une servitude dans la double virgule qui sépare deux verbes ä particule se rapportant ä un méme complement. Ex.: "He was interested in, though not attracted by, chemistry". Cette habitude, qui semble un germanisme, ne peut se transposer en frangais. La modulation passif-actif permet une solution facile : "La chimie ľintéressait sans pourtant ľattirer." N.B. II n'y a pas toujours de virgule dans ce cas ; ex.: "She detested and shrank from fire-arms. (Meredith) : Elle détestait les armes ä feu et ne s'en approchait jamais." § 164. Au contraire des exemples de servitudes cites plus haut et que ľon peut trouver dans les manuels specialises, il faut considérer la ponctuotion stylistique comme une marque grace ä laquelle certaines precisions sémantiques peuvent étre apportées au message. Cest le cas ď enumerations dont certains membres peuvent étre simples ou composes : "White, blue, and yellow books" doit done étre distingue de "White, blue and yellow books". Un tel exemple peut étre délicat ä rendre en francais, oú ľon répugne ä ľusage de la virgule avant "et" dans une enumeration : "Des livres bleus, blancs et rouges". Ici, la nuance est rendue par un signe graphique: ľaccord des adjectifs (Des livres bleu, blanc et rouge). Ľadverbe traité en incidente peut causer une ambigu'ité* selon qu'il est suivi ou non d'une virgule. Gowers " cite: "He was apparently (17) Sir Ernest Gowers, Plain Words, H. M. Stationery Office» 1948. 182 STYLISTIQUE COMPARES willing to support you", different de : "He was, apparently, willing..." Gowans Whyte lfl remarque le changement de sens qu apporterait une virgule aprěs "ashamed" dans la phrase : "I should like to plead with some of those men who now feel ashamed to join the Colonial Service." De méme, Fowler rappelle ľambiguité soulevée par la phrase de Lord Dunsany : "I decided on an alteration, of course", ce qui aurait du se comprendre sans virgule: "I decided on ao alteration of course". Voici, pris dans la presse contemporaine, quatre exemples d'ambi-guíté due ä une absence de marques de ponctuation dans le texte anglais : il f aut bien noter que cette absence ne constitue pas forcément une faute du point de vue anglais, langue plus avare en virgules et point-virgules que le frangais : (1) "If the St. Lawrence seaway goes through the familiar banks of the Lachine canal may encompass six lanes of automobiles instead of one lane of lake ships". The Gazette (Montreal), 21 mars 1952. II f aut évidemment couper la phrase aprěs "through" et traduire: "Si la canalisation du Saint-Laurent doit se faire, ľaspect familier du canal de Lachine changera du tout au tout, et six pistes automobiles remplaceront la file actuelle des navires des Grands Lacs." (2) "Before she left her husband ventured the prediction that../'. The New York Times, 29 mai 1952'; "Avant son depart, son mari avait (méme) pu prédire que..." (3) "Whatever the inner thoughts of officials and diplomats reports from Paris, Rome... stress that..." The Gazette (Montreal), 6 aout 1954. L'ceil hésite ä faire la coupure aprěs "diplomats", par suite de ľomission de la virgule, cette coupure n'étant indiquée que négative-ment par ľabsence de ľapostrophe aprěs "diplomats". (4) "We never saw her, but there must be a number of Montrealers who have for a look at the files reveals she was in Canada in 1917." Ici, ľambiguité est passagěre, car la deuxiěme hypothěse (have for a look) n'aboutit ä aucun cadre syntaxique valable. Du moins faut-il noter en anglais que la frequence des fausses coupes, dues á ľabsence de virgules, oblige souvent le lecteur ä reviser son premier décou-page. Le cas est particuliěrement net lorsque plusieurs particules entrent en contact, cf. "He gave up/in despair", par opposition á "They were/up in arms" ; "Any radical change will probably entail the doing away with altogether of the bus" (Cite par Jespersen, A Modem English Grammar, III. § 13.9.) Ces exemples montrent bien comment on passe insensiblement (18) Gowans Whyte, Anthology of Errors, Chaterson, 1947. STYLISTIQUE COMPARÉE 183 du probléme de la ponctuation ä celui du découpage (App. 2) ; ľopposition "up/in" et "up in" relěve uniquement de cette derniěre technique, puisque aucun signe de ponctuation ne saurait exister dans cette position. Notons qu ii n'y a généralement pas ambiguíté pour la langue parlée, ou la distribution des accents toniques (les "word superfixes" de Trager & Smith) éclairerait parfaitement la repartition des particules ; c'est pourquoi nous ne saurions trop insister sur ľimportance qu il y a pour le traducteur ä lire ä haute voix son texte pour en saisir parfaitement ľarticulation. DILUTION ET AMPLIFICATION § 165. La dilution est uniquement une question de forme. Elle est due ä ce que, dans deux langues rapprochées, il arrive souvent que la méme idée ait besoin de plus de mots dans ľune que dans ľautre. En ďautres termes, au merne signifié correspondent des signifiants ďínégale longueur. Un exemple courant de dilution est celui de "ne .. pas", par rapport ä "not". Ici la dilution est obligatoire en frangais ; eile ne ľest pas dans le cas de "ne... que", qui peut se remplacer par "seulement". Le contraire de la dilution est la concentration. Exemples de dilution en frangais : asylum archery weeds glare model to make amends to inhale sold at cost as le droit d'asile le tir ä ľarc les mauvaises herbes ; les voiles dune veuve la clarté crue, la lumiěre crue modele réduit faire amende honorable avaler la fumée vente au prix coütant au fur et ä mesure que Exemples de dilution en anglais un mur (auquel on se heurte) le bilan écumer rum in er déchoir un meeting un fermier a blank wall the balance sheet to froth at the mouth to chew the cud to lose caste a political meeting a tenant tarmer 184 STYLISTIQUE COMPARÉE Nous appelons par ailleurs amplification le procédé qui consiste, soit á pallier une déficience syntaxique, soit ä mieux dégager le sens ďun mot et dans les deux cas ä combler une lacune. Exemples : — Je crois savoir ce que vous voulez dire : í believe í know what you mean. — He talked himself out of a job. II a perdu sa chance pour avoir trop parle. — He talked himself into the job : II a réussí ä se faire offrir le poste. " .,He ate the clear, cool green leaves and the crisp, peppery-tasting stalks". (Hemingway): "II se mit ä manger les feuilíes vertes, propres et fraíches ä la bouche (il s'agit de cresson) et les tiges au goüt poivré qui croquaient sous la dent". Nous reportant ä la distinction saussu-rienne entre la parole et la Iangue, nous constaterons que la dilution est un fait de Iangue (lexique et syntaxe) ; le cas de ľamplification est plus complexe, car dans le domaine de la syntaxe, ce procédé reíěve de la Iangue alors que, dans celui du lexique, c'est le contexte — done la parole — qui incite le traducteur ä dégager certains elements sémantiques dont ľexpression constitue ľamplification. Uétoffemenř (90) est un cas particulier de ľamplification. Point n'est besoin d'insister davantage, car, s'il y a amplification dans une Iangue, il y a forcément économie dans ľautre, et cest de cela précisément que nous allons parier dans le chapitre suivant. UÉCONOMIE § 166. La tendance contraire á ľamplification est ľéconomie, qui se traduit par un resserrement de ľénoncé obtenu par la reduction, en nombre ou en étendue, des signes qui le composent. II y a économie dans un segment de ľénoncé lorsque le méme signifié est porte par un signifiant allege. Ex. : "děs demain matin" par opposition ä "first thing tomorrow morning". Ľéconomie tient ä des raisons de structure, eile est aussi favorisée par la mentalite des sujets parlants. Dans ľuo et ľautre cas eile nous intéresse, car les constatations auxquelles eile donne lieu permettent de dégager ou de verifier ceřtaines caractéris-tiques des langues en presence, comme nous essaierons de le montrei plus loin. II semble bien qu'en general ľanglais soit plus bref que le frangais. Cest du moins ce qui semble ressortír de la juxtaposition d'un texte anglais et de sa traduction en francais. Mais il faut tenir STYLISTIQUE COMPARÉE 185 compte du fait que la traduction a tendance ä étre plus longue que ľoriginal. Le traducteur allonge par prudence et aussi par ignorance, II pent arriver, par exemple, qu'il ait mal découpé ľénoncé et rendu séparément des elements qui forment un tout. Cest ce que nous appelons la surtraduction (12). Par ailleurs il est indéniabie qu'il y a de nombreux cas ou le mot á mot reste obscur et ou la clarté extge ľamplification. Aussi Hilaire Belíoc avait-il raison de dire que le traducteur ne doit étre esclave ni de la forme ni de ľespace. Ľéconomie fonctionne sur deux plans, le plan lexical et le plan syntaxique, qui d'ailleurs communiquent largement entre eux, car ce qui est lexical dans une Iangue peut devenir syntaxique dans ľautre et vice-versa. § 167. A. économie iexicale — (sur une enveloppe) From : Expediteur — (sur une caisse) Haut : This side up — No smoking : Defense de fumer — receleur : receiver of stolen goods — the easing of tensions : la detente —• the watershed (US: divide) : la ligne de partage des eaux — flown to... : envoyé ä... par la voie des airs ■— inedit : previously unpublished — back numbers : les numéros déjä parus La preference de ľanglais pour le mot courant (56) au lieu du terme savant aboutit ä une économie. — the Horse Show : le concours hippique — the French Line : la Compagnie generale transatlantique — blind flying : pilotage sans visibilité — shipyard : chantier de construction návale II en est de méme de la facilité avec laquelle ľanglais transforme un nom en verbe lá oů le frangais recourt ä une locution verbale (22, 87) : — to parade : faire parade de — to endanger : mettre en danger — to retire : prendre sa retraite — to welcome : faire bon accueil á — to apprentice to : placer en apprentissage chez & 168. B. économie syntaxique — 1) en anglais — We'll price ourselves out of the market : Nous ne pourrons plus vendre si nous sommes trop exigeants. 186 STYLISTIQUE COMPARES — He started out to walk off his emotion. (J. Galsworthy) : II sortit pour calmer son emotion en marchant. — In 1931 England was forced off the gold standard : En 1931, ľAngleterre fut contrainte ďabandonner ľ etalon or. On voit que les preposition anglaises sont de précieuses ressour-ces dans ce domaine. L'ellipse (145-146) est également un facteur d'cconomie et ľ on sait que ľanglais la pratique largement: -— as we saw last time : comme nous ľavons vu la derniěre fois — a mother of two : une mere de deux enfants. 2) en francais L un des cas les plus caractéristiques est celui ou le verbe principal et le verbe subordonné ayant le méme sujet, le francais emploie une preposition et un infinitif au lieu d'une conjonction et d'une proposition subordonnée : — I'll do it before I go : je le ferai avant de partir — I am sorry I did not think of it : Je regrette de ne pas y avoir pensé. — I believe I know what happened : Je crois savoir ce qui s'est passé. Parfois c est un nom qui remplace en frangais le verbe de la subordonnée en anglais : — I'll let you know when he returns : a) Je vous ferai savoir quand il reviendra ; b) Je vous préviendrai de son retour. Point n'est besoin de souligner laquclle de ces deux traductions est la plus satisfaisante. On peut d'ailleurs remarquer que 'TU inform you of his return" ne serait pas plus naturel en anglais que "Je vous ferai savoir quand il reviendra" ne ľ est en frangais. Mais il faut honnétement reconnaltre que dans les exemples qui precedent, ľanglais arrive aussi á ľ economic Dans plusieurs cas les signes qu il emploie ne sont ni plus nombreux ni plus étendus qu en francais. "Before", comme "after", "until", etc... a ľavantage d'etre ä la fois preposition et conjonction. D'autre part la subordonnée a la méme forme que si eile était independante Dans le deuxieme exemple la suppression de "that", toujours possible dans les phrases de ce genre, allege la construction. Le frangais n'a pas toutes ces ressources et s'il se calquait sur ľanglais c*est lui qui serait gauche et lourd. Qu on juge de ľeffet de : "Je le ferai avant que je parte", "je regrette que je n'y aie pas pensé". Enfin la valeur concluante du dernier exemple ne doit pas faire illusion. La possíbilité qu'a le francais de transposer le verbe en nom est Iimitée á certains mots : "arrivée", "depart", "retour", "réveil" "lever", etc... Et d'ailleurs dans la langue courante on dira plutôt; STYLISTIQUE COMPARÉE 187 "Prévenez-moi quand il sera levé" que "Prévenez-moi de son lever". En dehors dun petit.groupe de mots, la transposition n'est pas possible "Je vous préviendrai quand il aura fini, quand il sera préť\ etc. § 169- Tout ceci nous amene ä dire que ľéconomie est une notion relative et que ce qui importe surtout, e'est la f aeon dont eile est obtenue. L'évolution de ľanglais lui a permis de masquer ce que sa structure a ďappuyé par rapport ä celie du frangais et d'arriver á des résultats sensiblement égaux dans le domaine de ľéconomie. Cependant la superioritě du francais est incontestable dans les deux cas suivants : a) la tournure verbe de mouvement + infinitif Venez diner avec.nous : Come and have dinner with us. Notons toutefois que cette tournure existe en américain familier: "Go get your book". "She was eager to go talk to the high-school principal". b) la possibilité de mettre "faire" devant n'importe quel verbe pour rendre ľaspect causatif. Ľanglais hésite entre "make", "have", cause : — He made me study French : II m'a fait étudier le francais. — He would have us believe that: II voudrait nous faire croire que... — I want to have this watch fixed : Je veux faire réparer cette montre ". La tournure avec "cause... to" est littéraire et archaľsante Elle parait gauche ä côté de son equivalent frangais : "in witness whereof I have hereunto... caused the Seal of the United States of America to be affixed : en foi de quoi j y ai fait apposer le sceau des Etats-Unis ďAmérique". (proclamation présidentielle) Ľ exemple suivant est emprunté ä un écrivain moderne, George Orwell, et montre que "cause... to" n'est pas reserve ä la langue juridique : It is the same motive that caused the Malaya jungles to be cleared for rubber estates : e'est le méme motif qui a fait défricher les jungles de la Malaisie pour y créer des plantations de caoutchouc " (19) Ľanglais a moins besoin que le francais de la tournure "faire" + infinitif, pai-ce que beaucoup de ses verbes simples comportent déjä un sens factitif, cf. "to grow", "pousser" et "faire pousser" ; d'autres correspondent ä eux seuls au "faire faire" du francais, "to connect : faire communiquer". (20) Ľanglais reprend ľavantage avec "for" que nous sommes obliges de rendre i>ar un verbe. 188 STYLISTIQUE COMPARÉE § 170. La conclusion ä tirer de tout ce qui precede, c'est que les deux langues pratiquent ľéconomie avec des procédés différents, et les differences sont caractéristiques. L'anglais excelle á la concision quand il reste sur le plan du reel, son domaine favori, en particulier dans les notations de choses vues ou entenducs. Ses prepositions et ses postpositions, que nous sommes souvent obliges de rendre par des verbes, lui permettent des raccourcis saisissants du type "to walk off his emotion". Son accent d'insistance, qui peut se porter tour á tour sur n'importe quel mot, le dispense du procédé syntaxique obligatoire en francais : '7 did it: C'est moi qui ľai fait". A ľinstar de ses prepositions, ses adjectifs numéraux ainsi que ses pronoms démonstratifs ou définis ont plus de force que les nôtres et n'ont pas besoin d'etre étoffés. D'ailleurs le francais étoffe par souci de clarté". "Ceci sera mis ä la poste demain" est structurale-ment possible, mais nous prcférons mettre un nom ä la place de ce pronom : "ce mot", "cette lettre..." (92). Le frangais est plus rapide sur le plan de ľentendement. II juge plutôt qu'il ne décrit, et ľomiásion de details qu'il estime oiseux permet une transmission allégée de la pensée. II ne dirait pas naturellement, du moins dans la langue écrite, comme le ferait un Anglais traduisant mot á mot: "je ne pense pas que je puisse m'en charger". LA COMPENSATION § 171. A plusieurs reprises, nous avons souligné ľimportance du découpage des unites de traduction, en tant que procédé d'exploration et de verification. Un texte, divise en secteurs de traduction, peut étre ensuite méthodiquement explore, particulierement dans le domaine des aspects stylistiques et sémantiques, qui se superposent aux unites purement formelles que nous of f re la langue. (App. 2). (21) La plus ou moins grande concision d'une langue ne doit pas forcémcnt étre un argument a retenir dans un jugement subjectif : une langue peut chercher des effets étoffés, éviter consciemment ľéconomie, ne scrait-ce que pour des raisons de redondance. Prenant comme exemple "The man wandered into the house", P. E, Charvet, auteur anglais d*un livre sur la France, fait re-marquer qu'on ne sait exactement comment ľhomme a pénétré dans la maison ; y est-il entré (1) sans se presser (slowly) ; (2) par hasard (by chance) ; (3) sans but precis (without any particular idea in his mind)? "...without any reference to the context the translator remains in a fog. Perhaps the author of the sentence had no very clear notion of what he meant; perhaps the English reader prefers to receive no more than a vague impression to which he is free to attach, as he pleases, one or all of these meanings, just as one may justifiably prefer a drawing which by skilful touches of significant detail suggests an object or an action, rather than defines it by fuller treatment." (France, Londres, Benn, 1954, pp. 237-8.) STYLISTÍQUĽ COMPARE« 189 Or, ľun des avantages de ce procédé de découpage est de permet-tre au tradueteur de s'assurer que la traduction proposée rend bien compte de tous les elements dégagés par ľanalyse. Ii y a compensation lorsque le résidu conceptuel ďun secteur ou ďune UT de LD apparalt dans un autre secteur ou UT de LA. Par exemple : Kipling emploie dans les Contes de la ]ungle la forme archaique "Thou" ("thy", "thee") pour suggérer une impression de majesté et de respect; c'est ce que les linguistes appellent une "forme honorifique". Traduire cette forme par "tu" ("te", "toi") ne rendrait pas ľ aspect honorifique, car les formes franchises loin d'etre archaiques, sont extrémement familieres. On pourra rendre l'aspect honorifique par un O du vocatif, place dans un autre secteur de la phrase, et qui fonctionne comme element compensatoire: "Indeed I v/as seeking thee, Flathead : En vérité, c'est bien toi que je cherche, O Téte-Plate" ("Red Dog", Scribner's, p. 228). Nous pouvons done définir la compensation comme un procédé qui vise ä garder la tonalité de ľ ensemble en introduisant, par un détour stylistique, la note qui n'a pu étre rendue par les mémes moyens et au merne endroit. Ce procédé permet de conserver la tonalité tout en laissant au tradueteur une certaine liberté de manoeuvre, essentielle, croyons-nous, ä une elaboration parfaite de la traduction. Bien que nous en restreignions ľapplicatíon ä des déplacements d'UT dans le cadre du message, il est certain que ce procédé s'applique en fait ä ľ ensemble des techniques de la traduction. D'un certain point de vue, en effet, tous les "passages" dont nous traitons dans ce Manuel et qui ne sont pas commandos par une servitude, relěvent de la compensation. Une modulation, par exemple, qui est comme on sait un changement de point de vue, est une forme psychologique de la compensation. Citons, pour préciser les idées, deux cas qui demandent á étre traités par un procédé de compensation : le tutoiement en francais et la mise en relief. § 172. Le tutoiement en francais: Puisque l'anglais ignore ce procédé morphologique, il faudra compenser cette déficience par un appel ä des notations stylistiques familieres, telies que (1) utilisation du prénom, mieux encore, du súrnom : il est remar-quable que le francais n'éprouve pas le besoin d'appeler ä tout instant les interlocuteurs par leur nom, ni par leur prcnom, encore moins par leurs initiales. Par contre, le tutoiement place cľemblce deux interlocuteurs sur un certain plan de familiaritč et ďintimité qui peut 190 STYLISTIQUE COMPARÉE jouer un role essentiel dans le message ". Ce passage est souvent bien rendu par la reference au prénom ; "Call me Walter"; "My friends call me Bill"; "My name is Violet but my friends call me Vi". (2) A défaut du prénom ou du súrnom, on pourra recourir á ľutí-lisation de termes familiers : "man", "chum", "Bud", "Mac", "boy" (employe dans les Etats du Sud aux USA pour s'adresser aux negres), "girl(ie)", "brother", "sister", etc. Beaucoup de ces termes, employes comme interjections ou en apposition, pourront disparaitre purement et simplement en frangais, grace au tutoiement; on notera d'ailleurs que le frangais fait lui aussi appel ä des termes semblables, cf. ľemploi trěs familier de "Jules" pour interpeller quelqu'un dont on ne connait pas le nom. L'americain préfěre "Mac", semble-t-il, ľanglais, "Jack" ou "George" ; mais ces termes sont susceptibles de changer trěs rapi-dement sous ľeffet de la mode **. (3) La syntaxe peut refléter la familiarité, et par consequent des tours syntaxiques compenseront ľabsence de tutoiement en anglais. Inversement, le vouvoiement frangais pourra se rendre par ľemploi de termes honorifiques (Sir, Ma'am, etc.) ou par une syntaxe plus rigide, plus formelle. Toujours dans le cadre des proccdés syntaxiques, notons ľutili-sation possible d'une phrase disloquée pour rendre certains vulga-rismes de syntaxe de ľanglais. Soit la phrase "Mrs. B. wasn't having any, was she?", ou le ton vulgaire provient surtout de ľemploi du tour "Mrs. B." (pour "Brown"), ce qui est déjá ľíndication d'une certaine classe sociale. Le frangais, qui n'aime pas les abréviations, comme nous ľavons note plus haut, pourra rendre cette tonalité par une dislocation des elements de la phrase : "Elle n'en a pas voulu, votre dame, de c'machin-lá ?", phrase dans laquelle ľélément de vulgaritě est rendu aussi bien par le choix des mots (votre dame, machin), de la grammaire ("c " au lieu de "ce") et la dislocation de la phrase avec le "en" de redondance. 8 173. La mise en relief par compensation : Nous traitons plus loin des procédes de mise en relief (189 sq.) qui different beaucoup, comme il fallait s'y attendre, d'une langue á ľ autre. Sonlignons simplement (22) Voir par exemple dans le Rouge et le Noir (2«» partie, ch. XVI) la scéne oü Julien Sorel retrouve Mathilde de la Mole dans sa chambre, et oü celle-cl le tutole pour la premiére fois. Lc tradticteur anglais s'est contenté de rendre "tu" par "thou". Etant donne ľépoquc a laquelle se place I'hlstoirc, cette solution simpllste et anachronique rťest guére satisfaisante. (23) Les Anglais sont moins portés que les Américains á s'appeler entre eux par leur prénom. Voir á ce sujet Graham Greene, The Quiet American. STYLISTIQUB COMPARES I91 en passant que cette difference oblige le traducteur ä recourir ä des compensations. Pour ne prendre qu'un exemple, on notera que le phénoměne phonétique de ľ accent ďinsistance: "I like your friend", ou un mot est mis en relief par une inflexion particuliěre de la voix. se rendra en frangais par un tour syntaxique : "II est bien, votre ami" ou ľaccent ďinsistance est rendu par : une modulation (de "I like" ä une constatation impersonnelle : "II est bien") une repetition syntaxique, et peut-étre un accroissement phonétique d'intensité sur le mot "bien". Un exemple du méme genre nous est fourni par la traduction ď exclamations du type "You don't say! : Ah ga, par exemple!". "Oh fa, alors!" § ľ14. Efřeřs sťylistiques de la compensation : Nous avons insisté ä plusieurs reprises sur la preponderance, en frangais, du plan de ľentendement par rapport au plan du reel. Ce qui se joue sur un clavier en LD se transpose sur un autre clavier en LA, et cette transposition est un moyen subtil mais efficace de compenser les dcficiences d'une langue sur l'un des deux plans. Les examples ci-dessous, oü ľ on note des gains ou des pertes selon la definition donne'e de ces termes au § 151 permettront de saisir le mécanisme de la compensation stylistique : (1) Dans un article critiquant le pragmatisme de la vie moderne, on trouve cette phrase : "Superiority is traded for convenience". Deux traductions sont proposées : (a) "La qualité est sacrifiée ä la commo-dité", ou avec inversion (b) "La commodité passe avant la qualité". Le frangais en dit plus que ľanglais : Téchange" (trade) est interprete comme un sacrifice sur un point important; il dégage une idee de troc ; le frangais, qui est désavantagc sur lc plan du reel, reprend ľavantage sur le plan de ľentendement. (2) "Old and new industries were jostling for room : De nouvelles industries disputaient la place aux anciennes". Dans une dispute de ce genre, ľidée de violence physique reste sous-entendue en frangais, mais ce que 1'on perd sur le plan du reel est compensé par ľélévation du ton en LA. (3) Dans le méme ordre ďidées, voici sur le plan du reel la réponse ä une suggestion faite au telephone par un visiteur : "I was thinking of calling at three". "Yes, why don't you?" — Cette phrase, avec sa forme interrogative-negative et ľemploi de ľauxilíaire du type "queue de phrase" (203) serait trěs gauche en frangais : "Pourquoi ne faites-vous pas ga?" ; on la transposera sur le plan de ľentendement ; 192 STYLISTIQUE COMPARÉB "Cest une excellente idée !", oú les gaucheries disparaissent avec le passage compensatoire ďun pian ä ľautre. § 175. Retenons en terminant que la compensation joue sur tous les plans, et particuliěrement sur celui de la métalínguistique. Le procédé que nous appelons ľéquivalence est bien un procédé de compensation : On essaie de transmettre un message, incomprehensible au lecteur pour des raisons culturelles, par un détour qui lui sera accessible. Si, comme le fait remarquer E. Nida, on prepare la traduc-, tion de la Bible pour un peuple chez qui le figuier est une plante nuisible, il est preferable de choisir une autre plante, autrement la parabole du figuier risque d'etre non seulement incomprehensible, mais merne de signifier tout le contraire. Traduire "We had a bottle of wine" par "nous avons eu une bouteille de vin" serait perdre la nuance particuliěre qui s'attache ä "bottle" et surtout á "wine" en anglais ; pour un Frangais, boire une bouteille de vin n'est pas chose si extraordinaire qu'il faille le mentionner ; mais si ľon traduit: "Nous avons bu une bonne bouteille", ľintention particuliěre du message devient evidente, et il n'est méme pas nécessaire de traduire "wine". Si jamais le roman de T.F. Powys, Mr. Weston's Good Wine est traduit en frangais, il faudra appliquer au texte de nombreux procédés de compensation métalínguistique, car ľauteur joue constam-ment sur la nuance particuliěre de respect et d'admiration qui sommeille au coeur de tout Anglais pour un bon vin, nuance qui diffěre profondément, par certains aspects moraux, de ľadmiration plus gustative et plus gastronomique du Francis. VARIANTES STYUSTIQUES. ĽÉLABORATION § 176. A la notion de compensation se rattache celle des varSantes stylistiques. Une unite de traduction peut recevoir une tonalité autre sans que son sens en soit affecté. L'existence des niveaux de langue (14-16) tient ä cette possibilité de varier ľexpression sans changer le sens. Ex.: "II est mort / II est décédé" ; "On ľa mis en prison / On ľa fourré au bloc / II a été incarcéré" ; "II m'a empeché de faire ce que je voulais / II a entravé la realisation de mes projets". On aura note que ces variantes utilisent des transpositions ä ľintérieur dune méme langue, grace au passage d'un niveau de langue ä un autre. STYUSTIQUH COMPARE« 193 D* autre part, la variation stylistique est égaiement liée ä l'existence des unites de traduction, la substitution se faisant généralement dans le cadre ďune unite. Le fait que, sans changer le sens, on puisse dire : 1. J'affirme mon innocence. 2. J'affirme étre innocent. 3. J'affirme que je suis innocent. montre que "je suis innocent" est une unite au méme titre que "mon innocence". Bien entendu, la tonalité est différente. La phrase (1) est plus "écrite" que la phrase (3). La substitution ä ľintérieur d'une unite peut avoir des repercussions sur ľunité voisine. Cest le cas de ľexemple cite plus haut: "II a entravé" remplagant "II m'a empéché de" entraíne une transposition de "de faire" en "la realisation de" et de "ce que je voulais" en "mes projets". § 177. Lorsque la variation stylistique aboutit ä une expression plus complexe, nous disons qu'il y a elaboration. II y a dans chaque langue des fa^ons diverses d'élaborer les elements essentiels ďun énoncc. Le traducteur doit reconnaítre les elaborations de LD et ne pas se croire oblige de les rendre mot pour mot: Trois cas peuvent se presenter : 1) ľélaboration passe telle quelle en LA. 2) ľélaboration ne peut pas étre rendue littéralement mais trouve en LA une forme equivalence. 3) les moyens manquent pour la rendre. Elle sera done sacrifiée pour étre rétablie ailleurs par le procédé de compensation (171-175). Ľélaboration reléve éminemment du domaine de la stylistique. Elle utilise les niveaux de langue, qui ä partir de la langue écrite sont en fait des niveaux ďélaboration, ľexpression étant travaillée soit pour obtenir un certain effet (ex. : la langue littéraire), soit pour satísfaire certaines exigences techniques (ex. : la langue juridique). Cest dire qiťon la rencontre surtout dans les textes litréraires, poli-tiqncs, diplomatiques, etc... Ľélaboration n'est pas une qualité en soi. Lune de ses formes extremes fut la preciositě ; une autre est de nos jours lc "social scicntcsc" de certains sociologies amcricains. Voici quelques exemples empruntés ä des domaines divers: — ľarme sous-marine/les sous-marins — la classe ouvriere/Ies ouvriers 194 STYLISTIQUE COMPARÉE — Nous avons donné un grand développement aux exercices (preface de manuel)/Nous avons mis beaucoup d'exercices dans notre livre. — J'attacherais du prix ä ce que vous.../J'aimerais que vous... — Auriez-vous ľamabilité de.../Voudriez-vous... — Assumer la responsabilité.../Se charger de... — On account of my illness.../Because I was ill... — Comprehension can often be facilitated by gesticular suggestion. Gestures make it easier to understand. Ce dernier exemple peut se traduire avec modulation du passiř t ä ľactif : "Des gestes bien choisis facilitent la comprehension". On aura note qu en frangais ľélaboration se fait la plupart du temps en faveur d'une loaition nominale ; c*est done un phénoměne generalise, qui intéresse le lexrque aussi bien que la syntaxe. Le phénoměne contraíre est le depouillement, qui s'exercera surtout dans le sens frangus-anglais. LA RETRADUCTION ET LA NOTION DE MARGE § 178. "[/application ä un texte des techniques ď amplification, ďélaboration, de compensation, etc. ne se fait pas d'une f agon auto-matique, puisque, ainsi que nous ľavons dit, ces "passages" relěvent de ľoption et non de la servitude. Pour ne parier que de la compensation, il est certain que le traducteur pourra choisir entre plusieurs solutions, qui peuvent avoir pour effet de distribuer différemment les UT dans le message LA, sans que le ton et ľeffet global soit different. Ainsi, pour rendre "La plupart des gens le croyaient mort", le traducteur pourra choisir entre : "Most people supposed him to^ be dead", "Most people thought he was dead", "He was popularly supposed to be dead" (cf. Zandvoort, Grammalre descriptive de ľ anglais conternporain, §§ 43, 49). Contrairement aux variantes citees au § 176, ces variantes stylistiques n'affectent pas le niveau de la langue dans lequel le message est rédigé. Supposons maintenant que 1'on veuille se rendre compte de ľ exactitude d'une traduction ; le traducteur pourra proccder au découpage de ľoriginal, numéroter ensuite les UT ainsi délimitées, et retrouvera ces merries UT, éventuellement dans un autre ordre et distribuées différemment dans le texte LA. Cependant, si le texte contient une variante stylistique, un étoffement, une compensation, STYLISTIQUE COMPARER 193 etc., il n'est pas certain que la retraduction retombe exactement sue ľoriginal. Le sens sera naturellement respecté — c'est la le but du découpage sémantique, mais la forme pourra varier légěrement. En d'autres termes, en refaisant le merne chemin en sens inverse, le traducteur peut fort bien se trouver devant un aiguillage aboutissant ä deux voies paralleles et ne pas prendre précisément celie de ľoriginal. On peut done schématiser cette situation de la fagon suivante: LD / \! tA < > II faut done admettre que le traducteur qui retraduit a une ceitaine marge de uberte qui n affecte pas le sens du message, et qui sera d'ailleurs faible dans la mesure oú ľanalyse des UT a été soigneu-sement conduite ; d'autant plus que cette marge peut, jusqu'á un certain point, refléter les preferences personnelles du traducteur, son entourage culturel et géographique — un texte canadien pouvant dif-férer d'un merne texte francais ou beige par le choix de telle ou telle variante, de synonymes, de tournures locales qui n'influent pas sur le sens global du message. Cette notion de marge, qu'il faut bien distinguer de la notion de divergence (31), est importante, si ľon se place au point de vue de ľhistorien ; en effet, deux tours trěs différents ä une époque donnée peuvent étre equivalents ä deux époques differentes. Deux traducteurs, éerivant ä une méme époque, aboutiront pour un méme découpage ä des solutions trěs proches ; séparés par plusieurs siěcles, leurs solutions sembleront divergentes. II appartiendra á ľhistorien de prouver que leurs solutions sont en fait identiques. § 179. Par contre, en ce qui concerne les procédés de compensation pnr recherche des equivalences, il n'est pas certain que ľanalyse abou-tisse forcément ä une solution identique. La marge ici sera discutable et formera une pierre de touche dans la critique de la traduction Dans le cas d'un tutoiement transpose, il est possible que ľon ne retombe pas sur la forme originale. Ľexpérience a été tentée, mais non syscématiqucment, par un groupe de traducteurs qui ont publié le résultat de leurs recherches dans La Varisienne (avril 1953, pp. 498-507). II s'agit de traductions successives, faites par des indi-vidus différents, en langues différentes, ä partir d'un méme texte. 196 STYLISTIQUE COMPARÉB Mieux que la simple retraduction, dont eile est un cas extréme, la traduction successive met en relief les variantes stylistiques, áémontre la valeur du découpage en UT, et permet de verifier la validtté des procédés obliques et leur réversibilité. Dans le cas de ľarticle de La Parisienne, le point de depart était un texte de Montherlant, dont nous pourrons extraire la phrase suivante: "A partir surtout dun certain äge, une journée de bonheur éclatant (sous le signe amoureux, il va sans dire) appelle un lendemain de mélancolie, plus que la journée morne". (2) La traduction anglaise de Pierre Conrad rend cette phrase par "After a certain age, a day of great happiness (under t the sign of love, that is) promises a sadder morrow than a day of gloom." L'expression "under the sign of" semble bien un gallicisme, qui facilitera la retraduction par ce fait méme. (3) Pierre Javet: "A partir d'un certain age, une journée de bonheur intense (sous le signe de ľ amour, il va sans dire) annonce un réveil mélancolique plus qu un jour de tristesse." (4) Carole Lavallée: "Passé un certain age, un jour de grand bonheur (sous le signe de ľamour, du moins) promet de plus tristes lendemains qu'un jour de tlétresse." (5) Claude Martine : "Quand on a passé un certain äge, un jour de grand bonheur (redevable ä ľamour, s'entend) promet un plus triste lendemain qu un jour de chagrin." (6) Georges Roditi : "Passé un certain äge, une periodě de grand bonheur (j'entends de bonheur dans ľamour) annonce un lendemain plus triste que celui qui suit des jours sombres." (7) Ici s'interpose une retraduction anglaise de James Le Baron Boyle : "Especially after you reach a certain age, a wonderfully happy day (in the romantic sense, of course) entails, more than a depressing day, a melancholy morrow." (8) Retraduction frangaise de Dominique Aubry: "Particuliěrement lorsqu'on est arrive ä un certain äge, un jour de bonheur merveilleux (au sens romantique du mot) implique, plus sürement qu'un jour de tristesse, un lendemain mélancolique." (9) La série se termine par la retraduction frangaise de F.-A. Viallet, "Surtout lorsque vous étes arrive ä un certain age, une merveilleuse journée de bonheur (dans le sens romantique, naturellement) vous amčne, avec plus de certitude qu'une journée de depression, un lendemain mélancolique." STYLISTIQUE COMPARÉB 197 La succession de ces versions s'ordonne done comrae sur le cliche precedent. Remarques : Certains segments ont été analyses au depart sans erreur possible: les differences entre les versions frangaises seront des variantes stylistiques. 1. A partir surtout d'un certain age. 3- A partir dun certain age. 4. Passé un certain age. 5. Quand on a passé un certain age. 6. Passé un certain äge. 8. Particuliérement lorsqu'on est arrive ä un certain age. 9. Surtout lorsque vous étes arrive ä un certain äge. La perte de "surtout" dans les versions 3, 4, 5, 6 est sans doute due ä ľanglais 2, alors que sa réintroduction dans ľanglais 7 pent expliquer qu'il figure ä nouveau en 8 et 9 ; on notera en tout cas que "surtout" et "particuliérement" sont des variantes équivalentes. "Sous le signe de ľamour" a donne plus de mal aux retraduc-teurs, surtout aprés introduction de "romantic" par ľanglais de 7, sans cependant qu'il y ait perte de ľidée originale ; il n en va pas de méme pour le dernier membre de phrase : 1. plus que la journée morne 3. plus qu'un jour de tristesse 4. plus... qu'un jour de détresse 5. plus... qu'un jour de chagrin 6. plus que des jours sombres 8. plus... qu un jour de tristesse 9. plus... qu'une journée de depression. On voit ici ou s'est produit le déraillement: la version anglaise 2 introduit dans la journée morne une note nouvelle : "a day of gloom". Cest eile qui est responsable de la série des "détresse", "chagrin", "jours sombres" ; la version anglaise 7 introduit "depression", "tristesse", toutes nuances, on le remarquera, qui sont actives plutôt que passives ; "gloom" est pourtant exact, dans la mesure ou "morne" est un état extérieur, subi par ľäme, mais il dépasse en foice le terme fran$ais, d oú la montée en couleurs des textes 4, 5, 6 et peut-étre 3 et 8. § 180. La retraduction permet de constater les cas de traduction défectueuse, y compris ceux de surtraduetion. Nous avons déjä vu (12) ľexemple de "went to look for...", surtraduetion de : "allěrent eher- 198 STYLISTIQUE COMPARÉE eher". De merne, si nous rencontrons une phrase teile que : "He watched the arrival of the postman", nous pouvons soupfonner qu'il s'agit ďune surtraduction de: "II guettait ľarrivée du ŕacteur" qui aurait dů se rendre en fait par : "He watched for the postman". La surtraduction change ici la situation, puisque "to watch the arrival of" voudrait dire : "surveiller ľarrivée de". Si le lecteur estime qu une telle erreur est peu vraisernblable, qu'il se réfěre ä la traduction anglaise du livre de folklore de Paul Delarue intitulée The Borzoi Book of French Folktales (New York, Knopf, 1956) dans laquelle on lit: "...the king had been thinking of marrying his three daughters"; phrase dont ľabsurdité saute aux yeux si ľon traduit "marry" par "épouser". Autres exemples: — On a relevé naguěre "Navire blane" comme traduction de "White Ship" qui, dans le contexte en question, n'était autre que la "Blanche Nef" de ľHistoire. La surtraduction repose ici sur un mauvais décou-page de "White Ship", qui représente une unite et non pas deux. — Dans une edition franchise de A Farewell to Arms, de Hemingway, on fait dire au heros: "...then I saw a low, open car of the sort they call gondolas : alors je vis arriver ce genre de wagon bas et ouvert que les Italiens appellent gondoles" ; la faute consiste ďabord á traduire "they" par "ils" explicite en "les Italiens", alors que ce sont les Américains qui emploient ce terme. II aurait fallu dire "qu'on appelle gondola", mais ä la reflexion, il aurait mieux valu omettre ce detail destine aux lecteurs américains et non aux lectcurs francais (surtraduction d'ordre métalinguistique). — Dans la traduction anglaise des Memoire* du general de Gaulle, on lit : "He came over to the Hotel Splendide where I was swallowing my dinner"; nous rétablissons sans peine "avaler", mais le verbe frangais a ici le sens figure de: "manger ä la hate" que "swallow' n'a pas. La traduction est évidemment: "where I was having a hurried dinner" ou mieux encore : "where I was hurrying through my meal." Dans les mémes Mémoires, on trouve également: "I entered the office where M. Paul Reynaud was enclosed between Baudoin and de Margerie." La retraduction nous donne : "entourc de" (cf. un pre entouré dune haie) alors que ľoriginal dit: "eneadré", qui aurait été mieux rendu par "flanked by". STYUSTIQUO COMPARER 199 METAPHORES §181. Dans son Tratte'• de stylistique francaise, Charles Bally propose de classer les expressions du langage figure en trois categories: les images concretes, les images affectives (ou affaiblies) et les images mortes. Le traducteur peut tirer parti de ce classernent ä condition, toutefois, de lire "metaphore" la ou Bally dit "image". Nous réser-vons le terme "image" pour designer ľeffet que produisent les mots concrets et pittoresques sans qu'ils aient pour cela ä prendre un sens figure. Par exemple, "dodu" est une image, "en dos d ane" est une metaphore. Outre ce changement de terminologie, nous proposons également de simplifier le classernent de Bally et de distinguer seule-ment entre metaphore vivante et metaphore usee. II importe en effet que le traducteur se rende compte- du type de metaphore auquel U a affaire, et ne traduise pas une métaphore usee par une métaphore vivante, ce qui serait un cas de surtraduction (12). En ce qui concerne la traduction, deux cas peuvent se presenter: 1) les métaphores, d'une langue ä ľautre, se correspondent absolu-ment ou ä peu pres. Cest souvent ce qui arrive quand les deux civilisations en presence ont des traditions communes, surtout quand il s'agit de métaphores mortes et de cliches. Ex. : — It went like clockwork : Cela a marché comme sur des roulettes. — His life hangs by a thread: Sa vie ne tient qu'a un fil. — to praise sky-high : porter aux nues. 2) la langue d'arrivée ne permet pas de traduire la métaphore litté-ralement. S'il s'agit d'une image morte, on n'hésitera pas á ne rendre que le sens, en d'autres termes, ä recourir ä une equivalence. Ex.: — flotter dans ľindécision : to dilly-dally (qui garde une note pittoresque) — la marche ä suivre : the procedure — as cool as a cucumber : avec un sang-froid parfait. — before you could say Jack Robinson : en moins de rien ; en deux temps trois mouvements. — as like as two peas : comme deux gouttes d'eau. En particulier, dans la mesure oú les proverbes mettent en circulation des métaphores figées, on n'hésitera pas ä Dousser trěs loin la recherche de ľéquivalence. 200 STYLISTIQUE COMPARÉE § 182. Dans le cas ďune métaphore vivante on essaiera de trou-ver une equivalence et, si ce n'est pas possible, on s'attachera ä traduire ľidée. Toute metaphore peut en effet se ramener ä son sens fondamental, ä ce que Bally appelle le terme cľidentification. De toute fagon, la metaphore est un moyen et non une fin. Le traducteur doit d'abord rendre le sens, et la metaphore par surcrolt, si cest faisable. Ex. : "But because progressive education carries a heavy burden' of sins I do not think we can use its back as a convenient place on which-to pile all our present troubles." (Mortimer Smith, The Diminished Mind.) Traduit littéralement, cela donne ; "Mais du fait que ľédncation elite nouvelle porte une lourde charge de pčchés, je ne crois pas que nous puissions nous servir de son dos comme dun endroit commode pour y entasser touš nos ennuis actuels. " II est evident qu'aucun Franfais n'écrira ainsi de lui-mčme. La phrase est lourde et n'explicite pas ľidée de responsabilíté contenue dans le texte anglais. Notre táche est d'etre íiděle au sens et de le presenter, autant que faire se peut, sous une forme qui rappelle celle cle ľoriginal. Nous proposons : "Du fait que ľ education dite nouvelle a un lourd passif, il ne s'ensuit pas, á mori avis, que nous devions lui imputer tous nos ennuis actuels. Ce serait trop commode de la prendre comme bouc émissaire." La derniěre phrase pourrait ä la riguéur étre omise. STYLISTIQUE COMPARES 201 CHAPITRE III L'ORDRE DES MOTS ET LA DEMARCHE § 183. Un énoncé, un message se compose, avons-nous dit, de certains elements du lexique disposes dans un certain ordre. Cet ordre est en majeure partie une servitude, et nous n'aurions pas ä en connaitre ici si le traducteur n'était susceptible de le modifier dans une certaine mesure. Les differences dans ľordre des mots que présentent deux langues rapprochées sont ďune grande utilité pédagogique. Elles permettent en effet de dégager certains faits de syntaxe que leur caractěre proso-dique rend parfois difficiles ä saisir. Cest ainsí que la place de ľ adverbe, qui diffěre souvent de ľanglais au franfais, est bien mise en valeur par le rapprochement de : "He never was one to complain : Ce n'est pas lui qui se serait jamais plaint" ; "autant vaudrait s'arreter tout de suite : you might as well stop right away." L'ordre des mots a done un caractěre de phénoměne figé, qui relěve tantôt du lexique (cf. "un sale type/un type sale"), tantôt de la morphologic ("to cut it fine/a fine cut/to cut fines" ; "vouloir bien/ bien vouloir" ; "parier franc/son franc parier"). Mais il y a plus: la presence en tel ou tel endroit de ľénoncé d'un membre de phrase ou d'un mot participe ä des schemes de pensée trěs généraux qui, dans la mesure ou ils se laissent analyser, semblent souligner une tendance du sujet parlant ä presenter les faits dans un certain ordre, qui ne correspond pas toujours á la realite. Etabüssons done la distinction entre ľordre des mots, qui est un phénoměne impose relevant de la structure, et la demarche, qui semble étre ľexploitation de certaines preferences dans la presentation des faits et qui relěve, jusqu'á un certain point, de ľoption. Ce faisant, nous reprenons en la modifiant dans le sens de la stylis-tique comparée, la distinction déjä faite par Bally (LGLF § 106) entre ľordre grammatical, relevant de la langue, et ľordre psychologique, relevant de la parole et parfois, aussi de la langue. 202 STYLISTIQUE COMPARfiB Schéma general de la demarche en francais : 8 184. Dans tout syntagme, on distinguera en effet un terme connu, le sujet psychologique, A, ä propos duquel on énonce un fait, le prcdicat psychologique, Z, point culminant du syntagme. On appelle aussi A le theme et Z le propos. Entre les deux membres du syntagme peut se trouver un element morphologique de liaison ou copule, c. Bally pose done la formule du syntagme comme AcZ. Le theme A est la partie nominale, le propos Z la partie verbale du syntagme: ainsi "Ton frěre (A), je ne ľai pas encore vu aujourďhui (Z)". II peut y avoir, selon les cas, concordance ou opposition entre ľordre grammatical et ľordre psychologique, qui va, rappelons-le, du connu ä ľinconnu, du thěme au but de ľénoncé. Soit lä phrase anglaise : I have read this book (theme) (propos) Nous dirons que le déroulement AZ est dans un rapport de linearitě avec la réalité. Mais si ľanglais veut mettre en relief Taction plutôt que le propos, il lui sera loisible ďaccentuer fortement "read", sans changer pour cela ľordre des mots. Le frangais devra, au contraire, recourir ä la dislocation. "Je ľai déjä lu, ce livre." Ces questions ont été étudiées notamment par A. Blinkenberg, et il ressort de cette etude qu'en francais, le theme passe générale-ment avant le propos ; en d'autres termes, le frangais ne commence pas par ľessentiel, mais achemine le lecteur vers le but de ľénoncé, qui joue ainsi le role de point culminant du message. Plusieurs consequences de cette preference (que nous appellerons précisément la demarche du frangais) seront visibles dans les exemples des pages qui suivent". Notons-en immédiatement quelques-unes : § 185. 1. Puisque le propos est rejeté vers la fin, ies circonstanciel-les, qui ne font que le qualifier sans étre le but veritable du message, (24) Comparer la phrase suivante, découpéc et numérotée, avec sa traduction. 1 2 3 Ce théme / a été développé / au Senat / (Le Monde) This / has been the tenor of / Senate / speeches. X 1*2 32 STYLISTIQUE COMPARÉE 203 seront piacées de preference en téte de phrase ou avant ie verbe surtout si elles ont un sens causal — ce qui correspond bien au plan de ľentendement, la cause précédant ľeffet. — "Súr d'obtenir gain de cause, il attendit sans inquietude ľouver-ture du proces : He waited unconcernedly for the opening of the case, as he felt sure to win/' On pourrait evidemment dire ; "Being sure to win, he etc../' Mais comme pour le present historique et la fausse question, nous répéterons que si ces formes sont possibles en anglais, elles sont dun emploi moins frequent qu'en frangais. — "Prévenus ä temps, ils purent rebrousser chemin avant d'etre surpris par ľorage : They were able to turn back before the storm overtook them, as they had been warned in time." De méme, une citation anglaise, qui se termine par ľindication du sujet parlant, demande ä étre transposée en frangais : "The new telephone rates are going into force at once, President Smith declares : M. Smith, president de la Cie X, a declare que les nou-veaux tarifs téléphoniques entreraient immédiatement en vigueur." 2. Une phrase qui tend ä commencer par le propos sera fré-quemment presentee par un artifice stylistique permettant de rejeter le propos vers la fin. Ce trait caractéristique de la demarche du frangais, nous lui donnerons précisément le nom de tour de presentation ; par exemple, on rend la tournure anglaise "some people think../' par "H y a des gens qui pensent que...". Cest qu'en effet "gens" est le propos; traduire par "Des gens pensent../' serait adopter ľordre ZcA, alors que "II y a des... qui" est une tournure qui fait du propos un theme (AcZ). II est remarquable de constater la frequence des tours de presentation en frangais, aussi bien en style soigné, scienti-fique, philosophique que dans la conversation de touš les jours, ou abondent des phrases telies que: "II y a Un tel qui donne une conference ce soir" ; "H y a quelqu'un qui est venu pendant que vous n'étiez pas lá (style écrit: "Pendant votre absence") ; nous aurons ľoccasion de traiter ce phénoměne aux § 199-200. 3. Cest sans doute ä ce besoin du frangais de presenter sa phrase, et de préciser de toutes les maniěres possibles le theme (sujet psychologique) avant d'amener le lecteur au propos (prédicat psychologique) qu'il faut attribuer la predilection de cette langue pour les mots ou groupes de mots destines á préciser la place d'un argument dans le déroulement de la pensée, et que nous traitons en detail au chapitre IV (208 sq. Les charniěresV 4. Enfin, s'il est possible ďappliquer les regies de la demarche 204 STYLISTIQUE COMPARES méme ä des regies figées de syntaxe, nous constaterons que lä oú le frangais dit le cheval | blane (thěme) | (propos) ľanglais utilise ľordre inverse the white | horse (propos) I (thěme) Ainsi la demarche des deux langues se trouve étre parfaitement caractérisée par la simple place de ľadjectif par rapport au substantif. Si ľanglais accumule des adjectifs avant le nom, le frangais les placera aprěs celui-ci, toutes les fois oů ce sera possible. "the cold, ugly little town... : la petite ville froide et laide" Remarquons cependant que le déplacement, dans ce cas, n'affecte pas uniquement ľordre des mots : la preference du frangais pour ie substantif, sur laquelle nous avons longuement insisté, pourrait bien étre le signe ďune preference pour ľordre Thěme-Propos. Cette preference expliquerait le cas (complexe) de transposition de ľadjectif en nom, lorsque ce dernier peut exprimer la cause : On account of their insufficient forces Propos Thěme en raison de leur infériorité numérique Thěme Propos § 186. En résumé, les constatations que ľon peut faire sur le sens general de la demarche ďune langue sont, en quelque sorte, des indices externes ďune realite (psychologique) interne. Cest cette realite que nous allons maintenant examiner avec des exemples á ľappui. Disons tout de suite qu'on lui a donne plusieurs noms ; suivant les auteurs, on a parle de "vue intérieure", "activation subjective", "representation subjective" (par opposition ä "representation objective"), et enfin, dans certains contextes, ď"animisme \ Toutes ces etiquettes rendent la merne idée : la demarche du frangais semble favoriser constamment ľintervention ďun sujet, qui rapporte de* faits et qui peut étre ľauteur lui-méme, un personnage ou un indéfini. Cette tendance explique sa méfiance envers les tournures passives, qui déroulent le proces sans en índiquer ďabord ľorigine (121). Dans un premier paragraphe, nous étudierons cette tendance ďun point de vue general; dans un deuxiěme paragraphe, nous verrons en detail quels sont les tours stylistiques et morphologiques que le frangais emploie pour éviter le passif. STYLISTIQUE COMPARÉE 205 REPRESENTATION SUBJECTIVE ET REPRESENTATION OBJECTIVE § 187. Nous appellerons subjectivisme, suivant en cela ľexemple de A. Malblanc, la tendance du frangais ä faire intervener le sujet pensant dans la representation des événements et de leur cadre, ou si ľon préfěre, ä représenter les choses en fonction ďun sujet. lľanglais, comme ľallemand, reste plus objectif. II lui arrive beaucoup plus souvent qu'au frangais de représenter ce qui est, ce qui se passe, en dehors de toute interpretation subjective de la réalité. II est beaucoup plus objectif, par exemple, de dire: "There's a knock at the door." que : "On frappe ä la porte/' De méme : "To-day is Thursday : Nous sommes jeudi aujourďhui." — On était au commencement de février : It was the beginning of February. — The dice rattled on the tables where the French were playing Quatre-vingt-et-un. (Graham Greene) : On entendait s'entrechoquer les des aux tables oú les Francis jouaient au "421". — Tantôt on voit surgir des colonnes de feu... (X. Marmier) : Sometimes pillars of fire will soar up... — Quoique ľair füt encore tiěde, on y sentait courir des frai- cheurs humides. (Fromentin) : Although the air was still warm, it felt damp and cool at times. — More markets for Canadian crude will have to be found if the industry is not to stagnate : Le pétrole brut canadien devra trouver de nouveaux debouches si ľon ne veut pas que ľindustrie tombe dans le marasme. § 188. Au subjectivisme, et pour des raisons semblables, s'appa-rente ľanimisme qui préte aux choses le comportement des personnes, qui, par exemple, fait courir des fraícheurs dans ľexemple de Fromentin cite plus haut. — Marseille compte une population de pres ďun million ďhabi- tants : The population of Marseilles is close to the million mark. — L'extraordinaire essor qu'allait connaltre Los Angeles : The spectacular development in store for Los Angeles. 206 STYUSTIQUE COMPARÉE — Ľinterdépendance échappe aux definitions précises : There can be no precise definition of interdependence. — Au XVIII6 siěcle la peinture délaisse les grands sujets d'his- toire : In the 18th century paintings are no longer about great historical subjects. — Le mont... se peint sur le ciel... (É. Reclus) : The mountain... stands out against the sky. — Sur ses contours se dessine une aureole jaune. (X. Marmier) : Around its edges a yellow halo becomes visible. On ne peut pas dire que ľ anglais ignore ľanimisme, mais il semble bien qu'il y au moins souvent recours. Trěs caractéristique ä cet égard est la frequence de la forme pronominale en francais la ou Tanglais va d'instinct au passif. Le passif constate simplement ; le pronominal anime. — Le jambon se mange surtout froid : Ham is usually eaten cold. — Le blé se seme en automne : Wheat is sown in autumn. — Ici deux remarques s'imposent : At this point two comments are in order. La tendance animiste du francais utilise aussi des verbes de mou-vement comrne "venir", "aller", "se mettre ä", des verbes de perception comme "voir" et "entendre", qui s'inserent tout naturellement dans les phrases les plus usuelles et qu'il serait une erreur de vouloir traduire en anglais. Ce sont des verbes adjonctifs, particuliers au francais dans cet emploi. — II vint se joindre ä nous : He joined us. — II se mit ä rire : He laughed. — Rien ne vint troubler sa quietude : Nothing disturbed his peace of mind. , — Elle était irritée de se voir ainsi tenue ä ľécart : She was annoyed at being kept out of things. Cette penetration de la realite par le sujet pensant donne aussi naissance ä des emplois métaphoriques de verbes ordinaires qu'on peut alors appeler des verbes expressifs et dont la traduction en anglais est parfois malaisée. — La sueur perlait sur son front : Beads of sweat stood out on his brow". (25) La traduction est également imagée, mais eile n'y parvient que par nne dilution. STYLISTIQUE COMPARÉE 207 — Une des fenétres qui s'ouvraient au-dessus du magasin... (A. France) : One of the windows above the shop... — Cette riviere baigne plusieurs viiles : This river flows through several towns. — Le froid sévit dans plusieurs regions : Cold weather is reported in several areas. II serait évidemment excessif de dire que ces verbes sont un monopole du frangais. Ce sont essentiellement des mots qui font image, et ľon sait qu'une image de LD ne se retrouve pas forcément en LA, ou inversement. Mais ce qu'on peut avancer, c est que ce genre de verbes est plus répandu dans notre langue. Et s'il est vrai qu'ils y dénotent une certaine recherche, ils produiraient souvent en anglais un effet inattendu et force. Ces différents procédés du francais corrigent dans une certaine mesure la tendance au dépouillement si souvent notée au cours de cette etude. Le frangais est plus abstrait que ľanglais ; cependant il est riche en métaphores. Mais il convient de remarquer que ľimpulsion qui les crée part du plan de ľentendernent. Et les elements concrets qui sont ainsi mis en ceuvre aboutissent ä une transfiguration et non pas á une transcription du reel. LA MISE EN RELIEF § 189. On sait que la mise en relief (en anglais: "emphasis") est ľensemble des moyens servant á insister sur un segment de ľénoncé. Ces moyens sont de trois sortes : phoniques, syntaxiques et lexi-caux. Ils ne sont pas les memes en anglais et en franfais ; ils varient aussi suivant qu'ils s'appliquent ä la langue parlée ou á la langue écrite. § 190. a) Mise en relief dans la langue parlée : La langue parlée dispose de certains moyens phoniques et gestuels dont la langue écrite ne peut toujours tenir compte: elevation de la voix sur une syllabe, accentuation plus forte de cette syllabe s'accom-pagnant parfois de redoublement des consonnes ou d'allongement des voyelles, phonemes exclamatifs spéciaux, que l'orthpgraphe ne sait comment rendre ; "harrumph", "humph", "faugh", "tut tut", de 208 STYLISTIQUE COMPARES ľanglais; "ho", "ah" ou "ha", "hum", "chut", "pstt" ou "psitt" du frangais. Une certaine partie de ces moyens phoniques passe dans le message écrit : ľanglais indiquera en italiques une syllabe ou un mot accentucs : "I told you so : Je vous ľavais bien dit" ; "She wants to have orange and black curtains : Elle veut absolument mettre des rideaux orange et noir". Ces marques sont moins nettes en francais ou les italiques et les majuscules n'indíquent pas forcément un procédé phonique, mais plutôt une mise en relief graphique ; d'ailleurs le frangais n'a pas le loisir d'accentuer á volonte n'importe quel element du message. On peut penser toutefois que les guillemets (vous trou-vez ga "formidable", vous ?), les points de suspension (Permettez... J'ai aussi mon mot ä dire !), certains accents ou graphies insolites (c était hénaurme ; Elle se päámait ďaise) sont les signes graphiques non codifies de la mise en relief en frangais. La langue parlée dispose aussi de moyens lexicaux et morpho-logiques pour effectuer ses mises en relief ; mais contrairement aux precedents, ces moyens peuvent en general se noter dans la langue écrite, surtout dans un style familier, dans les dialogues, au theatre, dans la publicite, etc. Parmi ces moyens, que nous retrouverons sur le plan littéraire, notons le redoublement intensif du frangais: "Si, si; Si, Si, Si, Si !" ; "e'est trěs, trěs bien" ; "il n'est pas gentil, gentil" ; le choix de certains diminutifs et augmentatifs qui peuvent ďailleurs varier trěs rapidement, avec la mode : "formidable", "féodal", "carré", "hurfe" ; "rather", "you bet", "stupendous", etc. Passy faisait remarques qu'il y a des mots qui appellent naturellement ľaccent d'insis-tance (equivalent frangais du "emphatic stress") : "imbecile", "cretin", "vendu", etc. Comparer á cet égard les deux accentuations de "I say" dans les phrases suivantes : "I say without the least fear of contradiction..." "I say, isn't this a peach of a gown? : Elle est sensationnelle, cette robe'. § 191. b) Mise en relief dans la langue écrite: Si nous passons maintenant ä la langue écrite, nous noterons ďemblée que ľanglais laisse implicites bon nombre d'exemples de mise en relief ; le lecteur doit retablir, par la parole intérieure ou ä voix haute, les intonations exactes voulues par ľauteur. II s'en faut de beaucoup en effet que tous les cas de "emphasis" soient notes par des italiques ou autre signe graphique. Voici les principaux moyens dont dispose le frangais pour rendre k mise en relief de ľanglais (Pour le detail, voir le commentaire du texte 3, page 289) : STYLISTIQUE COMPARÉE 209 § 192. La repetition lexicale: — It's very nice : Cest trěs, trěs bien. — It's a very fine picture : Cest un trěs, trěs beau tableau. — Yes, indeed : Oui, out. § 193. Le renjorcement lexical obtenu par d'autres moyens que la repetition: — We Canadians... : Nous autres Canadiens... — At that time Sweden and Norway were one country : A cette époque, la Suede et la Norvěge ne formaient qu'un seul pays. Ici, le renforcement lexical se complique d'un element syntaxique, "ne... que..." — His book met with extraordinary success : Son livre a connu un succěs sans precedent. — Do you? Indeed, I do! : Vraiment ? Mais bien stir! (Et comment 1) § 194. La repetition syntaxi que avec le plus souvent dédoublement du pronom: — / know you, Dinah! : Je te connais bien, mot ! — I know what you want : Ah, toi, je sais bien ce que tu veux ! — Well, I'm not going to have it : — En tout cas, moi, je ne tolérerai pas ga. — Why pick on me? : Pourquoi me faire ga, a moi ? — That's done it! Alors ca, e'est le bouquet ! — His was all right, but hers was rather poor: — Le sien ä Iui allait encore, mais celui de Jeanne était fort mediocre. — Why, thaťs pretty good : Mais f est trěs bien, ga ! § 195. Le tour de presentation, qui perme t de detacher ľ element \ugě important: — Here the Romans crossed the Thames : Voici ľendroit ou les Romains traversěrent la Tamise. — / for one am of a different opinion : Quant ä moi (ou : En ce qui me concerne), je ne suis pas de cet avis. 210 STYLISTIQUIí COMPARÉH — Well, well, if it isn't,., : En voila une surprise ! — / did it : (rest mot qui ľai fait. — Only you wouldn't let me : Mais ť est tot qui n'as pas voulu. II convient de remarquer que dans les exemples ci-dessus, ľanglais n a pas uniquement recours ä ľ intonation ou ä ľaccent ďinsistance ; voir en particulier le troisieme exemple du § 192, le dernier du § 193 et le deuxiěme du § 195, ou la mise en relief est obtenu par des moyens lexicaux. D'ailleurs ľanglais peut egalement avoir recours ä des intensifs : — He was excruciatingly funny : il était 'unpayable, — He was good and sorry : II le regrettait amerement. — He was good and mad : II était absolument furieux (MOD : il ne décolérait pas) § 196. Un bon exemple de mise en relief, obtenue par le tour de presentation, est cite par le commentateur du Linguistw, qui exprime de maniere analogue la preference du fran^ais pour le rejet du propos en fin de phrase : «The proper bodies to direct suitable boys into an organization intented to reclaim the exceptionally tough are the juvenile courts: Cest aux tribiinaux ďenfants qu'il incombe de dinger les sujets appro-priés vers une institution chargée du redressement des gargons parti-culierement diffkiles. » Le commentateur ajoute :...«the lightest way of putting the emphasis on the juvenile courts is to turn the French sentence thus...» ce qui est exact; nous croyons pouvoir ajouter que (l) ľanglais pouvait mettre "juvenile courts" ä la fin parce qu'il lui reserve un accroissement d'accentuation, ce que le fran$ais ne peut pas faire ; (2) le franfais préfěre ľordre A-Z, et la presentation "Cest... que" lui facilite cet ordre. Cest encore une fois un exemple de la preference dune construction active, et cet exemple relěve done, ä la fois de la mise en relief (189), de la presentation (185), de la modulation actif-passif (120) et enfin de la preference du frangais pour une terminaison adjectivale polysyllabique (202). (26) The Linguist, Londres, Vol. 12, p. 75. STYLISTIQUH COMPARÍííi 211 INVERSION OU DISLOCATION § 197. L'ordre des mots et la demarche d'une langue tendent, nous 1'avons vu, ä presenter le message selon un certain déroulement, et dans la mesure ou ce déroulement est "normal", il ne joue pas de role stylistique particulier. Par contre, toute modification du déroulement est susceptible d'attirer ľattention du lecteur, et participe děs lors ä la mise en relief ". I/inversion est souvent figée (cf. "Perish the thought!" "A Dieu ne plaise !") et paraít moins propre que la dislocation ä créer un effet de surprise ; ce dernier procédé, qui repose sur une inversion et la reprise du theme ou du propos, se confond intimement avec les autres procédés déja examines, et aboutit en fait ä des repetitions lexicales ou syntaxiques. En voici quelques exemples : — Did you send this letter, or didn't you ? Cette lettre, tu ľas envoyée, oui ou non ? — Elle est stupide, ton idée ! : This is utter nonsense! — Qt va durer longtemps, cette plaisanterie ? : Haven't we had about enough of this ? — De cela, n'en parlez ä personne : Keep this to yourself. — Par un traitement énergique, on a enrayé le mal : Thanks to this rapid treatment, the disease was brought under control. § 198. Plus nuancees sans doute sont les inversions stylistiques, qui ne sont évídemment visibles que pour celui qui rapproche les deux langues. Elles aboutissent en fait ä rétablir dans LA une sequence plus conforme ä la demarche de cette langue que celle qui calquerait purement et simplernent le texte LD. II faut reconnaitre que nous touchons la ä un domaine assez mal connu, et que nous devons nous contenter d'une simple indication ; deux exemples illustreront ce type d'inversion de langue ä langue : — Sur un document remis par la douane anglaise aux voyageurs ä destination de Londres on lit: "Pack separately [...] for convenient (27) Sur ľinversion, consulter R. Le Bidois, ^inversion du sujet dans la prose contemporaine, Paris, d'Artrcy, 1952 ; sur la mise en relief en frangais, cf. M.-L. Muller-Hauser, La mise en relief d'une idée en francais moderne, Geneve, Droz, 1943 ; pour ľanglais. on consultera Bryant, N. a J. Aiken, Psychology of English, New York, Columbia University Press, 1940. 212 STYLISTIQUE COMPARÉB inspection". La mise en relief de "convenient", qui est évidemmeôt un element essentiel du message, se fera par une transposition ordinaire et par un déplacement: Pour faciliter la visitě de la douane, mettre ä part {...]. — Autre exemple : "We have prepared this booklet for your information". On pourra admettre que c'est surtout le client qui est intéressé par la brochure en question. Commencer en frangais par "Nous avons.,." serait au contraire mettre ľaccent sur une activité extérieure au client, done qui ne ľintéresse que secondairement. Nous proposons: "Vous trouverez dans cette brochure touš les renseignements que vous désirerez", ce qui laisse comber le "prepared" inutile parce que allant de soi, et qui remet la personnalité du client au premier plan. SEQUENCES § 199. 1. Mots qui ne peuvent commencer une phrase: En frangais, certains mots outils comrnencent rarement une phrase, lis doivent étre ou déplacés ou étoffés, et cľailleurs ľétoffement entraine un léger déplacement. En anglais, les mots correspondants ne sont pas soumis ä cette restriction. II est difficile, en ľétat actuel des recherches, de discerner s'il s'agit ďune question de structure ou ďune demarche de ľesprit. II semble, par exemple, qu'on commence volon-tiers une phrase par "puisque", mais qu'on hésite ä le faire avec "parce que". Nous nous contenterons done d'indiquer certains de ces mots auxquels le frangais paraít refuser la position initiale. — Because my first letter may Ma premiere lettre ayant pu have miscarried I am writing you s'égarer, je me permets de vous again: écrire de nouveau. — Once he was almost captured: II y eut un moment ou il faillit se faire prendre. — Whether that policy has been Quant á savoir si cette politi-scrupulously followed is a matter que a été scrupuleusement suivie, of controversy: c'est un point sur lequel les avis sont partagés. — No two situations can ever be II n'y a pas deux situations qui the same: soient identiques. — One was killed and two were II y en eut un de tue et deux injured: de blesses. On compte un mort et deux blesses. STYLISTIQUE COMPARÉE 213 — Two more came: II en est venu encore deux. — More will come tomorrow: H en viendra ďautres demain. — More will be said about this Nous en reparlerons. (Notons later: en passant ľéconomie du frangais) — Only more people will make Seul un accroissement de la manufacturing in Canada really population établira ľindustrie ca-sound: nadienne sur des bases solides. — Both came the next day: lis sont venus touš les deux le lendemain. — Much has happened since: II s'est passe beaucoup de cho- ses depuis. — Little will result from all this: II ne sortira pas grand-chose de tout cela. § 200. Les exemples ci-dessus appellent certaines remarques : "Beaucoup" peut s'employer seul en position initiale quand il s'applique aux gens : "Beaucoup n'ont pas pu entrer", mais non quand il s'applique aux choses. II est vrai que "much" et "little", quand ils sont sujets, sont généralement suivis dun verbe au passif qui devient actif en frangais, avec renversement des termes. Mais nous avons pu donner des exemples ou ils sont sujets de verbes actifs et ou le frangais a alors recours ä la tournure impersonnelle du type "il y a". Cette tournure et ses variantes (íl vient, il se passe, etc.) s'offrent tout naturellement au traducteur dans beaucoup des phrases qui precedent. Nous retrouvons ici le procédé particulier au frangais qui consiste ä presenter un sujet encore indéterminé. Les tournures imper-sonnelles du type "il y a" sont des formules de presentation (185) qui font de leur determinant le propos et se combinent avec lui pour former le theme de la phrase entiěre. "Des gens se figurent que..." nous paraít moins naturel que "II y a des gens qui se figurent que...", alors que "Les gens se figurent que...", oú "les gens" est un sujet determine, ne soulěve aucune objection. Reprenant notre definition de la formule de presentation, nous dirons que "des gens" devient le propos dans "il y a des gens" et que cette proposition devient le theme de la phrase "II y a des gens qui...". De méme : "Something is wrong. M : II y a quelque chose qui ne ya pas." On voit que ľanglais se passe aisément de cette formule ďintroduction. II n'a aucune peine ä faire directement du sujet psychologique le sujet grammatical. (28) On peut également dire "There's something wrong"., comme en frangais. 214 STYLISTIQUE COMPAREE Nous disons bien "Certains sont venus..." mais "certains'* est moins indéterminé que "des gens". De plus cet emploi relěve de la langue écrite; la tournure "il y a" se rencontre surtout dans le style familier. II faut ďailleurs faire la part du caprice. On dit "Pas un n est venu", mais non "Pas dix n'en ont réchappe \ § 201. L'inversion existe dans les deux langues, surtout sous sa forme écrite, mais pas nécessairement ä propos des mémes mots. On la trouve en frangais surtout aprěs: "ä peine", "du moins", "aussi", "en vain", "sans doute", "peut-etre", et en anglais aprěs des expressions telies que : "hardly", "no sooner", "never", "on no account", "under no circumstances". Ces deux listes n'offrent quun terme commun ; "ä peine : hardly". La liste anglaise est faite ďexpressions restrictives ou negatives. Pármi les exemples frangais, "aussi" doit s'entendre au sens de "c*est pourquoi". Quand il veut dire "also" il n'est pas antéposé, alors que "also" peut trěs bien commencer une phrase et se traduit alors par "de plus" w. — Also I knew you weren't too keen about it: — Also ran: De plus, je savais que vous n'y teniez pas beaucoup. Ont également pris part á la course (ou, par equivalence : "Non classes"). L'inversion du sujet reel de "il y a" existe en frangais dans le corps de la phrase: "...et erreur il y a, puisque..." Cette construction est encore plus répandue aprěs "si" : "si erreur il y a". L'anglais dit sans inversion : "if there is a mistake". Par contre, il peut commencer une phrase par le sujet reel de "il y a". — New themes there are, no doubt. — Fifty millions of us there are on a rock. Sans doute, il y a de nouveaux themes. Nous sommes cinquante millions á vivre sur un rocher. Le participe present de la forme progressive peut se placer en téte ; ce qui nous oblige alors ä changer de structure. — Participating in the program are teachers from the various schools. Les organisateurs ont pu s'assurer le concours de professeurs des différentes écoles. Par contre, c'est le frangais qui pratique l'inversion verbe-sujet dans certaines redactions ďordre administratif: (29) Sur les a filches dc cinema, "also" se rend par : **Au môme programme". STYLISTIQUE COMPAREE 215 Sont regus définitivement : Sont promus au grade de commandant: List of successful candidates: The following have been promoted to the rank of major: § 202. 2. Mots qui ne peuvent terminer une phrase: S'il y a des mots qui se prétent mal ä la position initiale, notamment en frangais, il y en a d'autres que ľon évite instincti-vement en position finale absolue, c est-a-dire en fin de phrase. La position finale absolue est certainement privilégiée en frangais, du point de vue stylistique : on y trouve de preference des mots forts, noms, verbes, adjectifs, plus rarement adverbes (cf. la phrase qui termine le conte de Flaubert "Herodias" : "Et comme eile était trěs lourde, ils la portaient alternativement"). De plus, on remarque que ces mots sont en general étoffés, et comportent au moins deux syliabes, souvent plus. Aussi, la sequence nom polysyllabique + adjec-tif polysyllabique est-elle trěs recherchée comme chute de periodě, en position finale80. En voici quelques exemples pris ä des discours : "...c'est aussi ľépanouissement et le gage de pérennité de la pensée humaine" (Journal des Traducteurs, 1.5 (1956) : 136) ; "regardant vers ľavenir avec confiance." (ONU, Assemblée generale, 1946). Puisque nous sommes sur le plan comparatif, il est interessant de rapprocher des fins de paragraphe, prises au hasard dans les procěs-verbaux de cette méme assemblée : — This report covers six different items. — If I may be allowed, I will read what the President said. — ...and the matter ought to be further studied. — ...and I venture to say, of a number of other nations also. — ...news ... has shown the position to be worse than we originally thought it. — ...a most resolute determination to overcome it. — .-the immense work of reconstruction awaiting us. Ce rapport traite de six questions différentes. Si vous le permettez, je vais vous relire ce passage de la declaration du President. ...et que cela nécessitait une étude plus approfondie. ...non plus qu'ä celieš ďun grand nombre ďautres nations. les nouvelles... montrent que la situation est pire que nous ne ľavons envisagée tout ďabord. ...qui exige ...une énergique volonte ďintervenir. ...ľimmense tächede la reconstruction qui nous attend. (30) Ce procédé devient par lá méme une charniére sémantique de termi-naison (210). 216 STYLISTIQUE COMPARÉE Ces exempies suffisent pour montrer que le francais évite de terminer ses phrases sur des mots aussi courts que "it", "us", "one", "also", "said", etc. qui seraient atones dans la plupart des cas. En outre, ces mots outils ne sont pas, en general, des elements essentiels du propos, auquel le francais reserve, nous ľavons vu, une place de choix en fin de phrase. Cest sans doute ainsi qu'il convient d'expliquer le dcplacement suivant: — I don't know where the post office is : Je ne sais pas ou se trouve le bureau de poste. Si cependant le frangais exprime le propos par un adverse, ce dernier pourra alors terminer une phrase ; c est le cas de tous les morphemes négatífs du type: "pas", "rien", "goutte", "guěre", etc. § 203. Cas partkulier des "queues de phrase" : Les queues de phrases présentent également certaines differences ďune langue ä ľautre. Partant de ľanglais, nous distinguerons plu-sieurs cas : 1. les equivalents de "n'esf-ce pas". You will do it, won't you? You wrote to him, didn't you? Vous le ferez, n'est-ce pas ? Vous lui avez écrit, n'est-ce pas ? 2. les cas ou la reprise du ver b e ave c inversion du p r onom ne correspond pas a "n'est-ce pas". — You couldn't wait, could you? — You don't care, do you? — That's not the sensible way of doing it, is it? — It's too big, the Atlantic, isn't it? (N. Coward) — I rather like him, don't you? — You did it, didn't you? ■— Of course, I will. I promised, didn't I? — You don't suppose ľd do a thing like that, do you? — You understand, do you? or don't you? Vous ne pouviez pas attendre, non ? Cela vous est bien égal. Ce n'est quand méme pas trěs intelligent. Cest trop grand, l'Atlantique, vous ne trouvez pas ? Je le trouve sympathique, pas vous ? Cest bien vous qui ľavez fait ? Mais bien sür. Est-ce que je re vous ľavais pas promis ? Vous ne pensez tout de méme pas que je ferais une chose pa-reille. Vous comprenez, n'est-ce pas ? Ce n'est pas tellement sür. (Je me íe demande). STYLISTIQUE COMPARÉE 217 3. la reprise du verbe to be, avec ou sans inversion, suivant la nature du sujet . That's a good one, that is! He's a smart one, is John! En voilä une bien bonne ! Cest un malin, Jean, y a pas ä dire. 4. ľadjonction, apres vir gule, de certains mots isolés. Aren't they slow! Aren't they, though! — There must be some biscuits, or something. Ce qu'ils sont lents ! Je vous crois ! (Vous pouvez le dire !) II doit bien y avoir des biscuits ou quelque chose ďautre ä manger. 5. ľemploi d'un verbe d! opinion, Le franjais a la méme possi-bilité, mais il en use moins. D'oú ľutilité de certaines variantes. — You'll be there, I hope. — This one costs more, I think. — He didn't have time, I suppose. Vous serez la, j'espere. Je crois que celui-ci coüte plus eher. Sans doute qu'il n'a pas eu le temps. 6. le cas de la proposition incidente, qui cite ľauteur de la remarque ou la source du renseignement. Ce procédé est trěs frequent dans le style des journalistes. II passe difficilement en franfais. — The rebellion cost the lives of 3,000 civilians, a survey showed. — No such safe conduct is sought by the resident New Yorker, the traffic officers plaintively report. D'apres les chiffres qui ont été fournis, la revoke a couté la vie ä 3.000 civils. Le New-Yorkais ne s'embarras-se pas de telies precautions, si ľon en croit les lamentations des agents charges de la circulation. (II s'agit de ne traverser les rues qu'au signal des agents.) — Everything we do to reduce the number of accidents will make it easier to continue to improve our level of benefits, as time goes on, he observed. — Mr. Smith was keenly interested in people like Mr. Brown, it was clear from the first. II a fait observer que nos efforts en vue de réduire le nombre des accidents faciliteront avec le temps le relěvement continu du taux des prestations. II fut tout de suite evident que M. Smith s'intéressait fort aux gens comme M. Brown. (31) II n'y a pas ďinversion quand le sujet est un pronom : "He is a smart one, he is." 218 STYLISTIQUE COMPARÉE II ne semble pas téméraire de voir dans ce qui precede la tendance du frangais ä organiser son énoncé, ä le preparer. Sans doute il ne le fait pas dans les phrases segmentées ("II est bien, votre ami.") et ľexception est d'importance, mais eile est le fait de la langue parlét, done non rédigée. MOUVEMENTS ORATOIRES § 204. II est généralement admis que le frangais est plus oratoire que ľanglais. Or, ľun des mouvements oratoires les plus caractéris-tiques est la fausse question. II est matériellement possible de traduire en anglais les questions ou exclamations qui relěvent de la rhécorique, et ['expression "rhetorical question" montre que le procédé n'est pas inconnu en anglais. Cependant un traducteur exercé qui se laisserait aller ä ľemployer ä tout bout de champ aurait souvent le sentiment d'une legere incongruité. Ce qui veut dire que ľanglais ne fait pas de la fausse question un usage aussi large que le frangais. Hilaire Belloc, dans sa conference sur la traduction, (op. cit.) ľavait déjä fait remarquer. «The ample use of the rhetorical question is native to ordinary French prose, not to English. It is also native to French prose to define a proposition by putting the data of it first into question form. It is not native to English to do this.» Remarquons que son affirmation est nuancée par "ample" et par "ordinary". Elle vise ľemploi trop generalise de la fausse question dans la prose habituelle. La solution que propose Belloc est de transposer de telies questions en phrases declaratives. Cest ce que nous avons fait dans nos propres exemples réunis ci-dessous : — Ce que me racontait en arabe mon hôte de ce soir-la, quel est celui de mes precedents interlo-cuteurs musulmans, füt-il le plus dévoué ä ľadministration, qui ne me ľeut déjä dit et redit en frangais exemples ä ľappui. What I was being told in Arabic by my host of that evening had already been repeatedly stated to me in French, and duly documented, by my previous Moslem informants, no matter how loyal to the French regime. (Le Monde, Selection hebdomadaire, 26 mai-l" juin 1955.) — Ou est-il le temps ou quand on lisait un livre on n'y mettait pas tant de raisonnements et de radons ? (Sainte-Beuve). Gone are the days when the reading of a book did not require so much fuss and bother. STVLISTIQUB COMPARÉB 219 — Chacun de ses pavés nous dit quelque chose. Ne contient-il pas toute notre histoire ? N'est-ce pas comme une grande maison dont nous aurions habite toutes les chambres, et dans laquelle á cha-que pas nous retrouvons un souvenir ? Oú pouvons-nous passer sans avoir aux lěvres le mot du fabulíste : J'étais la, telle chose m'advint ? (Prévost-Paradol, ä propos de Paris). Each one of its paving-stones has something to tell us, for the city embodies the whole of our history. It is like a large house in every room of which we had lived and where we cannot move without being reminded of the past. Nowhere can we go without being tempted to say, like the fabulist: I was here, and this is what happened to me. § 205. On passe insensiblement de la fausse question á ľexclama-tion. Ľanglais pratique volontiers celle-ci, peut-étre parce qu'elle est une mise en relief d ordre affectif mais sans caractěre oratoire. — Ain't we having fun! — Was he pleased to hear it! — But wasn't Maria glad when the women had finished their tea and the cook and the dummy had begun to clear away the tea things! (J. Joyce, Dubliners). On notera que si ľexclamation est courante en frangais, eile ne s'accommode guěre de la negation. "Quelle ne fut pas ma surprise" est ä classer avec les locutions figées. Cest fou, ce qu'on s'amuse! II a été rudement content d'ap-prendre fa. N'empéche que Maria fut bien contente quand les femmes eurent fini leur the et que la cuisiniere et la laveuse de vaisselle se furent mises ä débarrasser la table. 220 STYLISTIQUE COMPARÉE CHAPITRE IV LES ARTICULATIONS DE UÉNONCÉ § 206. Comme le soulignait justement le regretté A. Dauzat, dans deux articles parus dans YEducation Nationale (8 Janvier, 12 févríer 1953), le frangais est une langue liée. II f aut entendre par la qu'aux différents niveaux de ľanalyse, on constate une tendance ä presenter un message dont les elements ont une třes grande cohesion intérieure. a) Sur le plan de la langue parlée, le francais offre de multiples traces de cette cohesion : liaisons, segments anti-hiatus (vas-y, y a-t-il, etc.), enchalnement regulier des syllabes, ďoů les ambiguités du type : "le tiroir est ouvert", "le tiroir est tout vert" ; en raison de la faiblesse des marques phonétiques destinées á ponctuer la frontiěre des mots ou des morphemes, le frangais parle repose essentiellement sur des groupes, souvent assez longs, quelquefois difficilement analysables. b) Cette tendance est encore renforcée sur le plan de la mor-phologie : le frangais connait de longues sequences de morphemes, imbríqués les uns dans les autres, que ľorthographe sépare arbitral-rement par des blancs : "je me le demande", "il ne ľa pas vu", "ils ne ľavaient probablement pas encore fait" (On notera la position des verbes dans ces trois phrases, qui découle de la tendance ä rejeter le propos ä la fin du message (184, 185). A. Dauzat fait ici remarquer ľexistence de morphemes de liaison, trés fréquemment employes dans la langue parlée, qui ont pour effet d'augmenter cette cohesion interne déjä favorisée par la structure sonore: il cite notamment le "de" de liaison, dans des phrases comme : "il y en a trente de blesses" ; "il n'est rien d'impossible á ľhomme" ; "deux dollars de ľheure" ; "voilä du bon travail de fait" ; "il est honteux dc mentir", etc. On notera que les phrases anglaises correspondantes ne comportent pas de morphemes semblables: "Thirty were wounded" ; "nothing is impossible to man" ; "two dollars an hour"; "well done!"; "lying is despicable". STYLISTIQUE COMPARÉB 221 c) Dans le present chapitre, nous nous intéresserons ä la "liaison" sur un troisiěme plan, celui du message, oú ce phénoměne appa-rait clairement par opposition ä la demarche de ľanglais. Nous retrouverons, ce faisant, la grande dichotomie sur laquelle s'axent tant de nos remarques : ľopposition entre le plan de ľentendement et le plan du reel. $ 207. Dans son compte rendu du deroulement des faits, le locu-teur peut en effet se placer ä un point de vue purement objectif et nous faire part de ses observations au fur et ä mesure qu'elles se présentent; la liaison entre les faits observes n'étant pas générale-ment evidente, une telle attitude aboutira normalement ä un message compose ďéléments juxtaposes. Ce développement stylistique objectif est souvent appelé intuitiř ou sensoriel ; on le caractérise également par l'expression : "le film du reel". U anglais nous offre un excellent exemple de ce mode stylistique dans des phrases telies que : "He crept out from under the bed"; "He walked leisurely into the room"; "Pop goes the weasel"; "He drank himself to death"; "Off with you", etc. On retrouve cette attitude jusque dans les titres, ou ľon pourrait s'attendre ä un message statique, le titre ne faisant pas partie du contexte : Across the River and into the Trees (Hemingway) ; Digging Up the Past (L. Woolley); Through the Looking-Glass (L. Carroll); Drums Along the Mohatvk (Water D. Edmonds); Far from the Madding Crowd (T. Hardy), etc" Mais une autre attitude est également possible ; le locuteur peut retarder, en quelque sorte, le deroulement des idées jusqu'á ce qu'il les ait ordonnées, qu'il en ait dégagé la succession, ľordonnance cachée, la cause et ľeffet. Cest la en general ľattitude fran^aise, qui est plutôt celle d'un spectateur commentant des faits que Celles d'un acteur les traduisant au fur et ä mesure de leur emergence. Cette deuxiěme sorte de développement, qui suppose une prise de position, un jugement de valeur, peut s'appeler le développement raisonné : et, pour s'y conformer, il faut se placer Ä le plan de ľentendement. (32) A titre de verification, nous avons ouvert au hasard la Bibliographie de la France (145« annce, No 44, novembre 1056, pp. 980-1). Sur 21 romans cites, 16 ont des titres "statiques" du type Vol d'essai, mais 5 rappellent les titres dynamiqucs anglais ci-dessus : "Jc mc damnerai pour toi**. "Quand ies genets rcfleuriront", "Vous verrez le ciel ouvert", "Quand lc diable a soif", "Quand I'amour refleurit". On notera la frequence du tour avee quandt qui est un bon exemple de la tendance vers le dynamisme, caractcristique de la littérature contemporaine. 222 STYLISTIQUE COMPARÉE Nous pensons qu'en regle generale, ľanglais suit le premier mode dit intuitif ou sensoriel, le francais, le second mode dit raisonné". Voyons dans le detail si cette hypothěse semble confirmee par les f aits. Nous allons conduire cette etude d'abord sur le plan du paragraphs (charniěres) puis sur celui du message (modulation). § 208. Articulation du paragraphe : les charniěres. Sur le plan du paragraphe, nous voudrions montrer que notre distinction entre les deux types de développements est toujours valable. Un développement intuitif tend ä laisser son autonomie ä chaque phrase ou segment du message ; cette liberté correspond ä la realite, oú les sequences d'actes ne sont pas toujours visiblement reliées entre elles par des rapports de causalité. Au contraire, un développement raisonné essaie précisément de marquer les rapports qui unissent chaque segment dans un déroulement logique. Pour ne pas entamer une discussion sur le sens qu'il faut donner ä "logique", disons que nous voulons seulement indiquer par la une tendance ä grouper les segments du message dans un certain ordre arbitraire, mais voulu, qui se retrouve sous des formes comparables de texte en texte, un souci de marquer les articulations de ľénoncé. Le franc;ais, tout au moins dans la langue íittéraire, philosophique, scientifique et juridique, affectionne les articulations, et se passe difficilement des precisions qu'elles peuvent apporter dans le déroulement de la pensée. Ľanglais au contraire, merne dans ses formes classiques, fait beaucoup moins appel aux articulations explicites, done laisse au lecteur le soin de suppléer lui-meme les articulations qui s'imposent et joue plutôt avec la juxtaposition des phrases et segments de ľénoncé. § 209. En se voulant une langue "articulée", en accordant par consequent une trěs grande place au jeu des charniěres, le francjais reste dans la tradition classique latine et surtout grecque. M. A. Bernelle, (33) Nous voudrions citer lei ľopinion cľun critique anglais qui, pour Ôtre subjective, n'en est pas moins révélatrice : ..."French, Italian... are reasonable codifications of as much of human experience as can be translated into speech. They give each separate object, process or quality a permanent label duiy docketed, and ever afterwards recognize this object, process or quality by its label rather than by itself; ...these languages are therefore also the rhetorical languages, rhetoric being the poetry of labels and not the poetry of the things themselves. English proper has always been very much a language ofconceits , ...the vocabulary is not fully dissociated from the imagery from which it developed; words still tend to be pictorial and not typographic... It is the persistent use of this method of "thought by associations of images" as opposed to "thought by generalized preconceptions", that distinguishes English proper from the more logical languages." (Bobert Graves, "Impenetrability or the Proper Habit of English", The Fortnightly, décembre 1926.) STYLISTIQUE COMPARÉE 223 dans sa "Presentation du grec ancien" (Vie et Langage, 44 (1955) : 492), insiste avec raison sur ľimportance des articulations dans le développement de la pensée grecque: « Quant ä la coordination, eile devient une veritable charpente du langage, trěs apparente, solide et souple ä la fois, abondante et variče. Nombre de "particules" lient les phrases et les propositions entre elles pour bien en marquer le rapport logique : opposition, explication, exemple, résumé, conclusion, objection. Cest encore une deá grosses difficultées du grec pour les jeunes hellénistes, et merne pour les traducteurs chevronnés. Si ľon traduit toutes les particules, on alourdit into 1 ér ablernen t la phrase franchise. Si on les escamote, on fait disparaitre un des traits essentiels du génie grec : la demarche prudente et sure de la pensée,...» D'apres ces remarques, il faut croire que le grec allait encore plus loin que le frangais dans le sens de ľarticulation. Ceci nous donne ľoccasion de souligner une fois de plus que traduire, c'est transposer le message original rédigé en LD sans pour cela fausser le mecanisme de LA. Par consequent, et pour revenir aux langues qui nous intéressent ici, traduire du frangais articulé en anglais, e'est se resigner ä laisser les charniěres implicites dans une large mesure, et nous verrons en effet que certaines ne figurent méme pas au repertoire lexical de ľanglais. Inversement, la traduction vers le frangais oblige le traducteur á expliciter les charniěres zero du texte anglais, qu'il importe done de bien degager au moment de l'analyse et du découpage du texte. Cette double attitude vis-á-vis des marques articulatoires du frangais et de ľanglais pose parfois au traducteur des problemes redoutables. Dans la traduction d'un texte juridique ou diplomatique, par exemple, ce. serait trahir le lecteur frangais que d'omettre les charniěres, qui ponetuent le déroulement de ľénoncé : mais comme ces charniěres sont souvent trěs differences dune langue ä ľautre, il faudra faire admettre aux usagers ľexpli-citation ou ľimplicitation de segments de ľénoncé dans des textes habituellement considérés comme intangibles. § 210. Différenres sortes de charniěres : Nous appelons charniěres les marques linguistiques de ľarticulation (cf. clone, et, cependant) et charniěre zéro le procédé de juxtaposition qui ne marque pas explicitement les rapports articulatoires entre les diffcrents segments de ľénoncé. Pour la stylistique comparée, basée essentiellement sur ie rapprochement de deux structures ä travers le pont sémantique de la 224 STYUSTIQUIÍ COMPARER traduction, toutes les articulations du discours sont des charniěres. Cest dire que nous ne considérons pas les segments de ľénoncé, au moment de ľanalyse du message, sous ľangle de leur nature linguis-tique (cf. la notion de "parties du discours"), mais sous ľangle de leur fonction. Ainsi le terme "charniěre" groupera des réalités linguis-tiques trěs diverses : conjunctions, adverbes, locutions, relatifs, copules, etc. Le traducteur doit se sentir trěs libre devant la notion de char-niěre, qui se dégage tantôt ďunités lexicales speciales, tantôt du sens méme du mot. Dans ce dernier cas, on pourrait considérer la fonction de charniěre comme superposée ä la fonction sémantique. Par exemple, dans le paragraphe precedent, "ainsi" e:t une charniěre du type lexical, et "c'est dire que" une charniěre du type sémantique. Cette dualite explique (sans ľexcuser) ľabsence de nombreuses charniěres dans les dictionnaires, trop souvent places en dehors du contexte. On notera que si les charniěres apparaissent le plus fréquem-ment dans le discours soutenu, pour marquer les artiaüations entre les propositions ou les phrases, elles existent également dans la langue parlée, méme dans le cas de messages trěs courts ne comportant qu'une seule proposition : cest le cas des charniěres d'appel du dialogue : "John, won't you pass me the salt?"; "Dis-donc, toi, qu'est-ce que tu dis de £a?"; "Now look here, I don't think this will do", etc. H y a plusieurs faoons de classer les charniěres, selon que ľon se place au point de vue de la forme ou de la fonction, Disons quelques mots ďabord sur ce dernier point. Les charniěres ont de toute evidence plusieurs fonctions, soit séparément, soit simultané-ment. Elles peuvent fonctionner comme le rappel ďun évěnement qui precede : "Comme nous ľavons dit plus haut..."; elles annoncent également ce qui va suivre, et comment ľauteur va traiter la question : « Passons maintenant aux causes de ces évěnements...". Elles établissent encore une liaison entre ce qui precede et ce qui suit: "Cest ä vous que je m'adresse, puisque aussi bien vous eres le seul representant officiel, etc.". Certaines enfin annoncent la fin ďun développement, ďune enumeration: c est précisément le role de "enfin" dans la présente phrase. On peut done classer les articulations du message selon leur fonction déictique (234) en charniěres de rappel (retour en arriěre), de traitement (annonce de ce qui suit), de liaison (cf. conjunctions de coordination) et de terminaison. Cest la classification la plus utile dans le cas du découpage, et surtout du démontage ďun texte : eile permet de faire ressortir nettement les elements vectoriels de ľénoncé, particuliěrement dans le cas des charniěres zero, qu'il faut dégager ďaprěs le sens global du message. STYUSTIQUĽ COMPARČI; 223 Toutefois, ces distinctions formelles sont diffieiies ä maintenir sur le plan de ia stylistique, parce que la méme charniěre peut avoir plusieurs fonctions, etre á la fois rappel et traitement, et méme liaison. Nous aurons done ici recours ä un autre principe de classement. Nous garderons néanmoins la catégorie des charniěres de terminaison parce quelles sont nettement différenciées et aussi parce que ľanglais les remplace souvent soit par des charniěres zero, soit par des charniěres de liaison qui n'annoncent pas la fin du développement. Ex. : "furthermore", qui se traduit tantôt par "de plus"' tantôt par "enfin" pour marquer qu'il ne vient plus rien aprěs. Ceci se rattache ä la tendance du francais d'annoncer plus tot que ľanglais la demarche de sa pensée, tendance qui s'exprime également par sa preference pour des charniěres ä balancement: "tantôt... tantôt", "non seulement... mais encore"84. § 211. Ľtant donne le comportement respectif des deux langues et la difficulté de séparer le rappel du traitement, nous classerons les charniěres ďaprěs leur forme, selon les grandes subdivisions ci-dessous : Type A : Charniěres explicites, qui s'expriment de trois fagons : — par un mot-outilBG, type Ai: "aussi", "de plus", "cepen-dant", "par consequent", qui sont en fait les conjunctions de 1a grammaire traditionnelle ; — par un membre de phrase qui articule ľénoncé, type Aj "Comme nous ľavons déjä vu..." ; "J'en viens maintenant a... — par un mot-outil qui recoit dans LA un étoffement par rapport a LD, type An "also : au méme programme". Type B : Charniěres constituées par le sens ďun mot plein ou charniěre sémantique (done implicites). Ex. : "this", "those". II est difficile de donner ici des exemples sans citer en méme temps le contexte. (Voir l'exemple de "cest dire que..." au §210). Type C : Charniěre de simple liaison : "et", "ou", "de plus". Type D : Charniěre zero, avec simple juxtaposition des elements, (souvent marquee par des prosoděmes) Ex. : "U pleuvait ; nous ne sommes pas sortis". (34) Ne pas oublier que le francais reste encore une langue plus oratoire que ľanglais, (,'Í5) La distinction entre mots pleins et mots outils est empruntée ä F. Brunot; cf. en anglais ľopposition entre "notional" et "structural words". 226 STYLÍSTIQUE COMPARÉE Les types A, B et C se rencontrent dans les deux langues. II semble toutefois que le type D soit trěs frequent en anglais (voir par exemple ľomission des equivalents de "en effet") et que le type A prédomine en frangais. Le type B se rencontre couramment en anglais ou il correspond souvent au type A en fran^ais. La char-niěre membre de phrase (type A=) est généralement mixte, ä la fois structurale et sémantique. § 212, Choix ď exemple s Type B/A : In all this immense variety of conditions, the objective* must be..." Nous sommes ici entre deux enumerations, celie des difficultés que présentent la diversité des conditions et celie des choses ä faire. Le "this" a kx une valeur de rappel et insiste également sur la complexité des difficultés ä résoudre. Nous préférons marquer nette-ment ľopposition entre les obstacles et le but ä atteindre et nous commencerons par : uEt cependant, malgré la diversité des conditions". Remarquons que "la" suffit alors amplement pour traduire this . Type A/A : "He has more and better,., social security services, some of which are even unknown in the East." II s'agit d'une comparaison entre les services d'hygiene et ď assurances sociales dans ľouest et dans ľ est du Canada. On peut évidem-ment traduire littéralement, mais dans une langue oratoire comme le fran^ais le mouvement cle ľargumentation gagne ä rendre "even" par un "parfois merne" initial qui relance ľargument. "Parfois tneme il bénéficie, dans le domaine de ľ hygiene et de la sécurité sociale, de lois dont nous n'avons pas ici ľ equivalent." Type B/B : "// is popularly supposed that art knows nothing of frontiers." Le mot "popularly" laisse entendre que ľauteur ne partage pas cette opinion du public et s'appréte ä la réfuter. II a done la valeur ďun traitement et constitue une charniěre sémantique. Nous rendrons ce "popularly" par un verbe qui exprimera la méme attitude vis-ä-vis de ľopinion en question : "Les gens se figurent que ľ art ne connait pas de frontiěres." Type B/A : %%lt was not enough to produce glass of low expansion in order to . Furthermore, they had to see to it that...: Mais, en plus de la mise au point d'un verre ä faible coefficient de dilatation et capable de... En dernier lieu il fallait veiller ä ce que..." STYLISTIQUB COMPARÉE 227 "Was not enough" rappelle un segment de ľénoncé et en mon* trant son insuffisance, annonce ce qn'il f aut faire pour y suppléer (charniěre sémantique). "Mais" et "en plus de", ä la fois rappel et traitement, constituent une charniěre diluée. "Furthermore" n'indique pas nécessairement que nous arrivons au terme de ľ enumeration, comme c est le cas ici. Le frangais, soucieux de marquer la fin d'un développement, non moins que ľarticulation de ses différentes parties, dira : "En dernier lieu". Types A/D, A/A, A/A : "II errait alors de café en café. II atteignait ainsi le soir. II passait aus st de long moments dans la gare." (Camus) Des trois charniěres que nous avons ici, la premiere peut étre omise sans dommage en anglais. La deuxiěme peut étre rendue par ľarticulation virgule + participe present. Seule la troisiěme exige d'etre rendue littéralement en anglais. "He vould drift from one café to the next, killing time until nightfall. He would also hang around the station a great deal." Type D/A: "...But one feels that this is an abnormal condition which lacks the elements of healthy growth, the growth that augurs eventual stability. Socially and politically there is widespread discontent,... (T. Taggart Smyth): Cette situation toutefois ne laisse pas de sembler anormale par ľabsence apparente des elements essentiels d'un progres sain, avant-coureur d'un équilibre définitif. II rěgne en effet dans les masses... un profond mécontentement, an malaise politique, etc..." Dans ľexemple qui precede, ľauteur est allé ä la ligne sans marquer le lien entre les deux paragraphes. II est evident cependant que le mécontentement qui rěgne explique, justifie ľaffirmation precedente. La situation tst anormale, comme le montre ce mécontentement. Quand nous donnons un exemple pour appuyer un jugement, quand nous motivons ce jugement, la charniěre "en effet" apparaít tout natu-rellement entre les deux. Ce n'est pas le cas en anglaisM Type D/A : "He has more and better hospital accommodation... : (36) On notera que les dietřonnaires ne peuvent pas donner de bons equivalents de "en effeť\ parce qu'il leur faudrait citer autant d'exemples que de situations. Beaueoup d'Axiglais sont portés a traduire "en effet" par "in fact", qui correspond au francais "en faiť*. Mais au fond, "en fait" est le contraire de "en effet" : "II a dit quMl s'en occuperait, en fait e'est moi qui ai tout fait / il a dit qtľil s'en occuperait, et en effet il a fait tout le travail". 228 STYLISTIQUE COMPARÉB II jouit en effeí de services ďhospitalisation plus vastes, plus per-fectionnés..." Ľanglais n éprouve pas le besoin de marquer, comme le fait le frangais au moyen de "en effet", le rapport entre cette phrase et celie qui precede. II s'agit dun rapport explicatif. Type C/A : "They have to be installed in metropolitan districts... and also in areas where... (Texte de ľOACI oů ľauteur insiste sur ^importance des aerodromes, etc.) : Au lieu d'une conjonction de coordination, le fran$ais préférera montrer des le debut les deux aspects de la question par ľemploi d'une tournure dichotomique "tantôt... tantôť' ou "non seulement... mais encore" Remarquons en passant que "tantôt... tantôť' est beaucoup plus frequent que le "now... now" anglais. D'autre part, dans la mesure ou cette phrase révěle un certain heurt entre les circonstances mentionnées auparavant et la nécessité ď avoir des aerodromes dans deux sortes ďendroits différents, le "have" risque de porter un accent d'insistance que nous rendrons par "or", qui fait ainsi office ä la fois de charniěre et de compensation. Type C/A: "...the drive for a uniformly high standard presents national problems to every government, and international ones as well." Comme cette phrase est une conclusion, nous expliciterons le role qui lui est assigné dans ľensemble par l'adjonction dun "done". Dc plus, comme nous ľavons fait précédemment, nous marquerons beaucoup plus tot que ľanglais, qu'il y a un double probléme: "La recherche de standards uniformément élevés présente done pour chaque gouvernement des problěmes tant sur le plan national que dans le domaine international." Type D/A : ' "Nous feignons d'en parier en savants, en psychologues, avec un cynisme apparent, mais en nous quelque chose proteste, et ce conflit intérieur se traduit par des troubles physiologiques... Or ľalcool nous sauve... out, ľalcool nous affranchit pour quelques heures de la conscience puritaine". (A. Maurois, La Machine ä lire les pensées.) Dans la traduction anglaise de ce passage "or" n'a pas été retenu, ce qui confirme notre théorie que ľanglais peut se passer facilement de ce mot introductif. Le "oui" est traduit littéralement. "Alcohol comes to our rescue; yes, it delivers us for a few hours..." On pourrait STYLISTIQUE COMPARER 229 sans doute ľomettre lui aussi, en mettant "delivers" ä la forme d'insistance : "It does deliver us..." Type D/B : "The walls of Roman London burst with the compelling growth of the City's trade... (Court historique de la ville de Londres) : Ľ enceinte de la Londres romaine dut bientôt coder sous la pous-sée vigoureuse du..." L'adjonction de "devoir" et de "bientôt" semble étre une exigence de ľ esprit francos. Elle permet de rendre la nuance que cet éclate-ment de la ville a été le résultat d'une pression qui a fini par triompher. La phrase anglaise ne marque pas explicitement les deux temps de ľopération : la poussée et la rupture. Type C/A: "We ate sandwiches and crackers..., and were thirsty and tired, and glad when we finally were out and on the main road back to town..." (Hemingway) Merne en essayant ďécrire comme Hemingway il est douteux que le frangais s'accommode de deux "et" de suite. Le "when" lui-méme fern, place ä une articulation plus serrée : "Nous avons mange des sandwiches et des biscuits sales. Nous avions soif et nous étions fatigues, de sorte que nous n'avons pas été fächés de rejoindre la grand-route qui nous ramenait ä la ville." Cest une des caractéristiques du style de Hemingway ďutiliser trés peu de charniéres. II est possible, surtout en fran^ais moderne, de procéder de méme, jusqu'ä un certain point. II arrive un moment cependant oů, comme nous venons de le voir, le procédé se heurte ä nos habitudes mentales. En voici un nouvel exemple, également tiré de Hemingway, et qui montre la tendance du frangais ä lier les faits par le raisonnement. "We shot two, but then stopped, because the bullets that missed glanced off the rocks and the dirt, and sung off across the fields, and beyond the fields there were some trees along a watercourse, with a house, and we did not want to get into trouble from stray bullets going toward the house. (Hemingway, Winner Take Nothing): Nous en ruames deux, mais jugeämes ensuite prudent de nous arreter, car les balles qui les manquaient ricochaient sur les rochers et sur la terre, et risquaient ď aller se perdre du côté dune maison, qu'on voyait au dela des champs, ä proximité dun cours ďeau bordé ďarbres, et nous aurions pu nous attirer des ennuis." L'un des "and" anglais a été éliminé. De plus, ľidée de risque a été explicitée. La traduction laisse échapper la notation de son, par 230 STVLISTIQUĽ COMPARÉE contre eile fait davantage place ä la reflexion du sujet parlant. Eile est un bon exemple de subjectivation (187). Si on ajoute qu'elle trahit un plus grand souci ďélaboration, on voit qu'elle rend compte, eo quelques lignes, ďimportantes differences entre les deux langues. Poncŕuaťion et charniěres §213. Nous avons montré plus haut (162-4) que la poncruation était un ensemble assez peu coherent de marques destinées ä découper le message en grandes unites. Nous pouvons maintenant ajouter que la- poncruation est un type particulier de charniěres. Le traitement est en effet bien presence par les deux points /:/, ľincidente par les parentheses, les crochets parfois, et surtout les tirets, dont les deux langues font également usage. La mise ä la ligne d'une phrase, le renforcement des paragraphes pour detacher une série ď arguments, l'espace blanc plus ou moins grand qui entoure certaines parties du message, voilä autant de fagons graphiques d'articuler le texte. En fait il faut considérer, sous cet angle, la poncruation comme ľun des systěmes dont dispose ľécrívain pour mettre son texte en relief. Si ľon songe ä ľimportance considerable qu'attachent certains auteurs, surtout les poětes, ä la disposition typographique de la page (au point de se laisser influencer parfois par la forme de certaines lettres) — si, d'autre part, on se souvient que certains linguistes considered le frangais comme une langue faité surtout pour l'ceil (Cf. Gaucher, op. cit., p. 116), on accordera volontiers une place aux problě-mes de presentation graphique dans le cadre plus vaste de la stylis-tique comparée. Parmi touš les exemples que ľon pourrait citer á ľappui de notre these, ne retenons que les plus marqués: — Presence d'une virgule en frangais avant "et" (162-163) permet-tant ďinterpréter cette conjonction comme la premiere partie d'une dichotomie (Traitement) : "Un arrangement financier de ce genre serait avantageux, et pour les Provinces qui veulent des subventions, et pour le gouvernement federal qui a des surplus ä distri-buer." (Le Devoir, 12 novembre 1956). — Presence dun point et virgule annoncant dans un texte anglais la fin d'une enumeration : "His hair was brown and crisp, his hands were large, reddish, intelligent, the veins stood out in the wrists; and his thighs and knees seemed massive." (D.H. Lawrence, En* gland, my England, p. 78). Noter que la phrase est curieusement STYUSTIQUE COMPARÉE 231 ponctuée, comme si ľauteur travaillait par petites touches séparées; le point et virgule, venant avec "and", ren£orce pour un lecteur anglais la virgule qui se trouve habituellement dans cette position et joue le role de charniěre de terminaison. — Presence dun tiret, conjugué avec une phrase tres courte, concé-dant un point de ľ argumentation, annoncant en méme temps une nouvelle phase du dialogue : "Mais il s'agit d'un mystere (ajoute-t-on) ou vous-méme, qui menez ľenquéte, étes tout le premier transformé. — II se peut." (J. Pauihan, La Preuve par ľ etymologie, p. 91). § 214. Plus subtile que ces signes de ponctuation est la disposition materielle du texte imprimé. Le fait ď aller ä la ligne, par exemple, représente une charniěre aussi explicite et aussi importante que le fait de commencer une phrase par : "En conclusion..." ; et on peut fort bien concevoir que deux langues ne considěrent pas sous un méme angle la subdivision des textes en paragraphes. Les deux extremes, — paragraphe trěs long ä la Proust ou ä la Ruskin, paragraphe trěs court, de quelques mots, ä la Victor Hugo — produisent chez le lecteur des effets voulus. Ce sont done des moyens stylistiques non négligeables. Dans un texte de philosophic, au contraire, le décou-page sera plutôt un moyen de faire ressortir le déroulement de ľ argumentation : les paragraphes seront des charniěres. Dans la traduction d'un texte, il faut done admettre que le traducteur a droit ä une grande libertč dans la presentation du message LA ; c'est ce qu'exprimait fort bien Hilaire Belloc dans son article théorique sur la traduction (pp. cit.) : «The translator must be emancipated from mechanical restriction, of which the two chief forms are the restriction of space and the restriction of form.» La liberté sur le plan de la forme, qui doit étre canalisée par des procédés ä la fois souples et codifies, fait en somme ľobjet principal de nos preoccupations. La liberté de découpage est plus difficile ä codifier parce qu'elle porte sur de trěs longs messages ; mais eile n'en est pas moins essentielle, et ľon peut aisément fausser le déroulement d'un argument par le simple décrochage d'un paragraphe au mauvais endroit. Nous pouvons done poser en principe que, dans le cas surtout d'une langue "liée" comme le frangais, le découpage des paragraphes est une charniěre du message, qui doit étre rendue en LA au méme titre que les autres unites de traduction. II semble bien que cette liberté d'articulation ne soit pas toujours reconnue aux traducteurs 232 STYLISTIQUE COMPARES de textes officiels ; par exemple dans les publications bilingues de ľ ONU, on semble attacher un certain prix ä ce que les deux textes aient le méme découpage. Un tel procédé facilite certainement la consultation de ľouvrage par les délégués au cours dune discussion; mais il est dangercux d'en faire une regie absolue. D'ailleurs, une rapide statistique effectuée á partir de documents bilingues canadiens et européens montre que, pour un méme texte, les paragraphes anglais sont moins nombteux que les paragraphes francais et ne tombent pas toujours au méme endroit. § 215. Ne prenons qu un exemple, en terminant; nous ľemprun-tons ä un texte décrivant la fabrication du fromage de Cheddar. A la fin dun assez long paragraphe, on trouve cette phrase : "...It was here that Cheddar cheese was first systematically manufactured by Joseph Harding, an enterprising and progressive farmer. He systematized the crude methods of farmers of that section of England and it was his method of manufacture that became the model for cheese-making in America." Pour un lecteur frangais, il n'y a pas ďidée nouvelle entre ces deux paragraphes et le traducteur doit pouvoir les grouper ensemble, comme il ľaurait sans doute fait spontanément s'il avait rédigé ce texte en frangtis. II est possible cependant que le découpage anglais ait voulu mettre un accent d'insistance sur "He systematized", que ľon pourra rendre alors par un tour de presentation : "Cest á lui que ľon doit le procédé de fabrication, etc.". Nous sommes lá sur un plan trěs délicat du message, oú les procédés ďarticulation sont indirects, parfois confusément sentis plutôt que systématíques ; il est trěs probable que, dans une large mesure, de tels procédés ne seraient pas reversibles (cf. Retraduction 178) et que nous tou-chons ici ä ľune des limites de la traduction systématique qui est le but pratique de la stylistique comparée. Nous pourrions done poser, en anticipant la conclusion du present ouvrage, que dans la mesure oú les techniques de la traduction que nous avons dégagées sont susceptibles de réversibilité, elles rentrent dans un systéme structural classifiable et jusqu'ä un certain point mécanique. Tout le reste, en traduction, est subjectif et reléve de la creation littéraire. STYLISTIQUE COMPARÉE 233 CHAPITRE V LA MODULATION DANS LE MESSAGE § 216. A propos du lexique (75), nous avions laissé entendre que la question de la modulation serait ä reprendre dans le cadre du message. Rappelons en effet qu'une modulation, en stylistique comparée, est un changement de point de vue ; or, comme on pouvait sy attendre, un tel changement nest pas conditionné par la seule structure ; s'il en était ainsi, toute modulation serait ä considérer comme un phénoméne fige. On constate au contraire que les solutions obliques, au niveau du message, ne s'imposent pas ď elles-mémes. Un traducteur peu experimente, ou peu curieux de dépasser la surface des choses, ne sent pas spontanément le besoin de recourir ä un changement de point de vue*1. Envisagéc sous cet aspect, la modulation devient la pierre de touche du bon traducteur, du traducteur qui a "du metier", alors que la transposition révěle simple-ment une bonne connaissance de LA. La modulation s'explique par la métalinguistiquc (246 sq.) et le démontage de son mécanisme devant une classe ďétudiants assez avancés pour en saisir la finesse et la pertinence, est ľun des exercices les plus formateurs, sur le plan culturel, que permettent les techniques de la traduction. Aussi bien, nous avons assez longuement insisté sur la modulation lexicale pour que la legitimite du procédé apparaisse méme ä ceux qui n'en seraient pas persuades. Ľéquivalence indiscutable entre deux unites du lexique telies que "firewood" et "bois de chauffage" permet de procéder par analogie dans le domaine du (37) Plus la structure s'impose ä un individu et moins 11 pense ä recourir de lui-méme aux solutions obliques. C'est le cas des populations bilingues, chcz lesquelles la traduction n'est trop souvent qu'un simple caique des structures čtrangeres. II faut ajouter & leur décharge que fréquemmcnt ces populations parlent deux langues, mais tendent de plus en plus á partager une mrmc culture, et par consequent une méme métalinguistiquc ; il devlcnt de ce fnit difficile de recourir á des modulations, qui sont préclsément ľindice de divergences métalinguistiques. 234 STYLISTIQUB COMPARÉE message: "Don't stoop! : Tenez-vous droit!" Reste ä défendre le changement de point de vue ; il est certain que "stoop" est plus direct que "se pencher", et que l'ordre : "Ne vous penchez pas" serait ambigu ; en fait, "stoop" exprime une attitude, qu il faudrait rcndre par une phrase negative : "ne vous tenez pas penché comme fa, ne vous voutcz pas ainsi". Nous serions lei, comme e'est fréquem-ment le cas, dans un domaine ä cheval sur la structure (diffiailté d'utilisation de "sc pencher") et sur la métalinguistique : preference pour les ordres positifs : "Taisez-vous !" plutôt que : "Ne parlez pas!", done "Tenez-vous droit" plutot que "Ne soyez pas penché". Dans la presque totalite des exemples, ľ explication de la modu-' lation est á chercher cxclusivement dans la métalinguistique. Soit le verbe "to fill" : le francais n'emploie guěre certe image pour indiquer une satisfaction gastronomique : "Je suis plein, je suis rempli" ne se disent guěre ; "j'ai le ventre plein" est vulgaire. II f au t voir la une consequence de la "civilité puerile mais honnéte" de nos grands-parents, auxquels répugnaient certains mots tels que "manger", "boire", "digcrer", etc. Ces tabous culturels obligent le traducteur ä des changements de point de vue qui n'ont aucune excuse structurale, et qui par consequent ne s'imposent pas ä tous les usagers de LA avec une force egale. L'affiche de Coca-Cola qui proclame : "Coca-Cola refreshes without filling" (variante: "Coca-Cola does not fill") ne peut se traduire littéralcment, d'autant plus que le sens de "fill" est subjectif. Les traducteurs canadiens ont bien vu la nécessité d'une modulation : "La boisson légěre, qui rafrakhit." Cest une modulation par renversement, dont on peut trouver de nombreux exemples. § 217. A la difference des exemples ^equivalences et surtout d'adaptatton, dont nous parlerons dans les deux derniers chapitres, la modulation a done des causes qui participent ä la fois de la pensée et de la structure. On pourrait poser en principe que la modulation exprime, d'une faoon generale, I'opposition entre deux raisonnements et qu'elle est, de ce point de vue, un indice de divergence (31) entre deux langues, traduisant ainsi une divergence entre deux attitudes mentales vis-á-vis d'une merne situation. Nous pensons en partieulier aux modulations qui permettent au francais de rest er sur un plan conceptuel, par opposition au plan sensoriel oú évolue ľ anglais: "I read in the paper : j'ai appris par les journaux", par opposition ä: "j'ai vu dans les journaux", qui indique un mode plus succinct de connaissance■: "I heard of your appointment: j'ai appris (la nouvelle de) votre nomination". 7 i M-:' STYLISTIQUH COMPARES 235 Les deux exemples ci-dessus, representant des points de depart différents (mots images), aboutissent en francais ä un meme concept abstrait (mot signe), soit "read, heard : appris". Voici d'autres exemples de modulation exprimant cette méme tendance : "Have your secretary write us for a demonstration : Que votre secretaire nous demande une demonstration". Mais la secretaire eile-méme est-elle indispensable ici? "Faites-nous la demande d'une demonstration. Demandez-nous une demonstration". Le francais simplifie le reel, lorsqu'il consent ä ľévoquer : "Phone for a taxi : Appelez done un taxi" ("appeler" laisse implicite le moyen de communication); "I boarded a west-bound train at Winnipeg : j'ai pris ä Winnipeg un train pour l'ouest". "He had dinner an hour earlier : II avanca son diner d'une heure". "lis passěrent dans un rapide mouvement : Quick-moving feet pattered by." "He stood looking at the sea : U s'arréta pour contempler la mer". "Pour" implique une volition de la part de ľagent; ľanglais constate seulement que ce dernier est immobile et regarde la mer ; il a trěs bien pu le faire sans le vouloir. Cest le meme scrupule, la meme defiance du jugement de valeur qui fait dire a un Anglais, auquel on demande la permission de téléphoner: "ľm afraid we're not on the telephone : Je regrette, mais nous n'avons pas le telephone." Ce passage du plan du reel au plan de ľentendement, que la modulation permet de réaliser tout en conservant intact le sens du message ä traduire, n'est sans doute que ľune des raisons profondes qui justifient ce type de passage. Si, dans ľétat actuel des recherches en ce domaine, il est difficile d'aller plus loin, il n est v>as inutile par contre de tenter un classement des differences espěces de modulation. Différentes espěces de modulations ^ 218. Le classement propose ci-dessous se base sur la nature des operations mentales que représente chacune des modulations ; par exemple, entre la phrase "to hang up the washing" et sa traduction "étendrc le linge", il y a passage d'une vue concrete de la situation (hang, washing) ä une vue plus abstraite (étendre, linge). Méme si I'opposition "hang/étendre" est á la rigueur discutable, le mot francais ayant fort bien pu naítre á une époque oů ľon faisait sedier le linge en l'ctendant sur 1'herbe, le terme "washing", lui, est plus concret que "linge" ; nous classerons done cette modulation comme le 236 STYLISTIQUß COMPARER passage du concret ä ľabstrait (Type N° 1) qui s'applique, notons-le en passant, aussi bien dans un sens que dans ľautre : Les modulations sont reversibles, au merne titre que les autres procédés de traduction, Remarque. On retrouvera tout au long de cette liste les procédés classiqucs de la rhétorique, procédés qui étaient appliques en general ä une seule et meine langue. Cest ainsi que le procédé N° 1 rappelle la métonymie ; le N° 3 la synecdoque ; le N° 6, la litote, le N° 9 la métalepse, etc. II est interessant de retrouver, dans la subdivision en deux grandes classes des figures de rhétorique, ľ ambivalence déjá notée pour les modulations ; celles-ci se trouvent en effet á cheval sur la structure et la métalinguistique, ďoú leur repartition en figures de pensce et figures de mots ou tropes. Le lecteur retrouvera dans la liste ci-dessous sensiblement les mémes divisions que pour les modulations lexicales (76). § 219. Procédé N° 1 : Ľabstrait pour le concret (ou encore le general pour le particulier). — ...and I don't mean maybe : ...et je ne plaisante pas * — To sleep in the open : Dormir ä la belie étoile c.. " , ,, i Hue ne saurait failiir á sa mission; — bhe can do no other „,, . . ' ( Lile ne saurait agir autrement. — this is your receipt (Sur une facture) : Re^u du client. — Buy Coca-Cola by the carton : Achetez Coca-Cola en gros (ou encore "ä la douzaine", qui reste plus abstrait que "carton") — Give a pint of your blood : Donnez un peu de votre sang. — This parcel may be opened for inspection : Peut étre ouvert d'office. Le fran^ais préfěre insister sur les droits de ľadministration des douanes plutôt que sur la mesure particuliere qui en est la manifes-« tation, dans ce cas ľouverture du colis. Cas particulier du procédé N° 1 : les "fausses abstractions" de ľ anglais. Un certain nombre de mots anglais recouvrent une conception de ľabstraction généralisée qui rend leur traduction trěs delicate en fran^ais. Ces mots sont reconnaissables au fait qu'ils tiennent souvent lieu de toute une proposition antérieurement exposée ; ce sont des espěces de déictiques abstraits. Le frangais, contrairement ä ce qu on attendrait, rendra ces mots par des termes concrets ; on effectue ainsi une modulation inverse allant vers le particulier, ce qui s'explique par ce caractěre déictique, faussement abstrait, des exemples anglais. STYLISTIQUE COMPARÉB 237 II a déja été question de ces mots ä propos du lexique (45). Nous avons vu comment, pour traduire "conditions" dans "Glass subject to such conditions is liable to break", il fallait se demander de quelles conditions il s'agissait, la réponse étant, en ľoccurrence, "écarts de temperature". "Installation" rendra souvent "facilities". Cest un mot trěs general, bien que son extension soit moindre que Celle de "facilities". Mais dans certains cas il devra faire place ä un terme plus precis. Ex. : "mooring facilities : coffres d'amairage". On rattachera au procédé N° 1 le passage du pluriel (collectif) au singulier, ainsi que celui de ľ article indéfini ä ľ article défini. — I saw two men with huge beards : Je vis deux hommes ä la barbe de fleuve... — Two priests over glasses of beer at a café (Sinclair Lewis) : Deux ecclésiastiques attablés devant un bock... — Troops can never be expected to fight on empty stomachs : II ne faut jamais demander aux troupes de se battre le ventre vide. — Je la vois les yeux fermés : I can see her with my eyes closed. — I wouldn't lift a finger : Je ne lěverais pas le petit doigt.te § 220. Procédé N° 2 : La modulation explicative. Cette modulation se retrouve sous diverses formes : la cause pour ľeffet, le moyen pour le résuitat, la substance pour ľobjet. Cest une des modulations les plus caractéristiques du frangais, en ce qu'elle suppose une analyse de la réalité et un jugement de valeur sur cette derniěre : This baffles analysis : Ceci échappe ä ľ analyse. You're quite a stranger : On ne vous voit plus. The sequestered pool (W. Irving) : L'étang mystérieux. Paris on Berlin Time : Horloge de Paris, Heure de Berlin. § 221. Procédé N° 3 : La partie pour le tout, Dans cette rubrique, nous classons les modulations qui reposent sur ľapplication dune caracteristique particuliere ä un ensemble (synecdoque), et qui sont ä la base des variantes oratoires : Le Palais Bourbon, pour le parlement francais ; le sepťtéme art pour le cinema ; la ché Phocéenne pour Marseille ; Auld Reekie pour Edimbourg, (38) Nous retrouvons ici, ä un autre point de vuc, les cas étudiés á propos des marques. 238 STYLISTIQUĽ COMPARĚE the Windy City pour Chicago, etc. Nous aurons l'occasion d'y revenir ä propos des allusions prestigieuses (233). Autres exemples : — The islands had been the scene of several attacks : Ces lies avaient etc le theatre de plusieurs attaques. — He shut the door m my face : II me claqua la porte au nez. § 222. Procédé N° 4 : Une partie pour une autre. — He cleared his throat : Jl s'éclaircit la voix. — He read the book from cover to cover : II lut le livre de la premiere ä la derniěre page. — The railway that spans Canada from coast to coast : Le réseau qui dessert tout le Canada (ou : qui s'étend dun océan ä ľ autre ; qui relie l'Atlantique et le Pacifique) Ce dernier exemple est également une explkitation, puisque "coast to coast" pourrait s'appliquer en fait ä bien des pays. § 223. Procédé N° 5 : Renversement des termes. — The reckless swoops downhill : les plongeons effrcnes du haut des collines (cf. texte N° 4) ... as if he owned the house : comme si la maison lui appartenait. — His clothes hung loosely around him : II flottait dans ses vétements. — I saw the town with the hill and the old castle above it with the mountains beyond (Hemingway) : Je vis la ville dominée par la colline et le vieux chateau, sur un fond de montagnes. — This figure is made up as follows : Ce chiffre se decompose comme suit. > — Don't call up the stairs : N'appelle pas du bas de ľescalier. — Yield right of way : Priorite ä gauche, (voir equivalences § 230). — He had a hunch that all was not well : Tl eut le sentiment qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. — You can have it : Je vous le laisse. 8 224. Procédé N° 6 : Le contraire negative. — It does not seem unlikely that... : II est fort probable que... ■— He made it plain... : II n'a pas cache que... STYIJSTIQUE COMPARÉB 239 — Men will not always die quietly (J. M. Keynes) : Les hommes ne mourront pas toujours sans se plaindre. — He has a guilty conscience : II n'a pas la conscience tranquille. — Come along quietly (policeman to man being arrested) : Suivez-moi sans protester. — a minor detail : un detail sans importance. — little thinking that... : ne se doutant guěre que... — Forget it! : N'y pensez plus. — with small hope of : sans grand espoir de — The line's busy : La ligne n'est pas libre. — Don't make me laugh : Laissez-moi rire. — I know as little as you do about it : Je n'en sais pas plus que vous. — to keep Germany down by force : empécher par la force le relevement de l'Allemagne. (TR et MOD) § 225. Procédé N° 7 : De I'actif au passif, ou vice-versa. II en a éré question á propos de la voix (120). § 226. Procédé N° 8 : Ľespace pour le temps. — This in itself (lieu) presented a difficulty : Cette operation présentait déjä (temps) une difficulté. — Where my generation was writing poetry... these youngsters are studying radio scripts : Alors que ma generation faisait des vers... les jeunes d'au-jourd'hui travaillent des textes pour la radio. — Where earlier it was enough to obey the law now it is required to expound it (L. Kronenberger) : Alors qu'autrefois il suffisait d'observer la loi, il faut main-tenant la faire connattre. — I see him there, Bringing a stone, etc... (R. Frost) : Je le vois encore, Agrippant fermement dans chaque main une pierre, etc. § 227. Procédé N° 9 : Intervalles et limites (de ľespace ou du temps). Dans 'le cas du temps la limite devient une date, et ľintervalle une durée. Cette modulation, qui joue un grand role dans les consi- 240 5TYUSTIQUE COMPARES derations ethnologiques, sera reprise ä propos de ľadaptation (253). Citons-en deux exemples : 1) dans le temps : — Foi the period under review : Depuis notre dernier numero. 2) dans I'espace : — No parking between signs : Limite de stationnement § 228. Procédé N° 10 : Changement de symbole. On se rend bien compte, en comparant des métaphores figées (cf. la moutarde lui monta au nez, as like as two peas, etc.) que la symbolique des deux langues s'appuie tout naturellement sur des images différentes. Dans la recherche de la modulation, le traducteur aboutira ainsi ä des changements de symboles, pour éviter une surtra-duction qui consisterait ä garder á tout prix la métaphore originale, merne si celle-ci crée dans ľesprit du lecteur un effet de surprise, voire de dépaysement: He earns an honest dollar : II gagne honnétement sa vie. He plays second fiddle to him : II joue les utilités. gossamer fidelity (Poe) : fidélité de gaze (Baudelaire) Hollow Triumph : Chateau de Cartes. Trade followed the flag : Les soldats firent place aux commercants No one sees them fall : Elles tombent sans témoin. the white man's burden : le fardeau de la civilisation *. § 229. La modulation figée dans le message : A plusieurs reprises, au cours des exemples ci-dessus, on aura note que la modulation s'imposait d'elle-meme, globalement en quelque sorte. Cest qu'on avait affaire ä des modulations figées, correspondant sur le plan du message aux modulations figées du lexique (75-76) du type "fireboat : bateau-pompe". Nous appelons ces modulations figées syntaxiques des equivalences, et nous en traitons en detail dans le prochain chapitre. (ex. : Vous ľavez échappé belle : You've had a natrow escape). Cependant, avant de quitter le domaine des modulations libres, (39) II faut bien noter que les modulations, comme les transpositions et ťľune facon generale les principaux procédés de la stylistique co m pare e, sont susceptibles de se combiner entre eux ou á ďautres procédés. Soit la phrase : "Let sleeping dogs lie : U ne faut pas réveiller le chat qui dort". On peut la considcrer comme un tout, et dire que la phrase franchise est un equivalent (230). On peut aussi la découper en : "Let/11 ne faut pas" (Modulation No 6) ; "dogs/chat" (Modulation No 10) ; lie/réveiller (Modulation No 5). STYLISTIQUE COMPARÉE 241 il convient de noter que ces derniěres ont naturellement tendance ä se figer dans la mesure ou elles frappent ľesprit du lecteur et ou elles acquiěrent une notoriété publique. II y a done une difference entre le parallélisme des equivalences, qui se sont créées indépendamment dans chaque langue, devant une meme situation — et ä ce point de vue, on pourrait rechercher ľ extension géographique plus ou moins grande des equivalences : "There's no room to swing a cat : Cétait grand comme un mouchoir de poche" — et la diffusion ďune métaphore avec traduction-calque dans les autres langues : "le rideau de fer : the iron curtain" ; "the policy of containment : la politique d'endiguement" ; "the rollback policy : la politique de refoulement'\ etc Cette creation stylistique, suivie de stabilisation et de traduction, est done un processus normal pour la creation ďéquivalences ; on peut citer en exemple ľémergence progressive de la formule "a new deal", venue spontanément sous la plume de Mark Twain pour se figer dans un sens politique chez Roosevelt : the "New Deal" (ďoů les autres "deals" politiques, le "Fair Deal", etc.) Dans la mesure ou une modulation se fige, sa traduction viendra plus rapidement ä ľesprit du traducteur pour finalement s'imposer d'un seul coup, et apparaítre dans les dictionnaires. Cest ce processus que nous allons maintenant étudier.