242 STYLISTIQUH COMPAKÉE CHAPITRE VI [.'EQUIVALENCE ET L'ALLUSION DANS LE MESSAGE § 230. L'équivalence participe de la méme demarche que la modulation ; eile découle ďun changement de point de vue opéré par rapport ä LD ; mais eile va beaucoup plus loin et quitte le domaine de la parole pour pénétrer dans celui de la langue. En effet, si ľon analyse les segments soumis ä l'équivalence, on constate que la com-plexité de ľattitude de LD devant la situation est teile qu'on ne peut plus appliquer les Operations habituelles de la traduction ; l'équivalence, contrairement aux autres passages, s'impose du premier coup, une fois reconnue la valeur exacte du segment ä traduire. L'équivalence part done de la situation et c'est lá qu'il faut en chercher la solution en LD ; ce procédé pennet de rendre compte dune méme situation en mettant en ccuvre des moyens stylistiques et struc-turaux entierement différents. Considérées sous cette forme figée, les equivalences pourront done figurer dans des repertoires40, sous des etiquettes varices : gallicismes, idiotismes, proverbes, phrases idio-matiques, etc. Nous verrons que nous pouvons élargir encore le domaine de l'équivalence, et que ces repertoires ne sont jamais complets de ce fait. Toutes les equivalences participent au méme processus de reconnaissance globale, basée sur une connaissance poussée des deux lan-gues, abandonnant ľanalyse des UT pour ne retenir que la situation. Par exemple, on traduira "Open to the public" par "Entree libre", s'il s'agit d'un endroit que ľon peut visiter gratuitement, par "Visites organisées" dans le cas contraire. II y a bien un rapport analytique entre les groupes "Open/Entrée" (transposition) et "to the public/ libre" (modulation) ; mais il est plus simple de traiter "Open to the public" comme un segment non analysable, anquel peuvent corres- (40) Voir en particulier Y.P. de Dony, Léxico de Lenguaje Figurado (Cas-tellano, Francis, English, Deutsch). Buenos Aires, Desclée de Brouwer, 1951. STYUSTIQUn COMFARÉn 243 pondre plusieurs segments LA également non analysables ; le choix entre ces segments depend done totalement de ľappréciation de la situation. Autres exemples: "Take one", analyse en UT, donnerait : "Prenez-en un", qui est une traduction acceptable ; mais, sur une etiquette posce devant une pile de boites dans un grand magasin, on traduira par une equivalence : "Echantillon gratuit". "French keyboard", appliqué ä une machine ä écrire canadienne, au Canada, sera considéré comme un message analysable, comportant deux UT, et traduit par "clavier frangais" ; en Angleterre, cette phrase se rappor-tant ä une machine ä écrire francaise, sera considérée comme un tout, et rendue par l'équivalence "Clavier universel". II en va de méme de "French cleaning", qui se rend en France par "Nettoyage améri-cain", "invisible mending : stoppage", etc. § 231 Une fois reconnu le caractere global d'un segment du message, il devient evident que toute traduction serait une surtraduction, et partant un contresens. Vouloir analyser la formule figée anglaise qui s'étale partout ä ľépoque des fétes : "Greetings of the Season" aboutirait ä un non-sens : "Compliments de la saison", malheureuse-ment trop répandu au Canada. Si ľon considéré au contraire cette phrase comme un tout, on recherchera des equivalents du type : "Meilleurs Vceux de...", "Bon Noel...", "Bonne Année", etc. II faut ďailleurs remarquer que la coutume voulant qu'on échange des cartes coloriées et imper.sonnelles pour la Noél est ďintroduction relative-ment récente en France : autrefois, on échangeait des cartes de visitě, ou des lettres de nouvel an, qui comportaíent des formules stereotypies, sans doute, mais jamais aussi générales que la formule anglaise ci-dessus. Pour explorer le domaine de l'équivalence, qui joue un role essentiel en traduction, nous nous servirons du principe directeur suivant : contrairement aux autres segments du message, qui font allusion ä une situation que ľcnoncé révěle progressivement ä ľaudi-teur, les segments figés font allusion á une situation deja connue, soit globalcment, soit dans ses grands traits. Cette allusion est prosodique, dans ce sens qu'elle coiffe en quelque sorte ľensemble d'un message, et s'oppose ä ľanalyse des unites qui le composent. La force de l'ailusion est si grande qu'elle n'a pas besoin de marques linguistiques pour s'imposer. On le constatera en lisant les deux messages suivants: "Lc canal apportait de ľeau ä son moulin/cet argument apportait de ľeau ä son moulin : the conduit brought water to his mill/this argu- 244 STYLISTIQUE COMPARÉB ment brought grist to his mill". II importe done d'examiner comment fonctionne le principe de ľallusion, qui nous parait étre le facteur décisif dans la reconnaissance des equivalences. § 232. Ľallusion prestigieuse. M. Galliot, dans une étude récente", utilise les expressions "references flatteuses" et "allusions prestigieuses", pour caractériser les textes publicitaires qui exploitent la connaissance répandue dans le public de certains faits historiques, certaines valeurs culturelles et sociales, qui confěrent un eclat particulier au produit quon veut vend re. II est hors de doute qu'il s'agit bien la d'allusions, qu'il faudra rendre en traduction par des allusions équivalentes, ce qui ne laisse pas d'etre trěs difficile ä réaliser. En effet, ces allusions puisent tout naturellement dans un fonds national, et se prétent mal ä la transposition dans une autre culture. Par exemple, la ville d'Agen étant célěbre pour ses pruneaux, une affiche portant: AGEN, SES PRU-NEAUX indique clairement le renvoi ä un fait bien connu de tous, et le possessif "ses" est la marque dune superioritě indiseutée sur routes les autres sortes de pruneaux. Un restaurant qui s'intitule "Au Petit Vatel" fait évidemment allusion au Grand Vatel, et cette attitude de fausse humilité explique ľemploi frequent de ľadjectif "petit" dans les enseignes, titres, etc. Un vin qui demande au public de se "rallier á son postilion blane" spécule sur la celebrité des mots historiques d'Henri IV. II est par contre peu probable que Vatel ou Henri IV puisse "passer" en traduction ; force nous sera de recourir ä des equivalences. On voit tout le parti qu'un auteur peut tirer du principe de ľallusion prestigieuse ; et c est pourquoi la connaissance des allusions est une des táches essentielles du tradueteur, et s'aequiert par un contact journalier avec la culture et la civilisation reflétées dans LD. Avec ^equivalence, nous quittons définitivement le domaine structural pour entrer de plain-pied dans le domaine métalinguis-tique. § 233. Exemples d'allusions prestigieuses dans les deux langues: — en francais. allusions au 14 juillet, au 4 septembre, ä "ľhomme (41) M. Galliot, Essai sur la langue de la reclame contemporaine. Toulouse, Privat, 1955, pp. 151 ct 169 sqq. STYLISTIQUE COMPARES 245 du 18 juin" ; "la fille ainée de ľEglise" ; "la laícite' ; "la ligne bleue des Vosges" ; "la poule au pot" ; "le vase de Soissons" ; etc. — en anglais, allusions ä un elephant (the GOP), "farflung outposts", "the playing fields of Eton", "the deep South", "no taxation without representation", "the Boston tea-party", etc. Nous plagons dans cette catégorie les appellations de rhéto-rique, qui existent en francais comme en anglais (elegant variations) (a) La Ville Lumiere (Paris), ľEmpire chérifien (le Maroc), la Régence (la Tunisie, mais ce pourrait étre aussi une allusion a Philippe d'Orléans), le Quai d'Orsay (le Ministěre des affaires étran-gěres de France) (b) "the Granite City" (Aberdeen), "the Athens of the North" (Edimbourg), "the Court of St. James's" (the British Court), "a Bourbon" (a conservative), "the Brahmin caste" ( a conservative class of New Englanders), "the Old Dominion" (Virginia), "Old Glory" (the national flag of the U.S.), "the Old Colony" (Massachusetts), etc. Si les premiers exemples se passent tout naturellement de com-mentaires pour un public frangais, les exemples anglais ou américains peuvent poser de sérieux problěmes ; en effet, beaucoup de ces allusions risquent de passer inapergues pour un public non prévenu ; il convient done ďétudier ďabord les allusions qui possědent des marques linguistiques (234), pour s'élever progressivement aux segments dépourvus de toute marque, relevant par consequent exclu-sivement de la métallinguistique des deux langues. 8 234. Les marques d'allusion ordinaire. Le cas le plus simple d'allusion ressort ä la fonccion déictique de certains mots, qui ont précisément pour but d'attirer ľattention du lecteur sur tel ou tel passage de ľénoncé. On sait que ľadjectif "déictique" signifie "qui montre du doigt" ; on ľemploie en stylis-tique comparée pour designer la forme partículiěre d'actualisation qui relie un mot ä un endroit precis du contexte ou de la situation (cf. Bally, LGLF § 41, 60, 125, 358). Dans ľanalyse des segments, on pourra presenter les déictiques par des flěches ; certaines pointeront vers un element passe du message (-(-this), ďautres pointeront vers des elements ä venir (this-v), et la traduction, tenant compte des flěches, sera correctement orientée vers les déictiques frangais cor-respondants. Ces déictiques font généralement allusion ä des faits particuliers, contenus dans le message tel qu'il se déroule sous les yeux du lecteur ; il n'est pas question d'allusion "prestigieuse", mais le mécanisme en 246 STYLISTIQUE COMPARÉH est le meine. II ne serait pas nécessaire de traiter ce sujet si la fonction déictique portait en anglais et en frangais sur des elements de méme nature ; mais tel n'est pas le cas. Soit le déictique anglais "the" ; non seulement il est plus déictique que le frangais "le", mais le sens du déictique anglais est oriente vers le passé : "<~The balanced and integrated qualities which characterize French books (P. Hofer) : Cet équilibre, cetie harmonie des parties qui caractérisent le livre frangais..." ; U+-The din goes on all night (Hughes) : Ce vacarme se poursuit sans interruption toute la nuit..." (95). D'autres déictiques sont Orientes vers le futur; par exemple, "this/these" que ľon trouve fréquemment dans les textes publicitaires ou officiels: (l) "these pages are contributed by a group of patriotic citizens". (2) "This is the third article of a series of informative columns on modern air travel." (3) "This is an advertisement" (Variante : "This space has been paid for by XYZ"). Tous ces déictiques ne passent pas en frangais, langue plus statique et qui préfěre dans ces cas un substantia precede parfois, il est vrai, dun démonstratif atone : (l) "Communique" (ou : Inséré sur demande) avec comme signature ; "Un groupe de citoyens cons-cients de leurs devoirs". (2) "A suivre" ou "Suite et fin", selon le cas. (3) "Annonce payee". Le principe de ľallusion simple repose done en anglais sur des déictiques qui, en frangais, seront souvent transposes ou étoffés par des substantifs (92). "All that" (■«-) part of the map that we do not see before us is a blank (Hazlitt) : Toute partie de la carte que nous ne voyons pas á ľinstant méme n'existe pas pour nous." "It was necessary, of course, to give the baking dish (mentionné ici pour la premiere fois) fairly thick walls : Un plat allant au four exige en effet des parois assez épaisses". (II s'agit de la fabrication du pyrex.) "All the chief tea-growing countries ship tea (déictique zero) to the ; Port of London : Tous les principaux pays producteurs de the expedient ce produit sur le port de Londres." "There is no future in the country if this (<—) is allowed to prevail : Avec un pareil (~>) état ď esprit, le pays est voué ä la stagnation." On notera ici ľétoffement du déictique, qui explicite ľallusion que ľanglais se contente ďesquisser par le demonstratio Cest pourquoi la traduction de "This in itself presented a difficulty", déjä citée ailleurs : "Cette operation présentait déjä des diffícultés..." devra tenir compte de ľallusion, et choisir un substantif ďétoffement en connais-sance de cause : "Ce fait", "ce phénoměne", "cette solution", etc. U y a en fait autant de solutions possibles que de situations. STYLISTIQUE COMPARES 247 Dans ce dernier exemple, le "this" déictique jouait un role de charniěre ; il ne faut pas s'en étonner, puisque nous avons dit que les charniěres sont les articulations du message, orientant ses segments tantôt vers le passé, (rappel), tantôt vers le futur (traitement, ter-minaison). Vues sous cet angle, les charniěres sont done des marques d'allusion simple, au méme titre que les déictiques. § 235. Les marques d'allusion prestigieuse: Le cas de "this" nous servira de transition pour entamer ľétude des allusions renvoyant ä des faits déjä connus du lecteur et qui ne sont done pas explicités par le contexte. Nous sommes ici au niveau le moins élevé de ľallusion ; il peut s'agir ďun fait divers, connu de la population d'une ville pendant quelques heures et vite oublié. Le cas est typique au Canada ; peut-étre sous l'influence du "this" anglais, beaucoup de journaux frangais utilisent en manchette CE, alors qu'aucune allusion explicite ne justifie un tel déictique : CETTE SITUATION NE PEUT PAS DURER / CE GAR^ON-NET REMPORTE UN PRIX / CETTE DECISION BIEN AC-CUEILLIE A OTTAWA / etc. On se rend compte que la presence d'un déictique de ce genre, en téte d'un article qu'on n'a pas encore lu, est ambigue, pour ne pas dire plus *\ II fallait utiliser les tournures nominales, généralement résérvées aux titres et manchettes : SITUATION QUI NE PEUT PAS DURER, ou SITUATION INTOLERABLE (suivant le cas) ; DECISION BIEN ACCUEILLIE A OTTAWA. Pour le deuxiěme exemple, on préférera ľarticle indéfini, puisqu'il est encore moins "probable" que ľallusion soit connue des lecteurs : UN GAR^ONNET REMPORTE LE PRIX DE... (II vau-drait mieux préciser tout de suite de quel prix il s'agit, autrement on parle dans le vide). Une analyse rapide des titres du Figaro du 30 mars 1956 montre que la majorite des titres sont du type nominal : ľallusion, si allusion il y a, est done sous-entendue : FRAUDE SUR LE TRANSPORT DES VINS ; PRUDENCE SANS ALARMISME; RENFORTS POUR ĽALGERIE, etc. Ľarticle défini fait allusion ä des faits normalement connus : UINDE N'EST PAS NEUTŘE... ; LES PARISIENS PARTENT NOMBREUX EN VACANCES ; LE TIBET ACCUEILLERAIT LES AMERICAINS. On notera que ľanglais, dans ces cas, n'aurait pas de déictique du tout: INDIA NOT NEUTRAL ; TIBET REPORTED TO WELCOME AMERICANS or (42) Mais la aussi, le frangais évolue, et ľallusion prestigieuse peut se servir de ce déictique ; cf. la reclame "C'est une chaise Flambo !" (Vendre, octobre 1953, p. 994). Ici, ľimage ou la photo ont suffl á expliciter le déictique. 248 STYLISTIQUE COMPARES TIBET EXTENDS WELCOME TO U.S., MONTREALERS SEEK MOUNTAIN RESORTS, etc. On comprend done que ľemploi de "this -<-" pose pour le tra-ducteur francais de reelles difficultés : dans une dépéche de Londres (Montreal Star, 21 novembre 1956), le correspondant écrit (deuxiěme colonne) "This reporter was unable to find out yet whether...". Rien dans les paragraphes precedents ne faisait allusion ä un reporter, sauf le nom inscrit en haut de ľarticle ; la reference est done ä comprendre comme s'appliquant a ľauteur du texte : "Je n'ai pas encore réussi á m'assurer que...". Autrement dit, dans le cas de ľallusion, il faudra en francais expliciter et trouver de quoi il s'agit. Le cas de "this government" (mon gouvernement, le gouvernement britannique, le gouvernement canadien, etc.) est semblable et peut donner lieu á de multiples equivalences. Cf. également: "this island: les lies britan-niques" ; "in this country : en Angleterre, aux Etats-Unis, au Canada"; "this country : la France, le Royaume-Uni", etc. On pourra verifier ce fait en comptant la frequence du mot "France" dans le discours d'un homme politique parlant ä une tribune internationale ; au con-traire, ľallusion directe ä "the United Kingdom", "Canada", "the United States" dans un discours semblable prononcé par un Anglo-Saxon est relativement rare, alors qu'il se trouvera ä peu pres ä coup sür une allusion du type : "this -<—". Ľallusion est plus directe avec la tournure "Your rapporteur", "Your Reviewer", "Your Committee", "Your Secretary", "Your Chairman" ; il faudra rendre ces tours par des substantifs étoffés. Cf. "en ma qualité de Secretaire general", "en tant que President", etc. § 236. Le comparatif comme marque dJallusion: Le comparatif est normalement employe par ľanglais děs qu'il peut y avoir comparaison implicite entre deux notions. Cette tournure répugne apparemment au frangais, qui préfěre la vision absolue ä la vision comparative de ľanglais **. Nous pouvons considérer que sou-vent ce comparatif est une marque d'allusion prestigieuse. Dans une affiche pour un hotel de Nassau, on lit "It's warmer down there". Une affiche de compagnie aérienne : "It's quicker by plane". Le super-latif, que ľon trouve aussi, nous surprend moins, parce que le francais ľemploie volontiers : "Scarborough, Perfect for the children : Scarborough, Sa plage" ; "Rhode Island, America's First Vacation Land : (43) Voir J.-P. Vinay, "Vision comparative et vision absolue" Journal det Traducteurs, 1-3 (1956) : 59-63, et supra (113). STYUSTIQUf- COMPARER 249 Ľendroit réve pour vos vacances" ; "Smith Hotel, North Shore's Finest : La Perle de la Rive Nord" ; "More for your money by ship: Voyages par mer, Profitez de la vie!" § 237. Aufres marques ongJaises et frangaises : Le cas possessif anglais est souvent utilise dans les journaux (par exemple TIME) pour indiquer qu'un personnage représente une entité considerable, qu'un nom est bien connu dans une certaine region . "France's Pineau"; "Miami's Lafayette"; "General Electrics Smith"; "Dewar's White Label"; notons ä propos du dernier exemple, que le frangais . développe ä ľheure actuelle un déictique absolument comparable : "Le Dome ; Sa cuisine, Son bar". Cf. aussi "Vichy, Son casino" ; "Nadeau, Ses chaussures de sport" ; etc. De marque morphologique qu'il est normalement, l'adjectif possessif devient alors marque d'allusion prestigieuse. On notera un cas semblable en anglais: "Morgan for fine shoes" (ce qui revient ä dire "famous for fine shoes"). Au contraire, il semble que le frangais n'ait pas encore ďéquivalent pour "France's Pineau" : "M. Pineau, representant de la France", "M. Pineau (France)", "le délégué de la France" (sans mentionner les noms, ccux-ci étant plus rarement employes en francais qu'en anglais). On notera que ľemploi de "son" pour rendre ľallusion prestigieuse est plus automatique, moins varié que les tournures anglaises correspondantes. La conception de textes publicitaires frangais, plus courts que les textes anglais, est un nouvel exemple de la tendance intuitive et généralisatrice du francais. Voici quatre exemples tirés ďune merne annonce relative ä un hotel qui aboutissent ä un méme déictique. Renowned European Cuisine : Sa cuisine Epicurean Wine Cellar : Ses vins fins Scenic Aerial Chair Lifts : Son monte-pente pittoresque Private Heated Swimming-pool : Sa piscine. On rcmarqucra par contre que le frangais a tendance de plus en plus á utiliser en publicite ľ image comme déictique, de méme qu'il utilise des fléches, des symboles, des notations conventionnelles sur les panneaux de signalisation et les avis officiels. Le frangais, moins déictique que ľanglais dans sa structure, a besoin de signes concrets pour s'exprimer pleinement. 250 STYLISTIQUE COMPARÉB § 238. V article déjini : En francais, et dans une certaine mesure en anglais, ľ article défini est une marque caractéristique de ľ allusion prestigieuse ; puisqu'en effet ce déictique doit obligatoirement faire allusion en frangais ä un fait connu (Le probléme de la Sarre), son emploi en dehors de toute allusion precise aiguille ľ esprit vers des allusions prestigieuses ; d'ou "le poulet Marengo", le canard de Brome" et autres petits plats qu'on trouve sur touš les menus qui se veulent chic ; noter "le sorbet maison", oú "maison" est également une marque prestigieuse, s'opposant ä tous les autres établissements qui font des sorbets. On a relevé récemment quelques exemples de ce déictique en anglais : sur un nouveau "Cunarder", les salles sont indiquées par "The Theatre", "The Lounge", "The Buttery" (également le nom dun bar á Mayfair) ; on trouve maintenant des magasins s'intitulant "The Bootery", "The Pet Shop", ce qui represents peut-étre une influence du frangais dans le domaine du commerce de luxe, ou le snobisme joue beaucoup et oú les termes francais abondent. (La situation inverse est vraie aussi en franc;ais.) § 239. Le "that" affectif de Vanglais. II convient de traiter ä part, le cas du "that" affectif anglais, qui doit s'entendre comme renvoyant le lecteur ä un fait bien connu; la difficult^ de la traduction reside dans le fait que de telies allusions sont souvent ignorées du public frangais (la difficulté est moindre lorsqu'on traduit pour un public canadien) et qu'il faut par consequent recourir ä des adaptations (246 sq.) plutôt qu'ä des equivalences. En voici quelques exemples: — Dans un texte de J. & S. Alsop {The Herald Tribune, octobre 1955) oú il n'a jamais été question de yacht, on reléve la phrase suivante : "She had better not buy that yacht, or do they spare her \ feelings by suppressing the bad news?". II faut voir dans "yacht" un exemple typique de "dépense ä ne pas faire" et traduire par une equivalence franchise : "Ce n'est pas le moment de jeter ľargent par les fenétres". II n'est pas súr, en effet, qu'une traduction : "Ce n'est plus le moment d'acheter un yacht" ne crcerait pas ďambiguíté dans ľ esprit du lecteur. — On connalt ľaffiche cclčbre de Bovril representant un passager en pyjama ä cheval sur une bouteille du produit en question, et sou-riant de toutes ses dents ; la legende prodáme : "Prevents that sinking feeling". II y a la allusion prestigieuse (bien que désagréable) aux nausées du mal de mer, trop connues de tous les voyageurs empruntant STYLISTIQUE COMPARES 251 la Manche, mais dont on aime mieux ne point trop parier, — sinon par allusion. Ce slogan est suffisamment passe dans les meeurs pour qu'on apprecie la phrase suivante de P.G. Wodehouse, qui devient une allusion ä une allusion : "And I get that sinking feeling in the morning". Les Francais, mo ins enclins ä emprunter les voies maritimes, ne sont pas hantés par le mal de mer. II faudra done rechercher d'autres maux de nature ä affecter la santé des gens le "morning after" (la gueule de bois?) : "Vous savez comme on se sent tout chose le matin au réveil" ; "on a ľestomac tout barbouillé en se levant" ; "vous savez" et "on" sont des dilutions de ľaspect presti-gieux de "that". — A propos du changement d'heure : un journal rappelle ä ses lec-teurs "And don't forget that clock on retiring! : Surtout n'oubliez pas votre pendule avant de vous coucher!". — Lors d'une tempete de neige, des automobilistes ont été asphyxies par les gaz de leur auto, parce qu'ils n'avaient pas ouverts les fenétres : "The best advice is to keep those car windows open : le meilleur conseil qu'on puisse dormer est de bien tenir les glaces ouvertes". "Bien" est une compensation. — "It's a name [litterbug] a good many of us might well think of when we're about to toss that empty package out of the window of a car : Cest une épithěte ä laquelle beaucoup ďentre nous feraient bien de penser lorsque nous sommes sur le point de jeter un paquet de cigarettes vide par la portiere." — II est d'usage aux Etats-Unis de distribuer des cigares lors de la naissance d'un enfant. D'ou cette remarque : "Now we're ready for those cigars : Cest le moment ou jamais de passer les cigares" (cf. "de payer une tournée", equivalence métalinguistique). — Dans une reclame d'automobile, on declare que ľ auto est si stable que : "It sticks to the road like that white line!" II faut savoir qu'il y a, sur les routes nord-américaines, une ligne de peinture blanche qui divise la chaussée en deux : "Elle colle ä la route comme la traditionnelle ligne blanche ! " Dans un pays qui n'aurait pas de ligne blanche (ou qui utiliserait une autre couleur, le jaune par exemple), il faudrait transposer ľ image. — Un effet semblable, quoique généraíement péjoratíf, est obtenu avec "this/these" : "He is one of these artistic chaps (Galsworthy) : Cest encore un de ces artistes..." (dilution de "these" par "encore" et la ponctuation). En terminant, citons le cas d'un angiicisme cause par une tra-duction-calque de "that" prestigieux : En parlant du bricolage amé-ricain, Y. Philip (Le Devoir, Montreal, 21 novembre 1955) éerit: 252 STYLISTIQUE COMPARES "Ce n est pas par hasard qu une.photo de la Reine du Do-It-Yourself ä ľexposition ďOakland... nous la montre perchée sur son escabeau, tenant ďune main un marteau prét ä s'abattre sur ce malencontreux index de la main gauche". Pour qui a fait du bricolage, ou qui a lu Jeiome K. Jerome, ľindex en question est tres significatif. Mais ľ allusion nest pas courante en fran^ais sous cette forme. On aurait pu chercher ľčquivalence vers : "et gare aux doigts !" § 240. Allusions figées dans le lexique : L'analyse des UT ďun message fait ressortir clairement certains segments entiers qui forment un tout et constituent une allusion, non pas tant ä une situation particuliěre qua un type general de situations. Nous voulons parier des idiotismes, cliches, elegant variations, etc. qui sont généralement dépourvus de toute marque parti-culičre et supposent done chez le traducteur une bonne connaissance du "repertoire" u. Les cliches: Fowler a donne une definition célěbre, sinon claire, du cliche {Modern English Usage) sans arriver ä cerner complětement la question. Le cliche est certainement "suffisamment typique pour étre reconnu de prime abord", (Marouzeau, Lexique de la terminologie linguistique) et, dans la mesure ou il est reconnu, risque de sombrer dans la banalite. Mais ľintérét du cliche en stylistique comparée reside plutôt dans la recherche de son equivalence. Lutilisation du cliche peut étre invoiontaire, uthe first thing that comes into one's head" ; eile n en demeure pas moins ľexpression d'un conformisme linguistique, d'un souci stylistique qui tend vers les formules figées relevant, non plus de la parole, mais de la langue. A ce titre, un cliche forme une seule UT, et doit étre, si possible, rendu par une UT équivalente. Comme le souci de recourir aux cliches provient en \ general ďun désir ďéviter les repetitions (elegant variation), il se peut que LA n'en ait pas besoin : on sait que ľ anglais ne craint pas les repetitions, au contraire. On doit done s'attendre ä ce qu'il y ait plus de cliches en frangais qu'en anglais : "Le frangais, écrit Bvilly (LGĽF § 571) est une langue ou il est extrémement facile de parier et ďécrire en enfilant des cliches. {.. Le Francis a] le goüt des formules definitives, des maximes frappées comme des médailles [et souvent] ä base ďantithese." (44) Notcr que les gulllemets fonetionnent ici comme une marque ďallu-íioii : les guillemets peuvent égalcment donner une valeur pejorative ä certains mots ; on peut les conserver en anglais, ou les rendre par des explétlfs péjora-tifs tels que "so called". STYLkSTlQUE COMPARES 253 Le cliche est done un cas particulier de la citation, une citation qui serait plus floue, parce que ne se rattachant pas ä un texte precis, ni ä la personnalité d'un auteur. Les stylistes anglo-saxons voicnť, sans doute avec raison, dans les cliches anglais une influence franchise ; e'est ce qui ressort d'une analyse des cliches cites par Partridge dans son Dictionary of Cliches ; mais il ne faudrait pas sous-estimer le nombre de cliches d'origine purement anglo-saxonne qui ne sont pas pármi les plus faciles ä traduire ! Citons quelques cliches, accom-pagnés ďun essai de traduction par equivalence. —■ une declaration marquee au coin du bon sens : bearing the hallmark of common sense. — rnener une vie de chien : to lead a dog's life — Engine troubles were the order of the day : Le moteur faisait des siennes. (Fam. On avait la poisse) — He's an asset to the firm : C'est un précieux collaborates. II nous rend de grands services. —- You could have knocked me down with a feather : J'en suis reste sidéré, estomaqué, etc. — You could have heard a pin drop : On aurait pu entendre voler une mouche. — Was my face red ? : Je ne savais plus ou me mettre. — It was sitting there all the time : Il me crevait les yeux. — He is on the payroll : II émarge au budget45. § 241. Allusions figées dans le message : Les cliches sont dans la langue, et ne portent pas de marque de fabrique : ils sont traditionnels, bien qu'il en naisse touš les jours de nouveaux ; on ne connait en somme que ceux qui ont réussi. Les allusions figées clans le message different des cliches en ce qu'elles ont une origine individuelle, qu'elles se referent ä un auteur, ä un livre, ou encore ä un fait historique connu. Elles font done partie du patrimoine culturel d'une nation, et on peut fort bien concevoir (45) On rcmarquera que certains cliches existent sous une meme forme dans les deux langucs : il peut s'agir de caiques. On classera parml les cliches les groupes allitératifs ("by fits and starts", "as large as life , "fair and square") dont certains rclcvcnt d'une trés ancienne habitude gcrmanique, cf. "kith and kin", "wear and tear" ; d'autrcs sont nés au Moyen-Age, oü pendant les époques de bilinguisinc on exprimait fréquemment la môme idée avec un mot r o m n n et un mot germaiiique : "aid and abet", "hue and cry". L'habitude est restée dans la langue moderne, et nombre de ces expressions devront étre ramenées en francais a un terme unique : "for the comfort and convenience of our patrons... : Pour la commodité de notre clientele..." 254 STYUSTIQUE COMPARES que deux Etats parlant la méme langue n'aient pas le méme répei-toire d'allusions littéraires ou historiques ; c'est souvent le cas des textes britanniques par opposition aux textes américains. Pour dépister ces allusions, il faut consulter des dictionnaires specialises et surtout avoir beaucoup lu. On aura ainsi le flair voulu pour reconnaitre au passage des citations qui sont fondues dans le corps du texte. Car, si les allusions ont parfois des marques : guille-mets, references ä ľauteur, renvoi ä un ouvrage, majuscules, etc., il arrive fréquemrnent qu'elles ne soient caractérisées que par une marque sémantique, sorte d'aura qui les détache sur le fond structural du message. Un texte qui commencerait par "Fourscore and seven years ago..." devrait attirer par son archaísme ľattention du traducteur qui par hasard n'y reconnaitrait pas une allusion au discours de Lincoln ä Gettysburg. "The unkindest ait of all" (le coup de pied de ľane) se distingue également par son étrange superlatif. Mais il ne faudrait pas trop s'y fier ; ľexplication détaillée ďun texte ä des étudiants de licence est révélatrice ä cet égard. Telle allusion qui semble transparente au professeur echappe completement á ľapprenti-traducteur, auquel on conseille dans la marge "Lisez beaucoup d'auteurs et de genres varies". Dans un dialogue, par exemple, une phrase comme: "Mr. Ponsonby, I presume?" pcut étre une allusion au célěbre "Dr. Livingstone, I presume?" de la rencontre Livingstone-Stanley en Afrique. Meme dans des textes diplomatiques ou scientifiques, des citations peuvent se glisser et les 'Anglo-Saxons en sont friands. Leur dépistage demande une vaste culture littéraire, puisqu'il faut non seulement les reconnaitre au passage, mais aussi leur trouver des equivalents approprics en LA. En voici quelques exemples : — LE MIRACLE DE LACQ : UN TRESOR EST CACHE DEDANS. (Le Monde, 28 aoüt 1956). Reference á la découverte de gisements de pctrole. On pourrait rendre ce titre par LACQ STRIKES OIL : A CASE OF TREASURE TROVE, ou, pour employer un autre cliche, PROSPECTING DREAMS COME TRUE. — "When lawyers get together, however, they, like the Walrus, consider it time to talk of many things..." (The New York Times. 2 sept. 19^6). On reconnait une allusion au livre de Lewis Carroll, Through the Looking-Glass et bien que ce livre ait été traduit en frangais plusieurs fois, il semble difficile de supposer chez le lecteur frangais une familiarité süffisante avec ce classique de ľhumour anglais. On pourrait dire "Mais quand des avocats se rencontrent, ils considěrent, comme le phoque de Lewis Carroll, que le moment est venu ďaviser..." STYLISTIQUB COMPARÉB 255 — "Ce nest pas aussi simple qu un vain peuple le pense : There's more in it than meets the eye." — ou encore cette adaptation de la célěbre phrase de Beaumarchais qui pourrait s'appliquer au present manuel : "Etudiez, étudiez, il en restera toujours quelque chose : Keep at it. Some of it is bound to stick." — "Wise Men of the East Go West by CPR" (Slogan créc pour le Canadien Pacifique par William van Horne en 1896) : la difficulté reside dans une triple allusion (l) jeu de mot sur "Wise Men" et les gens senses (2) ľest du Canada et ľOrient (3) allusion au fameux conseil de Greeley "Go West, young man!" On pourrait rendre cette phrase par : "Aujourďhui dans leur sagesse les Trois Mages feraient le voyage par le CPR" ou, par adaptation, "De nos jours, Philéas Fogg aurait pris le Canadien Pacifique". — "There's no royal road to learning : Travaillez, prenez de la peine." Ce dernier exemple relěve déjä de la citation, car pour traduire cette expression que I on relěve un peu partout dans les ouvrages de pédagogie, il faut chercher une allusion équivalente, et c'est sans doute dans le domaine littéraire qu'on la trouvera. § 242. Formules-réflexes : Les formules reflexes, pour reprendre ľexpression proposée par M. Thérond. (Du Tac au Tac, Didier, 1955), sont trěs souvent des « tournures elliptiques, des constructions [...] ďorigine ancienne ou obscure [...] devenues, par les caprices de ľusage, monnaie courante dans la langue parlée ». II est evident que seule la situation peut nous renseigner sur leur veritable signification et cest par la situation que nous trouverons des equivalents acceptables en LA. — Hold the fort! : Je vous confie la maison! (Dit ä quelquun qui reste au bureau, pendant qu'on va faire une course en ville) ou encore : Gardez nos places ! — Wrong number! (Au telephone) : Vous vous trompez de numero ! — You've had it! : Vous pouvez vous mettre la ceinture. — Qa lui pend au nez : He's got it coming to him. — Vous ne m'avez pas regardé: What are you trying to put over? — Lady, you've just made it! : Alors, la p'tite dame, il était moins cinq ! — Be good ! : Pas de blagues, hein ! — That's the story : Et voilä ! — Down! (ä un chien) : Couché ! Bas les pattes ! — Down! (dans ľascenseur) : On descend ! Pour la descente ! 256 STYLlSTIQUli COMPARÉH § 243. Afřiches et avis officiels : Un cas particulier du cliche et de ľallusion figée est celui du style officiel, employe dans des circons-tances bien définies : écriteaux, titres d'articles, avis, affiches administratives, etc. et dont nous sommes partis, á ľorigine, pour démontrer ľimportance de ľ equivalence et du recours ä la situation (c£. Preface, page 17). En voici quelques cxemples typiques : on remarquera qu'ils constituent en fait des modulations ou des transpositions figées. — Keep off the grass : Ne marchez pas sur le gazon. — Under new management : Changement de propriétaire — Men at Work : Travaux en cours — Drive slowly : Marchez au pas — To the boat : Accěs au paquebot — To the tracks : Acces aux quais — To the trains : Accěs aux quais — Clearance 10 ft : Hauteur libre 3 metres — Closed for Holiday (U.S.: vacation) : Fermeture annuelle — Slippery when wet : Chaussee glissante par temps humide — Winding Road : Virage sur 2 kilometres w. § 244. Aux citations, il convient ďajouter les proverbes, qui ont ľavantage d'etre assez facilement repérables par leur frequence et leur caractěre de maxime qui découle d'une stylistique assez speciale: "Like father, like son". "Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée", etc. On trouvera assez facilement, dans des repertoires ad hoc, les equivalents des proverbes ďune Iangue á ľ autre, puisqu'en general la "sagesse des nations" a fait partout les mém es découvertes. II faut noter cependant que la traduction ďun cliche ou ďun proverbe, qui constitue évidemment une surtraduction, permet ďobtenir ä bon mar-ché de la couleur locale. Par exemple, "as like as tv/o peas" (se ressem-bler comme deux gouttes ďeau) peut étre rendu, avec un gain stylistique, par : "se ressembler comme deux petits pois". Le procédé est facile, et partant dangereux, sauf dans les ouvrages satiriques ou hu-moristiques dans lesquels on campe des personnages étrangers (cf. les caiques francais de Hercu le Poirot dans les romans ď Agatha Christie; et ccux, plus nuances, ďAudrč Maurois clans ses livrcs sur les Anglais.) La traduction des allusions aux proverbes est done delicate, ä (46) L'analyse de ce besoin dc precision (sur deux km) est interessante. L'anglnis suppose que t'automobilistc s'aperccvra de lui-mčme que la route ccssc a un moment donne de faire des facets, alors que le fiancaís préfere le lui dire ďcmblée. Cf. ľécriteau d'une precision extréme, qui a sans doute contribué auprés des touristes étrangers ä donner au francais la reputation d'une langue claire : PARIS A 600 METRES (Gare St-Lazare). STYUSTIQUR COMPARŔH 257 moins que les deux langues connaissent le merne proverbe. On en jugera par cette citation ďOgden Nash : "I prefer charity to hospitality, because charity begins at home, but hospitality ends there : Je préfere la charite ä ľhospitalité, car si charite bien ordonnée commence par soi-méme, il n y a pas ďhospitalité bien ordonnée." § 245. Alíwsions figées dans la métalinguistique : II nous reste une derniěre sorte ďallusion, dont le domaine est celui des faits et gestes de tous les jours, des coutumes, des traditions, du way oj lije, comme disent les Américains. Elles nous fournissent en fait une transition pour aborder notre dernier chapitre du message, ľadaptation. En effet, ces allusions portant sur des faits trés parti-culiers, intimement liés ä la vie ďune nation, il faut renoncer á toute traduction et chercher simplement ä faire comprendre au lecteur de quoi il s'agit. Pour prendre un exemple typique, citons le fait que les villes américaines sont frčquemment traversées par la voie du chemin de fer ; les habitants se sont répartis de chaque côté de la voie, de sorte qu'il y a un côté chic et un côté moins chic ä chaque ville, "a right side and a wrong side of the tracks". Cf. "He lives on the wrong side of the tracks : II n'est pas de notre milieu/' Cest ainsi qu'on doit interpreter cette remarque ďOgden Nash : "And she at once assigns you to your proper side of the tracks, and which is not the right one". Puisque ce trait culturel n'existe pas en France (il existe au Canada), il faudra recourir ä une image parallele, bien que difference : "Elle se dépéche de vous replacer á votre rang de ľéchelle sociale, de preference vers le bas". Mais, pour bien comprendre le mécanisme de ces equivalences, il convient de pénétrer plus profondément dans le domaine de la méta-linguistique ; c est ce que nous allons maintenant faire. 258 STYUSTIQUE COMPARÉB CHAPITRE VII [.'ADAPTATION ET LES FAITS DE MÉTAL1NGUISTIQUE § 246. Nous avons á plusieurs reprises évoqué le concept de méta-linguistique comme une sorte ďultima ratio vers laquelle on peut se tourner lorsqu on est ä court duplications structurales. Du moins avons-nous retardé jusqu'ä maintenant un développement plus considerable, permettant de delimiter ľaire de ce terme et d'en explorer briévement le contenu. On peut se demander, en effet, de touš les rapprochements cites au cours des pages antérieures, s'ils sont ľeffet dun hasard ou les traces linguistiques dune attitude philosophique ou psychologique. Evidemment, notre réponse a été donnée déjä, et en maints endroits ; si nous avions pensé en effet que les divergences de moyens stylis-tiques et de demarches étaient purement fortuits, ce livre n'eut pas été écrit ou il ľeut été dune autre facron. On peut toujours rapprocher deux series de faits ou ďobjets, mais leur rapprochement ne prend un sens que dans la mesure oú ils représentent deux aspects d une merne realite. Nous avons done postulé, au moins implicitement, tout au long de ces pages, que les deux langues étaient comparables, et cela ä travers le pont sémantique de la traduction. II y a done, dans notre propos, le sentiment qu'un rapport existe entre le monde extérieur tel que nous le concevons et la forme lin-guistique de nos pensées, de notre culture. Uidée est essentielle, sinon nouvelle ; on la trouve formulée ou sous-entendue dans des ouvrages comme ceux de Vossler, Cassirer, von Humboldt, Bally, Malblanc, et les termes utilises pour designer le rapport entre la langue et la conception du monde, le Weltanschauung et la structure, on t varié suivant les auteurs. Peut-étre ľexpression la plus populaire est-elle la reference au "génie" dune langue*7. (47) cf. K. Vosslcr, Geist und Kultur in der Sprache, Heidelberg, 1925. STYI.ISTÍQĽE COMPARÉE 259 Un groupe de linguistes américains, notamment Whorf et G.L. Trager, se sont efforcés d'éclaircir les rapports entre la langue et ľensemble des activités sociales et culturelles d'un groupe ethnique donne ; merne si leurs travaux et ceux qui vont dans ce sens u n'ont pas encore abouti ä une technique d'enquéte utilisable, nous pouvons prendre comme point de depart la definition que Trager donne du mot "métalinguistique" (metalinguistics), qu'il a contribué ä popula-riser : « Language [is...] one of the systematic arrangements of cultural items that societies possess. A culture consists of many such systems: language, social organization, religion, technology, law, etc. Each of these cultural systems other than language is dependent on language for its organization and existence, but otherwise constitutes independent systems whose patterning may be described. ...The full statement of the point-by-point and pattern-by-pattern relations between language and any of the other cultural systems will contain all the 'meanings' of the linguistic forms, and will constitute the metalinguistics of that culture. » (G.L. Trager, The Field of Linguistics. S.LL. Occasional Papers N° 1, 1949). § 247. Disons done que nous entendons par "métalinguistique" ľensemble des rapports qui unissent les faits sociaux, culturels et psychologiques aux structures linguistiques. Cet ensemble trěs vaste, "a greatly expandable field" comme le dit Trager, nous est fourni par un double courant de forces : nos conceptions de ľunivers, nos schemes sociaux et culturels influencent notre langue ; mais de son côté, la langue, s'inrerposant entre nous et ľunivers extérieur, colore et analyse ce dernier. Déjä Cassirer avait pu dire que les differences entre les langues reposent moins sur des differences de phonemes ou de signes que sur des conceptions differences de ľunivers. II y a done interaction entre ľunivers et le langage ; et Whorf exprime bien cette dualite par ces deux phrases: «We dissect nature along lines laid down by our native languages» (projection des categories linguistiques sur ľunivers) et «The study of the structural-semantic categories... yield significant information concerning the "thought-world" of the speakers of the language» (influence de ľunivers sur les categories linguistiques). Autrement dit, si ľ Anglais aime les tours passifs, e'est parce qu'il (48) On a récemment réuni tons les écrits de Whorf en un seul volume : Language, Thought and Realitu, New York, Wiley, 1956 ; la discussion des theories de Whorf se trouve exposée dans Language in Culture (H. Hoijer, ed.). American Anthropological Association, Memoir 79, 1954. 26° STYLISTIQUE COMPARES conc;oit le proces comme impose au locuteur, qui reste passif ; inver-sement, puisque chaque petit Anglais recoit de ses parents une langue qu'il n'a pas contribué á fafonner, c'est parce que les tours passifs abondent en anglais qu'il concoit le proces sous un angle impose, done passif. II serait vain de vouloir ici déméler ces deux courants, qui coexistent et jouent tous deux un role important. «Language is at one and the same time helping and retarding our exploration of experience, and the details of these processes of help and hindrance are deposited in the subtler meanings of different cultures.» (Whorf). II est done legitime de rechercher une explication de certains phéno-měnes linguistiques, surtout ceux du domaine de la stylistique, ailleurs que dans la structure pure et simple. § 248. Divergences métalinguistiques : Puisqu'il semble bien acquis qu'une langue est á la fois le miroir d'une culture et son instrument d'analyse, il ne faut pas s'étonner que les divergences entre deux langues soient particuliěrement nombreuses sur le plan de la métalinguistique. Et par consequent, plus grande est la divergence entre les cultures des deux langues rapprochées, et plus il est difficile de traduire. Les línguistes américains qui étudient les problěmes de traduction ä ľheure actuelle préferent tout naturelle-ment rapprocher une langue de grande culture (anglais) avec une langue de culture locale (zuni, shawnee) ; E. Nida, que nous avons déjä cite á propos de la parabole du figuier, montre notamment que certains Indiens n'ont pas de terme correspondant á "frěre" ou "soeur", ou ne boivent pas de vin, ou n'élevent pas de veaux, et par consequent ne peuvent comprendre, pour des raisons culturelles, certaines images essentielles de la Bible. Pour les leur faire comprendre, il propose des "adaptations" : il garde le sens, mats prend ses elements significatifs dans d'autres domaines. II serait interessant á cet égard de cíasser les langues rapprochées selon la frequence du recours aux traductions obliques, surtout quand ce sont des adaptations. Et sous ce rapport, malgré ce que semble penser E. Nida, nous dirons que ľanglais et le francais sont aussi divergents, sinon plus, que ľanglais et certaines langues amérindien-nes et que, si les ethnologues ont cm devoir partir aux Antipodes pour trouver des schemes nouveaux de culture et de pensée, la simple traversée de la Manche leur en aurait appris tout autant sur le plan de la métalinguistique. Examinons certains points ä propos desqiiels cette assertion semble pleinement justifiée. STYUS'nQUü COM PARLE 261 § 249- Découpage different de la realite : Les ethnologues sont friands des examples de "découpage", parce qu'ils frappent ľ esprit particuliěrement nettement. Le découpage du spectre en couleurs est ainsi ľun de leurs exemples favoris : on cite des Indiens dont la langue ne distingue pas entre le rouge et le bum, ou entre rouge-brun-noir, ou entre blanc-gris-bleu pale, etc. Plus pres de nous, on cite le gallois, pour lequel on pourrait poser le schéma ci-dessous : I anglais blue ____________green _____________EHX___________ brown Pour un Gallois, le ciel est "glas" et ľ herbe est "glas" et la mer est "glas". Point n'est besoin cependant ď aller si loin, puisque le meme phénoměne existe entre ľanglais et le francais. Soit la couleur "brown" : anglais frangais !roux brun bistre bis marron jaune gris Le découpage du francais est done beaueoup plus nuance dans ce cas, comme on le verra par les exemples suivants: "brown eyes: des yeux bruns" ; "brown butter : du beurre roux" ; "brown pencil: un crayon bistre" ; "brown shoes : des chaussures marron" ; "brown bread : du pain bis" ; "brown paper : du papier gris" ; "brown hair : des cheveux chátains", etc. II est ä noter qu'au Canada beaucoup des distinctions de la colonne de droite n existent pas, et que le mot "brun" tend ä prendre une extension comparable ä celie de "brown". Autres exemples de découpage different de la realite: § 250. a) Le temps: le découpage de la journée en aprěs-midi, soir ou soiree, et nuit, n est pas absolument le merne dans les deux langues. Nous pouvons dire : "quatre heures du soir", ou "de ľapres- gallois glas llwyd 262 STYUSTIQUE COMPARÉE midi" ; ľanglais ne dít guěre que "Four o'clock in the afternoon*. "French night at University College" sera "Soirée frangaise ä Tuni-versite' ; "good night" recouvre á la fois "bonsoir" et "bonne nuit". § 251. b) Bailment: Dans les fermes américaines, les vaches et les chevaux sont abrités dans un méme bátiment oü ľon met aussi le fourrage et qu'on appelle "barn". Notre distinction entre "étable" et "écurie" n'a done pas lieu de s'appliquer. Cependant "stable*' s'emploie pour les chevaux de seile et de course. § 252. c) Metiers: Comme nous ľavons vu, ľorganisation du «commerce de detail aux Etats-Unis tend ä effacer certaines distinctions qui restent valables dans la vie frangaise. Avec la diffusion des magasins ďalimentation (supermarkets), les charcuteries (cf. Br. pork-butcher's), poissonneries, (cf. Br. fishmonger's), crěmeries et méme boucheries n'ont plus de raison d'etre, ou sont ravalées au rang de "counters" (fish counter, meat counter). Dans certains cas "delicatessen store" pourra se rendre par "charcuterie". § 253. d) Mesures: Ľanglais utilise fréquemment la notion de poids pour caractériser la realite ; c'est deja vrai pour le calibre des balles et obus, donne en livres et non en pouces ou millimetres (a 3-pounder shell) ; mais e'est vrai aussi pour les personnages ďun roman : "He had blue eyes, close-cropped hair and weighed 180 lbs.: Assez corpulent, il avait les yeux bleus et les cheveux en brosse". D'ailleurs, ľensemble du systéme de mesures anglo-saxonnes, restées traditionnelles et méme locales dans certains cas, reflěte une pensée essentiellement concrete et respectueuse de la tradition : le yard anglais est different du yard USA et canadien, et les « coefficients de conversion... sont sujets ä revision lors de toute nouvelle determination des unites anglaises » (Bernot, J., Échelles de conversion, Dunod, 1950). Remarquons en passant, toujours ä propos de la subdivision différente de ľespace, que ľAméricain découpe sa ville en "blocks" (patés de maisons) et non en rues ; le résultat final revient évidem-ment au méme, mais ce découpage represente en fait une modulation (227) dans le domaine métalinguistique. Au lieu de dire comme la traduetrice dune nouvelle de Scott-Fitzgerald, parue dans la Revue de Paris (octobre 1956) : "...et eile STYUSTIQUE COMPARES 263 savait qua deux blocs de maisons, devant ľhôtel Marlborough, eile trouverait facilement un taxi", nous proposons: "Elle savait qu'a moins de deux cents metres (ou : deux rues plus loin), etc." § 254. e) Repas; Les repas ne sont pas les mémes ďun pays á ľautre, le fait est bien connu. On mange la soupe (on la trempe) en France le soir, en Angleterre ä midi (thick or clear). Dans le nord de ľAngleterre, le "high tea" est le diner, et non le the : on le prend vers 6 heures. Le repas de midi, en Amérique du Nord, est certainement plus succinct et plus rapide que le repas de midi en France. "Dinner" est le repas du soir aux Etat-Unis, mais le dirnanche et lors de certaines fétes de ľannée, telies que Thanksgiving, Noěl et le Jour de ľ An, il se prend vers une heure de ľaprés-midi. Le Frangais qui est invité ä venir "have Sunday dinner with us" devra done se garder d'arriver vers sept heures du soir. Notre expression vieillie "demi-tasse" a encore cours outre-Atlantique pour designer la petite tasse de café que certains prennent aprěs le repas, et non en méme temps, comme e'est le cas ordinairement. Tous ces faits sont bien connus, mais n'en posent pas moins des problěmes de traduction ; on pourra les résoudre le plus souvent en rapprochant des faits culturels différents, mais qui jouent un méme role : p. ex. le goüter que les enfants frangais emportent ä ľécole (pain, tablette de chocolat) correspond ä la pomme que les enfants anglo-saxons emportent ä leur école et qui est passée dans les mceurs au point quune corbeille de pommes, dans les vitrines des magasins en septembre, suffit á évoquer la rentrée des classes. Comme cette coutume est généralisée au Canada, on traduira facilement pour un public canadien "the sight of those apples announced the re-opening of school : la vue de ces pommes annongait la rentrée des classes" ; pour un public frangais, il vaudrait mieux chercher une adaptation vers les expositions de livres, cartables, bérets, crayons qui préludent également ä la rentrée des classes. Pour rester dans le domaine gastronomique, nous ne pouvons que constater des lacunes métalinguistiques qui se traduisent le plus souvent par des lacunes linguistiques : des mouillettes pour les ceufs, ľopposition entre mie et croüte, voilä deux lacunes lexicologiques bien connues (52) qui ont la métalinguistique pour base. De méme, sur les menus anglais ou américains apparait souvent la rubrique "Beverages". Le mot est un faux amis, car il n'a ni la nuance médicale de breuvage, ni ľextension de boisson. Cest un terme générique sans equivalent en frangais pour designer le lait, le café, le the et 264 STYUNTiQUH COMPAKHK le chocolat. 11 a sa place dans unc civilisation ou la distinction entre boissons alcooliques et boissons non alcooliques est appliquée systématiquement ("drink" employe seul est en general alcoolique, par opposition ä "drink of water"). 11 n'y a guěre d'autre solution que de remplacer ce terme general par des termes particuliers que le contexte appelle. 11 y aurait des adaptations de ce genre ä rechercher pour les termes militaires, par ex. la soupe, le rata ; ľaméricain chow, chow line, K-rations, ľanglais tea (le nom du repas du soir dans ľarmée britannique, done ľ equivalent de soupe"). Citons en passant un faux-ami de structure qui relcve de la métalinguistique et qu'une traduction l-itterale rendrait vraiment dangereux : "II avala d'un trait son petit verre" (Maupassant). § 255. f) Vie sociale: Lorsque ľanglais parle de "residential areas", il évoque des quartiers ou il n'y a pas de commergants. Méme dans les "beaux quartiers" de Paris (sauf autrefois dans les avenues de ľEtoile), il y a des commcrgants, et ce melange surprend toujours les Anglais qui visitent Paris. Mais le découpage different des zones ďhabitation peut avoir des čehos dans un texte : une adresse, par exemple, n'est pas indifferente dans un roman ; force est au tradueteur de rechercher un effet equivalent, ä moins qu'il se résigne ä perdre la nuance, ou ä mettre une note, supreme recours qui équivaut le plus souvent ä une défaite. Le développement urbain fait que "suburban" a une tout autre valeur que "faubourien" ; il correspond souvent en effet ä notre mot "bourgeois". II y a deja longtemps qu'en Angleterre et en Arnérique la classe moyenne préfěre se loger en dehors de la ville plutôt que dans les quartiers du centre; "le quartier des affaires", "le centre", pourront sans doute évoquer le "downtown" ou le "business center" américain, ľopposition entre Paris et la province (provincial France) rappeler celle de "town and country", qui est vieillie. Mais que dire de "sitting on the porch", sinon "prenant le frais sur le pas de sa porte", ce qui fait un peu pipelet. De méme, le claquement des portes d'ascenseur en France risque de ne pas porter sur un public américain, non plus que le fait de s'asseoir sur les bancs du square, reserves en somme aux classes inférieures aux Etats-Unis, ni le "No loitering" qui trahit une conception trěs particuliére de la vie en commun, ä ľopposé de celle des populations latines, particuliérement dans les pays du midi. (49) Pendant la guerre de 1914-18 ľopinion publique francaise fut surprise dc lire dans les journaux que !es Britanniques prcnaient "le the", et en concut quclque inquietude quant á leur vaieur militaire. M /i.l.M^iii: (.' ;Mľ/'t kfiii 26*> § 256. g) Les écules ei las universités : Pour ne prendre qu'un simple exemple, les cours universitäres sont généralement affublés dun numero en Arnérique du Nord ; c'est trěs commode, mais comment traduire "French 101" ? En Sorbonne, les cours portent un titre et non un numero ; on s'y. réfčre couramment en citant le nom du professeur. "French 101" pourra se traduire, ä la rigueur, par "le Cours 101", le contexte indiquant qu'il s'agit de frangais, ou en donnant le sujet du cours sans mention du numero. Jl y a plus : le mot "science" aux Etats-Unis ne comprend pas les mathématiques, les "humanities" n'englobent pas ľhistoire et la geographic et probablement pas la linguistique ; les "students" peu-vent etre des étudiants ou des élěves du secondaire. et un "college" ou une "university" tient a la fois des grandes classes dun iycée, de la propédeutique et de ľ universitě proprement dite. Le mot "teacher" s'applique aux instituteurs et aux professeurs des écoles secondares ; par contre, le titre de Professeur, suivi du nom propre semble reserve en France á des chirurgiens ou ä des docteurs professeurs de médecine, mais non ä des professeurs en Sorbonne, qu'il semble plus naturel d'appeler M. X que : le professeur X. § 257. Incidence de ces faifs sur la traduction : Les raits que nous venous brievement de rappeler sont connus des traducteurs qui on t vécu ä ľétranger et étudié attentivement les coutumes et les habitudes de pensée des peuples dont ils apprennent la langue. Nous les avons cites pour montrer que les divergences culturelles et métalinguistiques peuvent obliger ä des traductions obliques, faute de quoi on perd un effet particulier de ľoriginal ou méme on aboutit ä un veritable contresens. Voici quelques exemples de ces faits : Soit la phrase "He shook me by the hand" ; puisque les poignées de main sont rares en pays anglo-saxon, c'est un fait digne d'etre rapporté : on traduira par "II me serra la main avec effusion". Les rapports entre membres ďune méme famílie nous ont déjá fourni ľexempie du pere embrassant tendrement sa rille. Dans le méme ordre d'idées, "he greeted his father" pourra ties bien se traduire en frangais par "il embrassa son pere" mais la réciproque n'est pas vraie, car cette derniěre phrase ne se rendra par "he kissed his father" que s'il s'agit d'un enfant encore trěs jeune. Une personne qui entre dans une maison au moment d'un repas dira : "Bon appétiť' et ľanglais pourra rendre cette exclamation par "Hello", "Hi!", "Hi, 266 STYLISTIQUE COMPARÉB there" ; "On lui demanda sa carte ďidentité" (la carte ďidentité a existé au Canada pendant la guerre, mais a été abolie depuis) se rcndra par "He was asked to show his papers". On hésite ä traduire automatiquement "hospital" par "hôpital", le terme fran^ais cvoquant, ä certaines époques tout au moins, la géne sínon ľindigence. "I went to see him at the hospital" gagnera dans certains cas ä étre traduit par: "Je suis alle le voir ä sa cliníque". Ľexemple de la bouteille de vin, cite plus haut (175) pourrait égale-ment figurer ici. § 258, Les coutumes épistolaires offrent plusieurs exemples du merne genre. Nous avons déjä observe que "Dear Sir" n'est pas "Cher monsieur", mais simplement "Monsieur". "Dear Professor x" sera, suivant le cas, "Monsieur le professeur", "Cher Monsieur", "Monsieur et eher collěgue". A la gamme de nos formules finales, si nuancées, ne correspond qu'un choix limite ä "Yours truly" (Salutations distinguées), "Yours sincerely" (Veuillez agréer ľexpression de mes sentiments les meilleurs) et "Yours ever" (Amities). § 259. Nous ne saurions mieux terminer cette série d'exemples que par le cas suivant qui concretise un aspect caractéristique de la vie rurale franchise. Dans Nationale 6 de Jacques Bernard, le pere propose ä sa rille ďinstaller che2 eux ä la Campagne un petit élevage de poules et de lapins. La jeune fille aeeepte, et, prise d'enthousiasme, ne veut pas se contenter de ce qu'elle appelle : "un élevage banal comme dans une ferme" et eile ajoute: "Je tiens á faire les choses trěs bien, scientifiquement." La traduction des remarques ci-dessus risque de ne pas porter, car "farming" ne s'oppose pas á ľagronomie, au contraire. La diffi- : culté tient ä ce que dans les pays anglo-saxons le machinisme agricole * est plus répandu et ľ agriculture, en Amérique tout au moins. est plus spécialisée. Traduction proposée: "I don't want the usual barnyard: I want a real chicken farm run on scientific lines." Noter que le mot "farm" est maintenant accolé ä "scientific", au lieu de s'y opposer. STYLISTIQUE COMPAKHB 267 CONCLUSION En guise de conclusion, nous ne saurions mieux faire que de commenter les reflexions auxquelles s'est livré André Gide dans la preface qu'il a éerite pour sa traduction du premier acte d'Hamlet. II y fait le proces de ces traductions "si consciencieuses et exac-tes" qu'elles deviennent incompréhensibles en raison merne de leur "littéralité" et qu'elles exigent par consequent d'etre récrites. André Gide conseille done aux tradueteurs de ne pas traduire "des mots, mais des phrases", de fagon ä rendre le sens sans rien perdre de la pen-sée et de ľ emotion exprimées par ľauteur. Ceci ne peut se faire que par "une tricherie perpétuelle" qui aměne le traducteur á "s'éloigner beaueoup" du texte. Une derniére condition est que le traducteur connaisse toutes les ressources de sa propre langue (dans laquelle il traduit) et posséde en somme les qualités ďun écrivain professional. Appliquant ä ces conseils notre technique de la terminologie (App. 2) nous pouvons dégager un certain nombre de mots-clés. 1. "consciencieuses et exactes", que Gide assimile ä "littéralité" 2. les phrases comme cadre de la traduction 3- "la tricherie", qui permet de biaiser avec les difficultés du texte 4. le conseil donne par Gide de s'éloigner beaueoup de la simple littéralité 5. le traducteur promu au rang de créateur dans le domaine littéraire. Reprenons ces termes un ä un. 1. Nous nous élevons contre cette mise en equation de Inexactitude consciencieuse et de la littéralité. Nous y voyons posé implicite-ment ce qui est pour nous un faux probléme : Faut-il traduire littérale-ment ou librement ? Nous répondons, et toutes les pages précédentes ont déjä répondu pour nous, que le choix s'établit non pas entre une traduction littérale et une traduction libre, mais entre une traduction exacte et une traduction inexacte. Grace ä la stylistique comparer 263 STYUSTIQTJK COMPARE.« on doit arriver ä ne s'écarter de la littéralité que pour satisfaire aux exigences de la langue ďarrivée. En ďautres termes, on ne doit prati-quer la traduction oblique qu'ä bon escient, et dans des limites nette-ment définies. On doit rester littéral tant qu'on ne fait pas violence ä la langue ďarrivée. On ne s'écarte de la littéralité que pour des raisons de structure ou de métalinguistique et on s'assure alors que le sens est sauvegardé. 2. En second lieu, s'il est exact qu'on ne doit pas traduire des mots, il ne s'ensuit pas que le découpage de ľénoncé doive coincide! avec les phrases. La phrase est un message qui a besoin d'etre analyse, sauf dans les cas exceptionnels ou le message est traduit globalement Nous avons essayé de mettre au point une unite de la traduction qui résulte d'une analyse méthodique du message. On a vu que trěs souvent eile ne se réduit pas au mot, mats, sauf exception, eile n'atteint guěre l'ampleur d'une phrase entiěre. 3. La tricherie dont parle Gide est aussi un faux probléme si on reconnait que le passage de LD ä LA exige l'emploi de certains procédés qui sont legitimes parce qu'ils tiennent compte des caracté-ristiques particuliěres aux deux langues en presence. Nous avons montrc, par cxemple, que la modulation, reconnue implicitement par les dictionnaires sur le plan du lexique, peut étre étendue au message, oú eile fournit un procédé contrôlable et parfaitement justifié. 4. II est dangereux de conseiller au traducteur de s'éloigner de la littéralité, sans indiquer les limites de cet éloignement. II faut delimiter la marge qu on pcut consentir au traducteur, et c'est ce que nous avons fait dans les cas de traduction oblique. Sur sept procédés de traduction, il y en a quatre qui précisément canalisent cette néces-sité de ľéloignement. Le fait merne d'établir des cadres est une garantie contre ľapplication inconsidérée du précepte de Gide. 5. Accordant á Gide que le traducteur doit (a) bien connaitre la langue de depart (b) bien posséder la langue ďarrivée (qui en principe doit étre sa langue maternelle), on ne peut quand merné s'attendre ä ce que tous les traducteurs soient des maitres écrivains. Disons qu'une connaissance exacte des deux langues servie par un style correct permet déjá ďéviter la plupart des fautes qui déparent encore trop de traductions. On peut pousser trěs loin la connaissance d'une langue sans étre pour cela un grand écrivain, et on peut aussi étie á la fois bon écrivain et mauvais traducteur. II semble que la encore nous ayons affaire ä un probléme mal posé. On voit que nos preoccupations sont trěs proches de celieš ďAndré Gide, mais que nous nous séparons de lui sur le choix des moyens. La oü il se fie surtout á ľinspiration et ä ľart, nous préférons, STYUSTIQUE COMPARE* 269 tout au moins pour commencer, ľutilisation de procédés soigneuse-ment mis au point, et auxquels nous sommes arrives par une compa-raison méthodique des ressources des deux langues. Dans le cas du frangais et de ľanglais, il semble bien qu une etude de stylistique comparée doive s'appuyer sur certaines distinctions fondamentales : d'une part ľoppositíon et ľinteraction entre les structures, qui sont souvent des servitudes, et les modes de pensée, qui sont tantôt la cause et tantôt ľeffet des structures ; ďautre part ľopposition entre le plan du réel et le plan de ľentendement. Cette derniěre, dont nous sommes redevables ä A. Mal-blanc, s'cst révélée particuliěrement fructueuse. Elle nous a permis, en effet, ďexpliquer bon nombre des divergences que nous avons constatées entre le frangais et ľanglais.