Jean Pruvosi Les dictionnaires frangais outils ďune langue et ďune culture Collection L'ESSENTIEL FRANCAIS dirigée par Catherine Fuchs La consequence enfranqais, par Charlotte Hybertie La concession enfranqais, par Mary-Annick Morel Les ambiguľtés dufranqais, par Catherine Fuchs Les expressionsflgées enfranqais, noms composes et autres locutions, par Gaston Gross Les adverbes dufranqais, le cas des adverbes en -ment, par Claude Guimier Approches de la langueparlée enfranqais, par Claire Blanche-Benveniste <& <■*■<■*■• Les formes conjuguées du verbefranqais, oral et écrit, par Pierre Le Goffic L 'espace et son expression enfranqais, par Andrée Borillo Les constructions détachées enfranqais, par Bernard Combettes L 'adjectifenfranqais, par Michěle Noailly Les stereotypes enfranqais, par Charlotte Schapira L 'intonation, le systéme dufranqais, par Mario Rossi Lefranqais en diachronie, par Christiane Marchello-Nizia La cause et son expression enfranqais, par Adeline Nazarenko Les noms enfranqais, par Nelly Flaux et Danielle Van de Velde Le subjonctif enfranqais, par Olivier Soutet La construction du lexiquefranqais, par Denis Apothéloz La reference et les expressions referentielles, par Michel Charolles Le conditionnel enfranqais, par Pierre Haillet Dictionnaire pratique de didactique du FLE, par Jean-Pierre Robert La variation sociale enfranqais, par Francoise Gadet La preposition enfranqais, par Ludo Melis Le gérondif en franqais, par Odile Halmoy Le nom propre enfranqais, par Sarah Leroy Outils et ressources électroniques pour lefranqais, par Benoit Habert Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation reserves pour tous pays. Toute representation, reproduction integrale ou partielle fake par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de ľauteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefacon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code penal. Par ailleurs, la loi du 11 mars 1957 interdk formellement les copies ou les reproductions destinées ä une utilisation collective. © Editions Ophrys, Paris, 2006 Imprimé en France ISBN (10) 2-7080-1143-X ISBN (13) 978-2-7080-1143-4 Ti^BLEDES MAf IÉREŠ Introduction................................................................................................11 PREMIÉRE PARTIE : L'HISTOIRE DES DICTIONNAIRES FRAN^AIS ENTRE LANGUE ET MOUVEMENTS DE PENSÉE Chapitre I: Des premiers recueils aux premiers dictionnaires témoins de la Iangue fran^aise (XVIe siěcle) 1. Avant le « dictionnaire », ľomniprésente symbolique.............................15 1.1. Les premiers recueils de mots.........................................................16 1.2. Les Etymologies ďlsídore de Seville..............................................16 1.3. Les Sommes et Miroirs....................................................................17 1.4. Les Closes et Glossaires.................................................................18 2. Une langue d'État imprimée, lexicographiée (XVF siěcle).....................19 2.1. 1539 : un edit et le premier dictionnaire franfais (fran?ais-latin)... 19 2.2. 1549 : une langue fran?aise confirmee, mais encore fluente...........20 2.3. Entre deux siěcles, le Thrésor de Nicot, un faux bilingue...............22 2.4. Du Calepino au dictionnaire bilingue fran?ais-langue étrangěre ....23 Chapitre II: Le XVIIe siěcle : la naissance des dictionnaires monolingues 1- De la langue littéraire régulée ä la creation de ľAcadémie franfaise.......27 1.1. Malherbe ä ľorigine d'une langue normalisable.............................27 5 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture 1.2. L'utile preciositě et ľessor de Vaugelas, lexicographe...................29 1.3. De l'Accademia della Crusca ä ľ Academie fransaise....................31 1.4. Du substrát philosophique de la lexicographie du XVIP siěcle......33 2. Les fondements de la lexicographie franfaise.........................................36 2.1. Le triptyque fondateur : Richelet, Furetiěre et ľAcadémie fran^aise...................................................................36 2.2. Un méme mot traité ä ľaune de chacun des trois genres fondés.....40 2.3. Le Dictionnaire de ľAcadémie : débats et Complements...............41 2.4. Des dictionnaires bilingues riches de leur hétérogénéité.................47 Chapitre III: Des dictionnaires du Siěcle des lumiěres aux dictionnaires de la République en marche 1. Le XVIIP siěcle et ľenrichissement des genres.......................................52 1.1 La confirmation du dictionnaire encyclopédique : le « Trévoux »... 52 1.2. La filiation du dictionnaire general de langue : Richelet, ľAcadémie et le dictionnaire de Féraud...........................53 1.3. Ľessor des dictionnaires specialises de la langue et de špecialite..58 1.4. Un genre nouveau : Y Encyclopedic.................................................61 2. LeXIXe siěcle : la démocratisation et un nouvel élan..............................65 2.1. Un reflexe d'accumulation et de reduction.....................................65 2.2. Le nouvel élan magistral: des précurseurs et Larousse et Littré.....66 Chapitre IV : Des dictionnaires imprimés du XXe siěcle aux dictionnaires informatisés l.L'héritage du XIXe siěcle.........................................................................77 2. La conquéte éditoriale de la premiere moitié du XXe siěcle.....................78 2.1. La conquéte laroussienne de touš les marches (1898-1949)...........79 2.2. Un bilan impressionnant et une nécessaire relance.........................82 3. Le « demi-siěcle d'or » (1950-1994)........................................................83 3.1. Trois grands dictionnaires de langue : le Robert, le Grand Larousse et le TLF............................................................83 3.2. Despetits dictionnaires révolutionnaires........................................89 4. Le souffle informatique : unenouvelle ěre...............................................92 4.1. La resurrection des dictionnaires patrimoniaux..............................92 4.2. Lanaissance deproduits novateurs.................................................93 6 1 Table des matteres SECONDE PARTIE : LES DICTIONNAIRES: 3 CRITĚRES DE DISTINCTION ET D'APPRÉCIATION Chapitre V : Distinctions méthodologiques et types de classement 1. Trois repěres méthodologiques indispensables.......................................100 1.1. La lexicographie complémentaire de la dictionnairique...............100 1.2. La métalexicographie...................................................................105 2. Deux classements : sémantique ou formel..............................................109 2.1. Les classements sémantiques........................................................110 2.2. Les classements formeis................................................................115 Chapitre VI: Un ensemble ďoppositions modulables 1. Dictionnaire bilingue ou monolingue.....................................................119 1.1. Dictionnaires bilingues de langues mortes, Vivantes ou dialectales...................................................................120 1.2. Le dictionnaire monolingue et le bilinguisme...............................121 1.3. Du dictionnaire monolingue consensuel au dictionnaire bilingue. 122 2. Dictionnaire ou encyclopédie.................................................................122 2.1. Definitions respectives..................................................................123 2.2. Trois types ďencyclopédies..........................................................123 3. Dictionnaire de langue ou dictionnaire encyclopédique.........................125 3.1. Definitions respectives et concurrence initiale..............................125 3.2. De la comparaison á la complémentarité.......................................126 4. Dictionnaire extensif ou sélectif.............................................................127 4.1. Deux choix préalables de nomenclature........................................127 4.2. Différents types de dictionnaires sélectifs.....................................128 4.3. Des tendances plus ou moins marquees en fonction de la perióde 129 4.4. Surenchěre et relativisation...........................................................129 5. Dictionnaire descriptif ou normatif, prescriptif......................................130 5.1. Deux attitudes explicables et utiles...............................................130 5.2. Une orientation explicite, implicite ou á déceler...........................132 6. Dictionnaire en diachronie ou en synchronic..........................................132 6.1. Deux attitudes distinctes, liées aux mouvements de pensée..........132 6.2. Un regard diachronique ou synchronique en synchronic..............135 '• Dictionnaire general ou specialise de la langue......................................136 7.1. Le dictionnaire general..................................................................137 7 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et dune culture 7.2. Les dictionnaires specialises.........................................................137 8. Dictionnaire general ou de špecialite......................................................138 8.1. Dictionnaire de špecialite et choix du lexique...............................138 8.2. Des publics distincts et des intitules variables..............................139 8.3. Une ceuvre temporelle par essence................................................140 8.4. Des dictionnaires de špecialite, de langue et multilingues............141 9. Dictionnaire general ou d'apprentissage.................................................142 9.1. D'abord, un reflexe de reduction...................................................142 ! 9.2. Puis une lexicographie d'apprentissage, heuristique.....................143 10. Dictionnaire de décodage ou d'encodage.............................................144 10.1. Du côté de la Semasiologie ou de ľ Onomasiologie.....................144 10.2. Quelques exemples comparatifs de cette dichotomie..................145 11. Dictionnaire de ľentreprise ou de ľinstitution.....................................147 11.1. Une distinction historique et durable...........................................147 11.2. Les dictionnaires de ľinstitution : grandeurs et diffícultés.........148 11.3. Les dictionnaires de ľentreprise privée : u performances etlimites...............................................................149 12. Dictionnaire en un volume ou en plusieurs...........................................150 ?* 12.1. Des effets de datation á prendre en compte.................................150 12.2. De la difference dans ľhomogénéité du dictionnaire..................152 12.3. Le « petit » : avant ou apres le « grand » ?.................................152 13. Dictionnaire sur papier ou sur support informatique............................153 13.1. L'ampleur de la revolution électronique.....................................153 13.2. Les limites d'un outil exceptionnel et somme toute naturel........155 Chapitre VII: Au coeur d'un dictionnaire 1. Une double structure...............................................................................159 1.1. La macrostructure et la microstructure..........................................159 1.2. La double intrication.....................................................................160 2. Nomenclature et macrostructure : choix lexicographiques.....................161 2.1. L'extension de la nomenclature : du plus au moins frequent........161 2.2. L'extension dans le temps : des archaľsmes aux néologismes......162 ; 2.3. L'extension dans ľespace : de ľhexagone ä la francophonie.......163 2.4. L'extension dans le registre : de ľargot aux technolectes.............163 2.5. La nature de ľunité retenue : du morphěne au syntagme fígé......164 .-.; 2,6. Le traitement sémantique des unites retenues ..............................165 2.7. Le regroupement morphologique ďunités de la nomenclature.....166 8 Table des matiěres 2 8. Le traitement onomasiologique des unites retenues..................... 167 2.9. Le traitement formel, orthographique...........................................167 2.10. Du traitement systématique et facultatif du bloc-entrée..............168 3. La macrostructure : quelques choix dictionnairiques.............................169 3.1. En amont: la configuration des pages...........................................169 3.2. Le traitement typographique de la vedette....................................170 3.3. Le traitement typographique des attributions de la vedette...........171 4. La microstructure : les choix lexicographiques......................................171 4.1. Les elements constituants et leur place dans ľ article....................171 4.2. De la hierarchie des sens ä ľarborescence des definitions............179 5. La microstructure : les choix dictionnairiques........................................180 6. Ľ illustration...........................................................................................182 Conclusion.................................................................................................185 Repěres bibliographiques.........................................................................187 Glossaire....................................................................................................191 Index des notions.......................................................................................195 Index des principaux dictionnaires cites.................................................197 INTRODUCTION «[line libraire] m'a emmené dans une piece au fond, ou il n'y : avait que 9a sur les murs. Des dictionnaires, du commencement ; ä la fin. » R. Gary, L 'Angoisse clu roi Salomon, 1979. « Pluie de dictionnaires, ...la rentrée du savoir bat sont plein », tel est le titre d'un article du Monde date du 21 octobre 2005. En vérité, le fait n'est pas nouveau, depuis plus d'un demi-siěcle, la presse se fait utilement ľécho fiděle et critique de leur abondante publication. De maniere symbolique, ces outils du quotidien, lieux privilégiés des savoirs sur la langue et sur le monde, savoirs classes et offerts ä notre insatiable curiosité, font effectivement leur rentrée en méme temps que les élěves et les étudiants. D'oü des dictionnaires á profusion, petits ou grands, mis sur le marché dans le cadre d'une publication millésimée ou ponctuelle. Qu'il s'agisse de celieš et ceux qui étudient, des professionnels de ľécriture ou des personnes simplement soucíeuses d'un savoir authentifíé, le reflexe reste en realite le méme : consulter les dictionnaires les plus récents, ou ceux d'hier en guise de témoignage, pour verifier, apprendre ou se rassurer. Ce reflexe a sans aucun doute été récemment accru avec la démocratisation de ľacces aux dictionnaires. II existait cependant déjá au XVIP siecle. Ainsi, Pierre Bayle, préfa9ant le Dictionaire universel de Furetiěre en 1690, en fait déjá état: « Que le Lecteur ne s'attende pas á nous voir pousser des lieux communs sur ľutilité des Dictionaires. Le public est assez convaincu qu'il n'y a point de livres qui rendent de plus grands services, [...] ä peine pourroit-on compter touš les Dictionaires ou reimprimez ou composez depuis quinze ou vingt ans. » 11 Les dictionnaires frangais : outils ď une langue et d'une culture CEuvres marquees par la profusion, les dictionnaires sont aussi oeuvres temporelles. Centres sur la description de la langue et de ľ univers dans leur evolution, ils dependent de la perióde qui les fait naitre. Alors merne qu'ils semblent destines ä fixer les savoirs, ils ne sont en vérité, ä ľéchelle du temps, que des instantanés. Au reste, si consulter deux dictionnaires contemporains laisse déjá découvrir des variables, suivre un méme mot ä travers des definitions ďépoques différentes est eloquent, comme en témoigne ľexemple ci-dessous : 1690 : ENERVER v. act. Faire perdre aux nerfs leur force, leur usage, leur fonction, soit en les couppant, ou en les affoiblissant par les debauches, ou par quelque autre violence. Quand on veut rendre des •}íľjnr,->r*: chevaux inutiles, on les énerve, on leur couppe les nerfs. La jeunesse s 'énerve par la débauche des femmes. Le vin énerve, affoiblit les nerfs. (pictionaire universel, Furetiére) 1905 : ENERVER v. a. (de é priv. et du lat. nervus, nerf). Bríiler les tendons des muscles, des jarrets et des genoux : énerver un criminel Détruire ľ energie physique ou morale. Abusiv. Agacer en irritant le systéme nerveux. {Petit Larousse illustre) 2005 : ENERVER v. t. (lat. enervare, couper les nerfs). Susciter la nervositě, ľirritation de ; agacer, exciter. Absol. Un bruit qui énerve. S'énerver v. pr. Perdre le contrôle de ses nerfs ; s'impatienter. Restons calmes, ne nous énervons pas. {Petit Larousse illustre) Cest par milliers qu'il faut compter les dictionnaires parus depuis le XVF siěcle. Comment alors se repérer et choisir efficacement dans une forét aussi dense ? Cerner tout d'abord chaque type de dictionnaires dans ľhistoire, en fonction des écoles de pensée et de l'auteur, voici l'objectif de la premiére partie de cet ouvrage. Étre ensuite capable de les radiographier ä ľ aide ďoutils méthodologiques appropriés et de critěres précis, pénétrer au coeur des articles pour en découvrir la complexité, voilá la finalité de la seconde partie. Enfm, que la découverte de ce genre particulier et foisonnant, si connu et si méconnu, soit autant que faire se peut stimulante et attrayante, tel est l'objectif general que nous souhaitons atteindre dans cet ouvrage ď initiation. 12 PREMIERE PARTIE ĽHISTOIRE DES DICTIONNAIRES FRAN^AIS ENTRE LANGUE ET MOUVEMENTS DE PENSÉE Chapitre I DES PREMIERS RECUEILS AUX PREMIERS DICTIONNAIRES TÉMOTNS DE LA LANGUE FRANCHISE (XVIe siede) «Nous devons considérer les dictionnaires bilingues comme les ancětres directs des formules lexicographiques actuelles.» Bernard Quemada, Les Dictionnaires du frangais moderne, - Didier, 1968. Le dictionnaire est oeuvre de civilisation. Ressentir le besoin d'un outil clarificateur qui soit le dépôt d'une memoire, constituer une documentation rassemblant efficacement des informations préalablement cernées, les analyser et en faire la synthěse, en presenter ensuite le condense de maniere structurée, selon une forme sans cesse modifiable et ameliorable, voilä un programme suffisamment exigeant pour qu'il ait nécessité plusieurs millénaires et différentes civilisations. 1. Avant le « dictionnaire », ľomniprésente symbolique Pour qu'il y ait naissance d'un dictionnaire monolingue dans une langue vivante, ici la langue franfaise, il faut naturellement que ladite langue prenne suffisamment corps pour représenter une entité nationale et qu'elle dispose d'un public significatif de personnes la parlant et ľécrivant. Cela ne s'est pas fait děs le lendemain de la naissance écrite du fŕan9ais, traditionnellement fixée lors des Serments de Strasbourg, le 14 février 842. Pour autant, la notion méme de recueils de mots bénéficiant d'explications, de traductions, n'est pas étrangére aux lettrés de ľAntiquité et du Moyen Age. II faudra 15 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture cependant attendre le mouvement de la Renaissance pour que le mot échappe á une interpretation symbolique, 1.1. Les premiers recueils de mots Děs ľAntiquité, existaient des recueils de mots rares appartenant á un domaine technique, ou á un écrivain, par exemple Homere qui utilisait bon nombre de dialectes. Ainsi, chez les Grecs, au IIP siěcle avant J.-C, Aristophane de Byzance avait déjá fonde une école de lexicographic, principalement préoccupée par les mots dialectaux. On retrouvera chez les Romains cette méme volonte lexicographique, avec notamment Varron qui, au cours du Ier siěcle avant J.-C, classait les mots par matieres dans De lingua latina^ en avan?ant parfois des etymologies trěs fantaisistes. Au IF siěcle, Julius Pollux établissait de son côté une liste de mots, en les organisant thématiquement et en les accompagnant de leurs synonymes. Ces divers ouvrages, qu'il ne convient pas encore de qualifier de « dictionnaire », ont cependant déjá des finalités pédagogiques et culturelles. Ainsi, les glossaires grec-latin et latin-grec que composaient les Romains, ces glossaires portant sur des auteurs de ľEmpire romain, italiens et grecs, étaient effectivement destines aux écoles et done á ľ elite cultivée. <■ Cependant, faute ďune bonne documentation, de strategies rigoureuses et de syntheses témoignant ďun recul süffisant, ces essais restent de nature hybride et sont encore trěs éloignés de la notion savante, cohérente et structurée, propre au concept de dictionnaire, une notion par ailleurs associée á la garantie ďune certaine objectivité qui n'est pas encore ici de mise. Quant á ľalphabet qui remonte á ľapparition de ľécriture alphabétique, au cours du IP millénaire avant J.-C, son usage n'excede guěre alors la premiere lettre du mot et, děs qu'il s'agit d'exposer un savoir, il cede le pas ä un ordre sémantique aléatoire fonde sur le regroupement des significations des mots. 1.2. Les Etymologies d'Isidore de Seville Une attention particuliěre doit étre apportée á VEtymologiae d'Isidore de Seville (570-636), qui incarne au VIP siěcle Fun des ouvrages fondateurs de la pensée medievale, caractéristique de ľappréhension des mots en ce haut Moyen Age et dont ľinfluence se fera sentir jusqu'au XVe siěcle. En tant 16 Des premiers recueils aux premiers dictionnaires témoins de la langue francaise qu'archevéque de Seville, soucieux de transmettre une culture qui allait disparaitre tout en ľouvrant ä une perióde nouvelle, Isidore de Seville était devenu le conseiller des rois wisigoths convertis au catholicisme et c'est á ce titre qu'il avaít rédigé cet ouvrage de vingt tomes. Ľensemble relěve ďune sorte ďencyclopédie composite : trois tomes sont ainsi consacrés aux sept arts libéraux, de la grammaire ä ľastronomie, trois autres aux sciences sacrées. Un des livres traite des langues, de la politique, un autre rassemble des mots inclassables ailleurs, pendant que ď autres volumes sont dévolus ä la vie publique, ä la navigation, en passant par le mobilier, la cuisine et divers ustensiles... L'essentiel reste cependant dans le message religieux censé étre révélé par les etymologies. En realite, dans le cadre de ľexégése biblique, tout ce qui existe dans le monde est suppose représenter un symbole et doit trouver sa place dans une vision universalisante. Dans la forme merne du mot, on espěre en fait pouvoir découvrir «les mystěres que le ciel cache ». Cest ainsi que le latin malum est rapproché de son homonyme malum, la pomme croquée par Eve. Ces Etymologies représenteront le grand livre du savoir pour tout 1'Occident latin pendant plus ďun demi-millénaire, son influence sera effectivement encore sensible au XVe siěcle. Ce n'est que lorsque ľanalyse commencera ä échapper á la recherche de la relation mystérieuse imaginée entre ce ä quoi se réfěre le mot et le mot lui-méme, que pourra naitre une veritable attention au lexique. Ce sont aux humanistes de la Renaissance qu'on doit ďavoir franchi ce pas en procédant au retour au texte ä travers la traduction des langues anciennes et modernes. Les activités linguistiques qui en découleront permettront alors la naissance des véritables dictionnaires. 1.3, Les Sommes et Miroirs Tout au long du Moyen Age, le latin s'imposera comme langue de ľéglise et du monde savant pendant que les dialectes romans et le fransais s'installent dans la vie quotidienne. D'un côté, avec le latin, on bénéficie d'une langue culturelle et européenne, et de ľautre, nait lentement une langue nationale, ancrée ä la Cour, et qui ne pourra prendre sa legitimite qu'ä travers le développement d'une littérature partagée par ľélite. Ainsi, au nord de la Loire, on peut déjä évoquer un ancien fran^ais correspondant ä ľensemble des dialectes parlés et du fran9ais que ľon commence ä écrire entre le TXe et le Xllľ siěcles compris. Le XIF et le Xllľ siěcles vont 17 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture notamment se caractériser par une littérature naissante. A dire vrai, c'est lorsque la bourgeoisie sera lettrée que le dictionnaire pourra prendre son essor. Pour ľheure, eile apprend ä lire, ce qui constitue une premiere etape. Ľépoque est au plurilinguisme, les lettrés sont en effet généralement trilingues : le latin est utilise pour ce qui est religieux et savant, le fransais correspond á une toute premiere littérature mais il reste surtout le véhicule des chartes et du contact avec la Cour, enfin le dialecte maternel s'impose pour le quotidien dans sa region d'attache. Dans ces conditions, que retenir «lexicographiquement» du Moyen Äge, perióde d'une foi intense qui ne s'intéresse pas au langage pour lui-méme, mais á son essence divine ? S'il n'est pas question de «dictionnaire», il faut reconnaitre aux Sommes du Moyen Äge, la valeur pré-encyclopédique de resumes des connaissances de ľépoque, avec par exemple la Summa theologica de saint Thomas d'Aquin (1266) qui eut une influence considerable. Cette derniěre, nourrie de la pensée d'Aristote, conciliait enfin la foi et la raison en montrant que la logique pouvait aider ä comprendre le dogme théologique. Elle offrait done une marge ď interpretation pour ľesprit humain, permettant ä ľÉglise de ne pas rej éter les nouvelles mutations au nom du purisme hérité de saint Augustin. C'était un premier pas vers ľanalyse raisonnée, indispensable á ľélaboration d'un dictionnaire. Cependant, les sommes ou miroirs resultant de cette pensée, par exemple la Summa theologica ou le Speculum triplex de Vincent de Beauvais, ne renseignent toujours pas sur les mots mais sur les savoirs de ľépoque, organises thématiquement et fortement teintés ď interpretation métaphysique. 1.4. Les Gloses et Glossaires C'est du côté des gloses et notamment des glossaires qu'il faut retrouver une filiation certaine avec les dictionnaires qui naitront sous la Renaissance. Au reste, ce sera dans ces embryons de dictionnaires que ľon procédera progressivement á ľutilisation du classement alphabétique, en rangeant d'abord, épars, les mots sous la premiére lettre pour, petit á petit, prendre en compte deux ou trois premieres lettres de chaque mot. Que sont les gloses ? Ce sont les remarques explicatives ajoutées briěvement en marge ou entre les lignes et destinées á commenter les passages difficiles dans les ouvrages d'enseignement du latin. Ces gloses 18 Des premiers recueils aux premiers dictionnaires témoins de la langue francaise sont instaurées en fonction d'un dessein didactique : aider les clercs qui ne maitrisent pas parfaitement le latin. Mais vient le moment ou, de compilation en compilation, les gloses sont trop nombreuses. On se sent alors oblige de les regrouper en fin d'ouvrage, puis pour plus de commodité, de les classer et c'est ici qu'intervient ľ ordre alphabétique. Cest un immense progres, car commence ainsi ľaventure fructueuse du classement formel et done neutře des mots en fonction de ľ ordre alphabétique. Le glossaire le plus célěbre sera celui de Reicheneau au VIIIe siěcle qui rassemble un peu plus d'un millier de mots difficiles d'une vulgate de la Bible, avec leur traduction en un latin plus facile ou en langue románe. Un grand pas était done franchi: on commen^ait ä porter un regard attentif aux unites lexicales en tant que telies, rassemblées alphabétiquement dans une partie d'ouvrage. II resterait ä prendre de l'autonomie par rapport au texte concerné pour que naisse le dictionnaire centre sur la langue en general. II lui faudrait aussi pouvoir se reproduire plus rapidement que par ľ intermediate des copistes : une invention révolutionnaire allait y suppléer et s'imposer, ľimprimerie, qui se développera en France á la fin du XVe siěcle. Ainsi, on rejoindra volontiers J.-Cl. Boulanger qui rappelle, ä propos des Inventeurs de dictionnaires, que « ľimprimerie a joué un role capital dans ľuniformisation des contenus et dans la diffusion de ces ouvrages, que les dictionnaires européens naissent des tentatives de nationalisation et de stabilisation des langues vernaculaires, enfin que dans toutes les cultures ces ouvrages emergent dans des environnements scolairesA et/ou sacrés. » 2. Une langue d'Etat imprimée, lexicographiée (XVľ siěcle) 2.1.1539 : un édit et le premier dictionnaire fran^ais (fran^ais-latin) Le 10 aoüt 1539, Francois Ier signait á Villers-Cotteréts une ordonnance devant s'appliquer ä tout le royaume : dans son article 111, le roi exigeait que touš les documents officiels soient désormais rédigés en langue fran9aise. Francis Ier réussissait lä ce que Louis XI n'avait pas pu imposer : faire de la langue du roi, la langue de l'État et par lä méme porter un coup severe aux langues regionales, notamment á la langue ďoc. 19 Les dictionnaires francais : outils ďune langue et ďune culture Ce faisant, il prenait également le pas sur le latin en ce qui concerne le pouvoir temporel. Le latin constituait en effet une langue dangereusement concurrente de la langue fŕangaise pour la consignation de la loi mais aussi pour la littérature. En parallele á d'autres pays d'Europe, naissait ainsi le sentiment d'une nation se définissant et s'affirmant par une langue d'Etat, le frangais, qu'il restait cependant á rendre illustre. La méme année, Robert Estienne, imprimeur érudit renommé dans ľEurope entiěre, y contribuait en faisant paraitre le Dictionaire frangois-latin, premier dictionnaire á offrir en tete des articles la langue fŕangaise et, á ce titre, considéré par beaucoup comme le premier dictionnaire frangais. En vérité, un an auparavant, il avait publié le Dictionarium latino-gallicum pour aider les clercs á mieux comprendre les mots latins en leur procurant une traduction en frangais, et pour parfaire cette aide, ľidée lui était venue ďinverser le dictionnaire, ďoú le Dictionaire frangoislatin. Avec environ 10 000 mots, on bénéfíciait ainsi du premier inventaire de mots frangais traduits en latin et suivis 9a et lä de quelques commentaires en frangais. II suffirait de développer les commentaires en en faisant des definitions, puis de supprimer la traduction latine, et le dictionnaire frangais-frangais naitrait. II n'y a pas de hasard, Francois Ier, «pere des lettres et des arts», sollicitait la méme année R. Estienne pour que celui-ci soit son imprimeur pour les langues hébraíque et latine. Ľimprimerie de R. Estienne faisait en effet figure de haut lieu des nouvelles techniques ďalors. 2.2.1549 : une langue fŕangaise confirmee mais encore fluente Les poětes de la Pléiade, sous la houlette de Ronsard et de Du Bellay allaient conforter les ambitions du roi, en publiant, dix ans plus tard, Defense et illustration de la langue frangais e. II s'agissait de « défendre » la langue frangaise en tant que grande langue littéraire, pour qu'elle puisse étre ä ľ égal du latin ou de l'italien. Du Bellay, qui tient la plume pour ce veritable manifeste de politique linguistique, explique ainsi comment «illustrer » le frangais par de grands textes, notamment dans le domaine de la poesie. Les poětes de la Pléiade conseillent entre autres de créer des mots nouveaux. Cette attitude, consistant ä désirer enrichir de maniere délibérée la langue frangaise, est fondatrice pour les lexicographes : le mot n'est plus pergu dans son essence religieuse, mais en tant qu'élément constitutif de la 20 Des premiers recueils aux premiers dictionnaires témoins de la langue franqaise langue que ľ on peut tantôt inventer, tantôt revivifier, tantôt encore ciseler ä ľ aide de la composition, ou de la derivation. Les dictionnaires peuvent alors devenir les receptacles des elements du lexique d'une langue, cette langue faisant désormais ľ objet d'une politique linguistique, quelle qu'elle soit. Les dictionnaires ne peuvent néanmoins connaitre leur plein essor dans la mesure ou la langue franqaise, selon la terminologie linguistique d'aujourd'hui, reste fluente, c'est-a-dire parcourue par de nombreuses variantes formelles et sémantiques qui ne sont pas prédéterminées. Ainsi, en ce qui concerne les variantes formelles, le genre de bien des mots reste indécis iun ou une affaire ? le ou la poison ?). De merne, les graphies, point trěs important pour les dictionnaires, sont hésitantes entre la tentation de la surcharge savante (aultre,faict, doubte, pour rappeler le latin alter, factum et dubita) et celie de ľorthographe simplifíée en correspondance étroite avec la prononciation, representee par exemple par le typographe Geoffroy Tory, souhaitant ajouter des accents, la cédille, etc., pour reproduire la prononciation. Étienne Dolet, imprimeur et humanisté, diffusera en grande partie ces pratiques en 1540 dans De la punctuation de la langue frangoyse. Quant ä Louis Meigret, grammairien de renom, íl publie en 1542 un Traité touchant le commun usage de ľescriture frangoise qui, en prônant une reforme orthographique de type phonétique, sera ä ľorigine d'une longue polémique dont les échos seront encore sensibles pour les lexicographes du siěcle suivant. Les premiers imprimeurs jouent de fait un, role essentiel dans la normalisation graphique de la langue frangaise, une normalisation dont les dictionnaires seront ä la fois les premiers receptacles et les premiers vecteurs. Dans sa dimension lexicale, sémantique, la langue frangaise n'est pas encore et de loin suffisamment precise. Le vocabulaire tout en devenant pléthorique, á la maniere de Rabelais, reste en effet en partie inventé. Or cela ne constitue pas encore une géne vraiment ressentie, la notion de norme n'est pas pleinement pergue. En vérité, les auteurs de dictionnaires ne pourront enregistrer les formes et les sens des mots que lorsque ceux-ci seront suffisamment stabilises, et ce sera ľoeuvre du XVIf siěcle. 21 Les dictionnaires frangais : outils ďmne langue et ďune culture 2.3. Entre deux siěcles, le Thrésor de Nicot, un faux bilingue Si ľ on repérait quelques definitions embryonnaires en langue fran9aise dans le dictionnaire pionnier de R. Estienne, son ouvrage novateur n'en restait pas moins un dictionnaire bilingue, franfais-latin, qu'il s'agisse de la réédition de 1549 ou de celle de 1552. Et dans la seconde moitié du siěcle, c'est á Jean Nicot, diplomate et érudit, qu'était confiée la revision la plus conséquente aboutissant ä la réédition de 1573. II est cependant un moment oü le fait de reviser une oeuvre finit par en définir une nouvelle. C'est ce qui arriva, lorsque ce Nímois, humanisté et savant, qui fit carriěre auprěs du roi en étant entre autres nommé ambassadeur au Portugal (d'ou il rapporta ľherbe á Nicot, le tabac), consacrera la derniěre partie de sa vie, jusqu'en 1600, au Thrésor de la langue frangoyse tant ancienne que moderne. II y avait notamment repris les notes linguistiques apportées au Dictionaire frangoislatin par un magistrát de la Renaissance, le president Aimar de Ranconnet. Ce dictionnaire, publié ä titre posthume en 1606, fera date dans ľhistoire de la lexicographic fran9aise. En supprimant toute reference au latin dans le titre merne du dictionnaire concocté par J. Nicot á partir de ľceuvre bilingue de R. Estienne, ľéditeur, David Douceur, rendait explicitement un hommage remarqué ä ľ idiome national. En realite, ä la toute fin du XVF siěcle et au tout debut du XVIľ, derriěre ľceuvre de la Pléiade et sous le regime stable et absolu d'Henri IV, la langue fran^aise, déjá forte de sa littérature et ďun regime politique solide, pouvait ne plus étre associée dans un titre d'ouvrage á la langue latine. R. Estienne était un imprimeur humanisté. Le lien avec le dictionnaire s'imposait et il avait force de symbole au XVIe siěcle naissant. Quant á la demarche de Jean Nicot, consistant á s'intéresser ä la langue fran^aise et á son relevé codifié, eile est tout aussi révélatrice au XVIe siěcle finissant. Elle relěve en effet de sa formation : en specialisté du droit, il se trouvait en réalité, comme ses collěgues, naturellement tourné vers la langue francaíse, langue juridique et d'Etat depuis l'Edit de Villers-Cotteréts qui avait produit les effets attendus. Le Thrésor de la langue frangoyse représente dans cette perspective un premier monument élevé ostensiblement á la gloire de la langue fran La seule formule heureuse pour les dictionnaires reste indéniablement la parfaite complémentarité de la lexicographie et de la dictionnairique, la transparence et le décloisonnement. Cest justement cet équilibre harmonieux qui fait la force et ľhonneur des grandes maisons éditant des dictionnaires qui s'imposent děs lors. Rien de sérieux ne peut se faire en dictionnairique sans que les lexicographes en soient informés: la dictionnairique commence avec le choix des caractěres, avec les options informatiques discutées, la presentation typographique des articles, eile se poursuit par un planning raisonnable, le temps süffisant des relectures pour le texte final comme pour les paratextes, preface ou quatriěme de couverture, sans oublier la diffusion et les publicités qui y correspondent. On doit bien entendu laisser ä chacun ses prerogatives, mais si les lexicographes ne sont pas consultés et si les commerciaux prennent le pouvoir unilatéralement, la^änt un dictionnaire comme un produit désincarné de ses véritables auteurs, alors s'installent les erreurs grossiěres. Le regard dernier du lexicographe peut aussi éviter des bogues informatiques, des oublis de legende, la suggestion d'une preface faisant défaut, etc. II est essentiel de rappeler en permanence ce principe: le bon dictionnaire est le fruit du travail conjoint et transparent des lexicographes et des dictionnaristes. L'un ne prime pas sur ľ autre, le lexicographe a besoin du dictionnariste et le dictionnariste a besoin du lexicographe. Les entreprises sérieuses et gagnantes á long terme sont celieš qui échangent ä touš les niveaux, sans cloisonnements, avec méme la possibilité de discussions vives, ľacceptation de la contradiction étant saine. Certes la tentation est grande de vendre un produit et de ľaménager en éditeur absolu, les risques sont aussi enormes et, par mégarde, ľéthique - trěs importante pour un produit intellectuel, culturel - peut y étre malmenée. B. Quemada, qui avait imagine avant chacun la lexicographie assistée par ordinateur, ne fut pas moins visionnaire en instaurant la distinction entre la lexicographie et la dictionnairique : ce sont bien deux concepts totalement complémentaires. 104 Distinctions méthodologiques et types de classement 1.2. La métalexicographie u 1.2.1. Origines récentes et definition De 1960 ä 1980 naissent des theses fondatrices en lexicologie et lexicographie. Ainsi, en 1962 parait Le vocabulaire politique et social en France de 1869 ä 1872, par J. Dubois. En 1965, on bénéfície de La formation du vocabulaire de Vaviation, par L. Guilbert. En 1968 est publiée la these fondatrice de B. Quemada, Les dictionnaires du frangais moderne (1539-1863), Etude sur lew histoire, leurs types et leurs méthodes. Enfin, en 1976, parait la premiere these de J. Rey-Debove, Etude linguistique et sémiotique des dictionnaires frangais contemporains. Avec ces deux derniěres theses, on bénéfíciait successivement d'une analyse diachronique puis d'une analyse synchronique de la lexicographie et de la dictionnairique. Ces deux recherches marquantes montraient immédiatement la voie á toute une série ďétudes scientifiques sur le genre « dictionnaire ». De fait, ce type d'ouvrage qui jusque-lá était surtout l'objet de critiques, sans reel substrát théorique, pouvait désormais constituer un corpus d'analyse. Ces mémes décennies ont représenté aussi une periodě particuliěrement faste en ouvrages et travaux collectifs ayant pour thěme les dictionnaires. En 1967, paraissait ainsi le premier volume de R.-L. Wagner, Definitions, les Dictionnaires, puis en 1970 le second tome, Les täches de let lexicologie synchronique, glossaire et dépouillements, analyse lexicale, incarnant deux syntheses efficaces du moment. Chez Larousse, était publiée en 1967 VHistoire des dictionnaires frangais, par G. Matoré, suivie en 1971 de / 'Introduction á la lexicographie: le dictionnaire, par Jean et Claude Dubois. La aussi, on bénéfíciait de deux regards successifs tres utiles, ľun historique, ľautre méthodologique et synchronique. Ce double regard était au reste confírmé par A. Rétif qui, en 1975, présentait P. Larousse et son oeuvre, du Nouveau Dictionnaire de la langue frangais e (1856) jusqu'aux derniěres realisations de la Maison Larousse. En 1970, A. Rey faisait paraitre également une etude sur un lexicographe et son ceuvre, Littré, ľhumaniste et les mots, chez Gallimard. Puis, avant que ne s'acheve la décennie, il publiait, en 1977, Le lexique: images et moděles. Du dictionnaire ä la lexicologie, dont ľobjet était de démontrer que ľélaboration d'un dictionnaire de langue ne se resume pas á une science appliquée mais correspond á une pratique aux implications 105 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture multiples, socioculturelles, idéologiques et didactiques. Enfin, en 1970 était significativement édité un numero special de la revue Langages, le numero 19, dirigé par J. Rey-Debove et portant sur « La lexicographie ». Ce rappel incomplet ďun festival de publications sur le thěme des dictionnaires suffít á faire prendre conscience qu'une nouvelle discipline était en train de naitre : la métalexicographie, discipline illustrée depuis par force travaux. C est ainsi qu'en 2004, Franck Neveu, president de ľAssociation des sciences du langage, n'hésite pas á introduire dans son Dictionnaire des sciences du langage, un long article consacré ä la métalexicographie. «A partir du grec meta, "ce qui dépasse, englobe". La métalexicographie est une discipline dont ľobjectif est ľétude des types de dictionnaires de langue et des méthodes qui president á leur constitution. » Et ďajouter précisément son objet: « Elle ne travaille pas ä ľélaboration des dictionnaires, mais fait des dictionnaires, de leur histoire, de leur mode de traitement sémantique du lexique, et des problěmes pratiques resultant du travail lexicographique, son objet de reflexion et de recherche. » 1.2.2. Tout un réseau de ressources : ďutiles repěres Cette discipline, dont le present ouvrage est au reste une illustration, donnera lieu á la fin du XXe siěcle et au debut du XXľ siěcle ä une série ďarticles et ďouvrages élaborés par des chercheurs de toutes generations qu'il importe de citer. Leur nom est en effet á rattacher á différents secteurs de la métalexicographie. Le recensement non exhaustif qui suit, dans lequel ne sont pas repris les travaux qui viennent déjá d'etre évoqués, est destine ä orienter tout nouveau chercheur dans ses premieres investigations. Par siěcles. Ainsi, pour tout ce qui precede le XVIe siěcle, un travail essentiel a été effectué par J.-CI. Boulanger avec Les inventeurs de dictionnaires (2003) déjá signále, ainsi que par B. Merrilees, specialise dans la lexicographie medievale. Dans le domaine de la lexicographie du Moyen franfais et de la reflexion y correspondant, les travaux de R. Martin et de son équipe font autorite. En ce qui concerne le XVT siěcle, R. Wooldridge en analysant et informatisant le Thrésor de Nicot, en est devenu le specialisté. Pour le XVir et XVIIP siěcles, on a bénéficié des travaux de L. Bray sur Richelet, d'A. Rey sur Furetiere, de ceux d'l. Leroy-Turcan sur Menage et sur le Trévoux, également étudié par C. Wionnet et S. Branca-Rosoff. A. Collinot, F. Maziěre ont contribué á la reflexion critique sur nos 106 Distinctions méthodologiques et types de classement premiers dictionnaires monolingues. C. Rey a explore les travaux de Beauzée et V Encyclopedic méthodique, pendant que L. Dagenais, P. Marchaudon et notamment Ph. Caron ont procédé ä ľanalyse du Dictionaire critique de Féraud, tout en ľinformatisant. F. Berlan a travaillé sur la synonymie et ses dictionnaires, en particulier pour ľoeuvre de Girard. Les livres et articles de B. Didier, B. Melan.9011 et Marie Leca-Tsiomis permettent de mieux appréhender VEncyclopedic On doit á M. Barsi une meilleure connaissance des dictionnaires d'argot et notamment de ľoeuvre de Leroux. Pour le XIXe siěcle, on bénéfície des recherches fondatrices de F. Gaudin sur Lachätre, de celieš d'Henri de Vaulchier ä propos de C. Nodier et de la lexicographie fran^aise de 1808 á 1844. Ľoeuvre de Bescherelle a été radiographiée par E. Bensoussan-Grimaldi. Les travaux de M. Glatigny sur les marques ď usage dans les dictionnaires du XIXe siěcle sont fondamentaux. On trouvera aussi ä mon nom quelques travaux sur Littré, Larousse et ľ Academie. J.-Ph. Saint-Gérand a largement arpenté toute la lexicographie du XIXe siěcle, de merne que S. Delesalle avec, entre autres recherches, des travaux liés ä la pédagogie et á la grammaire. G. Antoine, tout en collaborant au TĹF, s'est intéressé de pres á ľoeuvre de Littré. Pour le XXe siěcle, P. Corbin, A. Lehmann ont étudié nos principaux dictionnaires généraux de langue, Larousse, Robert, mais aussi les dictionnaires ďapprentissage. M. Cormier, specialisté d'Abel Boyer (XVIIf siěcle) a coordonné avec A. Francoeur une série de travaux sur les dictionnaires Le Robert et Larousse. J.-Cl. Boulanger a également beaucoup travaillé sur la lexicographie contemporaine de ľhexagone et du Québec. D. Bouverot et M.-F. Mortureux ont plus particuliěrement étudié le traitement des vocabulaires techniques et le TLF. Les dictionnaires de špecialite, des vocabulaires techniques aux sigles, ont été notamment étudiés par D. Candel, ou encore par A. Mollard-Desfours, specialisté des lexiques portant sur les couleurs. M. Heinz a conduit également des travaux sur les grands dictionnaires de langue fran?aise, sur les notions ďexemple et de syntaxe. C. Guillemin et moi-méme tentons de rendre compte de ľaventure lexicographique et dictionnairique de P. Larousse et de ses successeurs. 107 Les dictionnaires francais ; outils ďune langue et ďune culture Et par themes. En ce qui concerne ľinformatisation, dans le sillage de B. Quemada, P. Lafon est ä ľorigine des premieres reflexions sur la lexicographie informatisée, au sein du laboratoire de M. Tournier. Pármi les pionniers des statistiques et du traitement informatique des corpus lexicographiques, avec notamment des travaux sur le TLF, s'imposent C. Muller et É. Brunet Et dans leur filiation, M. Kastberg, Nathalie Gasiglia, T. Fontenelle, C. Jacquet-Pfau, specialisté de M. Berthelot, analysent les dictionnaires sur supports électroniques, de merne que j'ai essayé d'apporter une reflexion generale sur le sujet avec Dictionnaires et nouvelles technologies (PUF, 2000), pendant qu'H. Manuélian s'intéresse ä ľinformatisation du Petit Larousse. S'il s'agit des dictionnaires dans leur rapport avec la grammaire, á travers entre autres les classes d'objets et le figement lexical, G. Gross et S. Mejri en sont les spécialistes, de merne qu'I. Meľčuk qui théorise les combinatoires possibles. S. Méleuc et G. Petit sont également trěs investis dans ľanalyse fine de la syntaxe au coeur des dictionnaires. S'agissant de terminologie et done de norme, A. Class, P. Lerat, L. Depecker, A. Lemeure animent la reflexion. Tout comme le rapport entre dictionnaires et néologie a été étudié par M. Margarito, J.-F. Sablayrolles, J. Humbley, auxquels je m'associe. La métalexicographie portant sur ľorthographe, de son traitement contemporain ou dans ľhistoire des dictionnaires, a été illustrée par les travaux de L. Biedermann-Pasques, F. Jejcic, C. Martinez, S. Baddeley, Cl. Gruaz et M.-A. Guiral-Banquet. H. Walter s'est davantage penchée sur les aspects phonétiques y correspondant. Les liens entre dictionnaires et sémantique ont été plus particulierement analyses par R. Martin et G. Kleiber, É. Martin. Pour la reflexion sur ľancien frangais, ľétymologie, J. Picoche et J. Chaurand, R. Chauveau en sont les spécialistes. Quant au dictionnaire en tant qu'ouvrage d'apprentissage, pour francais monolingue ou fransais langue étrangere, J. Picoche, R. Galisson et moi-méme y avons beaucoup travaillé. En ce qui concerne ľanalyse des dictionnaires d'argot, il faut notamment consulter J.-P. Colin et J.-P. Goudailler. Enfin, ľillustration dictionnairique connait depuis la fin du siěcle dernier une grande specialisté, T. Van Male, auprěs de laquelle il faut citer F. Corbin, M.-D. Lenostro et J. Lamoureux. 108 Distinctions méthodologiques et types de classement Une reflexion generale commence également sur la notion de dictionnaire et de francophonie, avec G. Dotoli et V. Zotti, M.R. Ansalone ainsi que A. Thibault, au demeurant trěs au fait de la lexicographie différentielle. S'il s'agit de la métalexicographie francophone d'Afrique, A. Quéffélec et S. Lafage en sont les pionniers ainsi que V. Hababou pour l'Afrique centrale. Ľanalyse métalexicographique propre aux dictionnaires québécois bénéficie des energies de Cl. Poirier, directeur du Tresor de la langue frangaise du Québec, ď A. Farina qui a brossé une etude comparée des dictionnaires de langue franfaise au Québec, de J.-Cl. Boulanger, de M. Cormier, de L. Mercier, specialisté du traitement du vocabulaire de la flore et des premiers glossaires québécois, de Cl. Verrault, travaillant sur les chroniques lexicales, d'H. Cajolet-Laganiěre, de P. Martel pour la métalexicographie contemporaine, de M.-É. de Villers, du côté de la norme, de L.-E. Hamelin, pour le vocabulaire propre aux réalités québécoises, de P. Auger, A. Thibault et B. Melanin. Quant ä la reflexion de vaste ampleur sur le genre, philosophique ou typologique, H. Meschonnic et F.-J. Hausmann, directeur d'une impressionnante Encyclopédie universelle de la lexicographie, y ont pleinement contribué, pendant que J.-Y. Mollier, notamment pour le XIXe et le XXe siěcle, offre des éclairages precis sur les aspects éditoriaux. II faut conclure ce petit guide de la métalexicographie monolingue personnalisée, en rappelant que c'est ä des fins pratiques qu'ont été ici listés des chercheurs ayant marqué de leur sceau cette discipline. II va de soi que les quelques perspectives presentees ne doivent pas faire oublier que la bibliographic de chacun recěle bien d'autres approches. On trouvera dans leurs travaux des pistes nombreuses et la mention d'autres spécialistes. 2. Deux classements : sémantique ou formel Lorsque ľ on recueille des mots pour les classer, deux choix sont possibles : les regrouper en fonction de leur sens et on a alors affaire á des classements sémantiques, ou bien les ranger en fonction de leur forme, et il s'agit de classements formels. > 109 Les dictionnaires francais : outils d'une langue et dune culture 2.1. Les classements sémantiques Les classements sémantiques sont construits en partant des sens des mots et des rapprochements en découlant. II s'agit de permettre ä ľusager de trouver ou retrouver un mot precis en fonction ďune idée, de mieux percevoir les liens établis entre des mots sémantiquement proches. La demarche est onomasiologique : on part d'un concept pour chercher les mots s'y rattachant. C'est celie qui correspond ä la production ďun message : on a une idée et on ľexprime avec les unites lexicales les mieux adaptées. 2.1.1. Une demarche naturelle sans succěs dictionnairique Si ľ on ne dispose pas de ľalphabet, le reflexe de quiconque veut classer des mots consiste ä les regrouper en fonction de leurs analogies de sens. Ce qui fait en somme du classement sémantique un classement instinctif. Ainsi, les premiers essais de regroupement de mots sous l'Antiquité ont-ils été effectués par themes, de la méme maniere que les Sommes et Miroirs du Moyen Age ont obéi ä une logique sémantique. De la méme fafon, les enfants qui ne disposent pas encore de ľoutil alphabétique rassemblent ďabord les mots par analogie de sens. Cependant, un constat s'impose vite: si le classement sémantique obéit ä une logique accessible ä tous, la difficulté immédiatement rencontrée, sans le secoursde ľalphabet, est celie de la consultation devenant trés difficile. C'est ainsi que. děs qu'a reculé la symbolique relígieuse qui bridait le traitement du mot, le classement formel alphabétique s'est trěs majoritairement impose, et cela děs le XVT siěcle et plus encore au XVIf siěcle au cours duquel il triomphe. On notera néanmoins que dans la seconde moitié du XIXe siěcle, sous ľinfluence de ľ anglais Roget et de son Thesaurus dans lequel les mots sont classes par themes, ľ initiative sémantique de P. Boissiere relansait en France la dynamique du classement sémantique. Ce dernier publia en effet chez Larousse, en 1862, le premier Dictionnaire analogique de la langue franqaise. L'objectif était ambitieux: offrir un dictionnaire rempla^ant ä terme le dictionnaire alphabétique. Pour ce faire, sous des mots-centres soigneusement choisis, ä la fois themes et concepts présentés dans ľ ordre alphabétique, Boissiere recense et définit briěvement les unites lexicales relevant de ľ idée commune propre au mot-centre. Hélas, le succěs ne sera pas au rendez-vous. En effet, méme si Gide 110 Distinctions méthodologiques et types de classement se montra laudatíf á ľégard de ce type ďouvrage, la definition des mots y disparaitra faute de pouvoir concurrencer le classement formel. Au XXe siěcle, P. Robert remettra la dimension analogique á l'honneur, avec ľindication ďun réseau analogique á ľintérieur merne du classement formel des mots. La demarche est pertinente mais eile n'est pas ä ľorigine de son succěs lexicographique. En vérité si, ä la frontiěre du XXe et du XXľ siěcle, ľinformatisation offŕe des moyens d'acces rapides aux mots mis en réseau, le classement sémantique ne connait pas encore de réel engouement. La reflexion théorique avait cependant été relancée avec les travaux de Rudolf Hallig et de Walter von Wartburg qui, en 1963, publiaient le Begriffssystem, Systeme raisonné des concepts pour servir de base ä la lexicographie, essai d'un schéma de classement. II s'agissait d'une grille sémantique offrant une série structurée de concepts permettant d'atteindre les signes linguistiques en relevant et pouvant accueillir tous les mots d'une langue. Elle est cependant presque restée lettre morte. On bénéficie néanmoins des travaux d'É. Martin ä partir du TLF, et des grilles sémantiques présentées par D. Delas au seuil de son Dictionnaire analogique (Le Robert, 1971) qui font echo au Begriffssystem. On dispose également du Thesaurus Larousse (1991) de D. Péchouin, trop peu consulté. Force est done de constater que le classement sémantique reste en France un classement minoritaire, au point méme que le mot « dictionnaire » est pour ainsi dire devenu synonyme de «classement par ordre alphabétique » et ce, de quoi que ce soit. 2.1.2. Quatre types de classement sémantique ■..'< t Le classement synonymique est celui qui regroupe, autour ďun mot choisi pour ľidée commune representee, des mots de méme nature grammaticale s'y rattachant par des traits de signification, suffisamment proches pour permettre la substitution de ľun ä ľ autre dans des contextes donnés. En termes pratiques, le rappel de ces mots offerts en synonymie, forcément partielle, a toujours été trěs recherche par tous ceux qui essaient de trouver les mots justes tout en évitant les repetitions, d'oü le grand nombre de dictionnaires de synonymes parus depuis leur veritable naissance au XVIir siěcle. II existe deux types de classement synonymique, ceux relevant de la synonymie distinctive et ceux correspondant ä la synonymie cumulative. ill Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et dune culture Le classement sémantique propre ä la synonymie distinctive a sa source dans la pratique instituée par Girard : les unites lexicales retenues sous la méme idée commune sont sémantiquement disséquées pour qu'on pe^oive bien les nuances de sens et surtout d'emploi entre les synonymes retenus. Ces classements ont pour objectif implicite de montrer qu'il n'y a pas de vrais synonymes et que chaque mot a un emploi spécifíque. Le classement sémantique relevant de la synonymie cumulative correspond ä des listes plus ou moins longues de synonymes partiels, ranges sous le mot choisi pour représenter le mieux ľidée commune, étant entendu que les synonymes absolus c'est-ä-dire substituables en toutes circonstances, sont pour ainsi dire inexistants. Ces synonymes ne font en general pas ľ objet de commentaires : ils sont tantôt donnés dans ľ ordre alphabétique, tantôt classes selon des critěres de plus ou moins grande proximité sémantique. Le classement analogique est celui qui rassemble des mots ayant au moins un trait de signification en commun. Ainsi voiture, automobile, bagnole, caisse ont en commun suffisamment de traits de signification pour étre synonymes partiels. Mais si on y ajoute capot, toit ouvrant, rétroviseur, aile, roue, volant, phares, etc., ce ne sont plus des synonymes mais des mots analogues, ayant tous en commun le fait de pouvoir étre relies au theme de la voiture. L'analogie disparait děs qu'il n'y a plus aucun trait de signification possible. Cerise, ne fait pas partie par exemple du champ analogique de la voiture, mais s'insere dans le champ analogique des fruits. En realite, la diffículté propre aux dictionnaires analogiques reste le nombre de mots-centres choisis pour offrir une grille sémantique homogene. Quelle sera la taille des mailies du filet sémantique propose ? On peut ainsi élire enseignement comme mot-centre, une maille sémantique trěs large, et glisser sous cette entree tout ce qui relěve de ľécole primaire, du college, du lycée, de ľuniversité, des enseignants, etc. Ou au contraire préférer des mots-centres de plus petite taille. Cest ce qui distingue les différents dictionnaires analogiques plus ou moins extensifs. Les classements analogiques se présentent comme une suite de mots-centres donnés dans ľ ordre alphabétique, sous lesquels se rangent les mots dits analogues. Les mots-centres peuvent s'assimiler souvent á des hyperonymes et les mots analogues ä leurs hyponymes. L'analogie inclut en principe l'antonymie. Le classement méťhodique correspond aux ouvrages dans lesquels les informations lexicales sont rassemblées en fonction de larges themes. II ne 112 Distinctions méthodologiques et types de classement s'agit plus d'hyperonymes possibles mais de domaines ďexpérience. Les classements méthodiques sont souvent á fmalité didactique : ainsi pour apprendre une langue, on présentera des ensembles lexicaux appropriés ä des situations linguistiques : « á table », « au telephone », « á la poste », « á la gare », « les sentiments », « la vie intellectuelle », etc. S'il est difficile de trouver une justification scientifique á ľorganisation merne de ces différents themes, les chapitres de ces ouvrages ont néanmoins pour objectif de recouvrir un champ ďexpérience qui puisse permettre de classer toutes les unites lexicales rencontrées. Le classement méthodique repose sur la longue tradition du regroupement pratique d'unités du lexique qui remonte á ľAntiquité. Le linguiste, historien ou sémanticien, y trouvera des associations de pensée qui peuvent échapper ä ľ analyse sémantique traditionnelle ou structurale. Ľintuition linguistique et ľexpérience conversationnelle en sont les principales sources. On remarquera qu'au-delä de sa presence éditoriale forte, notamment pour ľapprentissage d'une langue étrangére, le classement méthodique est aussi particuliěrement riche pour ľapprentissage d'une langue. Ajoutons que le classement méthodique s'associe assez fréquemment á ľillustration, sous forme de planches ou ď images composites, supports des champs lexicaux mis en situation. De fait, il y a lä des pans entiers de la lexicographic et de la dictionnairique qui ont été trěs peu étudiés. Le classement idéologique est, comme son nom ľindique, lié á une * perception phílosophique de ľunívers. Les mots y sont en effet classes par themes, en fonction d'un enchässement de concepts généraux installés dans une vaste arborescence préalable qui guide le plan de ľouvrage. Si ľ on se souvient du Discours préliminaire de YEncyclopédie de Diderot et d'Alembert, celui-ci commence par revocation d'une «filiation» des connaíssances, suivie par la presentation d'un «arbre généalogique ou encyclopédique qui les rassemble sous un merne point de vue, et qui serve ä marquer leur origine et les liaisons qu'elles ont entre elles». Le tout débouche sur un « Systeme figure des connaissances humaines », avec sous le concept general entendement, trois colonnes, la memoire, la raison, Y imagination, et, par exemple, sous la premiére colonne, Yhistoire, dont Yhistoire naturelle, etc. De fait, les auteurs n'ont pas suivi ce plan et ont classé formellement, alphabétiquement, les mots et concepts retenus. 113 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et dune culture En réalité, ce sont les auteurs de dictionnaires idéologiques qui ont choisi d'appliquer cette demarche, en classant les mots sous les différents chapitres d'une filiation présentée en debut d'ouvrage. Au XIXe siěcle, seront ainsi proposes des classements d'obédience catholique, ceux d'Élie Blanc par exemple. Les classements idéologiques frangais d'aujourd'hui proposes sur le marché sont en principe neutřes. Mais il n'en reste pas moins que, děs que ľ on divise un thesaurus - c'est l'un des intitules récurrents de ce type d'ouvrage - en trois grandes parties, le monde, ľhomme, la société, puis dans la partie consacrée á ľhomme, les concepts fondamentaux (existence, identite, causalité, etc.), ľ ordre et la mesure (ordre, quantité, nombre, espace, temps, etc.), on se situe nécessairement dans une grille structurée en fonction ďune époque et done ďun regard y correspondant. Les classements idéologiques sont en general accompagnés ďun index qui offre tous les mots retenus dans ľ ordre alphabétique, avec un renvoi aux sections oů on peut les retrouver, regroupés par domaine ďexpérience. II va sans dire que ďun point de vue pédagogique et pratique, ces ouvrages se prétent tout particuliěrement aux situations ďeneodage. Ces quatre types de classement sémantique, synonymique, analogique, méthodique et idéologique, ne sont done pas sans existence éditoriale. Cependant, en dehors du classement synonymique, force est de constater qu'ils n'ont pas connu en France de reel succěs, alors qu'il en va tout autrement dans les pays anglo-saxons. Ce n'est pas sans raison que D. Péchouin, auteur du Thesaurus Larousse s'interroge ainsi, á la fin de sa preface, á propos de ľinsucces des classements sémantiques en France. S'agit-il en effet de ľ« effet d'on ne sait quel surmoi cartésien censurant ďemblée un projet de nature essentiellement pragmatique ?», de la « prudence des éditeurs, des auteurs potentiels ? » Ces hypotheses sont sans doute fondées : nous y ajouterons que joue probablement aussi le poids determinant des habitudes prises děs le XVIf siěcle et confirmees au XVIIľ siěcle, habitudes installées en faveur du classement formel. 2.2. Les classements formeis Les classements formeis sont ceux fondés sur les caractéristiques formelles des mots. II s'agit pour l'utilisateur de retrouver trěs vite, un mot lu ou entendu - une forme -, pour le décrypter ou mieux le comprendre. Le 114 Distinctions méthodologiques et types de classement mot étant consulté dans le classement formel propose, on bénéficie alors ď informations sur ce mot dans la langue ou sur le referent qu'il représente. La demarche est dite sémasiologique : on part ďun signe, ďun mot, et on recherche ce qu'il signifie. II existe trois types de classement formel, les classements alphabétique, phonique ou étymologique. ,,., 2.2.1. Le classement alphabétique Le classement alphabétique est fonde sur l'aspect graphique des mots et, comme on a pu le constater, il suppose deux contraintes qui n'ont été dominées qu'ä la suite de plusieurs millénaires. Tout d'abord, la langue concernée doit bénéficier d'une graphie suffisamment stable et done son orthographe doit corresponds ä une reference partagée. Ensuite, ľordre alphabétique doit étre parfaitement dominé, ce qui suppose, d'une part, ľ apprehension du mot en tant que forme sans symbolique religieuse particuliěre et, d'autre part et bien entendu, une alphabétisation réussie. Ľapprentissage de ľalphabet représente sans doute la memorisation la plus arbitraire qui soit et, paradoxalement, la plus utile tout au long d'une vie de consultant. II n'est guěre utile d'insister sur le fait que ľalphabet permet un classement rigoureux des mots, une localisation precise dans une nomenclature, une mise ä jour facile des informations. Cest cet avantage considerable qui a fait du dictionnaire alphabétique un objet privilégié de consultation, en ľ occurrence une consultation fragmentaire. On n'insistera pas davantage sur ľarbitraire du classement alphabétique, souvent dénoncé par les tenants du classement sémantique. Les unites lexicales s'y succědent en effet sans aucun lien sémantique entre elles de a, a, aa, abaca, abaissable, ä zyklon, zymase, zythum, en passant par cépée, cependant, céphalée. Le paradoxe est qu'il n'y a pas d'ordre plus arbitraire et plus démocratiquement accepté, parce que les hommes ont su ne pas l'entacher d'affects particuliers. C'est cet arbitraire merne qui a fait son succěs au-delä du dictionnaire de langue ou du dictionnaire encyclopédique, entraínant ainsi nombre d'ouvrages ä étre spontanément présentés comme des « dictionnaires », děs lors qu'un discours y est tenú ä travers une série ďarticles dont les entrees sont classées dans ľordre alphabétique. C'est de fait au XVIIľ siěcle qu'est née cette mode qui n'a depuis jamais cessé. Beatrice Didier ľa clairement analysée dans Alphabet et raison (1996), en soulignant que « défendre les droits de la Raison, en utilisant un 115 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et dune culture ordre qui n'a rien de rationnel, l'alphabet: tel est le paradoxe des dictionnaires philosophiques du XVIIf siěcle ». Et de rappeler combien Bayle avec son Dictionnaire historique et critique (1697), Diderot á travers V Encyclopedic, et surtout Voltaire avec son Dictionnaire philosophique (1764) «ont su jouer avec art de cette contradiction et du méme coup experimenter les ressources multiples de ľécriture fragmentaire ». Ainsi, lorsque dans la revue Critique consacrée en février 1998 ä la Dicomania, il est signále que de 1994 á 1996 sont parus 916 dictionnaires et 251 encyclopédies, il faut prendre conscience qu'il s'agit lá de cette conquéte sans limite du classement alphabétique, au-delä des dictionnaires de langue et des dictionnaires encyclopédiques. Le terme « dictionnaire » est indéniablement devenu un synonyme abusif de « classement alphabétique ». A la frontiěre du classement alphabétique et du classement phonique, on trouvera les dictionnaires de rimes dans lesquels les mots sont classes á partir des lettres finales. On se trouve lá, selon ľheureuse formule de P. Martinon, qui publiait děs 1915 chez Larousse un Dictionnaire méthodique et pratique des rimes frangaises, devant « une sorte d'ordre alphabétique á rebours, mais toujours avec la distinction des voyelles et des consonnes », tout en n'oubliant pas de «rapprocher les mots qui riment ensemble avec des orthographes différentes», tels que danse et dense ou Grěce, graisse et allégresse. Sont associés ici deux classements formels, le classement alphabétique et celui correspondant aux similitudes phoniques. 2.2.2. Le classement phonique Le classement phonique part des formes sonores des mots. Les dictionnaires d'orthographe et d'homonymes en relěvent, tout en reposant néanmoins sur une structure alphabétique. Cest ľécart existant entre ľoral et ľécrit qui motive de tels classements. En realite, le classement phonique n'a fait l'objet que de tentatives isolées, souvent destinées ä faciliter ľapprentissage de ľorthographe. On pense par exemple au Robert oral-écrit, ľorthographe par la phonétique (1989) sous la direction de D. Taulelle. En ľoccurrence, en partant du constat de la grande varieté des graphies pour un méme son (cou, quoi, Mo, c/zorale, tiefet, accord, etc.), la recherche des mots y est organisée á partir des sons qui les composent. De tels dictionnaires supposent une prononciation reconstituée en jouant des lettres existantes (simpatic pour sympathique) ou en utilisant l'alphabet 116 Distinctions méthodologiques et types de classement phonétique international ([ryze] pour rusé). L'échec relatif de ľalphabet phonétique international en tant que systéme bien assimilé par le grand public a rendu en partie inopérant les classements phoniques. Ainsi, les efforts scientifiques ď André et Jeanne Martinet qui, en 1983, ont imagine Yalfonic, méthode de lecture reposant sur ľalphabet phonétique, n'ont pas réellement été suivis d'effets malgré la qualité de leurs travaux. L'informatique avec la reconnaissance vocale et ľ aj out de mots prononcés dans les dictionnaires informatisés relancera peut-étre ce type de classement. 2.2.3- Le classement étymologique Le classement étymologique qui rassemble les mots en fonction de leur radical, de leur base, fut, comme on ľa constaté, celui choisi en partie dans la premiere edition du Dictionnaire de ľ Academie. Le procédé n'a pas eu de succěs dans les dictionnaires généraux. II s'est done épanoui dans les dictionnaires specialises que sont les dictionnaires étymologiques. L'un des plus éloquents ä cet égard est celui contpu par J. Picoche et publié en 1979 aux editions Le Robert. Les mots dont on donne ľétymologie y sont classes sous leur lointain radical avec au passage le rappel éventuel ďune racine indo-européenne. Ainsi, sous la forme ester, de ľindo-européen sta, étre debout, retrouvera-t-on ranges des mots derives et composes trěs divers que la personne ignorante des filiations étymologiques ne peut, de prime abord, imaginer trouver sous cet étymon. Y sont classes en effet des mots de forme aussi variée et éloignée que étre, étage, reste, constat, statuette, stage, assister, restituer, superstitieux, destin, estimer, stand, etc. II va de soi qu'un tel dictionnaire, regroupant nombre de mots sous une méme entrée étymologique -mots dont on repěre alors les liens étymologiques - ne peut étre de consultation efficace que si on y aj oute un index alphabétique. Enfm, si e'est ľ etymon, done une forme, qui rassemble les mots, in fine les champs étymologiques décrits ä travers la filiation des mots ainsi classes débouchent aussi sur des regroupements de sens. Un constat general s'impose : quel que soit le type de classement formel adopté, il est toujours traverse peu ou prou par le classement formel dominant: le classement alphabétique. II en va de méme pour les classements sémantiques qui le réintroduisent en tant qu'outil de consultation, en offrant par exemple les entrees du dictionnaire de synonymes et les mots-centres du dictionnaire analogique dans ľ ordre 117 Les dictionnaires francais : outils ďune langue et ďune culture alphabétique. Quant aux classements méthodique et idéologique qui pourraient y échapper, ils sont en réalité presque toujours accompagnés ďun index alphabétique qui renvoie chaque unité lexicale recensée dans les différentes sections de la grille sémantique. 118 ChapitreVI ÜN ENSEMBLE D'OPPOSITIONS MODÜLABLES « Sac d'idées ou boíte de couleur, [...] un dictionnaire joint au dehors de ľordre le comble du désordre. Jamais les regies ne furent plus rigoureuses, ni plus ,?r. . . libre le jeu lui-méme. » Roger Judrin, Goüts et couleurs, 1966. De la merne maniere que la lexicographie monolingue a bénéfícié de ľapproche contrastive propre aux dictionnaires bilingues, c'est par un jeu d'oppositions pertinentes que les dictionnaires peuvent étre le plus aisément categorises. Ces distinctions ne sont pas exclusives les unes des autres : explicitées et nuancées, elles permettent de mieux comprendre le fonctionnement des dictionnaires et de mieux les utiliser. 1. Dictionnaire bilingue ou monolingue Les dictionnaires de ľOccident, fondés sur la langue du texte religieux dominant, la Bible, ont eu pour vocation premiere sa traduction en langue vemaculaire. Du merne coup, ce sont les dictionnaires bilingues qui ont ďabord été nécessaires pour rapprocher le texte donné en latin, langue morte véhiculaire, de son equivalent en langue maternelle, le fran9ais en ce qui nous concerne. On a pu expliquer combien la lexicographie monolingue était née des glossaires bilingues associés au texte religieux, puis issue des dictionnaires alphabétiques latin-franfais jusqu'au moment oü R. Estienne eut ľidée d'inverser les données en offrant d'abord le mot fran^ais suivi de son equivalent latin, assorti de quelques precisions en frangais. La 119 Les dictionnaires francais : outils dune langue et dune culture disparition de ľ equivalent latin au profit de definitions en fran9ais donna, comme on le sait, naissance au dictionnaire monolingue francais. 1.1. Dictionnaires bilingues de langues mortes, Vivantes ou dialectales II faut tout d'abord distinguer les dictionnaires bilingues des multilingues en fonction du nombre de langues presentees. Ainsi, du simple dictionnaire latin-fran9ais ou franfais-latin de R. Estienne au Calepin plurilingue contenant onze langues mortes et Vivantes, les méthodes mises en oeuvre sont différentes. D'un côté, on décrit, en le glosant, le fran^ais dont on donne ľ equivalent en latin, langue morte et fíxée, ces gloses étant riches ď informations pour la langue en evolution. De ľ autre côté, on a surtout affaire á une tautologie ďéquivalents trěs approximatifs. II convient ensuite de dissocier ces deux types de dictionnaires multilingues - confrontés de toute fa^on ä des langues mortes - des dictionnaires bilingues de langues Vivantes qui naissent au debut du XVIF siěcle avec, par exemple, le dictionnaire de Cotgrave, franfais-anglais. Des methodologies particuliěres sont alors développées et le perfectionnement de ce type ďoutil se poursuit encore au XXF siěcle. Dictionnaire bilíngue pour qui en effet ? Pour les deux communautés, identiquement ? Approprié á chaque communauté linguistique, en tenant compte des écarts culturels ? Cette derniěre formule, de loin preferable, depend de fait des conditions dictionnairiques. Ce qui est fmanciěrement possible pour de grandes communautés d'acheteurs, ľ est beaucoup moins pour de petites communautés linguistiques. On consultera ici avec grand profit les travaux de Thomas Szende et d'Henri Béjoint. II importe enfin de distinguer, pármi les dictionnaires bilingues, ceux qui relěvent des travaux dialectaux, rapprochant une ou plusieurs variantes d'une méme souche, dans le cas de langues contemporaines. Ces dictionnaires sont aussi á dissocier dans leurs methodologies de ceux explorant une langue ancienne d'oü derive une langue moderne, á la maniere des dictionnaires d'ancien francais, ou du moyen francais. Les différentes problématiques mises en oeuvre dans les deux cas sont souvent porteuses de solutions exportables dans d'autres categories de dictionnaires. 120 Un ensemble ď oppositions modulables 1.2. Le dictionnaire monolingue et le bilinguisme Le dictionnaire monolingue est par essence caractérisé par le fait que les mots enregistrés dans la nomenclature et les énoncés utilises pour les expliciter, definitions, exemples, commentaires, etc., relěvent du méme systéme linguistique. Par essence, ils supposent que les mots utilises pour expliquer ľentrée se retrouvent dans la nomenclature, méme s'il est fait appel ä des termes techniques et scientifiques difficiles. Le dictionnaire reste en principe un énoncé clos. Ces contraintes sont désormais plus facilement prises en compte grace aux outils informatiques. Ces derniers évitent aussi la circularité qui fait par exemple définir un mot par un autre, et cet autre mot par le premier, le tout aboutissant ä un cercle vicieux. Une autre remarque s'impose concernant la presence d'une forme de bilinguisme discret dans les dictionnaires du XVIIIe et du XIXe siěcles. II faut d'abord faire etat d'un faux bilinguisme explicite, correspondant á la mention presque inapergue de ľ equivalent latin derriére ľentrée en fran?ais dans un dictionnaire que chacun s'accorde néanmoins ä qualifier de monolingue : le Dictionnaire de Trévoux. Ce mécanisme qui reléve en partie d'une dimension pédagogique revendiquée pour le Trévoux, fut resurgent, pour la deuxiěme edition du Dictionnaire universe! de Boiste, qui ajouta ainsi, en 1803, ľéquivalent latin du mot fran^ais donne en entree, alors que ľ edition precedente en était dépourvue. Pour autant, un bilinguisme discret perdure dans nos dictionnaires monolingues, avec la mention trés fréquente de ľétymologie, latine, grecque, italienne, anglaise, arabe ou autre. Cette etymologie se révěle bien souvent utile pour le sens en tant qu'arriere-plan sémantique et, par ailleurs, eile reste encore prégnante dans la communication chez les personnes de grande culture, par exemple chez les femmes et les hommes de lettres. Un autre bilinguisme discret est aussi indirectement et méthodologiquement present depuis les années 1980 á travers la mention des sens et des mots relevant de la francophonie. II ne s'agit pas d'un bilinguisme au sens propre du terme, mais on se trouve néanmoins confronté á deux variantes parfois fortes d'un méme systéme. L'exemple classique du mot « gösse », enfant dans ľhexagone, testicule au Québec - les deux sens étant mentionnés dans le Petit Larousse vendu dans les deux pays - illustre la vocation ponctuellement bilingue du dictionnaire monolingue. 121 Les dictionnaires francais : outils ďune langue et ďune culture 1.3. Du dictionnaire monolingue consensuel au dictionnaire bilingue Pour une langue donnée, ľexistence ďun dictionnaire monolingue est significative ďune étape franchie. On n'oubliera pas en effet que le propre du dictionnaire monolingue est de correspondre á une communauté linguistique dont la langue est suffísamment normée pour étre recensée, en bénéfíciant d'un consensus trěs large de la communauté parlante et écrivante, Le lexicographe monolingue se trouve ainsi institué porteur et descripteur de la langue de la communauté, qui le choisit pour reference et arbitre. Par ailleurs, la confiance accordée doit étre telle que le dictionnaire monolingue puisse devenir ľun des outils majeurs de ľapprentissage de la langue, pour une communauté définie par cette langue, et pour ceux qui souhaitent s'y integrer ou en ont besoin. Ä y mieux regarder, il y a dans le processus qui conduit de ľ elaboration ďun dictionnaire monolingue ä sa consultation en tant qu'arbitre, une regulation sociolinguistique exceptionnelle. Personne n'a demandé ä Littré, ä Larousse ou ä P. Robert de rédiger un dictionnaire. Personne ne les en a empéché et personne ne les remet en cause en tant que references : issus de la communauté, ils se sont auto-institués descripteurs de la langue et la société les a pris pour guide. Le lexicographe a quelque chose ďun démiurge démocratique. Un dernier trait qui réunit dictionnaires monolingue et bilingue est ä retenir: pour exister de maniere fíable, le dictionnaire bilingue doit s'appuyer sur les dictionnaires monolingues de chaque langue décrite. La maturite du dictionnaire bilingue passe par celie du dictionnaire monolingue. 2. Dictionnaire ou encyclopedic II importe ici de rappeler que les distinctions établies doivent reposer sur ľ analyse des contenus et des modes ďaccés, sans prendre appui sur les titres merne des ouvrages, parfois éloignés de leur réelle nature. 122 Un ensemble ď oppositions modulables 2.1. Definitions respective« Sous le vocable dictionnaire, dans la terminologie des linguistes, on retiendra qu'il s'agit, en reprenant la definition du Trésor de la langue frangaise, d'un « Recueil des mots d'une langue ou ďun domaine de ľactivité humaine, réunis selon une nomenclature d'importance variable et présentés généralement par ordre alphabétique, fournissant sur chaque mot un certain nombre d'informations relatives á son sens et ä son emploi et destine á un public défini ». Ľinformation á retenir est le fait qu'on se trouve en presence d'un recueil de « mots », soit d'une langue dans son ensemble, soit d'un domaine spécifique. Classer formellement ou sémantiquement des « mots », des unites de la langue, tel est bien ľobjectif d'un dictionnaire. V encyclopédie, genre né et installé en France de maniere probante grace aux Encyclopédistes du XVIIIe siěcle, relěve d'un tout autre objectif. La également, reprendre la definition du TLF s'impose. Ainsi ľencyclopédie représente ľ« Ouvrage qui fait le tour de toutes les connaissances humaines ou de tout un domaine de ces connaissances et les expose selon un ordre alphabétique ou thématique». Retenons qu'á ľencyclopédie ne correspondent pas des mots mais des connaissances, développées sous des thěmes, bien sůr représentés nécessairement par des mots de resonance suffisamment large pour servir de tete de chapitre ä chaque article. Ici, ľ etymologie du terme générique, encyclopedic, est éclairante. Si le mot a en effet été emprunté au latin de la Renaissance, avec une forme, encyclopaedia i ~ resultant au reste d'une mauvaise lecture de manuscrit - il correspond cependant sans faille au grec egkuklios paiedeia, désignant ľensemble des sciences, le cycle du savoir, qui constituent une education complete. 2.2. Trois types d'encyclopédies Une encyclopédie peut faire ľ objet de deux classements distincts. En effet, pour presenter les connaissances humaines de maniere pratique, tantôt les différents thěmes sont offerts dans ľ ordre alphabétique, ä la maniere de V Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ou de Y Encyclopaedia Universalis (1968) du XXe siěcle, tantôt dans un ordre thématique, ä la maniere de V Encyclopédie thématique Weber (1975). Si ľ on compare ces deux derniěres, pour ainsi dire contemporaines, la premiére, alphabétique, se présente avec 17 volumes ďarticles offerts dans 123 Les dícMoftnaires frangais :: outils ďune langue et ďune culture ľordre alphabétique et trois volumes ayant le titre de Thesaurus. Le thesaurus a pour mission, en tant qu'« indexation alphabétique complete de V Encyclopaedia Universalis », de lister á nouveau dans ľordre alphabétique «une succession de sujets », en indiquant les correspondances avec les articles également classes alphabétiquement dans les 17 volumes precedents. Ainsi, on ne trouvera pas le mot escargot dans le corps de ľencyclopédie mais dans le Thesaurus oü il renvoie á ľarticle gastéropode. Cest ici qu'on comprend la difference entre un dictionnaire et une encyclopedic II serait inconcevable en effet que le mot escargot soit absent d'un dictionnaire, il peut en revanche ne pas figurer dans une encyclopédie, oü la réalité qu'il représente est traitée dans une perspective plus large, celle propre á ľespece dont il fait partie, en ľoccurrence les gastéropodes. Quant ä Y Encyclopédie thématique Weber, conformément á son titre, les différents volumes y ont leur spécifícité, avec par exemple le premier intitule Le monde, dans lequel sont successivement développées ľAstronomie, la Meteorologie, la Geologie et la Geographie generale, les deux volumes suivants étant consacrés ä La vie, c'est-á-dire á la Biologie, la Botanique, la Zoologie, ľAgronomie et la Zootechnie. Se succedent ensuite des volumes ayant pour themes Ľhomme, La science, La technique, Ľhistoire, La societě, La pensée, La littérature, et enfín L 'art. Chaque domaine est traité par un specialisté. Ainsi dans le volume 14, le premier tiers de ľouvrage a pour theme la linguistique, présentée sous la direction de G. Mounin. Un avant-dernier volume, précédant l'habituel Atlas, est constitué par ľlndex qui contient 14 000 entrees et 40 000 references. Les encyclopédies comportent en principe des illustrations. Au XVIII6 siěcle, les imprimeurs ne savent pas encore les insérer de maniere rentable dans les colonnes de ľouvrage, aussi les illustrations font-elles par exemple ľobjet de onze volumes distincts dans Y Encyclopédie, en nous offrant au passage des planches qui témoignent en particulier des connaissances techniques de ľépoque. Děs la seconde moitié du XIXs siěcle, la representation des referents fait partie intégrante de ľinformation encyclopédique au fíl du texte, en se rénovant ä la fin du XXe siěcle, au moment oü les supports informatiques et le multimédia prennent le relais. Par extension, sont parfois appelés encyclopédies des ouvrages qui traitent de toutes les matiéres d'une discipline. Par exemple Y Encyclopédie 124 Un ensemble ďoppQsitiommgéulables des sports, chez Larousse en 1961, ou dans Les Encyclopédies du savoir moderne, celie intitulée Le langage en 1973, dirigée par B. Pottier. 3. Dictionnaire de langue ou dictionnaire encyclopédique On a dej á signále cette distinction fondamentale en évoquant les deux premiers dictionnaires monolingues fran?ais: le Dictionnaire frangois (1680) de Richelet et le Dictionaire universel (1690) de Furetiěre, le premier instituant le dictionnaire de langue, le second le dictionnaire encyclopédique. 3.1. Definitions respectives et concurrence initiale Les dictionnaires de langue, qu'il s'agisse de celui de Richelet, de celui de ľ Academie, ou de ceux de Littré, de P. Robert, d'A. Rey, du TLF, etc., ont pour objectif prioritaire d'apporter des informations sur le mot en tant que tel. C'est-ä-dire, sur sa nature et son genre grammatical, sur sa forme graphique et sonore, son etymologie, ses divers sens, ses valeurs expressives, son mode d'emploi, son degré de specialisation, son appartenance ä tel ou tel registre de langue, ses relations avec d'autres mots, etc. Les dictionnaires encyclopédiques, appelés d'abord dictionnaires de choses ou de notions par la plupart des auteurs du XVIIf siěcle, avec pour ancétre le Dictionaire universel de Furetiěre et pour successeurs, les Dictionnaires de Trévoux, le Grand Dictionnaire universel de Larousse, les Petit Larousse, les Dictionnaires encyclopédiques Quillet, Auzoux, etc., s'attachent de preference ä des développements fondés sur la representation du mot, qu'il s'agisse de ľidée, de ľ objet ou de ľétre vivant. Au tout depart, le contenu méme des dictionnaires encyclopédiques étant propice á une varieté et ä une richesse ď informations sur les referents, il emporta la preference du public qui trouvait le dictionnaire de langue trop succinct. Sans percevoir, au reste, ce qui distinguait en profondeur les deux types ďouvrage. L'article « dictionnaire » du Dictionaire universel de Furetiěre illustre en vérité trěs bien ce qu'est un dictionnaire encyclopédique. En effet, aprěs avoir donné la definition de ce type ďouvrage, « Recueil fait en maniere de catalogue de touš les mots d'une Langue, ou d'une ou plusieurs Sciences », 125 Les dictiortj0$$ks frangais : ěifuls ďunelangue et dune culture sont ďabord énumérés différents types de dictionnaires, « Dictionaire Latin, Grec, Hebreu, Italien, Espagnol, Alleman. Dictionaire Historique & géographique. Dictionaire de Chymie, de Medecine, des Arts. Un Dictionaire de rimes », le lecteur ďalors bénéficiait bien d'une premiere information sur les ouvrages relevant du genre défmi. La suite de ľarticle ne laisse plus de doute, on passe en effet sans plus aucune ambiguľté au commentaire encyclopédique, en ľoccurrence de nature historique. Ainsi, on y apprend que « Les Dictionaires anciens sont pour le Latin, celuy qui a été appellé Papias, qui a été fait par Salomon Abbé de Saint Gal, Evéque de Constance qui vivoit dés ľan 1409 » et que «le plus fameux a été celuy d'Ambroise Calepin Hermite de St. Augustin de Bergame, & fíls des Comtes de Calepio. » Viendront alors une vingtaine de lignes sur le merne ton avec en toute fin un tour ďhorizon des différentes langues. « En Grec on a ceux de Henry Estienne & de Scapula ; en Espagnol celui de Covarruvias ; en Italien celuy de ľAccademia delia Crusca ; en Francis ceux de Nicod & du Pere Monet; & on entend [attend] avec impatience celuy de ľAcademie fran^oise. » Avec cette derniére remarque, ironique, on prend par ailleurs conscience que le dictionnaire encyclopédique facilite ľexpression des points de vue personnels. Ce dont usera et abusera P. Larousse... 3.2. De la comparaison ä la complémentarité Si ľ on compare les deux types de dictionnaires, on pourrait rapidement signaler que dans un dictionnaire de langue, on fait appel á des definitions se présentant souvent sous une forme logique avec done un incluant (le genre prochain) et des marques spécifiques (les traits spécifiques, ľespece) et, le moins souvent possible, des definitions réduites ä un synonyme, un antonyme, ou encore á un rattachement morphologique. Par ailleurs, ľexemple ne fait en principe jamais défaut, qu'il s'agisse ďexemples forgés par le lexicographe, avec la volonte de donner des usages standards, ou ďexemples cités, tirés de la littérature, de la presse, etc., avec parfois le souci d'illustrer des effets de style. Inversement, dans un dictionnaire encyclopédique, ces aspects sont souvent minimises. En principe, on n'y retrouvera pas de citations, mais on y favorise prioritairement ľinformation sur le referent, c'est-á-dire ľétre, ľobjet, ľidée représentés par le mot, avec parfois merne ľajout d'un commentaire en fin d'article. S'il est trěs rare qu'un dictionnaire de langue 126 Un ensemble ď oppositions modulables soit illustre -ce sont alors des illustrations de nature terminologique -l'illustration fait partie intrinsěque du dictionnaire encyclopédique. Et ce, děs la seconde moitié du XIXe siécle, ä partir de la parution du Dictionnaire frangais encyclopédique (1856) de Lachätre. Et tout comme pour ľ encyclopedic, le développement des supports électroniques s'est révélé particuliěrement riche pour que l'illustration y devienne dynamique, le multimédia aidant. La frontiére entre les deux dictionnaires n'est pas toujours nette : il n'y a pas de regard possible en effet sur le sens indépendamment des referents y correspondant. Cest le referent méme du mot qui pousse parfois vers une description encyclopédique ou vers une description linguistique. Ainsi, le lexicographe confronté dans un dictionnaire encyclopédique á des mots tels que la preposition á ou les verbes nantir, pallier, se trouve davantage entrainé vers une information sur ľusage dans la langue que sur les referents, insaisissables. De méme que, dans un dictionnaire de langue, des termes tels qu'hypothénuse, polyurethane, kilometre, font forcément glisser du côté de la description encyclopédique. En realite, les dictionnaires de langue et les dictionnaires encyclopédiques se complétent. La nouvelle dimension électronique ne peut que favoriser la consultation alternative ďun type ďinformation ä ľ autre, ce que concretise en grande partie ľacquisition souvent cumulée du Petit Robert et du Petit Larousse, sur papier et sur cédérom. Et du méme coup, le debat sur la place des illustrations, traditionnellement exclues en France des dictionnaires de langue, reprend toute sa legitimite au coeur des deux types de dictionnaires, dont ľobjectif reste ľinformation. 4. Dictionnaire extensif ou sélectif 4.1. Deux choix préalables de nomenclature Que l'on ait affaire ä un dictionnaire encyclopédique ou á un dictionnaire de langue, le nombre d'articles présentés peut ďemblée varier trěs sensiblement en fonction d'un choix extensif ou sélectif d'entrees de la part des lexicographes. On a bien per?u en effet, děs la naissance du genre monolingue, qu'entre les 40 000 articles offerts par Furetiěre et les 18 000 127 Les dictionnairesfmngais : outils ďune langue et ďune culture articles présentés dans la premiere edition du Dictionnaire de ľ Academie frangaise, la difference s'expliquait par des choix distincts. D'un côté, dans le cadre d'un dictionnaire dit de type extensif, on peut en effet tendre ä mentionner touš les mots de la langue, ou plus exactement souhaiter offrir le plus possible de mots dans ľespace dictionnairique consenti par ľéditeur, sans aucune limitation par rapport ä leur origine, leur usage ou leur valeur. De ľautre côté, dans le cadre d'un dictionnaire de type sélectif, on peut choisir délibérément de ne traiter qu'une partie du lexique, en fonction d'un choix préalable. 4.2- Différents types de dictionnaires sélectifs Pour un dictionnaire sélectif, les options sont nombreuses. Il peut s'agir de sélectionner les mots en fonction de leur frequence d'emploi, ainsi on peut n'enregistrer que les mots d'usage courant: les mots rares seront exclus. En choisissant délibérément ľ usage courant éloigné de tout jargon, le Dictionnaire de ľ Academie frangaise représente, par exemple, le premier type de dictionnaire monolingue sélectif. On peut inversement sélectionner les mots rares, á la maniere de ľ Abbé Prévost qui en 1755 publie le Manuel lexique ou Dictionnaireportatif des motsfrangois dont la signification n*est pas familiěre ä tout le monde. Les auteurs peuvent aussi se spécialiser dans un registre donne, par exemple les seuls mots des registres familier, argotique, etc., comme le fera Philibert Joseph Le Roux avec le Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial, en 1718. Le lexicographe peut également choisir la nomenclature en fonction d'un publie dont il determine ľäge : ainsi, des dictionnaires destines á des enfants de 8 á 12 ans ou bien ä des adolescents seront sélectifs en partant du nombre et de la nature des articles retenus, ce qu'illustrent les series benjamin, junior, major propres ä diverses collections. Le choix peut aussi porter sur un groupe social precis : au XIXe siěcle, le Dictionnaire de la conversation (1832) de W. Duckett a par exemple connu en 1841 une edition particuliére en 10 volumes « ä ľusage des Dames et des jeunes personnes », une sorte de segregation qui serait aujourďhui mal comprise. 128 Un ensemble d'oppositions modulables 4.3. Des tendances plus ou moins marquees en fonction de la periodě Chaque époque a, de fait, sa maniere d'etre selective ou intensive. II eut été difficilement imaginable en 1930 qu'on offre une gamme de trois á quatre dictionnaires pour enfants : or, c'est chose courante á la fin du XXe siěcle. Certaines époques sont marquees par la nette predominance des dictionnaires extensifs. C'est ainsi que, dans la premiere moitié du XIXe siěcle, on se trouve confronté ä des dictionnaires dont les titres traduisent plus particulierement cette volonte d'utopique exhaustivité. On songe par exemple au Dictionnaire general et grammatical des dictionnaires frangais extrait et complement de touš les dictionnaires anciens et modernes (1834), de Napoleon Landais, ou au Dictionnaire national ou dictionnaire universel de la langue franqaise (1843) de Bescherelle, «plus exact et plus complet que touš les Dictionnaires qui existent», lit-on sous le titre. Ou encore au Nouveau Dictionnaire universel (1856) de Maurice Lachätre qui, est-il precise, « sera le plus complet et le plus progressif de touš les Dictionnaires, le seul qui embrassera dans ses développements touš les dictionnaires spéciaux». Suit alors une liste de pas moins de 58 dictionnaires, des dictionnaires «de la langue usuelle», «de la langue poétique», «des synonymes», jusqu'aux dictionnaires «des modes et travaux ď aiguille », «de la féodalité», «des jeux et divertissements, etc., etc., etc.». Cette extensivité n'est évidemment pas fonction de la taille du dictionnaire, on est X par exemple ici en presence d'un dictionnaire qui ne comporte que deux volumes, mais il va sans dire que la nomenclature y est trěs développée au detriment de la longueur des articles. Au debut du XXe siěcle, on retrouve cette tendance extensive, comme en témoigne en 1921 le Tout en un, chez Hachette, qui rassemble « en un seul volume, tout l'ensemble des connaissances humaines, que 20 gros ouvrages contiendraient ä grande peine [...], 7 dictionnaires et 14 parties encyclopédiques », le tout pourtant en seulement 1 468 pages... 4.4. Surenchěre et relativisation Le vertige de ľexhaustivité est ľun des syndromes du dictionnaire de type extensif. Les éditeurs y sont poussés par les acheteurs trěs sensibles au nombre de mots annoncés, au point qu'on indique parfois le nombre de Les dictionnaires francais : outils ďune langue et d'une culture definitions plutôt que le nombre de mots, pour faire meilleure mesure. Or, depuis 1988, pour le Petit Larousse, et depuis 1991 pour le Dictionnaire de notre temps Hachette, la surenchěre est d'autant plus forte que la plupart des dictionnaires n'ont plus de jaquette : c'est done directement sur la couverture que sont portées les informations. C'est ainsi que se multiplient les effets d'annonce avec la tentation du permanent dépassement du concurrent. II faudrait aussi signaler qu'en matiěre ďextensivité et de sélectivité, il s'agit d'une tendance relative, sans instrument de mesure établi, le nombre de mots restant fonction de la taille de l'ouvrage. Si par exemple, on peut avancer que le Petit Robert et le Petit Larousse sont raisonnablement extensifs, il est toujours possible d'utiliser ce concept de maniere parcellisée. En signalant par exemple que le Petit Larousse serait plus extensif que le Petit Robert dans le domaine scientifique et que le Petit Robert serait plus extensif dans le domaine littéraire, tous deux étant globalement extensifs, en offrant les 60 000 mots leurparaissant les plus importants. 5. Dictionnaire descriptif ou normatif, prescriptif 5.1. Deux attitudes explicables et utiles Par rapport ä la langue, les attitudes de celieš et ceux qui veulent en rendre compte peuvent étre trěs variables. Deux tendances sont cependant reparables, parfois explicitement dévoilées dans la preface des dictionnaires, parfois plus discretes mais sensibles néanmoins dans le corps des ouvrages. On peut en effet avoir pour objectif de décrire la langue et son lexique en essayant d'etre le moins engage possible, en souhaitant faire du dictionnaire une sorte de miroir récapitulatif et neutře des usages écrits et oraux des mots. On peut aussi, ä ľ inverse, considérer que le lexicographe a pour mission de veiller au bon emploi, de guider les usagers en les conseillant, si besoin est, du côté d'un usage présenté comme la norme á respecter. D'un côté, le lexicographe se fait le greffier des usages bons ou mauvais, en essayant de ne pas porter de jugements, et on a affaire ä un dictionnaire descriptif. De ľ autre, il prend le role ď arbitre des usages, éventuellement merne de censeur, se considérant comme un gardien legitime et éclairé de la langue, et on dispose alors d'un ouvrage normatif, prescriptif. 130 ■V." Un ensemble depositions modulables Ces deux attitudes font ľ objet de polémiques réguliěres dans la pres parmi les linguistes. En vérité, si elles prennent tant ďampleur, c'est cm' 11 ne sont pas le seul fait des lexicographes. Elles sont en effet le refl ďattitudes également trés variées de la part des usagers, chacun esnéra t trouver dans le dictionnaire-arbitre une caution quant ä sa propre percent' de la langue, voire du monde. Or, cette perception résulte d'une attitude tantôt rebelie ä toute norme, tantôt hostile ä toute ouvertuře, avec une era H gamme de comportements entre les positions extremes. II est coutumier t aussi ancien que les dictionnaires eux-mémes de voir ainsi s'insurger tel o tel au constat qu'un mot de la langue relächée, qu'il s'agisse de celui á Cambronne ou du dernier-né de méme nature, ait pu étre enregistré dan «le » dictionnaire. Tout comme tel ou tel sera scandalise que ne soit encore enregistrée une formule qu'il affirme, á bon droit ou au ménris áe toute frequence, étre de pleine existence. II n'y a pas intrinsěquement de bon choix mais deux services different D'un côté, on bénéfície d'une Photographie du lexique sans legende et done de la description d'un systéme et de son fonetionnement, sans jugenient H valeur. C'est ľoutil dont réve notamment le linguiste, en scientific! soucieux de ne pas intervenir sur son objet d'étude. De ľautre, on disno d'une Photographie pourvue d'une legende explicative, la description d différents usages y étant Offerte avec une volonte didactique et normalisante incitant á la pratique de ľ usage percu comme le plus valorisant dans la' communauté. Ce qui implique des regrets exprimés sur ce qui parait deviant et c'est bien en effet ce que souhaitent les personnes qui consultent le dictionnaire pour y chercher la norme, s'y rassurer. Que des dictionnaires descriptifs et des dictionnaires prescrintifs coexistent est pour le moins utile : la société sollicite les deux, il convient seulement de distinguer les deux demarches pour consulter le dictionnaire adapté ä la question que ľ on se pose. L'historien de la langue et le littéraire ont de fait besoin de consulter les deux types de dictionnaires, le dictionnaire plutôt descriptif, pour prendre acte du systéme lexical en vigueur ľépoque qui ľintéresse, et le dictionnaire prescriptif, pour bien mesurer les débats alors en cours et les choix opérés dans le discours qu'il étudie. - 131 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture 5.2. Une orientation explicite, implicite ou ä déceler II n'est guěre utile ďinsister sur le fait que, s'agissant de tendances, il faut les mesurer dans le corps méme des ouvrages. Tantôt en effet ľorientation est annoncée comme dans L 'Encyclopedic du bon frangais dans ľusage contemporain par P. Dupré, ouvrage au titre explicite et en trois volumes, paru en 1972. Doté ďun comité de redaction qui comprend de grands linguistes, D. Leeman, M. Arrive, J.-P. Colin, A. Eskenazi, il témoigne du fait qu'un ouvrage peut étre declare puriste et relever d'un travail solidement étayé. On trouvera ainsi en debut d'ouvrage vingt pages, intitulées Lexique des principaux dictionnaires, grammairiens et puristes cités, avec des notices détaillées sur Ch. Bally, Bescherelle, le pere Bouhours, M. Bréal, F. Brunot, J. Chapelain, A. Dauzat, A. Sauvageot, A. Thérive, Vaugelas, etc. Tantôt, ľorientation normative est implicite en fonction d'un programme clairement annoncé. Depuis sa premiere edition en 1694, le Dictionnaire de ľ Academie a, par exemple, vocation descriptive de ľusage courant, et prescriptive dans les conseils donnés. Tantôt enfm, ľobjectif est annoncé comme descriptif, et c'est alors au lecteur de repérer les limites de ľannonce. Ainsi, Littré n'était ďévidence guére enclin ä enregistrer les néologismes, la langue classique restant á ses yeux parée des meilleures vertus. Sans étre puriste, il peut cependant étre considéré comme moins descriptif que Larousse. En vérité, le bon chercheur sera celui qui saura repérer les orientations des uns et des autres et les prendre en compte dans ses analyses. 6. Dictionnaire en diachronie ou en synchronic 6.1. Deux attitudes distinctes, liées aux mouvements de pensée Le choix des entrees et le traitement de ľ information reflětent deux attitudes distinctes vis-ä-vis de la langue que ľon peut effectivement considérer dans sa longue histoire ou, au contraire, appréhender comme un etat de langue determine á décrire. Ainsi, ďun côté, la description se situera en diachronie, en traversant une periodě plus ou moins longue, forte de plusieurs états de langue, avec en 132 Un ensemble d'oppositions modulables particulier le relevé de mots et de sens anciens qui peuvent avoir disparu, sans oublier les evolutions de sens : il s'agit alors de décrire un systéme lexical dans son evolution. De ľautre côté, la description se situera en synchronie, eile portera done sur le systéme d'une periodě restreinte, per. rattacher au tout, mais peut aussi s'en detacher sans y perdre de la coherence. Comme ľoeuvre fragmentaire, ■■"■'■ il possěde cette spécificité de constituer á lui seul un V'íy'■■:' microcosme, avec son organisation interne. » Beatrice Didier, Alphabet et raison, PUF, 1996. Rendre compte exhaustivement des innombrables problěmes qu'un lexicographe rencontre, avant méme de rédiger ou en cours de redaction, relěve de ľutopie, tant le mot échappe ä une structuration absolue et généralisante. Chaque mot a en effet ses singularités. Aussi, ne donnera-t-on ici que les elements essentiels permettant de prendre conscience de la complexité ďun dictionnaire de langue qui, en tant qu'oeuvre fragmentaire, exige une recherche de coherence par essence toujours inachevée. >^ 1. Une double structure 1.1. La macrostructure et la microstructurc Un dictionnaire se distingue par une double structure. La premiere concerne la nomenclature, c'est-a-dire la suite des mots, des formants, retenus par les lexicographes pour étre définis, exemplifies, illustres, etc., mots qui serviront ď entrees aux articles. Cette nomenclature étant choisie, ľensemble représenté par la suite organisée de ces mots, chacun de ces mots se présentant sous la forme d'une vedette presque toujours typographiée en caractěres gras, constitue ce que J. Dubois appelait ľ architecture formelle du 159 Les dictionnaires francais : outils ďune langue et d'une culture dictionnaire. De fait, la maniere dont ces entrees sont structurées, ordonnées, determine la macrostructure du dictionnaire, selon une formule que ľ on doit ä J, Rey-Debove. Le choix d'un classement sémantique ou alphabétique, le choix de traiter les mots isolément (macrostructure simple: fin, final, finalement correspondant á trois articles) ou au contraire de les regrouper en partant du mot qui constitue la souche des mots derives affixaux qui en sont issus (on dit alors que la macrostructure est double : une entree fin, suivie des sous-entrées final et finalement dans le méme article), la mention aléatoire des formants (prefixes, suffixes, bases), ce sont lá autant d'options qui déterminent entre autres la macrostructure d'un dictionnaire. La nomenclature étant définie, il reste ensuite á y faire corresponds des articles organises selon de multiples choix possibles, avec une organisation cohérente et en principe récurrente des différentes informations attachées ä ľunité lexicale á décrire. S'imposent ainsi différents choix pour la rubrique consacrée ä la catégorie grammaticale, ou pour les rubriques portant sur la transcription phonétique, sur ľétymologie, la marque de domaine, etc., qui peuvent ďailleurs ne pas étre traitées ou ľétre de maniere non systématique. De la méme fa^on, ľ articulation des definitions, des sens, des exemples qui y correspondent, la presence de remarques, ďéventuelles illustrations, la mention des synonymes, des antonymes et des mots analogues, etc., supposent des options préalablement choisies. Tout cela implique une stratégie consignee dans un protocole de redaction avec, en definitive, une architecture modélisante des différents types d'articles, en essayant d'harmoniser le traitement des difficultés. Ce sont ces diverses maniěres de structurer les informations apportées en face de ľentrée, en fonction du projet propre au dictionnaire concerné, qui déterminent ce que J. Rey-Debove a appelé la microstructure. 1.2. La double intrication On comprend aisément que si la macrostructure et la microstructure ont leurs spécificités respectives, elles sont forcément liées. La maniere en effet ďorganiser la nomenclature, de choisir done la macrostructure, a des implications sur la maniere de structurer ľ article dans son ensemble. Ainsi, offrir en sous-entrées les derives d'un mot donne en entrée principále 160 Au cceur ďun dictionnaire entraine nécessairement un traitement particulier des sens, ce traitement relevant en ľoccurrence de la microstructure. Decider par exemple de presenter trois articles distincts pour le verbe commander, comme le fait J. Dubois dans le DFC, selon qu'il s'agit de donner un ordre, de formuler une demande écrite ou orale, ou de contrôler quelque chose, avec pour le premier article commander l'insertion des derives commandant, commande (d'un puissant) et commandement, pour le second, la commande (d'une marchandise) et décommander, et pour le troisiěme article commander, se commander (en parlant ďun mécanisme) et commande (prendre les commandes), c'est forcément intriquer la macrostructure et la microstructure, c'est-á-dire 1'organisation des entrees et celie des sens. La seconde intrication est celie déterminée par le rapport établi entre, d'une part, ce qui relěve de la lexicographic, c'est-a-dire la recherche lexicologique portant sur les mots, notamment dans leur richesse sémantique et morphologique, et la dictionnairique, c'est-ä-dire ici la valorisation des informations recensées en lexicographic, valorisation passant par exemple par le choix d'une á quatre colonnes par page, ou des différentes options typographiques des composantes diverses de l'article. II est clair que le lexicographe et le dictionnariste ne peuvent étre indépendants, selon une perception simpliste qui séparerait les choix de ľauteur de ceux de ľéditeur. Decider de presenter la vedette d'un article dans tel ou tel caractěre, en capitales ou minuscules, de mettre en italique les exemples, d'ajouter tel ou tel tableau des marques, des signes phonétiques, des conjugaisons, etc., relěve en effet autant du lexicographe que du dictionnariste. C'est seulement pour rendre plus commode la structuration de la reflexion et sa hiérarchisation qu'il faut toujours tenter de distinguer ce qui relěve de la lexicographie de ce qui se rattache á la dictionnairique. C'est le choix adopté dans la presentation qui suit, volontairement limitée á ľessentiel. 2. Nomenclature et macrostructure : choix lexicographiques 2.1. L'extension de la nomenclature : du plus au moins frequent Une premiere distinction est á opérer en fonction du public et de l'objectif choisis. Globalement, on peut repérer trois grandes tendances. La 161 Les dictionnaires frangais : outils d'une langue et ďune culture premiere, trěs selective, consiste á choisir une nomenclature se rattachant au vocabulaire de base, autour de 3000 mots, et il s'agit alors le plus souvent de dictionnaires ďapprentissage entre 1500 et 5000 mots. La deuxiěme tendance fait sélectionner environ 30 000 mots du vocabulaire courant et de culture generale, et on a ainsi affaire en general á des dictionnaires de petite taille, destines á des élěves du secondaire ou au grand public, en guise de lexicographie de dépannage ; enfm autour de 60 000 mots, on retrouvera le Petit Larousse et le Petit Robert, qui ajoutent aux vocabulaires de base et de culture generale les vocabulaires de špecialite répartis de maniere homogene entre les domaines, dans une fourchette d'environ 30 000 mots. On se trouve lä dans le cadre d'un dictionnaire extensif. Enfin, les gros dictionnaires généraux peuvent montér jusqu'á environ 100 000 mots comme le TLF. II va sans dire que, pour un dictionnaire de špecialite, la nomenclature peut de la merne maniere étre différenciée en partant de la frequence des termes. 2.2. L'extension dans le temps : des archai'smes aux néologismes Quel que soit le projet lexicographique, vient toujours pour le lexicographe le choix des limites du corpus ďobservation sur ľaxe du temps. S'agissant de ľamont, on peut établir le corpus en fonction d'un projet diachronique et done remonter plus ou moins loin dans ľhistoire de la langue, mais reste néanmoins le choix de la date de depart. A partir de quel siěcle commencer ľ observation ? Si ľ on choisit de décrire la synchronie, vient alors la delicate mesure de ľépaisseur synchronique. Au-delä de la tranche de vie lexicale choisie par le lexicographe, les mots eux-mémes ne se laissent pas facilement saisir sur ľaxe des temps, entre les mots nouveaux, deja d'hier quand ils entrent dans le dictionnaire, et les mots nouveaux-nés d'avant-hier, dont on n'assure pas la survie demain. Au lexicographe ďinterpréter et de choisir aux confins de son corpus les mots qu'il va retenir et e'est souvent difficile. Dans la Preface du Supplement (1881), Littré le confesse : « J'ai fait un choix, essayant de n'admettre que les mots dont ľusage commence á s'emparer. Mais la limite est arbitraire; et comme je ľai éprouvé dans mon long travail lexicographique, une part est laissée au jugement et ä ľ initiative du lexicographe. » II n'en reste pas moins qu'il faut tracer les frontiěres en aval et en amont. Cest ľun des premiers choix ä opérer au moment ďétablir la 162 Au cceur ďun dictionnaire nomenclature : mesurer ce qu'on appelle la variation diachronique du lexique et determiner le fonds homogene que ľ on souhaite décrire. 2.3. L'extension dans l'espace : de ľhexagone ä la francophonie v On se situe ici dans ce qu'il est convenu d'appeler, selon la formulation de F. Hausmann, la variation diatopique. Cette variation est celle qui fait observer le lexique dans des espaces différents au sein ďune méme langue, en commen^ant ici par les variantes regionales de la France pour se poursuivre par les variations des fran^ais standards de la francophonie. Ainsi, la preface du Petit Larousse 2000 s'avere éloquente ä ľégard des choix du lexicographe du XXIe siěcle confronté ä la description de la langue frangaise, dans le cadre d'un dictionnaire general « en partage » dans les différents pays de la francophonie. Que peut-on y lire en effet ? « La langue frangaise appartient ä ceux qui la parlent, ľécrivent et ľenrichissent de par le monde, dans les provinces de France, en Suisse, en Belgique et au Luxembourg, au Québec, aux Antilles, en Afrique noire, dans de nombreux pays arabes... » Et ľauteur, en fait Michel Legrain qui avait assure quelques années auparavant la fonction de directeur des Dictionnaires Le Robert, de poursuivre sur le méme ton convaincant: «II y a moins un frangais central qu'une langue frangaise riche de son unite mais aussi de ses variantes regionales. » C'est ainsi que, chaque année, entrent dans la nomenclature des « francophonismes » et des « régionalismes » qui font réguliérement ľ objet . de remarques de la part des spécialistes. 2.4. L'extension dans le registre : de ľargot aux technolectes On se situe ici dans le domaine des mots marques par un registre de langue, qui peut étre trěs divers, par exemple littéraire, soutenu, familier, populaire, vulgaire, péjoratif, argotique, etc. C'est ce qu'on appelle communément la variation diastratique, c'est-a-dire celle liée aux groupes sociaux, á la situation de communication et á ľidéologie. S'y ajoutent les mots de metiers, les termes techniques et scientifiques, ce qu'on designe par les technolectes, c'est-ä-dire les discours specialises propres ä une communauté technique ou scientifique, les informaticiens par exemple. Le lexicographe se trouve ici confronté au fait que la langue ä décrire dépasse ce que Benveniste appelait «le frangais du dimanche ». On se situe 163 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture tantôt aux marges du franfais parle, celui qui fait ľ objet de dictionnaires specialises comme le Dictionnaire du frangais parle de C. Bernet et P. Rézeau, tantôt aux marges des jargons professionnels, dont on ne sait pas toujours comment repérer la frontiěre qui sépare la langue de frequence rare de celie réservée au sérail des spécialistes. Relevant des mémes choix diffíciles au moment ďétablir la nomenclature, il faut évoquer les sigles, foisonnants dans les technolectes et assez nombreux dans la langue standard. Oů placer la limite ? On peut aussi évoquer le gentilé (la denomination des habitants d'un lieu) et la monnaie, pour signaler que c'est aussi affaire ďinterprétation. Si on met en effet tous les gentilés, d'Étiolles á Palaiseau en passant par Montimas, la nomenclature devient enorme, d'oü des choix qui oscillent entre une liste donnée á part ou bien ľ integration des principaux gentilés, ou encore tout simplement ľexclusion. U en va de merne des monnaies dont la liste s'étend trěs vite. Tout le travail du lexicographe consiste ici ä faire des choix judicieux en s'aidant du critere de frequence en fonction de son projet. On a compris que, d'un dictionnaire á ľ autre, ľappréciation peut différer. 2.5. La nature de ľ unite retenue : du morpheme au syntagme fige C'est par commodité qu'est évoqué le nombre de mots d'un dictionnaire, le mot representant une notion trěs partagée, merne si eile est évidemment complexe děs qu'on s'y attarde. En vérité, il serait plus exact de faire etat d'« unites lexicales » en prenant en compte le fait que le mot est ä dissocier de ľ unite graphique qui fait dz pomme de terre une unite lexicale constituée de trois mots au méme titre qu'un sans domicile fixe. Si aujourd'hui cette conception semble aller de soi, il a fallu pourtant attendre le millésime 1981 du Petit Larousse pour que la pomme de terre cesse d'etre considérée comme un sens spécifique de ľ article pomme et bénéfície d'un article á part entiěre. II n'en demeure pas moins que la pomme de pin, la pomme ď amour et la pomme ďarrosoir restent encore installées dans le Petit Larousse 2006 au sein de ľ article pomme, pour des raisons principalement dictionnairiques : gagner de la place. Si tous les linguistes sont d'accord pour faire de pomme de pin une unite lexicale et si la dictionnairique ľemporte ici sur la lexicographic dans nombre de dictionnaires, le probléme se complique encore pour les syntagmes fígés. Ou classer alphabétiquement «prendre le taureau par les 164 •■hVi '*"'•' ,; .' '■•■<■■■'■ Au cceur ďun dictionnaire cornes»? Dans ľ article consacré au verbe, au premier substantif du syntagme ou encore au dernier ? Idéalement, ce serait une entrée á chacun des trois mots, avec un renvoi á ľ article oü le syntagme serait défini. Encore faut-il choisir ľ article sous lequel il sera traité. En vérité, la place du syntagme fige est souvent aléatoire. Dans la mesure oů ľespace est trěs mesuré, le lexicographe reste soumis aux impératifs dictionnairiques : il suffit de comparer plusieurs dictionnaires pour constater que le lecteur est bien souvent livré ä ľ interpretation variable du lexicographe. Cest ľoccasion de signaler que touš les lexicographes sont obliges de procéder á la lemmatisation, une regle d'économie pratique qui fait ainsi ne pas entrer dans la nomenclature les dizaines de formes d'un verbe mais au contraire choisir ľune de ses formes, en ľ occurrence ľinfinitif. En principe, le verbe est alors indexe ä un tableau de conjugaison situé en annexe du dictionnaire. Vais, irons, aille, seront done absents du dictionnaire (á moins qu'un choix didactique les fasse insérer) mais pas le lemme aller. De méme qu'on lemmatise en présentant toujours le nom au masculin singulier. Enfin, on peut faire figurer dans la nomenclature les formants, les bases latines et grecques entrant dans la construction des mots, les affixes marquants. Ces morphemes grammaticaux ou lexicaux qui ne sont pas des mots donnent alors souvent lieu ä des articles constitués d'une indication de sens suivie d'une liste de mots les incluant. On y trouve parfois des entrees cachées, c'est-ä-dire des mots dont le sens est si transparent qu'ils ne seront pas défmis. On peut agir de méme ä la fin d'un article, en ajoutant un derive de sens evident et done non expliqué. Ainsi en est-il ď} interférométrique ä la fin de ľ article interférométrie dans le Petit Robert 2002. Ce ne sont done pas, linguistiquement, des mots qui constituent la nomenclature, mais des «unites » dictionnairiques. En ce sens, il n'est pas absurde de considérer le mot du dictionnaire comme une sorte d'artefact. 2.6. Le traitement sémantique des unites retenues Le sujet a déjä été traité ä propos du DFC, on le résumera done ä grands traits en partant d'un exemple, ici le mot apparemment simple, gomme. On peut en effet tout d'abord, comme le fait J. Dubois, considérer qu'existent quatre mots gomme différents puisqu'on dénombre quatre distributions différentes, porteuses de sens distinets. La gomme qui sert ä effacer une 165 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture trace, effacer ďun coup de gomme, auquel correspond le verbe gommer ; la gomme qui suinte de certains arbres ; la gomme synonyme de sans valeur, une idée ä la gomme; enfin, la gomme propre ä ľexpression mettre la gomme, forcer ľallure. Le lexicographe peut alors decider de constituer quatre articles différents, avec done quatre entrees, quatre vedettes distinctes, estimant que ľ on a affaire á quatre homonymes malgré la méme forme du mot. Cest ce qui est appelé le dégroupement homonymique. Inversement, on peut admettre comme cela est pratique dans le Petit Robert, qu'il s'agit ďun méme mot avec des emplois différents pouvant éventuellement s'expliquer par ľhistoire du mot ou qui, tout au moins, paraissent confusément relies dans la conscience linguistique. On considěre alors que e'est un mot polysémique et on ne présente qu'un article en déclinant les quatre sens évoqués. Aprěs tout, confusément, la gomme de ľécolier est tirée d'un traitement particulier de la gomme qui suinte de certains arbres ; la gomme symbolisant un petit objet qui efface, Yidée ä la gomme vient des gommeux, e'est-a-dire autrefois les jeunes prétentieux aux cheveux gominés, et mettre la gomme correspond ä la substance visqueuse se déposant sur les pistons. Peu importe en fait que les filiations ne soient pas explicitées, le traitement choisi est polysémique : on part d'une forme et on en donne tous les sens, děs lors qu'un lien peut étre établi. 2.7. Le regroupement morphologique ď unites de la nomenclature Lexicographie et dictionnairique font parfois cause commune, lorsqu'est pratique le regroupement de mots composes ou derives autour du terme de base qui peut les réunir. Au-delá du gain de place, le regroupement prend tout son sens en reliant entre eux des mots qui sont rattachés les uns aux autres par des rapports á la fois morphologiques et sémantiques. Ainsi, rassembler assimilé, assimilable, inassimilable et assimilation sous ľadresse assimiler, ne manque pas d'intérét, notamment dans le cadre de ľapprentissage de la langue ä travers le dictionnaire. Ce regroupement morphologique qui était au demeurant celui pratique dans la premiere edition du Dictionnaire de ľ Academie franqaise suppose, lorsque ľ ordre alphabétique est bousculé, qu'un renvoi soit ménagé pour ľunité concernée. Ici, inassimilable doit se trouver á sa place alphabétique avec un renvoi á ľ article assimiler. 166 F :-.-.-\\\- ■ ■■ . * Aucoeurďun dictionnaire I 2.8. Le traitement onomasiologique des unites retenues Merne si ľ on se situe dans le cadre d'un classement formel alphabétique, ľ unite lexicale traitée dans le cadre d'un article a presque toujours bénéfícié d'un traitement partiellement onomasiologique au moment oů sont proposes des synonymes, généralement en fín d'article. Ces synonymes sont en effet hiérarchisés autour de ľidée commune soit linéairement, du plus proche au plus éloigné, soit indexes ä la maniere du DFC avec une fléche montante ou descendante. Ľonomasiologie qui, rappelons-le, part du concept pour aller vers les signes qui en rendent compte, est encore plus flagrante dans le cas particulier du Grand et du Petit Robert. « L'innovation du Robert [...] reside principalement dans ľenrichissement du cadre alphabétique par le jeu des associations d'idées » declare P. Robert dans la preface de la premiere edition du Petit Robert (1967). Cest ainsi que dans presque chaque article se retrouve «un inventaire aussi complet que possible des rapports analogiques »tissés entre les mots. Les mots analogues sont done disséminés au sein de ľ article ä la suite des sens qui orientent le choix de ces mots. Ce traitement onomasiologique au sein méme d'un classement formel prend sans aucun doute un regain d'intérét dans le cadre méme des dictionnaires installés sur support informatique, ce dernier en facilitant la mise en réseaux. 2.9. Le traitement formel, orthographique Le choix de la graphie ä retenir pour ľentrée n'était pas jusqu'en 1990 un probléme particuliěrement contraignant pour le lexicographe du XXe siěcle. Seul se posait en effet le probléme des variantes bien répertoriées pour un certain nombre de mots tels que clé ou clef, bette ou blette, assener ou assěner, cuillěre ou cuiller avec parfois des renvois nécessaires ä cause de ľ ordre alphabétique avec, par exemple, casher ou kasher, couflque ou koufique, tchao ou ciao, etc. Choisir sur la base de la frequence ou d'une preference justifiée de mettre en premier telle ou telle graphie ou d'opérer le renvoi á partir de telle ou telle variante, restait relativement neutře. En fait, au cours du XXe siěcle, le nombre de variantes allait méme en diminuant. Ainsi, dans le Petit Larousse 1906, on proposait faseyer, fasier oufasiller, « en parlant d'une voile » ou encore fakir ou faquir, autant de variantes qui ont disparu, seule la premiere forme ayant survécu. 167 Les dictionnaires francais : outils ď une langue et dune culture Cette sérénité propre ä une norme globalement fixée, bien que 9a et lä absurde, s'est perdue ä partir du 6 décembre 1990 avec la publication au Journal officiel du Rapport du Conseil supérieur de la langue fran9aise sur les «Rectifications de ľorthographe », offrant une double graphie possible pour un certain nombre de mots. Ce rapport laissait effectivement aux lexicographes la responsabilité du traitement de ces graphies. Du méme coup, en 1991, une brochure était publiée en méme temps que le Petit Robert pour expliquer que ľensemble des propositions faites n'était pas entériné par les lexicographes des dictionnaires Le Robert. Néanmoins, les propositions firent peu á peu leur entree dans les dictionnaires. Au debut du XXIe siěcle, d'un dictionnaire á ľ autre, les nouvelles graphies se présentent de maniere variable, tantôt installées en premier dans la macrostructure, ce qui est souvent le cas du Dictionnaire Hachette, tantôt en second comme dans le Nouveau Littré, tantôt en remarque, tantôt encore omises. On oscille entre la description des usages et le militantisme partiel des lexicographes, rarement systématique. Ainsi quand pour paraítre et abime, les lexicographes du Dictionnaire Hachette proposent la variante sans accent circonflexe, dans le méme temps en 2005, il n'en est pas fait mention dans le Petit Robert et le Petit Larousse. 2.10. Du traitement systématique et facultatif du bloc-entrée Ce qui est parfois appelé le « bloc-entrée » comporte au-delä de ľ entree elle-méme un certain nombre de rubriques. La mention obligatoire de la catégorie grammaticale se trouve en general aprěs celie de la prononciation qui représente une rubrique facultative. La prononciation est aujourd'hui presque toujours donnée en alphabet phonétique international et non de maniere fígurée comme naguére dans le Littré. Si certains dictionnaires comme le Petit Robert et le Nouveau Littré offrent systématiquement la transcription phonétique, on peut aussi choisir ä la maniere du Petit Larousse de ne la faire figurer que lorsqu'une difficulté apparait, pour dégingandé par exemple. Deux prononciations sont parfois présentées, c'est le cas de magnificat prononcé comme en fran9ais ou comme en latin. Sur les supports électroniques, on bénéficie de plus en plus de la possibilité ďentendre le mot. La norme choisie est celie de ľ íle de France, ce qui met sous le boisseau les accents régionaux largement partagés, méditerranéens ou alsaciens par exemple, sans oublier les accents propres ä certains pays de la francophonie comme le Québec. 168 Au coeur ďun dictionnaire Une rubrique historique peut aussi s'ajouter tantôt dans le bloc-entrée, tantôt en fin d'article dans certains grands dictionnaires comme le Littré ou le TLF. Cette derniěre formule offre la possibilité d'un traitement souvent plus développé, avec méme une dissociation entre ce qui relěve de ľ etymologie - mention de ľ étymon et date de la premiere attestation -, et ce qui est relatif á ľhistoire du mot, c'est-á-dire ä son evolution dans ľenvironnement lexical. Cest parfois délibérément que cette rubrique est absente, dans le cas d'une description purement synchronique á la maniere du Micro-Robert, du Robert méthodique ou du DFC. On remarquera que depuis la fin du XXe siěcle, cette rubrique prend de ľampleur. Elle est ainsi systématique dans le Nouveau Littré 2006, méme si eile est d'inégal traitement. Depuis 1967, comme il est rappelé dans la preface du Petit Robert de 2002, les etymologies «bréves, mais aussi precises que possible, qui suivent les entrees, résument ľ etat actuel des connaissances ». Dans ľ edition de 2002, s'y ajoutent trés efficacement des « encadrés étymologiques concernant les mots essentiels du fonds culturel franfais ». On en compte environ 650, le plus souvent des mots de grande frequence et trěs anciens tels que abbé, accuser, action, áge. Coüteuse en espace pour le dictionnariste des ouvrages sur papier, cette rubrique qu'appellent de leurs voeux ľ immense majorite des lecteurs est d'ajout facile sur un support électronique. On ľa ici rattachée á la macrostructure par commodité, mais děs lors qu'elle prend de ľampleur, eile relěve tout aussi bien d'une articulation de la microstructure. 3. La macrostructure : quelques choix dictionnairiques Dans ľimpossibilité de presenter la palette complete des choix dictionnairiques, ouverts ä ľinfini, on en n'offrira ici que quelques aspects révélateurs du role essentiel de la dictionnairique. 3.1. En anion t: la configuration des pages Les dictionnaires qui n'ont qu'une colonne par page sont rares, on citera cependant la premiére edition du Nouveau Larousse des debutants (1977) et la réédition du Littré par J.-J. Pauvert en 1959. Le cas le plus frequent reste celui de la presence de deux colonnes par pages, qu'il s'agisse d'un grand 169 Les• äictíonimires frangais : outils d'une langue et ďune culture dictionnaire ou d'un petit. On constate cependant que le souci de gagner de la place pour offrir davantage d'informations est ä ľorigine du passage á trois colonnes, ce qui est le cas du Petit Larousse ä partir du millésime 1960, la troisiěme colonne étant consacrée aux illustrations puis au texte. Le Dictionnaire de la langue frangaise de Littré comportait trois colonnes et le Grand Dictionnaire universel du XDC siede de Larousse quatre. Plus il y a de colonnes, plus les caractěres sont petits pour preserver une apparence suffisamment compacte au texte. II a fallu attendre 1856 pour que les illustrations puissent étre commodément installées dans les colonnes. 3.2. Le traitement typographique de la vedette Le traitement typographique de la vedette est choisi avec soin par ľéditeur, il participe du plaisir de la lecture et des marques distinctives de ľouvrage. Si les choix sont multiples et parfois imparfaits, faute sans doute de débats suffísants entre lexicographes et dictionnaristes, ils ne sont en rien anodins quant ä la description des unites lexicales retenues dans la nomenclature. Ainsi, faudrait-il preserver la possibilité de distinguer toutes les caractéristiques graphiques d'un mot qui peut par exemple se presenter avec ou sans majuscule initiale, et penser aux questions que se pose ľusager soucieux de verifier une maniere ďécrire. La vedette est presque toujours presentee en capitales, aussi á la question «quand faut-il mettre une majuscule ä parisien, frangais ? », il n'y a pas de réponse en observant la vedette, d'autant plus que cette entree associe souvent le nom et ľadjectif, ce qui contraint ä chercher la réponse dans les exemples ou l'on constate alors que le Frangais apprend le frangais avec des manuels frangais, et que le Parisien a ľ accent parisien. II va de soi que le choix de la police de caractěre, celui du style (normal, gras ou maigre, droit ou italique), de la taille, est essentiel du triple point de vue de ľesthétique, de la lisibilité et de ľinformation graphique. On ajoutera que la vedette qui ouvre ľarticle, dans la mesure oü eile constitue aussi l'adresse, c'est-a-dire le lieu oü l'on vient entrer dans ľarticle pour bénéficier des informations recherchées, peut étre en couleurs. Pour des raisons économiques, les dictionnaires sur papier en ont peu usé, merne s'il faut cependant se souvenir que le Micro Robert (1971) fut le premier ä se presenter avec des vedettes rouges, le Micro Robert Plus (1988) les offrant 170 \ Au cceur ďun dictionnaire "i. i i t \ ensuite en bleu. Ce code particulier reste ä pleinement exploiter sur les í supports informatiques oü les coüts d'impression n'entrent plus en compte. ! 3.3. Le traitement typographique des attributions de la vedette I II est inutile d'insister ici sur la nécessaire lisibilité des différentes rubriques du bloc-entrée, trěs rapprochées. Ä bon escient, ce sont souvent i des polices différentes qui sont utilisées pour repérer au plus vite ce qui [ relěve de la catégorie grammaticale, de ľ information étymologique et de la í marque d'usage ou du domaine. En ce qui concerne la phonétique, les signes Í en sont presque toujours dermis par ľalphabet phonétique international. S Quant aux informations étymologiques, un choix lexicographique qui se [ révěle aussi dictionnairique a fait disparaitre la mention des etymons grecs dans ľalphabet grec. II s'en suit que les transcriptions reconstituées sont á ;,' bien determiner: elles different en effet d'un ouvrage ä ľ autre, et lorsque plusieurs étymologistes y travaillent, il importe de verifier qu'ils adoptent les l mémes regies, notamment pour les accents. U est enfin des details qui comptent en termes de signes, toujours comptés au plus juste pour les dictionnaires sur papier. Ainsi, au-delä des choix lexicographiques, linguistiques, qui ont remplacé par exemple s.m. (substantif masculin) par n.m. (nom masculin), on remarquera que pour gagner de la place on ne menage pas toujours d'espace entre les deux I lettres: si la nomenclature compte 40 000 substantifs, on gagne ainsi 40 000 '^ I signes et parfois une ligne dans un article... 4. La microstructure : les choix lexicographiques 4.1. Les elements constituants et leur place dans Particle On rappellera tout d'abord que la microstructure depend des constituants essentiels de Particle qui restent la definition et l'exemple. Un dictionnaire peut ne comporter que des definitions, s'il représente selon la formule de R. Galisson, un ouvrage de dépannage. S'y ajoutent cependant presque toujours des exemples, cités ou forgés. Enfin, des remarques et divers développements peuvent completer le binôme classique de la definition et de l'exemple. 171 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture 4.1.1. Les types de definitions >; ■ --^ -, Si les terminologies different, le répéräge reste identique. Les definitions logiques En tout premier vient la definition logique, ou encore par inclusion, parce qu'elle nous vient de la tradition aristotélicienne consistant á d'abord designer le genre propre au referent du mot ä défmir, puis l'espece. On dit ainsi naturellement que « le chien est une espěce ď animal », c'est-a-dire une espěce du genre animal. La definition logique la plus connue reste celie d'Aristote ä propos de ľhomme : animal (le genre) raisonnable (l'espece, la marque spécifique). On partira de ľ article consacré au congre dans le Petit Larousse illustre 2006. « Poisson marin gris-bleu foncé, trěs vorace, appelé aussi anguille de mer, qui vit dans le creux des rochers (Long. 2 á 3 m. ; genre Conger, famille des congridés) » suivi d'une illustration. Le genre, ou l'incluant, ou encore 1'hyperonyme, est ici le « poisson ». Et « marin », « gris-bleu foncé », « trěs vorace », « qui vit dans le creux des rochers » font partie des marques spécifiques ou encore des indicateurs, des déľinisseuľs spécifiques. Le choix du genre peut étre variable du genre prochain au genre éloigné. Le genre prochain pourrait étre en effet le congridé, et le genre éloigné Vanimal. C'est au lexicographe de choisir celui qui convient le mieux. La definition logique peut étre hypospécifique, c'est-ä-dire avec un nombre insuffisant de traits sémantiques, ne permettant pas la reciprocite, c'est-á-dire la découverte certaine du mot en partant de sa definition. Ainsi, pour congre, se limiter á « poisson marin gris-bleu foncé » peut corresponds á bien d'autres poissons. Elle peut étre dite süffisante lorsque la reciprocite est possible. Si on precise en effet qu'il est trěs vorace, vit dans le creux des rochers, et mesure deux ä trois metres, la definition peut étre considérée comme süffisante. Elle sera dite hyperspécifique ä partir du moment oü ľ on aj oute des traits sémantiques ou des commentaires encyclopédiques qui vont au-delá de ľinformation nécessaire. On peut ainsi ajouter, comme le fait le TLF, qu'il est« comestible », « dépourvu d'écailles et de nageoires ventrales ». Méme si elles ont la faveur des lexicographes et des logiciens, les definitions logiques ne sont pas toujours possibles. Comment offirir aux mots 172 Au cceur ďun dictionnaire chose, substance, vie, par exemple, une definition logique ? Lorsque ďhyperonyme en hyperonyme, du genre prochain au genre éloigné, on en arrive ä ce qu'Aristote appelait le genre supreme, on se situe au niveau des primitifs sémantiques, impossibles ä défmir de maniere logique. Les definitionspar equivalence synonymique ou antonymie Faute de place ou ďimagination parfois, les definitions peuvent se limiter ä un synonyme. On en trouvera maints exemples dans les « accumulateurs de mots ». Par exemple, dans le Dictionnaire universel de Boiste : « Descendance : extraction. » « Désastreux : funeste, malheureux. >> La definition synonymique est par essence insuffisante, les synonymes absolus n'existant pas. Elle pullule dans les ouvrages de petite taille dévolus au décodage par économie de moyen. Dans le merne ordre ďesprit, on fait appel également á des definitions negatives ou antonymiques. Ainsi, repéré par R.-L. Wagner, dans le Dictionnaire de ľ Academie de 1835, pourtant de qualité, on n'a pas échappé ä double, «oppose ä simple», mesquin, «qui n'est pas liberal», et compliqué, « qui n'est pas simple ». II est clair que pour certains mots déjá antonymes, «imprévisible : qu'on ne peut prévoir», «illegal: qui est contraire ä la loi», on n'imagine mal une definition logique et la definition negative va de soi. Les definitionspar rattachement notionnel ou morphologique Le rattachement notionnel est appelé ä la rescousse pour certains domaines du lexique ou il est difficile de procéder autrement. Ainsi, du côté des liens de parenté, dans touš les dictionnaires, V onde est le « frěre du pere ou de la mere ». Toujours cite par R.-L. Wagner, on touche á ľhermétisme děs lors qu'on n'a plus les mémes repěres, lorsque par exemple Furetiěre définit ľeau par « le troisiěme des quatre elements ». Les rattachements morphologiques relěvent de ľéconomie de place et de ľinutile repetition. On comprend ainsi que fertilisable soit défini par «qui peut étre fertilise », et susurrant par « qui susurre », dans la mesure ou le mot se trouve dans une proximité alphabétique qui permet au lecteur de se reporter sans difficulté au verbe fertiliser ou susurrer. 173 Les dictionnaires frangais : outils d'une langue et ďune culture Les definitions métalinguistiques Comment définir en effet le mot ä autrement qu'en évoquant sa fonction - preposition - plus que sa signification presque impossible á établir. Les outils grammaticaux ne peuvent ainsi bénéficier de cette sorte de paraphrase synonymique que sont les definitions logiques ou bien a fortiori les definitions synonymiques, negatives ou fondées sur un rattachement morphologique ou notionnel. Selon la formule de R. Martin, il s'agit alors de definition métalinguistique que ľ on reconnait par le fait qu'elles sont en general introduites par un incluant métalinguistique {de : « preposition ») ou par une copule telle que «se dit» {synonyme: «se dit de mots ou d'expressions qui ... »). Des definitions conventionnelles aux definitions naturelles Cest parfois par convention qu'un mot est défini, ainsi le morpheme est-il défini en linguistique et a priori comme «la plus petite unite de signification», tout comme en mathématique la droite s'assimile au «plus court chemin entre deux points ». La definition par convention peut aussi étre fixée a posteriori: R. Martin évoque par exemple le miracle de Lourdes qui, aux yeux des autorités ecclésiastiques, doit répondre á quatre conditions imperatives : concerner une maladie réputée incurable, sans amelioration constatée auparavant, de guérison durable, le tout étant reconnu par une commission médicale comportant un médecin agnostique. Ce dernier type de convention échappe en principe ä la lexicographie traditionnelle, tout comme les definitions naturelles qui seraient celles reposant sur les stereotypes des locuteurs. Ainsi une guépe n'est-elle pas spontanément un « hyménoptěre au venin allergěne » mais, aux yeux du commun des mortels, un petit insecte qui bourdonne, jaune et noir, qui pique et ne fait pas de miel. Retenons que si les dictionnaires généraux ne font pas cas de la definition naturelle, les dictionnaires d'apprentissage rédigés pour les jeunes enfants y ont recours. 4.1.2. Laplace de la definition Traditionnellement les definitions precedent les exemples, mais nous avons déjá constate que, parfois, l'exemple est présenté en premier suivi ďune glose définitionnelle, soit par ľapplication du principe de Wittgenstein qui donne le primát ä ľemploi sur la definition, inexistante selon lui, soit par commodité pour ľexplication de certaines expressions nécessitant une mise en discours. Ainsi, V expression pas folle la guépe, installée en fin de ľarticle 174 ŕ; :\ Au cceur ďun dictionnaire i-f,- '(>' guépe du Petit Robert, fait-elle ľ objet ďune glose défínitionnelle : «il (eile) a trop de ruse pour se laisser tromper ». *.■.;.. i- 4.1.3. Les types ď exemples, leurrole etleurplace -s k\ :.<■ -■■/;;■[ r Les exemples sont offerts au lecteur pour le faire bénéficier ď énoncés \ dans lesquels se trouve le mot qui fait ľ objet de Particle. Les exemples sont dits forgés ou cités : les exemples forgés sont construits par le lexicographe et ne sont done pas signés ; les exemples cités sont extraits par le lexicographe de ľoeuvre d'un auteur - écrivain, scientifique, chanteur, dialoguiste de film, etc. - et ils sont done signés et souvent references. De maniere generale, les exemples, qu'ils soient forgés ou cités, sont destines ä presenter la diversité ďemplois du mot et ä éclairer ainsi les definitions. Lorsqu'il s'agit d'exemples forgés, le lexicographe a en principe á coeur de choisir des énoncés caractéristiques choisis en synchronic et á dessein pour le dictionnaire. En revanche, les exemples cités font intervenir des auteurs qui n'ont pas écrit pour le dictionnaire et dont les énoncés sont retenus parce qu'ils se prétent ä illustrer les definitions rédigées par le lexicographe. Ils ne correspondent pas toujours á la synchronic propre au dictionnaire : citer Montaigne, Corneille ou Marivaux dans un dictionnaire du XXe siěcle relěve forcément ďun choix culturel échappant ä la logique ďun corpus con9u en fonetion ďun état de langue précis. Dans ľidéal, á la maniere du TLF, les lexicographes partent ďun corpus \ de textes défini au préalable dans les limites ďune perióde donnée, ce corpus offrant des attestations d'emplois qui permettent de rédiger les articles en analysant et classant les différents emplois constatés. En ce cas, ľexemple precede méthodologiquement ľacte définitoire, merne s'il est installé en definitive aprěs la definition. II serait cependant utopique de penser que touš les dictionnaires sont ainsi confus ä partir de ce que ľ on appelle une linguistique de corpus. II est trěs frequent en effet, notamment pour les dictionnaires fondés sur la revision des editions précédentes ou qui résultent de compilations, que la citation soit choisie a posteriori. Une rapide comparaison des exemples forgés et des exemples cités permet de nuancer ľ affirmation courante selon laquelle ľexemple cite correspond ä une attestation indiscutable donnant au dictionnaire une forte legitimite. En realite, ľexemple cite reléve du discours ďun auteur plus que de la langue generale, contrairement á ľexemple forgé, le mot mis en scene 175 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture incarne en effet parfois les connotations propres ä son auteur et il relěve ďun texte porteur d'un style, done en écart par rapport ä la norme moyenne. II va sans dire que si le lexicographe offrait un exemple forge en lui donnant un style littéraire, il ne serait pas credible. Du méme coup, les deux ont leur utilité. L'exemple forgé tient de ľusage, le plus représentatif possible de ce que la langue offre, en tant que somme de discours, et ľon est du côté de la competence. Ľ exemple cite tient au contraire du discours personnalisé, et ľon se situe du côté de la performance. En ce qui concerne les exemples forgés, il faut certes partir du principe que le lexicographe est un médiateur privilégiá de la langue. II représente en effet ľ interprete de la communauté de par son aptitude ä relever et presenter les usages courants d'un mot, avec ses fréquentes collocations et cooccurrences, avec ses différents actants et son usuelle phraséologie. Ainsi s'explique d'ailleurs que ľ exemple forgé ne dépasse pas en principe la dimension d'une phrase et peut méme se limiter á un syntagme, alors que ľ exemple cite représente presque toujours une phrase, parfois davantage. Ajoutons que la citation est parfois choisie pour son panache culturel qui n'est pas sans séduire le lecteur. Ce qui a pu faire dire que la citation relevait de ľencyclopédie..., alors méme qu'elle est le fait du dictionnaire de langue. II importe enfin de rappeler que ľ article de dictionnaire restant un espace-temps mesuré, qu'il s'agisse de la limite d'espace de ľimprimé ou de la limite acceptable du temps de consultation, ľ exemple vient souvent au secours de la definition pour la nuancer, la restreindre ou ľélargir en la complétant du côté des savoirs encyclopédiques ou des connotations du mot. Ainsi, «l'huile nage sur ľeau » fait office d'exemple et d'information tout comme un mot ordurier fait souvent ľ objet d'une citation extraite d'un écrivain reconnu pour en legitimer la presence. II va sans dire que ľ exemple est aussi le lieu ou s'exprime parfois plus ou moins heureusement le lexicographe auquel échappe un sentiment personnel. Ainsi, trouver dans le Dictionnaire Bordas (8-12 ans) de 1985 ľ exemple suivant pour dénoter peut surprendre : «Le grand nez, le haut front de notre camarade dénotaient un caractěre hardi et fier ». Qu'il s'agisse du choix plus ou moins partial ou judicieux des citations, du caractěre plus ou moins neutře de ľ exemple forgé, normatif ou inattendu, general ou singulier, ľexemple, pas moins consulté que la definition, reste ľun des 176 Au cceur d'un dictionnaire talons d'Achille du dictionnaire. La liberté ici laissée au lexicographe en fait tout á la fois une pierre angulaire et une pierre de touche de ľ article. 4.1.4. Les proverbes, sentences et maximes \-\-j Le traitement lexicographique des proverbes, sentences et maximes, adages, dictons, etc., reste une difficulté pour touš les dictionnaires. En tant qu'énoncés présentant des caractěres formeis stables, relevant de la sagesse pratique et populaire, souvent formulés de maniere expressive, ils font partie de la langue tout en relevant ď une forme de citation anonyme. Dans les premiers dictionnaires, ils étaient places en fin ďarticle sous ľadresse paraissant la meilleure, precedes de la marque «Prôv. » qui, au reste, annongait aussi les expressions. Ainsi, « Ä ľimpossible nul n'est tenú » sera rangé sous impossible comme c'est encore le cas dans le Petit Larousse. On les regroupe également en liste, par exemple dans les pages roses du Petit Larousse ; ils sont alors donnés dans ľordre alphabétique du premier mot lexical du proverbe : « Bon sang ne saurait mentir » precede «(Les) bons comptes font les bons amis ». Ce classement formel rattrape la difficulté qu'a le lexicographe á choisir ľarticle sous lequel installer le proverbe. Leur traitement est trěs aléatoire : ainsi on ne trouvera « ä bon chat, bon rat» ni sous chat ni sous rat; en revanche, sous impossible, sera mentionné « A ľimpossible nul n'est tenu », figurant aussi dans la liste des proverbes. C'est á bon escient que sont rassemblés dans le Petit Larousse au sein des pages roses, les locutions latines, grecques et étrangéres (Alea jacta est, time is money, etc.), les proverbes, sentences et maximes, et depuis 2000 les mots historiques (L'Etat c'est moi; Tout est perdu fors l'honneur) trěs proches des proverbes. On peut étre surpris de trouver parfois un tableau trěs complet de proverbes á ľarticle proverbe, comme dans le Dictionnaire usuel Quillet Flammarion (1956). De fait, difficiles á cerner, relevant de la phraséologie, ces formulés figées de la langue restent d'un traitement trěs aléatoire d'un dictionnaire á ľautre et merne d'un proverbe á ľautre. 4.1.5. Les remarques Elles passent souvent inaper^ues dans le regard ďensemble porté sur un dictionnaire, parce qu'elles concernent peu de mots. Ainsi dans le Petit Robert de 1993, on en trouvera 327 disséminées á leur place, en fin de definition ou d'article. Elles permettent d'apporter des informations 177 Les dictionnaires frangais ; outils d'une langue et ďune culture ponctuelles sur un mot, informations impossibles á insérer dans la definition ou dans ľexemple. Elles peuvent concerner une collocation presque exclusive (aborigěne surtout attesté dans aborigěne ď Austrálie), un feminin rare (autrice ; acquéresse pour la langue juridique), un usage regional (adieu pour bonjour et au revoir dans le midi). Elles permettent de signaler un anglicisme sans ľenregistrer (« grasping-reflex » pour agrippement), une faute courante (avoir été en concurrence avec le familier étre alle : «je suis alle oü vous avez été »), des confusions á éviter (anoblir ä différencier de ennoblir), une conjugaison rare (becter, qui ne connait pour ainsi dire que le participe passé et ľinfinitif), signaler un rapport étymologique (le brésil, un bois qui a donné le nom au pays), etc. Au moment oů le feminin des noms de metiers et les propositions de rectifications orthographiques mettent souvent dans ľembarras le lexicographe, les remarques constituent le lieu privilégié des justifications et des nuances. La remarque représente un lieu de respiration pour le lexicographe : peut-étre pourrait-elle méme étre développée, eile a en effet le mérite de rappeler que le dictionnaire est un lieu ďinterprétation. 4.1.6. Le développement encyclopédique Ce type de développement ajouté á la partie de ľarticle consacrée ä la langue est né dans le sillage de Dupiney de Vorepierre qui le pratiqua dans son Dictionnaire frangais illustre de 1847 et qui en donna ľidée á Larousse. Si dans le Grand Dictionnaire universell le développement encyclopédique fut hypertrophié, pouvant s'étaler parfois sur plus de dix pages, on en retrouve ľapplication tres raisonnable dans le Petit Larousse. Un développement encyclopédique est par exemple propose, démarqué par un carré noir, á la suite des definitions consacrées á Y océanologie, ä Yécologie, au cirque ou á la dent. Ces syntheses explicatives, parfois problématisées, peuvent étre relayées par des illustrations. Ces développements permettent ď aller au-delá des différents sens du mot et d'ouvrir sur une reflexion qui dépasse le cadre de la description en langue pour répondre ä la curiosité du lecteur sur des sujets classiques (les dents) ou en pleine evolution (ľécologie). Ľhypertextualité propre aux dictionnaires sur support electronique permet ici des mises en réseaux fructueuses pouvant déboucher sur des sites informatiques, á la maniere du Grand Larousse illustre (2005). 178 -'.'lU.f Au cceur ďun dictionnaire 4.2. De la hierarchie des sens ä ľarborescence des definitions Confronté ä la definition d'un mot, le lexicographe doit choisir une maniere d'appréhender la signification de celui-ci. Cependant, comme presque aucun mot n'est limite á un seul sens (monosémie), il lui faut en realite savoir rendre compte de la polysémie et par consequent hiérarchiser les sens du mot á définir. Comment alors les organiser ? En théorie, les choix possibles sont assez clairs et ceux-ci étant decides, le traitement de tous les articles du dictionnaire pourrait étre homogene. Cette homogénéité est en fait utopique. En effet, force mots appelant une description spécifique, les choix premiers sont fréquemment mis en défaut. La simple comparaison de quelques dictionnaires permet par ailleurs de constater que chaque lexicographe découpe la realite selon sa perception, merne lorsque des consignes précises ont été données. Ce qui permet au reste de relativiser ľ arbitrage ideal que les non-spécialistes imaginent trouver dans les dictionnaires. On peut cependant retenir trois perspectives générales. Une premiere orientation est celie consistant á tenir compte prioritairement de la frequence. Ainsi, le sens le plus frequent sera donne en premier, puis viendront les sens plus rares. Cette demarche correspond notamment aux dictionnaires présentés en synchronic Cela étant, mesurer en permanence la frequence étant chose difficile, cette orientation n'a rien d'absolu. C'était ľoption choisie par le Grand Larousse de la langue franqaise. La deuxiěme orientation, de type logique, consiste ä partir du sens general pour offrir ensuite les sens spécifíques. Au cours de la seconde moitié du XVIIP siěcle, on a commence á distinguer ce qui relevait des sens propres, prioritaires, de ce qui relevait des sens figures, qui en découlent par analogic Partir des sens les plus généraux, relevant de la langue usuelle, pour aboutir aux acceptions scientifiques ou techniques, relevant des langues de spécialités, a le mérite de rendre plus facile ľélaboration de ľ article et sa consultation. Les articles de nos grands dictionnaires philologiques du XXe siěcle, le Dictionnaire general de Hatzfeld et Darmesteter et le TLF, correspondent en partie ä ce choix. C'est aussi globalement le choix opéré par les lexicographes du Petit Larousse. La troisiěme perspective est celie souhaitée par Littré dans son approche historique. Pour ce faire, il fallait attendre les recherches lancées au debut 179 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture du XIXe siěcle dans le cadre de la linguistique historique et comparée, et dont le Dictionnaire general de la fin du siěcle sera le meilleur receptacle. Choisir revolution chronologique comme trame est culturellement trěs satisfaisant, mais c'est inversement condamner le lecteur á lire tout Particle pour retrouver le sens le plus general. Dans les faits, les lexicographes doivent composer entre les trois possibilités offertes pour rendre le meilleur service au lecteur. C'est ainsi qu'il n'est aucun grand dictionnaire destine au public qui se présente tout d'une piece quant aux choix théoriques présidant á la hierarchie des sens. 5. La microstructure : les choix dictionnairiques Les choix dictionnairiques sont ici trěs nombreux. Ils concernent en effet la visibilité de ľ article en tant que structure complexe que segmentent respectivement les definitions, les exemples cités, forgés, les remarques, etc. Les choix typographiques, et ceux correspondant á la disposition plus ou moins aérée des différents elements, sont suffisamment essentiels pour qu'ils soient parfaitement perceptibles pour le lecteur. II suffit de mettre le Littré et le TLF côte ä côte pour constater combien la critique a eu par exemple raison de louer les choix typographiques opérés pour le TLF, II faut cependant aller au-delá de ľ exemple magistral donne par la structuration dictionnairique clairement hiérarchisée (par des chiffres romains, I, II, et arabes, 1, 2) du Dictionnaire general (1900) de Hatzfeld et Darmesteter, modélisant pour le XXe siěcle. Ľinformatisation récente des dictionnaires a rendu en effet encore plus rigoureuse la structuration des articles en contraignant le lexicographe ä bien démarquer les différentes parties de ľarticle par des balises précises, entrainant une analyse toujours plus fine. On retiendra, par exemple, que dans le TLF, plus de 40 objets textuels différents sont ä prendre en compte (de la vedette aux exemples, en passant par les codes grammaticaux, les indicateurs de domaine, stylistiques, etc.) et qu'un article peut bénéfícier d'une profondeur hiérarchique de 20 articulations, la moyenne restant entre la demi-douzaine et la douzaine ď articulations successives. Cette complexité accrue de la microstructure est également perceptible dans les dictionnaires en un volume. Ainsi, pour ľédition refondue du Petit 180 Au cceurďun dictionnaire Robert en 2002, est signále ďemblée «le balisage logique du texte qui constitue une source d' informations constamment disponibles et modifiables ». Rendue imperative par ľinformatisation, la mise en place de balises devient désormais prépondérante dans ľélaboration du dictionnaire. Au-delä des lettres et des chiffres, les balises (losanges, carrés noirs ou blancs, fléches simples, doubles, tirets, etc.) sont aujourďhui plus nombreuses encore sur le support informatique, visibles ou cachées, prétes á servir toutes sortes de requétes informatiques. Cest ainsi que le metier de lexicographe se metamorphose : de plus en plus ďéditeurs exigent en effet que ľarticle soit directement rédigé sur ľordinateur en tenant compte děs le depart de la totalite des paramětres. On élabore ainsi avant la redaction du dictionnaire une DTD (Description de Type de Document) qui a pour objectif de définir informatiquement toutes les entités alors ordonnées et hiérarchisées pouvant intervenir. Une fois établie, cette DTD permet de concocter un masque de saisie que remplit le lexicographe. Y sont par exemple programmées toutes les categories grammaticales, toutes les marques de domaine, aisément appelées sur un menu déroulant. A dire vrai, il s'agit d'un progres dictionnairique certain : le travail informatisé remis ä ľéditeur permet effectivement une mise en page automatique, une reduction sensible des délais et des coüts de production, avec surtout, ä partir d'une méme base, un contenu directement exploitable pour fabriquer le dictionnaire imprimé ou informatisé. Deux écueils sont cependant ä souligner. Tout d'abord, ľélaboration d'une bonne DTD suppose que soient déjá prévus touš les problěmes rencontres, ce qui peut se concevoir pour les rééditions ou les dictionnaires anciens et ce qui reste aléatoire pour un nouveau dictionnaire. Ensuite, il est frequent qu'une fois la DTD constituée, ä la faveur de ľanalyse conduite ä propos d'un mot dont on bätit ľarticle, surgisse une nouvelle entite qui n'a pas été prévue dans la DTD. Si une DTD doit rester ouverte, dans les faits, eile est souvent difficile ä modifier en cours de route. Enfin, tout en reconnaissant les progres de la lexicographic, on peut se prendre ä réver des articles de ľ Academie, jusqu'ä la huitiěme edition, ou du Petit Larousse jusqu'au millésime 1988, munis de definitions non numérotées. Elles offraient en effet un avantage : en lisant ľarticle d'une traite, on y percevait mieux combien le mot n'est pas un element dissécable ä ľinfini au gré des analyses, fussent-elles éminemment scientifiques. Qui peut dire qu'un mot polysémique comprend 8, 10, 12 ou 15 sens? Les gens de lettres et plus 181 Les dictionnaires faangais : outils d'une langue et d'une culture particu-liěrement les poětes savent bien que le sens du mot est souvent entre les sens, en osmose, plus que dans une case prédéterminée. La lecture d'un article sans balisage excessif favorisait cette approche qui mérite aussi d'etre rappelée. Quoi qu'il en soit, on ne saurait mieux souligner ä travers la DTD, con^ue en amont du produit, combien lexicographic et dictionnairique sont indissolublement liées. 6. L'illustration On terminera ce chapitre en évoquant l'illustration dans les dictionnaires, domaine ď etude peu exploité par les chercheurs et cependant riche d'informations sur les referents et les technolectes, sans oublier la dimension onomasiologique y correspondant. Proposer une terminologie clarificatrice est done nécessaire au moment oü, par le biais notamment des supports informatiques, l'illustration accompagne de plus en plus ľ information linguistique et encyclopédique. On nous pardonnera ici d'utiliser une métalangue : une terminologie s'impose en effet pour la presentation d'une typologie opératoire des illustrations lexicographiques. Un premier niveau d'analyse est celui portant sur la maniere concrete de presenter l'illustration, en somme ce qui concerne le « signifiant», ici visuel. II faut distinguer tout d'abord l'illustration monofigurale de l'illustration polyfígurale, c'est-á-dire celle qui, pour un referent donne, n'en donne qu'une figure (une seule ancre pour illustrer ľarticle aneré) de celle qui en donne plusieurs (plusieurs aneres pour le merne article). Vient ensuite le traitement merne du referent représenté, qui peut correspondre á une illustration totale ou partielle, le referent étant donne soit dans son intégralité (un oiseau tout entier) ou en n'en présentant qu'une partie significative, considérée comme süffisante (la seule tete de ľoiseau). L'illustration peut également étre syntagmatique ou paradigmatique. c'est-ä-dire offrant le referent dans son contexte (le tournevis tenú par une main et fíché dans une vis) ou sans contexte (le tournevis seul). On y ajoutera l'illustration scalaire ou ascalaire, c'est-ä-dire l'illustration ou le referent bénéficie d'une échelle perceptible, que celle-ci soit donnée en legende ou que le contexte ľexplique (un baobab avec un personnage, ou dont la hauteur est mentionnée) ou bien sans échelle (le baobab en découpe, sans contexte). Enfin, il faut évoquer l'illustration anaphorique, c'est-ä- 182 j-v.u..'. Au cceurďun dictionnaire dire celie qui reprend un detail du referent présenté dans un encadré au sein de ľ image, ä la maniere d'une loupe. Par exemple un terrain de basket-ball avec un encart ou figure l'un des deux paniers. Le second niveau ď analyse porte sur la maniere de traiter les informations apportées par le referent, on s'intéresse alors au « signifié » de l'illustration. Ainsi, on opposera d'abord ce qu'on appelle l'illustration simple, qui n'a pas ď autre objet que la representation du referent, par exemple le dessin ou la Photographie d'un telephone portable sans autre information, d'une illustration complexe, qui constitue un relais pour d'autres informations, le telephone portable assorti d'une terminologie, d'un commentaire, etc. Cette illustration complexe peut en effet prendre quatre formes principales. II peut d'abord s'agir d'une illustration complexe terminologique, c'est-a-dire que l'illustration du referent est accompagnée d'une nomenclature technique désignant les divers elements d'un moteur, d'un voilier, etc. Elle peut ensuite étre typologique, en offrant ainsi différents types ďaraignées, de chiens, de voitures, etc. Elle peut encore étre plurielle, c'est-á-dire permettant de découvrir sous diverses facettes un méme referent, par exemple un avion en vue externe puis interne, ou encore un animal dans ses différentes postures, un oiseau posé sur une branche mais aussi en vol, un chien sur ses partes et couché, etc. Vient enfin l'illustration ordonnée correspondant á un ensemble organise de figures qui seront presentees, « ordonnées » selon un processus chronologique ou logique. Ainsi, pour illustrer un accouchement ou une écluse, on peut disposer de plusieurs figures offrant les différentes phases de ľenfantement ou les étapes successives du passage d'un bateau. L'illustration ordonnée peut aussi étre logique, lorsqu'elle traduit par exemple le cycle biologique par un schéma illustre approprié, assorti de différentes flěches. Ľ ensemble de ces processus a indéniablement pris un développement particulier dans la seconde moitié du XXe siécle, en ne concernant pas que les dictionnaires encyclopédiques. Ainsi derriére le Quillet de la langue frangaise (1946), premier dictionnaire de langue á étre illustre, le Nouveau Dictionnaire frangais contemporain illustre (1980) et le Lexis, dans sa deuxiéme edition en 1989, ouvraient la voie. L'informatisation des dictionnaires relan9ait également la demarche. On pense par exemple au cédérom du Robert Junior, dictionnaire de langue frangaise (1999), dans lequel L. Catach installait une «banque d'images », constituée de 1 400 illustrations au service de 8 000 mots. L'illustration 183 L%$ ($ě0o$naires frangais :. outih cľune langue et ďune culture amplifie «le réseau analogique initial du Robert Junior en autorisant un systéme de navigation ä ľintérieur merne des médias », le tout permettant des regroupements thématiques, est-il ainsi precise dans le guide ď accompagnement Au moment ou ľinformatique permet la navigation rapide d'une information á ľ autre, il ne fait pas de doute que ľutilisateur ne restera pas longtemps sans exiger une illustration representant par exemple une charpente pour appuyer la definition du poingon, ainsi libellée dans le Petit Robert 2005 : «Piece verticale ďune ferrne reliant Ventrait aufaitage, sur laquelle s'appuient les arbalétriers ». 184 -4\V CONCLUSION «Touš les Gens de Lettres sont ďaccord qu'il n'y scauroit avoir trop de dictionnaires.» Furetiěre, : >'"' ' < - ■■■ • ' Nouveau recueil desfactums, 1694. II n'est guěre utile au terme de ce parcours historique, typologique et méthodologique d'insister sur les richesses souvent insoup9onnées des dictionnaires. Au fur et á mesure qu'on entre en effet dans l'univers propre ä ce genre particulier, on perfoit combien il reflěte ä la fois ľhistoire de la langue, ľhistoire de la civilisation, tout en apportant des éclairages théoriques sur le lexique de la langue fŕanfaise et sur son fonctionnement. On espěre par ailleurs avoir convaincu chacun, linguiste, littéraire ou historien, ou encore tout simplement curieux, que la consultation des dictionnaires représente un préalable essentiel pour toute etude profonde d'un sujet, quel qu'il soit. Cette consultation ne peut cependant étre efficace que si eile est éclairée, c'est-ä-dire réinterprétée en fonction de la connaissance des motivations des lexicographes ďune part, et du contexte ď autre part. La nomenclature retenue, la maniere de ľorganiser, le traitement des articles, les informations apportées mais aussi celieš qui ont été exclues, tout cela doit étre décrypté en prenant en compte tous les elements historiques et analytiques qui ont été présentés. Rien n'est plus dommageable en effet ä la recherche qu'une information extirpée d'un dictionnaire et admise telle quelle, de maniere naive, sans toutes les precautions d'interpretation qui s'imposent. 185 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture Inversement, s'avere particuliěrement riche ď exploitations la multiplicité des éclairages offerts, qu'il s'agisse des types de classements, formeis et sémantiques ou bien de touš les paramětres distinctifs differencial nettement le contenu des dictionnaires. C'est ainsi que pour une méme periodě, on a la chance de disposer de regards trěs divers sur la langue et ľunivers. On y gagne au passage le goůt de la nuance sans laquelle il n'est pas d'analyse objective. Enfin, au-delä de la recherche avec ses diverses fmalités, celieš propres ä chaque quéte scientifique, il ne conviendrait surtout pas ďoublier le bonheur simple qu'offrent les dictionnaires ďhier et ďaujourďhui, celui de la découverte insouciante et propice ä ľévasion. Aussi rejoindra-t-on pleinement Philippe Meyer qui, dans l'une de ses chroniques chaleureuses extraite des Heureux habitants de VAveyron et des autres départements frangais (1990, Seuil), déclarait avec le sourire de celui qui arpente avec félicité les dictionnaires : « Vous verrez : en flänant sans but d'un mot á ľ autre, vous éprouverez une de ces griseries qui dure sans vous laisser de mal aux cheveux, tant les mots cueillis au hasard peuvent faire éclore dans vos esprits des sensations savoureuses.» Que les dictionnaires soient source vive de progres et de plaisir : c'est un programme galvanisant auquel on se rallie sans hésiter. 186 REPERES BIBLIOGRAPHIQUES [ OUVRAGES, ÉTUDES SUR LES DICTIONNAIRES i BOULANGER, Jean-Claude (1986). Aspects de ľ interdiction dans la lexicographic francaise contemporaine, Tübingen, Niemeyer. I BOULANGER, Jean-Claude (2003). 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S'il est possible en lexicologie de n'étudier qu'un mot isolé, la lexicographie suppose ľétude d'un ensemble de mots classes, soit sémantiquement, en fonction de leur sens, soit formellement, en fonction de leur forme. Les classements sémantiques sont synonymiques, analogiques, méthodiques ou idéologiques. Les classements formeis sont alphabétiques, morphologiques ou étymologiques. (p. 109-118) Dictionnaire (du lat. dictio, action de dire). Recueil de mots d'une ou plusieurs langues, réunis selon un classement et des critěres d'information precises pour un public défini. II est monolingue ou bilingue, general, de langue ou encyclopédique, specialise dans la langue ou de špecialite, de ľentreprise ou de ľinstitution. En un volume ou plusieurs, imprimé ou sur support informatique, il peut étre extensif ou sélectif, descriptif ou prescriptif, de décodage ou d'encodage, offert en diachronie ou en synchronic (p. 119-157) Definition (du lat. definire, determiner, delimiter et definition action de fixer). Information donnée souvent de maniere périphrastique sur le sens et le referent d'un mot, en fonction d'une analyse explicite de ce dernier pour un public en quote de renseignements dans un recueil de mots. La 191 Les dictionnaires frangais : outils ďune langue et ďune culture definition peut étre logique, ou construite par equivalence ou antonymie, par rattachement notionnel ou morphologique. Elle peut étre aussi métalinguistique, conventionnelle ou naturelle, (p. 172-175) Encyclopedic (du gr. egkuklios paidela, cycle du savoir constituant une instruction complete). Ouvrage dans lequel les connaissances humaines, tout ou partie, sont présentées ä la suite de mots perfus comme des themes, offerts dans un ordre alphabétique ou thématique. (p. 123-125) Exemple (du lat. exemplum, échantillon, de emere, prendre). Enoncé forgé par le lexicographe ou tiré d'un auteur - une citation - qui illustre et cautionne l'usage du mot tout en pouvant assumer diverses autres fonctions. (p. 175-177) Illustration (du lat. lustrare, éclairer). Representation ä ľaide d'une figure, gravure, image, Photographie, film, en noir et blane ou en couleurs, qui est adjointe ä un article pour completer, rendre plus claire ou plus attrayante une information. Ľ illustration peut étre monofigurale ou polyfigurale, totale ou partielle, syntagmatique ou paradigmatique, scalaire ou ascalaire, anaphorique, simple ou complexe (terminologique, typologique, plurielle, ordonnée). (p. 182-184) Lexicographic (du gr. lexicon et graphein, écrire) / Dictionnairique (attesté au XVIf siěcle). Au sens traditionnel du terme, la lexicographic designe les sciences et techniques d'élaboration de dictionnaires. Depuis la fin du XXe siěcle, on présente en opposition complémentaire la lexicographic, recherche scientifique conduite sur un ensemble de mots, qui peut ne pas aboutir á un dictionnaire, et la dictionnairique, ľensemble des pratiques et des savoirs mis en ceuvre pour presenter les résultats de la recherche dans un dictionnaire con 1787 Féraud, Diet critique de la langue franqaise : 57, 107 1798 5e edition, Diet, de ľ Academie franqaise : 56, 61 1800 Boiste, Diet universel de la langue franqaise : 65 1801 De Wailly, Nouveau vocabulaire franqais : 66 1809 Francois Guizot, Nouveau Diet, universel des synonymes : 60 1813 Claude-Marie Gattel, Diet, universel de la langue franqaise : 66 1820 Jean-Charles Laveaux, Nouv. 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