TEXTES CHRISTIAN PRIGENT POUR LECTURE À BRNO 23 JUILLET 2010 1-C’est un enfant qui parle……………………………… 18 mn 2-Une leçon de littérature……………………………….. 15 mn 3-Adieu……………………………………………………….. 10 mn ----------- = 43 mn C’est un enfant qui parle (extrait deGrand-mère Quéquette, POL, 2003) Moi je crains le jars qu’a de l’appétit pour mes p’tits mollets. Je crains le cheval car ses dents sont grandes et son sabot dur. Je crains la vache pas trop pour la corne ni la bousculade mais pour dérapage le cul dans la bouse. Je crains le bouc à cause qu’il pue et que sa corne est plus pointue. Je crains le mouton en blason de corporation pour la boucherie porteuse de fanion avec croix de gueules : ça évoque dégoulis sanglant. Et de Boucherie je crains le Congrès pour rire en Eglise de Sainte Mercy. Je crains le mouton même au naturel : si son front est bas et son pensé court, il a des tendances genre bull-dozer à foncer dans tout qui bouge, dont moi. Je crains le chienchien aux penchants serviles : il a bien du vice et du croc retors en hypocrisie. Je crains chauve-souris pour mes épis. Je crains, je l’ai dit, la hyène qui trotte et croque dans mes nuits. Je crains le griffon le soir sur le blason municipal, même diffamé par l’écaillé, même morné par les années, même démembré par la lézarde. Je crains le shoot de la biquette, la griffe du matou, le bec de la poule, le dard de la guêpe, la bave de limace, l’acide de fourmi, l’œil de la hulotte, la pince du crabe, la patte ravisseuse de la mante religieuse et la mandibule de je ne sais quoi, cétoine ou chalcide ou puce des planches. Et même le concombre fugitif en louche et la ronce aiguë et l’ortie en soupe. Je crains le foin de cul de l’artichaut qui bloque la glotte avec du toussé et du suffoqué et l’urtication et l’acidité et le foie de veau. Je crains le gnon, le bleu et l’écorchure et le groseillier d’épines à maquereau, rien que pour le mot. Je crains manger et pas manger, dormir et pas dormir et ça promet pire pour à venir. Je crains déprime, débloque et coup de mou. Je crains rage de dents, assez souvent, et le désamour des miens et des miennes, pour toujours. Je crains beaucoup savoir, pas savoir un peu, et l’inverse aussi, et ce à jamais. Je crains bobos, gale, poux, pus, impétigos et le reboutage vite fait en torsion de l’os déboîté pour cause de gadin. Je crains pas encore chair patraque en bloc par usure en vrac et barbaques broutées par le capricorne ou pourries cancer, encombres et bouchons en porte d’aorte et les desveries et fuites de pipi de fin de partie, mais mon petit doigt se prive pas de dire que ça va venir. Je crains pour l’instant grands et petits soins, pas assez comme trop. Et, si soins, je crains abus et débords, effets indésirables et réactions sévères, usages usurpés et posologies inappropriées et dépassement de dose prescrite et qu’on m’appliqua médoc pas pour moi. Je crains suite à ça conséquences terribles allergiques en bloc à aspect de cloques. Je crains œdème par voie cutanée, crampes abdominales, brûlures d’œsophage, colite membraneuse, perte d’appétit et pancréatite (rare mais si pour un ce sera pour moi) et qu’on oublia, par exemple Grand-mère qu’a des distractions en rôle infirmière depuis ses retraites et repli de Berck, la date limite d’utilisation. Je crains si je lis en très tout petit, écrit sur papiers pliés dans des boîtes ou étuis à trucs en forme de cachets, lésions pas jolies, érythèmes confus vu que polymorphes, purée purpura dans le vasculaire puis la déripette et démangeaisons par photosensibilisation, ça, ça impressionne : on comprend que couic mais on pressent bien que ça peut faire couac. Je crains luxations musculaires et/ou colères articulaires qui peuvent survenir, et ça surviendra même si je croise les doigts, au talon d’Achille avec des ruptures et des tendinites dès le premier jour et sur les deux pattes. Je crains convulsions, troubles du sommeil, hallucinations d’envols de chameaux entre les moineaux, mirages de palmiers parmi les pommiers, vertiges dans les cannes, confusion partout, irritabilité des morosités et fourmillements des extrémités exceptionnellement mais sûr que pour toi se dit ma pétoche ça sera la règle et pas sûr par contre que sur la notice on n’ait pas omis pire comme avanie. Je crains élévation subite de picotements en périphéries sans motif moustiques, tiques ou aoûtats. Je crains bruits et bourdonnements en tubes de dedans, voire carillons et sifflements, même si silence autour entièrement, et larmoiement sans cause d’oignons ni petit chagrin et pipi au lit par perte de contrôle sur les anxiétés. Je crains désorientation des contractions et dépression de cellules mortes et infection de respiration et aggravation de myasthénie qu’on n’aurait pas dite à lui, toi, ou elle, et surtout à moi. Je crains que ça gonfle partout dans mes viandes, gorge, lèvres, langue, face, valve d’iléon, ballon d’estomac et tranches de foie, avec la nausée à tous les quatre-heures, le dégobillé à chaque cuillérée et difficultés dès petit lever à respirer. Je crains des faiblesses anormalement en stock de globules, plaquettes et jetons par insuffisance, non diagnostiquée lors de la visite en tricot de peau avec les scolaires au dispensaire, en G6PD. Je crains crue d’urée et élévation urgente des enzymes et flux de substances et créatinine en jus plasmatique, ça n’arrive qu’à peu mais homme de peu est mon petit nom, souvent, ça alerte. Je crains même parfois, mieux vaut s’avertir, infection candide en fond de vagin avec le lichen vert parasitaire et les champignons petits mais roublards : pourraient pour changer virer l’habitus et squatter même moi où suis pas fendu car pas comme ma sœur mais en gros pareil question petits malheurs. Et dans le décor je crains par prescience vive des malfaisances ce qui va venir nous pourrir l’envie d’adorer Nature, dont l’invasion des plages locales par la crépidule et son acolyte verdâtre et visqueuse dite caulerpa ou taxifolia et pire son sbire la moule à rayures qui bouche les tuyaux de nos lavabos et cette grande coquine de perche du Nil qui décime la tanche hôte de nos étangs de même la fourmi énorme d’Argentine ou Patagonie avec son neurone éjaculatoire bourré phéromone en horde au jardin et la mouche sans nom en formation déjà au Stymphale ou en Tartarie qui pondra bientôt ses asticots dans le cerveau de nos petits veaux. Je crains in praesentia ce qui est là comme instruments épouvantants. Je crains le croc, le couperet, la ou le esse, la feuille et le fusil au moins autant pour quoi en faire que pour que j’en sens le fer dans ma chair. Je crains la binette, la houe, la serpette, la doloire et la balayette et les oxyures. Je crains le bedane, le bec, l’ébauchoir, la hie, l’herminette, surtout la varlope vu rime à salope et que ça me tombe sur les molletons quand maman m’envoie pour l’aise du chat chercher de la sciure en fond de cabane. Je crains la baratte et la lessiveuse et coincer mes doigts dans la chaîne de bicyclette. Je crains plus encore le glapis des dames et la grogne des hommes et leur propension à jouer de la pogne et l’instinct soudard suite au pinard. Je crains Jean Celton qui a des pulsions torgnole et baston après les bolées et de la poussée de rouste aux lardons. Je crains Tata Julou qui a toujours mal partout, «term-term a ya da goz» dit à ce propos Grand-mère en celtique (égal : qui gémit sans cesse va jusqu’à pas d’âge), je la crains beaucoup et pour très longtemps : vraie vache en rapport sur toute incartade et la vacherie ça vous tient la tête en éveil à tout d’où qu’elle a la sienne malgré le pécule des petites misères à force de printemps en état impec surtout dans le style je guette le craspec et je ravitaille coins de punition et clou des faits au pilori avec du lapin levé à tout vent. Et même au dit lapin confit en douceur dans des puanteurs pipies et sucrées de fond de clapier moi dans mes terreurs d’enfant du banal j’adresse cette prière : Ne me menace pas lapin à l’œil de côté. N’a masse pas pâle tes crottes en mottes pour ma face. Ne crie pas ton énorme cri de goret qu’on saigne. Ne mords pas au sang la lapine en rut. Ne la quitte pas nerveusement. Ne tombe pas en arrière comme mort après l’union. Règne simplement dans l’ombre en douceur tapis de douceur fourreau de douceur poil de la douceur de ta longue lente imparable peur. Que ça me rappelle que j’ai peur aussi et plus nu plus pâle plus criant encore dans le clapier clos de mon corps ». Au loin les enfants de même acabit que moi vu en gros partagent des jeux d’enfants qui font semblant de faire comme les grands. C’est-à-dire qui causent surtout sur du peu, qui poussent la jacasse dès potron-jacquet, qui dépensent salive jusqu’à couvre-feu, qui ont des passions pour état du temps et pluviométries, qu’affichent opinions sur tout et son père et la parentèle et monsieur le maire et où vont nos sous et l’imposition sur portes & fenêtres et qu’occupent le pont tôt pour y penser sans précipité en fin de journée, qui s’agitent la viande, qui turbinent actions selon le patron qui se remuent cul, qui torchent lardons, qui se foutent des gnons, qui se bourrent le pif, qui se jettent injures par-dessus clôtures, qui engueulent cabots, qui bottent cul du chat, qui coursent la poulaille et la congénère, qui se collent bisous, qui s’explorent les trous réciproquement, qui se s’couent l’échine l’un par-dessus l’une et s’égouttent tuyau l’autre en trou de quelque, qui taillent des bâtons, qu’entassent des cailloux, qui bérouettent du bois, qui comptent la picaille, qui échangent monnaie contre épiceries, qui troquent du truc contre du bidule, qui se grattent les croûtes, qui titillent bobos, qui se curent les choses, qui fatiguent salade, qui buttent la patate, qui crament mauvaises herbes, qui débitent la bûche, qui huilent bécanes, qui rincent la chopine, qui grattent huisseries et ferronneries, qui repeignent la grille et lessivent plafond, qui menuisent cabanes, qui vidangent gogues, qui balaient caveau, qui astiquent des pots, qui bricolent trucmuches, qu’alèsent du tube, qu’abrasent de la tôle, qui poncent du machin, qui rabotent du bintz, qui démerdent fripes, qui détrouent chaussettes, qui tricotent du pull, qui branchent radio pour du cogito de refrains idiots, qui graissent journal de ronds de café sur toile cirée avec attention à bal des pompiers, résultats tiercé, classements de foot et avis d’obsèques, puis sucent leurs dents avec les yeux blancs et bavent dans l’écuelle en comptant les mouches pour avoir moins peur de la grande torpeur. J’écoute Grand-mère, je re-crains à mort. Je crains qu’on me gave, à cause de lenteurs limite volontaires à sortir d’enfance et d’obstination en format minable question centimètres, d’hormones de croissance trouvées à Prisu avec du venin dedans de bêtes morte. Je crains, je l’ai lu en douce en dico d’épouvantement scientifiquement, de finir pour ça poupée ramollo ou marotte chiffon sur un matelas top avec des poulies et que croqueville ma main sur du rien, et que peu à peu ma couenne vire au bleu ou au violet moche, et que mon parfum fasse fuir même le chien, et que ma paupière jamais plus ne ferme malgré les collyres pour que je voie moi en délabrement sans digression, et qu’on prenne mes fesses pour tartine de miel sans succès notable contre les peluches de peau en jus d’pus, et que chaque jour de plus en plus vite soit un jour de moins. Je ne confie rien de ça à Grand-mère : je sais qu’elle dira que j’exagère ou que je noircis en anticipé sur du ‘core pas sûr, voire des fantaisies de futurologie. Qui vivra verra, Grand-mère sans doute pas. Mais moi qu’ai du champ, ou frère ou copain classe 45 et des environs, ça nous pend sûrement pas loin sur après. Et question menus et gastronomie, si plus droit à rien en vision de loin de tout qui fut bon par où ça passa, du gros pain pourrit et du grain se moud dans les officines d’intranquillité. Car on va manger quoi bientôt désormais jusqu’à dorénavant ? Du serpent piteux ? Du sautillé de kangourou ? Du merlan d’autruche ? De la matelote de pelotes de chat ? De la gamète de bouc en confiote ? Des boulettes de rats au sperme de chameau greffé sur le dos ? Des séquences de gras de génome en croûte ? Du sang de navet bio, cher, avec la terre ? Du clone club de bouillon Kub en packs ? Du cyberlipide en cône à lécher ou collé en patch ? Emulsions de nouilles d’hyperprotéines en gel intensif ? Du sac de cadavré d’humanidé lyophilisé ? Des petites pilules d’os recomposé ? Du code barre en barres ? Des sucrettes de générique ? Du numérisé de surnuméraire en intraveineuses ? Des gélules d’enzymes de chenille à la vanille ? Du sel de nitrate en crottes en cachous ou en berlingots ? Du cactus d’élevage ? Du label d’épis de barbe de zootie suivie en fichier par la Faculté ? Des galettes de truc en tout sauf de blé ? Des crêpes de farine de chien ? Des crêpes de ça le matin ? Des crêpes à midi de sucre de clebs ? Des crêpes de tapioca de caca d’cabot au goûter avec du sirop pur reconstitué au chlore d’H2O ? Des crêpes de poudre d’extrait de quéquette de bête à l’eau de Javel pour le petit souper érotisé dans le salon particulier avec des yeux d’hareng pasteurisé dedans pour tartiner les décolletés ? Ou du pain de merde de même farine en miches ou couronnes, ou bretzel ou pogne, ficelle ou baguette mais toujours en merde ? Ou même que le pain comme à Ézéchiel le promit Yahvé on nous le pâtisse de l’étron qui sort de nos propres corps et qu’on s’autobouffe par économie ? Voilà des questions - mais nul ne répond, le Ciel obstine sourd et Grand-mère pareil et je reste seul avec comme amis l’avant qui me fuit, l’ici qui me cuit et l’endemain qui sent fort le roussi. Une leçon de littérature en 1960 (extrait de Demain je meurs, POL, 2007) — Docteur Aimé, Professeur Papa, quoi donc bouquiner ? Car j'en ai soupé de la Rostopchine, Curwood, Jack London, Fenimore Cooper, Les Patins d'argent ou Rudyard Kipling, le Robinson suisse, Crusoë ou belge. Et le Capitaine Némo sous sa flotte, il se la joue trop professeur Nimbus, à faire le savant dans son Nautilus : ça lasse, les glouglous de scaphandrier spécialiste des faunes et des cailloux rares avec les bavasses de science pour tous en version Que sus-je ?. L'Espiègle Lili, Bécassine, Bicot, Roudoudou et Pif : c'est pour les marmots. Tout ça cocotte la péremption, maintenant que j'ai tombé en état grand. Or, après : galère, misère, quasi désert. Maurice Genevoix ? : radote gnangnan de vie aux champs et jamais un poil de mot qui dépasse de la mise en plis. Cronin ? Merci bien : sirop, gargarisme bigot. Hervé Bazin, c'est limite crétin. Cesbron, c'est cureton. Quéfellec : pareil. Bosco, c'est des histoires de bourricots. Giono, de péquenots parfumés lavande et tournés zinzins à cause des cigales. Colette, de fillettes, minettes et chic mistinguettes. Pierre Benoît, c'est des atlantides à la coque de noix et du lubrique kitsch. Agatha Christie, ça pue naphtaline et vieilles dentelles plus que l'arsenic. Saint-Ex., on périt dès dix pages d'ennui entre zincs en tôle et morale en toc. Anatole France, ça sent carrément rance. Zola ? j'ai donné, ça m'a informé sur les misères du populaire, mais ça m'a graissé au graillon la tête et mis du pâteux dans l'effort au style. Bref, j'ai lu tout ça. C'était total triste. La chair, elle fatigue, à pas exulter sous l'aiguillon de la pensée : j'en somnole encore. Et les Grands Classiques, ça bassine un peu à fleurer vieillot en morceaux choisis dans le manuel Lagarde et Michard, avec les notules pour handicapés de l'intellection et les questions pédago-bidon. — Lis les Maîtres de Joie : pas les professeurs de mélancolie, les valets du spleen, les sbires du néant, les qui voient tout noir, les pros du sarcasme, les mous dépressifs, les qu'ont du dégoût pour les jolies choses simples de la vie, Mozart, Venise, tout ça et le reste, les p’tits ortolans à la sauce caillou et l'amour normal chez les gens pareils. Vois frémir partout sensibilité, élan, la lumière. Joie : fille d'Élysée et de Clair Futur, étincelle divine. Car vie, c'est divin. La vie, on en jouit : jardin d'Épicure. Anatole France, tu craches dessus : mais il y régnait dans ce jardin-là, ratissé au poil par le pur parler de France éternelle ; ça l'empêchait pas d'avoir du penchant en peignoir velours et toque de lapin pour le socialisme. Tu médis de Saint-Éxupéry : mais aux hommes ensemble et main dans la main il montre la voie radieuse des étoiles ; ses livres, c'est exemple de victoire partout sur les dragons noirs. — Je m'en souviendrai. Ça élèvera mon âme, qui est basse ? — L'âme ? Laisse pas dire ce mot ! Vapeurs ! Pâmoisons ! Écran de fumée ! C'est de l'intérêt déguisé en flou de contour d'idées pour poudrer les yeux et qu'ils ne voient pas la réalité. Qui en cause, il ment : c'est que pommade de charlatan sur la viande du monde pour qu'il comprenne pas d'où ça vient qu'il douille. Élève ta conscience : demande à ta vie de quoi elle souffre et vois ce qui souffre autour en plus vache. Pour ça, lis Barbusse, Guilloux, André Stil. Trempe un peu l'acier avec Ostrovski. Regarde Ehrenbourg chanter la Tempête qui refait le monde. Lis Simonov et Cholokhov : qui n'est pas pygmée près de ces géants ? Donne à la souffrance de quoi réchauffer en ragaillardi : préfère qui évoque santé populaire, besoin de bonheur et fraternité. Là est vérité. Et c'est ça la tâche des qui font des livres. — J'opine, tu dis juste. Mais si fait grand moche partout alentour dans la société comme dans le moral en particulier, sans compter bobos par des anicroches ou des écorchures ? Si les maux déboulent tant par dessus que par dessous, tant de dedans que du dehors, et pleuvent sur nous très fort ? — Le mal doit sans cesse être mis au bien, par tous les moyens : rien pour la pleurniche sur les avanies, rien pour la patauge en goût d'abjection, rien qui touille mouron comme si rien à faire en acte et pensée pour mouronner moins ! Fais-toi sourd et muet de ce côté-là et ferme la trappe : sans quoi ça t'inonde et tu noies dedans. Suffit pas de peindre les hommes comme ils sont, faut montrer aussi comment ils doivent être. Bataille au dehors pour moins de malheurs. Et dedans pareil : tout pour que ça fasse du bien où ça passe, en toi comme partout. — . Mais si tout est flou ? Si rien que chaos partout ? Si vraie sensation, c'est en gros brouillard, foutoir, pneu qui fuit ? Si vérité est la conscience de ça ? Si on veut le dire, puisque vérité ? Si ce que je lis ne dit rien de ça ? Si ça parle jamais que comme tout le monde qui ne parle jamais que comme son voisin ? Ça abêtit pas ? Ça décolore rien ? Ça nous soumet pas à du radoté ? Ça fait pas qu'on dit jamais rien de soi et du monde en soi, pour soi, devant soi, en vrai, en exact, en parler vivant ? Ça fait pas qu'on cause comme des cadavres ? — Qui a dans la bouche ce cadavre-là, il doit le cracher, pas le suçoter et cuver son jus de noir de réglisse. Qui écrit en joie et veut avenir désennuagé, il doit éclaircir, éclairer, montrer et ouvrir le ciel. Démobiliser force et enthousiasme pour des faux problèmes et se délecter d'un monde sans futur, c'est crime, c'est péché. L'énergie qui pense, c'est pour transformer, pas pour ruminer la pâtée qu'est là à puer partout sans rien dire en net. Jamais se tenir à l'écart du peuple, Staline l'a écrit. Le servir sans peur, ni distractions, ni traficotage avec des lubies de pas comme quidam ou d'aigle en surplomb qui s'astique la plume en faisant sa crotte sur la basse-cour. Affronter les hommes, pas dans les salons, mais dans les usines, ateliers, M.J.C, foyers, même fête des pompiers, et goûter des vieux, et soirées dansante en salle polyvalente. Donc faire simple et clair, et réconcilier l'homme avec son père, sa mère, la terre, soi, les camarades. Aimer les humains, charnels et vivants, épanouis, conscients. Et s'enraciner dans cet amour-là. Et pousser chanson que poussé par ça. Raison froide et cœur brûlant, et en avant ! — Certes tu dis vrai, du moins, certainement. Moi j'aime bien Rimbaud : j'y comprends que couic mais ça noue mes tripes et exalte ma tête. Je dois pas lire ça ? — Nihiliste obscur ! Dépravation cérébrale. Humeur colérique et rage d'impuissance. Dernier petit pet d'une culture morte. Même lui le savait : tout ça au panier, après la Commune. «Rinçures», il l'a dit. Et adieu l'Europe des coupeurs de tifs en quatre-vingt seize. C'est classé, fini : on est revenu, et c'est Renaissance, à parler limpide, langage en direct comme au coin des rues, couleurs bleu de France, poésie utile pour rythmer l'action : lis Aragon ! Lis Paul Éluard ! Lis Jean Marcenac, Seghers, Dobzynski, Hikhmet, Neruda ! — Sans doute, sans doute… J'ai mis mon naseau dans un gros bouquin, pas pu aller loin. Mais ça en disait un bout sur la vie, m'est avis, en genre compliqué et pas bien ponctué, comme elle l'est de fait. C'était de James Joyce, Ulysse, je crois bien… — Fumier pornographe ! Ruminé salace d'une époque tarée ! Touche pipi et touille caca ! Ça grouille de vers : Radek l'a écrit, Jdanov a souscrit ! — C'est ainsi, de fait. Cependant, Kafka ? On m'a dit de ça que c'était au poil, même si ça remonte que peu le moral ? — Production frelatée ! Socialement nocif ! Nul en politique ! Morbide ! Décadent ! Complait aux désastres ! Voit l'homme que perdu, soumis, désespéré ! : bon à brûler ! — Oui, tu dis fort vrai. Mais le truc énorme avec la syntaxe qui n'en finit pas et du démêlé avec la mémoire ? L'œuvre de Marcel Proust ? — Rien qu'un chien galeux qui lèche ses plaies ! Raffinages de merdes ! Pèse ses œufs de mouche sur toiles d'araignées de psychologie d'aristocratie en déconfiture ! — Certes absolument et en vérité. Et Beckett ? On en cause parfois au bahut… — Absurde, nausée, néant ! Suicide d'espérance ! Désagrégation de l'intelligence ! Des clodos malades de pas savoir quoi faire de leurs dix doigts ! — Du moins je t'approuve, tu parles à propos. Et Marquis de Sade ? J'ai su qu'il était bon républicain, c'est pas un bon point ? Et qu'il voulait pas qu'on décapitât, ça plaide pas pour son cas ? Mais c'est pas facile de trouver ses livres chez Madame Bourhis à la biblio : elle fait les gros yeux quand on dit son nom… — T'as pas honte d'avoir mis le nez dedans ? Laurent Casanova a traité le cas : décomposition morale et sociale. Aristo déchu. Perversion partout et cochoncetés. Crime contre Raison. Un bouffon de cour. C'est pour faire glapir les femmes hystériques et les gens de lettres séniles avant l'heure qu'ont besoin du fouet pour chauffer leur sang en voie d'extinction ! — Oui. C'est bien parlé, en vérité donc. Et Montherlant ? — Ce fichu disciple de Maurice Barrès et des Boulangistes ? De l'aristo facho d'Annunzio ? De Gide l'immoraliste ? Un sale belliciste ! Pseudo hidalgo ! C'est pire que nazi : éthique léonine de prédicateur d'amoralité ! Sans compter penchant à moquer les dames, c'est pas bien du tout. — Je te suis en tout à la vérité certes parfaitement. Et sur le Mauriac ? — Barbouilleur réac des nœuds de vipères de bourgeois tarés ! Massacre de l'amour dans l'enclos sinistre de leurs égoïsmes ! Veulerie, fadeur, imbécillité ! Monde de déchéances, d'asservissements ! — Bien dit. Jean-Paul Sartre ? — Hyène dactylographe ! Mauvaise foi, mains sales ! Vois dans Garaudy : Sartre ? Un faux prophète ! Fornication intellectuelle ! Rien que des histoires de caleçons souillés ! Je cite Fadeïev : ça vous fait marcher l'homme à quatre pattes ! D'où des petits cris de joie affectée et paupières qui battent d'émotion cochonne chez les intellos de la Capitale. — Très juste tout à fait évidemment oui. Parlons de Camus. — Amuseur bourgeois ! Fait la sale besogne de la réaction : préfère la révolte à la Révolution. Ça cause liberté, mais ça fait jamais qu'enchaîner les hommes en nausée d'eux-mêmes. C'est fait pour distraire la jeunesse des luttes et faire sa gavotte pour les millionnaires. — Je te suis bien sûr absolument certes. Mais André Malraux ? — Individualiste aventurier ! Héros pour du beurre ! Maître de néant et de désespoir ! — Très juste en vérité excellemment en tout c'est certain eh oui. Henry Miller ? — Démoralisateur américain ! Égoïsme total ! Que le monde s'écroule : il s'en bat les choses. Perversion, haine, obsession sexuelle ! Il faut chasser ça des bibliothèques et des devantures de librairies : c'est de la pâtée envoyée aux peuples par l'impérialisme pour les abrutir ! — O, certes moi aussi j'approuve affirmatif pour le moins en effet. Genet ? — Le pickpocket pédéraste ? Comme c'est révolutionnaire ! Voleurs, mouchards, prostitués, voyous : bravo, les héros ! — Juste car en effet bien sûr. Caldwell ? Steinbeck ? Dos Passos ? — Kanapa l'a dit : débloque amerloque ! — Entendu, tu dis des choses belles, ô ! Gertrude Stein ? — C'est de la baratte d'expérimental : chichis de nombril et déliquescence ! Rien côté humain ! Tripotage de formes comme c'est toujours chez les classes qui meurent ! — À ce qu'il semble je te l'accorde vraiment. André Breton ? — Dandysme intellectuel ! Rêveur à nacelles ! — J'en conviens oui certes totalement. Mais Céline ? — Collabo et anar haineux. De droite : encore pire ! Noircit tout ! Salope ! Recherche de saletés ! Outrance ! Locutions serviles ! Ficelles ordurières et délire antisémite ! — Entièrement tout à fait, évidemment. Malaparte ? Junger ? Charles Plisnier ? — Putains des bourgeois ! Clowns du Capital ! Des boîtes à ordures ! La poubelle est pleine : va pas farfouiller dans ces immondices ! — Cela certes est exactement tout à fait juste du moins, ô ! Merci, papa. Adieu (extrait deDemain je meurs, POL, 2007) Après, peu après, retour en maison. Tu pendras béret entre des chapeaux. Tu prendras patins dans le vestibule où carreau est froid. Silence partout, sauf tic tac pendule où on a tordu le cou du coucou pour qu'il coucoute plus. Tu auras main moite quand la poseras contre le chambranle et ça sera mou dans tes jambes aussi. Pause. Inhalation. Tu écarteras un pan de rideau. Décor ce sera chambre bien cirée, encaustique partout, avec les photos au mur des partis il y a plus longtemps, les belles assiettes à sujets anciens en gloire verticale sur du papier peint, faïences de Quimper avec les prénoms sur leur présentoir et l'éclat des cuivres de 14-18 entre les poupées sapées en folklore. Du monde sera là, en noir dominant sous poids de pénombre, à faire pas de bruit, par concentration sur des affections. Tu t'avanceras en surf sur le feutre pour rien cochonner avec tes semelles, mais en ralenti comme au cinéma, vers sorte de caisse longitudinale qui trône sur tréteaux drapés de linges blancs avec des poignées torticolées en argenté sur le côté. Tu ne diras rien. Tu approcheras en glissé kendo. Tu poseras paumes sur la boite en bois. Fort. Très fort. Tu appuieras, comme si tu voulais qu'elles entrent dedans, tes mains, et qu'elles palpent, encore pour une fois, dernière fois c'est sûr, ce qu'il y a dessous. Le bois, c'est pas froid, tu te diras. C'est comme si tiédeur, encore, venue du corps, sans souci aucun du costume propre dont on l'a vêtu pour la randonnée en voiture ultime et faire bonne figure face au vermicule, émanait du fond. Tu te demanderas si cette tiédeur, elle remonte pas, par de l'imbibé de capillarité, dans tes veines de bras pour te baptiser de son eau subtile la chair du dedans et dire à ton cœur : je suis encore là, ne m'oublie pas. T'aimeras dire ça, à toi, sans rien prononcer pour la parentèle qui renifle en chœur sur les chaises en paille. T'aimeras redire ces mots en pensée à tu et à toi avec ton toi-même et ne les confier qu'aux bulles de lait du beurre où fond ton cœur. Ainsi tu sauras, par la conviction que ça chauffe encore, que corps dans la bière a pas résigné au sort de cadavre. Car cette chaleur, tu t'en convaincras à cause d'émotions qui te mouilleront l'orée des paupières puis dévaleront en ru de rosée le long de ton nez jusqu'à ta bouche pour que tu en goûtes le sel essentiel, c'est pas que début d'effets d'ignition de la putréfaction : c'est de l'exhalé de tout ce qu'il eut toujours à te dire mais qu'émit jamais. Il ne le dira plus que par ces bouffées de lente, de tiède, de raffinée, de pure douceur. Il n'exprimera que cette douceur, invisible à tous mais sensible à toi, rien qu'à toi. Au moins il exprimera. Au moins il dira ça. Et qu'il te le dise, même que par ce souffle en manque de mots, même par ce fumet de nulle syllabe, ça lavera tout, tout sera béni. Tu te pencheras, tu malaxeras le vernis de caisse comme si c'était chair que tu caressais, voire pétrissais. Et tu auras faim de cette chair où mordre. Tu seras gourmand que du sang en sorte, vermeil, affiné, re-pétant la forme par forces globules, et que tu t'abreuves et jouvence revienne. Et tu resteras collé par la sueur qui te oint les mains d'un onguent d'amour à cet exsudat de reste de vie qui filtre en sirop distillé léger à travers la planche mais sans fuir dessous et mouiller parquet, tu l'as vérifié. Même s'il filtrera pas en vraie matière, il aura filtré au moins en idée. Mais l'idée, alors, c'est fort, c'est super. Rien résiste à ça, car ça vous cuirasse d'exclusivité par des sensations maniaques obstinément. Elles trempent l'hormone. Elles blindent le cortex. Elles tannent tout cuir. Elles martèlent en fer le casque de conscience. Elles détournent toute lame ornée de reflets venus d'extérieur, toute épée de goût pour vivre en matière. Et même elles se rient des aiguillons d'envies et comblent les creux de petits besoins de choses à manger de bon dans l'instant. Et même elles narguent geintes et repentirs des incomplétudes en rubrique luxure ou restes du désir pour excursion dans la verdure. Et le monde autour, l'étant, totalement, c'est rien qu'atonie, ça s'effacera dans du gris complet d'insapidité. Puis tu colleras lèvres sur le bois. Là tu sentiras que ce sera froid, quand même, un peu froid. Quoique bien moins froid que les murs autour et la tapisserie à fleurs de glaçons, confite en frimas dans de l'éloigné mal discerné. C'est pas, baisant ça, bécot d'amoureuse que tu baiseras, ni ce qui l'enfièvre, la bouche que tu baises. Et c'est ni salive lascive, ni le vernis rose de ses gencives que tu lècheras et dont jus serait ambroisie pour toi, ou extrait nectar ou cet hydromel local, le chouchen. Mais c'est pas si sûr, car c'est pas si loin. Et si bec de toi approche du couvercle, tout près, à toucher, le nez c'est pareil. Que sentiras-tu ? L'âcre du vernis, le frais lisse de l'enduit ? Un peu de boisé encore, résiné, camphré, avec immixion dans la sensation de reste d'odeur de petite pinède issée des bruyères où pique nique, jadis, et ris, et jeux de ballon, et la confection de colliers maison avec les aiguilles, et les spots soleil tombés du branchage, le trou blanc de l'astre à l'apex de voûte sur du lambeau bleu, et lui, en marcel, spartiates, et les mollets blancs sous short de sortie, à piocher bouquin pour être pas là tout en y étant ? Oui. Oui mais pas seulement. Car tu sentiras ce que veux sentir. Plus : tu sentiras, si tu le veux fort, rien d'autre que ça. Et ce que voudras qui te monte en ondes de genre capiteux au fond du naseau pour que tête te tombe tellement c'est bon, c'est pas le parfum de ces nostalgies en sédimenté dans tes intérieurs qui rappliquent de loin par télescopage avec de l'effluve dans le maintenant . Non. Ce que t'humeras, car c'est ton vouloir, ce n'est pas non plus la fragrance chimique des couches qu'on passa au poil de pinceau sur le sarcophage pour que du brillant fasse qu'on pense pas à ce qui brille plus du tout en dedans. C'est pas, pas du tout, ambiance fraîcheur verte de menthe vivifiante ou effet sucré de parme lavande que mère pschutera par bombe efficace dans l'aire du Repos sur cercle d'humains en veillée de deuil pour que ça pue pas, les corps des vivants, par bouffées chaleur et renvois de bouffe ou les flatulences à cause d'impatiences et de l'ankylose dans le cul qui stagne autour du défunt. C'est pas davantage les fumigations de bâtons d'encens que Tata Kati, confite en ses châles, aura piquetés en gerbes de fétus ou bouquets de fils de fer dans des boules de terre pour que les Puissances frétillent du karma et daignent veiller, par expansion de ces âcretés de fond de bénitier qui nous piquent le nez et nourrissent nausées, sur qui peut plus rien. Non. Ce que tu voudras ibi-nunc sentir, c'est l’ultime odeur du corps de ton père en claustration dans son véhicule vers où ça sent plus, au moins pour nos nez. Ce qu'il sentira, c'est pas pas-la-rose comme on dit souvent, par des insolences de trivialité. C'est pas le remugle de ces basses fosses où on dit qu'il va par incompétence en idéalité. C'est pas cocotté de fond de clapier ou miel de pissat de cheval en stalle. C'est pas foires bovines qu'emmerdent le plantain au long des sentiers. C'est pas pourriture des tiges qui résignent au sort du liquide en cul de potiches. C'est pas l'incité au dégobillé qu'effluve des camions de Jo Tournevache, livreur de carcasses pour faire des farines chez les Kerbellic, équarrisseurs de père en fils. C'est pas pipi dans les habits par de l'oublié de petite lessive ou l'incontinence par des défaillances du muscle aux valvules. C'est pas schlingue de gangrène, pas putridité de charogne de bête avec le vautour en goberge dessus, pas ozène nasal ni fetox ex ore. C'est pas pus de plaie, moisi sous l'évier, relent de poubelle, fumets de gadoue, ni du sédiment de poiscaille fondue au jus de gasoil dans des glus de vase à la marée basse. C'est rien qui pue ça. C'est même rien qui pue. Ce qu'il sentira, le corps, celui que tu toucheras à travers le bois, celui que tu baiseras à travers la planche, celui que tu flaireras à travers les couches de la peinturlure, ce sera l'essence de lui-même en gloire dans ta volonté, ce sera parfum de vraie perfection pour tes adorations. Sans quoi à quoi bon, sans quoi c'est trop dur, sans quoi tire l'échelle et file au clapier transir sur tes crottes.