Corpus La Négritude 1/ L.S. Senghor Nuit de Sine* L. S. Senghor, Chants d’Ombre, 1945 Femme, pose sur mon front tes mains balsamiques, tes mains douces plus que fourrure. Là-haut les palmes balancées qui bruissent dans la haute brise nocturne À peine. Pas même la chanson de nourrice. Qu'il nous berce, le silence rythmé. Écoutons son chant, écoutons battre notre sang sombre, écoutons Battre le pouls profond de l'Afrique dans la brume des villages perdus. Voici que décline la lune lasse vers son lit de mer étale Voici que s'assoupissent les éclats de rire, que les conteurs eux-mêmes Dodelinent de la tête comme l'enfant sur le dos de sa mère Voici que les pieds des danseurs s'alourdissent, que s'alourdit la langue des chœurs alternés. C'est l'heure des étoiles et de la Nuit qui songe S'accoude à cette colline de nuages, drapée dans son long pagne de lait. Les toits des cases luisent tendrement. Que disent-ils, si confidentiels, aux étoiles ? Dedans, le foyer s'éteint dans l'intimité d'odeurs âcres et douces. Femme, allume la lampe au beurre clair, que causent autour les Ancêtres comme les parents, les enfants au lit. Écoutons la voix des Anciens d'Elissa. Comme nous exilés Ils n'ont pas voulu mourir, que se perdît par les sables leur torrent séminal. Que j'écoute, dans la case enfumée que visite un reflet d'âmes propices Ma tête sur ton sein chaud comme un dang* au sortir du feu et fumant Que je respire l'odeur de nos Morts, que je recueille et redise leur voix vivante, que j'apprenne à Vivre avant de descendre, au-delà du plongeur, dans les hautes profondeurs du sommeil. Sine : Delta du Sénégal Dang : galette Questions : 1/ Quels sont les champs lexicaux sémantiques dominants ? 2/ Observez comment Senghor utilise les différentes sensations (olfactives, visuelles, sonores, tactiles). Quelles impressions cela donne-t-il ? 3/ Observez le jeu des pronoms : que pouvez-vous dire ? 4/ Quelle image de l’Afrique se dessine ici ? Femme Noire (L. S. Senghor, Chants d’Ombre, 1945) Femme nue, femme noire Vétue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux Et voilà qu'au coeur de l'Eté et de Midi, Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné Et ta beauté me foudroie en plein coeur, comme l'éclair d'un aigle Femme nue, femme obscure Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d'Est Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée Femme noire, femme obscure Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du Mali Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau. Délices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or ronge ta peau qui se moire A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux. Femme nue, femme noire Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie Questions : Analysez l’image de la femme dans ce poème : - que représente-t-elle pour le poète ? - quels sont les idéaux défendus à travers cette image et ce poème ? 2/A. Césaire Cahier d’un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, 1983, p 46-48. ô lumière amicale ô fraîche source de la lumière ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre gibbosité d'autant plus bienfaisante que la terre déserte davantage la terre silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil mort de la terre ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale elle plonge dans la chair rouge du sol elle plonge dans la chair ardente du ciel elle troue l'accablement opaque de sa droite patience. Eia* pour le Kaïlcédrat* royal ! Eia pour ceux qui n'ont jamais rien inventé pour ceux qui n'ont jamais rien exploré pour ceux qui n'ont jamais rien dompté mais ils s'abandonnent, saisis, à l'essence de toute chose ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toute chose insoucieux de dompter, mais jouant le jeu du monde véritablement les fils aînés du monde poreux à tous les souffles du monde aire fraternelle de tous les souffles du monde lit sans drain de toutes les eaux du monde étincelle du feu sacré du monde chair de la chair du monde palpitant du mouvement même du monde ! Tiède petit matin de vertus ancestrales Sang ! Sang ! tout notre sang ému par le cœur mâle du soleil ceux qui savent la féminité de la lune au corps d'huile l'exaltation réconciliée de l'antilope et de l'étoile ceux dont la survie chemine en la germination de l'herbe ! Eia parfait cercle du monde et close concordance Écoutez le monde blanc horriblement las de son effort immense ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures ses raideurs d'acier bleu transperçant la chair mystique écoute ses victoires proditoires trompeter ses défaites écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs Eä = Hourra Kaïlcédrat= arbre tropical, symbole du continent noir Question : Dans cet extrait analysez en détail comment Césaire oppose les valeurs blanches aux valeurs noires. Que pouvez-vous en déduire ? P 61-65 (fin) En vain pour s'en distraire le capitaine pend à sa grand'vergue le nègre le plus braillard ou le jette à la mer , ou le livre à l'appétit de ses molosses La négraille aux senteurs d'oignon frit retrouve dans son sang répandu le goût amer de la liberté Et elle est debout la négraille La négraille assise inattendument debout debout dans la cale debout dans les cabines debout sur le pont debout dans le vent debout sous le soleil debout dans le sang debout et libre debout et non point pauvre folle dans sa liberté et son dénuement maritimes girant en la dérive parfaite et la voici : plus inattendument debout debout dans les cordages debout à la barre debout à la boussole debout à la carte debout sous les étoiles debout et libre et le navire lustral s'avancer impavide sur les eaux écroulées. Et maintenant pourrissent nos flocs d'ignominies ! par la mer cliquetante de midi par le soleil bourgeonnant de minuit écoute épervier qui tiens les clefs de l'orient par le jour désarmé par le jet de pierrre de la pluie écoute squale qui veille sur l'occident écoutez chien blanc du nord, serpent noir du midi qui achevez le ceinturon du ciel Il y a encore une mer à traverser oh encore une mer à traverser pour que j'invente mes poumons pour que le prince se taise pour que la reine me baise encore un vieillard à assassiner un fou à délivrer pour que mon âme luise aboie luise aboie aboie aboie et que hulule la chouette mon bel ange curieux. Le maître des rires ? Le maître du silence formidable ? Le maître de l'espoir et du désespoir ? Le maître de ma paresse ? Le maître des danses ? C'est moi ! et pour ce, Seigneur les hommes au cou frêle reçois et perçois fatal calme triangulaire Et à moi mes danses mes danses de mauvais nègre à moi mes danses la danse brise-carcan la danse saute-prison la danse il-et-beau-et-bon-et-légitime-d'être-nègre A moi mes danses et saute le soleil sur la raquette de mes mains mais non l'inégal soleil ne me suffit plus enroule-toi, vent, autour de ma nouvelle croissance pose-toi sur mes doigts mesurés je te livre ma conscience et son rythme de chair je te livre les feux où brasille ma faiblesse je te livre le chain-gang je te livre le marais je te livre l'intourist du circuit triangulaire dévore vent je te livre mes paroles abtuptes dévore et enroule-toi et t'enroulant embrasse-moi d'un plus vaste frisson embrasse-moi jusqu'au nous furieux embrasse, embrasse NOUS mais nous ayant également mordus jusqu'au sang de notre sang mordus ! embrasse, ma pureté ne se lie qu'à ta pureté mais alors embrasse comme un champ de justes filaos le soir nos multicolores puretés et lie, lie-moi sans remords lie-moi de tes vastes bras à l'argile lumineuse lie ma noire vibration au nombril même du monde lie, lie-moi, fraternité âpre puis, m'étranglant de ton lasso d'étoiles monte, Colombe monte monte monte Je te suis, imprimée en mon ancestrale cornée blanche, monte lécheur de ciel et le grand trou noir où je voulais me noyer l'autre lune c'est là que je veux pêcher maintenant la langue maléfique de la nuit en son immobile verrition ! Questions 1/ étudiez les thèmes du poème 2/ étudiez le mouvement dans ce passage : que pouvez-vous en déduire ? 3. CONCLUSION GENERALE : Essayez de déterminer, à partir de l’étude de ses 4 textes, les traits caractéristiques de la Négritude.