HOUAT Nom et prenom : Houat, Louis Timagene Nasssance : le 12 aout 1809, a Saint-Denis de la Reunion Deces : 1880, a Pau Metier: medecin Louis Timagene Houat, souhaitant ouvrir une ecole elementaire, est, a seize ans, candidal au diplome d'instituteur. Mais sa candidature est rejetee. Plus tard, ii se retrouve au centre d'un mouvement qui entretient des relations a I'exteneur de I'ile avec les abolitionnistes. Le 13 decembre 1836, il est arrete chez lui. Etant en possession des exemplaires de La Revue des colonies, fondee par Charles Auguste Bissette, dont I'objectif est d'amplifier le combat pour I'abolition de 1'esclavage, il est condamne a I'exil en France. Houat voyage en Russie, en Italie, en AlSemagne. Apres I'echec de son ronian Les Marrons (1844), il se fixe en France et se consacre a fa pratique de la medecine. On perd alors sa trace, on ne retrouve plus d'archives le citant, a tel point qu'un doute subsiste meme sur la date de sa mort - Les Marrons En 1833, quatre esciaves se donnent rendez-vous sous un enorme tama-rin, au beau milieu de la nuit, pour discuter de ieurs conditions de vie exe-crabies sous le joug du maTtre. If y a la trois indigenes de Madagascar (I'Antacime, le Scacaiave, I'Amboilame) et le Capre, ne dans la colonie. Apres un long conciliabute, ils se sentent prets a briser Ieurs chaines... Ici le Scacaiave voulut repliquer; mais, sue la remarque qu'on lui fit que la parole revenait au Capre, il ceda aussitot, en invitant lui-meme son compagnon Creole a opiner. Apres un moment d'hesita-tion, celui-ci se mit au milieu des autres, et dit : - En venant ici, freres, ma pensee disait : nous ne parierons pas; nous ecouterons, nous suivrons les autres. - A present vous voulez entendre. Eh bien! ma langue causera. La chose a des epines. Mais le silence de la bouche ne doit pas faire crier le cceur. je ne dirai pas tout ce que j'ai senti, tout ce que j'ai souffert. A quoi bon, freres? Helas, nous savons trop ce que c'est que la vie d'esclave; et vous raconter nos tourments ne serait pas eteindre l'enfer; au contraire ce serait attiser tout ce qui brule... Allons done de suite a l'affaire. Vous voulez la revolte?... - Oui! oui! - Eh bien! moi aussi, freres; car c'est trop juste a cote de notre sort. Mais vous dirai-je?.... je crams qu'on manque... Notre frere Antacime et notre frere Scacaiave ont parte d'ememble, de souleve-ment$hwa\,... excuse?,- moi, je n'ai pas confiance... - Comment? est-ce que tous les autres ne sont pas dans le feu comme nous? - Je ne dis pas non, freres, mais vous avez dit vous-memes : nous ne savons pas nous entendre, et nous soutmons les maitres. Nous pouvons done risquer a parler complot, a faire des ensembles. » un roman: Les Marrons [WW] Nous gagnerons, nous reunirons a nous, - un... deux... trois noirs; le quatrieme sera un faux frere et nous vendra... - Nous vendre! - Oui, nous vendrai... et alors quel malheur! nous serons pris, sans avoir pu seulement bouger le doigt, detacher un brin de chaine, et notre meilleur sang coulera... - £a Peut couler! - ce sang n'est pas a nous! et qu'est-ce qu'on risque a jouer notre vie?... ~ Je sais, freres, je sais que, pour nous, la mort est plus douce, est meiUeure que la vie. Mais pourquoi la mort inutile? la mort qui fait mal et home?... je pense encore. Je suppose. Nous sondons nos hommes... - lis veulent! - Nous parlons a tous... - Personnc ne trahit! tout le monde ne fait qu'un! - Bon! eclatons! - Eclatons! - Le sabre nous hache... le canon nous ecrase... - C'est egal! nous marchons! - Nous marchons comme vous dites, et plus, nous voila libresl... Louis Timagenc Houat. Lds Matrons, 1844, rendition AIPDKS, 1998. ijet d'etude {-'argumentation: le dialogue 1. Analysez l'organisation du discours du Cäpre aux trots Mafgaches. Quel but vise ce discours ? 2, Quels arguments le Cäpre presente-tü h ses cama-rades? 3. Etudiez le caractere passionne des Malgaches en vous attachant au ton de leurs propos, a la structure de ieurs phrases, a la ponctuation. 4. Relevez tous tes termes et expressions qui appartien-nent au champ lexical de la violence. L'ouvrage Les Marrons s'inscrit dans la Ügnee du ro-man symbolique tel que Bug-Jorgal (1826) de Victor Hugo. Similitude egalement avec Georges, roman qu'Alexandre Dumas publie en 1843, il existe chez ces deux auteurs la volonte de denoncer [es prejuges de la societe coloniale. Ce premier roman du marron-nage, c'est-a-dire qui raconte la revolte des esclaves, est singulier: les personnages tour ä tour prennent la parole pour denoncer la cruaute des maftres et les pre- juges de couleur et de races. Le narrateur fait de nom-breuses intrusions dans le texte. En fait, Louis Tima-gene Houat a un double but: d'une part, sensibilizer le lecteur francos sur la situation des esclaves dans la colonie ou proprietaires et notables sont farouche-ment opposes ä toute idee d'emancipation; d'autre part, faire l'apologie du metissage puisque Freme, le jeune Negre, a epouse la blanche Marie, s'attirant les foudres des gens bien-pensants. Poemes tragiques Dans les Poemes tragiques, cinq textes referent a l'Tle natale du poete : «L'illu-sion supreme», «Sil'aurore», «Lefrais matin», «L'orbe d'or»et«La iampe du ciel». Leconte de Lisle y ranime ies emois du cceur et les souvenirs de l'ile avec une grande puissance d'evocation. II y associe aussi une meditation sur ['existence. SI L'AURORE Si l'Aurore, toujours, de ses perles anose Cannes, gerofliers' et mais ondufeux; Si le vent de la mer, qui monte aux pitons2 bleus, Fait les bambous geants bruire dans l'air rose; ; Hors du nid frais blotti parmi les vetivers:' Si la plume ecarlate allume les feuillages; Si l'on entend fremir ies abeilles sauvages Sur les cloches de pourpre et les calices verts; Si le roucoulement des blondes tourterelles Et les trilles aigus du cardinal4 siffleur S'unissent cä et lä sur la montagne en fleur Au bruit de l'eau qui va mouvant les herbes greles; Avec ses bardeauxs roux jaspes de mousses d'or Et sa varangue basse aux stores de Manille6, Ä l'ombre des manguiers ou grimpe la vanille Si la maison du eher ai'eul repose encor; Ö doux oiseaux berces sur l'aigrette des Cannes7, Ö lumiere, 6 jeunesse, aröme de nos bois, Noirs ravins qui, le long de vos äpres parois, Exhalez au soleü vos brumes diaphanes81 Salut! Je vous salue, 6 montagnes, ö cieux, Du Paradis perdu visions infinies, Aurores et couchants, astres des nuits benies, Qui ne resplendirez jamais plus dans mes yeux! Je vous salue, au bord de la tombe eternelle, Reve sterile, espoir aveugle, desir vain, Mirages eclatants du mensonge divin Que l'heure irresistible empörte sur son aile! Puisqu'il n'est, par delä nos moments revolus, :.; Que l'immuable oubli de nos mille chimeres, Ä quoi bon se troubler des choses ephemeres? Ä quoi bon le souci d'etre ou de n'etre plus? Le site de ia gorge de Bernica, i que Leconte de Lisle a visite en pirogue, «un lieu sauvage au reve hospitalier/ Qui des le premier jour n'a connu que peu d'hotes/ On y peut oublier*. J'ai goüte peu de joie, et j'ai l'ame assouvie Des jours nouveaux non moins que des siecles anciens. Dans le sable sterile oil dorment tous les miens Que ne puis-je finir le songe de ma vie! Que ne puis-je, couche sous le chiendent9 amer, Chair inerte, vouee au temps qui la devore, M'engloutir dans la nuit qui n'aura point d'aurore, Au grondement immense et morne de la mer! Charles Leconte de Lisle, «Si l'aurore», Poemes tragiques, 1884. 1. gerofliers : arbres a épices, donnent les clous de gírofle. 2. pitons : au sens de sommet, montagne ou mont. 3. vétivers on vétyver : plante ä parfum. 4. cardinal : oiseau clout le plumage du male est d'un rouge ceiatant en periodě nupíiale. 5. bardeaux : petite* planchcttes de bois traditionnellement utilisées dans le recouvrement des toits. 6. Manilie : ville des Philippines. 7. l'aigrette des Cannes : association des grandes plumes de 3'échassier (disparu) aux fleurs de canne.s. 8. diaphanes : pales et translucides. 9. chiendent : nom donné ä différentes herbes locales communes. Objet ďétisde La poesie 1. Dégagez le mouvement du poěme en vous appuyant .ur la construction du texte. 2. Etudiez la representation de «i'íte paradis» en exami-nant les notations visuelfes, oifactives, audítives et le choix des details concernant la faune et la floře. 3. Montrez que fe systéme énonciatif, le choix des mots, la ponctuation, la construction des phrases expriment un certain lyrisme. 4. En quoi ce poěme éerit par le chef de file du Parnasse peut-il surprendre ? Justiftez votre réponse. Cik\\ et I* celebration é.% \& terre wfttali Au cours d'une vie remplie, vecue dans I'exil, Leconte de Lisle, homme mQrj, poete confirme et reconnu cornme chef de file du Parnasse, revient par I'ecriture au pays de son enfance. Dans ce poeme, comme dans «L'i|lusion supreme », autre texte du meme recueil, ie ton se fait plus personnel. La magie du souvenir et de I'ecriture permet une restitution et une reappropria-tion du passe et du paradis de I'enfance. La nostalgie de 1'Tie nataie prend une forme lyrique associee ä une Philosophie de ('existence faite d'exigence et de de-tachement. De maniere plus large, le culte de la beaute, contemplee au temps de I'enfance, dans I'Tle nataie, nourrit toute I'ceuvre de ce poete des civilisations, detache du monde des illusions, en quete de l'essence des choses. La littérature de la Reunion PARNY Nom et prenom : de Parny, Evariste-Desire de Forges Naissance : le 6 fevrier 1753, a Saint-Paul de la Reunion Deces: le 5 decembre 1814 Metiers: officier, puis employe de ministere Evanste de Forges de Parny quitte fa Reunion vers I'age de neuf ans pour faire des etudes a Rennes. Jeune officier, il fréquente les poětes des lies, dont Bertin, son compatrtote, et měne une vie msouciante. En 1773, lors d'un court séjour sur I'Tle, il s'eprend ďune trěs |eune créoíe. Les Poésies éro-tiques et les Elegies expnment ses tourments ďamoureux. De retour á Paris, le poete, dont les textes sont appréaés, reprend la vie des jeunes gens de la bonne société. Promu capitame de dragon, il entreprend en 1783 un deuxiěme voyage vers Bourbon, I'fle de France et les Indes. De cette periodě datent les Chansons madécasses. Aprěs la Revolution, il connait un revers de fortune et travaille dans un ministěre. II se mane en 1802. La Guerre des Dieux anaens et rnodemes, texte vioíemment antsreligieux paru en 1799, force ('attention. Le poete, reconnu de son temps, est élu a I'Academie francaise et devient membre de I'lnstitut en 1813. Mais, use par la maladse, aign par les épreuves, il meurt en 1814. ® des ceuvres poetiques: Poesies erotiques et Elegies (1778-1779), duvresde M. le Chevalier de Parny (1780), Chansons madecasses 11787), duvres completes (1788), La Guerre des Dieux anciens et rnodemes (1799) I 1. calcincc : complčtement brůlée. intimement liees a la vie de Parny, les « Elegies pour Eleonore » declinent les differents moments et etats de la passion amoureuse, osciiiant entre bonheur d'aimer et malheur de la separation. EllGIE VI Le volcan dans sj course a devore ces champs; La pierre ealcinee' atteste son passage : L'arbre y croit avec peine, et l'oiseau par ses chants N'a jamais egaye ce lieu triste et sauvage. : Tout se tait, tout est mort. Mourez, honteux soupirs, Mourez, importuns souvenirs Qui me retracez I'infidele, Mourez, tuniultueux desirs, Ou soyez volages comme die. Ces bois nc peuvent me cacher; Ici meme, avec tous ses charmes, L'ingrate encor me vient chercher; Et son nom fait couler des larmes Que le temps aurait du secher. : 6 dieux! rendez-moi ma raison egaree ; Arrachez de mon cceur cette image adoree Eteignez cet amour qu'elle vient rallumer, Et qui remplit encor mon ame tout entiere. Ah! Ton devrait cesser d'aimer Au moment qu'on cesse de plaire. Tandis qu'avec mes pleurs la plainte et les regrets Coulent de mon ame attendric, j'avance, ct de nouveaux objets Interrompent ma reverie, je vois nattre a mes pieds ces ruisseaux differents, Qui, changes tout a coup en rapides torrents, Traversent a grand bruit les ravines profondes, Roulent avec leurs flots le ravage et l'horreur, Fondent sur le rivage, et vont avec fureur Dans ]'Ocean trouble precipiter leurs ondes. je vois des rocs noircis, dont le front orgueilleux S'eleve et va frapper les cieux. Le temps a grave sur leurs cimes L'empreinte de la vetuste2. Mon ceil rapidement porte De torrents en torrents, d'abimes en abimes, S'arrete epouvantc. 6 nature! qu'ici je ressens ton empire! J'aime de ce desert la sauvage aprete; De tes travaux hardis j'aime la majeste; Oui, ton horreur me plait; je frissonne et j'admire. Evaristc dc Parny, Klegie VI (extiait), Elegies, Livre IV, 1779. 2. vetuste vic-i Hesse. et ďétude Un mouvement littéraire et culture! 1. Etudiez ie theme de la souffrance d'amour á partir ďun relevé de ce champ lexical et de la designation de la bien-aimée. 2. Anaiysez la situation du moi mis en scene en vous attachant au systéme énonciatif et á la ponctuation. 3. Caractérisez la nature évoquée dans ce poéme. En quoi cette nature s'accorde-t-elle á f'humeur du poete ? 4. Dégagez les elements préromantiques de cette page. Le lyrisme de Parny s'adapte á tous les états de la passion amoureuse. Dans l'«ÉlégÍe VI», la plainte élé-giaque de 1'amoureux est intensément exprimée par I'apostrophe aux souvenirs, aux dieux, aux désirs. Eíle est accentuée par les injonctíons répétées sur un rythme rapide. Cette souffrance est de plus accordée au paysage volcanique de desolation. Á i'inverse, ďautres poěmes du recueil disent 1'exaltation et les délices de 1'attente, les désirs et ia voiupté. Sur un autre ton encore, s'expriment le dépit et la jalousie d'un amant qui voit sa bien-aimée épouser un autre. Avec 1'élégie, Parny reprend un genre antique, en fai-sant vibrer la passion amoureuse. L'emploi classique du vers est assoupli par la varieté des rythmes, formes et registres. Ce lyrisme de Parny charmera le xvnr siěcle, ainsi que les premiers Romantiques. La litterature de la Reunion 17 HERY Nom et prénom : Héry, Louis Naissance : en 1802, á Redon, en lile-et-Vilaine Décěs: en 1856, á la Reunion Metier: enseignant Louis Héry arrive á Bourbon vers 1820 á ia demande de deux vieilles cousines, pour diriger leur proprietě et leur usine de Cannes á sucre. Mais c'est I'echec et il devíent professeur au tycée de Saint-Denis. Cependant, ne possédant pas son baccalauréat, II decide de retourner en France pendant deux ans afin ďobtenir les diplomes nécessaires á sa profession. De retour dans I'Tle, il est á nouveau embauché au íycée mais, en raison de difficultés financiěres, il quitte son poste au bout d'un an et crée a Sainte-Suzanne une école privée, qui sera ensuite transferee á Saint-André. En 1844, il réintěgre le iycée oů il occupera la chaire de Rhétorique Francaise jusqu'en octobre 1856, date á laquelle il fut emporté par une hémoptysie foudroyante. Connu comme le premier fabuliste créole de la Reunion, Louis Héry a aussi publié !e récit de ses explorations dans hnténeur de ťíle. * des fables: Fables Creoles dediees aux dames de Bourbon (1828) * des remits d'expioration : Esqulsses africaines. Fables Creoles et explorations dans I'interieur de I'fle Bourbon (1849), Nouvelles esquisses africaines (1856), Esquisses africaines (1883). «La cigaie et la fourmi» fait sans doute partie des fables ies plus célěbres de La Fontaine. En reprenant cette histoire connue de ses lecteurs, Héry va faire un travail de transposition dans i'univers créoíe de son époque. LA CIGALE ET LA FOURMI (La Fourmi ensemb' ligrélé) Au Bras-Sec, dans 1'plis haut d'Brile Á proc fricé Ma-Véronique, L'avait ein s'en méler grété Qui cantait tout I'jour son misique; Li n'embarass' pas lendimain. Dans tout la saison l'hivernaze, Son vivr' li trouvait dans n'cimin. Á qu'faire va souer pour fait plantáže? Mais v'la que li beau temps la fini, Vivr' n'a point, la fraid y rentre, Pauvr' grélé la rest' tout cami, Comment qu'va manzer son plein ventre? Á fore- vir' son mazination Li dít: «Moi connait quoiqu' moi faire! « Mon voisin fourmi bon nation, « Va prěte á moi mon nécessaire.» Li court la cas' fourmi, li cogner rondement, Tin' fourmi cri darriěre la porte : «Qui c;a qui cogn' si hardiment? . « Quiq' 90s' pour vendre ? Allons, apporte!» Li grélé répond : « Moi 1'a grand faim!» La fourmi gueť á li par ďarriěť son serrire. 20 Li dit: « Grele, vous trop malin! « Prends pas moi pour vout' couvertire, «Qouq' vous y fait soir et matin? « Dans'n l'eau vous mirer vout' figuire?» Grele r'vir': «Tir pas vout' ficant, « Vous sait qu'moi content badinaze, «Moi tait canter continellement. « Ca mem' I'etait tout' mon l'ouvraze.» En morgrognant, fourmi dit: «Vous calamaka «Moi n'don'ra pas vous ein bicique; «Si vous tant content la misique, «Vous pe bien danser la polka.» Louis Héry, •< La cigale et la fourmi», Fables amies dédiées aux dames de Bonbon, 1828. 'Ofiíét ď.étude Les réécritures 1. Qu'est-ce qui pousse la fourmi a refuser son aide a la 3. Montrez que ce recit est construit comme une scene cigale ? de theatre. 2. Reperez et analysez la morale de cette histoire. 4. Comment I'univers Creole est-il inscrit dans le texte? En écrivant «La Fourmi ensemb' li grélé», Héry s'ins-pire bien évidemment de La Fontaine qui, lui-měme, s'est inspire d'Esope, de Pilpay, de mythes, d'apo-logues ou de contes. La fable s'avere done étre un éerit copié et recópié, qui traverse á ia fois le temps, I'es-pace et les littératures. jouant des genres, Héry théá-trálisě ses moděles, les rapproche de la structure du conte. II transpose les recits dans I'univers Creole. Et il dialogue aussi avec les fabulistes Creoles de Maurice (Chrestien) et des Antilles (Marbot) : les uns et les autres creent cette litterature qui non seulement s'en-racine dans un espace comparable, celui de la plantation/habitation, mais donne a lire le mode de vie et de pensee Creole. La litterature de la Reunion 21 B 1 «Le requin» est, avec «La péche des bichiques», une des rares fables qui ne s'inspire pas de La Fontaine mars met en scene des animaux qui appartiennent á I'espace réunionnais. LE REQUIN A proc' li cap bon 1'Espérance, Ein jour ein gros papa réquin Uétait rodé pour remplir son la panse; Ca bébét nana toujours faim. A v'la qu'li la guette ein navire. «Ho! ho! la dir., moi gagn' manzer.» Li plic' son dents, li tourn', li vire, Son la bouc' commenc' démanzer. Mais capitain' n'a pas té béte, ; La souque ein gros morceau di lard. « Réquin, li dit, ton viand' H přete, «T'al'hěr toi payé ton vantard.» Li réquin I'appell' son pilote : «Pilot', la dit, moi fair' ribotte.» Piti pilot' 1'était fité : «Manz' pas, réquin, quand mém' paté, « Quand mém' zambon, quand mém' saucisse, « Car li blancs la nana malice; «Moi dire á vous manz' pas réquin « Car sous la viande nana li z'ain.» Li réquin l'a répond tout en colěre : « Pilot' vous nana trop mysíěre «Moi vois bien vous lá lac' li coer, 0b! « Nous pé sauver si vous la pér.» ■> Li lane' ein coup! li 1'attrap' son bocée, ^l Mais v'la son la guéle acerocée... Halle á bord! tout' li matilot 2" Re Bourr' gros di bois dans son zabot, Z'aut' zir' á li dan' tout' maniěre . Z'aut' fait passe á li la misěre. Quand' tout matilot la bien ri, Z'aut' y fait couiť, pour faire carl; i: \z&_ Dans n'mat z'aut y clout' son mácoire. ■? Ca méme la finis mon z'histoire. Fais pas comment réquin, z'ami, Son gourmand la fait mort á li. Louis Héry, «Le requiru, Esquisses afřicaines. Fables Creoles et explorations dam I'interieur de Vile Bourbon, 1849. 22 Traduction jgf Dans les parages du Cap de Bonne-Espérance, / un jour, un énorme requin / ródait, affamé; / cette béte a toujours faim. / Et voilá qu'il repere un navire. / «Ho! ho! dit-il, je vais pouvoir manger." 11 -hm retrousse ses machoires, tourne, vire, / sa bouche commence a le demanger. / Mais le capitaine n'etait pas bete, / il prend un gros mor-ceau de lard. / « Requin, lui dit-il, ta viande est prete, / tu vas bientot payer pour ta vantardise. >• / Le requin appelle son poisson pilote : / « Pilote, lui dit-il, je vais faire ribotte./ Le petit pilote etait malin : / « Ne mange pas, requin, meme si c'est du pate, / meme si c'est du jam-bon, meme si c'est de la saucisse, / car ces blancs-la sont pleins de ruse; / je te le repete, ne mange pas, / car sous la viande se trouve un hamecon.» / Le requin lui repond, tout en colere : / « Pilote, tu es bien obscur, / je vols bien que ton occur est veule, / nous pouvons nous sauver si tu as peur.» /11 se jette une fois! attrape une bouchee, / mais le voila accroche par la gueule... / On le hisse a bord! tous les mate-lots / enfournent des gros morceaux de bois dans son estomac, / l'in- sultent de toutes les manieres possibles, / lui font passer un mauvais r ■ quart d'heure. / Quand ils ont fini de s'amuser, / ils le font cuire, en * t kari; / sur le mat, ils clouent sa machoire. / Voila, mon histoire est terminee. / Ne faites comme le requin, mes amis, / sa gourmandise a cause sa mort. Traduction des auteurs du manuel. Objet ďétude Le travail de I'ecriture 1. Quel vers permet de dire que cette fable s'mscrit aussi dans I'univers du conte? 2. Reievez les differences actions dans les vers 27 á 30. 3. Sur quels traits de caractere cette fable repose-t-elle? 4. Pourquot peut-on dire que cette fable releve du theatre de farce ? En choisissant le requin, Héry inscrit immédiatement sa fable dans I'univers créote. D'autres fables insistent davantage sur la parole créole en mettant en scene un conteur comme narrateur, en s'inspirant de proverbes ou de devinettes. De ce fait, Héry met en texte, pour la premiere fois, la parole du petit peuple par la théá-tralisation, comme chez La Fontaine, mais aussi sous ('influence des conteurs Creoles qui n'hesitent pas, par exernple, á interpelíer teur auditoire, comme á la fin de cette fable. L'auteur a une parfaite connaissance des modes de vie et d'expression des habitants de I Tie, fussent-ils Fibres ou esclaves, et ce quelle que soit leur origine ethnique. II met done véritablement en scene le pays dans lequel il se trouve. En retour, les fables de Héry n'ont de sens que par rapport au lieu dans lequel elles s'inscrivent. D'ou, aussi, I'utilisation du créole ~ un siěcle aprěs sa creation - comme langue ďécriture. La littérature de la Reunion 23 tmSfi "4* ý. >