Alfred Jarry : Ubu Roi ou les Polonais Scène IV LES MÊMES, UN CAPITAINE, puis L'ARMÉE RUSSE. Un Capitaine (arrivant) : —Sire Ubu, les Russes attaquent. Père Ubu : —Eh bien, après, que veux-tu que j'y fasse ? ce n'est pas moi qui le leur ai dit. Cependant, Messieurs des Finances, préparons-nous au combat. Le Général Lascy : —Un second boulet. Père Ubu : —Ah ! je n'y tiens plus. Ici il pleut du plomb et du fer et nous pourrions endommager notre précieuse personne. Descendons. (Tous descendent au pas de course. La bataille vient de s'engager. Ils disparaissent dans des torrents de fumée au pied de la colline.) Un Russe (frappant). —Pour Dieu et le Czar ! Rensky : —Ah ! je suis mort. Père Ubu : —En avant ! Ah, toi, Monsieur, que je t'attrape, car tu m'as fait mal, entends-tu ? sac à vin ! avec ton flingot qui ne part pas. Le Russe : —Ah ! voyez-vous ça. (Il lui tire un coup de revolver.) Père Ubu : —Ah ! Oh ! Je suis blessé, je suis troué, je suis perforé, je suis administré, je suis enterré. Oh, mais tout de même ! Ah ! je le tiens, (Il le déchire.) Tiens ! recommenceras-tu, maintenant ! Le général Lascy : —En avant, poussons vigoureusement, passons le fossé. La victoire est à nous Père Ubu : —Tu crois ? Jusqu'ici je sens sur mon front plus de bosses que de lauriers. Cavaliers russes : —Hurrah ! Place au Czar ! Le Czar arrive accompagné de Bordure déguisé.) Un Polonais : —Ah ! Seigneur ! Sauve qui peut, voilà le Czar ! Un Autre : —Ah ! mon Dieu ! il passe le fossé. Un Autre : —Pif ! Paf ! en voilà quatre d'assommés par ce grand bougre de lieutenant. Bordure : —Ah ! vous n'avez pas fini, vous autres ! Tiens, Jean Sobiesky, voilà ton compte. (Il l'assomme.) A d'autres, maintenant ! (Il fait un massacre de Polonais.) Père Ubu : —En avant, mes amis ! Attrapez ce bélître ! En compote les Moscovites ! La victoire est à nous. Vive l'Aigle Rouge ! Tous : —En avant ! Hurrah ! Jambedieu ! Attrapez le grand bougre. Bordure : —Par saint Georges, je suis tombé. Père Ubu (le reconnaissant) : —Ah ! c'est toi, Bordure ! Ah ! mon ami. Nous sommes bien heureux ainsi que toute la compagnie de te retrouver. Je vais te faire cuire à petit feu. Messieurs des Finances, allumez du feu. Oh ! Ah ! Oh ! Je suis mort. C'est au moins un coup de canon que j'ai reçu. Ah ! mon Dieu, pardonnez-moi mes péchés. Oui, c'est bien un coup de canon. Bordure : —C'est un coup de pistolet chargé à poudre. Père Ubu : —Ah ! tu te moques de moi ! Encore ! A la pôche ! (Il se rue sur lui et le déchire.) Le général Lascy : —Père Ubu, nous avançons partout. Père Ubu : —Je le vois bien, je n'en peux plus, je suis criblé de coups de pied, je voudrais m'asseoir par terre, Oh ! ma bouteille. Le général Lascy : —Allez prendre celle du Czar, Père Ubu. Père Ubu : —Eh ! j'y vais de ce pas. Allons ! Sabre à merdre, fais ton office, et toi, croc à finances, ne reste pas en arrière. Que le bâton à physique travaille d'une généreuse émulation et partage avec le petit bout de bois l'honneur de massacrer, creuser et exploiter l'Empereur moscovite. En avant. Monsieur notre cheval à finances ! (Il se rue sur le Czar.)