CYRANO de BERGERAC (acte 2 - scène 6) DEUXIEME ACTE ------------------------ Scène VI - CYRANO, ROXANE, LA DUEGNE, un instant. CYRANO : Que l'instant entre tous les instants soit béni, Où, cessant d'oublier qu'humblement je respire Vous venez jusqu'ici pour me dire... me dire ?... ROXANE, qui s'est démasquée : Mais tout d'abord merci, car ce drôle, ce fat Qu'au brave jeu d'épée, hier, vous avez fait mat, C'est lui qu'un grand seigneur... épris de moi... CYRANO : De Guiche. ROXANE, baissant les yeux : Cherchait à m'imposer... comme mari... CYRANO : Postiche ? Saluant. Je me suis donc battu, madame, et c'est tant mieux, Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux. ROXANE : Puis... je voulais... Mais pour l'aveu que je viens faire, Il faut que je revoie en vous le... presque frère, Avec qui je jouais, dans le parc-près du lac !... CYRANO : Oui... Vous veniez tous les étés à Bergerac !... ROXANE : Les roseaux fournissaient le bois pour vos épées... CYRANO : Et les maïs, les cheveux blonds pour vos poupées ! ROXANE : C'était le temps des jeux... CYRANO : Des mûrons aigrelets... ROXANE : Le temps où vous faisiez tout ce que je voulais !... CYRANO : Roxane, en jupons courts, s'appelait Madeleine... ROXANE : J'étais jolie, alors ? CYRANO : Vous n'étiez pas vilaine. ROXANE : Parfois, la main en sang de quelque grimpement, Vous accourriez ! - Alors, jouant à la maman, Je disais d'une voix qui tâchait d'être dure : Elle lui prend la main. "Qu'est-ce que c'est encore que cette égratignure ?" Elle s'arrête stupéfaite. Oh ! C'est trop fort ! Et celle-ci ! Cyrano veut retirer sa main. Non ! montrez-la ! Hein ? à votre âge, encor ! -Où t'es-tu fait cela ? CYRANO : En jouant, du côté de la porte de Nesle. ROXANE, s'asseyant à une table, et trempant son mouchoir dans un verre d'eau : Donnez ! CYRANO, s'asseyant aussi : Si gentiment ! Si gaiement maternelle ! ROXANE : Et, dites-moi, -pendant que j'ôte un peu le sang,- Ils étaient contre vous ? CYRANO : Oh ! pas tout à fait cent. ROXANE : Racontez ! CYRANO : Non. Laissez. Mais vous, dites la chose Que vous n'osiez tantôt me dire... ROXANE, sans quitter sa main : A présent j'ose, Car le passé m'encouragea de son parfum ! Oui, j'ose maintenant. Voilà. J'aime quelqu'un. CYRANO : Ah !... ROXANE : Qui ne le sait pas d'ailleurs. CYRANO : Ah !... ROXANE : Pas encore. CYRANO : Ah !... ROXANE : Mais qui va bientôt le savoir, s'il l'ignore. CYRANO : Ah !... ROXANE : Un pauvre garçon qui jusqu'ici m'aima Timidement, de loin, sans oser le dire... CYRANO : Ah !... ROXANE : Laissez-moi votre main, voyons, elle a la fièvre.- Mais moi j'ai vu trembler les aveux sur sa lèvre. CYRANO : Ah !... ROXANE, achevant de lui faire un petit bandage avec son mouchoir : Et figurez-vous, tenez, que, justement Oui, mon cousin, il sert dans votre régiment ! CYRANO : Ah !... ROXANE, riant : Puisqu'il est cadet dans votre compagnie ! CYRANO : Ah !... ROXANE : Il a sur son front de l'esprit, du génie, Il est fier, noble, jeune, intrépide, beau... CYRANO, se levant tout pâle : Beau ! ROXANE : Quoi ? Qu'avez-vous ? CYRANO : Moi, rien... c'est... c'est... Il montre sa main, avec un sourire. C'est ce bobo. ROXANE : Enfin, je l'aime. Il faut d'ailleurs que je vous dise Que je ne l'ai jamais vu qu'à la Comédie...