Ca n'a pas 1'air des'arranger mais je ne vaispas me ronger. G'est mon histoire. On est ici chez moi. On ne va pas me deloger comme ga. Se debarrasser du heros en trois coups de cuiiler a mots. « La, mon petit gars, je ne sais pas si tu lc sais, mais tu y es, tu es arrive ou tu ne savais pas que tu allaisv Nulle part! Ca n'avance plus, memeen me passant sur le corps. » . . - (Elle a dit pilantsur. Ca a l'air de quoi ? Je l'ai cor-^ rigee. Mentalement. Un pli que j'ai pris. J'etudiais, moi, a Fecole.) << La- mon petit gars, je ne sais pas si tu le sais mais tu as reussi. Tu as frappe le mur! Tu y as mis le temps mais finalement, juste au moment outu n'y comptais plus, ou tu te demandais si en tratoant. comme tu trames on ne se condamnait pas a trainer eternellemem, paf, tu es entre dedans! » Pal', elle se bat un grand coup la poitrine. Johnny! On la lui ferme au nez, il n'a comme plus le choix, il est comme libre!... »■■ ■ D'un coup de torchon a l'autre, on a un peu perdu le fil. Elle parle au figure, je presume. Des os de sa cage thoracique, et que je ne pourrai plus les forcer comme des barreaux pour regagner son cceur, siege de son amour... Elle me tire d'embarras en me designant ce qu'elle veut dire, elle va jusqu'a me montrer comment m'en servir... La porte. On ne se laisse pas impressionner dans la famille, ce n'est pas perm is, c'est meme ce que la mere Franchise nous a le plus strictement defendu. Je tire une bouffee de mon eigare. Une bonne. XJne derniere avant de le catapulter: avec une chiquenaude et de refermer en m'inclinant. Comme si tout ce qui manquait a son bonheur c'etait de la debarrasser de cetteodeur dont elle a horreur. Et que je repands peut-e~treun peu pour ea, comme le male qu'on est encore, malgre tout, malgre soi. . Je ne reconnaitrai pas mes torts, je n'en ai pas. J'ai fait une erreur de pilotage et atterri trop tard. D'une envolee a l'autre, seul ou avec l'autre, je me suis plu de plus en plus dans les nuages et j'ai fini, d'abus en abus, tous aussi innocents, edifiants, constitutioniiels, par: transgresser la sonnerie du reveil d'Exa, a sept heures exactes. J'ai eu le front de i'aire irruption dans son petit dejeuner. Ce n'est pas malin. Ni dans un sens ni dans l'autre. Et je n'en ai jamais fait d'autres. Je: pourrais mais je n'y liens pas. Ou qa rie dent pas a moi. Ca ne colic :paS.: Elle tire un kleenex: pour: arroser ca. J'en prends un apres elle et je me mouche itou, intercalant mes coups de tronipe entre les siens, dans un genre de canon, pour la faire eclater, joyeuse comme elle est encore, quelque part.;. Motte! selon le mot de la mere Fran5oise:: elle ne va plus rien laisser echapper. Elle va tout garder pour jusqu'a ce que j'aie bien dormi, bien elimine la tequila et tout son eifet de me blinder qui lui ferait gaspiller son. energie. Elle se sera bien tisonnee et ce sera l'enfer. Mais elle ne m'apprendra rien, je le connais par cosur, je la sui-vrai les yeux fermes. II n'y aura rien pour l'arreter, sinon les plus: cuisants signaux de sa vessie detraquee par ses nerfs surmenes. Mais c'est aussi un repliou son inspiration se rafratchit, ses rancunes se rarrieu-tent. Elle rappliquera a; moitie rajustee. pressee d'enchainer, se redechainer, faire sonner mesi chatnes de condamne toute une autre eternite. Tout sera fichu, j'aurai tout salope, et a la fin, quandje l'aurai fait yieillir de dix ans, elle profitera du peu de jeu-nesse el de same qui lui restera, que je lui aurai Iaiss6, pour se refaire une vie... Puis les evenements se precipitent, en marchearriere. Sur un coup d'ceil au cadran, elle me rend aussitot (en me les garro-chant;, en me les pitchant, pour employer son jargon de dragon) les des a jamais confisquees, et vite, plus vite que c;a, Steinberg va lerrner. elle m'enyoie chercher du foie pour le chat. Son Eminence va en manquer. Meme si ca ne ferait pas un )• Degarrot, irait d'arbakHr selon la P,T: . . 10 11 pli á sa corpulence, ce serait ca la vraic íin du monde... Mais il n'y a pas ni de ci ni de ca. Méme opiacée, un verre a. la main et la cigarette au bee, c'etait une aubaine. Rebelie de choč mais Fme copine. Une flambeuse, et qui vous donnait sa chemise avec tout ce qu'il y avail dessous sans demarider son reste. Et j'en ai fait une chipie, un tyran domestique. Je ne méritais pas 9a. EUe non plus. Comme la fois oú je íui ai fait faux bond en plein blizzard, rue Mayor, oú elk- avait. en dernier ressort offert ses talents aux fourreurs. Us 1'avaient traitée comme une ordure et je couronriais le tout en la laissant trainer dans la gadoue, lis n'auraient pás pu la traiter autrement-ilšavaient repéré son genre. Le genre á se laissěr trainer dans la gadoue par un foireux dans mori genre. Mais les pieds gelés, la goutte au nez, elle n'osait pas bouger. Elle me maudissait puis elle me voyait qui me crevais pour m'ouvrir un chemin jusqu'a elle, qui soulevais des montagnes de neige á coups de pelle, et qui ne la trouvais pas quand j'arrivais, une minute aprěs... Tout ce temps, j'avais tourné sans le savoir, ni me repérer ni tróuver oú me garer, autour du mauvais carré... J'avais craqué et filé prendre un coup de trop. Un de ceux qui délbnceni tout. Qui arrangent tout en démolisšant tout. On se íkhe de tout. Surtout ce qui a lé plus de prise sur nous. « In vas finir comma ton pere. » Elle me le souhaite. II n'y a pas grand amour !á-dedans. Et on ne peut pas vivre sans amourj on n'est pas des monstres... Aussiťôt chex Sternberg; áussitôt le pied dans le tambour, je telephone ä iiiôn petit poids mori, ma Petite Tare, comrhe je I'appelle depuis qu'ellé s'est áppelée de merne elle-tnôrne. Ca: me teňte ďautant plus que c'est déíeridu, qU'ón ne peut pas avoir une aussi Petite Tare que ce soit en tout bien tout honneur. Ca fait de vous; c'est automat iq ue, une « espěce » de tare. El c'est amsLj'en suis ravi, qu'elle me traite. " « Alio, are you nobody too? » Julién, qui n'a pas lu Emily Dickinson,''■■■me' répond que ca še'póuŕŕaiťbi^n mais il va me passer quelqu'un mieux qualifié pour me renseigner. Je le retiens une seconde, pour savoir ce qu'il piétiné lá. dans ses propres píates-bandes... Son lit lui man-quait, il est descendu direct de Québec, quitte á remonter ä Trois-Riviěres děs potron-iniriel. Ca Sonne commé rninet poltrdn... IE y a peut-etre de quoi et il fait peut-étre expres- Avec son sens de ľ humour on ne sait jamais. C'est le genre qui vous fait ľefTet qu'il pôurraít vousécraser comme un ver mais qu'il ne le (era paš. Pas parce qu'il a le eceur sensible, et il ľa bieri plus que vous, mais ä šón niveau le probléme ne se pose pas. Dans son metier,: le droit du travail, les negotiations collectives, il est achärné, vorace. Un loup sorti de la meute. It a pre-féré son indépéndance et il paie pour, á coups de milliers de milles, de motel en motel, rouiant d'uii. conflit ä ľäutre; cómme arbitre, expert, de plus en plus respecíé, reclame. C'est dur mais il est inlati-gable, et tier de son energie. Quand on était petits, 12 13 et qu'on était ú lies, que: sa: njére,-. Francoise, émue par mon mělo itimiliaí, a fmi par m'adopter, nous traiter comme deux frěres,. il rcyaii tout haut.de partj.r.au volant d'un « sportscar. ». et ne plus reye-nirvll va y.arriver. FatalernenL. Drôle ďanimal.-Pas * pbígnable. Méme pas moyen de lui tirer.un portrait, 1 le petit oiseaun'est pas sorti qu'il est parti. « Ca va, je te ía passe », il me fait, ľair de me récompenser de m'intéresser á son oas. « Dis-moiquelque chose, ěspěce », elle me dit, sur ľair. tout court qui fait toujour* chanter: sa voix, « mais vite fait, je ne serai pas toule ä toi, on est comme occupés ». Elle ne me dit pas ä quoiv.Ŕien de bien conjugal en tout cas, lis sont chastes. II ne s'en yante pas. mais elle ne s'en cache pas. Äussitôt qu'ils, ont craint que ga ne deyienneune routine,, une technique, une formule plus du tout magique, ils ont oublié ca, qui aurait etc au-dessous ďeuxj de ľidée qu'ils sefaisaientde ľamour. Plutôt mourir. Et e'est un peu ce qu'ils ont fait, lis ont jeté les elés du jardin oú ils s'aiment aussi fort mais comme s'ils étaient morts, en pleine gloire, leur arbre ä quatre bras chargé des plus yiyes ileurs du bien et du mal, blottis dans leur parfum et : la chaleur de leur propre feu... Si j'ai bien compris. Mais jc n'ai jamais rien compris. ::::« Rappelle, auyieux qu'on s'en doit une... Qu'au dernier coup qu'on a pris, un petit dégät vite fait / qui nous déshonore encore, on s'est promisla givrée de notre vie... Que si 5a continue on va manquer de vie. El!e aura filé; sans qu'il se passe .rien et on n'entendra plus, parler de personne... » . ii Meme si Julien a comme dix ans de moins que ■■ moi-'.avcc ses cheveux drus, ša mine épanouie dí(;těr-ncl adolescent, il est mon: ainé, ei > ; II m'attaque aux yeux, il va me les crever, je sais qui c'est, je le reconnais ä ses longs dards, lances ä travers les rideaux, plantes dans mes cheveux, penetrant dejä ma coquille. C'est le Monstre, notre Monstre, l'Ogre de Barbarie qui leve> encore plus traftre ä ces hauteurs. C'est celui d'Alter aussi, dont je lui ai parle pour Fendormir. II l'a traite de Pore-, de Verrat-Epic, quand au lieu de se trouver mort dans le lit de Capricia, il s'en est trouv> 36 37 Dommage, il va rater l'allocution. Un tissu de i sarcasmcs a se rouler par terre. Ix topo lordu de 4 notre vie telle qu'on la.vit deja. Plus ou: moins. ' «Ca ne peut pas finir cornme ca, c'est trop moche, on ne s'en releverait pas, on se ramasserait ; a l'asile... Voici ce queje te propose, et c'est tout \ bien reflechi... Je vais t'entretenir. Comme une 1 poule. Pas moi la poule, toi la poule. Plus besoin de I te crever a tenir les murs et porter le toit sur ton 1 dos. Plus de fardeau. Je me charge de tout. Rien a j faire si tu sais y faire! Juste a me plaire! Tu me feras 1 des joies, je te ferai des petits cadeaux. Quand tu ] echoueras, tu te debrouilieras. Tu financeras tes trottes autrement. Tu bricoleras des petits trues moins ingrats. Mais pas de menage ou de cuisine, en tout cas pas chez moi, ca me ferait reffet de cou- ! cher avec la bonne, et tu es bien place pour savoir ce que je veux dire par la...: Libre a toi de puer le cigare et la btere, de teter tout ce que tu voudras, le % telephone y compris, de rentrer au petit matin en cassant des carreaux, mais comme tout ca me deplalt aussi, et que ce ne serait pas dans ton inte-ret : pas chez moi, dans un autre bordel, le mien ferme a onze heures et on s'y tient comme du monde... Plus de scenes! Plus de jalousie! Ce qui 'i gate I'amour, c'est les sentiments. Je n'en aurai plus, le cas est regie. Je ne te demande pas si tu es d'accord. C'est moi qui sais ca. Si tu veux le savoir tu me le demanderas. Une autre fois. Pour Ic j moment, va, va, remue-toi, regale-toi, va faire un tour, ote-toi de mpn chemin pendant que j'abats tout un tas de boulot pour decrocher ce contrat et me payer ta gueule de pátre grec... » Et ^a ne se moque pas que de moi, la Petite Tare est attaquée tout le long, par la voix de bébé, les petits airs et les tournures aífectées qu'Exa emploie pour la designer. Sans jamais la nommer. «Tut tut, on ne s'en va plus sans donner son bisou. » Je ne sais pas qui c'est qui lui a fait ?a, si c'est Simon qui lui a seconé la carcasse ou le directeur de production qui réduit ses frais en forcant sur les compliments, mais méme si ce n'est que moi en la poussant á bout, chapeau, c'est réussi, elle est trans-íbrmée, comme elle est parfois quand elle met tout le chien qu'elle a á se sevrer, au lieu de s'intoxiquer pour avoir plus de plaies á Iécher. Je ne la suppor-tais tellement plus morveuse et douloureuse, emportée en eau de boudin, que ca vaut un bisou en effet, et je me paie sa gueule á mon tour, mais pas au figure : de force, encore plus fort aprěs qu'elle m'a mordu, pour chasser le sang dans sa bouche, et qu'elle m'avale au lieu de me cracher. Je ne 1'avais jamais vraiment embrassée de notre vie, de facon que ga compte, qu'elle comprenne que je l'aime, á quel point, méme si ce n'est pas encore ca, comme elle dit, et qu'U ne semble pas que ca viendra. On s'est trouvés trop tard pour se sauver, on ne s'est méme pas trouvés, on est aussi perdus qu'on était. II faudra que je me le raconte avant d'oublier. Avant que mes mauvais coups m'aient trop sonné. ; 38 39 J'avais pris Alter dans mon sac, pour avoir de la compagnie, et je sortais... Eile m'a: relance,: plus aussi a pic malgre tout, plus tous les yeux bien en face des trous. Elle ne voulait pas, elle avait promis, elle n'a pas pu s'empecher. La chair est faible... « Tu as. bien compris?,..». : L'amour a la piece, au compteur, au sisrno-graphe?—Je suis diplome. Facon de parler. «Je m'en fous moi. Toujours pret!... » Rapide avec ca. On se demande un peu. Mais il n'y a pas de quoi... G'est correct,:« G'est o.k., I'd fuck mud, tu me ferais aimer la boue si tu en etais, la vraie boue bien entendu, pas la boue debout comme on en voit se promener partout. » La Too Much a perdu le gout : elle se plaint qu'elle vieillit, que ca la refroidit de se voir fletrir. Et c'est ce qu'Alter ksi a repondu, a part soi il faut croire, mais ce n'est pas clair.. ; Pour meubler mes ioisirs elargis, declares totaux, et voir un peu ce que ca donnerait en longueur de temps, je n'ai pas coupe par la montee du Milieu apres avoir pris mes panatelas chez mes demoiselles Arpin, mes deux: Parques au lieu de trois, qui ne vieillissent pasj elles raccourcissent. On refoule, elles disent... Je me suis laisse continuer le long du bord de 1'eau epaissie par le froid, noircie par la clarte de la neige, et je me suis ramasse a la jonction de l'ave-nue du Mail, a l'autre bout par rapport a la direction que je prends quand j'ai des courses a faire dans le Mail malproprement dit. Des commissions. Comme par hasard, je n'ai fait que me ramener, par un long détour, dans le tambour du super-marché, avec sa baUcrie de niches téléphoniques. Mais je n'y ai plus rien á richer, sinon me rcchauf-fer. Du moins faire semblant, avec un orgueil qui me reglace aussi dur... Un ange était tombé du ciel, qui m'habituait á voler, á ne plus porter á terre, et j'ai le culot de chipoter. Sur une mauvaise impression. Non, elle sent tout, 1'etat ou elle m'a jeté lui est connu par ses antennes, et elle se plait á m'y tenir, pour me preparer áje ne sais quoi, quel employ, Je me suis remis en chemin en ruminant des douleuřs qui alimentaient des desseins de plus en plus cruels, si applique que je suis passé sans le réaliser devant le Roi du Chien Chaud, ou j'aurais encóre été tenté de me déshohorer en criant au secours; Et j'ai bou-clé en quatre heures un circuit ou je n'aurai tourné qu'autour d'elle et que je nommerai le tour d'elle en souvenir ďune journée amputee d'elle, avec rien que des moignons d'ailes : les petites charniéres en chair et en os. L'heure du souper était passée, et la table ótée, selon la rigueur promise. Exa fignolait les croquis de La Femme qui aimait trop, si absorbée qu'elle n'a pas tourné la téte. Elle ne m'en fera pas accroire, elle n'a pas renoncé á me noúrrir, á ce meilleur moyen de domestiquer, en infantilisant. J'ai fouillé dans le frigo, en le brutalisant. Elle a sursauté, á tout casser, pour bien marquer qu'on ne derange pas une artiste inspirée. « Excuse! II faut que je picora... » Briliant. Doue comme je suis pour la conversa- 40 41 lion, aussi bien rentrer dans ma cage, encore appe-lee labibliotheque meme si les rayons sont vides, a part.les cailloux que j'ai mis, sur.le plus adequat desquels un bourdon jouit, partes en Fair, de son repos etemel. Sans fenetre et n'ouvrant que sur Finterieur, c'est si tasse que j'ai renonce a deployer Ie divan pour dormir, ce qui a vexe Exa dont ca supprimait la place, et qui n'est plus venue m'y sur-prendre avant le cafe... Je ne me plains pas, 9a me convient, je m'y sens contenu, enveloppe, bien plan-que. Et c'est devenu Ie reposoir de mon adoration perpetuelle... Je grignote un crouton en epluchant les travaux d'Alter, qui en finit encore avec sa petite maTtresse.: Si tu t'en vas, il lui a dit, laisse-moi ton corps en souvenir. II en a fait un poeme : « Leave your body behind ». ..... Me reviens pas toujours Reviens juste unefois La fois dansee coltes Souffle court dans le am Tu t'es laissee alter -.. line perk a route . Tu vas au petit coin ■ : Regarder d'ou ca vient Derision ouyrai piege a la retenir, sinon pres de lui, a Finterieur de lui, je dois tout exhumer mot a mot, piocher au fond du gachis, des pattes de mouche et de cancrelat enchevetrees, ou <,:a se complique encore, bourre de fautes corrigees par 42 des plus grosses: ou. des plus - belles, trahissant en : ^litres efforts. impuissants:-; celui. d'^chapper ä la : contamination culturelle, aux fa^ons de parier deve-tiues des fagons de vivre, aux mots qui vous servent moins ä vous: exprimer qu'on ne.se sert de vous pour s'exprimer ä traverseux. II est mal enracine, meme un peu plus mal que les autresv.. En survo-lant quelques pages au hasard, on :voit qu'il a recrute sa Too Much aux Etats-Unis.. II mo fait Feffet, ä l'äge qu'il a, d'avoir ete ce qu'on appelait un beatnik, et ne plus savoir comment sortir de son groove, ou on ne sait que tripper quand c'est cool, et flipper quand.c'est trop heavy, . Je viens about du «jour » qui correspond au mien, et les contacts, les points de coincidence ont continue dc grcsiller : « Ne me regarde pas comme ci comme ca. Pas toi. Je te le defends. II n'y a que tous les autres qui ont le droit de me faire 5a. » Adieu ma Petite Tare... Veux-tu que je te le chante tout haut? Sur Fair de La Boheme?.... Ca ferait une pierre deux coups. Qa ferait ton affaire et Faffaire d'Exa, qui n'y verrait que du feu, se figurant que la vacherie qu'elle m'a faite en montant se coucher sans Fannoncer a produit son efiet, que j'y reponds. N;'avoir jamais rien chiffsi ga ne me ckiffe rien. Chijfer, c'est teur manie, chacun sa manie, moi ma manie c'est de tenir le coup, les coups, question, d'honneur, on ne se laisse pas chasser ä coups de: chiffes. Ce qui me chiffe, c'est de ne pas trouver comment saisir Vobjet dont il s'agit, tröuver les mots 43 qui luimettentunepoignée: Ce qu\m est, ce qu'on a dans son . ,m sac, ga n'a aucuňe importance, aucun sens, c'est (a poignée jf par oil on ksprend qui les leur donne, ce sont les mots, les i bons, pas ceux des autres, ils ont déja send, Us sont uses, Us j vous lächent au premier choc. J'ai encore gratté, griffe, raclé ■. la mit jmqu'aü fond, il n'en est rien Sorti, pas un mot qui ait ma voix, sa voix, pas un mot pour nous nommer ni I'm ni J l'autre, ils étaient tous occupés, J'ai tout détruit et me suis 1 endormi dans mes debris, Mais ce matin la page était § blanche. Elk avait tout ramassé, tout efface, eile n'enferait . pas assez si eile n'en faisait pas too much... j \j£ pire, qu'Alter ne sail pas autant qu'il le pré- | tend (son exuberance affairée le dement), c'est qu'il J a raison. II ne va rien attraper. II n'aura jamais ou J s'accrocher que le baton qui lui sert ä battre l'air et J retourner ses petits dégats. II a intérét ä se surveiller. i S'il se met ä trop me ressembler, je vais lui tirer la J chaíne. | La sonnerie m'a reveille. Quatre heures. J'avais 1 laissé l'appareil sur son guéridon mais laissé bäiller \ la porte. Je me suis vu lancer ä son endroit un | regard comme celui qu'elle a fixe sur moi, et qui | s'accroche encore. Gagné par sa dureté, je ne me j suis pas levé. Ginq minutes aprěs, 9a recommencait. j Quand ga la prend, c'est urgent. Je ne me suis pas | plus derange. J'aimais mieux ne plus dormir de la J nuit. Quitte ä refaire tout notre cinema ä l'erivers. : En commencant par la fin, et comme si e'en était une. En me projetant dans l'harmonie auréolée de ce qui est finij dans son eternite commenčéé. j J'avais perdu Julien de vue. G'etait mieux pour ma santé. II m'avait trop dépassé, il ne pouvait plus me regarder sans se penchér. La propriéié voisine était á vendré et j'avais léš clés, je la faisais visiter. Julien passait par hasárd, par affaire, un ceil ouvert malgré tout pour le chalet au bórd de 1'eati qu'il avait tóujours en téte. On est tombés dans les bras 1'un de l'autre, on s'est serrés si fort que tout ce qui nous avait séparés a volé en eclats. Comme il m'avait mahqué, cómme je l'eprouvais dans 1'état oú je m'etais mis, de plus en plus séúl avec Exa de plus en plus soúlé avec eUě-meťňe. Et nous alliens obstinément persévérer, jusqu'a l'asphyxie, á nous enfoncer dans cette fosse. Nous étions tout ce que nous avions, et tout 1'amour que nous aurions, cha-cun se disant que plus pérsonne ne voudrait du gachis qu'il avait fait de l'autre et qu'il ne pouvait pas l'abahdonner á une horreur qu'il lui reflétait trop nettemerit. Quand Julieh est revenu, je me suis vide le cceur, mais en Ibrcam sur les petits cotes divertissants, pour ne pas 1'inquiéter, le dégouter de venir s'installer á coté : « On est tombés 1'un par-dessus l'autre parce qu'on avait trop bu, et on ne peut plus se déprendre! »Jé recommengais aussitot á me distancer. En lui mentant. On n'était pas conjoints, cette malheureuse et rnoi, juste copains. II ne m'a pas cru, mais il a fait semblant de rien. et résolu de se ténir á ma disposition pour m'aider á m'affranchir. Comme il était trop pris, c'est a elk qu'il m'a confié, elle dont il n'avait déjá plus le temps de s'occuper non plus. On la vóyait parfois 44 45 trainer dans le jardin, gantee, coiffee d'un «gau-cho » noir qui lui occultait la figure. Absente. Anti-pathique. Elle ouvrait sapprte auxenfants Renaud, qui ont aussitot plaque Exa, dont iis avaient gagne la difficile amitie et qui s'etait amusee a les costu-mcr, mais autrement elle ne voyait personne. Elle est souvent de meme, a dit Julien : elle se retire, elle entre en religion... Madame avait refuse de nous etre presentee. Elle n'etait pas prole. Et puis ca se faisait mieux quand 9a se faisait tout seul : elle croyait au chic des coincidences heureuses, a la serendipity. Exa avait failli sauter la cloture et piquer a travers, pour aller au plus vite etrangler cette Greta... Un jour qu'elle ne repondait plus au telephone (une fantaisie qui la prenait aussi) et que Julien etait naufrage en Abitibi, il m'a envoye voir si 5a allait, me recommandant de ne rien forcer. Elle m'a regu en me touchant, corarae une aveugle. Elle m'a garde une heure et demie coince entre la porte et la moustiquaire pendant qu'il attendait au bout du ffl au fond de son motel. « Ah e'est toiAh e'est epatant, j'avais un frere, i, i, il avait ces yeux-la, exactement... On dormait encore ensemble et il jouait deja Chopin. Le lar-ghetto du deuxieme concerto. Tres chaud, tres mal-sain... II a deperi. Tu le remplaceras, tu feras comme chez toi dans le trou qu'il a laisse... la.,. Ne crains. pas, ce n'est pas un tombeau, e'est un palais...» Elle pressait la poitrine,. avec ses deux mains, d'iine beaute que je ne savais pas que des mains pouyaient avoir, d'une vie fragile, ä elles seules, d'oiseaux trop nus tout en petits bees cloues : « Et puis va, parents comme on est dejä, la moitie du chemin est faite, 9a ira tout seul... » J'etais k.o.. je n'avais jamais entendu personne parier de moi avec un aussi grand serieux aussi joyeux, la bouche emue, oil le rouge affleurait, ou les dents trop menues faisaient perler les paroles au lieu de mordre, et les yeux tout le contraire, tout clairs et tout insolents, tout ä moitie delates de rire. Elle m'a raccompagne, pieds nus dans le froufrou fleuri qui la couvrait jusqu'ä terre, Elle fuyait le soleil comme la peste : «J'ai du sang transylvanien, serieux!...» De vampire, elle voulait dire. Sans encore daigner s'occuper de Julien, elle s'est jetee au-devant d'Exa qui se defilait, courant pour la rat-traper, epouvantee de lui faire peur, tenant mordi-cus ä la rassurer, lui temoigner sa bienveillance... Une folic. Une ceuvre d'art, avait dit Julien. « EUe se suffit. On ne peut pas I'ameliorer, juste I'admirer. — Elle fait peut-etre expres. » Elle aurait interet. Pique par le boulot, la bou-geotte, il n'avait pas un jeu pour s'embarrasser de personne. Surtout pas d'elle. Qui l'emouvait tant, qu'il n'aurait pas supporte de torturer, de plonger malgre lui dans le besoin, la d^pendance... Qu'elle ne manquerait de rien, surtout pas de lui, je parie-rais qu'elle l'a promis, jure crache... Qu'elle cache 47 un apre orgueil sous ses fragilites frissonriantes el que c'est pour imposer sa volonte a l'amour memc qu'elle tierit parole. Je me laissais bercer par mon ressassemeni,, rou-ler par les vagues ou se melaient des enlacements ehavires, ivrement echoues, doht il ri'est bon que de rever. Puis le jour s'est dresse tout herisse, dardant ses rayons jusqu'entre nos deux eaux.;. On est fichu, perce comme un mystere, et on attend, dans toute la splendeur de sa derision, que l'autre se leve aussi, toute herissee aussi, qu'elle se soit repandue dans la maison, que l'animation de son deplbiement ait fil-tr6 a travers les carreaux depolis, qu'elle ouvre la porte en apportant un cafe, si longtemps desire qu'on le recoit comme un sacrement administre par une sainte echappee de l'autel. Mais il s'agit nioins pour Exa de s'immoler en me servant que de retar-der l'effraction de son intimite, 1'invasion de Fespace ou elle s'affaire a piloter son telephone et sa radio... Avec ma toilette et tout, ca lui donhe encore jusqu'a midi, ou nous dejeuhons, chacun a sa fagon, et a son bout de la table. Elle a horreur du yogourt et de la culture que j'en fais, ou son hostilite m'a fait m'enteter. Elle ne supportait pas ndn plus de parta-ger sa salle de bains. J'ai du me bricoler quelque chose dans un coin, avec une douche, un lavabo. Mon bordel a bras, elle l'appelle. Et Dieu seul sait ce qu'elle entend par la. Je ne suis pas difficile, N'importe quelle lavasse pourvu que ce soit chaud. Mais la, elle s'est stir- passee... C'est vraiment. trop elfrontement sulfu-reux. «Tu as mis quoi dedans, beaute fatale? Un philtre d'amour? — J'ai fondu de la neige. L'eau est coupee. » Je n'ai fait qu'un bond au sous-sol. Vingt dcgres au-dessous de zero s'etaient engouffres par le soupi-rail et le tuyau gelait, gonflait, menacait d'eclater. Je 1'ai sauve in extremis avec la bonbonne ä souder. J'ai recloue le panneau, mais pas trop fort. On ne sait jamais. Je me le suis toujours dit et je n'ai pas encore eu tort. « On a fröle la catastrophe. Tu aurais du m'aver-tir. — Et me taper tes yeux poches sur un estomac vide? » C'est ainsi qu'epuise, bafoue,:je suis parti faire mon tour d'ile allonge en tour d'elle (ou vice versa) et que grelottant, transi, j'ai reussi encore ä resister au tambour du supermarche mais pas ä la cabine eventree du Roi du Chien Chaud... Mais je me suis bien rattrape : je n'y ai pas ete de: main morte. «Ca vous fait passer une nuit blanche, ä vous ronger les sangs, 5a ne vous dit meme pas: au rev>':.■ C'est le genre de grossierete, trop conjugale pour notre sante, oü je me defends de verser, mais ces fa9ons la font rigoler ä coup sür et je tenais ä la faire rigoler, quitte a le regretter... Nous sommes reconcilies. Elle plus que moi; Comme dirait Corneille, eile ne m'a pas öte d'ün doute. Je suis laiss6 sur ma faim par des allusions qui font trop adroitement tout supposer sans rien expliquer. Ce n'est pas net, sinon pas honnete : outre qu'elle jouait surTambigui'te pour me flatter, comme si j'ävais de ces vanites, comme si nos rapports pouvaient s'aventurer sur les senders battus, on ne sait pas bien comment et quelle nuit (quand on dormait ensemble ou quand eile m'a lanc6 ses signaux de detresse) a sevi le cauchemar qui lui ä fichu son coup de cafard... Je lui ai dit que je la rap-pellerais. Mais pas quand. Je n'ai pas le choix. J'ai vu jusqu'oü va son pöuvoir et si je continue de lui en donner, une chiquenaude bien placfe va me 51 démolk. Avec Exa, on díra ce qu'on voudra, on ne risque rien. Un petit malheur égal. Gonsenti. Sans. .surprises. : Je n'avais pas fini de me le dire qu'elle m'en a fait, une. Elle a tape au plafond, comme il arrive avec ses accěs de toux nerveuse, si violents qu'ils la font, suffoquer. Je me suis précipité pour la soulager, třouver son inhalateur, jeté sous le lit avec horreur ďune fois á l'autre.On peut se tromper : elle me recoit le plus décrispée qui se peut, flottant dans le nuage exhale par sa. veilleuse. Chapehere avant tout, elle a la passion des plumes, elle met les plus riches en bouquet dans des. vases á fleurs. Elle m'en préte une, émeu ou marabout, et ce n'est pas pour écrire un mot, sinon sur son dos, qu'elle me découvre en se retournant. « Plais-moi!-..-. » Quoi?... On fait comme on a ditj elle dit. On fait tout et elle rien du tout, elle veut dire. On va bien voir. Aussi-tót que l'anime. une envie, jelui retiens la main, lui confisquant bientot les deux, puis la bouche, et elle n'entend bientot plus du tout que je sois doux. Elle s'est bien débattue, mais ga ne prouve rien, c'est sa nature, elle se debat toujours, elle se bat tout court, en condamnée á mort furieuse. Elle s'est endormie dans sa sueur. J'en ai profite pour jouir un peu. ďun confort que je n'ai jamais trouvé que dans son lit, dont elle m'a toujours chassé, dans ces draps qui me font, Dieu sait pourquoi, reffet dvousečné au vent sur.. une corde á li age. « Qu'est-ce que tu fais la ? » Seandalisée. Comme si elle ne me connaissait pas. Ou si j'etais le voisiri. Le boiteiix de la station Texaco. Renaud. Elle me donne mon conge, de la main ä la main : un billet choisi parmi ceux ranges a cet effet sous ses oreillers. Le plus petit, ga a bien fair. Sacree farceuse. : Alter ne se nomme jamais. Ni sur la couverture du cahier^ ni dans les lettres integrees au texte. Tout au plus signe-t-il «your O.S.F. » quahd il s'adresse a sa vieille en la traitant de « dear S.F.A. ». Or, j'ai decode, je crois, et par hasard encore, ce dernier acronyme. Je dilapidais gentiment mon petit cadeau a la Brasserie, et je venais de refermer les pages ou: je 1'avais etudie, quand je suis retombe dessus dans le journal. Un Hell's Angel noye le portait tatoue sur un bras. Mis pour Sweet Fuck-All, d'apres la legende. Ce qui ferait de la Too Much, dans le ren-versement des valeurs propre a l'amour, une « jolie foutre-rien ». Mais c'est tout, ca ne m'apprend rieh. C'est comme autre chose : un coup qu'on le sait on. n'est pas plus avance, on est ramene dans sa petite case depart... Mais je ne demande pas mieux, je suis traite comme un dieu dans sa petite case depart, bu plus on sera d'O.S.F. et de S.F.A. plus on rira. Gagne par le bien que me faisaient mes consom-mations, qui devenait par contagion du bien que je me disais de ma Petite Tare et desa petite case depart, je me suis ouvert et laisse envahir par tout ce dont je ne savais plus pourquoi je me d^fendais tant. Plutot qu'a ma raison, je me suis fie a mon instinct de perdant. Et j'ai perdu... Je suis retombe sur 52 53 ete force de lui casser la gueule ». II a beau avoir son :: numercy: elle lui : raccroche au nez, II re- I. commence encore sa lettre. II la corrigera autant de ■fois qu'il faudra pour se donner comme il se voit, plus grand poete qu'il n'est, mais quoi. «Je me mets a genoux dans la neige et elle ne fondra plus jamais sous-moi, meme en ete, si tu ne me pardonnes pas ce pugilat, ma Bri, mon dermcr . abrii ma houri, ma noire, ma petite mere a boire, a : s'enivrer pour voir si tu ne me verrais pas plus beau, a chanter Ashes of fove a tue-tete au Manoir avec Ernie qui tapait dans ses mains sur un autre tempo, | content cretin, et la bonne femme aussi, elle se met a genoux aussi, avec son; seau et son torchon, elle : prie a la sueur de son front pour le repos du guer-rier, qu'il ait la paix qu'on leur promet, et cVi -. force, c'est a: toi qu'elle s'adresse, il n'y a que toi qui peux me la donner. » De Capricia, «mon enfant sortie toute nue du droit chemin, ma trop petite sceur», plus trace. :■ C'est comme ca que ca-vit Mais au moins ga vit, ^ ga; Ca ne traine pas, comme de ce cdte-ci, comme cet empot6-ci, cet embusque, petit parleur a per-sonne, grand faiseur de peurs a lui tout seul... < . Attends que je montre un peu ces delires a la . Petite Tare, que ca etendra raide, elle qui ne vit que de poesie, abonn^e aux plus minables revues; <:or- ? respondant avec tout ce qui se drape dedans, hantee J par la joie: de flairer un tresor, tremblant de rater J Emily Dickinson quand elle va repasser, de ne pas | savoir etre un Higginson assez sensible, aussi chaste ,j I 56 1 et dévoué. C'est son truc : un saint des saints oú je suis le seul qui ait pleinement acces, ce qui me ren-drait ľhéritier de son äme en cas de malheur, un honneur tel qu'on peut se passer de tous les autres, ce qui fait bien mon affaire.,. Julicn craint ces chiméres comme la peste, une maladie en tout cas, une cause ou un effet de ce qu'elle a: De pas normal... Ä ľheure de rentier souper, je suis passé voir un peu au Manoir si quclque « heureux berlu », ca ne pouvait pas se rater, ne me sauterait pas aux yeux, ou sur le gros čahier ä boudin, que je tirais de mon sac et laissais trainer sur le comptoir, afficher ses cceurs obscéries, aux quatre fesses embrochées par une fléche aux ailes de papillbn. Mais les environs sont farcis de « Manoirs», et ce n'était peut-étre pas son soir. Ce n'était pas le mien. J'ai dégrisé mal. J'ai cuvé en tourments mes éclats de biére avec Julien, ou je m'étais plutôt trouvé fin, qui avaient méme achevé de m'euphoriser. Je ne me päŕdonnerai pas ce dégät encore, ce caca, il ne faut pas, pour que jé continue á bien me détester, bien briiler, avoir bien soif, étre bien altéré d'amour, étre sauvé... Mais lui, le futé, il aura tout comprise il aura tout oublié. C'est á soi lui aussi, mais bien mieux, qu'il ne pardonnerä pas. II s'en voudra que ce soit lui qui ait tout eu et pas moi. II se paiera ga aussi, par-dessus le marché, ce bel état ďäme:-Tú vois; vieux, je ne sais meme plus combien jet'aime. Ca s'est mis partout. Ca va tout gater, Ce n'est plus du fiel, c'est la corrosion générale. 57 C'est ga qui est ga et qu'Exa a regu sur le coin du bibi quand elle m'a vu, ga qu'elle a reconnu et qui ne lui a pas plu, qu'elle a range dans son sac, qu'elle a mis a fermenter pour que ca fasse un plus gros tas la prochaine fois qu'il y aura de quoi, la prochaine Ibis qu'on se mordra, ou qu'on se lechera, la fagon est un detail, c'est le reglement du compte qui compte... Pour bien l'extiter, lui taper d'aplomb sur les "5 nerfs honteux, rien ne vaut que je rentre en pleine f nuit, en plein essor hilare, et que je crie «sorr> sorry » a travers la maison, demandant pardon aux murs, aux meubles, a sa porte, au trou de sa ser-rure, un rappel en contrefacon d'un numero qui Tavait emue aux larmes au cinema. Elle m'avait pris = la, main, comme pour en redemander : ga lui _| apprendra... Je m'introduis en pensee dans sa chambre et je la vois qui se roule dans ses draps, qui s'y noue en s'y tordant, qui s'y coud a coups dc | dents. Pour se retenir d'attaquer. Parce que c'est meilleur le matin. Parce que je suis sorry pour vrai. i « Call me Johnny Sorry!-- » Elle m'appelle Johnny tout court, mais pas tou-jours, Portee a ne pas m'appeler du tout quand le j; pouvoir lui echappe. Assez effrontee pour me trailer ■* de petit gars. Tu sauras ga, mon petit gars.,, Mais * on a inter^t a s'en vouloir, a soi, a l'autre, et que ca | s'accumule. Pour que ga eclate. Pour que 1'amour, i, intoierablement etoufie, comprime, et il y en a tou- | jours assez pour ga, qui n'attend que ga, fasse tout sauter. C'est ce que m'a appris Exa. Sa mecanique deglinguee... On s'ctait promis de ne plus se dire aucun mal d'elle. Ä present qu'on s'est vide, qu'il ne reste plus que le trou, qui etait ce qu'on redoutait, ce sera plus facile... II n'y a plus rien ä redouter. « Si tu ne peux pas me pardonner, aide-moi ä faire mes premiers pas sans toi... » Peüte Tare sentimentale qu'elle est, ga lui plai-rait, je ne lui dirais pas que ce n'est pas de moi. Mais la ligne est encore coupee. J'ai crop vase, bave, je ne peux plus appeler, et elle non plus, je lui ai defendu, pour ne plus, sous-entendu, troubler la paix domestique. C'etait un coup bas que je lui por-tais parce qu'elle ne le sentirait pas, froide et cruelle comme elle etait devenue l'autre matin... Dire que c'est moi qui lui prechais que ga ne vaudrait pas la peine si ce n'etait pas parfait, sublime, si on ne pou-vait pas faire mieux Fun pour l'autre que tous les autres, qui s'asphyxient les uns les autres, comme si on ne pouvait pas y echapper, qu'il fallait mourir, absolument. Avec ses nouveaux espoirs de decrocher un contrat, elle s'est remise en sevrage. En manque. Et ga la rend bizarre. Elle transgresse. Un pied par terre, un genou sur le canape, elle s'etait deployee au-dessus de moi comme un trop mauvais temps que les eclairs noirs qu'elle me langait menagaient de faire fondre sur moi... J'y ai mis la main et ga s'est arrange. Mais au moment de se soumettre, elle a fait la planche, un vieux true, infect: tu m'avais mais tu ne m'as plus, tune 1'as plus, je fais un 58 59 homme de toi puis je le défais, comme il me plait... Pour voir, on se laisse avoir, manceuvrer, entrer dans le jeu, le duel oú tous les coups sont permis; ou tout se confond, désir et agression, plaisir et rage au ventre. Elle n'a pas dit un mot, moi non plus, mais ga n'a pas nui, nos animaux ont pris le dessus, ils ont regie ca entre eux,.. Quand Exa est revenue avec le café, elle avait glissé sous la tasse un autre billet. Un plus gros. II y a comme un message. Ou il n'y en a pas. Casse-toi la téte, mon petit gars. Je me préparais á sortir, elle m'a annoncé qu'elle descendait en viile pour ses affaires ; «Je ne serai pás rentrée pour souper. » Elle attendait, comme si j'allais sauter sur la perche, et rengager les pourparlers sur ces premieres bonnes paroles á m'etre adressées depuis mon enterrement... « Fais ga, beauté. II n'y a que ga. » Ses nouveaux croquis étaient étalés sur la table, il n'y avait comme pas moyen de les ignorer. Tache un peu de me rattraper. « C'est toi qui as fait ga... — Moi toute seule. Comme un chien. » Je vais jusqu'a lui offrir de la conduire : ga ne coute pas cher et rien ne se perd. Merci, elle aime mieux prendre le champ, ce qu'elle risque en effet en touchant au volant... « C'est tes derniěres volont.es ? » On n'est pas přivé de ne plus étre son chauffeur přivé. Stationner pendant des heures chez lés doc-teurs á tickets, puis .'les producteurs, concepteUrs, intermédiaires amateurs, grands bazardeurs de 60 modes ou petits predateurs ä manufacture de sacs et de ceintures, tous aussi recalcitrants exploiteurs de ses malheurs de dessinatrice executrice. Qu'est-ce qu'elle a pu trotter, la malheureuse, mais qu'est-ce que j'ai poireaute, k me frigorifier les extremites oil a suer plein le dos en tournant aller retour le böütoh de la radio pour dejouer les assauts de la publicite. Tout seul moi aussi. Comme un chien moi aussi. La palme du martyre moi aussi. Pas toujours aux memes! Je ne pars plus sans avoir mis le cahier (uri notebook McGill, jumbo, relie en boudin) dans mon sac de voyage Air Italia, un baise-en-vilie qu'Exa avait dans ses affaires et dont on ne saura pas comment il est venu la. Mystere, comme la c.-p. qu'elle m'a refilee et dont elle s'obstirie encore, apres des annees, ä soütenif, devaht rrioi dont elle sail que je suis le mieux place pour le nier, que c'est moi qui I'avais infeetee. Si on ä les nerfs solides, on peut toujours s'essayer: elle n'a jamais tort... Si ma Petite Tare 6tait en feuilles, je pourrais la porter en bandouliere et je pourräis aller tous les apres-midi ä la brasserie m'asseoir, la sortir; 1'ouvrir, la lire. Puisqu'aussi bieh c'est une fiction, que ce qui n'a plus cours, qui est römpü, on ne peut plus queTimaginer. Que ga fasse deux jours ou des annees, c'est egal, le silence est pareil, aussi plein. Comme le temps qu'il fait, comme le froid qui a pris. J'ai toujours fait les commissions. J'aime ga. Ca donne un sens derisoire ä mes pas inutiles. Exa aväit 61 dresse une listeet je l'ai ramassee en passant, l'air 1 de rien. Elie m'a. remis.les points sur Ies,i. « C'est '| comme tu veux.Tu vois ce quite plait le plus, : que je me serve de toi.ou que je me passe de toi, et lu decides. On a Ie choix quand on. est libre!... >> EDg^jjjg va.de mieux en mieux depuis que le choc de nion effraction dans, son dejeuner Font decidee ase4fl refaire une sante. De plus, en plus rigolote,. eUe:;:;:l manie Ie sarcasnie avec un art. ou le diable ne:?! retrouverait pas sa queue. Total : pour me prouver | ma liberie, jesuis force, je n'ai pas le choix, de debt- 1 ter le memo en confetti et passer tout droit devant chez Steinberg,, filant direct a.la Brasserie, ou je me i dechiquette aussi tant qu'a faire, et ma Petite Tare-M avec. On se fait, des scenes, on est indignes de nous-'■■ii memes: a la poubelle! Je me consolerai en ce que je-M ne l'aurai pas souillee... Pas si bete. G'est un: desir -J qui nous a lies d'abord. Un semblant. Mais mes:,;.:| resistances ont si bien renforce ce courant qu'dles :j ne pouvaient plus se rompre, ou si violemment que l'electrocution aurait tout detruit, calcine. Ah je Faurai bicn eue, die avail, beau fondre entre tries bras, 9a ne causait aucun degat. C'etait aussi chaud, " et ga ne se: repandait pas plus, que le sang d'un :TJ oiseau a travers ses plumes. On a beau dire et persi-fler, on ne peut pas me nier ga, j'aurai ete la mon \ inegal, je me serai depasse. , Je relis la longue lettre ou Alter demande a Bri '\ pardon. Avec ce bien que me fait la biere et «[ui m'en fait de plus en plus penser de ma Petite Tare, i qui me la rend de plus en plus presente en brouil- lant mes sens, les mots me font Feflet d'ayoir ma :yoix, et qu;eUe. Ten tend, juste lä, ä ma portee, telle ■ < ju'en son, souffle et son parfum, repandus dans Fair, a qui Faniment, universellement, en mon seul hon-neur... J'ai une idee. Je vais Fatteindre, mais rien: que Fatteindre, en employant son code : laisser son-ner deux fois et raccrocher, toutes les demi-heures, lout en continuant de dechiffrer la journee d'Alter... Sans un signe, une manifestation de Bri, une epi-phanie, il va «foirer» au Manoir, oü il cherche ä les susciter. «Je suis tombe sur sa soi-disant meilleure amie. one ordure. Elle m'en a parle aussi longtemps que je lui ai paye ä boire, sauf qu'eile descendait ses martinis extrasecs ä la mitraillette. Une soie,: on ne l«:nt pas lui öter un cheveu, mais c'est tout un uumero, une fille de: partie, le diable au corps et rien dans le coco pour la retenir, il n'y a pas un chat dans les Deux-Iles (mais c'est surtout un cas de vieux marcous) qui ne lui a pas mis la patte en dcs-sous puis qui n'a pas ri d'elle, et de son Hernie... " Ca t'interesse ou quoi, tu n'as pas ce qu'il faut ä la maison? — J'ai tout ce qu'il faut ä la maison. Pendant que je fais la bombe, eile fait ses cömptes a la maison. Pour voir si elle vapouvoir payer l'addi-tion. II ne convient pas aux gränds seigneurs qu'ils comptent et si je n'en suis pas un je ne l'eleve pas au-dessus de sa condition." Elle ne croira pas ga, cette epluchure, aucune importance anyway. Pourvu qu'elle le repete... » ; Ga me saute ä la conscience en emergeant: pen- 62 63 dant que j'etais lui, je ne m'en voulaiš pás, jé ne tne donnais aucuh mal. Tout irritant, odieux, á rnoitié gáteux qu'il soit, je me plaisais comme on dit. Quand je me mets dans ša peáu, ce qui se cuisine á Fintérieur m'est égal, je m'en sens détaché c( je jouis de ce détachemcTif. i! me délivre. Est-ce qu'on est touš pareils. qu'on peut tout aussi peu se supporter, qu'on n "attend que Foccásion de se jeter. Dans quelque autre si possible? Est-ce que le salut c'esť Táutre, comme ne disait pas 1'autre? On rembarque Alter dans son Air Italia et on ne: va pas voler trop haul, on ne va pas faire 9a á Pacha, on ne va pas le priver de son line. On va pouvoir s'arranger Chez Perrette, avec du Purr au lieu du Nine Lives, tóuj ours souligné trois foist depuis la fois que j'ai voulu lui faire profiter d'une aubairie á 3 póur 1 $. Mais ón ne peut pas se tromper sur l'essentiel. Foie en saučě ou frais em i rice, foie de veau, de bceuf ou de pore, c'est du foie, tou-jburs du foie, rien que du foie. Cest fou, ca va le titer, mais Exa n'a plus le choix á present qu'elle n'a pas suivi rhes conseils de paysan de ne lui donner que des restants. C'est le foie qu'il aime le mieux et darts sa cervelle de chat il ne voit pas pourquoi il se corttenterait de moins. Quand Pacha n'a pas son liver, Pacha jeune, il se laisse crever anyway. II ne véut riěn savoir! Cest moi qu'elle aurait du élever de mcme... La Petite Tare n'a pas répondu á mes signaux. lis ont dů sortir. Julien est le genre qui paniquc enfermé. Avec un mépris «salutaire» pour ses propres phobies, il la charrie, comme eile dit : en skis dans les senders de la montagne, en patins au Pare Lafontaine. Puis ils soupent au restaurant et ils vont au cinema, s'il n'y a pas de hockey au Forum... j'ai pellete dans le noir, e'est-a-dire dans le blanc. J'ai ouvert un chemin ä ma furieuse, avec des rem-parts bien compactes pour l'empecher de prendre le champ. Elle est rentree epuisee, decouragee par 1'accueil que les Interesses, tous toujours debordes. ont reserve ä ses concepts. lis ont promis de faire ligurer son avenir ä un prochain ordre du jour, mais il n'a pas Fair brillant, Rien ne lui reussit jamais, Ä ces moments-lä, toute rebarbative qu'elle soit, on. voudrait la serrer dans ses bras. Mais e'est le genre d'effusions qui la font se herisser plus fort, Elle n'a pas tort. On ne devrait jamais laisser person ne aimer son maiheur. C'est des plans pour qu'ils s'y attachent et qu'ils ne puissent plus s'en passer. Ca vient d'arriver, j'ai regu son absolution, facon de parier : eile ne m'a «jamais pas pardonn6 >>. Je n'avais plus de vie, eile me l'a redonnee, J'etais enterre, elle m'a ressorti tout frais de son ventre. Et eile n'a pas de ventre. Et elle est fiere, fine comrrie un ill, de vous le montrer, de profil: « Regarde, rien du tout!...» Exa m'avait tendu le combine, sans broncher, comme si elle entendait vraiment appli-quer les resolutions de sa declaration d'autonomte. « Saint Julien... » II n'a rien dit. « Attends, je te la passe, ta petite case depart. » C'est tout. Mais sa fagon de le dire 65 disait tout Tout ce qu'elle veut Dieu le veut et Di*ni ■ crest lui, infiniment bon infinimenť aimablCj aver ga qu'il ne se met pas en croix pour expier vos péchés, „ il ne sait pas ce que c'est. ...« Cétait un si gros coup de caf que ca? . -~ Un double. Et je I'ai řegu direct sur le coin du ; bibi. (lomme tu dis. Quand tu es poli... » -t J'y suís allé un peu forten effet, et sur sa gucule i en toutes lettres. Pourquoi pas sa trógne, tant qu'a | faire? Sa hure, comme áune truie? « Cest bien hiln, ca: fait envie. on en veut un i aussi. Un ego de fantaisie. Qu'on met sur sa těle ou I sur la pateré, comme ga fait notre. affaire. » Elle m'auraitjoint avant, elle sentait combien g.i pressait, elle a préféré patienter et vider le sujet e ■ Julien au lieu de passer une autre fois á cóté pour révitěr. Elle a trouvé que je suis en rebellion rentri et que je vais exploser,Que je ne veux rien, que ji-dis non á tout comme si je leur en voulais trop, á 1 eux, aux autres, en bloc,: s'ils. avaient profite des : regies du jeu pour me spolier, ne rícn me laisser, i mais qu'ils étaient trop rapaces, ils pouvaient lotu garder, continuer tant qu'ils voudraient de m'en i dégoúter. Ce danger, ce mal resserré, tordu pour bondir et pour mordre, elle l'a toujours ílairé, il Ta : tneme tentée, elle ne: sait pas si ce. n'est pas lui qui avail hanté son mauvais réve et qu'elle: a voulu pro- í voquer ce matin-la. « Des fois, je le sens trop fort pour le supporter, J pour résister. Cest comme : " Crache-le, contente- í loi, détruis-moi"... Tu comprends ? » í Pas tellement, trop oceupe a retraiter dans ma cage afin d'echappef: aux propres serpents d'Exa, Assez pourtant pour trouver qu'elle s'est. egaree en cherchant a m'expliquer des choses qu'elle ne comprend pas, ou autrement des choses qu'elle comprend trop. Qu'elle est completement sortie du sujet, qui se resume en deux ou trois mots. Les plus beaux... Je laisse un peu ga se perdre. « He, ga va la-bas?... ~-~ Ca allait mieux quand tu me parlais de ton bibi. Parle-moi de ton bibi. - - Je le remetsentretes mains, mais je n'ai pas besom, jene 1'avais pas ote. Ca ne me fait rien que tu le maltraites un peu et d'arroser mes violettes de Parme avec mes larmes un matin ou deux, ce n'est que de l'eau de bibi tordu, et ne crains pas, ga ne saigne pas, aussi fort qu'on le torde, mais j'aime mieux quand on prenait mieux soin de nos bibis tous les deux.» En veux-tu du bibi, en voila. Avec une gravite de chair de poule dans le desir de s'en donner, de se gater. Moi grand persifleur jamais assez: desen-chante,. plonge le premier dans le delire, et pris jusqu'au trogrion, heureux de froler le ridicule et s l'obscenite avec elle parce qu'ils sont les ecueils de I 1'amour. On s'en fout si c'est charrie, si ga ne tient pas debout, pourvu que ce soit un conte de fees. « Ne nous mettons plus au regime, appelle-moi beaucoup beaucoup. -- Quand quand? — Tout le temps tout le temps. 66 67 - Oui mais... - Pas de mais, pas de cachettes;.. J'ai tout remis en question avecjulien, il est toujours. neutre. II ne veut juste pas que ga tourne mal et que ga le regarde. Etre force de s'en meler. II a horreur de ca. C'est tout. v— Au-dessus de ga. Tripette. - Tu te trompes. II se fait des proces pour dcs peccadilles. Ne pas prendre un type en stop, ecraser : une mouffette... -~ II la frequentait depuis longtemps ? » Apres s'etre trouves trop betes, on se trouvait trop fins. On ne se lachait plus. Exa a tape dans mes carreaux : il etait passe 1'heure ou je me mets dehors et mon yogourt attendait encore: «S'ils t'aiment tant, qu'ils s'abonnent, je lew ferai un prix d'amis. » Ca pourrait assommer un homme mais je n'cn suis plus la, une Petite Tare a fait un dieu de moi. J'avais reve de trahisons et tragedies, jamais que ga s'arrange aussi: bien, Sa loyaute et sa ferveur me manquaient, qui ne la faisaient rever que de ga... J'ai bien fait mon tour d'elle mais par un autre ehe-min, je suis passe par ies nuages. C'est tres risque. Autre seance d'amour venal. Penal. Exasperee encore par mon colloque au telephone, Exa n'a rien voulu savoir des caresses et des baisers, elle etait prete, elle s'est dechainee, dans le discours surtout. Elle me jetait a la Figure ce qu'elle avait de plus sale, avec une passion, un plaisir qui dissuadaient de la censurer. D'ailleurs, ga me concernait peu ou pas, c'est les yeux fermés et pour se sonner elle-méme qu'elle portait ces coups de si bon cceur. Á ce sport, nous n'apprecions d'etre menés ni 1'un ni Pautre:, et je n'avais pas non plus le gout de lui rendrc la pareille, mes propres comptes étaient regies, si par-faitement que je ne tirais désir ou plaisir que de/ 1'aider á trouver ce qu'elle cherchait, comme de -plus en plus loin aux confins ďelle-méme, en Cét autre monde ou tout avait commence, ou on l'avait chassée, fait mal une fois pour toutes. Et s'y donne aussi bien á froid, sinon mieux, il n'y a pas plus amateur qu'un amoureux, comme on se dit dans le milieu. J'etais curieux aussi, de voir un secret lui échapper, ou si elle allait émerger de temps en temps et chercher á prendre contact. On en a trop bave ensemble, on a trop payé pour ce que ga vaut : j'y dens. Je n'entends pas qu'elle se mette á me filer entre les bras, comme ga, comme si ga n'allait pas s'arre-ter avant qu'il n'en reste plus. Et puis je ne reviens jamais de cette fagon qu'elle a, quand c'est fmi, de vous tourner le dos pour vous chasser de son lit, « Alio, j'ai pcur. » Mais ga ne se dit pas. Elle nous a fait monter trop haut. A ces sommets^ on se rend tout trop dange-reux, méme d'en parler. Ca ne peut supporter le moindre écárt d'expression, la moindre agitation. Un soupir suffit á troubler 1'équilibre et vous fait basculer. Je me suis torture deux heures á la Brasserie avant de me mesurer au telephone et je trem-blais encore autant de toucher á notre... (je n'ose méme pas lui donner un nom), d'affecter en y tou- 68 69 « Qu'il" ne me doit pas sa: chemise, juste une it bonne cuite. Tu sais bien qu'il n'a pas le temps. Le peu I qu'il aurait, je lui prends. II faut bien. J'ai des toi- J lettes ä porter qui vont se decatir. » : ,| Qa surprend toujours dans sa bouche. El!e sort i peu, mais dans le grand monde. Elle aime a joucr un: role, dans leur guignol et eile se pourvoit en . consequence; Une fois, toute la nuit, eile m'a fait un : defile de mode. Elle a retenu mes remarques et fait j efiectuer des retouches. Elle n'a plus non plus porte | de soutien, que je jugeais superflu. «J'avoue, il n'y a J vraiment pas de quoi... » On se demande un peu. 1 Mais tout amour avec moi, elle aime, elle: aime 1 d'amour, avoir une haute idee de mon goüt... | Amour que tu es va, amour de mon amour do 5 : 1'amour allez, je ne vais plus me retenir tiens, je vais | :. t'appeler mon amour gros comme le braSj mais 9a | restera entre nous, entre mon bibi et moi, ca ne te | regardera pas, tu pourras te promener toute nue | tant que tu voudras... Ah il n'y a rien de trop beau! J Mon vieil Alterest tout ce qui m'adore? N'en par- J Ions plus, il est ä toi, dans le tas de tout ce que tu as, 1 avec tes petits seins distingues, tout tetus quand il | faut s'affirmer. Tu me dis que tu le veux et je n'y i tiens pluSj je fais un paquet, je te l'envoie; i C'est pass6 rever, ca nage, on est pris peu ä peu | dans I'epaisseur d'un flot dont on devient le mouve- j ment, et ca ne va nulle part, c'est son propre but, qa 1 se suffit, infiniment. Ca revient toujours au m6me, 1 en plus conforme, et ca ne craint rien, on n'a plus | qu'a rester assis la ou ailleurs. Comme au bar « Au Quai», un trou que j'ai visite dans les entrailles du Mail. Le genre ou il fait toujours nuit, comme elle aime, et a ces heures je m'y trouverais seul avec elle. Je m'y vois deja. De fond en comble: En projection si controlee, si parfaite a l'interieur de ma bulle que je ne sais plus si ca vaut le deplacement Exa he m'a pas attendu, elle s'est servie. Elle est d'un sang-froid admirable. Elle se leve et, pas un mot plus haut que l'autre, elle me fait chauffer d'autres pates. Al dente. Un exploit qu'elle s'enor-gueillit de reussir les yeux fermes... II faut avoir mange les spaghetti d'une femme qui sait dans son cceur de femme, qui ne se trompe jamais, que vous la trahissezi, que vous Favez encore fait... qui n'a rien pour le prouver, qui ne pourrait rien trouver, mais qui s'en fiche, on ne peut pas avoir ia gueule que vous avez quand elle vous voit comme un traitre sans etre un traitre. II faut avoir mange: les spaghetti d'Exa pour savoir ce que baiser veut dire, et malgre tout le bien qu'on peut lui vouloir oh ne lui pardonnera jamais 5a. Elle est toujours en train de vous avoir, vous posseder. Ainsi la manie qu'elle a toujours eu de ne pouvoir prendre une bouchee sans se defanger, bien ostensiblement ■■ pour le pain, le beurre, le parmesan rape, faire bouillir Feau du the. Puis niter. «Je vais me contenter avant de mourir : je vais rne faire servir... » C'est tout de Famour. Son autre facon de vous le faire.;i Et c'est reussi, on ne peut pas rendre un 73 pauvre type, unnul, plus odieux!... Puis eile va < fourrager dans: son atelier en se faisant jouer ses 1 Rolling Stones. Elle leur fait dormer tout ce qu'ils ] ont. Je ne suis plus la pour Fempecher. J'existe trop : puis je n'existe plus. Gontrole total sur le rheostat. : Apres en avoir perdu un grand bout, trop bien raye, indechiffrable, on retrouve Alter qui se rabi-boche avec le mari de sa Bri, le fameux. Ernie dont il a tape le museau... II a ete le relancer chez lui,: pour mieux nettoyer ses degäts, se refaire un lit propre... « On s'est mal compris, je lui.ai dit, il ne s'est rien passe dans le parking, c'est elle qui nous a baises tous les deux, en nous dressant Tun contre 1'autre, un true qu'elles ont toutes dans leur sac pour nous empecher de se passer d'elles. II a tout gobe, le saffre. II a eu Fair. » II lui a parle de son crochet du gauche, assure de son potentiel, tel qu'un reglage vite fait saurait le tirer d'embarras ä Favenir... Apres la legon de boxe, oü il a vu ä bien amuser, bien divertir le grand enfant qu'est un grand cocu, ils ont ete foirer au Manoir et laisse Bri pester devant sa tele comme si elle ne savait pas quelle etak l'enjeu de ces precedes; Puis on arrive ä ces lignes, ou je; suis peu ä peu magnetise, comme si j'ailais entrer en prise directe : « Ernie s'est degonfle. On n'etait plus que trois, ici et lä, le genre de clients qui traineront encore apres que les etoiles se seront eteintes et toutes les chaises au monde accrochees sens dessus dessous autour des tables. L'un, pour qui e'etait dejä fait, ou qui voulait precipiter les choses, a fourre la main sous la mini dela serveuse oceupée á passer le torchon. L'autre a bondi pour lui entrer dedans, trop heu-reux de lui faire bouffer ses dents. La serveuse a paniqué. Je me suis jeté avec elle entre les deux épais. II n'y a rien eu de cassé. Ce qui m'a le plus írappé c'est le concert qu'on se donnaít nez á nez, les soufllets de forge... »j'etais la!... Mais je ne sais plus qui j'etais dans le tas, si ce n'est ďavoir été « amoureux soúl» de cette serveuse et qu'elle a dis-paru la-dessus. Dans ce qui remonte á ma mémoire et qui ne va pas se cristalliser, je me vois pourtant m'interposer plutót qu'attaquer, qui n'est ďaucune i'acon dans mes dispositions. Mais si je me refonds assez dans mon flou éthylique, ou toutes les sensations s'equivalent, je peux entrer dans la peau des deux autres et me reconnaítre aussi exactement. If est possible aussi qu'Alter ait préféré mon role á celui de matamore et qu'il se le soit attribué...■■■Ca me fiche un sacré coup. Comme á deux doigts d'un déclic qui ferait tout basculer dans rimaginaire. Parlant d'entrer dans la peau des autres : encore une seance, encore en haut, encore á Pheure attri-buée jusqu'aux derniers événements a la Petite Tare. Pour une raison ou pour une autre, en tout cas pas pour me flatter, elle fait la planche encore, ou disons le mot : le veau. Est-ce qu'elle se figure que je vais me mettre á la claquer, comme son ex, qu'elle va avoir ga aussi á m'accrocher au cou, ou est-ce qu'elle me rend ce que je lui ai du en me servant ďelle á Foccasion comme paillasson ?■ Mettons que c'est comme ca que c'est et qu'on finit tous par 75 aimer mieux créver, ce qui regie tout, méme le probléme de la mort. Elle m'a retenu quand je me suis levé et j'ai cru que c'etait pour s'excuser en me gar-daňt á dormir. C'etait pour s'offrir encore et le faire encore. Le veau. Á quoi elle joue, ou si elle ne joue plus? Si elle a entrepris de se detacher en cisaillant brin par brin ce qui nous lie encore?... Est-ce qu'elle s'est ouverte á Simon, qui m'a tou-jours regardé á travers un collimateur? Est-cc qu'elle a rencontre quelqu'un, lu quelque chose elle aussi qui Fa bouleversée; lui a donné cette longue vue qu'on a quand on se voit comme si on était un autre, ou qu'on a violemment éprouvé qu'on pou-vait en devenir un? Est-ce que je sais?... Est-ce qu'elle ne se drogue plus ou elle se drogue plus?... Je ne Fentends plus se lever la nuit, ouvrir le robi-net pour se soigner, mais je ne la passe plus non plus á faire le joii coeur au telephone. « As-tu pris ta temperature?---H faut? — Puisque c'est une question de vie ou de mort... — J'aime mieux te parler, espěce, et je ne peux pas en méme temps. —: Mais oui! Tu sais bien... — Sous le bras?... Est-ce bien sérieux?... »Je me rappelle encore mot pour mot les niaiseries dont nous nous régalions quand Exa m'a surpris le nez dans le combine. J'en frissonne encore, stupéfiée qu'elle était, frappée ďincrédulité devant un crime, un sordide... Et pourtant, outre que je ne Fai jamais traítée de si moche et si chiche facon, nous n'avons jamais rien fait de mal. Rien fait de bien?... C'est une ceuvre pie que d'aider deux poids morts á se trainer, á 76 s'oter, comme dirait Alter, « de dans le chemin des 'Prop Satires ». Pas de petit cadeau. Mais ce matin, avec le cafe, elle me reserve une surprise, elle me sen. les cles de Fauto. « Va te casser la gueule; Ce sera toujours ca de fait. » Depuis qu'elle se fait un point d'honneur de ne plus me demander rien que de Famous il doit manquer des tas de provisions, et ce sera un moyen detourne de m'envoyer au supermarche. II n'en est rien. Elle s'est avisee qu'on prend les commandes au telephone et qu'on fait la livraison : la corvee me sera toute epargnee, a moins que 9a ne me valorise et que j'y tienne absolument... Elle a trouve la comme un bon clou a m'enfoncer dans le bibi. Mais j'entends son discours autremeht. Comme une musique en voie de disparition. En effet, machine a paroles qu'elle etait, elle ne m'en adresse a peu pres plus, sinon en paraboles... Don-nant ma propre langue au chat, je lui rends la sou-coupe avec les cles dedans. Elle y voit que je liens a etre gratifie cash. Qa la fait sourire. Ca lui fait plai-sir. Ou autre chose. Dont je lui laisse toute la res-ponsabilite. Et encourir les consequences, Elle Favoue enfin, ou elle s'en vante : elle est fauchee, ses dettes ont bouffe sa mensualite' d'heritiere adoptive. ■■■ « Vas-tu me faire credit ou si tu vas me priver? — Tu vas te debrbuiller. » 77 Ca our l*a cue. Cest eile qui a eu le sifflet coupe, une fois. F J'ai iait le tour d'elle. Je Ie fais toujours ä present, (ja simplifie tout, La journee y est completement engloutie. Je pars apres que j'ai fmi de me lever, je reviens ä la noirceur. Pour me degeler les oreilles, je me? suis reiugie chez Steinberg, dans le tambour de nos premiers emois, de nos debattements de coeur. tels qu'il m'est arrive, gonfle par ses soupirs, de m'envoler la trouver, avee le diable aux trousses et les Erinyes qui se dechainaient dans les sacs de provisions sur la banquette arriere... L'offre de services «Aux Dames» a ete repiquee sur le babillard. Comme si Exa avail decide de renoncer ä ses ambitions, eile a signe « Torrent», remettant le petit«t» qu'en tant qu'artiste eile avait öte. Pareil Chez Perrette, oü je me suis arrete voir. Elle a refait sa tournee de promotion. Malgre le talent qu'on lui reconnait comme « modiste », une impropriete reductrice, el qui la met en rogne, eile n'a jamais pu se creer une clientele, on a peur d'elle. On ne se fait pas dire deux fois: « Vous reviendrez quand vous aurez perdu du poids, je ne taille pas dans les bourrelets. » Julien est pein6, c'est le mot fidelement rapporte par mon amour, que je n'aie pas voulu de sa B.M., il ne veut pas en faire profiter un requin de la revente, il ne sait pas quoi faire^ il va l'erivoyer ä la casse ou I'entreposer et la tenir ä ma disposition de toute fagon, Mon amour n'etait pas brillante. Elle a quel-que chose, eile ne sait pas trop ce que c'est, « c'est: fou, c'est comme de la confiture; — Exa ne va pas bien non plus. — Que c'est qu'elle aaaaa, Exaaaaa?.., — Elle m'a, quoiv — La maíheureuse! Mais on pleurera la-dessus Line autre: íbisj veux-tu. Quánd case trouvera, qu'on pourra se soutenir en se serrant dans nos bras. Comme quand tu viendras me montrer ton il alter... » Je ne sais pas ce qui lui a pris de mettrc un double. v lá, mais ce n'est pas moi qui vais I'oter, il va rester lá. «Juste au-dessous, il y a un studio vacant, un nain-et-demi comme on dít. Ca te cónviencírait. Juste assez grand pour penser á moi, á montér chez moi. Je vais faire le trottoir, je vais te Ie payer, ce ne sera pas un cadeau de riche, tu ne pourras pas refuser. >> ■': EDes ont toutes le trottoir á la bouche. C'est leur (aeon de dénoncer, il parait, qu'on les fait putasser dans le lit conjugal. : « Mais si je travaillais, je ne serais plus une vraie petite tare. Une vraie ivraie, comme qa se traduit de I'anglais. Ca m'embeterait. Ca me refroidirait avec Emily (Dickinson) qui n'a jamais rien fait. Qui n'a rien fichu avec le moins de mots possible, et les moindres. lis disparaissent avant qu'on les saisisse... Attends, je vais te montrer, espěce. » EUe m'a récité, chanté plutóí, et c'est lá qu'on voit que ce n'est pas une voix d'oiseau qu'elle a mais la voix d'Emily měme, un poeme ou celle-ci tient dans sa main, qu'elle ne veut plus ouvrir pour 78 79 departs sont annules surmon divan. Je peux rester tout le temps allonge sans bouger, parce que j'ai tout le temps et, comme c'est tout ce que j'ai avec un amour qui a les memes proprietes fluides exacte-ment, tdute faculte de baigner dedans, me laisser dissoudre et dissiper, remplir en m en remplissasat une perfection sans bords, rimrnobile proprete de ce que nul n'a touche, n'a raisonne, de ce dont nul n'a use, n'a rien fait, moi le premier. Tout arrive. Dix minutes apres l'assez mauvaise nouvelle qu'elle attendait de La Femme qui aimait trap, Exa en recoit une assez bonne, malgre qu'elle cache sa joie... L'Opera, dont elle n'esperait plus rien. la prend a l'essai dans ses ateliers, comme patronne en second. «un boulot de flic et de bouffeuse de merde », ils auraient aussi bien fait de 1'« attcler a un moulin » (a coudre)... «Mais c'est bien paye... Je la boufferai par amour, pour m'en fourrer jusque-la... De 1'amour, bien entendu...» Plus jamais de travers ou de biais. Toujours direct sur le coin du bibi. Du mien mais du sien aussi... De la belle ouvrage. En depit de quoi, pour dire comment c'est, qu'on s'habitue aux pires indi-gnites, qu'on en redemande, je n'oublie pas qu'elle ne m'a pas verse mon dernier petit cadeau. Encore un peu et je lui ferais signer une reconnaissance. Pour 2 veaux. Pour ne pas me ramasser avec la cervelle en icecream, j'ai mis le bonnet fourre de 1'ex, apres l'avoir désinfecté un maximum avec la poudre antíparasite á Pacha, pour montrér á qui de droit que je suis aussi farceur qu'avantj moi. C'est tout ce que 1'ex a laissé, curieux si on ádmet qu'oublier sa coilfurc signiiie symboliquement qu'on a perdu ce qu'il y avait dedans. C'etait son tapabor, dróle de mot dont la Petite Tare, dont c'est le rayon, m'assure qu'il est en bon francais du xvme et que c'est tout á lait ce qu'il désignait, avec ses bords qui se tapent sur les oreilles. Elle en connait tout un chapitre aussi sur le frappe-d'abord, qui était un moustique, un taon, avant de se corrompre en ýrappé-bord et devenir un íier-á-bras, un matamore, á qui ne saurait mieux convenir le tapabor. Elle est joyeuse et volubile, toute au tour qu'elle a dans son sac. Demain, elle sort. Elle a des devoirs á rendre. Et comme elle craint toujours de se hasarder toute seule en plein jour, elle devra compter sur son garde-du-cceur. «Je t'attends dans le hall. A deux tapant. Sans faute. Tu me reconnattras facilement, j'aurai un cceur sur la main et il se rnettra á battre... >> Comment résister á pareil traitement?... Mais á ces heures escamoter la bagnole, pas moyen. Ije train, il passe trop loin. En stop, on peut y rester. Dix minutes immobile, on cristallise : un poids-lourd passe, on est jeté á terre par la chasse d'air, on a tout ce qui dépasse qui se casse... Qa la fait rigoler. C'est tout du oui pour elle. Elle a déjá hate, ellerac-croche au plus coupant, comme si la durée de la conversation allait me retarder... Le champ est libre et Walter a passé une partie 82 83 de la nuit a se projeter ce quilui a semble un sourire a travers la vitre embuce d'une voiture. II attend jusqu'a midi pour telephoner, il frappe Ernie. Qu'est-ce qu'il fait de bon ? II a le capot sur le dos, il s'en va payer ses comptes,et ceux de-sa folle... Sa Bri est a sa merci, «toute seule avec ses djeaux dans son rack-a-djeaux et le courrier d'Adele a la radio ». Feignante et depensiere. Tous les vices! II avait eu la main dessus, il la tenait... Elle n'a pas raison de se mefier, elle va repondre, il s'agit de lancer les mots qui vont la harponner. II a beau laisser sonner dix coups, recommencer, en laisser sonner vingt, courir au Manoir et camper dans la cabine avec son drink, ca ne.s'emeut pas, c'est le mur et il ne va pas bron-cher, des coups de fil ne vont pas le jeter a terre, il a bien peur. Battu par un froid souffle a une velocite qui « fait changer de cote de rue les poteaux », il se donne une derniere chance aux abords de la station-service avant de tomber paralyse dans un banc de neige... Mais 9a decroche, it est sauve, il la tient. Elle a passe la journee en ville, a magasiner avec une copine. Elle a trouve aux comptoirs beaute d'Ogilvy ce qu'il y a de mieux comme creme, elle croit, au prix que 5a vaut, pour defendre sa peau contre le fameux chauffage electrique installe par Ernie... «11 n'en fera jamais d'autres! Un danger public! Appelle la police! >> Dans le creux qui repond qu'elle ne peut pas repondre, on entend bri-coler tout a cote. Je te veux, il lui dit tout a trac, et de repondre oui ou non, et puis non, pas de non, out ou rien. Elle se tait. Secoue de frissons qui le 84 font malgre lui claquer des dents, il lui remet ga jusqu'a ce qu'elle reporide, et elle n'a pas le choix de repondre autrement qu'il veut II lui demande alors un baiser et, de la meme fagon, il i'obtient. Si Walter est poete, au sens ou l'entend aussi la Petite Tare, il est sauve. Mais l'est-il, a-t-il transfigure toute cette camelote ou s'est-il laisse fagonner par elle? J'ai peur pour lui qu'il ait tout rate, nierhe la redemption pour laquelle il a tout rate. Comme les saints dans le temps. Mais on s'en fout. Quahd je me mets a sa place, a l'exterieur, hors de mon impossible element, je me sens decoirice; beaucoup mieux fait pour Poccuper que mon propre sac... J'ai passe la soiree la-dessus, et ma furieuse a coudre, alin d'avoir de quoi sur le dos pour aller ram<;r. La bouche amere un peu, mais l'ceil clair et le cheveu soyeux, elle tient le coup. Moi aussi, mais pas tout seul... Son cceur est en or ce coup-ci, Pair de rien mais tout rond, tout lourdi, congu pour trouver sa place au fond de ma poche, avec la monnaie, et se redon-ner aux moments de mauvais desceuvrement. J'ai marche depuis le boulevard Metropolitain, ou m'a abandonne mon samaritain, et j'ai le bout du hez blanc, elle me fait remarquer. Elle n'a jamais vu ga. « Tu ne le reverras plus non plus. II est fichu. Je 1'ai recolle mais ga ne va pas tenir... » On s'en passera, elle me dit, dans un grand elan d'elevation des sentiments, enroulant dans le meme mouvement six fois sa laine autour du sien. On ira a pied, ce n'est pas loin. Quand ils ont demenage, elle 85 s'est relog^e tout pres expres, Elle me donne a tenn le parapluie qui la protegera comme il pourra,, ave< ses verres filtrants, du soleil rasant, particulieremcni noeif Elle portera le balai, dont j'ai cru qu'elle l'ayait pris par distraction. Mais non, elle est une I vraie soreiere. Le cimetiere Ivremont a des arbres si hauts, m (burres d'aiguilles, et ils se serrent autour de nous dc telle fagon, qu'il y fait bon, qu'on y a chaud. G'est It-grand luxe et ga saute aux yeux, meme hors saisi >n, sans les haies, les massifs, ou chaque fleur, chaque feuillage attire une espece d'oiseau, de papillon Ma is ga ne me coutera pas cher. « J'ai le bras long. Quand nous serons morts tou^ les trois, je te ferai mettre en douce a cote de moi. Disons de l'autre cote de moi... » : C'est tout au fond et c'est comme s'il n'y avait rien, jusqu'a ce que ie balai ait decouvert le noir au fond de la neige et degage le grand lit de granit. Gompletement lisse et silencieux : il n'y a rien de grave, pas un signe, . « Parle-lui, c'est lui, c'est ton petit frere. » G'est ce qu'on lui disait quaud on 1'emmenait | voir Alexis et qu'elle croyait qu'elle le verrait pour vrai.. « G'est ici que je suis nee. On me.Pa: cache\.. Ma mere avait une grossesse difficile et une nuit qu'HIc dormait avec la sienne, elle Pa trouvee morte : elle a saisi son cadavre en se blottissant pour chercher sa chaleur. Dans la folie de ses douleurs,ma mere est venue m'avoir la-dessus, avec la sienne la-desstjus. 86 Elle m'a eue comme un animal : dans la fourrure qu'elle avait mise en pleine canicule; Elle a coupe le cordon avec ses dents, sous une pluie d'etoiles, Ga sest infecte. Ca m'a donne un nombril chiche et repugnant, je ne le montre a personne, je vais te le montrer si tu as une minute... » Elle met une eternite a se dezipper, d^boutonner, ecarter jusqu'au fond ses pelures et denicher le lameux phenomene. Autant que je m'y connaisse, il. n'a rien de special. Ge n'est pas non plus la fontaine aux papillons, mais bon. Elle me fait toucher pour me montrer que c'est sensible encore, comme pas gueri. II y a de ga. Elle se met a genoux et frappe au tombeau, se repandant pour y coller Poreille et voir si ga repond. Puis elle s'etend toute et m'invite a la joindre, a l'abri du parapluie, un peu comme a la plage. Puis elle me fait fermer les yeux avec elle et contempler notre avenir, regarder comme on va se la couler douce... D'un certain cote, disons Pautre cote, je suis toute a toi, toute a toi, tu sais ga?... C'est des folies, c'est de la poesie, on ne peut pas repondre a ga... « C'est fou tout ce que je me permets avec toi. C'est vrai!.., Ce n'est pas vrai, ce qui est fou c'est tout ce qui nous retient de nous loger dans tout ce qu'on est, une mesange ici, un etourneau la. Les enrends-tu?... Du dehors, ou du dedans d'eux?... T'outes les creatures, et jusqu'aux vegetaux, aux mineraux, sont des fagons d'etre, on ne le sait pas assez, et que toutes ensemble elles forment un grand miroir qui nous reflech.it, qui nous montre tous nos: 87 visages, tous ceUx que nous aurions si nous voulions, si nous ne tenions pas tant a n'en avoir qu'un... Le plus rigolo, c'est que 9a reviendrait a n'en avoir y aucun : d'une fois a F autre on ne se connaitrait plus, ce serait toujours a refaire. Ah la jolie petite grue, tu te serais dit, en grand rapace, et tu m'aurais posee ici, par la peau du cou. Ah je me dis, quelle audace, et on le fait, la-dessus, mais on est restes frere ct sceur, et ea nous tue! Crac, on s'ecroule a travers la dalle, on ne: saura jamais pourquoi... Veux-tu?... »■ Je veux bien mais il ne faut pas charrier : frere el sceur comme on est, ca ne risque rien... Justement, elle dit On. 1'est a mort ou n'en parlons plus* puisqu'autrement 9a ne compte pas, 9a ne cree pas-■de crimes... Elle a beau tirer sur son nez ses lunettes, on ne voit pas ce que ga veutdire. Ou devenir. ■ ■ ■.« Une vieille chouette. La plus vieille chouette: que tu pourras.» G'est ce qu'elle repondait a Julien quand il ne voulait pas vivre avec elle et qu'il lui demandait : « Qu'est-ce que tu veux que je fasse de toi ? » : . Ca introduit bien le cahier de Walter, que je ne savais comment sortir de son sac. Du bout de son doigt gante, elle parcourt les deux coeurs transper-ces, puis les gouttes de sang,- ou elle decouvre aussi-tot.ceci, qui m'avait echappe : une lettre est cachee enchacune et les quatre, en fusionnant les pareilles, font s'enchainer « O.S.F. » et « S.F.A. » sous un autre nom. Apres un effort de ses yeux fermes qui la fait dresser ses antennes et capter les vibrations, elle ouvre auhasard, elle tombe en plein srn- unepriěre au soleil, qu'elle me fait lire. Dors veau ďor léché jusqu'au sang Par ks trop sqffies awe dents de. scie Meurs ernpesté par kurs encens \ Fumée des sueurs et des crachats Va te cocker, poussak . Out toi le gros, pousse-toi Que nos amours mal éblouies v. Se trouvent un peu dans l'mjini Mes petites étoiles et moi Si volontiers bavarde, elle se tait. Une main posée sur Tceuvre, elle m'en prend une et me la tient par-dessus, en un long serment. «C'est lui, c'est le prétre, il nous a touches, il nous a bénis. G'est fini, rien ne pourra plus jamais nous séparer.» Je vais lui laisser le tout, qu'elle me promet de me rendre aussitöt qu'elle l'aura lu et que, pour garan-tir son existence, elle l'aura fait photocopier. Elle a la clé du pavilion de barriěre. Elle a affaire au « powder-room », oü elle m'appelle ensuite et me raconte en se rajustant, inspirée par des lieux qui font toujours terrorisée, 1'enfant qu'elle était, complětement infectei Elle ne faisait pas pipi au lit mais partout. En classe, ä table, au jeu avec la voir sine, au souvenir de son frére, á la moindre emotion, 9a partait. Elle a tout tenté, tout essayé : ni boire ni manger, ne rien entendre et regarder ä 88 89 tote, renoncer ä■; toute affection, tout: attendrisse- | ment, Rien n'y faisait. Quelque chose arrivait, qu'on ne peut prevoir, controler : une bonne note, un reve, un baiser de sa mere. Tout finissait par | l'humilier, dans sa plus inquietante intimite. f « Ca s'est passe quand un vicieux m'a tripotee. Je me suis glaeee. » v L'air de rien, tout ca-Fa esquintee. Elle se hele im taxi ä qui elle entend payer aussi mon propre I retour, mais elle n'a pas assez d'argent sur eile. Pour i chasser la gene, eile en cree de plus en plus : eile insiste, elle m'en prie, ä tour de bras, elle en a des tas qui trainent, ä deux pas. Mal retombes sur terre, | on patauge, on vasouille, on n'en sort plus, on se | met d'aecord le moins mal qu'on peut sur une | conduite ä la gare Windsor. En chemin, 111c = s'appuie sur mon epaule et s'assoupit dans la touf- J femy ne se laissant secouer ä Farrivee que pour s<- -laisser tomber sur mes genoux, oü elle dormirait J encore si je ne m'etais pas arrache, avec toutes mes I racines. — ]' Le train s'arrete avant et apres les Deux-Iles, pas pendant. Je continue ä pied, sans lever le pouce, ou i me hater, pour bien decompresser. J'eprouve ä mon , tour combien c'est epuisant d'aimer. Le trop grand * feu que ca nourrit vous devore aussi, et vous vide. Pas une lumiere allumee; La maison me fait un drole d'effet blottie toute noire dans la neige. Exa a fiche le camp. Meme pas vachement: elle a laisse la cle dans la boite. Elle n'a manifeste aucune animo-site particuliere ä mon depart hätif, sans dejeuner. 90 s Elle ne m'a pas dit bonjour mais on ne se dit plus jamais bonjoUr Elle a mis du Gel dans le regard qu'elle m'a jete, mais comme dans tout ce qu'elle me fait avaler, pas plus. Ou peut-elle etre passee? Profondement misogyne et convaincue de la tar-tuferie des affections platoniques, elle n'a pas de vrais amis. Elle n'a meme pas de famille. Toute seule comme un chien. On ne dit jamais comme une chienne. Ce serait trop dur, on ne pourrait pas le supporter. Est-ce qu'elle est allee trainer dans les bars; draguer? Perdre le peu qu'elle a a chercher tout ce qu'elle n'a pas ou il n'est pas, et qui ne lui conviendrait de toute facon pas avec la te"te qu'elle a a n'etre jamais satisfaite?... Au moment ou je vais marcher sur mon orgueil et appeler Simon pour m'assurer qu'il n'est au cou-rant de rien qu'en cas de malheur on me reproche-rait de ne pas avoir cherche a savoir, le reflet de ses phares eblouit le mur ou elle m'avait accule... Je ne reste pas plante la. De quoi j'aurais Fair? Je fais de fair. «J'en ai trouve. Tiens! » De l'argent. I^e petit cadeau qu'elle me devait. II a Fair d'y en avoir plein d'ou 9a vient. Elle m'en jette encore autant apres la douche,: ou elle est venue me surprendre, harnachee de sous-vetements qu'elle a tenu a defendre, et r6ussi a garden pour me frustrer ou m'exciter, sinon les deux, violente et determinee a controler le jeu jusqu'au bout me reduire tout a fait a une passivite d'objet, intole- 91 rable. Elle n'a jamais rien fait de pareil, mane jamais voulu me savonner le dos. On se demande encore ce qui lui prend, quel plaisir elle y prend, mais aussij avec cet air qu'elle a de bien savoir ce qu'elle fait : ou elle l'a pris, ou elle a appris... A moins qu'elle ne l'aie toujours eu et retenu, que la barre ait lache sous la tension de nos rapports. Je decouvre ici.et la, dans les; replis de notre echec consenti, des remous ou ca se montrait, cherchait a s'exprimer,: mais parce que je n'avais pas assez de ;| respect pour elle, assez de regard comme on dit en anglais, je n'y ai pas fait attention. « C'est dememe que tu Pas gagne?... » Elle allait repondre, elle ne va pas. Elle a raison. On ne va pas recommencer. II n'y a plus rien la. Plus un mot qu'on n'a pas lance au cceur de l'autre et qui n'est pas reste plante la, qui n'y a pas verse tout son sens... La Petite Tare a passe une nuit agitee, bourrelre par un tas de petits trues qu'elle se reprochait, ses exces de confidences et autres. On dirait vraiment . que ce n'est pas feint, qu'elle ne fait pas la peche -jrj aux compliments, qu'elle ne le sait vraiment pas ?j qu'elle est epatante. t. «Ah, mon espece, qu'est-ce qui m'a pris, a imu aussii de tenir a te fourrer du fric dans les mains?... > C'est la race, on ne peut pas s'empecher d'encoura- $ ger la mendicite... Une vraie saffre!... Tu vois. j'ai \ compris, je me suis appliquee et j'ai finalemcnt -| reussi... Je ne t'ai pas trop desappointe? Tu me l< promets?... Moi, j'etais epuisee a la fin tellement tu : rri'appointais avec tous tes yeux; si attentifs, tellement tu me tenais dressee stir ma pointe... As-tu vu, c,a m'a gagne : je vergibere... » Ce qui lui a le plus plu chez Walter, ce sont les «tellement». «11 y a tellement de tellement, il en met tellement, on ne sait plus s'il a peur de ne pas avoir assez ou peur de ne pas assez donner... » Comme bien d'autres choses, elle a des yeux uniques, a elle toute seule. Leur sensibilite, si dou-loureuse au soleil, lui donne une vue non seulement parfaite, mais parfaitement detectrice et correctrice, apte a vous regarder comme vous seriez si on rie vous avait pas completement rate, et dechiffrer sur le coup n'importe quel gribouillis. Elle a passe sans effort a travers la moitie du cahier, qu'elle veut gar-der toute une veillee encore pour avoir eu, comme elle dit, un rapport charnel complet. La photocopie ne lui suffira qu'apres. Je lui avals signale les pages ou j'ai perdu le fil dans le tissu des excisions en zigzag et repentirs chevauchants, des eclosions flechees et rorids de tasse de cafe copieusement ornementes. Elle s'y est attachee et peut me les rendre a peu pres de memoire. Bri s'est laisse toucherj dans les deux sens, et les amants maudits ont decide de solenniser l'eveiie'-ment, « publier leurs bans » dans un tas de bouffe et de boisson, avec la Too Much qui jouait de l'accor-deon sur tout ga comme si ga ne la regardait pas, si ces jeux n'etaient plus de son age en effet, qu'elle aimait vraiment mieux « regarder patir les autres ».. 92 93 Le lendemain, Walter, qui en veut toujours telle-ment, semble en avoir eu asscz. «Je ne comprenais pas le cri de joie que Bri avail pousse dans la nuit dont nous ne voyions pas qu'elle etait finie et qui continuait de trainer nos cceurs cre-ves, pilles, a travers la cendre et les megots, les ddgats de biere et les eclats de verre. J'en ai pousse: un aussi et en le poussant j'ai compris. Je iai comprise. Etre ou ne pas etre eu... » II y a eu du grabuge. Les coups ont encore vole. « C'est lui qui m'a saute dessus. Je lui en devais trop, je baissais les bras, je ne me defendais pas. Ce sont les femmes qui m'ont defendu. Pauvre Ernie, dies sont sans pitie. Toujours sur le bord du plus fort. Histoire d'ameliorer la race. » Pour alleger l'atmospherej ils ont decide Bri a faire. son show. Montrer ses djeaux. Ca n'a pas ete dur. Elle s'est toujours crue mieux carrossee que toutes ces topless, sinon ce qu'il y a de plus femelle que le diable a concu, et elle ne se fait pas prier pour se justifier. Sur les accords de L'Ange: bleu, rameutes par la Too Much, et ils ont siffle, ehahute, bien montre qu'ils etaient civilises^ qu'ils avaient socialise leurs instincts. Mais ga s'est encore gate. Ernie s'est plaint, pour faire de l'esprit, qu'elle ne leur montre pas tout. Pas l'autre cote de son carac-tere... Elle Pa mal pris. Qu'est-ce que ga veut dire ga? Et ga ne s'est plus arrete. « Meme la gueule pleine et fendue jusqu'aux oreilles, il se plaint, il trouve moyen. —- Moi, je me plains? Vous devriez voir ga quand ga se plaint... Mais vous le verrez pas. 94 Ca, elle vous le montrera pas. Essayez pas, tut tut, elle l'otera pas le petit dessous qui vous monLreiait ga, die va l'oter rien que pour moi... — II a pas peur, lui! Regardez-le se deboutonner. II lui restera plus rien sur le dos quand il va avoir fini. De se plaindre... — Elle se plaint tout l'apres-midi de son souper a faire, elle se plaint en le faisant, puis elle mange en se plaignant que je lui paie pas le restaurant. — T'as rien vu! Tu te plaindras quand tu verras ce qui te pend au bout du nez!— Ge que j'aime pas, c'est quand ga me pend ailleurs. — Ou ga? De quoi tu paries qui vaut la peine qu'on en parle? » Bri aurait bien souvent decampe mais elle n'a jamais trouve preneur et die n'irapas se jeter dans la deche. Elle n'a pas a son nom le baton pour La battre, et c'est de meme qu'il la tient i il s'en vante, et qu'au prix qu'elle lui coute apres les deductions d'impot elle tient bien la maison... C'est 1'histoire qu'ils racontent. C'est leur mythe fondateur. Ni plus ni moins. Mon amour a parle beaucoup mais pas beaucoup de notre amour. Au moment ou je me le dis, comme si elle m'avait entendu, elle y voit. « Que c'est qu'elle aaaaa, Exaaaaa ? — Un nouveau ressort. A boudin! —~ Pour amortir des coups de quoi?,.. Ah lala lala lala, je ne sais pas trop comment prendre ga! » Je ne l'aide pas. Qu'elle se bredouille. Elle se bre-douillerait mieux si elle me voyait, die dit. Viens me voir. Je viens de venir! Viens encore. Viens lou- 95 jours. Si je viváis juste au-déssóuš dans un nain-et-demi, je pourrais. «Je ťappeliérais, je te dirais je m'enriuie viens me voir polir mes ongles si tu es gentilje te ferai sou flier sur le vernis et ga m'etendra raide. Mais c'est de te voir aussitot arriver qui m'etendrait raide. A tout coup. Et ma joie ne diminuerait jamais d'une fois á l'autre: Et je ňe la garderais pas pour moi, je te la řendrais... Tu aurais toujours les poches pleines. » Pas de danger. Elle ne me fera pas accroire ga. Exa revénáit de casser la glace avec sa patronne á 1'Opéra. Elle m'a dépassé sur le boulevard de la Riviere. Elle a freiné, trop loin, puis elle a hésité si elle allaiť se mettre en marche arriěre ou continuer du quoi, jusqu'a ce que je la rattrape. « Qu'est-ce que je fais, comme si je ne te coririais-sais pas?..: Je suis bien préte á te réduire á rien puisque c'est ce que tu veux, mais la, je t'avoue. je ne sais comme plus ou rn'arreter... » Je lui prends le volant et je fais patiner les roues un bon coup. Ca répond á toutes ses questions/ Elle n'en a pas pose d'autres en tout cas. Elle est resťée oú je l'avais poussée, á moitié accotée sur moi, une patte á Test et l'autre á Touest. Avec un sourire qui jouait sur tous les tons sans faire un pli. Le genre quel homme il se croit, mais on ne šait jamais, s'il 1'était, s'il me l'avait cache, ga m'etonnerait mais qu'est-ce que ga m'etonnerait... D'ou lui vient á tout moment, de quel branchement, quel frisson jeté dans son sang, qu'elle soit si sure ďinspiřer le désir 96 et qu'elle finspire en clTet, sans douleur et sans besoin, n'en dependant pas mais le commandant, moins elle-meme que truchement du desir meme, objet consentant d'un souffle qui joue de 1'instru-ment qu'elle est?... Elle a passe le souper ä jouer des yeux. A me regarder ä cöte des trous, comme si je ne corriptais pas, si je n'etais pas personnellement1 la. « Si tu me le fais comme ä cette garce, je te donne le double.» Je n'ai pas feint d'ignorer de qui elle parlait. « Tu ne nous a jamais vus faire, tu he verrais pas la difference.- — Tout le monde sait comment on le fait a une petite vache ä gros sabots. II n'y a pas trente-six fagons... Bien entendu, tu me repeterais aussi ce que tu lui marmottes ä l'oreillc. — La par exemple, aucune chance de tomber juste.: — Comment, tu ne l'appelles pas par son nom, tu ne lui dis pas hue ma petite vache ä gros sabots, hue, hue, hue done?... » Je m'en fous. Je suis content qu'elle ait perdu un peu de son controle et qu'elle se soit laissee s'expri-mer, c'est tout Malgre ce qu'avait de tentant ce qu'elle me proposait de pervers, j'en ai profite pour saisir l'autre volant... Je n'ai rien voulu savoir, accuse reception d'aucun signal. Pas de seance. Viens me voir, viens me voir! Elle n'arrete pas, elle ne se lasse pas. Peut-etre est-ce que ga lui fait 97 toujours le meme, effet quand; elle 1c dit que moi quand jeTentends, Celui de la premiere Ibis , que je me.suis laisse avoir, que j'yai ete, a torn- '-J beau ouvert dans le peu de nuit qui restak... if J'entrerais et je sortirais, c'etait tout le temps que j'aurais. « Ga va. Je descends deverrouiller la sortie de secours et j'attends. » . Je ne savais pas a quoi m'attendre. Je ne la connaissais pas assez pour ne pas me mefier de son exaltation, elle pouvait aussi bien vouloir se Euil-route voir. Je 1'ai trouvee dans son lit, les yeux lei-mes, les bras en corbeille, immobile. Elle avait laisse un mot sous la lampc.. «Je ne dors pas. Je fais semblant. G'est dur mais f c'est de bon coeur. Quand tu m'auras assez vue, tu J eteindras. Tu es fou, tu. sais ga? » |- Je suis ressorti avec un portrait que j'ai accrorhe dans un Louvre ou il n'y a que lui, et qu'un Leonard de Vinci n'a peint que pour moi, et pourquoi pas, aucun roi n'a eu de maitresse aussi merveil- | leuse, elle vous rend heureux sur parole.: Tel qu'entendu, Walter m'attendait a la Brasse-rie. Elle me l'a emballe dans 1'enveloppe ou on lui a } expedie les (Euvres de Gauvreau. Elle y a colle oe f memo qui me crie : «Viens me voir, viens me voir! » C'est trop. Chaque jour on se tourmente, on se demande, avant que la biere ait fait effet, si on va telephoner ou non, ou plus jamais, pour ne pas ris-quer d'aviver encore un enchantement si delicat et ■ sous telle tension deja que n'importe. quel heurt, 98 quel coup.cle. baguettepas magique. le feront eclater comme une l>ulle. .-■ « Ma I'ciilc Tare?... — Mon espece?... » Pour se moquer, elle me repond sur le meme ton, dubitatif. J'allais lui demander si elle a peur aussi, mais meme si on sent que non pas du tout auson transparent de sa voix, c'est fragile aussi,: c'est en peau d'arc-en-cief aussi, il ne fautpas toucher.^. Elle s'est mise a taper la photocopie a la machine. 11 ne faut pas que ga se perde et, on ne sait jamais, elle est peut-etre la seule au monde a pouvoir restituer fidelement le texte, avec son « artographe » et ses \-ariantes. . «Ce sera une autre voix de sauvee, peut-6tre celle, dans mille ans, qui sera exhum^e de sous le tas de charbon atomique... Imagine-moi a Pompei, et le tabac que ga ferait si on me retrouvait intacte, engouffree par la lave en etreignant mes trois Ou quatre cents pages a double interligne... » Elle est enthousiaste, il n'y a pas a dire, niais on comprend a l'aspect de ses reflexions, leur I6geret6, que le cahier est une decouverte et un tresor personnels, pas litteraires, Pauvre Walter. Je suis ddgu (c'est mon bien apres tout qu'on meprise) et je le manifeste en coupant court la-dessus, pour mieux me rattraper dans ma lecture. Aujourd'hui, Bri a invite Walter a prendre un verre et ga tourne encore en beuverie, en bordel. « Une eleutherie», il dit. « Elle en veut a Ernie de ne pas pouvoir se passer 99 de lui, un gros épais comme lui, une belle église comme eile, eile ne le lui pardonner a jamais, eile ne .1 va pas arréter de le piquer, picorer. Ca me barbail.: " Tu es fatiguée, tu vas aller te coucher. " Elle m'a trouvé pas mal effronté maiselle y a été. Elle n'en pleuvait plus anyway. Je. n'en pleux plus, nous déclara-t-elle,; tel quel, renforgant avec un lapsus freudien I'expression de 1'efTet sur sa météo de nos platitudes. On a essoré les derniěres bouteilles entre hommes. Entre quatre yeux et quatre vérítés. -l Tu la veux, ma folle? Prends-la, mon cochon! Je tc la donne! Ä une condition!... Quand tu auras fini de la cochonner, tu la laisseras pas trainer, o.k. ?... Tu me la rapporteras! Pour que j'en prenne soin... Vous, vous la. cochonnez, moi je Faime, o.k. O.k. ? " II s'est mis á me taper dessus. On a roulé par terre en tirant la nappe aprěs nous avec tout ce qu'il y avait dessus. Bri a rappliqué lä-dessus. Déchainée. Sacrant comme un charretier. Je Faurais possédée lá, dans sa rage de griíFes et de dents, cueillie en plein dans son soieiL.ce feu qui me la mürissait toute... Ernie m'a jeté: mon cuir . " Viens-t'en, on s'en va! " Elle a rebondi, plus vio-lente encore. On Fattrapait par un bout de jambc ou de bras, pour la retenir, quand on pouvait, qu'on ne se garait pas pour qu'elle ne nous écorche pas. Puis elle a montré ce qui une fois qu'on Fa vu fait tout pardonner : un fou rire lui a pris, une hilarité d'enfant qui vous a joué un bon tour. Deux moyens malades, elle a dit... Malades de toi!... IngrateL. » La Petite Tare a raison. II y met tout ce qu'il a 100 maís ca nevole pas. II neregardepas dans quoi il le met. Dans quelle combustion. Pourvu que ca brule... Et tout est la. Dans le choix. Le vecteur donné á 1'élan. L'amour n'est pas un abime ou se jeter, se débarrasser de soi. Une fosse commune... Mais outre qu'il Fa compris puisqu'il a tout balance dans la nature et qu'aussi bien il le détruisait á mesure, on ne lui en veut pas, au contraire, on aimerait. tellement qu'il se soil trouvé, que 9a sesoit arraché, que ga ait levé. On lui souhaite tellement de bien et on en souhaite tellement rarement, et de si bon cceur, qu'il n'aura pas tout rate finalement. II nous rend meilleurs. Exa a compris : elle a choisi, elle a decide ďen faire une comédie. Une fiction done, qui la met hors de danger de mort. De moi. Je peux me trom-per mais e'est comme clair. C'est elle qui se trompe si elle croit que ces ceremonies vont nous démarier, nous délier. La délivrer. Nos nceuds sont organiques et il n'y a pas plus riche engrais que ces petites sale-tés pour les renforcer. Elle jasait au telephone avec Simon, ďune fagon si gloussante, inusitée, que je me suis demandé s'il s'agissait bien de Simon jusqu'a ce qu'elle le nomme encore. Ca roulait sur le film Easy-■. Rider, entre autres, et comme s'ils Favaient vu ensemble, quoiqu'a bien y penser ils ont aussi bien pu le voir chacun de leur cóté. Puis, des propos sur quelqu'un de leur connaissance ont sou-levé son indignation. «J'ai mon quota des ivrognes et des tordus! II ne serait pas un peu tapette en plus?... » 101 7 Je l'observais par-dessus un livre. Elle m'a colle ce point d'interrogation en plein front, puis signifie I de m'approcher. Elle avait froid aux pieds. Je les lui | ai pris sur moi et masses.; A travers les bas, elle n'aimait pas. Souriant toujours aussi inutilement a son invisible interlocuteur, elle s'est troussee ' jusqu'au nombril pour me donner son collant a | vider. Je me suis bientot lasse de frotter ses jambes a 1 son gout de plus en plus caprieieux, puis elle de les | recroiser aussitot que je reussissais a pousser une | opdration ou je me reprimais de plus en plus mal... Elle m'a congedie, renvoye dans ma cage : cite-toi de la, ce n'est pas ca, il faut tout faire soi-meme, retourne a tes broutilles... Elle m'a eu ou quoi?... Et si c'etait de la haine, de la vraie, de la dure de dure ? Si sans le savoir, ou vouloir le savoir, par etourderie, quelque part, je l'avais offensee a mort?... Mais la plupart du temps, on n'apprend jamais ce que les gens ont au fond, parce qu'ils ne se connaissent pas eux-memes, ou parce que c'est si moche et si peu, ga ne ressemble tellement a rien, qu'ils aiment mieux garder ca pour eux. D'apres son papotage, elle «prend le collier» apres-demain. ^a ne Temballe pas « mais qu'est-ce que tu veux on ne peut pas vivre sans amour, et ce n'est pas donne de nos jours... » Elle a et6 bien cha-touillee quand l'autre a semble lui proposer un prbc de faveur... Simon ? Simon Maree-Haute, au panta-lon trop court et qui a toujours Fair de marcher comme s'il craignait de se mouiller ?... Je ne vois pas ires bien. «Je ne veux plus rien savoir, Ca ne vaut pas toutes ces indigestions d'aneries. Je veux me bercer sur le perron avec mon S.F.A. tout le reste de ma vie, devenir un autre sage en hiver avec ma belle hivertueuse. EUe était venue m'erribrasser en par^ tant travailler. Elle prenait un taxi, qui lui aura rogné la moitié de ses gains quand il l'aura ramc-née. Mais ce n'est pas un temps pour marcher, ni rouler en bicyc, et elle tient á sa bonne reputation auprěs de ses clients. On peut se fier sur elle. » J'ai fait le tour d'elle un genre de deraiere ibis: Avec Exa partie toute la journée ce ne sera plus pareil. Elle ne sera plus la qui m'attend, vaguement, qui m'accompagne ainsi le long du chemiri. Elle he sera plus la qui me recoit, méme si au fond de son atelier, hors de ma vue, elle n'ouvre pas la bouche, elle ne remue pas. On descend jusqu'a la Pointe, ou on fait confluer les deux cours, á perte de vue, a notre grande satisfaction : c'est ce qu'on aime le mieux recommencer tous les jours. Puis on se met á remonter le fleuve, on fend son vent jusqu'a 1'ave-nue du Mail qui s'aboute á la rue Principále qui nous ramene á la riviere aprěs nous avoir fait faire escale á la Brasserie. C'est toujours pareil mais c'est parce que c'est toujours pareil qu'on peut s'y fier, se fier tout court, y trouver une garantie de continuité, de durée, s'en faire accroire. J'etais déjá connu au Petit Village, du moins comme acheteur de cigares chez les demoiselles Arpin. Je le deviens : aux Quatre-Coins. On me salue, on me sourit... On ne 102 103 sait pas qui jesuis. Ca s'arretera et ga se retournora contre moi quand le bruit se repandra que je prends un coup et que je passe uri temps fou au telephone a brasser qui sait quelles affaires... « Alio, est-ce que je peux brasser tes affaires?... . —- Est-ce que tu peux?... ■ • . — Ca ferait ton affaire ?... Ah lala lala lala, dans quoi s'est-il embarque, comment va-t-il se tirer d'affaire?... ■-.—: Tu ne: vas pas Faider un petit peu?... — Beaucoup beaucoup mais ca force un petit peu...» ....... Car elle m'en veut. Elle m'attendait!... Elle avait dresse ses antennes et capte que je venais. Elle avait commande ce qu'il faut pour me preparer, tel que souvent promis, un sqyersi, delice invente dans sa famille au bout du monde, en quelque pays englouti. (elle se dit a moitie kabarde a moitie huzule des Carpates), et qui est tout ce qu'elle sait faire. « C'est massacrant, je me suis trompee. — On dit sacrant. — Meme quand c'est massacrant ? ■ — Ce n'est pas massacrant, c'est moi qui me suis trompe. Avec le jour qui change a minuit, qui donne deux bouts de jour par nuit et deux bouts de nuit par jour, je me suis trompe de nuit ou de jour... — Ah lala lala lala, il ne peut plus s'en tirer la!... » En effet, qu'est-ce que j'ai dit la, que la coquette-rie m'a entraine a lui proposer la!.,. Je ne peux pas Iui faire ca, je ne peux pas laisser Exa toute seule dans une maison vide... C'est sa veillee d'armes, elle va entrer dans le monde. lis l'ont trouvee o.k., ils l'ont acceptee, ils lui font une place, et il h'y a que moi qui sache assez ce que ga signifie pour 1'epave intoxiqu6e et nevrosee que son insurrection avait engendree... Mais a l'amour non plus je ne peux pas faire ga. Elle aurait un soyersi contre moi et je ne tolere plus qu'elle ait rien contre moi, le moindre defaut de ferveur : il n'y a pas de place entre 1'absolu (comrne on en revait dans la cour du college) et Fabsolument nul. Pas de zone de complaisance. Zero. Elle a deja dix-huit pages de tapees, Elle me fait un double au carbone, ga rend les corrections impraticables, il faut parfaitement reussir du premier coup sur sa petite Olivetti, ou recommencer autant de fois qu'il faut. C'est fou mais il faut, elle dit, si ce ne 1'etait pas ce serait n'importe quoi. En fouillant les details, elle s'attache a Walter de plus en plus. Mais on en doute en entendant tout ce qu'elle reproche a 1'ceuvre, au personnage. « On ne peut pas rester branche, on est tout le temps derange par les bruits qu'il fait avec sa langue (frangaise)... Et puis fait vraiment pauvre type avec ses bonnes femmes, ses petits travaux d'egout qu'il met au-dessus de tout... Qu'est-ce qu'ils ont tous ces mecs, tous ces auteurs en particulier, a vouloir abso-lument nous traiter comme des mecaiuques a moitie ratees qu'ils n'ont jamais assez bricolees avec leur outil? — Pauvre bete, il n'a vraiment rien pour lui... » Ta faute, elle me dit, tu ne viens jamais me voir. Des le souper, ou Exa sort d'une cachette un vin 105 qui lui donne une solennite et qui me la fait parta-ger, je reconnais a mon anxiete que: mon sacrifice est fait, que j'ai: renonce a tout, aux plus strictes; necessites morales, a ma propre habitabilite, pour epater ma Petite Tare et me soumettre a son caprice. Je veux me gonfler assez pour tout avouer tout net: «Je sors, je reviendrai quand je pourrai! » Mais elle a deja trop bu et ses yeux trop brille : ce serait encore plus bete que cruel. On grille une autre cigarette avec le the et le gateau. On n'a pas dit un mot et sa griserie donne a notre silence un cote si saugrenu qu'elle ne peut plus se manger la bouche assez pour s'empecher, elle s'esclaffe. Elle s'en paie une bonne, bien avivee par ma figure d'enterrement (je n'ai pas un jeu pour y mettre du mien), puis elle rrionte a sa chambre en oubliant ses chaussures a mes pieds sous la table. Dans la paix qui s'est refaite, a une proforideur qu'elle n'a pas atteinte depuis longtemps, j'entends tout a coup, de la-haut, un cri qu'elle ne faisait plus entendre et que jen'attendais plus. ; « Johnny » C'est beau. Je me le fais repeter. Une note plus hautY ..... : Entre les plumes et les simagrees, j'ai depuis long-temps compris, meme si je ne fais mine de rien, si j'aime a chercher plus loin, que pour lui plaire il faut la forcer un peu, etre domine par la passion, tenir violemment a la posseder,: non la posseder vio-lemment, et savoir jouer sur la nuance. Eh bien, elle aura tout ce qu'elle voudra, comme elle voudra. Et 106 de bon cceur. Et ca la disposcra a passer une bonne nuit... Je reussis trop bien. Elle veut me garder. Ce qui est assez special aussi. Mais ce n?est pas exprim6 de vive voix, ga rend la sourde oreille toute naturelle. On se leve et on fait le drole. Avec la joie qui nous attend lä-bas et qu'on: se fait dejä, meme odieuse, on tire sa reverence en tendant la main pour toucher son petit cadeau. « Salaud... » Tu t'auras dit : ä tes ordres... Elle m'en donne assez pour prendre un taxi. Pour revenir, on verra. Qui sait, les choses ont peut-e"tre assez dure et elles cesseront d'elles-memes.. ■ ■. Sorbet au champagne et ä l'orange. Ainsi reduit par la seule encyclopedic qui en parle encore, atlri-buant au mot une « origine inconnue », et degenere par Fusage ignorant qu'on en a fait, il n'est pas etonnant que le soyersi soit passe ä Foubli. Tel que confectionne par une Petite Tare, il ne fait pas que vous porter delicieusement, vous ddivrer de votre pesanteur, il vous decale aussi dans le temps, de fagon que vous eprouvez avoir vecu votre present. Comme de la-haut, ou ga ne compte plus, oil vous n'avez plus ä choisir puisque c'est dejä fait, ä lutter puisque c'est trop tard, vous ne faites plus que vous souvenir ä mesure, vous projeter en vision : un tour de magie qu'elle tient de mere en fille d'hospodars dechus et dont elle ne peut reveler le secret, ä personne, au prixde me froisser, car c'est justementun secret qu'on s'est transmis pour avoir un secret, 107 sinon pour se■■rappelcr qu'il faut avoir ün secret, et eile ne me cut pas non plus pourquoi il faut avoir un secret, eile nelesait pas, c'est encore un secret mais qu'elle ne conriait pas... On est portés ä se parier au passe. Ä Pimparfait, Ce qui ajoute encore ä lVITet. ;« Tu en voulais encore ? ^— Si ce n'etait pas trop demander... » II reste assez de tous les ingredients, eile va en faire un quatriěme. Comme eile reprend le plateau, nos mains voisinent, et je suis frappé. Saisi. « Qu'est-ce qu'elle avait ta main? — Qu'est-ce qu'elle avait ma main ? » Pour mieux comparer, on met les deux mains cöte ä cöte, sur la table. « Aucun rapport!... On n'etait pas seulement pas du méme monde, on n'etait méme pas du méme regne. ■ --Tu es fou. J'en prenais soin, eile était belle, c'est tout. » Ce qui est fou c'est que c'est eile qui baise la mienne. Elle va jusqu'ä y poser sa joue en feu, y fer-mer les yeux, sommeiller une seconde ou deux. Elle ne fait pas l'enfant, eile fest vraiment vis-á-vis de moi si tourmenté, si poussé ä partir et si presse de rester, rompu par 1'étau tellement je ne peux pas laisser tomber Exa qui s'est donnée si fort et tellement je le fais. Sous mon regard jeté, détaché, c'est ce que ma main a avec tous ses vaisseaux qui so gonflent et se nouent... On ne 1'entend plus. On va voir dans la cuisine. Elle a succombé á la tache. Elle s'est aífalée sur le 108 comptoir, elle s'est endormie, son pilbn d'alchimiste a la main. Oui, cllc dit, oui, quand je la prends < omme un sac pour la porter a son lit. Elle ne se deshabillera pas et ne se deguisera pas en voltigeuse des Orioles de Baltimore, on n'a pas le temps, on en a assez perdu comme ca. Ah, elle dit, ah, en me recevant: sous son edredon. Elle a raison, aucune caresse etudiee n'egalerait son souffle a mon breille, accidentel. C'est le contentemerit total, un mal a monter direct et de plein gre sur I'echafaud. « Dors, n'aie pas peur, tu vas voir:, il ne fera pas jour quand on se reveillera, il ne fera plus jamais jour, oh ne se reveillera pas, — C'etait ce que tu disais toujours. » On est reveilles par le telephone. Elle repond par murmures et: petits sons chauds, sans surprise et sans agitation. Pourtant, c'est Julien. II s'annbrice, il vient. Je suis force de me secoiier et ca m'arrange. Elle me rattrape, on ne se fera pas ce eoup-la, c'est trop chiche et trop faux-jeton, trop au-dessous de nous. Tu te remets ou tu etais, elle dit. Tii restes, on n'a rien a cacher, je veux qu'il nous voie tel qu'on est, exactement... Je ne comprends pas mais ses arguments sont de ceux qui ne se discutent pas. Elle aura ce qu'elle veut, je le lui dois, et a 1'idee qu'elle se fait de moi, Qa coutera ce que ga voudra. J'ai le cceur qui s'est mis a galoper, si fort qu'elle 1'entend. Elle repond en me posant la main sur le sien, comme en fuite aussi devant Une catastrophe. Qu'est-ce que nous craignons tant si nous ne crai-gnons pas Julien, qui est parfait, qui fera comme si 109 de rien n'etait,.. pour ne pas gacher notre pkmir, -r innocent ou non, qui viendrait plutot s'asseoir la n ' nous prendre un peu dans ses bras, autant pour -f| nous rassurer sur nos intentions que pour s'armer If contre le mal qu'elles lui feraient?... Puis on enrrnd \ decoller Fascenseur, et je comprends.: cet air si mal respire, comme s'il commencait a manquer, cW Pair qui se rarefie du petit secret que nous avons, <'t nous allons nous asphyxier si nous le perdons. An meme moment, elle craque.: «Sauve-toiL. Va!... Je ne mentirai pas. Pas beaucoup, Le plus petit peu qui se peut.. Comme : il vient de partir, s'il avait su il t'aurait attendu... » . Pas de baisers, ni en arrivant, ni en partant, m i jamais vraiment, ce n'est juste pas notre genre d<-cinema. On se regarde un peu, le temps de tirer un f portrait, puis ca va, je suis pret, j'ai mon ticket pour plonger aussi bas que ca voudra dans la noirceur n le froid.de l'escalier qui m'avait eleve trop au-dessus de la condition humaine. . Je ne sais pas ou aller mais il faut aller, et il n'y a qu'un chemin. En descendant. Jusqu'a Pavenue i lu Pare. Puis, en descendant encore. Jusqu'a la gare -Windsor. Ou on dormira jusqu'au train demain \ matin, si ga se fait encore. Dormir a la gare Windsor ou dormir tout court... Au premier coup de ^ klaxon derriere moi, je sais que c'estjulien, et |c m'apprends tout a coup ceci, qui est evident : elle s savait tout le long qu'ii allait rentrer, le coup de fil si bref ne faisait que confirmer son arrivee, et comme elle lui dit tout, il etait meme au courant de ma I ■: ....... no visite, sinon de ma presence. Elle a aussi bien pu mediter de le scandaliser. Ebranler.sa lbrteresse. Ce scrait bien humain... Meme si je me defends de la soupepnner tant, je me sens manoeuvre, mis en boite. Sans manifester son intention, que j'aurais combattue, Julien me ramene aux Deux-Iles. Ä fond de train. Histoire de tester sa nouvelle. B.M., ou me montrer son savoir-faire... L'air de rien, e'est ce qu'il me fait depuis que j'ai saute d'annee parce que j'etais toujours premier, et qu'il m'a retrouve dans sa classe.au college, oü fai commence ä n'etre plus que deuxieme :•• apres. lui et sous sa protection. On est les meilleur.s, il me disait, il n'y en a pas un pour nous approcher. Sans vision peripherique, asocial dejä, je ne me rejouis-sais que d'etre assez bon pour lui... Dans les droites, il fait bondir Paiguille ä 15Ö et flotter les roues dans la gadoue. Oü est le rapport? Oj.i'est-ce qui m'echappe encore?... Ou est-ce que e'est vrai, que ga le prouve encore, on est les meilleurs, et ;i parts egales, puisque .tel que promis on doit tout parta-ger ?... On n'a pas dit un mot. Meme pas eu besoin de dire pourquoi on ne disait pas un mot. II eiail dair que e'est assez. confus comme. e'est la. Pas besoin d'en rajouter, « Bon eh bien, je te devrai ga encore. — Tu ne me devras rien, petit, tu ne.m'as rien demande.» Le naufrage est total: Exa s'est relevee, elle a mis le verrou, tout est boucle, meme Pauto. Si je defence une autre fois le soupirail, elle va appeler la 111 police, eile me l'a promis. Dans Petal oü tout <,a . 1'aura m'ise, eile le fera. Et rien me m'excite ä de i soil autorite, qui ne me fait ni chaud ni froid quatid ; je n'ai pas trop bu, si ce n'est que j'ai les extremiu's \ qui commencent ä cailler. Je trouve un carton djiTj ! la remise et je me bricole tin petit feü au pied du perron, que je nourris ä raerae un rameau du J meleze en realisant qu'on se sent vide apres avoir- \ u ; Julien, comme si, meme immobile, on avait fait un ! tröp gros effort, on s'etait epuise ä essayer de si' hausser ä son niveau... Puis dans le pignon, lä-haut, J* la lenetre a hürle. : « Qu'est-ce que tu fais encore?..; Pitie?...» i Ca ne colle pas. Elle a le cceur trop dur, et trop '-besoin de son sommeil pour se mettre ä l'heure qu'il est dans tout un tas d'autres etats. Elle descend, <-!le m'ouvre, eile me halt tant qu'elle peut... Mais est-cc qu'elle a bien le choix? Qui c'est qui voudra d'elle ( apres ce que j'ai fait d'elle, qui sera assez perdu, -assez perdant pour aller se prendre une chipic pareille?... Elle se ramassera «toute seule comme un chieri », avec personne sur qui passer sa rage, ä | crever forcee de ravaler ses secretions empoison- 1 nees. Son reve!..; Mais je ne vais pas me ron^r. C'est dans la nature des choses de mal finir. II fallaii -commencer par ne pas commencer. Savoir s'arreler (t avant que ga commence. Mai planque, pour qu'elle me voie si eile chcr-chait ä me montrer son courage pour s'en donncr . davantage, je Tai regardee partir, aller se constitüer i piisonniere... Elle s'etait fait une beáuté que je ne iui ai pas vue depuis des années et elle n'avait pas fair d'avoir rien pris. Sa demarche ctail vive et souple : une biche au pied d'airain que n'aOait rat-iraper aucun Hcrculc. Elle a démarré et dégivré Tauto sans nervositě, sans difficulté. La crise avait dú la décharger de ses tracs... C'est tout ce que j'ai pu trouver comme alibi. Walter n'est pas d'un grand secours-non plus en laisant de l'amour une affaire de mils, en se .tuant (en se rendant malade en tout cas) á déřnontrer qu'il faut y sombrer au lieu ďy monter. En qiioi pourtant il me met en pleine figure une glace ou je me distan-cie, je deviens un alter ego pour moi... Bri avait consenti, histoire de lui donner un coup de main « á la levée du corps », de lui téléphoner un baiser tous les midis. Puis, dans le feu de leur défonce átrois, elle lui avak hurlé de ne plus y compter, ni la-dessus, ni sur rien du tout... II avait renoncé. Elle l'a relancé. « Elle entendait se montrer bien vache et que je rampě entre ses pattes en geignant pour qu'elle m'epargne. On ne m'aura jamais á un jeu si béte. A vache, vache et demie. Si bien que c'est elle á la fin qui m'a demandé un baiser. " Tu ne donnes pas un petit bee á ta catin avant de la serrer dans son tiroir?... "Je ne demande pas mieux méme si c'est á moi qu'est fait le coup, si c'est moi qu'elle range en me faisant un gros content, qu'elle me remet á sa disposition jusqu'a ce que ga capote encore avec Ernie. Pour le moment, 9a n'a jamais aussi bien car- 112 Í13 I bare. " Ca rouJc rare! " lis he sont pas sortis du n-sto qu'ils vont voir un show dans un club chic, ä Baie-Valois, ä Beaurepaire. II la montre partout. 1111 ne me donne pas le frisson comme toi mais ce n'est pas un crotte comme toi, il en a de colleL. Tchao!... " TchaoL. L'esprit des grandeurs qui revient au galop! Ernie n'a pas grand tours dans son sac mais il en a des bons. II la sort une ou deux fois de son tablier, et elle devient une pete-sec du jet set... » Mon train onze n'a pas demarre, je n'ai pas I ait mon tour d'elle. Je suis reste avec Walter. J'ai defri-cheles trois pages de sa journee, avec les mains qui me demangeaient de telephoner. Pour savoir. Qui qui se moque de qui avec qui. J'ai file direct ä la Brasserie. Mens-moi, mon ange. Je veux que tu me disc-, la verite, toute la verite, rien que la v£rite que je veux entendre. « As-tu vu comment mon cceur battaii .JII n'a jamais bat tu si Ion !... » Puis elle se met ä chuchoter parce que Julien n'est pas loin, mais il semble que ce soit moiris pour dissimuler que pour ne pas le d£goüter. «J'ai encore fait, tu sais, un de mes cauchemars... Une chose, ah 9a ne peut pas se dire, immonde, une degradante horreur qui me poisse encore toute... C'est PorgueilfoudroyeV Je m'enfle la t£te avec toi, et c'est ma punition. » Je veux bien la croire, et compatir, mais la n'est pas la question... Elle parle ä Julien deux fois par jour, elle sait de loin s'il revient, vers quelle heure il arrive, et elle ne m'a pas prevenu; Pour qüoi faire? 114 « Ca aurait tout gache : 9a te faisait tellement plaisir de t'echapper, d'avoir sufmonte tousces embarras pour rien que moi, une Petite Tare comme moi... J'aurais dit quoi? Ciel, mon mari, il va nous pincer?... On aurait eu Pair, tous les trois, de sortir tout craches d'un roman de W.-C... On ne merite pas 9a, mais ce qu'il y a de mieux, de plus eleve. Je voulais qu'il nous voie dans toute uotre splendeur, comme on dit, et que ce qu'elle a de bien, de bon, le gagne.;. Mes nerfs ont liich6, et c'est tout ce que j'ai, et que tu as, a me repro-cher... » Elle reflechit un brin. Pas pour se rattraper dans son delire mais pour pousser plus loin sa logique. «II ne devait pas rappeler. II a ete trop discret... II serait entre, il nous aurait trouves endormis. II aurait bien vu... » II faut savoir que ces mots, mis au pluriel («ils auraient bien vu»), concluent aussi l'histoire, jamais assez remachee, de la chambre a part ou on avait condamne son frere. II eri serait mort, non de la maladie qu'ils avaient trouvee pour justilier leur barbaric Au lieu de se consumer en sanglots der-riere un mur, il aurait gueri dans le lit ou on les avait arraches Fun a 1'autre. «Je ne t'entends pas. Tu ne me crois pas ?,..■ »■■■■■ On ne peut pas s'en meler. On peut regarder mais pas toucher a des choses comme 9a, qui ne uennent pas debout comme 9a, qui sont dressees sur la pointe et qui vont tomber si on ne sait pas les {'aire tourner comme 9a. 115 « Comment peux-tu douter de moi, une Petite Tare comme toi ? » : Vous etes son Especede Tare, un pejoratif qui vous anoblit, qui vous revet de son orgueii et qui vous attribue, epmme a un prince, uneparticule... II taut en profiter, ga ne va pas durer, «ils » ne vont pas toujours pouvoir me la payer. Elle est le luxe incarne : a la prochaine catastrophe,. elle ne sera plus toleree. Pour ne pas s'affaiblir, se ralentir, ils se desencombreront des membres inutiles : elle sera, jetee dans le fosse, eliminee. Je le sais, elle me 1'a dit. . Exa cachait mal. sa joie sous son maquillage abime et la moue: crispee que. ma vuelui inspirait. ■:: Ca s'est bien passe. Extra, elle dit meme a Simon qu'elle appelle apres souper pour s'epancher. « Les filles sont toutes venues me saluer, m'encourager. Deux ou trois gars parmi, supergentils. Craignez pasy elles ont dit, on a le tour, on va vous monter sur le dos sans vous maganer... Ca m'a genee, je me sentais tellement maganee apres ma nuit d'amour comme on dit...» Ce qui la tue c'est de conduire, maintenant qu'elle n'a plus a qui se fier pour ga (autres points de suspension mitrailles dans ma. direction). Simon connait un jeune avocat, Amillo, fonctionnaire municipal, qui voyage aux memes heures. II le sondera. C'est fou comme ca m'inte-resse. J'epie ses paroles, a raffut du moindre detail,... C'est dans les bouillons de ce chaudron que je mijote apres tout. Elle a ouvert le cahier au hasard, pour s'assurer que ce n'etait pas Thistoire de sa vie. Elle se plaint d'etre tombee sur des trues infects, bien appropries ä la malproprete des pages... Ah? Comme quoi?... Des trues comme tu en as sous toi? Elle se defile... J'insiste : un petit echantillon pour voir... Elle me fait un moulinet : cause :toujours... Puis je proilte qu'elle m'a mis sur le sujet, pour lui demander, elle qui a frequente les M.G., des Motards Criminalises qui font un grand usage d'acronymes, si O.S.F. ne lui dit rien. Ca lui dit d'aller se coucher. Mais meme son heure est dejä pässee, eile laisse ecouler quelques minutes encore. L'air inquiet. Comme par hasard, ca sonnait aussitot apres et 9a me raccrochait au nez. Simon Bailleur-de-Fonds sans doute. Un de ces revendeurs de caca recycles dans l'immobilier.v. Quand je Tai connue, elle s'etait thise au regime (la dinde froide, ils appellent 9a) et elle se remontait le moral ä la vodka. Elle venait d'heriter de la maison de ses « adopt ils», dont elle avait cru qu'ils Favaient maudite, et 9a la boulever-sait. Ca 'a ftickait, plus exactement... Ca descend tellement plus vite en toboggan quand personne tie vous pardonne. On se fait tatouer sürTepaule un petit rat (M.U.S.) dressesur une pierre, et le vent de Fenfer a beau souffler tout ce qu'il peut dans vos cheveux. Je vous ferai erächer sur ma tombe. Make U .Spit on my stone. Parti seul (sans Julien) pour une viree d'eman-cipation ä Toronto, j'aväis purge le maximum (soixante jours) pour possession simple (un sachet qu'un petit rapide avait glisse dans ma poche au 116 117 cours d'une descente). J'avais un dossier, mon annee d'universite etait iichue, mes carottes etaient cuites. Exa m'a pris en stop, puis en sympathie, et paye a boire au Manoir. La premiere nuit, die m'a garde pour la proteger de son ex, qui la cognait pour la forcer a hypothequer la propriete et rem-bourser ses. fournisseurs, Puis l'oiseau s'est envole, pour sauver sa peau, et elle m'a garde pareil. Pour me depanner. En attendant Dieu sait quoi. En tout cas pas l'amour. On avait essaye, 9a n'avait pas ete 9a, et elle n'avait pas niaise : « Laisse tomber, ('est beaucoup trop complique pour toi. »Je ne me suis pas laisse impressionner :« C'est drolc, c'est ce que j'etais en train de me dire. » Ca l'a epatee, et lui a comme suffi... Je ne le dis pas pour me vanter mais pour montrer de combien peu on etait pr€ts tous les deux a se contenter... On simplifie toujours trop. Exa avait pris de mauvaises habitudes en mauvaise compagnie, mais die n'etait pas de celles qui se ramassent a la pelle. Ou a la cuiller. Elle etait en pleine jeunesse, et cos-taude, 6quip6e pour echapper au pire abime. C'est avec moi qu'elle a vraiment mal tourne. Avec nos annees soules. On se reveille mal a trente-cinq ans au-dessous de zero. Avec un planqu6 qui vous fait la gueule de bois... Une fois, ce sont les petites Renaud qui l'ont trouvee... Baignant dans ses poisons regur-gites... Elles venaient faire essayer a leurs poupees les robes qu'elles avaient joue a lui commander... On ne peut pas laisser tomber quelqu'un plus bas. Mais c'etait beaucoup trop complique pour moi. Fini le pent cafe au lit et tout le tralala. Meme si c'etait une lavasse, il etait sacrc\ comme une communion administree sans condition, et c'etait un gout de. vie que sa chaleur me donna it. Mais je me passerai volontiers du tralala. Ce qui n'est pas le cas de Pacha, qui ressort aussitot rentre, pour obte-nir, par contamination logique, en miaulant nor-malement et se faisant normalement rouvrir, que tout rentre dans l'ordre. II ne peut pas concevoir que le systeme qui le regit est aboli, que les circuits ont change de geometries Ce qui ne gate rien non plus, je peux tricher et prendre un vrai bain dans Y impeccable encastr6 de sa majeste. Mais le silence ambiant a gagne une profondeur qui en fait un bain aussi, et me remet dans celui sans fond ou m'avait plonge; mon escapade a Toronto, dont je ne suis jamais vraiment sorti. J'y ai reve cette nuit encore, et vu comment j'ai ete, tout droit, me faire « arre-ter »j immobiliser en moi-meme, mettre a l'abri de Julien que je n'arrivais plus a suivre, a la faculte mais aussi dans les petits cafes dansants, ou sur la patinoire, au hockey. Professant de s'en moquer comme d'un guignol, il prenait tout sur le m8me pied, celui d'une guerre ou il n'etait pas question de ne pas gagner, parce qu'il n'y a qu'une place ou on n'est pas ecrase : le dessus du tas. « On n'est pas que les meilleurs, on est deux. Deux contre chacun d'eux!... » Mais j'etais tout reve, englue des heures par un rien de nectar dans un regard de femme, un efTet qu'il s'amusait lui-meme a produire et ne se 118 119 laissait jamais: sübir. J'etais denue de vrai sens social, de:la moindre :agressivite, et conforte lä-dedans par son amitie meme, absolue. line guimauve. Une bonne päte. De läeheur. I: Exa a peul-etre raison. Dans le moment que j'ai passe avec Walter, il sefie ä sa muse, il se croit inspire, il se laisse empörter et chavirer dans le sca-breux. « Sacree salope, ah que tu t'es mal conduite encore avec cet accroc dans ton collant noir, ce nid de poule ä un seul ceuf qui a fait derailler le train endiable, deraper dans un jardin ou il a tout massacre... » Et csetera. C'esl devenu trop long de faire le tour d'clle avant de lui parier, j'ai trop hate, il y a trop de döütes encore ä dissiper, toute affaire cessante. « Si tu sentais qu'il va t'abandonner, est-ce que i u n'irais pas,; pour le retenir, jusqu'a t'appliquerj n'importe comment, meme deloyalement, ä le rendre jaloux?... » La question, que je ne reussis pas ä bien tourner, ne me sort pas de Fidee, ou est-t t qu'il n'y a juste pas moyen de la poser ä une enfant qui se plait si bien a dormir avec vous qu'elle s'est reservee une place ä cote de vous oü eile dormira pour de bon?... Est-ce une tentation voilee de l'outrager, lui percer le cceur? De me la tuer pour me soulager de ce qu'elle a de trop planant pour moi? Trop dangereux pour moi quand je vais retomber avec rien pour freiner que des moignons comme ceüx des ailes arrachees, par une enfant jus-tement, ä une mouche. Dixifois par jour, je me dis attention, tu vas te casser lagueule. 120 Au premier mot la distance est telescdpee : Tamour tout enjouee m'accueille en deshabille dt-vant sa coiffeuse, ou sa « vanity » comme elle dit, <;a convient mieux pour dresser un autel a ses deux Mmily, Dickinson et Bronte, qui ne sont pas jolies mats de toute beaute, qui n'auraient pour se ressem-bler que de n'avoir 1'air de rien mais qui ont telle-ment aime, sans y toucher, jamais, que le rniroir n'etait pas trouble quand elles ont con temple i'amour et que sur leurs visages il a reflechi la meme image... On se parle d'elles et de 1'Ecureuil vert, rnnploye de 1'epicerie nature du meme nom. Elle lui avait commande des carottes rapees. II lui en a fait une salade aux ceufs de caille relevee d'une vinaigrette a Fhuile d'amande. II 1'adore, elle peut tout obtenir de lui, du riz battu au fleau, du safran en pistils, telles riouilles chinoises, ou les champignons enoki les plus delicats. S'il ne sait pas ce que c'est, il va consulter, courir, aller le denicher au diable et le lui presenter avec un discours traitant tous les aspects du sujet, lui qui allait a Fecole quand la mattresse n'y etait pas... II lui fait de la poesie. A la Walter. II ne la met pas sur « un », ce ne serait pas assez haut, mais sur «dix pieds d'estal». Et elle le recoit dans cette tenue?... ; «II le merite bien, pauvre vieux, et que je me sois parfumee au jasmine Grois-tu que ca se touche: encore aces ages-la?» Cinquante-cinq soixante, elle dit. Tout chenu tout suture, mais hypercostaud, quoiqu'il parait que ca ne prouve rien. Et ca la rejouit... Mais elle releve 121 5 tellerrient le niveau de vie quand eile rit que crux dont eile rit sont exaltes aussi et qu'on ne peut pas lui en vouloir. «Typiquement saffre ce que tu fais la, mordre la main qui te nourrit, qui s'est abimee ä te donner la dent si dure et si longue... ».. Je la vois qui se delecte encore plus, toute en que-nottes. Elle est forcee, ce soir justement, de sortir | chez. les Saffres. Et eile entend bien, ä toute fin utile I pour Julien, profiler de son air angelique, attircr quelque vieux loup dans un piege en jouant les j Chaperons rouges. ■-. «.Avec les mains, la peau que j'ai, je les rends | fbus ä volonte. Je n'ai qu'ä les eftleurer, les fröler. lours femmes pareil, meme vorace appetit, vicieuses aussi comme trente-six singes, elles n'ont que ca k -faire et ä le faire mieux, ä se faire chatouiller mieux corame ä s'habiller mieux, se nourrir mieux, voyager mieux, s'eyertuer ä raffiner nos rnceurs, civilisa-trices ä tout, casser... » Elle dit ca pour me faire plaisir. Elle n'est pas si irresistible et s'ils etaient si interessants, ca se sau-rait, ils s'annonceraient ä la radio, dans les jour- | naux, ils vendraient des actions sur leurs rnceurs... Si t eile revient vivante, eile me racontera comment eile s'en est tiree avec Lupulina, qui se laissait emouv(.»ir par Julien quand il a craint de se faire envahir, cob- | niser, et prefere la liberte, qu'il a poussee jusqu'ä la folie d'aimer comme on ecrit un poeme, mais qui j tient h se rappeler au bon souvenir d'une si puiv sante heritiere. 122.: % « Non, Julien n'est pas ambitieux,: il ne pourrait pas. S'il le devenait vraiment, il laisserait tomber. Ca ne l'amuserait plus, ce ne serait plus un gui-gnol. ». lis ne se disent pas tous ca?... « Tiens, je leur demanderai. lis adorent ca, ces trucs-lä, ä moitie profonds. Plus profonds, ils se pincent le nez...» Julien a parcouru ce qu'elle a recopie et ca l'a epate. II lui fait demander si ce n'est pas un tour que je leur joue... Lui aussi croit que c'est de moi. Ils me voient tous au-dessous de tout, quoi. Seance. De larmes. Exa ne voulait plus jamais me parier, parier ce qui s'appelle parier, mais^ ca lui pesait trop, il fallait qu'elle se vide et j'etais le seul ä qui ca dise de quoi. Madame Kotzky siege au bureau du personnel de l'Op6ra, et c'est eile, sa patronne d'apprentissage, malgre tout le mal qu'elle lui avait donne, en fiere damnee qu'elle etait, pour qu'elle l'abandonne elle aussi, qui s'est souvenue d'elle avec toute la confiance qu'elle mettait en elle, et qui a fait prevaloir sa candidature. Ce n'est pas se faire planter un couteau dans le cceur mais c'est comme, 5a couie, 9a ne s'arrete plus, et c'est tout ce qu'elle a mis pour le moment sur la lettre oü elle veut la remercier... «Je ne 1'ai meme pas nominee dans mon CV.!... » Gette arrogance ingrate et cette humiliation contente,: consecutives ou simultanees, je connais par cceur. Je suis un orphelin moi aussi: Je me suis fait adopter moi aussi... : 123 C'est la tradition. Chaque annee, a son anniver-saire, au moment ou il a souffle une autre flamme et que le gateau a ete coupe, partage, Walter fait son proces a sa Too Much. « Tu as fait un zero de moi! Une sotnme nulfe et qui decroit! Pour une question d'honneur... Ton honneur! v 1— Je suis une gipsy moi, je ne serai jamais a un homme qui: a un maitre, je ne me mettrai jamais sous un homme qui se met sous un autre, j'aimerais mieux te rejeter dans la poubelle ou je t'ai ramasse. Si tu veux te tenir debout, je vais me crever pour toi. Servir a travers toi le puant par-dessus toi, jamais!... ■ — Regarde ou ga m'a rnene, regarde ou je me reveille, il n'y a meme pas sous le lit un mouton a mon nom. Et tant mieux, j'aurais honte, comme si je Pavais vole. Je n'y ai pas droit, je n'ai pas fait ma part!...» Elle n'est pas d'accord. Sa part, on la fait to us. meme un tordu, meme un pendu. Simout un tordu, surtout un pendu. Et puis qui c'est qui compte les parts? Les banquiers? Anar, la mere. Pas une carte, un papier. Le temps venu, elle ne pourra meme pas toucher la pension des vieux. Ce qu'il ne fera pas non plus, noblesse oblige... Dans la cabane au bord de l'eau qu'ils ont batie ensemble, ils arriveront bien a se rechauffer quand meme, au prix d'y mettre le feu et bruler dedans. Chaque annee, a la Saint-O.S.F., ils se remettent en question, de fond en comble, et ga barde a la lueur des«trente-six chan- 124 delles», ou ils trinquent en s'ecriant : « Blue hea- : vens forever!... » Je suis reveille par les coups de klaxon de « maitre Amillo », repercutes par des coups de talon precipites sur le plancher, sur le perron. Ca me secoue comme si c'etait ga vivre, et ga me force a me lever en me rendant le sommeil impossible... Si je continue comme je suis parti je ne serai pas sorti de la gare,j'aurai traine dedans en attendant que le train qui m'a conduit id me reprerine et me ramene. Mais, comme on se dit toujours, la Petite Tare et moi, est-ce qu'on ne devient pas des especes * de saints en ne vivant que d'amour? Si on leur a eleve des temples et qu'on les prie, n'est-ce pas parce qu'ils ont eu la folie de ne vivre que d'amour et qu'ils s'y sont tenus, qu'ils nous sauvent en rani-mant ce que nous reconnaissons que nous avons de mieux, notre vrai feu, qui eclaire et qui rechauffe ?... Oui, vivre peu mais vivre mieux, une demi-heure, un quart d'heure par jour s'il le faut, mais d'amour, au prix d'etre force de tuer tout le reste du temps, et 1 ■ de crever avec. Ce n'est pas pour tout le monde, bien sur. Rten que pour les sensibilites excep-tionnelles, investies d'une mission en tant que tellcs. Et que gretelles. Comme dirait Walter. La Petite Tare a passe la nuit a retdurner sa soiree chic dans sa tcte. Elle connaissait 1'cnergumene mais elle ne l'avait pas bien sendee avec ses anteiines, et elle se demande encore ce que c'est que 125 tout cet eilet qu'elle Iui a fait. Ripoline. (Ouais, eile 1'a débaptisée. Tant pis si eile est « Loupou » pour vous ou rien du tout.) « Pas eu besoin de la draguer, elle m'a foncé des-sus. Une grande fille de jour, avec le rose auxjoues que lui a mis trop de santé, et rien ďajouté. Un corps surtout, une machine á lui fabriquer cinq six petits pendant qu'elle fait son jogging. Elle ne demanderait pas raieux mais les bons partis sont rares, on les lui a touš pris... Ah une belle église. Qui se penche un peu comme elle peut pour se mettre ä votre portée. On se sent bien chiche et bien moche ä coté. Bien vache aussi, forcément. Quand elle vous parle de son Feu, un épagneul aussi grand qu'elle quand il se met debout sur elley on a le goüt de lui demander par-derriěre ou par-devant, et ton jardin suspendu le lotiras-tu quand elle vous avoue qu'elle a hérité du vice de son pere en matiěres immobiliěres... Ah elle ne vous rate pas, on recoit tout le poids sur le coin du bibi. Puis eile va s'amuser de loin en loin ä vous jeter un coup d'ceil, Ie genre qu'est-ce qui peut bien attirer un horarae dans ce petit tas de vent, le genre qu'est-ce qu'on doit ramer lä-dedans avant de trouver un coin ou garer son engin... Si elle savait!... » Ca m'interesse. Qu'est-ce qu'elle; saurait?... Rien. Elle a dit ga comme ga. Une autre saleté. Elle en a assez dit, elle n'a plus enyie, rien que de se jeter á l'eau comme une tonne de brique avec. sa petite langue de vipěre. Sérieux! :;■..«■ Mais si tu promets que tu; te jetteras avec moi, 126 je te croirai, ei je ne..me jetterai pas tout de suite. J'attendrai que ca te demange aussi, pour que ce ne soil pas trop dur pour toi... » Promis si elle arrete de cracher sur ce que j'adore. Elle ne comprend pas. « De te profaner, mon tresor.» Ca va, 5a va, elle a compris. Bref, personne ne lui a fait de compliments, et elle avait passe 1'apres-midi a se catiner. II est vrai que I'eclairage aux galas des Beaux-Arts est sans pitie pour les vampires. Ce n'est pas notre journee. J'avais de la monnaie pour un bock, tout juste. Avant, il y avait toujours de l'argent dans le pot aux commissions, je prenais ce qu'ii fallait, sans facon. Avec la livraison a domicile, il n'y a plus de raison. Est-ce un petit jeu qui va durer longtemps? Ca a bien Fair. Est-ce queje vais le supporter? Comme le reste, absolumenl. II ne faut toucher a rien, surtout pas nettoyer, desinfecter,; steriliser le riche engrais ou Famour est ne, mettre de Fordre et desequilibrer les rapports organiques ou tl s'epanouit. Cette confusion pourrie, c'est son true. Faoon de bien entrer dans son premier week-end de conge, Exa se met a table eh peignoir et cheveux mouilles. Avec la sauce a Fail dont elle s'enorgueillit et dont elle a toujours un reste au fond du frigo, elle a refait des spaghetti. J'en ai tellement enfourh6, je ne peux plus vraiment en raffoler, mais tant (ju'ils ne me ressortiront pas par le nez, je mfen fous moi, je ne suis pas un ingrat. G'esi toujours pret a Fheure tapante. En l'honneur de Pacha qui luifait une corrida le moindrement qu'elle ne se conforme pas aux 127 signaux de son: horloge biblogique. C'est lui le vrai „ tyran dbmestique. « Qu'est-ce que tu cherches? » Elle rfduit, comme a un resquilleur, comme si il c'etait moi qui ne pensais qu'a 9a, Pentrebaillement | trop profond ou je plongeais moins que je ne bais-sais les yeux pour reflechir a ma condition. « Une piastre ou deux. Pour m'acheter de la gomme comme... — Je n'en ai pas sur moi. — Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ? -— Si tu veux de la gomme, tu mets gomme sur.|| la liste. Tout ce dont tu as besoin : sur la liste. Je le commande pour toi. C'est trop difficile pour toi?...-—- Je ne fais pas le joint encore... Repete un peu C'est moi que tu cherches ?... » Me void, elle me signifie, en se degageant de sous, la table et s'etalant sur sa chaise. «Je ne t'ai pas demande la lime..;: Juste une piastre ou deux. — Eh bien ote tes yeux de la, il"n'y en a pas la. — Ou ca? ~— Partout sur moi. Tu ne me laches pas depuis que je suis descendue. » Elle a reve ca, j'etais trariquille dans mon coin, tout absorbe dans le cahier de Walter. Mais ce n'est pas 1'intention qui compte, c'est Tenet, et 9a lui en a fait un sacre; on dirait, paranoiaque et suspect. « Ca ne te flatte pas? Ca ne vaut pas une petite piastre ou deux ? » 128 Ni 9a ni tous ces étésoúje me suis esquinté ä redresser la baraque, ä retaper le toit et un plafond pourri qui lächait des gravats quand elle se retour-nait dans son lit. Iis ne valent rien hon plus, ils ont bien Fair, mais 9a va, si on ne peut plus rigoler je m'en fous moi. Pacha est si content qu'Exa m'apporte un café, comme aux temps oů s'est ordonné son univers, qu'il la pilote aller retour en miaulant et se frottant, la queue tout hérissée. Je ne sais pas ce qu'ellea, elle s'assoit sur ie bord du divan et eile reste la, sans provocation, sans agressivité. Je ne sais pas ce qui rae prend, peut-étre un frisson qu'un réve occulté a fait traverser dans la réalité, je íui fais, avec une vraie tendresse, une petite caresse entre les genoux. Ca la géne, elle se contracte, elle se rclěve. «A quoi bon?... Ca měne oú on n'arrive jamais... » Ah oui?.., Mais il y a autre chose, et perceptible encore dans ce qu'a de trop doux sa fagon de me glisser dans la main ma piastre ou deux... Et puis ga lui apprendra ä se défoncer par les trous de nez. Aprěs, le pli est pris de mesurer les joies á 1'étalon neuroleptique (rush, high, buzz) et on n'en a; comme plus jamais pour son argent. Je peux en parier avec d'autant plus d'objectivite que je: ne m'y connais pas. Je n'ai jamais touché ä ga. Je fais le tour d'elle, pour m'öter des jambes d'Exa qui avait jeté son dévolu sur Faspirateur, et je fais escale au bar Au Quai, pour faire changement. 129 Je suis seul avec la serveuse. Elle a ses den1-colombes a Fair. Elles ont le bee attendrissant sous le ciel violace par un cauchemar au neon dont je . me souvieris a la fagon dbnt il rend phosphores< < nt son strict necessaire. Comme je le raconte a mon '! amour, que ces mceurs interessent, elle vous ollre une danse «integrate » a cinq dollars et, pour une ^; chanson, de vous laisser lorgner dans son si ru t necessaire. Mon amour ne comprend pas que j\iie pu lui refuser ga, elle en fait un cas de goujaterie, § pas tant de priver la fille de gagner durement sa vie que du plaisir de se montrer, ce qui en dit plus lon^ sur elle, a mon avis, que sur la fille... «J'ai soif et je ne vais pas me priver d'une bii'ie que sa specialite me fait payer deux fois le pi ix deja,» Julien a beau la rassurer sur sa valeur, sans cose : et sans se lasser, elle se remet mal du coup de cafard qu'elle a recu au gala des Beaux-Arts. ; «Demande-moi de t'aimer. Dis-moi que c'est urgent, que tu as besoin d'une enorme quantite de moi, de masses et de monceaux de moi pour combler l'abime ou un effondrement t'a precipitin. » v Envoie fort, je dis. O.k., je m'en occupe, elle dil, je m'y emploie toute affaire cessante avec toute ma | flotte de camions, j'ai assez donne aux Saffres. i Lupulina et les Huns. Ca ne connait Gauvreau f meme pas de nom. Quand vous lui presentez Le J Vampire'. et la Nymphomane- comme 1'opera d'un | Mozart prometh6en, exuberant et genereux dans la I douleur et la detresse, elle vous regarde avec * 130 commiseration, comme si elle I'avait eehapp6 belle. « C'est par (a qu'on se fait posseder, corps et biens, qu'on se fait gouverner. Ca m'a creve le cceur. Ca le lui a oreve aussi. II s'est jete. » Elle ne comprend pas, comme on l'apprend en faculte de droit, qu'il est bon que la Norme soit nulle. Que si en plus de tout son pouvoir, elle se melait d'avoir de Famour, ce serait la tyrannic Et ga me frappe au rebond : pour qu'elle-meme en ait tant tout le temps, Julien ne doit pas lui en consommer beaucoup. Mais je ne congois peut-etre pas que plus on en donne plus on en a. Son retard d'hier et autres « d6portements », y compris mes panatelas preferes commandes chez Steinberg, tout s'eclaire : Exa a saute la cloture. Elle a fornique. Elle ne peut pas etre plus claire au telephone avec un de ses deux Simon, ou trois: « Bon, mais ce n'etait pas tout a fait ga... » Ca venait d'arriver. Malgre douche express, elle le sentait encore sur elle. D'ou sa phobic qu'on voie sous son peignoir, puis le mou dans ses fagons ce matin, sa petite station a mon chevet, comme au confessionnal. Deja travaillee par sa franchise, elle s'est arrangee autrement pour me mettre au cou-rant. Mais son scrupule me surprend. Dans les cir-constancesj et depuis qu'elle me le promet, elle aurait du se vanter.., Forniquer. Elle. Qui ne niaise jamais, qui aime mieux border une robe au petit point. Qu'est-ce qu'il fallait qu'elle m'en veuille... On va bien rigoler. 131 Et puis c'est la mere Pas-Encore-Ca, quoi. Elle le dit ä toutes ses recrues, pour les mettre ä sa main au depart, genre «s'ils aiment ils repasseront,. j'en aurai autant ä leur service, s'ils n'aiment pas, ils n'auront qu'ä s'en passer ». Elle est crasse, dirait Walter, pour qui c'est correct si on n'est pas saftre en mSme temps, si on Test juste pour jouer, se faire plaisir au lieu de se faire mourir. . Crasse assez lui-meme, ü; s'en paie une sacree tranche avec Bri au telephone. Mais il y a des bouts trap durs ä dechififrer, je me les ferai expliquer par ma maitresse es lettres, au prix qu'elle me trouve un peu deficient. Mais si elle n'a pas encore compris ca, eile a des lacunes elle aussi. « Elle craint qu'ä son age ils commencent ä des-cendre, ä se mettre en pente. II n'y a pas comme un pli par-dessous? Elle veut savoir. Tu n'as pas un miroir ou regarder ? Tout de suite? elle me fait, tout de suite excitee, mettant pour que j'en joue ses cordes sensibles ä ma portee. Qu'est-ce que je fais? Dis-moi quoi faire.» Puis c'est rature, charcute, mais on comprend qu'il finit par lui faire passer, au bout du fil, un serieux examen anatomique. Et il n'est pas peu fier de ce double jeu de manipulation, qu'il croit avoir controle. . «Elle croyait me faire perdre la tete et tout compte fait c'est moi qui tiens le bon bout. Mais j'ai sürement perdu au retournement. C'est tout ce que je meriterais. » 132 Le silence est le mémé entre ma furieuse et moi, mais il a change de mains, c'est moi qui le tiens, moi qu'on a trahi et qui se tait... Elle a toujours mis sa main au feu que je couche avec « čette folle ». A ľargument que Julien n'est pas un torchon, qu'on ne lui ferait pas essuyer ca, elle répond que le torchon c'est « elle » et queje suis la poubelle. II me ľa jetée dans les bras parce qu'il ne sait plus comment s'en débarrasser. II a commence par la débarquer juste ä côté, pour m'appäter, ou qu'en tout cas, par-lant de torchonj nous la torchions quand il la pla-querait, mais elle, Exa, a tout fait foirer en voyant clair dans son jeu. Je devrais avoir honte et me rete-nir : baiser 9a c'est bestial, comme profiter d'une arriérée mentale... Nous n'en parlons plus mais c'est toujours la au fond du silence, et controle par le maitre du silence, celui des deux qui est silencieux le plus fort. Elle cherche ä m'en rabattre ä petits coups bas, comme en récurant á fond sa baignoire apres s'étre apercue que je m'en suis servi. Puis, au steak frites, un plaisir du dimanche, elle me joue avec les yeux i'air de Torpheiine qui a regu le coup de pied de ľane : « Ce n'est pas un peu facile de me culpa-biliser, moi qui suis née comme une merde et qui ne me le suis jamais pardonné? »Je lui réponds par la méme voie. Comment peut-elle penser 5a d'elle, avec le moteur sensible et fougueux qu'elle a, qui démarre au quart de tour et qui en redemande toujours? Ingrate, va. La Petite Tare, si fraiche et si légére, traversait son propre dimanche avec son propre ordinaire. 133 1 Julien fait toujoürs l'impossible pour etre present ce jour-lä, mais il l'avait trap fait justement, il s'etait recouche pour recuperer. L'important c'est qu'il soit la, ga change tout, ga se respire, c'est dans fair, c'est l'air meme, l'air pur, qui n'a plus rien qui asphyxie. lis iront voir jouer les Ganadiens contre les Flyers. II parait que ca va cogner, defoncer les Bandes... C'estun autre monde, un ailleurs oü eile n'aurait jamais mis les pieds s'il ne l'avait pas introduce, oü eile ne le suit plus mais Taccompagne, aussi partisane que lui, assez pour s'interesser aux matches ä la tele1 en son absence et lui passer ses commentaires. Je m'y attendais, elle a resolu du tic au tac toutes les difficultes que m'a donnees la seance ä distance j avec Bri, « assez salee merci», mais je sais que ce ne l'est jamais trop pour elle, imbue qu'elle est du sentiment que ca ne peut jamais aller aussi loin que, I bien menee ou bien lächee, eile saurait aller elle- , meme... Ainsi, eile a parfaitement retrace ces mots, | illisibles et par lä-dessus completement confus si on ,r ne les entend pas de vive voix : « L'as-tu mis, oü tu ; Fas mis, tu l'as mis lä, oü lä; je n'ai pas dit la, j'ai dit lä lä, lä oü quand tu l'auras mis tu ne me demande-ras pas si c'est lä tu le sauras... » C'est dröie, personne ne m'a jamais demande ga, elle a dit, tolmbee de la derniere averse, avant de soupirer comme s'il etait passe bien de l'eau sous les ponts. Elle ne se 5 trompe jamais, ne laissant rien echapper de son * ambiguite. Mais c'est sa nature meme, elle pourrait < diflicilement faire autrement. Ainsi, elle dira qu'elle ; 134 ;iime le feu mais qui ne brule pas, encore enferme dans l'arbre, en feuilles au lieu d'en Hammes, et qu'on se trompe toujours en trouvant Pamour parce que c'est fait pour etre cherche, pour tourner autour, en orbite... Est-ce qu'elle a trouve ou qu'elle cherche encore? Est-ce que la reponse est dans la question ou si ce serait trop facile, si elle ne le sait pas trop elle non plus, si eile apprend ä mesure elle aussi, ce qui serait le fin du fin, le qui-vive assure. Les Canadiens ont gagne mais Nolet a fait gicler le sang de Ferguson, il ne l'a pas couch6 mais il lui a sacrement fait pher les genoux. En Toccurrence, Exa, mal repliee sur ses positions, n'a pas peste pour changer de canal ou autrement manifeste d'animo-site. Elle a tout avale, comme une bonne Me. Elle s'est meme ecriee, de temps en temps, pour montrer qu'elle etait dans le coup : «Mais mais mais c'est des criminels, arretez-les, appelez la police!... » Le match termine, elle m'a barre le chemin avec une jambe un peu trop entreprenante ämon goüt, sinon ä mon sens moral. «Je t'en prie, fiche-moi la paix. — Oui mais oü? Dis-moi oü. Montre-moi oü... » Et elle se contractait la boucheen baisers dont elle me menagait. Ah elle m'a epate, je ne l'avais pas vue aussi facetieuse depuis des annees. Je me suis degage, elle m'a rattrape aussitot, et saute sur le dos. « O.k., on se bat, on va regier ga!..; » Et elle ne jouait plus sur les mots... On a roule 135 par terre, ou je me suis : contents de la protei i contre sa propre energies Tout ce qui ne pouvait plus s'exprimer en recriminations eclatait aul-ment. J'ai persifle. Mon vice. « Voyons, voyons, entre cocus on peut trouv i des accommodements... » .Four me la fermer, et bien exacerber les emotions, elle m'a plante ses doigts dans la bouche... «Je n'ai pas peur moi, qu'est-ce qui te retient 101, . vas-y, mords, mords un bon coup, coupe-les-nmi, crache-les-moi que je vote- ce que tu as dans le corps, s'il y a de quoi, si ce n'est pas tout du blanc , de poulet... » Je la laisse abuser aussi fort qu'elle veut, m l'observant pour m'edifier. Si elle me rend fou je ferai des folies qui me mettront a ses genoux, fou de | repentir. Elle aura repris le dessus. Non merci, j'ai | deja donne. Johnny Chicken mais pas Johnny Fish, pasjohnny l'hamecon a travers le menton... A for< >■, elle renonce, avec un honneur souille qu'elle a Fair d'essuyer sur moi en meme temps que ses doigts.: & « Et puis qu'est-ce que tu fais encore ici, toi ?... 11 * s'en fout completement, hein? II se cramponne, il \ s'incruste!... » A genoux par-dessus moi, elle insiste en faisant j peser tout son poids, repandant dans ma chair sa ; chaleur, ses vibrations, puis, sur mon air de m'en * foutre en effet, les baisers dont elle faisait des gri- \ maces. \ ■:■ « Tu le sais, hein, jusqu'ou tu peux me mener ?... ^ Veux-tu le voir?... Veux-tu?... Veux-tu?... 1 136 — Tu m'aimes ou quoi? — Ca veut dire quoi? On aime bien un chien, maudit chien!... » Parfois, d'un coup de voix, c'est comme si elle 1 edevenait la pire trainee qui soit. Ou est-ce qu'elle a attrapé ca? Comment est-ce qu'elle s'est fait ce qui la reprend la? J'aime mieux ne pas le savoiř, ni avoir connu, meme de vue, le coco sous le nez de qui elle se jetait ainsi á la renverse et se laissait completement aller... J'aurais trop peur de lui res-sembler, d'en profiter, méme si je me suis attendri, que j'ai voulu la rattraper, la ressaisir, mais c'etait si peu ressemblant, si peu conforme á ce qui 1'inspi-rait, qu'elle m'a brutalement repousse. Ne te mele pas de ca. Tu vas encore tout faire rater. D'oii tu sors, tu n'as jamais étc lá quand il se passait quelque (hose quelque part?... Total : elle a laissé de l'argent dans le pot aux commissions, comme avant, et du vrai café á fumer dans un percolateur acheté en douce, á mon seul benefice : elle carbure au the, au Keemun Black„. Mais ga ne résout rien, ca ne fait qu'ajouter á la confusion ou m'a jeté sa bacchanale et qui me pousse á chercher des indices á tort et á travers : dans sa commode et sous son matelas, puis dans l'atelier de fond en comble, avant de retourner aux déchets de sa corbeille, ou des bouts d'un papier déchiqueté menu m'ont semblé suspects. Je les recueille et je m'entete á les rassembleri de plus en plus« chiche et repugnant» comme dirait la Petite Tare. 137 « Travail : discipline et concentration (regler les problemes affectifs - sortir de mes patterns, mon labyrinthe de protections, risquer gros, oser trop donner (et fermer les yeux? me reposer, jouir du confort d'aimer? m'avancer, me montrer - trop dangereux s'il; reste planque, blinde?... » : Plus ga va moins on voit de qui il s'agit. Moins on est sur que ce soit de moi, a qui elle a tout dit, tout fait accroire etpretendu, sauf ga, eprouver une passion... Je la vois s'esclaffer, manquer s'etoufler devant cette idee, cette bouffonnerie... J'ai tout fichu en fair a mi-chemin, puis tout ramasse et remis a sa place. Tu peux le garder, ton mystere!... Bri nous fait bien rire avec son jeu de regaler Walter en lui debitant des vacheries contre Ernie. «11 passe la journee en petit corps, a trainer la savate et remonter son fond de culotte, ou avachi devant la t.v. a se gratter les poux, trop sans-dessein pour se donner un shampooing, il faut que je me devoue, et de la merae maniere que sa mere : que je le savonne au-dessus de 1'evier de la cuisine et que je le rince a l'eau de canard, comme ils appelaient chez eux la bouilloire...» Grasse comme elle est, elle en a surement autant pour Ernie au detriment de Walter. Ce qui fait a peu de frais deux hommes heureux, completement rassures dans leur virilite. Qui au lieu de se montrer les crocs se sont pris de compassion l'un pour l'autre et se sautent au cou quand ils sont en boisson. Pas bete. D'autant moins qu'elle ne se prive pas non plus, pour renforcer ses positions, de les vanter 1'uri:.a l'autre, aussi vive- ment, et semer une confusion dont on sait, dont je sals pour l'eprouver, qu'elle donne un prestige aux structures qu'elle brouille. «II a fair epais comme ga, mais a cinquante ans deja il n'avait plus besoin de se lever le matin, c'etait son argent qui travaillait pour lui, ses placements a 15 %, son bloc d'appar-tements. Pas mal pour un petit colporteur d'aspira-teurs!... » Je me fais faire un tour: d'elle. II fait beau et j'ai besoin de reflechir a tout ga. Voir si on peut en meme temps etre libre et laisser libre, controler ce qu'on devient sans imposer son controle aux autres, dont on est plus ou moins I'objet, qui sont ce qui agit sur nous, ce qui nous forme, et qui de la meme fagon ne peuvent pas ne pas renoncer a nous assu-jettir sans mettre leur liberte en peril... Je refais le plein au bar Au Quai, decide a reduire d'une fois sur deux mes escales a la Brasserie, ou mes longues manceuvres dans la cabine telephonique (un vrai cockpit pour moi) m'ont rendu I'objet, reel ou ima-ginaire, d'une attention qui me contraint et que j'entends regir par ce moyen. Je demande a tout hasard son nom a la fille, la meme. Poppee (a moins que ce ne soit Puppy petit chien^ ou Poppy pavot). Un sobriquet. De basse-cour. Une etiquette. Elle ne me demande pas le mien, elle me reconnait avec mon sac d'Air Italia, ga lui suffit. Elle se replie der-riere sa barricade et remet les 6couteurs de son transistor. Je 1'observe afin d'alimenter 1'amour, qui a aussitot eu le gout de ces limbes eclaires par dcs 138 139 etoiles avort£es exhalant leur äme ä travers leur coquille. Raconte encore, eile dit. « Est-ce que si j'etais jetee ä la rue, je pourrais le faire aussi? Comment elle est ? Elle a des djeaux... De quoi montrer, quoi. .—- C'est une pierre dans mon petit jardin ? » Ca clot le sujet, et la conversation se renchatne. ou j'en suis de mon exploration de Walter. Consultant sa copie, pour voir si elle n'a rien note qui pourrait m'interesser, elle jette en passant, comme un crachat, aussi violent qu'inopine, son opinion sur les mceurs de Bri : « Vieille bique! » ■■■« Dans la rature sous montrer les crocs, j'ai deniche grigner, un mot elimine du langage courant qui se disait pour un chien qui grogne en troussant les babines... Total? ■ : — Walter a de la culture. Ä moms qu'il ne soit un ecumeur de dictionnaire. II n'a pas l'air. II me fait plutöt 1'effet d'un de ces imposteurs comme on en voit parmi les poetes. Un peu trop artistes ä leur propre gout, exclus, ils se deguisent en pauvres types, ils font comme les autres. Iis le font si bien qu'on y croit, on les met dansle raeme tas. On leur reflechit le personnage et ils se ramässent complete-ment pieges dedans. lis n'en sortent plus. lis ne peuvent plus... » Comme si ga me concernait, elle me demande si ga me dit de quoi... Moi, il m'emeut parce qu'il voulait se depasser, exceder ses pouvoirs, et qu'il a perdu la parole en cherchant le bon mot, un autre mot, le mot de l'autre, celui qu'il voulait engen-drer... Des 6checs si chers, si coüteux, il n'y a que les grands orgueils qui se les paient... Et toi? « Aucun talent, raeme pas assez pour rater quoi que ce soit. —■ C'est intolerable. H ne faut pas supporter ca. — Oui mais ou est-ce que ca peut se jeter un poids mort? Sous un camion? Un poids lourd? Ripoline, par exemple?... EUe etaitau match. Elle trönait trois rang^es devant nöuSj dans toute sa splendeur chromee. Elle faisait la gouine avec sa copine pour exciter son public... qu'elle avait repcre, sans se retourner ni rien. » Je m'en fous moi. II n'y a rien pour moi lä-dedans. :: « Vieris rne voir, je vais te le montrer moi s'il n'y a rien pour toi lä-dedans! Ou je ne te le montrerai pas, mais tu verras, 9a reviendra au meme. Je ne te dis que <;a.» Elle a dejä cinquante pages de tapces, dörit une dizaine occüpees par ses petites notes personnelles (« for your eyes only »), qui prennent tant de place et d'audace, et de liberty par rapport au manuscrit, qu'elle ne sait pas si ä la fin elle ne devra pas tout garder pour eile jusqu'ä ce qu'elle se soit fait ecra-ser... Sans blague, elle me dit. En rigolant. «Tu me connaitras bien assez vite. » Elle me connait bien mal pour ne pas savoir qu'il n'y a rien, surtout pas ce dont eile ä le plus honte, qui ne me la ferait pas aimer encore plus. Je vcux dire, soyons seYieux, mgme si eile s'appliquait ä me 141 degouter, il n'y a pas un crime, une horreur qui ne me la ferait pas aimer encore plus. Je. ne me sou-viens de rien qu'elle ait fait, qu'elle ait dit, pas. la pire platitude, qui ne me l'a pas fait aimer encore plus. Elle n'a qu'a respirer pour que je l'aime encore plus et qu'a cesser si elle tient mordicus a: m'empecher.: C'est si vrai, ga me rend si puissant, que j'ai vu que rien ne pourrait me retenir de l'exprimer. tel quel a ma furieuse et meme (et j'envisageais serieu-se.ment l'eventualite en guettant son retour pour voir si maitre Amillo lui mettrait la main au train ou quelque chose comrae 5a qui ra'aurait bien diverti) de lui tendre un couteau pour qu'elle me le plante dans le cceur, qu'elle me fmisse, qu'on en finisse, quand j'aurais fini de me le yider... Mais je n'ai rien dit, meme pas un mot sur le percolateur. Je ne lui ai meme. pas demande comment elle allait,, Ca se voyait. Elle a de plus en plus fair disciplinee el concentree. Elle a cesse de se maquiller, pour faire comme les autres au boulot, les jeunes. Ca ajoute encore a 1'impression de muer qu'elle me donne... Et si c'etait vraiment 1'effet de mes mauvais traite-ments, si je l'avais sauvee en la poussant a bout et que je m'etais comme briile en le faisant, immole moralement?... Sans charrier, je ne lui ai jamais voulu que du bien, meme les fois ou c'etait impossible, ou elle n'etait plus elle-meme et ne voulait plus l'gtre, avec une rage et une acrimonie qui se haissaient et cherchaient a se detruire a travers moi. 142 Elle me sautait dessus comme on se jette, elle voulait me «tuer » comme si j'etais son mal, I'abTme ou ses exces et ses frustrations, l'avaient plongee. Etrange que nous ne parlions plus, qu'elle n'ait plus rien ä dire depuis qu'elle prend ses problemes en main au lieu de me:les empiler sur le dos. Nous ne nous regardons plus tellement non plus. Sourds, muets, aveugles, on ne peutplus que se toucher, mais c'est piege aussi, mine. Ainsi, au souper, j'ai ignore, comme ca, pour rien, qu'elle s'etait pique une plume au-dessusde l'oreille, d'un jaseur des cedres, avec sa goutte heraldique au bout, de <. ire ou de sang (et qui prouve ä son avis que ses thuyas sont des cedres puisqu'il s'y nourrit), Apres quelques heurts accidentels avec le pied et autres signaux mal regus, elle l'a mise ä la poubelle avec les os du poulet. Ses trois coups au plafond, impe-rieux, vont me manquer si ca continue. Elle n'pse plus. Elle ne s'autorise plus ä m'en vouloir assez pour me regier mon; cas, m'humilier en :me commandant de la soumettre. II faudra que je voie ä lui inspirer ce mepris qui lui donnait tant de chien. Son chien de race. Pas son chien battu. Ni son chien enrage, malade. Est-ce que je n'aurais pas, comme je l'ai senti aux premiers abords, une rigolote: entre les mains, dont la grande affaire est de tendre vos nerfs pour les mettre au diapason de son desir ? Je discuterais bien le coup avec la Petite Tare, mais elle voit Exa comme une de ces meres impatientes, exasperees, sacs ä tracas mines de bobos pas ragoütants dont les en I ants ne 143 "I comprennent pas qu'un hommc ait jamais le trout de les embrasser, encore moins de se vautrtr sur elles. Est-ce que tu le lui fais ?... Ge vieux machin ?... Comment tu fais? «Neuf jours! Elle les a comptes. C'est a moi qu'elle se plaint qu'il ne s'occupe pas d'elle, qu'il la fait mijoter dans son jus, fagon de parler. On comprend Ernie : il l'a laissee se froler sur le bras de son fauteuil puis, au lieu de la prendre, il a pris le pouvoir que ga lui donnait. Je ne serais pas etonne que ce soit pour la mener la qu'il lui paie toutes ces sorties, et pour la tenir la, la crucifier la, jusqu'a ce qu'elle ait bien expie ses peches avec moi. II a l'air epais comme ga mais il salt ce qui l'excite, et quel parti en tirer, mais il ruse avec trop d'assurancr. il unit par se dejouer lui-meme... Je serais la, il me verrait qui la regarderais s'offrir de cette fagon. si sexy quand ce n'est pas un show, qu'elle est posse-dee pour vrai, il triompherait, il me dirait tu la veux, prends-la, j'ai deja donne. II me l'a fait, il me le refera jusqu'a ce que je le prenne au mot, et il triomphera encore plus, estimant qu'il a tire nos ficelles de polichinelles... Elle ajou6 a me faire devi-ner ce qu'elle m'a achete pour Noel, qui n'esl pas line Austin-Martin comme James Bond (ellipse acrobatique typique de sa langue impure, propre a p^cher)... Avec sa vie trepidante, elle a oublie que c'est moi qui ai suggere un Remy Martin. Cohnais-sant mes capacites, elle m'a promis un gros format. J'ai promis, en retour, de le verser sur son ventre et 144 le lecher comme si j'etais James Bond et que j'ava-lais des kilometres au volant de mon Austin-Martin. Eile ne m'a pas cru. Promesses d'ivrogne. » La nouveaute de trouver le matin la maison vide est epuisee. II reste un trou, c'est tout. Je fais jouer la C.B.C. pour ecouter sa musique de Petite Tare, scs nouvelles, les previsions de sa meteo. Mais 9a ne remplit bientöt plus assez.et je sors, dans le monde entier, entierement habite par elle, ou le vent quel qu'il soit, lugubre raeme, ou furieux, repand comme si je l'entendais dejä sa voix si fraiche et si legere. Alio?... .: «Tu me dis toujours alio, qu'est-ce que tu veux dire? — C'est ouvert, entre... Qu'est-ce que tu me fais encore dire, espece, expres pour me faire rougir... » Toujours ä peu pres les memes mots, mais comme a la messe, et si chaque fois l'amour etait; donne ä vif, sans rien garder sur soi, pas une pelure pour se proteger, pour se couvrir, ne pas avoirTair: completement ridicule au cas ou ga tourne mal, qu'on se ramasse tout nu sur un banc de neige. « Pour trouver lä-dedans de quoi rougir, il faufcy tenir. Fais-moi done rougir, toi, pour voir. — Justement, j'en parlais encore avec Julien, on se perd en conjectures. Qu'est-ce qui te retient la? Quand tu sors, qu'est-ce qui te ramene la?... Pour-quoi tu te laisses grignoter comme 9a, reduire ä rien par si peu que ga? C'est quoi, cette creature-lä? Ton bourreau, ton chätiment ? Tu expies quoi ? On a beau t'adorer, ä force elle ne va plus rien nous 145 laisser a: adorer, elle aura tout fait passer a la mou-linette... Julien me refait faire la commission, et il n'a jamais ete aussi pressant, aussi insistant : tu es chez toi chez nous, on va te donner les cles, tu cou-cheras dans son bureau,, il n'y met plus les pieds. ■ Et je nedormirais plus avec elle ?.... Quand?... He temps en temps? A jours, fixes ou en tirant au sort?... Ou tout le temps pour ne pas se priver? ":; Jour et nuit jusqu'a ce qu'on s'ecceure?... Elle voil bien que ga ne tient pas debout puisqu'on ne tn-nt deja plus debout, que c'est une soif d'ivrognes puisqu'on est deja souls... Changement de sujet, 1 qu'est-ce .qu'elle veut pour ses etrennes, . ■ «Toi... Et toi? ; — Moi, je t'etrenne tons les jours. » . Ca la ravit, mais on entend gravit avec sa fagot 1 d'aspirer les r. Ca la grimpe quoi. Elle en convi< til avec joie. « Tu es tellement gentil... Tu veux tellement fairc ,< plaisir que ga justifie que tu restes avec elle, et Unit ce que tu fais avec elle... Si tu pouvais reussir, et lui montrer qu'elle a tort, malgre tout, de te trailer comme un malpropre... Ecoute, ce n'est pas ta mere.» On reconnait le travail d'idees fraichemeiit | debattues. lis ont du en discuter toute la matinee. Entre autres, y compris quelques secrets de mon 1,1 enfance, il lui a revele, en,lui rappelant qu'elle repond <> On se rattrape un peu sur le dessert: des « boules au rhum » attrapées dans une patisserie oil elle est tombée sur Nana Marre, qu'elle n'avait pas revue, elle n'en revient pas encore, depuis les belles années de ses mauvaises fréquentations. Toujours aussi pla-nante. Elle s'est fait épouser par un avocat du milieu. «Elle drague en petit coupe sport. » Passé trente ans, la péche á lá ligne, on nana marre. « Qu'est-ce qu'on a pu se saloper... Pourtant... » Elle ne finit pas sa phrase, qui se noie dans le reve oil ses yeux roulentl Qu'ont-elles bien pu faire de si honteux, ensemble ou avec d'autres, et que je ne saurai jamais, parce qu'on a tous la manie de se réserver ce qu'on a de plus grimpant et d'endormir le monde avec ses premiers pas sur la lune et ses bombardements au Vietnam. Elle m'a fait moi iter á une heure ou je ne m'y attendais plus, mais ce n'etait apparemment pas pour la bonne cause... «J'ai encore soif. Est-ce que je fais de la fiévre ? » J'ai rempli son verre et apporté le thermomětre. «Je ne suis pas un crapaud, touche-moi, tu vas Ijien voir... » Non; elle n'a pas le front brulant. Mais elle a le dos moite et l'inconfort la tient éveillée. J'y vois en la frictionnant a l'alcool. « C'est quoi? Ta cuisine que tu ne digěřes pas?... — Est-ce que je sais moi ? - — C'est tout, tu n'as plus besoin de moi? : 149 : '—■ Est-ce que je sais. moi?... » Elle 6teint, eile se decouvre ä moitie dans la penombre et me fait avec le pied le coup de la pelite bete qui monte. «Je n'ai pas le gout... Donne-le-moi... » Je sais, eile aurait tenement mieux dormi apres, mais ga ne coUait pas. Les vapeurs d'alcool gächaient le parfum de son lit, me rappelant d'anciennes mochetes qui me coupaient Tappetit. Et puis, je la tenais... Elle n'a pas apprecie. «Je t'avertis, mon Johnny, tu ne me le refuser;^ pas bien des fois. » Je lui ai fait mal et je n'ai meme pas fait expres, r ga m'a echappe, j'ai horreur de ga, C'est fou, |c comptais sur un moment pareil, une de ces recon< 1-liations d'autant plus vitales depuis qu'elle s'y livrr avec tous ses esprits, comme on dit.: : J'ai trouve le fin mot dans le pot aux commissions. ■-. «J'ai tout essaye. Ä ton tour. Trouve quelque chose. Ou finissons-en. » Un ultimatum. Mets ga dans ta poche et I on mouchoir par-dessus, mon Johnny. Excepte que < e n'est pas ce qu'on veut savoir apres s'etre rong( jusqu'au petit matin, Favoir entendue se lever en retard, et presser ses pas avec un courage intact, 6mouvant, ä mesure que le moment approchait oil maitre Amillo allait klaxonner. Elle aurait beau avoir cent fois, milk fois raison, eile n'aura pas raison de moi : tout l'effet est de me rendre encore 150 plus refractaire et me debarrasser de mes propres reticences. Aucun animal, sinon completement mal-sain, denue de tout instinct, ne va se laisser acculer au mur sans devenir mechant, sans voir a defendre sa peau, et a cela seul... Qu'elle ne se fatigue pas a faire tonner ses gros canons, on ne m'atteint pas, je suis un insecte a l'interieur d'elle, on m'a dans la peau... Amer et de mauvaise foi? Moi? S'il n'en reste qu'un je serai celui-la!... « La Too Much veut m'offrir comme cadeau un reveillon avec mes amis. Elle nous farcira une dinde (I'd. stuff it for you) et nous la servira aux atocas, ^} comme auxEtats. » Elle n'y met, on la croit, aucune ironie contre Bri, et on voit mieux dans son deni de quoi elle est faite : «Je n'en pense rien, c'est a toi que je pense. » Mais c'est plus riche en anglais, ou «1 don't care for her » a le sens de « se ficher» qu'une traduction ne peut pas aussi bien reflechir dans la complementaire : «I just care for you ». On apprend aussi qu'elle est du Maryland, le royaume des canneberges en question, et qu'elle a appris son / frangais d'accent quebecois chez les sceurs de la Congregationi « Quand je l'ai connue elle se met-tait au lit en recitant son chapelet. Elle fouillait les bas-fonds de Boston pour debusquer des minables epouvantables, des impossibles a sauver sauf par ellej des comme moi, des comme il n'y en avail qu'un. » II va garder pour lui le jugement que Bri a passe sur la Too Much : « Complimenteuse menteuse!» II ne peut pas la blamer, elle ne pourrait pas se figu- 151 rer qu'ime S.F.A. n'est pas un peu trop gentille avec une autre femme pour bien la disposer ä son propre egard («dans quel but, on se demande un peu qu'elle 1'engage. pour faire son menage ?■ »)■ mais ä l'egard de son O.S.F., pour chasser ses craintes et ses scrupules, la rassurer sans s'immiscer ni ii-inicr les yeux, sansse poser en victime et se preter ä la derision du cocufiage. Mais ca parait plus difficile que c'est. Elle n'a pas fair de se ronger. Le bar Au Quai vient d'ouvrir ä l'heure-oü j'arrive au sommet de mon tour d'elle, il n'y a pas encore un chat, j'aime 9a. Au moment oü Poppee m'apergoit, eile s'accroche un sourire, comme on met ses lunettes, il ne lui vient pas naturellemeut, comme quand on est content. Elle- doit birn attendre quelque chose plantee la derriere son comptoir. Ce n'est pas moi, alors c'est quoi? ,Je m'assois au fond, expres on dirait pour qu'elle par-coure trois fois le chemin le plus long : apres etre venue savoir ce que je veux puis me l'apporter, eile doit revenir encore, pour rendre la monnaie et toucher son pourboire, se dehanchant aller et retour sur les talons trop hauts qui font baller ses seins. II faut que j'y voie car 9a n'a rien ä voir, c'est pour mieux veiller sur le logement du telephone, oü une Petite.Tare ä peine incarnee m'attend, ä l'abri de l'epais rideau qu'elle me demandera d'ecarter quand la musique eclatera pour voir ä travers moi Poppee se tremousser sous le nez- de ce. qui me semble, ä son complet trois-pieces, un voyageur de commerce. «II se paie 9a comme digestif, avec un Grand Marnier. — C'est lui qui fait tourner la Roue, il a le droit... Pas comme toi, qui te rinces l'ceil a 1'oeil?... Comment tu la trouves?» Comme tout a l'heure. « Tu ne regardes pas au bon endroit. » C'est dans la figure que la vraie nudity se reflete et se trahit, que tout est ecrit, meme si c'est en chinois et qu'il faut traduire, en braille et qu'il faut tatonner. Eile dit n'importe quoi, pour me faire marcher. « Arrete, on croirait que la femme existe, que ce n'est pas un mythe invente par les marchands de-chiffons et de pates a modeler. » Elle continue pareil, elle y revient quand je la dis-trais, decidement inspiree par l'atmosphere du bar Au Quai. Elle est « naturellement encline » comme elle dit parfois, sans preciser. Mais ce n'est pas mechant Je suis sur... A part 9a, 9a va, mais pour le reveillon de Noel, ou elle m'attend, sans faute, elle ne sait pas quoi faire. Elle ne sait rien faire, meme pas comment faire marcher la cuisiniere, une charognarde pour elle. « Vous n'etes pas attendus a Lavaltrie... — Julien ira tout seul s'il y tient. Moi, pour une fois, je veux te recevoir. Que tu viennes bu tu ne viennes pas, je vais m'asseoir la et t'attendre. Avec mes chips et mon coca-cola. Aimes-tu les chips et la coca-cola?... Ferais-tu ga pour moi?... — Je ne veux pas que tu comptes sur moi. 152 153 ~~ Je.sais,va. Je sais 1'aria que ce sera, qu'une hystérique en pleine nuit'-de Noel gá ne s'aban-donne pas, mais quoi moi aussi tu es tout pour moi, pas tout tout, pas un toutou, mais ce n'est pas mieux, c'est pire que tout, tu ne sais pas jusqu'oü jr peux aller, le plaisir que je prends ä bricoler k cahier de Walter c'est de ťy trouver fourré partout. je: t'interpelle, á haute voix, et tu me réponds, av poche... Tant mieux : autant de mauvaise graine et qui va bien profiter, faire un bonheur de moisson- 156 neur... Je me sutais pas trompe (comme elle repond quand on lui declare qu'on 1'airne): c'est en plein ce qui m'a tent6 quand j'ai regarde au fond d'elle mal-gre tout ce qui me disait qu'elle n'avait pas de fond, qu'il passait un courant d'air a travers... C'est bien joli mais c'est encore cet animal qui va 1'avoir dans \ son lit. Qui la possedera ou pas, qui en fera ce qu'il voudra. II y avait de ga dans son au revoir. Fuck you, elle m'a chuchote, la bouche arrondie pour faire un bisou. A ta same... » ,:: : - Exa s'y est remis. Qa la prend tous les ahs ace temps-ci. Un gout de galette de sarrasin, la vraie, / qu'on a connue l'un et 1'autre, attrapee toute chaude au vol et prete a se casser, qu'on beurrait et qu'on roulait, puis qu'on croquait en trempaht le bout dans la bleue, la melasse... Mais elle a beau graisser la plaque avec tine couenne et tout, il n'y a rien a faire, ga n'a pas le gout du vieux couvercle en fonte emboite sens dessus dessous dans un rond de pocle. « C'est bon mais ce n'est pas encore ga... » -Ca me fait plaisir de lui dire. Semblant de rien. Sans lever les yeux pour la voir gouter a sa propre medecine, et risquer d'essuyer une voiee de fleches empoisonnees... Mais ga se passe bien. Comme ga se mange aussitot cuit, on est forces de se servir a tour de role. Ca hie' plait bien comme rapport; A elle aussi. On ne se le dit pas. Ca ne se fait pas. On se dit autre chose qui revient au meme. Comme ga peut. : 157 i 1 « Eh, oh, tu en mets trop epaisL. -— Tu aurais pu le dire plus tot, ■: Je le dis quand ca me le dit.--.. — Trop tard, j'ai pris le pli. Call nie Johnny Tropcpais...» Eh, oh, beaute fatale, qu'est-ce que tu fais ? Tu paries?... Es-tu dans ton etat normal?... Je ne me rhabitue pas,Je fais un.saut ä chaque fois. Elle avail tine plume d'oiseau du; paradis. Elle n'en a plus. Elle me Fa promenee sous le nez, pour me la faire attraper. Puis elle a tire de son cote, pour que je la lui torde et la lui casse. • -.« Montre-moi un peu ta force... ».:■-... ■ Je veux bien mais je veux comprendre aussi. Est-ce que c'est du theatre ou si c'est pour vrai, si les passions qui Font tatouee Font tatouee Font marquee ailleurs, comme elle le manifestait encore hier sur le plancher de la cuisine. «Apprends-moi un peu tes trues. Comment; e'etait quand e'etait ('«?... » Maudit chien!... C'est tout ce que je peux en tirer, quitte ä m'en remettre ä ce qui lui a echappe, dejä, dans un moment de faiblesse. «Je n'aime pas consentir, j'aime mieux quand j'ai comme pas consenti... Mais c'est entre moi et moi, si je le dis ga n'aura plus de sens, le peu que j'ai dit n'en a dejä plus... » Finalement, c'est elle qui a montre sa force et attaque. Comme si en inversant les roles on revenait au meme... Jusqu'oü pourrait-elle aller? Je suis en m6me temps curieux et pas vraiment interesse... 158 Parce que je ne Palme pas assez, peut-6tre... Et s'il ne se cachait rien d'autre la-dessous, si e'etait la cle de tous les mysteres?... :. Cet apres-midi a la Brasserie, la Petite Tare, pour sa part, s'est montree on ne peut plus claire et concise, Elle ne voulait pas me parler sans que lui soit promis ce qu'elle m'avait demande, et comme jene pouvais pas, elle n'a plus rien dit. La tactique: etait deloyale mais je ne lui en liens pas rigueur, je n'ai pas le droit, je n'en ai aucun, je les lui ai tous donnes, de plein plein gre, de gre comble,: Exa m'a laisse, avec le fric necessaire, un mot me demandant de faire le plein, tel que suggere pour eviter les condensations dans le reservoir, qui entraineraient un depannage, sinon un remor-quage et Dieu sait quels, tripotages au garage, une mise en garde ingrate en ce qu'elle ne risque rien chez Renaud & Fils, qui Font toujours traitee, mal-gre son mauvais caractere et tout ce qu'ils one a me reprocher,: comme l'enfant cherie de ses parents adoptifs, qu'ils veneraient... Et c'est en auto que je suis parti en tournee d'elle. II faisait beau, bien clair, je me suis gare sur la Pointe, a la derniere extrdmite. On pouvait lancer un caillou jusqu'a Montreal ou s'y lancer soi-meme, il.n'y-avait rien pour arreter le regard, aucune interruption dans la blancheur du confluent paralyse, le contact etait direct, a portee de la main, un monde entier se laissait aspirer achaque bouffee de mon 159 1 cigare et rejeter en fumée. Ce n'était rien. C'était génial. Pour manager les pas de Poppée, et tous les agn ménts qu'ils mettent en action, je lui ai commando tout mon quota de biěre en un seul voyage. Ui póurboire equivalent ľa rasšurée sur ľhonnéteté dimes intentions, elle m'a conseníi Un brin de can-sétte. TUn'as jamais congé, je lui ai demandé. Oni et; non, je travaille tous les deux jours. Good, et j'ai |< sorti Walter de son sac sans demander mon resi / Apres tout ľeffet que Bri lui a fait au tripot, il na pas dormi. II tourne en rond dans la maison,*i! se sent piégé, fait comme un rat. Ge n'est plus amou-réux ca, il se dit, c'est malade! Voyons-y, il se d-« Ne tardóns pas! Soignons-nous! De ce pas!» I n'attend plus son appel,il s'habille, il y va. II va entrer et Íl va régler le cas. Gomme il se présentera Ce qui résiste il le cassera, s'il faut cogner il -j cognera, tuer il tuera, pas plus long que ca. II v< chemin faisant que plus il va plus il se rend fou : a-lieu de se délivrer, il s'enfonce ä chaque pas dans ce 1 qui le serre et le mord. II se redonne un coup de cceur, il fait demi-tour, il rentre. II est recu par '.. sonnerie du telephone. II se voit qui se précipite, > éperdu, pämé. Et 9a le fige, il ne répond pas. Mal-gré la fatigue, il ne va pas se coucher, il va rester l.'i -ä se bercer, les pieds dans le fourneau, ä attencb que ca sonne et laisser sonner quand c,a sonnera. Aprěs le travail, la Too Much le retrouvera ä moilié. confus, mais toujours décidé ä tenir le coup^ sans fermer ľceil jusqu'ä ce qu'il ait pris sur lui. A Bri 160 dans tous ses états, elle répondŕa, avec son humour de Baltimore : « Ca va, il n'y a personne de mort. Pas encore. » : Ma Petite Tare recidíve en décrochant, avec son plus petit souffle. : « Viens me voir. » C'est tout ce soleil qui lui fait mal au cceur, qui le lui brůle comme aux autres les yeux. Elle n'a pas besoin de le dire, je le sens, je le reconnais ä sa voix, toute retenue, prisonniěre. Elle ne veut rien savoir de «jouer ä Walter» : que je me livre ä mes impressions de lecture afin de susciter ses savants commentaires... Elle m'interrompt net. «Viens me voir.Je neveuxpas attendre jusqu'ä Noěl. Laisse-moi payer le taxi,tu me le rendras. Une minute. Je te demande une minute, comme la premiere fois, tu te rappelles? Juste le temps ďéprouver combien tu m'aimes, de le sentir avec mon nez, oui, avec mes narines et tous les petits trous dans ma peau, le temps qu'ils respirent, qu'ils ne s'asphyxient plus, le taxi attendra, il te raměnera te coucher dans tes sales draps, puisque tu ne peux plus ťen passer. » Pas besoin, je proftre étourdirnent, elle m'a laissé les clés. « Tu es motorisé comme trente-six singes, tu n'as rien ä ficher, nulle part oú aller, et tu ne viens pas me voir?... Je ne comprends pas; — Non, tu ne comprends pas! Je ne ťaime pas pas-assez, jeiťaime trop. Ca me fait mal de tc voir,: ga me ravage, il faut que je récupěre entre les fois.: 161 Je me ťue á te le dire : ga nic tueraít si je te voyuis tout le temps. — Au contraire, tu ťhabituerais, ca deviendmu facile, tout naturel. — Je ne veux pas m'habituer. Ca me tuen 1 encore plus que ga devienne facile, naturel... Pot quoi pas carrément nul tant qu'á faire?... — Moiaussi, moi aussi, ou moi non plus, je ne sais plus, mais viens. je me contrólerai, ce ne srra pas douloureux, promis.» Méme si, quand elle n'en peut plus, qu'elle supplier. elle ne peut pas s'adresser á moi suns confondre, et que c'est Julien, qui ne le supporterait pas, elle le sait trop bien, qu'elle implore ainsi, á t< irt et á travers, je consens encore, j'y vais, déjá exalle. angoissé, la pédale au plancher, dans les deux sens, au figure surtout avec cette bagnole obstinée á se trainer. La bagne, comme dit Exa avec sa mánie de tout réduire. Son dernier exploit : boule pour bou-lot. Elle revient du boule, elle prend le roule du boule... « Bon boule, bon boule », elle dit á ses nu il-leures bosseuses en íeur tapotant 1'épaule. Elle est bonne, mon amour va bien rigoler... Qu'est-ce qu'elle a done, mon amour? Depuis le fameux prut matin ou elle m'a lancé ce regard sournois, chtho-nien, elle se debat, on dirait, comme si elle n'arrivait *; pas á se raccrocher, remonter á sa bonne hauteur... C'est en tout cas ce que je me dis. Pour me faire plaisir... ■ Elle aime bien cllc aussi I'escalier de secóurs, ,j complětement muré, oú ne pénětre pas le moindre 162 l\ jour. Au détour d'un palier, elle m'apparait soudain qui m'attend, sagement assise au milieu de la magonnerie oú mes pas se répereutent, enveloppée pieds nus dans un improbable impermeable. Le cceur dans sa main, qu'elle me découvre en ouvrant son poing, elle l'a dessiné au crayon feutre; Elle n'en est pas contente. Elle trouve qu'il n'a pás de vie. Fais-le battre, elle me dit. Je ne sais pas comment. Elle me montre. Avec sa tranquille audace, elle me fait trouver, entre les boutonnieres, le chemin de sa chaleur, immediate, et qui surprend, animant dans la petite échanerure de ce brutal hiver une plage intacte, une dune. Elle en a une. Qu'on eilleure. Elle me conduit juste au dessous; et ga y est, ga se met a cogner, jusqu'a travers moi, dans un vertige ou le pas serait franchi, la chute amorcée, consentie^ ou on ne sait plus déjá si c'est vivre ou mourir, si on est embrasé par le plus grand bonheur et par ie feu qui va tout détruire. Elle ne s'en soucie pas. «Regarde comme il va, comme tu me fais vivre... » Je me redresse avec une soudaineté qui la fait sur-sauter, tout interloquée. Qu'est-ce qui te prend ? «Qa me prend! Qa ou quelque chose comme ga.» Quand je me suiš retóurné,elle frottait ses pieds pour les réchauffer. Pliée par-dessus ses genoux, les quatre extrémités nouées ensemble, elle a redressé la téte et elle m'a souři, extrémement gentiment, comme il fallait poiir que rien n'ait change, comme j'avais besoin pour partir en paix, sans trop regret- 163 ter, trop me rónger, trop me demander si, nue / . corarne eile était lä-dessous dans cette glaciěre, eile ne s'etait pas oíferte et si je ne 1'avais pas repoussée, eh goujat, en poltron, si je n'avais pas eu un courage mal place, si ce n'etait pas celui de tout risquer, / sinon de tout bazarder et n'etre plus assujetti á rien, n'avoir plus peur de rien, qu'elle attendait, non un ressort de polichinelle, si enfm je n'ai pas toujours tout compris de travers pour le plaisir de toul compliquer, si elle n'allait pas se soulager avec le premier venu, avec rÉcureuil vert, si elle n'avait pas déja fait pire « encline » comme eile est. :. ■. La. santé ďExa, si subite. et si briliante au dernier mois ďune année oii eile s'est livrée ä une seconde tentative a peu pres réussie, sans compter toutes Celles dont elle m'a menace (« tu vas étre content, je ťai couché avec ta folie sur. mon testament»), ne. finit pas de me confondre, et je me retiens mal de redouter qu'elle ne me joue un, de ses mauvais. tours : la construction, de toute facon, ne va pas tar-der ä s'ecrouler, je vais la ramasser ä la petite cuiller. dansun coin, comme d'habitude... Je ne sais pasde quoi c'est fait, si ce n'est pas un repli total sur elle-méme, encore plus malsain. A moins qu'elle n'ait . compris que le chantage au désespoir et ä la mort I ne lui donnera pas raison, surtout si eile va jusqu'au bout, et qu'au lieu de s'affaiblir eile a intérét á se renforcer si elle veut résister, lutter contre nous, car í á són, tribunal 1'accusé est persönnellement collectif, et contre tout ce qui depuis sa conception travaille a la detruire, comme sice n'etait pas un sort universe! mais reserve aux orphelines, a elle au premier chef... Mais je parle encore d'une hyst6rique qui n'existe apparemment plus, une tete brulee qui a repris tous ses sens, qui ne les anesthesie plus mais qui les assume. Elle me frolait encore tantot, me coulant un de ses regards qui lui refont tout de suite une beaute. Elle remet ga en consultant le calen-drier. « He, quatrejours de conge, on vapouvoir baiser jour et nuit. — Avec qui?.., Je suis tres difficile sur le sexe de mes partenaires. » Toujours trouble d'avoir touche a mon ange, ou mon demon, je ne suis pas d'humeur a m'occuper d'elle. Qui le sent, qui me picore... Ge n'est pas mechant mais je peux le devenir, je ne demande que ca. Je n'attends que le bon coup de bee. II ne va pas tarder. « Tous les soirs de Noel, tu trottes... — Ah oui? Je me demandais quoi faire, je suis fixe.- — Mais cette annee, je ne vais pas crever. Je ne te dis que ca..-.. Pour te rassurer. Que tu ne te mettes pas dans tous tes etats... — Je me mettrai dans les etats que tu voudras... Pour faire changement...» Mon ironie l'a menee direct en haut de l'escalier, ou sa porte a claque. Encore fragile... Mais ce n'est pas son dernier mot. Elle a consulte je ne sais trop qui dans son intimit6, quel saint, et elle me revient, 164. Í 165 -1 mine de rien, gentiment transfiguree par un deshabille inconnu de moi, d'un blanc ruisselant comnic en ont les soies, :. « Ecoute... Maintenant que je sais ce que tu veux pour Noel, laisse-moi te Foffrir... Je peux bien ir faire un cadeau qui me coüte, pour une fois... >> Quoi ?... Elle ne veut pas repeter, ni etre plu-* claire. Mais elle ne peut pas Fetre bien plus qu>n me langant les cles de l'auto, et pas ä la figure. Je ne vais pas me ronger. Je me suis attrape un Remy Martin en repassant devant la Regie, un gros, comme celui de Bri : je vais me paqueter la fraise et me ficher la paix. J'ai presume de mes capacites. Au deuxieme tiers j'etais k.o. Exa en rajoute ä mon cafe, comme rince-/ cochon. Elle s'y connait. « Tu t'es tape la bouteille au lieu de la vieille... » Elle ne parle pas ou eile parle trop. Mon sang n'a -fait qu'un tour et je me la suis tapee aussi. Ca ne t s'est pas bien passe non plus. Elle resistait pour vrai, * pas par jeu. Mais comment s'y retrouver?... -« Sorry! » C'est le mot que j'opposais comme refus > ä Julien, je m'en souviens tout ä coup, dans le cau- ^ chemar atroce ou il avait les seins de la Petite Tare s et il se blottissait amoureusement contre moi dans f un sable froid. On ne peut plus se her a rien. Meme * son for Interieur, « Bri, On n'a pas le droit de se laisser posseder ; par une epave pareille, une si ordinaire accidentee 166 d'un regime conjugal inspire a des gros betas par les Deux Pigeons de Lafontaine. Reprimce et reduc- -v trice, vorace et venimeuse, ignorante et tete enlTee, Ga n'a jamais ouvert un livre, un journal, et ca y met clu sien, quand 9a ne se trouve pas malin de s'en ser-vir pour attendrir, appater le predateur protecteur. Bri, A quatre heures du matin, fort de ces beaux dis-cours, ou moins fort que jamais, je me suis laisse repondre a ses appels desesperes,.. Elle se rengor-geait, "Je t'ai eu, hern!... — II ne s'agit pas de m'avoir mais de savoir quoi faire avec moi... " Prise de court, elle a dit n'importe quoi pour trouver uri: joint. Elle ne fournit plus, je 1'epuise. Elle a un trop peut cceur pour me donner tant^ et meme une trop ^ petite nenette pour comprendre ce que je veux tant... / Tout, j'ai dit... G'est bien ce qu'elle disait, elle n'est pas plus avancee. Et tant qu'a faire, il faut que j arrete aussi de la critiquer. Sinon de les insulter, elle et son Ernie, qui m'ont toujours bien regu. Une nuit que nous avions bu et qu'ils n'auraient pas montre: assez d'interet pendant que je rabachais mes vieux / malheurs, je les aurais violemment apostrophes : On creverait sous vos yeux, vous ne vous rendriez pas compte tellement vous etes occupes a vous senrir-ou ne pas pouvoir vous sentir, comme deux petits pieds!... " Qu'est-ce quej'aurais bien pu vouloir dire par la ? Qu'ils etaient trop absorbes en eux-memes ? S'ils 1'etaient, ils n'entendraient rien, s'ils l'etaient assez peu pour en convenir; j'aurais rale pour rien... Elle a betifi6. Elle m'a puni, quoi. Elle s'est vengee en / me privant expres de tout son fou, toute sa poesie... >> 167 Un raffiné qui joue les pauvres types, ou vice versa? II faudra rouvrir.le debat... J'ai quitcé les lieux aussitöt que j'ai pu, fui ťatmosphěre que cha* cun accusait l'autre, en son for intérieur transparent pour l'autre, de rendre irrespirable.; Elle a eu des velléités ďéclater mais j'ai fait la sourde oreille et elles ont fait long feu. ■■: « Qu'est-ce que tu as encore ä babouner ? Jc ne suis pas jalouse, je ne suis pas possessive, je ■■ne suis pas une ílétrisseuse de concupiscences : je te l'oiTre!... Je m'arrache le cceur pour te roffrir et . par-dessus ie marché ca me fait plaisir!... » Avant de sortir, je lui ai demandé, dans un effort maladroit pour alléger mon tour d'elle, ce que je pouvais lui offrir, moi, pour Noel. « De l'amour, tu sais bien. Grand fou!» RrrrrghL. Elle a done le tour, quand eile veut, de vous faire cracher le feu. Je me suis jeté dans la bagnole comme si j'allais me lancer en orbite, mais je me suis senti assez téléguidé comme ca, je me suis eramponné lä, je me suis contenté de m'en pro« mettre en dégourdissant le moteur. Je ne disais rien de tout 5a, trop « chiche et repugnant ». Mais ma voix en montrait trop pour} qu'une Petite Tare l'ignore. Et eile m'a passe un savon. I , « Que e'est que cettemanie de tourner autourdu| pot? On ne sait jamais ce qui se passe. Un vi.u Julien!... Parle-moi d'elle. Mets-moi dans le o nap, montre-moi que e'est avec moi que tu fais deux, pas avec elle. Partageons l'essentiel aussi, pas ricn que les satanees sucreries. Faisons tout ensemble. Si Julien avait une maitresse, je m'en ficherais moi, pourvu qu'il l'ait avec moi, qu'on rie d'elle ensemble, au lieu qu'il rie de moi avec elle..: Gomprends-tu ce que je te dis?... » Elle veut que j'aie Exa avec elfe Elle y tieht. Elle y revient. Pour illustrer le propos, elle se montre encore mortifiee, frustree, de ne pas savoir si nous couchons ensemble et comment t «organisee», comme elle se fest promis? Elli i besoin. Au pied du perron, au moment de la quitter, au plus coupant, sans meme entrer changer de veter ments, je lui adresse un regard qui la prie non sen lenient d'acquiescer mais de m'inspirer la perfidie, 11 cruaute qui me font defaut, froides et sans douleur. «Tu sais, ce n'est pas ce que tu penses. Ca se passe entre copains, c'est Julien qui me fait les hon-neurs... Va te faire foutre... » Ma petite idole me recoit au milieu de 1'escalier de secours. Elle y prend goüt. Malgre ses frais de toilette, eile s'est posee sur une marche. Elle rn'y tapote une place oü elle me presse, avec tout le sem-blant de chair qu'elle a, allant jusqu'ä poser sur mon genou sa trop belle main, pour montrer sa reconnaissance, ou me la montrer tout court. « Comme tu es gentil, comme tu as compris cc que ca signifie pour moi que je t'aie cette nuit, que tu sois tout ä cote de moi, tout de mon bord .. Viens, je vais te montrer ta chambre. » lis Font: meublee. Dans le bureau de Julien, üs ont installe un convertible, une amerykanka elle appelle ga, dejä ouvert et dresse avec leur plus chic literie. Le genre qui donne envie d'essuyer ses bottes avec. «Attention, je me sens comme Michel Simon dans Boudu sauvé des eaux... — Des eaux ou des autres?... » Elle remet en méme temps sa main dans celle de Julien, qui l'avait laisšée aller et ne semblait plus y tenir, ■ Nous restons muets autour de la table, au böüt de laquelle ils me font tröner, et plus ce silence est troublant plus on se tend pour 1'écouter s'epaissir, se rcinplir d'une emotion indéfinie, de plus en plus pure, ou chacun fait vibrer cé qui lui hante. Nöüs nous taisons si fort que nos souffles á la fin font cla-quer les flammes des chandelles, et les yeux étiri-cellent comme s'il allait tonner, s'abattre un orage. «Sois poli. Parle-moi de mon poulet. — J'attends d'etre venu ä bout dé ta poitrine avant ďattaquer ta cuisse. » Ca fait rigoler la Petite Tare, á deux mains dans la figure, comme pour cacher ce qu'elle a vu lä-dedans qu'elle trouve si dröle qu'elle doit se lever pour aller reprendre ses ešprits. Elle ne m'a pas encore donné son čceur... Elle n'a pas oublié : eile nous apporte en petit chariot, avec le champagne, un gateáu roulé de telle facon par le patissier (qui a d'abord cru qu'elle se moquait de lui en lui commandant cette antinomie qu'est une buche de Noel en forme de cceur) qu'U donne en effet, sous l'ecorce et les riceuds en chocolat, des tranches äu dessiň parfaitement conforme. 172 173 « La mon petit gars, comme dirait Exa, tu es i.ut comme un rat. Apres ia cuisse et la poitrine, tu no peuxplus faire ledegoute, tu es pris pour y gouter. Ne crains pas va, ga se mange tout seul. El ca repousse tout seul. Demande a Julien, qui me le mange tous les jours, facon de parler... » Ce qu'il y a sous cette « facon de parler », Julien n'en fait aucun cas. Vas-y peureux, il me dit en st delectant, vas-y, je t'assure, ga fond dans la bouchr, et ga lui fait tellement plaisir... Malgre mes reticences a consommer, j'allais me laisser tenter, mais a trayers les doubles sens dont on ne sail a quoi ils renvoient le jeu se complique un peu trop tout a coup. « Non, sans fagon. Et puis il en manquerait un dans ma collection...» Elle n'insiste plus, elle me le mettra dans une pochette hermetique avec la date dessus. « Poete ». il me dit. Qu'est-ce qu'il peut bien vouloir dire pai la?.., Comme on est en train de choquer nos coupes, il jette un coup d'ceil a mes ongles rogues, infects a cote des siens : e'est peut-etre. ga... Les Huzuls, elle se met a raconter, ils brulaient une vraie buche, et ce n'etait pas un jeu, e'etait de .la magie, ils puisaient dans le bois, qui est le reservs >ir du feu, pour ranimer le soleil, qui menagait (le s'eteindre et qui les faisait tous.. crever de froid et de peur. On passe au salon siroter une petite liqueur, et telephoner a Lavaltrie. Elle s'assoit sur le bras de son fauteuil, puis sur le bout de son coussin, pour se * 174 blottir entre ses jambes et ses bras aussitôt que fivresse alourdit sa tete. Elle est toujours aussi ailec-tueuse avec lui, aussi collante, á la fagon pourtant, qui ne géne pas, d'une enfant, ou d'un chat, dont elle a le regard fixe et froid quand eile ouvre ä demi les yeux sur moi. « C'est le bonheur total ou je m'eníle encore la tete?...» Je n'ai pas voulu parler a la mere. Je ne lui parle plus depuis que je suis la deception de sa. vie ct que je ne me le pardonne pas, méme si elle ne m'en veut pas, eile, et qu'elle ne comprend pas. C'est comme ga, c'est plus fort que moi, je ne peux pas, ga me tuerait d'entendre sa voix tellement tout ce que jc lui dois me poignerait. Mais c'est normal qu'on se rende si malheureux : c'est elle que j'ai aimée la premiére et le plus. Entre autres perfections, eile était trop juste, et rien que pour moi : elle ne don-nait rien ä Julien dont je n'aurais pas pu profiter aussi, elle me le payait elie-méme s'il fallait, comme ces deux années ä ľuniversité..,. Julien qui s'est tu pour ne pas déranger la Petite Tare échouée sur lui s'fmmerge á son tour dans le sommeil. Accroché au goulot de la chartreuse, absorbant leur félicité ä petites gorgées, pour ne pas que ga brüle, je les regarde se noyer. C'est beau c'est eífrayant, s'écrierait Walter, avec une virgule biffée entre les deux. C'est de ce que je vois, tel que je le vois, que si on avait le choix on voudrait naítre, et c'est insupportable. Je me suis retrouvé, tout chaussé tout habillé dans 175. l'amerykanka. que ie n"ai pas reconnue, mais <,a m'est revenu. J'ai allume, j'ai lu le petit mot que ie n'avais pas remarque qu'on m'avait laisse sur le bureau, debarrasse pour moi. « Sois le bienverm -chez toi. Ne nous remercie surtout pas. Ce n'est p; un cadeau, c'est un defi. » Trop pour moi. Tout < que je veux c'est une bonne gueule de bois, comme chaque fois que je sors d'ici. J'ai dechiquete et j< w au panier, sinon tout neuf du moins tout en omjr laque comme si on en avait trop mis et que ies gouttes engendrees se solidifiaient encore. II me la--cinait completement, je me demandais par qu< !■ entourloupette on s'etait figure qu'on pourrait me faire entrer dedans, puisque de toute evidence il m'6tait destine, quand mon amour m'est apparur, toute nue dans son gilet de base-ball, pas le moins du monde autrement dit si on ne commencait pas a la devisager par le bas. C'est trop petit, je lui dis. vous avez mal pris vos mesures. Pas du tout, rllr fait, pour me pacifier, viens tu vas voir, je vais m'y mettre avec toi. Elle confond avec Ie lit, et je ne < veux rien savoir, ce serait trop facile, c'est en mi-coingant le pied dans la corbeille a papier et cullm-tant sous l'assaut des efforts qu'elle deploie pour me delivrer, que j'enteftds prouver qu'elle a encore pris *J: « une vessie pour une montgolfiere ». Julien vienl tout a coup s'en meler. « Que c'est ca? Un avocat.J Au panier!... » J'ai I'impression qu'ils s'esclaffent avec moi, qu'on rit tous aux eclats, que j'ai fait un tabac, mais est-ce que je peux le dire comme si | j'etais la, ou si je n'etais plus deja que ce poids que || I 176 I leurs pas diligents entrainent entre tous ces murs qui chavirent?... : J'en ai sauté des bouts puis je réyais. Sans doute ä la Marätre. Une maniere de Mere Nature, comme celle qui se met du côté du lion qui poursuit l'anti-lope, qu'elle a le moins douée pour se défendre et qu'elle devrait protéger le plus si ce n'était pas une contradiction dans les intentions. Elle a ses habitudes dans mes cauchemars éthyliques, ou-elle a beau jeu de m'imputer toutes mes faiblesses... Ou est-ce á present que je réve, en ce nuage ou je suis remonté, ces flottements ďédredon caresses par un souffle unique au monde, universel au mien, un parfum subtil que seule une äme, et une seule, peut dégager. Je tátonne un peu mais ma Petite Tare est hors de portée, fondue dans une masse qu'elle forme avec Julien, moins en l'enveloppant qu'en s'enveloppant autour de lui... Je suis content qu'elle I'aime tant. D'autant que j'ai pu étre assez confus pour en douter. D'autant plus que ce n'est pas de quoi me retenir, m'empécher de regagner ce á quoi j'appartiens, comme un déterré ä son trou... Mais je suis aussitôt rattrapé. Elle ne dormait pas. Pas vrai-ment. A quoi bon étre heureux si on n'est pas lä pour en profiter? « Oú ťen vas encore, espéce?... Tout est fini dehors, ils ont démonté le décor, il n'y a plus de gui-gnol, quand on ouvre la porte on tombe mort!... » Est-ce qu'elle me mentirait si ce n'était pas pour mon bien?... Sa salvatrice autorite la fait parier aussi fort que si elle parlait sans géne, mais Julien 177 s'en fiche, il dort, et quand il dort II dort eh fils heu-reux au fond de son sac d'eaux. Dans le temps (]iie nous chambrions a deux, rue Maplewood, j'ai pour-suivi et massacre ä coups de marteäu un rat sans alterer le tempo de sa respiration... Reste un peu, elle me dit, accroupie puis a genoux, juste un prut peu, j'ai tout un dejeuner prepare dans ma tete, une fete. Ah, je me dis, si quelqu'un nous voyait, elle m'oflrir le paradis avec ses mains d'ange, et moi me faire prier^bouder avec magueule de masse attiree par sa seule pesanteur... « Ce n'est pas possible, tu sais bien. ■ — Je ne demande pas rhieux, moi, que te dünner quelque chose de pas possible... Prends-mui au mot. » Je veux aller au petit coin: Elle ne s'y fie pas. elle vient avec moi, elle m'attend dans le couloir. Puis elle me suit dans le bureau, ou n'en fmissant plus de me border dans « mes» draps, elle finit pas s'instal-ler dans «mon » fauteuil. Elle va me regarder dor-mir... ■/■ « Tu es compietement folle. — C'est pour te donner le bon exemple. » : C'est elle qui s'est endormie et moi qui 1'ai regarder dormir. Puis je suis sorti, sur le bout des pieds de je ne sais (top qui. Resister. Tout le long en remontant aux Deux-lles, je me le suis repete. La loi qui force ä changer, ä progresser ou regresser, s'epanouir puis se fletrir. on se cramponnera et on la violera, on ne se sou- mettra pas. Jc veux que ga reste cbmme c'est, toujours pareil. II n'y a pas a chercher mieux, il n'y a pas mieux. Si je perds Exa (a elle aussi il faut resister, ne pas la laisser me bousiller, detruire ce que j'ai d'essentiel et qu'elle n'admet pas)y je trouverai une autre maitresse, il faudra, pour n'€tre jamais dans le besoin, ne dependre en rien derria petite idole, lui offrir un sacerdoce entier. Sain et sauf. Que ne degrade aucune solitude, aucune frustration... Mais si je perds Exa, je ne retrouverai jamais ailleurs l'intimite creee, necessitee, par tous ces fils qui nous branchent ensemble, et qui seront section-nes, qui traineront dans la boue du ressentiment, dans les dechets du desir, ou se mele, avec la peur de la perdre, une vraie tendresse, Elle a siphonne mon cognac en ruminant les memes questionSi Le corps mort est tout ce que ses rejouissances ont laisse comme traces, avec le cen-drier qui deborde. Malgre ses menaces elle s'est bien mal debrouillee, et je me suis trompe, elle ne m'a pas trompfi, meme pas le soir ou son corps la genait tant; elle se sera laisse tenter ou tripoter, c'est tout... Elle a froisse un feuillet de bloc-notes ou elle avait jete ces mots, suivis d'un double alinea en pointilles destine a mes reponses : «Who are you? What do you want? »Je mon te en catimini voir s'il n'y a rien de casse. Je m'attends toujours au pire. Elle m'y a habitue. De meme qu'a creuser le silence et jouir du moment ou je l'entends tousser ou remuer. « Maudit chien!... » « Atta girl! » comme dirait Walter, dont le style 178 179 T ■HB se ressent de sa propre «brosse» (une coupe, une tasse en. vieux francais, d'apres la Petite Tare).. II a touche le fond de sa bouteille et garde le des1-us jusqu'au bout... Ce qui faisait sa force etait d';uou vu Ernie « peter sa coche », et le regarder faire I tronc par terre en s'imaginant ä sa place, avec En se regalant au. lieu de lui.. « Pourquoi.viser si haut quand le bonheur esi ■ bas!... » : Sur quoi il se tordait, il se roulait en tonneau ; travers le raobilier, tapant dans le mur et rebondis-sant jusqu'ä: ses pieds pour lui lever son verre < i mieux recommencer. Bri a lance un autre defi en faisant tourner des rigaudons. Walter l'a rele\e aussi. II s'est epate lui-meme en se lancant dans une gigue ou la Too Much le chauffait en tapant du talon. Puis ils se sont repondus coup pour coup et leurs galops secouaient les soliveaux. Pour rattrapi ■ . 1'attention, Ernie.s'est pris pour un chien. II gamba-dait, il se deboitait pour mordiller ses puces, labou-rait la porte ä deux mains pour se faire ouvrir, puis il est venu les harceler en haletant, se percher l<-museau sur leurs genoux en clignant de ses plu^ beaux yeux pour se faire jeter des rebuts entre It dents. Bri en profitait, elle l'envoyait se coucher a grands coups de pied. Apres un tas d'embarras, il y a consenti, il s'est glisse. sous la table et il s'est endormi. La Too Much, qui s'etait remuee toute la journee ä cuisiner, tout combiner, s'est retiree lä-dessus, et les amoureux se sont retrouves seuls, epaves au milieu des debris qui sont le produit des 180 4 parties de plaisir. C'est le creux. Qu'elle eprouve aprement. Dans son ventre. « Quand ga la prend, ca fait peur, elle ne se tient plus de mepris, de cruaute, pour tout ce qui n'est pas le regard qui la fait se soumettre et fondre de joie de se soumettfe. C'est une nature, comme quand si on n'a pas de boussole on se perd, pas de feu on gele, pas de pain on pille, pas de force on se fait devorer... » Le ron-flement menacant de Pun, le repos sacre de l'autre, a cote, plus rien n'a compte que les battements du cceur. lis I'ont fait. II n'y a rien a faire, la grande affaire c'est de le faire. La Petite Tare a bien raison, on fait vraiment pauvres types avec nos bonnes femmes. « Maudit chicn!... » Elle ne lachera pas tant qu'elle ne me l'aura pas enfonce dans le crane. « Ce n'est pas tout de le dire, il faut que ca tire a consequence... J'ai compris que tu te resignais a me laisser avoir des amis, a me les laisser choisir, que tu t'immolais pour me montrer ta grandeur d'ame. Est-ce que j'ai mal compris ou si ga ne tirait pas a consequence, et e'etait juste pour voir si je te leche-rais la main, si je te laisserais rattacher ma laisse ? — C'6tait pour voir s'ils attendaient ma permission, pour te garder!... Qu'est-ce qu'ils ont a chipo-ter? Je n'ai pas assez bien dresse a leur gout? — Tu perds ta salive, Elle ne prend pas sur eux. Ce gars-la, cette fille-la, il n'y a rien pour me les salir. ■ — Ni les emp€cher de me cracher dessus, je sais. 181 f f — J'etais la, je t'ai vue, c'est: toi qui as, commence!... » G'est le coup qu'elle attend toujours, qui lui donne completement tort, et completement raison . on est tous du meme bord, moi le premier, et elle toute seule du sien. Gomme un chien. Un autre chien... Mais, les faits sont la : elle m'avait tout de suite accule au pied du mur, ce serait elle ou eux « Et le chantage continue... » Elle saisit le couteau a pain et se le fait tourner comme dans une plaie. Pour elle, autrement dit, c'est la torture qui continue... «Tu n'as rien compris. Ce que je t'offrais. comme cadeau, c'est son cul. Pour que tu le lui salopes bien de ma part, que tu me la fasses bien baver, comme la limace qu'elle est... Ca y est, tu allumes?... Joyeux Noel!... — Qa. ne te suffit pas comme vie de cul? II taut que tu en rajoutes? — J'evoluerai comme quand j'aurai baise tout ce > qui bouge. Comme Nana Marre. Elle a fini par aimer mieux bouffer! Satisfaction garantie trois fois par jour, aux depens de personne!... - Autre genre de vie de cul. » Ca tournait en eau de boudin, c'etait le mieux qui pouvait arriver. Mais je I'ai franchement affron-tee. Je n'ai pas eu peur de declencher quelque cataclysms II est vrai qu'elle a ramolli. Elle n'est plus la bete enragee qu'on ne peut pas ne pas craindre, et qu'on ne saurait abattre ou laisser crever dans ses ■ spasmes. « Ne va surtout pas t'imaginer que tu vas t'en tirer comme qa. Je t'ai promis que j'allais m'organi-ser, je vais m'organiser. » . On va bien rigoler. J'ai fait mon tour d'elle. II gelait mais c'est le sens du vent qui compte et j'ai eu le nordet dans le dos pour remonter le fleuve, eprouvant un soulagernent delicieux en contournant la Pointe. La figure a cesse de me cuire et les yeux de se remplir de larmes aus-sit6t durcies, versees en grains de chapelet, en je vous salue Marie pleins de glace. On ne s'en plaint pas. G'est comme autre chose, il faut en profiter, 9a ' ne va pas durer. Elle aime mieux, c'est clair a l'eclat de sa voix, j me recevoir du bar Au Quai que de la Brasserie, ou I il n'y a pas d'amour, rien que des ch6meurs, des * assistes, des retraites, de la misere. J'ai craint qu'iJ 4 ne soit ferme. II m'a plutot sembie bonde avec ses f deux tables occupees. J'ai ressaye de mon brin de f causette avec Poppee... Ga va?... Ce n'etait pas le : moment. Elle a rajuste son sourire impenetrable et i rendu la monnaie sans avoir entendu : de jolies \ dents, quoique une ou deux rechapees deja, qui J montrent assez d'ou elle sort malgre le soin 1 compasse qu'elle met a le cacher, et ce que je lui ai I" entendu raconter a un familier sur de l'argent a ramasser pour recommencer ses cours aux Hautes Etudes... Fragile, habituee aux heures creuses, elle s'est bientot trouvee completement debordee'par une «integrale» a danser par-ici et du service a 182 183 dormer par-Iä. Un polichinelle ä nosud papillon ;i soudam jaiili de je ne sais quel double fond suspn i et lui a prete main-forte. .: « II ne peut pas montrer sa moulinette ä sa place :s en tout cas...» : L'expression m'eberlue..; Est-ce que je lui ai des- 1 sine un portrait si cruel de cette enfant. Qui se TF defend. Comme eile peut. Pluiöt mah Mais sans .'fct doute est-ce qu'elle sent ma gene et que ca I'amuse. J Elle insiste. . T> «Mais moijepourrais... Mais moije ne montre- f •' rais pas mes dents si jen'avais pas envie, jamais de jj la vie. C'est trop interieur, trop intime. Iis ne me | • paieraient jamais assez eher. » Y' Je ne comprends pas. Elle ne sourirait pas ? Elle t que ga amuserait tant, soi-disant?... Julien dort tout |j le temps. Quand il aura termine «sa cure », ils 11 monteront dans les Laurentides. Iis ont reserve au Al Gray Rocks et ä L'Esterei. Tres chics hotels. Au cas J J ou son frimeur, son flambeur, se deciderait tout ä 1| trac, eile me donne les numeros. Elle m'avertit !J,| comme un homme qui en vaut deux : je lui ai csee { un. manque ä combler tous les jours de sa vie. 1 Qu'elle soit mon amie de cceur, ma femme ideale, =| que quelqu'un d'aussi sage soit assez fou pour 1 lui mettre une aureole, e'est vital, e'est un pain I quotidien. On ne peut pas se contenter d'etre une I moulinette... Elle m'eberlue encore. Je ne vois abso- I lument pas oü eile veut en venir. Pour le savoir, je J fais la bete;: J « Pourquoi pas ? | —- Parce qu'on n'est plus rien quand on ne sert plus : bonsoir, on se ramasse ä la casse. — De quoi tu paries ? Qui se ramasse ä la casse ? — Toutes les moulinettes. : — Parles-tu pour jouer ou si tu essaies de me dire quelque chose?... As-tu pris un amant?... Qui est-ce qui te maltraite? — Flaf aflaf, aflaf aflaf, aflaf euk... » (Du Gauvreau ? En tout cas pas du Dickinson.) [ « Sais-tu comment tu m'appelais cette nuit quand tu deparlais?... Mon amour!... Ah ca m'a... Ah je ne sais pas ce que ca m'a fait... Tu m'appelais mon amour... Si e'etait bien moi que tu appelais... » Je m'en suis tire comme j'aipu. « Pas ma moulinette, tu es sure? — Pourquoi veux-tu m'avoir appelee ta moulinette ? — Ca expliqüerait toutes ces histoires de moulinette... Qu'est-ce que tu repondais?... On peut savoir ? —- Qui!... Oui!... Cest moi, me mid juste la, attrape-moi gros beta!— » Elle est dröle quand eile s'imite. On a bien rigole mais ga n'a pas dure. Cinq minutes ä tout casser. Je n'ai pas vu un chat sur le boulevard en ren-trant. A pied ou autrement. Ideal pour promener une gueule de bois. Meme 1'eglise a Pair fermee, condamnee. Abandonnee comme quand on aban-donne, qu'on ne veut plus rien savoir. Je fais de la projection. Je me mets ä sa place apres que Dieu sera mort, et je me fiche une sainte paix. J'en ai 184 185 bien besoin, mes bonnes femmes m'epuisent. Je ne peux, en tout cas, m'exphquer autrement que j'au-delire. J'avais. pas mal bu mais j'ai toujours su controler mon alcooL. Est-ce qu'elle m'a drogue, administre un serum de verite, un plus puissant soyersi?... Trop dangereux, je ne Pappellerai plu^ jamais mon amour, meme pour moi tout seul. Je lui donnerai un nom qui ne trahit pas, qu'elle ne connait pas. Je lui donnerai un des noms de la neige ou je les lui donnerai tous a la fois: igluksaq (bonne a batir un abri), pukak (en poudre), ganik (en ehutei, piqtuq (balayee par le vent), mauya (douce el. pio-fonde)... : Exa n'a rien prepare. Elle. n'a pas faim, trop mal au bloc. Moi aussi, moi non plus. Je lui sers un hoi de mon yogourt, extra pour raccrocher Pestomat. « Qu'est-ce que ga veut dire 9a? » . Est-ce que je sais moi ? C'est le genre de foutaiies qui se repandent parce qu'on les entend et qu'on l«> repete. C'est tout, mais tout est la, avec Pautorite que 9a leur conlere et le pouvoir qui s'ensuit... Ca la fait mourir que je parle comme un grand livre, el 9a me fait continuer, comme un brin de cour quand 9a prend, ce qui est a peu pres ce que je fais finale-ment, comme 9a, parce que j'ai le cerveau tout ramolH, et le reste a l'avenant, qui ne demanderait pas mieux que de se repandre dans son lit. « Fichc-toi de moi, profites-en, tu n'en as plus pour longtemps, Jusqu'oii je peux en profiter ? » C'est merveilleux, 9a revient toujours, malgre unit. On seregarde dans les yeuxet le declicsepro-duit. A travers un pelii sourire en coin. parfois. Comme si on se jouait ensemble un bon tour. Oju'on etait ecceures de se ressembler, elle en icbelle armee, moi en paria insolent. : , «Jusqu'ou tu veux aller ? » Je n'aipas voulu le lui dire et sa curiosite m'a fait obtenir ce que je voulais, ce qu'elle a trouv6 bien peu, puis bien trop. C'est plus fort qu'elle, elle ne peut pas dormir avec moi, elle ne peut fermer qu'ceil, « Donne-moi encore cinq minutes. Ca ne va pas t ereinter. » Je m'etais blotti contre son animal et je me lais-sais absorber sa chaleur, son energie, dont je revais, entre deux etats, qu'elles se repandaient dans mes vaisseaux et brulaient les toxines, ou qu'elles cir-culaient dans mes circuits et rechargeaient mes batteries. « Qu'est-ce que tu fais la, tu te consoles apres moi? » II y a de 9a : elle m'a vide, je me ressource. Qu'est-ce que Walter en dit ? Rien. Pas d'entree a cette date, II a du passer la journee en parachute, a redescendre sur terre. Ou en apnee, pour rernon- / ter a la surface. II n'a pas ouvert la bouche en tout cas, meme pas grimace : c'est le moins qu'il doit a sa Too Much, qui peut si bien tout supporter sans gemir qu'on ne sait pas si elle a jamais soufFert,: bien Americaine en tout ce qu'elle a de cool. Dans ses 186 187 mceurs, on ne s'allege pas en s'epanchant, on nr se soutient pas en partageant ses faiblesses et ses maux on se rend plus lourds. ("est ajouter du poids aul poids qu'on a deja de trop et qu'on fait porter a l'autre, aux autres. Ge qui fait flechir un niveau del vie qui est le notre aussi. II avait trente ans en 1940 et il a fuila guerre du roi d'Angleterre. Au lieu de servir de chair a canon, comme un cochon bien dresse, il a prefere la faire en fier mercenaire, en- G.I... C'est la theorie de la| Petite Tare, qui continue de decouvrir toutes sor'es d'indices qui la confirment, et qui veut me les laisser relever. Ainsi, il designe un anneau que la loo Much lui fait porter au cou comme sa « medaille » Or elle a decouvert, dans un gribouillis qui fait sonf orgueil, que c'est une traduction de dog-lag, la plaque d'identite du soldat americain. ! C'est curieux, quand j'arrive a la Brasserie il n*y a jamais personne a ma place. Comme si elle| m'etait reservee, Ou comme si j'avais pris une place? dont personne ne voulait de toute fagon. Pour une fois que tu ne nuis pas, plains-toi... La Petite Tarej attendait mon appel tout emmitouflee, prete a par-i tir pour ses sports d'hiver. Je la connais, je sais qu'elle n'y va pas de gaiete de cceur : rien ne la tuH autant que 1'eclat du soleil sur toute cette neiee Mais rien ne pourrait 1'empecher d'une compagnie qui se fait rare, meme si Julien aura, la-bas aussi, a se faire voir et se promouvoir. II est doue d'une energie qui exerce un charme fou dans un mon disco sur la musique des Bee Gees, elle a eu le culol. comme ä une empotee, elle qui a etudie dix ans \ chez Chiriaeff. Elle s'est laisse draguer, pour voir. Et ga sautait aux yeux : elle se servait d'elle pour se mettre en valeur, faire des clins d'ceil äJulien, et i !■ clins d'autre chose... «Je me suis rassise avec lui, je 1'ai regar< remuer son autre chose ä travers lui. Si j'etais un gargon, je me suis dit, qu'est-ce que je lui ficherais |' comme raclee dans un lit, que je lui ferais derr der pardon... Si je pouvais la lui offrir, je me suis . dit. Si eile etait meilleur marche et si je pouvais la lui acheter... Parce que me laisser betement cocu-fier, ga m'amuse assez mediocrement. — Tu fabules. Tu sais ga?.... » . Je connais Julien depuis plus longtemps qu'elle, il "| n a jamais eu envie de sauter une fille de sa vie, ga n'a aucun sens pour lui. II faut qu'il aime, et il n'a plus le temps, il est trop occupe a ficher une racMe a la societe tout entiere... Elle finit par se resigner a me donner raison, et se rassurer. « G'est ma pauvre libido qui ne sait plus ou se Jeter qui me joue des sales tours, il faut croire. Je lui en jouerais bien quelques-uns moi-meme, mais per-sonne ne veut jouer avec un courant d'air... >> Qu'est-ce qui est cache sous cette pierre jetee dans mon jardin?... Qu'est-ce au juste qu'elle vou-drait tant acheter qu'elle ne peut pas s'offrir autre-ment?... Elle si desinteressee, si gratuite, et qui s'est toujours fait un honneur de ne rien vouloir, rien oter a personne, a qui ou quoi que ce soit, pas une mauvaise herbe a un terrain vague, apres vous Messieurs les Saffres, la voici done disposee a detourner l'homme de sa vie de la possession de sa propre personne?... Quand ga se trouvera mieux, on regar-dera ga de plus pres. Pour le moment, elle me fait vraiment trop de peine avec sa carte de credit don't elle veut absolument donner le numero a Poppee pour que je me serve... Et que sa soi-disant libido n'y voie que du feu?... La tete me tourric encore... Malgre son discdurs inquiet sur ce qu'elle a entendu au boulot que le foie bousillait les reins des chats, que sa digestion produisait des cristaux qui bloquaient leurs vpies urinaires, Exa ne reussit pas a me mettre dans le coup. 200 201 « Qu'est-ce que ca peut Men leur ficher ? De quoi ils se melent ?... » Puis, comme elle me reveille en tapant son \'( ire avec son couteau : « Tu n'aimerais pas mieux suivre la conversation avec un livret des fois? ;:: —: Tout le temps! Tu me connais : toujouri pret!... » Elle laisse tomber. Elles'adresse ä Pacha direct. Qu'est-ce que je vais faire de toi, eile lui demande, et lui repete. Iis ont beau s'aimer, ils n'ont pas vrai-ment grand-chose ä se dire. On va regarder le show de Red Skelton. On ne .le rate jamais, ni celui de Carol Burnett. Lä-dessus, on s'est toujours enten-dus. Et que rien ne nous fera plus jamais levei comme La Familie Plouffe et Le Survenant quand on avait douze ans. Est-ce qu'elle va s'ouvrir ä Julien? Non, eile va garder tout ca pour elle jusqu'ä ce qu'elle en creve. Elle va faire semblant que le jeu l'amuse et rendrc ä Ripoline le brin de cour que lesfilles se font entre elles. pour mieux se baiser, comme on dit... Si die echoue, si eile eclate avec lui comme avec moicet apres-midi, elle est fichue, eile aura perdu la face, elle n'aura meme plus son orgueil pour la tenir... Je j] i'aime tellement, je peux me mettre ä sa place exac-j tement, eprouver son soulagement quand je force -11 avec elle au lieu de la laisser faiblir pour me gran? !;dir, renforcer ma position, augmenter mon importance. Mais je Faime tellement, des fois je preiere qu'on me la fasse souffrir, qu'on ne me la rende pas trop heureuse. Je n'aurais rien doni elle aurail heroin, je me dis, si elle ne manquait de rien, et je me rassure en. assumant que si elle m'aime autant cíle en fait autant, les memes cruels calculs. '. Je me suis reveille tout seul devant la télé. Efiet.de la paix et de Fharmonie qu'Exa a décidé de faire régner au foyer, pour une raison ou pour une autre. Aprěs tout ce qu'elle nous a fait voir, on est porte á se méfier. Est-ce qu'elle a trouvé le bonheur ailleurs et qu'elle me le fait partager, ou qu'elle expie son péché pour mieux recommencer?... Qa ne m'a pas cmpéché de dormir. lis ont fini leur virée á la Machine Shop, un ancíen atelier ďusínage oú des filles en djeaux se trémoussaient deux par deux dans des cages. II en pendait partout, et toutes aussi bellesj mais sur le rnfme modele, quand on en a vu une on les a toutes vues. La piste était bondée, Faction á tailler au couteau. Mais comme ils n'osaient pas danser, que dans celte pentecóte aux saints apótres en orbitě et vierges Marie en chaleur c'est eux qui auraient passé pour des échappés de bocal, ils s'ennuyaient ferme avec leurs consommations au moment oú la B.A.Bri, ďun clin ďceil (ils ne pouvaient échanger deux mots sans hurler), s'est entendue avec lui pour dchever de soúler Ernie. II y a mis le temps mais ils s'en sont payé du bon, et á une heure oú il leur res-tait encore toute la nuit pour s'eblouirj il était miir; lis ont jeté le corps sur la banquette arriěre et ila pris les choses en main :le volant sans permis et 202 203 1 « Qu'est-ce que ca peut bien leur ficher? De quoi its se meiern?... » Puis, comme eile me reveille en tapant son vi-rre avec son couteau : « Tu n'aimerais pas mieux suivre la conversation avec un livret des fois? — Tout le temps! Tu me connais :. toujour*. pretL. » Elle laisse tomber. Elle s'adresse ä Pacha direct. Qu'est-ce que je vais faire de toi, eile lui demande. et lui repete. Iis ont beau s'aimer, ils n'ontpas vrai-ment grand-chose ä se dire. On va regarder le slum de Red Skelton. On ne le rate jamais, ni celui de Carol Burnett. Lä-dessus, on s'est toujours enten-dus. Et que rien ne nous fera plus jamais Ii ui comme La Familie Plouffe et Le Survenant quand on avait douze ans. Est-ce qu'elle va s'ouvrir ä Julien? Non, eile va garder tout ca pour eile jusqu'ä ce qu'elle en creve Elle va faire semblant que lejeu l'amuse et rendre k Ripoline le brin de cour que les filles se font rntit elles. pour mieux se baiser, comme on dit... Si eile eehoue, si eile eclate avec lui comme avec moi cot apres-midi, eile est fichue, eile aura perdu la liur, eile n'aura meme plus son orgueil pour la tenir... Je i l'aime tenement, je peux me rnettre ä sa place e u -! tement, eprouver son soulagement quand je forte ' avec eile au lieu de la laisser faiblir pour me gran-■dir, renforcer ma position, augmenter mon importance. Mais je l'aime tellement, des fois je prelere qu'on me la fasse souffrir, qu'on ne me la rende pa-. trop heureuse.: Je n'aurais rien dont elle aurait liesoin, je me dis, si elle ne manquait de rien, et je nic rassure en assumant que si elle m'aime autant elle en fait autant, les mémes cruels calculs. Je me suis reveille tout seul devant la télé. EfTet de la paix et de 1'harmonie qu'Exa a décidé de laire régner au foyer, pour une raison ou pour une autre. Aprěs tout ce qu'elle nous a fait voir, on est porte á se méfier. Est-ce qu'elle a trouvé le bonheur ailleurs et qu'elle me le fait partager, ou qu'elle expie son péché pour mieux recommencer?... Ca ne m'a pas empéché de dormir. lis ont fini leur virée á la Machine Shop, un: .iticien atelier d'usinage oú des filles en djeaux se trémoussaient deux par deux dans des cages. II en pendait partout, et toutes aussi belles, mais sur le mcme modele, quand on en a vu une on les a toutes vucs. La piste était bondée,Taction á tailler au couteau. Mais comme ils n'osaient pas danser, que dans cette pentecóte aux saints apotres en orbitě et vierges Marie en chaíeur c'est eux qui auraient passé pour des échappés de bocal, ils s'ennuyaient lerme avec leurs consommations au moment oú la B.A.Bri, ďun cliň d'ceil (ils ne pouvaient échanger deux mots sans hurler), s'est entendue avec lui pour achever de souler Ernie. II y a mis le temps mais ils s'en sont payé du bon, et á une heure oú il leur res-tait encore toute la nuit pour s'eblouir, il était můr. Ils ont jeté le corps sur la banquette arriěre et it a pris les choses en main : le volant sans permis et 202 203 1'amour á credit. lis se sont garés le long de I'auto-route, au bord de nulle part. Elle s'est allongée toul de travers sur lui et a lancé ses brasj sa bouche apiě lui. II n'oubliera jamais la joyeuse obscenitě quVH< mettait á s'ouvrir, se découvrir, comment elle ■>< moquait de ses caresses, et du danger de se damnrr. en jetant avec ses cris un pied dans le toit, dans le pare-brise, ou en 1' envoy ant bailer par-dessus lr-dossier, sous le nez du « mort», de la mort. Dans son visage qui variait avec ses envies, elle lui offiait li toutes les femmes : l'impure et 1'ingénue, la savantr i I et la folle, 1'ardente et la désenchantée. Elle a mis If-clignotants d'urgence et ouvert sa portiere, oil il est • venu la posséder sous les gifles et les coups de pharc glacés des autos que le diable emportait... ! i J'ai fait mon tour ďelíe á longues enjambées. nic \ I precipitant á la Brasserie pour la couvrir au plus tot f de sollicitude et d'affection, 1'envelopper, la blinder. 1 Méme si toutes ces perfidies, elle les imagine (en • proie á une schizophrenic dont ce ne sont pas lei premiers signes, et dont elle s'amuse avec moi, sc voyant volontiers vieillir complětement déconnee-tée, bardée de sacs bourrés de papiers gras, condam-née á trainer dans des rues oú elle me rencontrera sans me reconnaitre), il ne s'agit pas de ne pas croirc 4\ á cette Lupulina érigée en Ripoline. Elle existe, ell< a une réalité, elle en a surtout plusieurs, une pour chacun, selon les besoins, comme tout le monde... i Ainsi pour 1'assujettir elle-méme, la soumettre á me-1 soins, je n'hesite pas á lui passer déjá la camisoles 204 ♦: Cest une autre voix qui nie répond, une dame ä pic qui ne connaít pas de Petite Tare, encore moins de Toccata-Fuga (son vrai nom, qu'elle n?a | jamais vraiment porte). Je demande ä la reception des éclaircissements. On n'en a pas ä me donnér, on n'est pas l'assistance-annuaire. Agité par ce qu'on appelle un pressentiment, j'essaie le numero de Tautre hotel. Autre voix inconríue, méme échec. Je combine une série de scenarios, dont certains sanglants puis je m'en tiens ä celui-ci : elle a regie son probléme en forgant Julien ä vider les lieux, ils'se sont recasés vite fait en attendant la disponibilité de ieur autre destination... Je dois rappeler pour m'assurer que je n'ai pas fait erreur, mais quand ? Combien de temps faut-il pätir avant que ga compte däns 1'ordre des mérites?... Mettons une démi-heure. Šije la supporte, elle me měnera dans le créneaU oü je telephone en temps normal et l'imbroglio se démělera tout seul. Cest ce qu'il fait. «Pour ne pas étre génée par eile, et pour te faire apprécíer sa ciasse en passant (c'etait le temps oů jamais pour un crotté dans ton genre), j'ai fait répondre ä Loupou que je n'etais pas la pour le moment. Avec sa mentalitě, elle a compris que je n'etais la pour personne... Elle a bien flippe sur mon "nom de passe". Elle ne se cessait plus de me traiter de P.T., il a fallu que je la fiche ä la porte. » Ca a Fair de bien flipper pour elle aussi. Cest le 205 gros menage ä trois ou quoi ?... Sa majeste cherchait refuge au milieu de la nuit, soi-disant poursuivie par un skieur qui derapait. « Vous vous etes tasses pour lui faire,une petite place., — Elle voulait camper dans la piece ä cöte. Je 1 ie m'y suis pas fiee, elle aurait pu avoir des,malaises... C'est Julien qui a herite du divan et moi de .sa majeste. .. .:.—Ca s'est bien passe, ondir ait...» Tu vois comme tu es interesse, eile me dit, en reproche ä ce que je ne lui raconte jamais rien de croustillant... «J'ai veille un moment pour enqueter, voir si elk' a les seins en oreilles de chien ou si son parfum surit / sur elle... J'ai fait chou blanc. , — Ca n'explique pas ta. si bonne humeur. » Qu'est-ce qui me prend de si lourdement in ^ ister ? Elle ne s'y retrouve plus non plus. Elle se replie = dans un silence ou elle se resigne ä me faire home : c'est pour m'epater, se montrer bon soldat, qu'elle .1 si resolument surmonte les petites miseres avec qu< >i eile regrettait de m'avoir accable... C'est bon pew ce que j'ai. « Si je deviens jaloux, possessif, si je tombe a.i 1^-1 gravement malade, acheve-moi... » ;: : . ... Ca fait tres pauvre type, elle.trouve, et qu'on Kut decidement la paire comme P.T., «Jaloux de notre, bonheur avec Loupou?... Reprends tes sens! » Qa va, mais elle continue de l'appeler Loupoti gros comme le bras, et ga m'amoindrit, ou ga me ramene a mes justes proportions... Elle a refait un essai et renonce pour le moment a retablir le texte. Elle ne peut plus se passer d'avoir le cahier merae en main, le posseder physiquement. rentrer avec en communication directe, toucher la peau des mots, examiner, a. contre-jour les vraies pages et raviver ce que leur memoire a garde,.rele-ver les coups de stylo mal biffes dont la photocopie ne garde aucune trace... Elle ne peut plus travailler comme elle veut, a vrai dire s'amuser...Je le ressens comme un autre signe d'abandon... Mais il s'agirait plutot de tous ces blancs que les problemes irresolus lui feraient laisser en attendant: elle perdrait le fd... Non, que je n'aille pas me figurer qu'elle a fait des decouvertes, ou qu'elle en fera. Sinon de toutes petites, qui n'auront de sens que pour elle et moi, puisqu'au fond tout ce dont il s'agit la-dedans c'est 1'experience que nous en faisons, n'est-ce pas?... ()ui, mais encore? « Tu verras. Quand je mourrai. Mais nous mour-rons ensemble... Oui?... Si tu savais le bien que ga me fait quand j'y crois, tu ne rirais pas. C'est la preuve de je ne sais quoi que j'aurais toujours attendu... » Elle a baisse la voix, elle ne veut pas etre enten-due. Par personne... «On est sur le toit et on saute... Mais on ne tombe pas, on monte... Comme si la terre avait bascule... Je te dis pour que tu te figures, que tu voies bien... Parce que si tu le vois comme moi, ga te fera 206 m - s 207 le meme effet que moi : que ga ne peut pas rater Qu'il faut tellement aimer pour tant donner que ca ne peut pas ne pas etre une joie... Ne compte pas trop la-dessus. Compte sur moi, mais rien que moi, moi ni plus ni moins... —- Ne dis pas de sottises! » Pour Walter, on verra apres les vacances. Elle compte que j'en profiterai pour venir la complimen-ter sur sa bonne mine. Eile ne veut pas se vantei mais il n'y ä pas jusqu'aux bronzees les plus fanas qui n'ont pas loue la fraicheur de son teint. Elle s'est fait demander si on pouvait toucher. On a voul.i savoir quel maquillage elle employait pour donner cette rougeür si speciale ä sa bouche et au rebord de ses paupieres : on n'a pas cru que c'etait un « pro-duit» de sä sensibilite... Son style a dejä groupc autour d'elle deux ou trois solitaires : dies 1'ont sui-vie au ski de flambeaux... C'est regulier. La fagon dont ga tend ä se passer, avec toujours 1'espece d'epave noyee dans son verre, jamais le meme specimen mais toujours planque dans quelque coin, au point qu'elle se prend ä le chercher quand die ne Pa pas repere, et qui s'amuse ä la devisager, ä se hair a travers elle en s'essuyant les yeux sur elle. Qui s'est approche un jour en lui montrant ses mains, si indignes de la toucher qu'il allait les faire coupcr ot jeter aux chiens... «C'est moi tout crache et tout crachant. sui moi. » Elle n'etait pas d'accord. Tout cache alors. cachant tout sur moi... Voila de quoi j'aurai vecu aujourd'hui et sur quoi je dormirai cette nuit. Ces pauvres exaltes, ces givres par sa grace et sa beaute, ils s'en feraient un tresor, ils en rempliraient des banques. Et pourtant, meme avec le vent dans le dos et sa voix dans le vent, telle que si elle sortait du fleuve et que sous la glace, a l'interieur de son corps, le fleuve avait gard6 sa chaleur, meme aux moments ou je ne peux pas demander raieux, ou je suis sur que c'est tout ce queje veux, je ne sais pas sije ne le jetterais pas... Je retomberais bien bas, mais sur du solide. «Je suis organisee. » Exa est fiere de me l'annoncer. Elle est invitee a une partie de fin d'annee. Elle ne me dit pas ou ni avec qui. «Je ne rentrerai peut-etre pas coucher... » Comme il faut deviner, car il n'y a pas apparence qu'on en saura plus si on ne s'abaisse pas a le demander, on en deduit qu'elle va se rendre au boule en bagne et qu'elle va rester en villc, oii ga se passera, sans doute chez sa cop Ananas Marre... Je me rejouis encore qu'elle s'adapte aussi vite, aussi volonders. C'est la marque, on le sait, des natures superieures, des survivants. De ceux qui sont doues. Vraiment doues. Pas douds pour arriver les premiers aux concours de sornettes et assimiler le mieux les regies du jeu, qui ne font gagner que ceux qui les ignorent. Mais doues pour proteger leur personne et leurs biens, passer les derniers a la caisse, ou pas du tout... Elle l'a. Ils ne l'auront pas.;. 208 209 Elle ne saura jamais pourquoi, si souvent ces dor-niers temps, je la regarde: comme ga. Elle m-fj comprendrait pas combien la voir Pavoir m'absoutfl V de ne pas Pavoir, combien je suis soulage de ne| l'avoir pas contarninee. Elle me traiterait plutöt deg lächeur et de poule mouillee, car ceux qui Font n'ont pas de pardon pour ceux qui ne Font pas, qiu n'en veulent meme pas... Elle veut savoir ce que je cherche ä la fin dans sa figure : une eruption de culpabilite ou ä la provoquer? « Ce n'est pas mon true 9a, ma biche au pied d'airain, c'est le tien. — On sait bien. Plus on se laisse aller, plus on est tolerant.» Je me laisse aller, bien certain, mais ä quoi?... A rien?... Comme ceux qui se retiennent alors?.. Mais ce n'est pas ce qui Foccupe. Est-ce que Pacha va survivre ä une si longue absence? Est-ce que je vais le nourrir ? Je ne suis pas assez << malin >> pour l'affamer expres, mais est-ce que je vais y penser?. Elle va me mettre un memo dans le pot au\ commissions et m'en coller un sur le frigo, oü le foie sera prih ä servir, tout en petites bouchees taiilees? sur mesure aux ciseaux. Du travail de haute couture. ■ : Elle me fait asseoir sur le bord de son lit, ce qui va devenir une habitude si ga continue (par defini-: tion). Apres ces quelques jours d'abstinence, eile va sürement attaquer, ä moins qu'elle n'ait decide de tout garder pour sa Saint-Syivestre. On a le droit d«-se poser la question. Si on ne l'avait pas, on se la poserait pareil. Comme si elle m'avait entendu, elle se plaint ďavoir oublié de baisser le thermostat et allonge une jambe hors de ses draps. J'avais la main froide et 9a lui a plu. Elle s'etait si bien abandonnée, sans bouger, ni émettre un son, que je la croyais endormie. Puis quelque part sous elle une vague a commence á montér... Elle a voulu me le rendre. II n'en était pas question. Chacun sa fagon de balancer les comptes. Pas plus fou qu'un autre, on lui a aussi laissé un petit mot. «Amuse-toi bien, ne crains rien, j'en prends soin, je ne pense qu'a chat. Ton vieux tou-tou. » Espérons qu'elle le prendra pour ce qu'il est, qu'elle ne Fanalysera pas trop, qu'elle n'y verra pas une legon de savoir-vivre. Ou de savoir-laisser-vivre. Je m'en fous moi. Je n'ai aucun droit sur elle. Et je n'en veux pas, j'ai assez comme ga de tous ceux que je n'ai pas sur moi. Je ne lui veux que du bien. Lui ficher la paix. Avec le méme gout, le méme gré que je lui fiche autre chose. Je l'aime assez pour ga, lui faire des cadeaux qui ne me coutent pas. Qui ne m'arrachent pas la gueule. Je suis parfait. Dent pour dent. Elle toute seule la nuit de Noel, moi la nuit de Jour del'An. Cest plein de bon sens mais ga cloche : on ne peut pas se laisser émouvoir par les caresses inappropriées ďun propre á rien et avoir de ces bassesses. Et ce n'est pas parce qu'elle n'a pas le choix, comme il y en a tant. Elle a le diable au corps et ga tourne les tétes. Elle se fait 210 211 reluquer a longueur de journee. Ellene s'en vanie pas, elle croit que c'est pour juger ses toilettes, II est vrai qu'elle n'a pas une tres haute idee d'elle-meme, et ga peut expliquer bien des choses, Walter avait annonce a sa B.A.Bri qu'il sortait: il n'avait plus a boire et il ne pouvait plus s'arreter de celebrer : elle lui rendak tous les jours feries. Ermr le cherchait, pour affaires. II a fait le tour des abreu-voirs, il l'a deniche au Manoir. Ernie avait fait ses comptes, II les apportait, pieces a Fappui. « Alors, gros big-shot, 9a niinote ? . — Je vais te.dire bien franchement, j'ai trop d< depenses. J'ai meme rien que des depenses. Des defenses puis des depenses puis pas de service, jamais de service... Endurerais-tu ca bien long-temps? » C'est ce que je me disais, il a dit, sans laisser par-ler Walter qui ne le voyait pas venir avec son attache-case. II a sorti un etat detaille de ce que Bri lui avait coute depuis sa retraite, et calcule la-dessus, sous ses yeux, des moyennes.: par annee, par mois, par semaine. . ■ « Avant que tu continues de t'en servir, je vou-drais que tu regardes un peu les chiffres et tu voies si tu peux te la payer. Parce que si tu crois que je vais continuer de te la payer, je peux te. .gur-prendre... Ecoute Ernie, on n'est pas des.enfants, on: peut se parler... Sije te 1'abimais, d'accord, mais je tela rends heureuse, Ernie, je te la refais rouler comme une flambant neuve. Tu ne peux pas recla- mer : je ne lui ote pas de la valeur, Ernie, je lui en rajoute... » Ca Fa fige. Walter a bien manoeuvre et ils se sbnt quittes pas pires amis, au milieu de la nuit, Reglahl. les consommations, en grand seigneur,, il Pa-fait. .. pleurnicher en lui demontrant qu'il avait tout gSche, que les plus beaux elans s'etaient brises sur ses petits calculs, et qu'on lui sauvait son menage en y mettant de 1'amour, du grand, du fou^ ou on est aspire tou-jours plus haut en errant le vide, en brfilant tout ce qu'on a, en se debarrassant de tout ce poids. Ernie » avait bien merite sa legon, qui aurait du lui crever les yeux quand il voyait la Too Much le porter sur la ; main, lui, se decarcasser encore pour lui, vieux tordu qui avait faineante toute sa vie a ses depens... II ne s'etait jamais demande, Ernie, dans ses miasmes et / dans sa boue, qui e'etait qui avait invents 1'amour, qui lui avait donne ces ailes qui font voler les anges ?... II ne lui etait jamais venu a l'esprit que ca pourrait etre un minable, un dechet que plus rien ne pouvait sauver, un damne comme lui, ordinaire?/.. « Ce n'est pas la fois que je l'ai fait saigner du nez que je l'ai bien mouche, c'est la. II ne se demandera plus ce que j'ai tant qui plait aux femmes, il l'a vu. La poesie et tous ces fifis qui en font, il ne bavera plus dessus, Mais ne t'en fais pas, Ernie, mal foutu comme tu es avec le peu qu'on a mis dans ton panier, personne ne t'en voudra, ne t'enviera, on ne pourra que te pardonner. » Ce sont des pages: ou l'auteur, pour une fois, ne se regardait pas ecrire et c'est ce qui fait leur interet 212 213 malgre tous leurs defauts, d'apres la Petite Tare, avec qui j'en cause a I'envers et Fendroit pour echapper a son idee fixe. Elle veut s'adrcsser a Pop-pee, que je la lui fasse venir a Fappareil, absolu-ment. Ce genre de fille lui plait : elle aurait volontiers fait comme elle quand elle avait ses dix-huit ans, qu'elle etait dans toute la fraicheur de sa splendeur, qu'elle avait envie de le montrer, d'en faire profiler. Et puis elle est l'occasion revee que nous ayons des saletes a partager, un semblant de vie sexuelle, il n'est pas possible que ga ne nous manque pas, et que ga ne finisse pas par nous detra-quer si on n'y voit pas, sans sombrer dans le grand guignol, devenir des Walter et des Bri, comme s'il n'y en avait pas assez, s'ils ne faisaient pas deja la queue aux portes de Fenfer. Pour ne pas dire du depotoir. Elle ne parle pas de passer aux actes. II n'y a meme pas d'equivoque... En tout cas, nos heros ne Finspirent pas. « De plus en plus, on dirait, tu les detestes. lis m'agacent. Us me poissent. Je n'en viens pas a bout. » Elle ne reussit pas a les integrer dans son systeme. To process them, les evacuer. Ca ne me dit pas ce qui les lui rend si indigestes... C'est justement sur quoi elle ne met pas le doigt. Quelque chose de diffus et qui est toute la question : le meme amour, le meme instinct qui nous porte vers les autres et qui; selon ce que nous en faisons, est ce qui nous definit, nous eleve ou nous avilit, nous epuise ou nous accroit. «Je me mets dans leurs peaux, c'est force quand 214 11 II on lit, mais j'ai le gout d'en sortir au plus vite. D'un autre cóté, ils m'habitent, ils vivent dans la meme partie de moi que toi. Je me surprěnds á calquer les fagons de Walter, adopter ses expressions : peter sa coche, marcher sur la croutc... Je me defends de répéter anyway a tout propos, ga jure á travers mes belles maniěres et ga fait sursauter mes admira-teurs. >>■ ■■■■ Pas avec moi, je lui fais remarquer. Mais avec moi ce n'est pas pareil, avec moi elle sera toujouřs pareille. Elle parlait de ses soirees en bande avec Loupou. Quand elle a bu, ils se demandent de quel faubourg elle sort tout á coup. Ca lui plait bien. Ga lui donne une distance au sens brechtien. Une longueur de levier... Les plus sympas vont se réunir á souper pour saluer leur depart du Grey Rocks, qui va la soulager... A moins qu'elles n'aient si bien copiné que Loupou, elle ne l'appelle plus que Loupou, trouve tout naturel de les suivre au lac Masson. Mais ga se passe á un autre niveau, oil elle serait píutót du genre á s'etre assez encanaillée déjá, assez décíassée, pour les oublier comme on chiffonne un numero de telephone. Malgré tout, ga se termine mieux que ga n'a commence. «Ta faute. Je me suis demandé á quoi je me dépenserais le mieux : me désoler pour des ingrats ou m'egayer pour toi... Et bing, ga m'a ttans-formée!» Elle se croit obligee de rigoler la-dessus et on a bien du ma! á la prendre au sérieux... 215 : J'ai oubíié de nourrirle fichu chat!... Ca nu reveille au milieu de ma nuit. Comment ai-je pu Ca me revient.. L'idee m'a pris de trainer au bar jusqu'au changement de quart. Pour rien. Pour .v< m de quoi les autres danseuses avaient Pair. Je ne. Tai pas vu. Premiere nouvelle, j'avais glissé sur un bour-relet de glace au milieu de la rue. Je me demandais s 1 si.j'ailais me relever et je me. répondais que t;.i m'etait égal. J'avais beau ramper, j'etais au-dessua .j r de mes affaires... Je n'ai pas vouiu me soüler,; il n'\ avait pas de quoi: mon estomac vide, a dü me jouer un tour. Si ce n'est le patron de Poppée, inquiet de mes assiduités... « Qui. e'est ce gars-lá, pourquoi il nous - Je le sais-il moi!...» Mais peut-étre, aprě' tout,; je vieillis,.et je ne la contröie plus, ma boisson Soni le foie, cherché le chat. Pas de chat. Je Pa. trquvé á la porte, en boule hérissée par le froid. II a Si filé se cacher en rasant le plancher, menace d'attra-per sur le dos. tout ce qui se déglinguait dans son univers. La catastrophe est imminente, au prochair crac qa. va s'ecrouler... Mais ce n'est pas le plui troublant, quant aux lecons qu'on pourrait en tirer de ses conceptions. II ne croit qu'en Exa, qu'il ;i connue malade, ä moitié droguée ou autremem capotée. A moi qui ai toujours su garder un mini- |p mum de bon sens, il n'a jamais fait confiance un< seconde... Je me suis recouché lá-dessus, je ne mi-suis plus rongé, on en fait toujours trop, on n'est pa» £ jugé ä son mérite. . Je ne retrouve rien du Jour de 1'An passe. Exa avait du acheter du champagne, elle en achetait toujours, du President Brights, deux, pour qu'on ne s'arrache pas la bouteille, et tout ce qui s'ensuit, comme deux poivrots. Elle avait du faire des efforts gastronomiques (un aspic, une fondue, une tarte aux pacanes) que je n'ai pas apprecies a son gout, et la chicane evitee a pris malgre tout, elle prenait toujours. On s'etripait, a coups de gueule. Puis on se faisait la gueule. La gueule de bois. Au moment ou je n'attendais plus Exa, ou je fai-sais une croix, elle arrive. Elle ne bluffait pas : elle s'en etre paye toute une. Je ne.l'ai pas vue aussi ravagee depuis longtemps, j'ai en meme temps Pimpression de ne pas la reconnaitre et de bien la retrouver. A sa fagon de cligner, je lui fais le meme effet, aussi alienant. . « C'est ce que tu voulais... Es-tu content ?» Je jette un coup d'ceil a la bagnoie, encore tout d'une piece. «Ce n'est pas elle qui a pris le champ, c'est moi.» Elle me dit ga pour que je la regarde, elle. Je la regarde, elle. D'autant plus volontiers que je peux la regarder de haut, ce n'est pas moi pour une fois qui ai deserte, qui suis le traitre et le criminel... Elle reconnait le coup de la bonne conscience, qu'elle m'a si souvent fait. Elle ne comprendrait pas que je n'en profite pas, que je n'applique pas sa loi. « Salope... Guenille... » ^ Si j'avais montr6 la moindre faiblesse, elle me 216 217 serait tombée dans les bras, comme moi dans le meme- cas, Mais puisque c'est comme ga, et ca fait aussi bien son affaire, elle n'a pas á se géner. Elle goníle les joues et me souffle au nez un vent de ballon; qui se dégonfle. Qu'est-ce qu'elle s'en fiche aprěs tout, de ma gueule, de toute la gueule ďun monde sans amour... Elle n'apprendra pas Á un vieux; singe á faíre des grimaces. Lui faisanl Ie gorille, je me la plie sur 1'épaule et la monte se cou-cher comme un sac au grenier. Elle se debat, eile fait des oh et des ah de victime épatée, défaillante... Je 1'ai toujours dit : une rigolote. Elle aurait rigole jour et nuit avec un gigolo qui aurait eu son sens du rigolo. Je ressortais, j'ai entendu un genre de moteur démarrer. J'ai regardé, c'etait Pacha qui avait sauté sur le lit et s'etait mis á ronronner. II n'y a pas d'amour heureux? Ce qui a fini de m'attacher au cahier de Walter, je 1'ai reconnu: avec elle, á la chaleur de >es reflexions, c'est de suivre les pas de mon amie, pénétrer dans ce qu'elle sait déjá, que sa conscience occupe et qu'elle a transformé. Cette faute est designee par son doigt, une moue empreint cette gros-siěreté, un plaisir a parfumé cette expression, et dans ce gribouillis ses yeux vifs ont creusé, jeté leur lurniere... La Too Much est malade. II a pris sa temperature et lui a défendu de se lever. II la dor-lote. II la soigne au jus d'orange et á I'aspirine, trois aux quatre heures. II ne veut pas qu'elle lui refasse une pleurésie. Elle ne peut pas lácher, ce n'est pas possible, elle tient toute seule cette construction de l'imagination qu'il est au fond. Elle est cette imagination, Pair qu'il a dans sa bulle,: et que respirent aussi tous ses personnages. II change encore ses draps trempes, sa chemise. Elle lui defend de regar-der mais il triche. II ne l'a jamais vue aussi nuc que dans ce corps fane par tant de sueur extirpee, dimi-nue deja par tout ce qu'il a autrement donne au cours des annees. Mais si la propriete de la beaute est d'inspirer l'amour, il n'a jamais vu non plus rien de si beau. II le lui dit, comme ca lui vient, meme si c'etait un drole de compliment, que ne pouvait proffer qu'un eternel adolescent, « Ne te fatigue pas, tu n'es plus assez vieux pour moi.» Ca a veille tard. Personne dehors. Meme pas de vent. Plein un boulevard puis plein un autre, une absence, un silence, une distance tout en prof on-deurs, en resonances interieures, en detachement. Un reve ou on ne meurt plus, ou ca ne se fait plus. Si un jour on est forces d'evacuer ces lieux, je vou-drais 6tre le dernier a partir, rester un peu derriere et faire encore un tour, tout seul... Pas de Popple. Ni de pepee de rechange. Rien que le petit costaud en noeud papillon qui brasse on ne sait quelles affaires derriere le decor et qui ne fait de facons a personne. Parfait. La paix... Au nouvel hotel, meme si la telephoniste m'a fait repeter puis trop rapidement epeler, elle l'a dans la tete, et c'est au « Petit Tas » qu'elle va demander de s'adresser. Elle met un moment a repondre, un 218 219 autre a essuyer I'afFront, puis a s'essuyer eUe-menu' et passer un peignoir, elle sort du bain, quelle he im ^ qu'il est, son « maniaco-repressif» est sorti sans la reveiller, parti se donner un beau hale, se faire gnl-ler pour etre bouffe plus vite, as-tu vu le soleil, tout ce qu'il crache encore comme chimie pourrie, il no pas derage de la semaine, on est bombardes de pai-tieulcs... -.-.« Ici ga va, C'est couvert mais il ne va rien tom-ber, rien se passer. Tout est comme fini, embdlle dans la ouate.... » Elle n'entend pas, plus la, occupee a se rendre presentable. «Je serais bien restee toute nue mais je ne sup-porte plus ma vue. Vingt-cinq ans! Bientot trente. /V Ga entre dans le corps... Si j'etais une voiture, je * serais bonne pour la ferraille. Meme plus ce que . vous appelez une minoune. Je tomberais en pieces et on n'en trouverait plus nulle part. Cette nuit je me suis levee : je trouvais le temps trop court. Je mr suis mise a la fenetre et je l'ai guette pour 1'attraper. Puis j'ai realise que je n'6tais pas dedans : il passait mais pas sur moi, il comptait mais pas sur mes doigts.Tout ouverte et deployee, je suis sortie, j'ai suivi un sender jusqu'au milieu du lac. Et je me suis trouvee au milieu du monde... Et j'ai compris qu'on Test partout, qu'il tourne autour de nous, que c'est <: lui qui tourne et pas nous, qu'on est immobile au centre et qu'il n'y a pas de danger, il ne peut rien nous arriver. L'erreur, et on ne se corrige pas, c'est de rever qu'on vit au lieu de vivre qu'on reve..,» C'est drole, il m'est arrive ia nieme chose, en d'autres mots, pas plus tard que tantot, dans Pair lourd, fermente qui m'avait souie. Mais c'est trop complique d'expliquer que si on n'est rien, si on I'est bien, si on Test tout a fait, on ne risque rien en effet, que « rien » ne se perd pas, ne se detruit pas, qu'il est notre milieu nature!, eternel, que la vie n'est qu'un moment absurde, insignifiant, de nbtre existence. Et comme il ne me vient pas un traltre mot sur ce qu'elle tient pour une revelation, elle se met a douter, d'elle. « Le sais-tu que tu es mon temoin, que je te fais regarder tout le temps par-dessus mon epaule, que devant tout ce qui me tombe sous les yeux, qui me vient a l'esprit, je me dis je vais lui dire, et je cherche des mots pour mieux le dire?... On a beau se rapprocher des autres, etre intimement lie a l'un ou l'autre, on ne se confond jamais, on ne le laisse pas absorber, on n'y tieht pas, on aime mieux se ramasser tout seul a combiner ses petits truest et moi c'est avec toi que j'aime le mieux me ramasser toute settle...» Comme elle en met, comme elle a peur que j'en manque, comme elle est genereuse. Mais elle l'a tel-lement toujours ete, ca lui vient tellement naturelle-ment, qu'on s'y attetJ^^n y compte, on n'est plus epat6, il faut se replonger dans l'6tat ou ga nous met-tait les premiers temps pour mesurer combien c'est epatant... Mais au lieu d'accuser le coup, trop tendre a mon gout, je le devie pour la tenir hors d'equilibre, et en profiter, lui en faire encore donner. 220 221 «Et sur ton lac, tu te baladais avec ton flambeau? — Quel flambeau ? » Son flambeau de skic use au flambeau. Et j'entends hien un fiambeau ou rien. Si ce n'est pas Í un flambeau, un vrai, un flambant, comme dans le vieux film ou les feux des skieurs dessinaient un lone train qui se déroulait dans la noirceur, s'il est ä piles ou ä moteur, je ne veux pas le savoir, elle peut le; garder pour elle... Elle se tait ä son tour, elle ne fait plus le joint... Ou est-ce qu'elle pleure encore? II y: aurait de quoi avec toute cette fumée que je lui ai souffle aux yeux pour faire le malin. «Tu as de.la peine?... -—Je n'ai aucune peine. Je suis solide comme un pont. J'ai descendu une pente C sans batons. J'en surprends plusieurs. Et des costaudes. J'ai du ballet dans les molle.ts.» Mais savoix était voilée, comme si elle avait eu le nez embarrassé. Ou je me le suis imagine, parce que ga fait mon affaire. Ca s'est vu... J'aime tenement qu'elle m'aime qu'en larmes méme elle me fait jubiler... Quand je l'ai quittée,. et c'est dom-mage, elle aurait pu jouir d'un reportage en direct : ca s'est mis ä chauffer au bar Au Quai. Deux mau-vais coucheurs ne digéraient pas de payer leurs drinks deux fois le prix ä un « pingouin » au lieu d'une danseuse érotíque, et méme de plusieurs, tel qu'affiche. Pendant que Fun lui donnait un pour-boire dérisoire et lui mettait la main au panier, l'autre, en bouffonnant, le poussait ä montér sur.ta 222 table et se rrémousser un petit brin. Ils avaient rai-son, et je ne portais pas le patron dans mon cceur depuis la veille, oú je me suis rappelé qu'il m'avait traité d'assez haul, mais ga ne me rendait pas plus chaud pour les courages á deux contre un. Quand il a décidé de se défendre et qu'il m'a regardé pour voir ce que je ferais, je lui ai fait signe que oui, j'en retiendrais un. II s'est fié, il a cogné 1'un ďaplomb, et je n'ai pas eu besoin de me fouler, juste á m'occuper du sonné, il s'occupait déjá de 1'autre. Ca n'a 1'air de rien mais ca m'a secoué la patate. Je n'avais pas été au front depuis le hockey universi-taire avec Julien, oú Pun n'etait pas attaqué sans que 1'autre, en chevalier sans peur et sans pitié, saute aussitót dans le tas... Je 1'ai vu casser une che-ville á un taupin. Plutót, j'ai entendu le crac aííreux, puis le cri. Le coup de patin est parti sous la mélée, sans témoin : je n'en aurais rien su. lis nous bave-ront pas dans la face, il m'a dit, le feu de Maurice Richard dans les yeux, ils seront jamais assez gros, les gros Christs. Le plancher débarrassé, le gérant m'a serré la main. «C'est beau, mon homrnc... » J'ai reconnu un retour d'accent du Lac Saint-Jean. Ca ne lui a pas plu. Je m'en suis tenu lá et á ce qu'il m'a dit qu'il n'y a rien lá. II attendait que je lui fasse un peu rouler mes r de Lavaltrie, mais je me suis dérobé. II aimerait trop savoir ce que je suis, me ficher, m'integrer dans son petit systéme, oú une etiquette usuelle suffit, n'importe laquelle. 11 m'a 223 111 m paye une traite.Johnny, il m'a dit qu'ils'appc J'ai dejä entendu ga, j'ai dit. Je Tai encore entendu en rentrant, mais pas sur le ton que je prefere. Le cceur souleve par ses exces. Exa s'etait fourree dans un etat de contrition qui la: portait aux extremes, Ä defaut de pouvoir se jeter ä genoux et demander pardon, ce qui aurait eu Fair de quoi, eile m'est tombee dessus. « Qu'est-ce que tu as fait au chat? Qu'est-ce qu'il a ä se pousser ventre ä terre au moindre bruit11. — Tu es dröle toi, je n'ai rien fait moi, c'est lot qui as tout fait, c'est toi qui Fas seduit, trahi, aban-donne.» Rien ä faire, eile n'entend pas raison; Le pauvrc chou ne serait pas si traumatise si un chien comnie elle en connait ne Favait pas attaque. C'est quel genre de chien qui Fa attaquee, elle, avec ses deux yeux au beurre noir ä FAnna Magnani?... (C'est la derniere chose que j'aurais voulu dire. J'aurais telle-ment aime lui ficher la paix avec ses problemes. Je me Petals tellement promis. Pas pour lui montrer. Pour me montrer. Pour m'apprendre ä moi ä vivre C'est tellement chiche et repugnant ces attentats a coups de gueule. C'est un devoir d'amour propre, de proprete tout court, d'hygiene elementaire, dc s'abstenir.) « Qu'est-ce que ga peut te faire?... Arrete done de m'en faire accroire, ga ne t'interesse meme pas!... — Tu as raison. Et meme^ je Favoue, tu as tou- jours raison... Est-ce que ga clot les discussions ou si ce serait trop beau? — Ce serait trop facile!... » Toutes les excuses sont bonnes, elle n'a pas lait ä souper. J'ai fait bouillir deux ceufs, je les ai ecra-bouilles entre deux toasts, je m'en fous moi. Elle a regarde un peu de. tele, je ne m'en suis pas mele. Elle est montee se coucher sans me regarderi avec une baboune par-dessus sa gueule de bois. Total, tout est de ma faute, aussi pire que si e'etait encore moi qui avals passe la nu.it ä m'envoyer en Pair.,, Conclusion? Elle a les yeux plus clairs ce matin, et la commissure unpeu moins insolente. On ne vapas se rache-ver. Ce sera pour une autre fois. « On a encore mal commence Fannee, Johnny... — On les commence mal, on les continue mal, on les finit mal. On a de la suite dans les idees, beaute fatale...» II est bon, le caf, Elle ne le saura pas. Je ne veux pas lui dire et elle ne veut pas le savoir. Ca n'a rien ä avoir, c'est completement en dehors du sujet... Quand on est si betes et si moches, est-ce qu'on a le droit de vivre ? Est-ce qu'on peut savoir vivre ? On l'apprend dans quels livres, en se modelant sur qui ? Les victimes ou les bourreaux? Les durs, les mous, ou les flous, qui y vont au pif et qui se cognent par-tout, jamais plus avances ?. \ La Too Much passe une mauvaise nuit encore, ä trembler, glacee par sa fievre. Elle ne peut plus rien 224 225 avaler, merae pas de l'eau, Kile ne verra pas dr medecin. On ne pent pas en faire venir, ga ne se fait plus, et elle ne va pas se laisser « denicher », expa-trier par une ambulance. Elle a peuf de mourir et elle veut mourir dans son lit. II lui prepare un bouillon de poulet et nouilles. Lipton en sachet, a puVi Ca va mieux, on dirait. Elle a tout avale. Elle ;■ fair de le garder. Est-ce qu'il ne s'est pas fait avoir'1 Qu'il n'a pas engage son honneür jüsqü'au trognon pour une indigestion?.,. Un cceur de pierre... II a bien merite qu'elle le lui fende en deux. De se le faire ouvrir, comme un ceil. « Qui c'est T... .......- Tony. Je crois. » Et ma petite maitresse es lettres m'assure qu'elle n'en sait pas plus long, avec toute sa science, que ce qu'elle a cru dechiffrer. Toujours pareil ä la Brasserie. Elle n'a rien a signaler nön plus, sinon qu'a bien y penser eile a trouve de quoi medire de la divine « Rimousine ». Elle a du poil aux pattes. / «Mais leger comme c'est, blond par-dessus le marche, ga ne se voit que si on est rrial intentionne. et je ne sais pas si on peut en faire un plat... » Blonde äüssi, elle doit bien en avoir du mCme genre,- ■ «Je n'oserais jamais!... Moi, je suis conclamnee ä la feminite toute nue, toute nulle. » -v Elle a demande ä Julien s'il avait remarque. A son grand etonnement, le sujet l'a int6resse. Elle ä toujours garde tous ses poils, il parait, et ce serait tres sexy... II est vachement bien place pour le savoir. II a et6 son premier amant, il l'aura encoura-gee dans cede voie. II a particulierement horreur des sourcils epiles, üne mutilation zelee dont il pätit par empathie. Elle ignore ou il a pu contracter cette phobie, vu Textreme jeunesse de ses maitresses; i Elle-meme n'avait pas seize ans... 226 227 ,. ,«. Mais, j'ai lu d'autre. part qu'urie pilosite saine accroit: la , tribo-electricite : de 1'epithelium pavi-mcnteux... » (L'effet des caresses.) Elle n'en revient pas : tout un pan de sa personnalite, peut-etre meme un cote pervers, qu'elle a ignores, meme pas soupconnes, <-i dont elle aurait pu profiter, comme une salope... .Elle aussi a remarque le nom de la pharma-cienne, qu'elle me fait aussitot chercher dans le bot-. tin regional. On croise les doigts, ce serait un premier lien, direct avec Walter. Mais le nom S Bouchti, dont elle a fait la meme lecture, ne figure d'aucune facon,: meme pas dans les pages jaunes... Si tous les norns sont fictifs, on ne pourra jamais s'y retrouver... Pourtant, elle s'y connait en noms! Sa 1 mere voulait l'appeler hntshe, d'apres ce que I'infir-miere avait dit en la remettant dans. ses bras :. . « Pretty isn't she ? » Son pere musicien a eu le der-| nier mot, Toccata-Fuga, mais si elle etait devenue prima ballerina, e'est le nom.qu'elle aurait porte. Puis a Fecole on l'a traitee de Touch-and-Go, pour se moquer, et ca Fa marquee, assez pour la deflnir a sou avis : elle a reflechi Fimage que ce miroir lui donnait, elle est: devenue «touche et file » en effet... Je ne trouve pas? «Tu es completement passive, quoi... , — C'est bien pour une fille,..non? Tu n'aimes ■ pas ?... Depuis que Julien s'est mis a m'appeler Toe, J je deviens de plus en plus Toe et de moins en moins 1 i sa. Tocca... Mais le nom que je prefere, c'est Mon | Amour...» .. Elle n'a pas fini de se bidonner lä-dessus... Elle a f \ bien rigole aujourd'hui et quand elle a bien rigole, que je suis couvert de ces dröles de baisers que sa bouche a souffles, je suis content tout court et content d'avoir ä le payer un jour. Tres eher. Ce que ca vaut. Parce qu'elle s'est mise ä mentir elle-meme, ä ne | plus tout dire en tout cas, Exa s'est subitement avi-see, ä moins qu'elle ne se soit fait jouer dans les idees par Nana Marre, que je la prends pour une j valise... Je suis reste six heures parti, je ne lui lerai pas accroire que je n'ai pas quelque borne-fontaine s ä arroser le long du chemin, je ne lui ferai pas i accroire que tout ce temps-lä, par un temps pare iL j'ai marche... «II faut bien aller quelque part. Je me pose ä la Brasserie. Ou dans un bar. Et je m'arrose. C'est moi la borne-fontaine que j'arrose. » Et je:lui souffle une bonne bouffee pour lui faire sentir comme c'est vrai... Avant, e'etait tout le " temps que je me promene que je buvais et le peu de temps que je bois que je me promenais. Grosse amelioration, je trouve. Toute anion honneur... Pas de mon avis, elle denoue son tablier, elle va laisser ses poeles en plan. Mais je m'en fiche. Et elle le sail, Elle l'a amerement eprouve chaque fois qu'elle me i Fa fait, Alors elle redescend, apres avoir tire la ' chasse ä tout hasard, et elle s'y remet. Tant pis, la main que je mords m'aura encore nourri. ;.« Tu me fais pitie, tiens! Non mais comment tu j fais pour te, souffrir?... Qa ne te soulagerait pas de iii 228 229 temps en temps de te jeter ä l'eau en passant? Te {'aire ecraser par une voiture?... » Pas de quoi non plus retablir le contact... Elle n'a rien de casse, j'espere, rien de vital. Ce serait dom-mage. On etait en train d'aboutir, se trouver un confort Tun dans l'autre. On faisait des tas de choses avec plaisir. Comme se regarder. Ce n'est pas rien se sentir bien dans la figure de l'autre, Le plus souffrant, ce n'est pas tellement qu'elle ait putasseV si tei est le cas, mais cette mauvai^t' conscience qui ne la lache pas, le relent qu'Hlr repand dans l'atmosphere. Ses yeux; s'absentent et eile a l'air de n'en plus finir de se reveiller, sortir d<-son cauchemar. Elle a tout le corps comme etemr. qui ne vibre plus aux proximites, raeme aux rap-pels tactiles. Est-ce qu'elle s'est fait violer? Laisse violer? Qu'elle ne savait plus ce qu'elle faisait ei qu'ils ont fait ce qu'ils ont voulu?... Je n'ose pas \ penser, trop attaqu6 dans ma propre personne, humilie. Deshonore de l'avoir permis. Par negligence, « Ecoute, je ne te demande rien mais si ga ne va pas, je suis ä portee de voix, j'ai des grandes oreiiles... » Non, pas bon, trop joliment tourne, trop tou-chant, ga ne la touchera pas. Et puis de quoi je me mele, est-ce que tout ga n'est pas une fiction, que je ne m'amuse pas ä me charrier moi-meme?... II etait pass6 minuit, et je me fabulais encore la-dessus, me complaisant plus ou moins ä l'idee que son etat requerait mes soins, ma compassion, mon secours, quand eile a frappe ses trois coups, lis etaient legers, j'ai attendu qu'ils se repetent. Elle avait allum6 la veilleuse. Elle m'a donn6 son verre ä remplir.: Elle ne m'a pas fait de place, eile ne s'est pas tassee quand je me suis assis sur le bord du lit, «Je ramollis, je ne dors plus quand je ne t'ai pas dit bonsoir... Bonsoir! » C'etait sec et ce fut tout. J'ai tarde un peu ä me relever puis j'ai saisi sa cuisse ä travers le pique. Elle l'a retiree, vivement; Comme si ga lui avait fait mat. Comme si elle etait blessee. Comme je l'avais prevu. « Tu as un nerf irrite?... Le nerf honteux?... » Pour qui ne sait pas qu'ü a vraiment dans ce coin-lä un nerf de ce nom-la, ga n'a aucun sensy meme pas comme plaisanterie de bonne volonte, surtout dans les circonstances, mais plus ga ne veut rien dire plus ga fait refl6chir, c'est bien conhu, et eile s'imaginera, entre autres idees qu'elle se fera, qu'elle est rendue vulnerable ä un grossier personnage et un parfait imbecile: J'etais reveille. J'ai ete le temoin auditif de ses pr^paratifs. Elle se hätait sur la pointe des pieds, elle faisait attention, pour ne pas me deranger. Je n'en reviens jamais. Elle n'a pas laisse: de petit mot dans le pot aux commissions, juste une petite liste et du fric... Je serai lä quand elle reviendra, elle ne ren-trera pas dans une maison vide. Elle ne se retrou-vera pas settle comme un cobaye oubhe par un vaisseau spatial. Meme si on ne sert qu'ä ga, on ne sert pas ä rien... 230 231 Ca. s'arrange pour la Too Muchj sa temperature ' est tombee. Si eile etait le moindrement parano, clle se demanderait qui a bien pu essayer de l'empoison-ner. Mais comme eile n'a jamais nourri d'hostilite envers personne et qu'on juge les tiers d'apres soi-meme, eile ne se meile de personne, sa confiance est totale. Pour Walter, ca se complique. II y a le telephone qui a. remis ca, qui sonne apres lui jour et nuit. II pourrait decrocher le combine, il ne veut pas, il tient a. partager les tourments de Bri, et ces cris grelottants, etouffes par un coussin, exprimcnt aussi bien les siens, ils donnent ä leurs « deux cceurs qui se dechirent une seule voix, la meme voix». II lui a d'abord repondu qu'il allaitla rappelcr quand la Too Much irait mieux, puis quand celle-ci a pu se. lever c'estelle qu'il a chargee de communique!" son message, on ne.peut plus neutre : elle n'avait plus ä s'inquieter, le danger etait ecarte, on allait se donner des nouvelles. Puis ils ont cesse de repondre. La Too Much n'a pas demande d'explications, Elle a seulement voulu savoir ä quoi s'en tenir. «Tu ne.veux plus lui parier? — Pour quoi faire?... Tu vois bien qu'elle ne comprend rien. » . II a commence une lettre oü il lui dit qu'il l'aime, :■ qu'il l'aime vraiment, qu'il: l'aime d'amour, que c'est comme dans les livres un feu qui ledevore, qui. ne. s'eteint jamais, pas un instant, que ca ne peut. plus, durer justement, c'est trop.souffrant. « Cc que je. voulais me payer, ce qui est dans mesprix, chiche comme je suis, c'est une bouchee de proie facile. Je 232 suis bien pris!... Pris pour me depfcndre. Pour faire mal. Mai comme j'ai... » II ne se figure pas qu'il va lui faire avaler ca?... II ne s'en tirerait pas mieux avec la verite, plus invrai-semblable encore pour cette folle dont la folie, qui l'a conquis, ne lui fait trouver de sens qu'au plaisir qui rit de tout ce qui n'est pas lui, qui le pille el le bafoue pour montrer sa force... II avail beau etfe soul et se laisser jouer un role odieux, il se prend deja a manquer combien elle etait tentante et qu'il etait tente, toutes tentations confondues dans le feu de ses yeux, quand elle lui a demande de se debar-rasser de la vieille... «Je me trame dans la boue pour toi, fais quelque chose pour moi, montre-moi ce que je vaux pour toi, pique-lui son bas de laine et jette-la du haut du pont pour moi, dans un sac a ordures...» Si avec ce vent je reussis a remonter le Saint-Laurent, j'en parlerai a ma maftresse es lettres. A souffler dans ses mains serrees en cornet sur la figure, on se rechauffe assez pour actionner les machoires et ne pas paniquer, courir se refugier dans la premiere maison, tomber daiis les bras vacants d'une megere emprisonn6e... On nouerait une liaison. Elle m'avouerait que tous les jours elle s'arrachait de son feuilleton pour se poster a sa fenetre et me regarder passer. J'etais tout ce qui se passait a cet autre ecran. Avec Poppee, il n'y a plus d'os tout a coup. Plus de glacon. Elle me demande aimablement comment ca va et me transmet le bonjour de Johnny. Je fais 233 partie de leur petite famílie ä présent. Je ne sais pas si ga me géne pas de me retrouver du côté du pou-voir, avec par-dessus le marché une petite sceur qui me fait flotter ses seins sous le nez. Mais c'est comme pour totu. On résiste et on créve. Ou on s'acclimate. Julien est content, il a bien profite de ses vacances. Elle n'est pas fitchée, c'est fini, ils rentrent ä la maison demain. «Je ne sais pas ce qui ľa rendu si heureux, ce n'est pas moi en tout cas. » Je lui raconte un peu le pugilat dont je me suis mélé et son: résultat. Poppée ne peut plus rien te refuser maintenant, eile dit, il faut en profiter. Elle a passé une partie de la nuit dans la vie de Kleist et eile est troublée. Est-ce qu'il faut croire á cette his-toire qu'il était impuissant et que c'est ce qui ľa fait se tuer avec son Henriette (la Henriette de son ami Vogel en fait)?. Est* ce que je sais moi?... Pourquoi tu me demandes ga?... Parce que ce serait trop bete. Quand on est Kleist, on ne meurt pas pour un bidule défectueux... C'est bon pour le commun, le trés commun, des mortels. ». Iis se.sont tués parce qu'on ne peut pas étre un si grand poéte et faire ľamour comme une bete ä une Henriette. On joue sur les mots, pas dans sa tuyau-terie : on lui fait la mort... C'est son avis, qui s'est dégagé d'une longue discussion ou je ne suis pas venu á bout de savoir ce que Poppée, qu'elle a nominee Loupou, par un dröle lapsus, venait faire lä-dedans. Ou la bagarre. «Tu t'es battu, toi?... Ca ne te va vraiment pas. — Tu as raison, je ne vaux rien. J'ai trop peur : quelqu'un peut se fracasser le cräne en tombänt, se devier la colonne. J'aime mieux me laisser casser la gueule. Je ne suis bon qu'ä retenir, empecher qu'on se fasse mal, tu demanderas ä Julien... — II ne m'entendra pas, Julien. II dormirä ou il aura la tete ailleurs. Au meme endroit que tout ä Fheure... — He, tu m'inquietes, tu he me paries plus pour que je te comprenne: — O.k., je vais faire attention, Veüx-tu savoir comme j'etais, en jujupe ecossaise, au Mount Pleasant College? Je faisais des declarations d'amour aux gargons, celui-ci ou celui-lä, qui guettaient les grandes au tournant de l'escalier du bas de la rue, puis je me sauvais. Je deguerpissais, pour ne pas ctre lä quand ga exploserait, comme le fameux coup de foudre dont on parlait, et dont je n'avais pas idee que c'etait un goüt de foutre... Je ne suis pas sure si je ne me bouchais pas les oreilles. Mais la meilleure : tu ne sais pas qui etait finissante ä ce moment-la... — FerblantineL. » Ca lui plait. Elle me fait repeter, eile n'a pas bien compris. Terebenthine?... Ah eile ne se dent plus... Le monde est petit, je dis. S'il continue, il n'y aura plus de place pour tout le monde, eile repond... Puis ga la reprend, eile veut parier ä Poppee, lui dire bonjour, absolument. Ca va la rassurer. Elle ne va 234 235 plus s'imaginer que je suis un indie ouun eciaireur du Gang de l'Ouest J'ai cede. L'interessee a longuement hesite, ne sachant sur quel pied ne pas danser, mais ca s'est arrange. Elles ont jase une minute ou deux. D'apres ce qui a transpire, elles ont echange des civilites ei c'est ma Petite Tare qui se tap ait le gros de la besogne, chichement gratifiee par des oui, non, surement, peut-etre... C'est une dinde, elle m'an-nonce. « Qu'est-ce que ga peut te faire? — Rien. Mais c'est dommage pour toi. Je me faisais des idees... Si elle avait eu un peu de chien, on aurait pus'arranger. » On s'amuse ensuite a perdre un tas de temps a combiner comment la remettre en possession du cahier original. Elle veut payer un courrier special, elle veut toujours payer, il n'en est pas question. Elle fait semblant de ne pas savoir qu'elle m'a manque et que je vais me precipiter au pied de la montagne ausskfit qu'elle m'aura tordu le bras. Elle attend que je me declare, il n'en est pas question non plus. Mais ce n'est pas manipulateur, pas malveillant une sacree miette. On a le meme sourire en coin en sc quittant. «Mets ta main, mechant... » Sur son cceur, elle veut dire, et qu'il n'y a plus de raison qu'elle m'offre autrement. Un autre jeu. Un nouveau. En souvenir de la fois que je la lui ai mise, ou plutot qu'elle l'a mise avec moi et que ce n'etait pas un cceur qu'elle avait mais que nous avions tous les deux... Ca me gene un peu. Elle le sait. Elle fait expres, « O.k., salut... » C'est toujours moi qui ai le dernier mot et c'est toujours ce que je dis, toujours de la meme fagon, pour ne pas que ga change, ga reste toujours aussi bon, que niTun ni l'autre ne fasse 1'erreur de s'imaginer que c'est meilleur ailleurs ou autrement. Elle m'avait parie que le nom de Poppee n'etait pas celui de la femme de Neron, tuee par lui a coups de pied au ventre, mais Poppy : pavot, poi-^ son. Elle s'est renseignee, elle a gagne. Mais ga ne m'empgehera pas de preferer croire au sublime, au merveillcux... j'ai traine au bar quelque temps encore, attendant je ne sais quel inutile effet de cette « rupture de glace entre touffiasses ». J'ai debouche sur le boulevard de la Riviere en meme temps que la Volvo de mattre Amillo faisait son stop a Pinter-section. Exa aurait voulu m'ignorer mais je me mas-sais les oreilles et, s'il faut la croire, son cceur a saigne... Maitre Amillo a fait marche arriere et quand je suis monte il m'a regarde entre les jambes. II doit avoir la vue basse. Puis je lui ai trouve un air deprave et Pai fait participer a Porgie que j'ai organi-see chez Nana Marre a la Saint-Sylvestre. Cdrame on etait plutot coinces sur la banquette et qu'elle se tassait sur moi, qu'elle evitait trop manifestement, je trouvais, tout contact physique avec lui; j'y ai vu la preuve de tout ce que j'avals imagine. « Simon, je t'en ai deja parle, c'est mon ami Johnny.» 236 237 Simon!,., Le mysterieux nurnero deux!... Et .1 ont le front de se tutoyer. « Ami! II ne faut rien exagerer. On ne peut pas se regarder sans se bouffer le nez. Ou autie chose...» J'y ai mis tout le serieux, toute la mauvaise . humeur, que j'ai pu, II n'a plus su oü jeter son sou-rire. II l'a jete entre ses propres jambes.: Elle l'a defendu : il etait tout jeune encore, je le faisais rough- Quel äge exactement, j'ai demande quand on. se dechaussait dans le tambour, et ma propre question m'a frappe, c'etait la premiere fois que je me trou-vais vieux par rapport ä un autre homme, c'eiait memeJa premiere fois que je me traitais d'hommr. m'etant toujours considere comme un gars. Viiv_> t-sept, eile m'a repondu, direct, comme si elle ne connaissait que ga... « La difference n'est pas si grande. Et eile n'cst pas lä, mon Johnny... II est plein d'esperances, il a confiance, et tu es completement degonfle... » J'etais tout pres, je l'ai vue qui a bien reflei Iii avant de l'ouvrir, tourne sa langue, elle ne pourra pas plaider le crime passionnel. « Bravo, bien d'aplomb. Mais il est question de quoi?... C'est en repr6sailles pour quoi?... Que je n'aie pas ete lä pour te proteger contre toi, t'empe-cher de faire une guenille de toi?... » Si j'ai l'air obsede par sa Saint-Sylvestre elle l'est aussi puisqu'elle me comprend aussitöt. Sans plus ample informe elle me saute ä la figure, oü eile, est 238 regue avec tous les egards dus ä sa combativite. On ne fait jamais assez attention ä ses. yeux. On n'ena que deux. Qu'est-ce qu'elle cherche encore?.., Elle n'a done pas trouve?... Ce n'etait done pas encore ga?... Elle repond. «Tu peux faire une croix!... Meme si on s'est etendue sous le premier venu (pour te faire plaisir, tu as tellement l'air d'y tenir), on se respecte encore assez pour ne pas se laisser toucher par le dernier cocuL.»f\-z-. Ce n'est pas un morceau, c'est tout qu'elle veut. C'est ma peau. Comme avant. Dans le bon vieux temps. Quand mon orgueil pietine ßnissait par nourrir des raneunes eternelles. Je ruminais de la parasiter ä mort. Je ne lui descendrais plus de sur ie dos, je l'ecraserais sous le fardeau. « C'est ma main sur la gueule que tu veux? Tu ne l'auras pas! » On a reconnu le topo. Le processus est enclen-che, on est aspire dans la mise en scene exercee, automatisee, qui vous broie un peu plus fort ä chaque fois... II faut que ga passe ou que ga casse. Et je ne casserai pas. Je ne prendrai pas non plus mes cliques et mes claques. Apres tout ce que j'ai invest! comme jus : tout ce que je me suis fait suer ä coups de marteau et qu'elle m'a fait baver ä coups de nerfs, ma cage, on ne peut plus m'ecceurer assez pour m'en chasser. S'il y a une justice, et tant que ce sera moi qui la ferai il y en aura une, je suis ici chez moi. «Tu vas me demander pardon. Tu sais ga?... 239 — On verra. Si tu me convaincs. Si tu as les moyens. Si tu sais t'exprimer. Si on ne peut pas resister a- ton intelligence et ä la seduction de Ion discours. Si tu n'as pas tout dans les bras et rirn dans les nouilles. Avec un n!... Tu ne sais pas ce que c'est parce que tu n'en as pas. Quand ils t'ont fait, ils n'en ont pas mis dans ton bol... » De son vivant, eile se faisait attacher, je suis sür, avec des pinces ä linge aux mamelons, tout lc barda. Ce n'est jamais ga parce que c'est ga qui esl ga. Une fois que ga tombera pile, je le lui ferai era-eher... En attendant, c'est elle qui sait et c'est moi, j'ai sourdement 1'impression, toujours, 1'ignorani qui se fait mener un pas plus loin a chaque tour. Mon paysage interieur est change : je peu\ mettre un visage sur le coup de klaxon de >i'pi heures et quart, et je le trouve assez sympathiqur une fois retombee la vieiile poussiere agitee par des perturbations oü je n'ai pu qu'avec la plus mauvaise volonte lui faire jouer un role. Apres m'avoir bien . eu, m'avoir bien fait la posseder, ma furieuse aussi s'est calmee, et j'ai trouve pourquoi ses petits pas presses sur la pointe des pieds ne me derangent pas merae s'ils me reveillent. lis ont quelque chose de tendre. Ils sont ce qu'elle a garde de tendre et qui ne rejaillit plus que de cette fagon. Tant qu'ä son refus d'excuser sa conduite, elle s'en est expliquee. Elle m'en a passe un petit papier. « Si tu ne 1'as pas compris encore, si tu ne l'a pas senti dans mon corps, crois-moi, c'est contre moi que j'etais enragee, c'est ä moi que j'ai voulu faire mal, et c'est ä moi que je ne peux pas (c'est trop me demander) demander pardon ni pardonner. » Quand le telephone a reveille Walter, il a trouve un grand trou dans le lit. La Too Much en avait eu assez de «cailler ». Elle s'etait secouee, elle etait retournee travailler. Elle n'en dit pas un mot, de son boulot. Mais elle s'est cree une reputation : elle peut choisir ses maisons et marcher ä son prix. II le sait parce qu'il repond parfois aux appels, avec mission de dire non ä telle dame ou tant ä telle autre. Elle doit connaitre un tas de gens, et beaucoup parmi qui la considerent de la famille. Elle garde ga pour elle.. Elle n'est pas Gere. II n'y a peut-etre pas de quoi.:. Quand cette sonnerie le lächerait, il allait se taper lui-meme une grosse journee. II avait cette lettre ä finir, cet amour ä tuer, ä poignarder ä coups de stylo, dont chacun le frapperait aussi fort. Ä la fin, il aurait du sang partout. Plein les yeux. Plein la figure..; Jamais content ■ ■ Toujours en mouvement En depassement circulaire. De I'avant vers I'arriere Pour-se rattraper Ramasser ses degats Effacer. ses traces Se sauver de sa justice Le vent est tombe. C'est marchable. Meme agreable. II y a le copain Simon qui a Pair d'etren- 240 241 ner une Souffleuse ä neige. II me íait aller la main. . Dröle d'expression. D'autant qu'il la fait aller moins qu'il ne la retient. Plus loin, sur une boite ä malle : le nom du petit maitre Amillo. L'autre Simon. S'il n'y en a pas trois, ce qui ne me surprendrait p; . Puis on va contourner la Pointe et se retrouver (on nesait pas ä quel moment, il y a un avant, un aprěs mais pas de pendant) de l'autre coté de file. Walter me détache de moi de plus en plus : de la meine fagon qu'en le lisant je me mets au-dessus de lni (sujet, hypostase), je me mets derriěre moi en mm -chant et je me regarde aller, comme un idiot, i m deux idiots, ou toute une filée, fun réíléchissaril l'autre ä repetition, en chenilles processionnaires. II y a toujours chez Steinberg une petite mere ou deux sorties de la maison par désceuvrement, on se fait un plaisir de les repérer, elles se reconnaisserit a lä chaleür de leurs yeux, elles sont venues voir si on allait les regärder, elles se sont mises en danger, ct 'c/á donne une frisson ä leur charme, une fragilitě < le palpe en vibration. On ne résiste pas ä ce qui n'a pas de resistance, on se sent tout élan, tout don. On trouve quelques caissiěres émouvantes aussi, mais on peut difficilement les atteindre, elles sont de ' , l'autre coté, dans la galěré; Si vous étes ďune auüv galére, o.k., ga va, eile vous reconnaitra, vous pour-rez de bord á bord parier galéře, autrement vous \ aurez fair, de votre haut, de vouloir profiter de ce qu'elle a les mains liées. Malgré tout, on a ses 1 !■ entrees dans le visage d'Annie (comme c'est épinglé , \ sur son sein). ' « Vous avez des belles couleurs... >> Les joues rouges rouges, elle precise. Je lui rends le compliment en lui designant ses yeux, bleus bleus. Elle n'a rien dit mais elle n'a pas aime ma fagon dc la regarder. J'en ai trap mis. Je suis prevenu. La prochaine fois, elle me placera... : 1 A la Brasserie, «l'heure des travaillants » est pas-see, lis ont dine, ils sont repartis. lis ne reste plus que les piliers. Mon equipe... Ma Petite Tare a la voix des mauvais jours, mais c'est si musical, toujours, que si on ne la connaissait pas par cceur on ne le ressentirait pas. « Le chat est parti et la souris ne danse pas?■■■■ — II n'est pas parti. Pas encore. II est reste au lieu d'aller s'enterrer dans un motel. Je suis restee couchee avec lui. II roulera toute la nuit. Pauvre bete...:» Une expression qu'elle aura piquee a la mere Francoise, qui Favait toujours a la bouche, et dont j'6tais par excellence ce quelle signifie. Et je ne serais pas surpris d'etre devenu une vraie pauvre bete pour etre vraiment sa pauvre b€te... Pauvre bete toi-meme!... Tu ne sauras jamais combien je t'aime, tu partiras avec cette plaie que je t'ai faite et que j'aurai laissee grandir meme si je n'aurais qu'un mot a dire pour la guerir, mais il me ren-trerait dans ta vie, il rne remettrait sous ton regard, et je ne le supporterais pas, pas dans cet ctat... « Aimons-nous. je t'en supplie... » C'est si soudain que je lui demande pourquoi, 242 243 IBl ^lilll comme si je n'allais me decider qu'apres avoir bien étudié la question. « Parce que j'ai peur. J'ai peur qu'il n'y ait rien aprěs Pamour. Qu'il n'y ait plus de vie apres l'amour et qu'on soit force de le supporter sans mourir, comme un chatiment éternel... ...— On ne s'aime pas? On ne fait pas que ca? ™ * — Ne te moque pas!... Non, tu ne te moques pas. Tu as raison, c'est vrai, on. ne fait que ga... Et c'est magique : il n'y a rien, pas de mocheté ni de saloperie, ü n'y a pas de néant qu'on ne peut pas changer en amour Fun pour 1'autre... » Vceu pieu ?... Méme si elle ne se sert pas toujours ^ -des grands mots dans de grandes circonstances, ils m'inquietent. Et ce qui est assez special aussi : elle ne m'a pas demandé, depuis son retour, de venir la •„ -voir. Comme si plus rien ne servait ä rien. Pour le > moment, si je ne sais quoi n'est pas irreparable. »~ «Je suis crevée, je vais re tourner me coucher. Pas /, 1 avec lui, ca lui est egal. Dans le bureau. Dans ton "* ' lit. O.k.?... ',f O.k., salut... ». . ^ II y a toujours quelque chose qui cloche. Un robi- net qui dégoutte. Le four de la cuisiniěre qui n'a pas ^4 seulement fait sauter un plomb mais grille la borne ~ \ de connexion : un eclair jaiili derriére le tableau a quasiment mis Exa k.o. II faut y voir. Je ne prends ! - pas toujours le temps. Je suis retourné fouiller sous |s les combles, oú j'avais déniché tous ces vieux Proust /; en. papier qui ne plie plus sans casser et qui s'est ^! 244 remis á-sentir bon la forét dont il est sorti. J'ai mis la main sur Le Temps retrouvé et repéché quelques Livres de Poche, en souvenir. La Téte..centre les maw. Beau titre. On se reconnaissait tout de suite. En feuille-tant une encyclopedic Quillet, pour y trouver des billets, de banque ou d'amour, je suis tombé sur une «ile d'Elle». En Vendee. Canton Chaillé-les-Marais. 1479 habitants. Amillo m'a trouvé de son gout, il parait... J'ai bien vu 9a... Erreur, c'est mon sens de Fhumour qu'il a particuliěrement apprécíé... Ca s'est bien passé á FOpéra, ga n'a pas partouzé trop dur?... Non, ils montent La Bohéme, c'est de tout repos. Et moi, qu'est-ce que je monte moi, La Bome-fontaine?... La preuve est faite, c'est une rigolote, c'est la rigo-lote masquée. Je lui ai laissé un bleu dans le cou, elle Fa camouflé avec un mouchoir. Quel dom-mage, quel gaspillage que nous soyons si peu faits Fun pour 1'autre. II n'y a pas ce qu'elle appelle un homrae que son temperament ne flatterait paš, n'exalterait pas, et c'est sur moi, pour qui ga ne regie rien, ga n'avance á rien, qu'il a fallu qu'elle tombe. «Les filles dans ma situation, quand elles rentrent á la maison, la table est mise et le repas sur le feu.» Elle nepeut plus tout faire. La couturiěre, la cuisiniěre, la ménagěre, la mere, la bayadere... Ses mauvaises fréquentations encore... Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre... Ii n'y a pas moyen de peler une pomme de terre. Décolle. Si tu veux te rendre 245 utile^ ote-toi de mes jambes. La derniere fois que j'a] passe l'aspirateur, elle a releve pendant un mois mes marques sur les plinthes... Elle s'est- trop donnec hier, elle se reprend. Puis elle regarde un peu de tele, en poussant sur tous les tons des petits cris. Elle est bon public. On ne peut pas lui oter ca. Au cas ou ce soient mes sarcasmes sur les orgies ~" qui aient fini par la vexer, je lui ai laisse un mot d'excuse. Ca m'a pris au milieu de la nuit, je me suis leve, j'ai allume, cherche un stylo, un bout de papier. * « Ce qui compte ce n'est pas ce que c'est, ce n'est pas comment ca s'appelle, c'est comment 9a marche, et ga marche, on n'aurait pas fait tout ce chemin si 9a ne marchait pas... » -°f' Puis je me suis demande si ces jeux de mots n'etaient pas aussi insultants que ce qu'ils voulaient corriger. S'il ne valait pas mieux ne rien dire si on r" ne pouvait pas dire je t'aime. Mais je m'endormais * = trop pour me relever, j'ai laiss6 aller. Laisse perdre. Comme en Italic. ■ ■' il Rien dans le pot aux commissions. Ni dans la poubelle, ou j'ai cherche ma declaration. Mais ce _ n'est plus de ne pas en avoir assez mis que je me « repens, c'est d'en avoir trop mis. Je lui promets je " ne sais quel long avenir. Un vrai contrat conjugal. Ca m'a echappe entre les lignes. 'S* Walter a recommence dix fois sa lettre. Quand il |'> ■1'a scellee, il etait minuit, 1'heure ou quelque chose | en m€me temps commence et finit. II s'est habille. II |i ki 246 II la lui a pórtée. II s'est engouífré pás á pas jusqu'au fond du froid noir et il l'a jetée dans la boíte á maile dont il a dressé le signal, le petit bras á pavilion rouge, épuisé par la pesanteur de chacun de ces actes. II s'est recharge en se serrant de tout son long contre la Too Much, il en avait besoin, le pire était á venir. Demain, Bri se remettrait á sonner. et il allait répondre une derniěre fois, lui demander de vive voix de ne plus appeler, il lui devait 9a, cette cruauté... « Qu'est-ce que c'est que cette papeterie ?... De la poesie?... Tu as perdu tes esprits? Tu ne sais plus parler frangais?... Fais-moi un dessin!... — C'est une erreur depuis le debut, ma Bri. C'est fini. » Ca ne lui dit rien non plus, c'est encore du chinois! Qu'est-ce qui se passe? Est-ce qu'il va lui dire? Est-ce qu'il va lui donner une idée ou s'il va la laisser plantée lá, au milieu du chemin, avec tout ce qu'elle a cassé pour lui derriěre elle et rien devant elle?... Justement, il lui répond, sa vie n'est pas encore gáchée, mais demain il aurait été trop tard, ils s'aimaient trop mal, ils se seraient entralnés trop loin. « Sois sagej má Bri. Je te menais tout droit á la catastrophe. Et moi, je ne risquais rien... » Elle n'en revient pas. II lui fait un sermon, lui, á elle, dont il se régalait tant qu'elle soil un démon, qui la poussait á toutes les trahisons, toutes les degradations, en la flattant, ert la trouvant plus belle. 247 «Je ne reconnais: méme. plus ta.vobv.as-tu regu un coup, sur la tete?... Qui est-ce qui me parle?... Moi, c'est moi qui te parle, avec Ernie qui rit clans sa tasse, U m'avait bien avertie, il s'enpromet, ah je vais.y goüter!... . ■ ■. • — Sois sage, ma Bri. Réfléchis. Tu verras, j'aí raison------ — Tu es plein de soupe, vous étes tous pleins de soupe, c'est ga la raison!... » . II n'a pas répondu, il n'avait plus rien ä dire. Elle n'en a plus pu, eile a raccroché... Ca roulait. trop vite, il s'est senti flotter dans ses bottes, en violent: danger de déraper. II a eu besoin de fonctionner, de, se lester en se livrant á une action qui ait un sens, qui sok logique. II y avait «le solage ä renchaus-ser ». Pour ne pas laisser échapper la chaleur de la maison. II s'y est mis. .. Poppée me regoit avec les seins logés dans un tri-;, cot. II y a eu une panne et c'est reste cru... Ca lui va bien, eile a tout ä coup Pair d'une enfant de son äge, aussi saine, aussi propre. Elle me fait méme un brin de causette. Tout aurait pu geler. lis ont failli -ne pas ouvrir. Elle me fait toucher son bras pour me -montrer qu'elle ne charrie pas, qu'elle a vraiment ', «le frisson ». Assure qu'aucun contact n'était pos- < sible entre nous, celui-ci me géne, et me trouble •> aussi, comme un attentat. La Petite Tare appré-ciera. C'est en.plein,son true, en plein. le genre qu'elle m'a reproché de ne pas assez lui en. racon Ler. .? Curieux, ga n'est jamais arrive : eile ne répond 248 T pas. Je descends une autre biere et je me reprends. Elle decroche en emettant je ne sais quel son qui n'est pas un mot, tout juste un signal de presence. Elle ne peut pas parier, eile n'a pas la force, elle l'emploie toute ä s'empecher de pleurer. Puis eile se laisse aller et je suis bouleverse, ga la consume et la secoue comme si ga n'allait plus jamais s'arreter. « Pour une Petite Tare, qu'est-ce que tu en as gros sur le eceur... Ne raccroche pas, ce n'est pas bien beau mais j'aime mieux entendre ga qü'imagi-ner encore pire... Reste lä, reste avec moi... » Plus je parlais plus fort eile y allait. Je me la suis fermee. Elle a fait un heroi'que effort pour secontro-ler, elle s'est mouchee un grand coup, puis un grand autre, mais ga n'a rien donne, c'est reparti aussi raide. Attends-moi, je lui dis, je m'en viens, Donne-moi une heure, qu'est-ce que je dis lä, une minute. Recouche-toi, ferme les yeux, et j'arrive... J'ai pris un taxi jusqu'ä la maison, laisse un mot ä Exa qui disait ä peu pres la verite, puis täche de rouler aussi vite que je grimperais l'escalier quand je serais arrive. Je me rappellerais toutes les fois qu'elle avait parle de se jeter, oü je n'avais vu que des elans lyriques. Je ne demandais plus d'autre bonheur que de la trouver saine et sauve. Elle Fest. Elle a Pair. Sous le jour qui tranche entre les rideaux tires, ses paupieres fremissent. Emmitouflee, on dirait, dans plusieurs sorties de bain, elle s'est pelotonnee autour de sa boite ä klee-nex. Ce n'est pas pour lui faire de la peine mais orgueilleuse comme elle est, elle se detesterait si elle 249 se voyait dans cet étát,gáteuse et morveuse. Pathé-tique. •• «Tu vois, je ťai obéi, comrae une bonne Petite Tare... — Chose promise, chose due... » Et je lui lance en retour le cahier de Walter, qui la réjouit : elle oubliait combien il manquait, < jut e'est son abandon qui a créé le vide oú la dépiime s'est mise... Elle ne trouve á me donner que «le cceur d'un autre », un qu'elle a dessiné pour Julicn énorme et ridicule, avec un trou de flěche sans i.i / flěche... Elle ne s'est pas foulée,..: « On ne peut pas se fouler toute seule.;, — On peut se fouler en compagnie?... Casf passe comment? — Ca ne se passe plus. On ne reveille pas le>-morts. Cest sacrilege. », En disant n'importe quoi, on a mis le doigt sur je ne sais quoi qui lui fait monter le feu aux joues... « Récapitulons, j'etais distrait:.. — Va te faire fouler!... » Qa la fait rigoler, en méme temps que ses yeux sc ■ remplissent et deux larmes débouient. Je ne connais ; pas le mode d'emploi, et je ne veux surtout pas me % j reporter á ce que j'ai lu ou que j'ai vu au cinema, et S1 qui me revient. Je m'assois au bord du lit, pour á la fois me rapprocher et lui tourner discretement le dos. «Je me déboutonne, hein?:., Ca te gene... :-— Je n'ai jamais vu ma petite sceur toute nuc, ca '• m'impressionne... — Un paquet d'os... Tous des paquets d'os... % ^ — J'ai remis le bouchon, ga va, tu ne vas pas te 4» faire arroser...» *\ Tant qu'elle peut rigoler, ga peut aller, et elle est A toujours préte ä rigoler. C'est ce qu'elle a toujours **• qui lui gonfle un peu la bouche. Quand ce n'est pas A un sanglot; Comme il y a cinq minutes, Comme dans cinq minutes. *| «C'est vrai ga, ces histoires de femmes qui vous I, arrosent quand elles, e, e, e, sont heureuses?...» Je suis scandalise, je la sornrne de s'expliquer. Elle f,' 256 I? avale de travers et manque s'etouffer mais elle ne va pas se dégonfler. Julien aurait vécu une experience qui tendrait á confirmer la chose... Elle n'a jamais pu savoir si cette mouíTette était Loupou avec tous / ses poils et tout ce que ga promet de bestial... « Ne me dis pas que c'est le nceud de la tragédie... Si tu es tombée si bas, á quoi bon lutter ; a cette hauteur-la, on ne peut méme plus déchoir... » Qa y est, je le reconnais, c'est lui, c'est ce regard, elle me le ressort, elle me le ressert. J'ai voulu la secouer, j'ai comme trop bien réussi. «Tu ne sais pas jusqu'ou je peux tomber. Jusqu'ou je peux descendre si on sait bien s'y prendre. Tu ne peux méme pas Fimaginer. Ca dépasse vos capacités, lui, toi, tous tant que vous étes.» Dressée sur son séant, elle va attaquer, elle va tout bousiller, comme elle a bien failli, ce matin-lá. Je saisis sa figure entre mes mains et je la véněre, jusqu'a ce qu'il ne soit plus trop tard, qu'il ne fasse plus trop froid, que le feu de ses yeux ne me glace plus, plus jamais. « Vous me faites mal!... — C'est impossible,Je ne peux pas te faire mal. Ne te fatigue pas, tu ne me feras jamais croire ga. — Quand vous parlez c'est toujours pour toujours mais on ne sait jamais ce que vous allez faire tout á Fheure...» II n'y aura done plus moyen qu'elle ne s'adresse qu'a moi? Ou si elle craint que je n'aie pas bien compris ce que je ne veux pas entendre? 257 (J << Tu sais trěs bién ce que je vais faire tout á fheure. '■■ ' '■ — Tu vás me faire mal... » Cest dur mais ca va, ga ira tant qu'en menu*" temps eile m'enveloppera dans ses yeux de Petite Tare, eile a beau me faire pendre avec ces yrux-lá, je ne lui en voudrai pas, pas une sacrée miette... Puisque tu t'en vas, elle me dit, je n'ai plus ricn non plus ä fouler ici, je vais me coucher, sors un peu pendant que je fais mon show, tu ne me generals pas mais va savoir si ca ne va pas précipiirr ton depart... Tu vois, je m'imagine ä chaque fois que c'est la fois que tu resteras, et je prends toutes les precautions jusqu'au bout, contre tout espoii... Elle vient de s'habiller, il me semble, mais j'ai dü trouver le temps court : il est dix heures passées. j'appelle Exa^ce que je n'ai jamais fait en pareil cas. Men if si ga ne déragera pas le chien de sa chienne, ga lui gätera une gorge chaude. : j «J'en aí encore pour une demi-heure. Mais ga va, tout est sous contröle. — Tu as éteint le feu?... » Et schlak. Comme c'est fin. Qu'est-ce que ('est que cette mentalitě? Qu'est-ce que C'est, au find, qu'elle insinue ? Que c'est ce qu'elle aurait fait ä ma place, parte que c'est tout ce qui lui viendrait ä 1'idée, elle, parce que c'est tout ce qu'elle sah faire, eile étreindre-éteindre, étouífer?... Est-cé que cVst toujours en se regardant que nos juges nous jugent?... Mapas grand-chose, eilenie reclame et veut savoir apres quoi je grognais. Sans explication, je cite In extenso, eri réproduisant la prosodie, notre dialogue idiot. Ca lui plait, elle me fait recommen-cer en se tassant pour me faire montér dans son vol de nuit. « Embarque, on n'ira pas vite..:. » : La poésie de Willie Lamothe, avec l'accent et tout, lui sied ä ravir. Elle remet gä én me chantant le couplet que je lui ai appris. Puis gase gate. Elle se met dans mes bras, toute et tout ä fait, sans pudeur et sans prétexte. «Serre-moi... Si c'ést trop iricestueux, on le verra, ga répondra ä la question. Te ľes-tu déjä posée?... Carrément?...» On n'y a jamais touché, oň n'a eu qu'á s'en louer, on ne va pas commencér... Mais elle a trop besoin de se rassurer, raffermir son ego malmené... C'est en tout cas ce que je me diš, et je laisse aller, saris räler. « Serré-moi jusqu'a ce que je meure, ou que je m'endorme, et que je né voie pas la difference... Seris-tu bien mon paquet d'os?;.. Sens-tu comme on n'en a pas épais par-dessus ?... Comme c'est déjä lä?... Ca ne ťexcite pas?» Je ne m'en méle pas et c'est le mieux que je peux faire pour elle, qui le sait et qui me serre comme elle voudrait étre serrée. « Est-ce qu'on peut savoir si tu en as aussi envie que moi r Non, prends ma parole. Noh tu n'en as pas envie ?.. Non tu ne peux pas savoir.. 258 259 — Pourquoi, si on en a si envie, on ne baise pas jour et nuit comme des debiles?... On ne peutpas * savoir non plus? , — Qu'est-ce qui te prend de chipoter, on n'est 1 pas deja riches a craquer? — Justement, laisse-moi craquer de temps en | temps. Si je n'avais pas craque, je ne me serais jamais doutee comment ce serait si le mal etait fait, comme on serait bien en enfer. Craquer... Qu'est-ce i que tu sais causer! » Elle ne parle plus, Elle ne remue plus non plus. Sa belle main posee comme un oiseau sur les bar- "t reaux de ma cage, elle semble avoir trouve ce f qu'elle voulait dans raon choix de mot douteux. De quoi se ficher de moi. : Le tel6phone. 13 sonne. C'est lui, elle me dit. II est inquiet, Laissons cesser pour voir si ga va j recommencer... Ca le fait en effet, longuement, avec sa belle main qui se crispe et qui mord dans l mon chandail. Elle ne repond pas, elle reussit, mais pas de gaiete de cceur. EUe ne lui a jamais fait faux -J bond, jamais, mais il le faut, tous ses instincts la forcent a se defendre. j « Si tu savais! Si tu savais ce qu'il m'a dit!.., C'est horrible... Un crachat! — Je ne veux pas le savoir. » j Elle essuie deux autres larmes et elle se rebiffe, | Elle ne voulait pas me le dire, et risquer d'abimer notre amide, qui Femeut, qu'elle admire, mats puisque je ne veux pas le savoir elle va me le dire. Laisse tomber, va. Non, elle me dit, j'y tiens, on se dit tout ou ga ne vaut pas le coup, et puis c'est une vraie farce, et polissonne, on va bien rigoler. Elle reprend sa belle main, pour la combiner avec l'autre et mieux me raconter. «Je me suis ramassee au petit matin avec un goüt violent, comme il peut arriver, betement, et dont on se dit qu'il est insignifiant, qu'il va passer, comme d'autres malaises... II dormait, bien fort. Et en grande forme... » Elle tient parole, eile rigole. « Et ga ne me lächait plus, et l'idee qui m'etait venue non plus... Ca ne: se faisait pas... Meme dans le meilleur des cas, s'il ne se rendait pas compte ou s'il croyait rever, je ne me le pardonne-rais pas, on ne se sert pas de Thomme de sa vie pour se soulager, ce n'est pas un pot de chambre et l'amour n'est pas un petit besoin... Mais si ga allait tout arranger, retablir le contact, le courant nourricier? Si tout ce qui manquait c'etait une? etincelle de ce qui me brülait, qui nous brülait tous les deux, avant?.,. Et je me rapprochais, je me positionnais petit ä petit, pour voir, tu sais, eprouver les possibilites. Un pied par-ci, un genou par-lä, une audace encore, et hop, toutes les conditions se sont trouvees reunies... Terrorised, mais d'autant plus emue, je n'ai pas pu resister : je le violais, imagine... J'ai voulu me retenir un peu, je n'ai pas pu. Toute ma honte, et les frissons qui s'y mettaient, qui s'y renforgaient, c'etait intolerable inexprime, je me suis laissee empörter, ga Ta reveille, il Fa tres mal pris... » 260 261 Elk chasse encore une bon coup ses demons a coups d'eclats de rire. « H dit qu'il ne se souvient de rien. Ge serait dans son sommeil qu'il m'a rudoyee, repoussee corame une ordure et traitee de malade... " Mau-dite malade!... " G'est sorti si dru. Ca partait de si loin, on aurait dit... Tu crois aux somnambules, '* toi? » ,, Oui. Comme je crois aux aurores boreales et a l'amour qui dure toujours. Parce que c'est beau. .... « H m'aime comme toi, quoi.., De tres haut... Sans toucher chair... Le grand amour abstinent unanime, quoi... Vous, les machos, on est votre petite pute ou votre petite sceur, et de plus en plus petite avec la distance... ^ , — Qu'est-ce que tu vas chercher!... Tu es notre petite pute et notre petite sceur. Et une petite f langue sale par-dessus ie marche. » Ca lui convient. Ca la change d'etre un ange... J'ai J promis de ne pas partir avant qu'elle dorme, elle me le rappelle en me voyant chercher l'heure. Elle a i;' bien envie, pour m'apprendre a m'ennuyer en sa is compagnie, de se payer une insomnie... Elle m'a <; . rendu la photocopie du cahier. « A tout evenement I et meme a aucun », elle a scotche a l'interieur le % double de ses cles, meme celle de son colfret de ~ surety. Je n'ai plus besoin de m'annoncer ni rien. Je 1, suis chez moi partout ou ga peut me chanter. Dans f ses jours et ses nuits, dans son cceur et ses poches, "jj^i dans ses quarante-six kilos fagon planche a repasser *. et son quatre-et-demie balcon sur la montagne. On | * ne peut pas lui en vouloir. Elle a un bon fond. Elle n'a pas de fond. Exa m'attend dans la cuisine, ernmitouflee dans la lueur d'une bougie et d'une lampe ä huile. Le cou-rant est parti, tous les tuyaux vont peter, pas moyen de faire du feu, la chemin6e est bouchee, toute la fumee se rabat dans la maison... Elle n'a pas ouvert la trappe? «J'ai ouvert la fenetre!... —- II fallait ouvrir la trappe. » C'est tout ce qu'elle attendait pour me croquer ä belles dents. «II fallait ouvrir la trappe et je n'ai pas ouvert la trappe,moi?... Qu'est-cequejen'aipasfaitencoreet qu'on ne va pas me faire payer, moi?... Qui est-ce qui roucoule et qui se lamente et que ce n'est pas de raa faute, moi?... Qui est-ce qui n'a pas le cul si demang6 queje ne merite pas de me le faire geier et me le faire boucaner, moi?... » Elle ne tient pas ä le savoir. Elle est dejä sortie, partie se rechauffer. « Quelque part»... Elle n'a pas fini de demarrer la bagnole et sortir de la cour que j'ai trouve le bobo. Le four encore. La connexion que j'ai bricolee a flarhbe et tout le Systeme a dis-joncte. II a surreagi. II sufTisait de le renclencher, d'un coup de manette, Qu'est-ce que c'est qu'un homme dans une maison. Je pavoiserais bien mais tout un tas de fumee s'est embouteille dans ma cage et c'est ä se demander si je pourrai dormir, ou si je vais jamais me reveiller si je reussis ä m'assoupir... 262 263 Qu est-ce qu'elle pense qu'elle va se ramasser ? Elle i sürement pris contact avec un des Simon de sa demi-douzaine... Quoique le petit Amülo soit exclu, qui vil heureux avec sa mere. Si eile ne rentre pas, commeni eile va s'arranger demain matin, combiner ses affaires avant partir au boulot?... Et dans quel ■etat?... Ce sont ces petites choses, comme les petites betes, qui ont le mieux le don de nous: torturer. , Vivre d'amour. Vivre d'aimer ma Petite Tare. Ne faire que ca. Tout laisser perir, s'engoufFrer dans le vide en train de se faire, excepte ca, qui s'y repandra ,-infiniment, l'envahira comme un ciel bleu sans soleil, eclaire de l'interieur. C'est tout simple, il suffit d'y penser, tout le. temps. Je fais un reve immobile, oü je dors avec eile dans -* un sommeil dont je suis ä la fois le theatre et Facteur . Aussi conscient dans Fun que dans l'autre, j'eprouve un plus en plus grand plaisir ä l'interieur des deux, ] bientöt portes par son contact ä l'incandescence......i, exacte oü nait une pulsion, un pouls, un seul partout. ^ C'est le meme bonheur que dans la realite, mais .' total, immateriel. Rien ni personne ne le limitent ou f; Palterent, mgme pas le temps, qui n'est plus compte, meme plus congu. C'est une vibration pure, que •., j'associe a la tonalite d'un telephone qui va bientot 7 sonner. II sonne en effet, et finit par me reveiller. «Je suis chez Simon... Un Simon que tu ne ^, connais pas... Que je te presenterai si tu y tiens mais * ' tu n'y tiendras pas... » t Le sixieme sens est dans les cornes: c'etait bien un ^, Simon. Je sais déjá qui sait, je le vois dans les pieces assemblées du puzzle. C'est lui qui lui avangait l'argent de ses fins de mois, qu'elle ne rendait sans doute pas. Un ancien poids lourd du gang dont elle était la Mus. Mélé avec le mari de Nana Marre au développement de la Villa de I'Anse, espěce de marina fermée qui se mue 1'hiver en village á pécher sous la glace, et dont Exa, sans avoir l'air d'y toucher, en amie qui vous veut du bien, me glissait un mot de temps en temps qui révélait qu'elle y avait ses entrees. «Tu ne travailles plus?... Plus besoin, de la dope en masse, gratis?... » Elle est en congé des Rois. Elle va passer son long week-end avec Simon pour voir si ga peut aller, si elle pourrait s'habituer á lui... Elle se tait, elle attend que j'eclate en lui crachant une bordée de ces sarcasmes avec lesquels on a toujours tout regie. Mais elle ne joue plus (je le sens á sa respiration qui me prend á la gorge), et je ne vais pas jouer tout seul... «Qu'est-ce que tu disais?... — Pas un traitre mot. C'est toi qui parlais... — Le chat ne veut pas sortir de sous la banquette, il se cramponne, il m'a griífée. II ne comprend pas, il n'a rien fait lui. » Je ne vois pas le rapport, qu'elle semble trouver evident, fundamental. Ca CI"ée un flottement qui se résout, mais pas vraiment, aprěs bien des tátonne-ments ou on comprend que Pacha l'a suivie, qu'il est monté dans 1'auto, ce qu'il n'avait jamais fait en parano hypervigilant qu'il est, et qui l'a beaucoup troublée comme «signe »... Tu ne l'as méme pas 265 remarque, die me dit, comme si ga plantait im der-| nier clou dans mon cercueil. ••..« Tu n'es pas mechant mais tu t'en (bus. Tu ne ferais pas de mal a une mouche mais une rnouche, on ne I'attire pas avec du vinaigre : tu ne m'aimes pas, pauvre Johnny. .— Jamais de la vie... » Elle raccroche. Elle ne trouve pas mon discours a; la hauteur. Le sien ne vaut pas cher non plus. On ne comptera pas la-dessus pour se remonter le moral.: Toutes choses egales, on va voir qui va se ronger le plus, toucher Pos le premier. On va bien rigoler. : Ce qu'elle m'a cache, c'est comment faire le cafe. Je m'y suis pris n'importe comment, et c'est n'im-porte quoi, en plus amer. J'ai deja les nerfs qui jouent du violon mais je m'en fous, je toucherai le fond (du percolateur), j'y laisserai ma peau s'il faut, pour c< qu'elle vaut sous le soieil roi de la jungle, flambeau des rapacites triomphantes, toute concurrence elinu-nee... La Petite Tare a raison: le dechiffrement sur la photocopie est desamant, dans la force du mot. Le papier ne repond plus aux regards appuyes, il n'est f IS pas sensible au tact, aux attaques, aux caresses : il * • n'est pas vivant. Dans cet habit, Walter me fait 1'efTet "| ", d'ayoir etc embaume et, si j'y mets le nez, sterilise Peau dejavel. J'ai un mal fou a m'y interesser mais je |; ■ n'ai pas le choix dans Tetat ou je suis, ou on veut me -I ^ mettre, et je m'entete, et je persevere, comme dans le .i. jus: infect que je me suis concocte, tres troublant J comme « signe ». On ne peut pas lacher, renoncer ^.1 au pouvoir qu'on a sur soi. On ne peut pas ceder son gouvernail a son naufrageur, quelles que soient ses intentions. On ne peut pas le ceder, point final. On n'a pas le droit de ne plus s'appartenir. C'est crimi-nel. C'est se mettre en prison. Walter sait ce qu'il ne veut pas et Bri ne le lachera pas tant qu'il ne dira pas pourquoi, pourquoi... Fle-trie par ses mauvaises nuits, frigorifiee malgre le vison somptueux du manteau, du bonnet, elle est venue le relancer, et c'est ce qu'elle lui crie en capant dans les carreaux. ■ «Entre, maudite folle!...» Non! Elle n'est pas venue se rechauffer, ce n'est pas utile, elle est morte!... Ca ne se voit pas, il n'est pas content?... Elle est juste venue savoir, avant de s'enterrer comme elle pourra, pourc>uoi il lui a fait «'Pourquoi tu rrie tues?... Tu n'as pas de pitie ? M€me pour une vieille catin? Pourquoi tu ne m'aimes plus? — Ou c'est que tu as pris 9a, maudite folic?... Je ne t'ai jamais dit ga! — Tu as eu peur, maudit pissou! Tu me Pas ecrit! — Pas vrai! Tu mettras tes lunettes! — Si tu es un homme, je n'aurai pas besoin de lunettes pour le voir, tu vas me le dire cn pleine face que je ne suis plus bonne, que tu me■ jettes !...■■■ Parle!... Parle!... Que je reconnaisse au moins ta voix!... » II la saisit dans la force de son cri et il 1'embrasse, il 266 267 le lui devore. II s'en fait une hostie, un viatique. Elle reste plantee la, avec tout le reste... « Qu'est-ce que tu me fais encore?... —- Tu ne le sauras pas! Ca ne t'interesse pas, la poesie!... Mais c'est bien fmi, je ne veux plus de loi. je ne veux plus te voir, sors de ma vie!... » On veut en savoir plus. Mais c'est la fin de la page et de la journee. Est-ce qu'il est rentre appeler un taxi? Appeler Ernie? Est-ce qu'elle a compris ei qu'elle s'est ecroulee sur le dernier pas du perron dans son trop gros effort pour lui tourner tout de bun le dos, ou qu'elle lui a recrache son baiser de condamnee pour se donner du cran, qu'elle est repartie par ses propres moyens pour bien lui mon-trer qu'il ne les lui avait pas tous otes?... Lä-dessus, ca sonne. Une drole de voix. Cban-tante. Un bout d'accent de je ne sais oü. Manitoba? Acadie? Elle me dit qu'Exa lui avait demande de rappeler aujourd'hui, pour prendre un « appointe-ment»... Ah oui, je dis n'importe comment, vous etes la nouvelle mariee... «Ni nouvelle. Ni mariee. Mais ca va peut-eiie bien s'arranger...» Elle me donne son « nom d'artiste », Alice, et son numero, que je promets de communiquer ä madam< ■ Torrent. Elle compte sur moi, c'est bien important. . Je me demande un moment de quel genre d'artiste il peut bien s'agir. Ca irait bien ä une diseuse de bonm aventure... Elle en a tout le ton. L'autorite et la froide ironie. ElJe ne m'embarquera pas. Kile ira toutc seule ou ca la charriera. Inebranlable, immuable, inamovible. Si elle ne l'a pas assez eprouve, on va le lui prouver : ce qui n'est rien est irreductible. Je me le promets encore tout le long de mon tour d'elle. On verra a mesure. Je ne l'ai pas supportee toutes ces annees pour des prunes. Elle n'aura pas le front de me jeter a la rue. Elle va bien me proposer un arrangement. Sinon on se defendra. En cour! On n'est pas force de toujours mal tomber. Je peux tomber sur une bonne juge, ou sur des bonnes membres du jury... La Petite Tare va etre servie qui se plaint toujours que je ne ragote pas assez. . « C'est fait, elle a un amant. » C'est egal, elle me repond du tic au tac, Julien a une maltresse. Ca explique bien des choses. Tous ces coups de cafard qui partaient comme de nuUe part, que je pre-nais pour des caprices existentiels, des tours pour se faire donner plus d'amour... Elle s'en doutait. Elle n'en doute plus. Elle s'en est rendu compte a 1'odeur. II ne sent plus pareil. II ne sent pas la moule ou tout ce qu'on se dit dans ces cas-la, mais c'est d'un effet aussi offensant, qui l'61oigne et la repousse, qui le lui rend aussi etranger que s'il n'avait jamais dormi dans son lit. C'est une autre qu'il a dans la peau et c'est ce qui se degage de lui... Si c'etait une catinet qu'elle lui fasse empester le parfum, elle en rirait, elle s'en fiche-rait. Elle lui en voudrait un peu de le lui cacher, de ne pas raconter, pas partager, c'est tout. Mais c'est un hbmme entier, qui n'a qu'une facon d'aimer, et calui fait peur. Qa la terrific 268 269 1 « II m'a dejä telephone deux fois depuis ce matin ee n'estpas normal. II m'a envoye des fleurs puui me demander pardon pour l'autre nuit. Des ro-es Blanches. Blanches!... Elles me glacent. » Elle ne pleure pas, en tout cäs. Ce n'est pas pai Uit mais c'est mieux que c'etait... C'est de ta läute, espece, elle me dit pour me faire plaisir. Si tu continues, je te fais coucher des deux cötes de moi dnn: mön tombeau. Du cote gauche et du cöte droit. Mai-si ga continue, je n'aurai pas besoin, ca se fera b uit seul, personne ne voudra plus ni de toi ni de moi, il pelletteront nos petits degäts dans le meme petit las. - ■ . « C'est rare, quand je suis sortis tu dormais ä poings fermes. Fermes dur, je veux dire... Dur ciur. .— J'ai dormi avec toi tout Ie long : süre de tt-retrouver en £mergeant... Je dors comme ca quand mön petit frere me revient, sous une forme oumir autre. Je me cramponne. Comme une malade. » Je n'airne pas Ia psychologie de ses profondeurs. "-;" II parait que ce qu7on a perdu une fois, on est condamnes ä le reperdre indefmiment. II parait que les premiers chemins. qu'on a ouverts, on n'en sort pas, on tourne en rond dedans pour se retrouver. *. Comme des malades... Total, je me suis comme moi-meme coupe le sifilet. On ne m'entend plus. ?; «Qu'est-ce que tu fais, tu mets ta main?... k; — lautre ton herbe et ton ecorce? Ah oui? Ah bon... O.k., salutL. »; I... C'est elle qui me fait le coup pour une fois... Elle '*' a vu la grosseur de mon lapsus, elle s'est empressee -j . de raccrocher, pour me laisser le nez colle dessus... t Je traine a la Brasserie. Je lis les sports dans le journal. Les Flyers se ramenent en ville, Bobby,Clark en tete, et qui se rejduit, fendu jusqu'aux oreilles, d'avoir toutes ses dents de devant parties. Mais ca ne craint rien. Mine de rien, le petit Henri va s'occuper de lui avec ses cinq pieds et six pouces, avec ses six pouces surtout (le bout de son baton)... On verra. Demain soir... En attendant, je descen-drais bien deux ou trois bocks encore, mais j'ai mes sous a compter. Le pot aux commissions ne se rem-plit plus a mesure. Oui, ce n'est plus possible. Oui, c'est fini. Elle aurait beau revenir, elle a beau etre sexy, avoir une nature, une vraie, qui inspire avec l'elan un trem-blement, comme la nature merne, et qui etablit tout de bon le contact, qu'il n'y a plus a chercher, ce qui fait que je ne l'ai jamais trompee, il n'y a plus rien a faire, elle y a mis la hache. La maisori a beau etre vide et tout ce vide me penetrer, m'entrer dans le corps, on a beau etre un et un de trop, elle peut res-ter ou elle est, je ne peux pas lui pardonner 9a, ce coup de hache. Ce n'est pas moi qui ai manque a ma parole, c'est elle qui n'y a jamais cru. Ca Farrangeait. Ca 1'autorisait a me traiter comme un pore, a ne plus pouvoir supporter tout ce qu'elle s'imaginait que je lui infligeais comme souillures, et se sentir justifiee d'aller se vautrer dans une vraie fange a la premiere occasion. Elle m'a fait un proces / d'intentions, de ses propres intentions porcines... C'est dur mais elle m'a donne Fexemple et c'est comme ca, on est sauve si on a la mauvaise foi... 271 I qu'elles sont noires. Car si la chastcté est un vice au lieu d'une vertu, et c'est ce que son discours tend a démontrer, on n'est plus une victime, ón est un démon, uric force. Elle ne s'est pas tue : eile le lui a dit que ses r<- =■ ■ la rendaient malade^ Tu as raison, elles sont emppi-sónnées, jette-les. II Ies lui a fait balancer dan-, la chüte de 1'incinérateur, seance tenante. C'etait un aveu. Elle en a profited comme eile a pu. Pourquoi tu me le caches, je m'en fous moi, je ne me fous pas que tu me le caches, c'est méme ce qui me gate ton plaisir, mais je m'en fous moi, il n'y a pas de mal, si ce n'est pas toujours avec la méme, et que ea devienne encore une routine, ou tu ne serais pas plus avaneč, mais c'est peut-étre un peu imp te demander/ mais qu'est-ce que je dis lä, je ne te demande rien moi, pas une sacréé miette, summt pas. ; «II n'a pas répondu. II a répondu qu'il n clait pas question qu'on ne s'aime pas toujours plus I'urt, comme toujours... II commence ä jöuer ävec le sens des rriots. Ca le connaít. C'est son gagne-pain. — Et toi?... » : II lui a posé la méme question, au méme endr< ut «Moi, je ne peux pas te tromper, c'est l'aniour que j'aime, et lä gymnastique ce n'est pas mon Iruc Tu me connais, c'est tout cerebral. Méme quand ga me prend, c'est une idée que je me fais. Je peux aller trop loin en jouant avec, et me faire attraper en mauvaisé posture, mais c'est innocent, c'etait pour voir comment ga se combinerait dans ma tete... Je poürrais ecraser tout ga dans l'ceuf, du bout du doigt, mais ce serait degoütant, Pourquoi se poisser jusque dans l'imaginaire ?... » Elle me parle comme ä lui, comme si elle nous confondait encore, ou comme si eile s'amusait ä manier cette confusion, et tout ce qu'elle rajoute ä mesure comme ambiguite. On fait mine de rien. On ne peut pas faire autrement sans se faire mener en on ne sait meme pas quel bateau, « Sans blague... — Tu paries comme Modigliani. Tu sais ga? » Non, et je ne saurai pas non plus, pour le moment, ce qu'elle entend par lä. Elle a rouvert le cahier, ga lui revient tout ä coup, et eile a decouvert ün indice extremement interessant: Plutot, elle Pa decouvert en examinant Ies ornements de la couver-türe. Mais eile n'ose pas s'ävancer, elle m'en repar-lera, verifications faites... Le bout de sa phrase reste en suspens dans un silence ou j'attends qu'un ange passe, un sans kleenex de preference. «Pourquoi tu restes tout seul et tu me laisses toute seule ? Exä se fait sauter jour et nuit, tout nou-veau tout beau, tu ne lui manqueräis sürement pas, je ne comprends pas. On monterait sur le toit et on se ferait säuter sous une Souffleuse ä neige. Iis ver-raient ce que c'est de la gymnastique... » Je me justifie en rioircissant ma situation : il y a un avocat mafieux dans le coup et je dois jouer serre, je n'ai pas un sou qui m'adore et je ne veux pas me ramasser le cul dans la puree de calcium pour desertion de domicile conjugal... Elle n'a päs 274 275 de ces problemes. Une fondation Soyersi lui verse une rente, et sa liberte, son, autonomic, qu'elle doit ä sa mere, qui lui a inculque de ne jamais les alie-ner, lui sont. assurees jusqu'ä sa mort. Ainsi, et je l'apprends, eile n'a voulu vivre avec Julien qua condition qu'elle paie le loyer, qu'elle le löge. II l'a tres mal pris, il n'en etait pas question. II a boude puis propose,. comme une enorme concession, un fifty-fifty. Mais 9a ne se negociait pas : seule ou en compagnie, eile vivrait chez eile, eile l'avait promis et on ne pouvait plus la relever de sa promesse. Or eile se plait ä se contenter de peu, un repas frugal, yite fait, un livre oü eile peut passer des jours si eile l'aime, un peu de musique et toujours un peu la meme, une gratification ä son catcheur, toujours trop grosse ä son goüt de la servir pour ses beaux yeux, des chiffons qui se demoderont avant qu'elle ait trouve l'occasion de les porter autrement que pour me faire un show, et voici qu'elle a accumule des economies qui vont se choucrouter dans son v~ compte courant... >» «Tu me le rendrais... Et pas en nature... \| Qu'est-ce qa'il en dit?... Motte!... Entretenu, oui, mais pas par n'importe qui... Elle a comprisL. » Pourquoi veut-elle que je sois plus bete qu'elle, impermeable, moi, ä ce qu'elle a si bien compris, f eile?... En tout cas, ga ne craint pas, on ne lui fera pas lever les pieds, eile. Elle n'a l'air de rien comme ca mais c'est une vraie forteresse, un peu volante ä l'occasion, mais imprenable... Puis sous Ie coup de 'T son agitation, sa mauvaise energie, elle se remet sur le cas de Poppée. « Siffle-la-moi. » Elle vient, moins contrariée que la premiére fois, mais ca n'entre pas dans ses attributions et le patron ne doit pas aimer. Je n'épie pas, mais ca m'a l'air compliqué. «Je lui ai chanté que nous traversons des moments difficiles, que notre amour est en peril, est-ce que ce serait trop lui demander de nous servir de boite aux lettres á l'occasion?... Elle ne connais-sait pas ľexpression. J'ai expliqué, deux fois plutôt qu'une, qu'il me faudrait son numero personnel. Elle a compris mais elle ne sait pas, elle n'est pas sure, eile va réfléchir... » Poppée la fait fantasmer. A ma place. Elle s'est toquée de me l'attraper. Elle lui fera le coup du petit pas dans une série de petits pas qui la ménera jusqu'au dernier qu'elle sautera parce qu'il ne sera pas plus haut que les autres et qu'elle n'äura aucune raison de ne pas le sauter comme les autres... Elle rit. Trop. Dans tous les trous entre les mots. Ca en fait comme tout un tas mais c'est le méme, énorme, un gouffre. Le true est de parier sans s'arréter mais elle ne peut pas tout le temps répéter qu'elle a peur, qu'elle est morte de peur, frémissant comme un moineau qui vient de taper dans une vitríne ä toute vitesse. « Ne ťen va pas, attends, donne-moi encore une minute, une heure, je vais ťamuser, je vais trouver de quoi... Notts sentímes notre blessure se rouvrir et nos lames se répandirent... Anna de Noailles. — C'est trés... deseriptif. — Une grande sublimeuse! . 276 277 : —- Oil une petite veniméuše... » Elle m'en a trouvé ďáutres. Elle m'a parlc du tou-mo, Tart de se réchauffer dans la neige. Pratique au xs" siěcle par des ascětes en chemise de coton, les Res-Pa, disciples du maitre Milarepa... Elle a lini par se lasser la premiere, ce qui est contre mes ■prin-cipes. J'ai un systéme ultrasensible pour dét<*iter le moment oil sa courbe de contention commence .1 íléchir et je ne me permets pas de transgresser It-signal, pour la laisser sur son appétit, par délicalesse et par prudence. G'etait different aujourd'hui, en ce qu'elle avail besoin de s'extenuer, mais pas different du tout en ce que j'etais régi par le souci de mi' conformer á son meilleur désir, celui qui m'a mira-culeusement pris pour objet. Quandje suis sortie, Poppée m'a demandé le n< un de ma copine, qui lui était sortie de la téte. Elle ne donrte pas toujours le méme, et je ne voulais pas fain-de gaffe... Je me suis aussi mal débrouillé que j'ai pu. «Dans son pays, c'est comme pour nous les sobriquets, sáuf qu'ils se les donnent eux-mémc* lis s'en donnent un different pour chacun, et qui change avec leurs sentiments... Et ce nom-la t'appartient. Tu peux le garder pour toi, corami ■ ton propre nom, mais en mieux, parce que si tu ne le dis á personne personne ne le connaitra. Per- » sonne au monde. Jamais. Tuvois I'idee?... » Dans quoi était-ce que je m'etais embarqué!. Elle n'a rien dit, juste gobéj bouche bée. Un client | sifflait, je ne l'ai pas retenue... t Ca me tue quandje ressors et qu'il fait encore jour. En me rendant visible il me revele a moi, il me realise, il me concretise, il me precipite au fond de la solution ou je flottais, ou je m'etais dissous, il me rend a mon poids, a mon obstacle insurmonte, a mon anomalie. Je me sens comme Dracula. Je plon-gerais dans le premier cercueil. La Mus a profile de mon absence. Je l'ai sentie en entrant, et constate dans le pot aux commissions, Elle n'a pas Iaisse de poesie, juste un peu d'argent. La somme qu'a un moment donne, dans sa sagesse, elle a estim6 que je valais par jour^ sans rapport avec le partage egal comporte par une union mal-gr6 tout conjugate. Elle ne sait pas compter, elle ne compte pas que ce que j'ai brflle dans notre combustion a petit feu, c'est ma vie, qu'on ne peut pas payer plus cher, que ca me donne les memes litres a la propriete de nos ruines. Je regarde un peu dans ses affaires pour voir ce qu'elle est venue chercher. Ses bottes fourr6es, son anorak (pour excursionner en moto-neige). Des sous-v6tements (le tiroir est a moitie vide, on ne se sent jamais asse^ propre au debut de Pamour, on en change plusieurs fois par jour)... Ce qui me mortifie, qui pourrait me rendre foUj ce n'est pas tant Pacte en soi, comme on 1'appelle, elle est libre, elle fait ce qu'elle veut. Mais je le suis aussi, elle ne peut pas faire de moi ce qu'elle veut, et c'est avec moi, en mon intime compagnie, qu'elle s'est donnee. Ce qu'elle etale et qu'elle etend sous ce repugnant pegrillard c'est a / moitie moi, j'y ai laisse ma peau. Le soi-disant jar- 278 279 din dont eile lui fait les honneurs, c'est mon. eri/i-r personne], avec moi encore ä l'interieur, qui me faisais suer et me faisais baver pour le rendre habitable. C'est une violation de domicile... Je Tai dit. Exprime. Ce n'est dejä plus pareil. A cette heure, c'est une bonne chose de faite. A cette heure, le pire est « casse » comme dirait Walter. J'ai regarde la partie. Avec ma Petite Tare a l'autre bout du fil interieur, aussi presente au figure qu'au propre,: et qui prenait par cceur des notes ami | de la raconter ä Julien, qui n'aura pas pu la voir ä Toronto, oü il participe ä un seminaire « onvalesa-vouaire ». Elle s'emeuvra, comme si c'etait ga qui lui serrait le cceur, en lui d6crivant chaque but de Guy Lafleur, dont un sur une passe de Savard, le . Senateur, qui n'a pas craint d'attirer sur lui. le Mai-teau ä Schultz, pivotant de toute beaute pour I'envoyer Trapper de l'air... J'ai vu que je n'allais pas dormir dans un prochain avenir, j'ai repris Proust depuis le. debut. Apres je ne sais combien de temps perdu, j'ai oublie oü je l'avais laisse. J'ai reconnu laj vieille Francoise. qui parle comme dans vra « parentese ». Comme ma propre vieille Francoise, qui avait du se coucher en priant pour moi. Sans resultat. Soit qu'il n'y ait pas de bon Dieu, soit qu'il y en ait plusieurs et qu'elle ne s'adresse pas au bon. J'ai reve que je le lui faisais. Et que c'etait. ga. Je lui avals mis un collier de chien, comme j'ai vu dans une revuej et je ne comprenais pas que c'etait moi le pervers, de lui avoir refuse si peu qui etait tant pour eile. Je faisais tout ce qu'il faut pour la retenir. pour ainsi dire... Car j'ai eu beau le vouloir inconsciemment, faire tout ce qu'il faut pour que ga se deglingue, imbu de la theorie qu'on ne peut pas vivre avec une femme dont on n'est pas follement epris, que c'est une trahison, une prostitution, je n'ai comme plus que ce cafe ä quoi me crampon-ner, et l'effet qu'il me fait qu'elle est partie travail-ler, que rien n'est change, que ga ne va pas mieux mais que ga va mal comme d'habitude... Apres tout, vivement qu'elle ne revienne pas, c'est la meilleure solution. Pour elle en tout cas. Douee comme eile est pour 1'amour, elle n'aura qu'ä se baisser pour trouver le bonheur, pour peu qu'elle ait compris, grace ä moi, que c'est ce qui est bon pour ce qu'elle a. Pas les crises de nerfs et les grincements de dents. Walter ne sort plus sinon pour deneiger ou faire semblant, jongier le menton sur le manche, se rap-peler comment, dans le temps, tous les petits gars renchaussaient les maisons jusqu'aux chassis, et le plaisir qu'il prenait, quand la neige etait pelotante, ä bien la fouler du revers de la peile. Ca se faisait encore dans mon coin, avec les memes mots... Da trouve dans sa boite une lettre affranchie avec tröis x. Bri sera venue la mettre elle-meme. Ce qui n'existe plus n'a pas d'yeux, il ne la lira pas... Le soir, en prenant son bol d'air, il va la lui retourner, intacte. II va la jeter dans l'autre ■ boite, erigee comme une borne ä la fin d'un monde. Une femme de si peu, si facile, etre devenue un fruit si complete-ment defendu, im si grand paradis perdu!... D 280 281 ■ revient sur ses pas en cherchant des mots pour don-ner un sens a ce tour qu'il s'est joue, en: prendre exactement connaissance, Le nommer de tout son long, corameun chienqu'on peut chasser quandon salt son nom. Mais toute cette neige oü son regard se perd, il pourrait la retourner avec ses coups de pied qu'il y flanque en marchant, il n'en debusque-rait pas un. Je suis sorti plus tot, j'ai marche sur la glace. 11 faut patauger un peu, des fois jusqu'aux cuisses, en franchissant les rouleaux, mais le vent les a formes en deblayant d'impeccables parquets, il vous les a balayees et vous les a polies, vous pourriez vous y mixer. Loin des raaisons, e'est beau comme un ail-leurs, on est seul au monde et ravis, avives, passion-nes de respirer.., Ca me rappelait, sous un jour ideal, le temps oü nous traversions, droit devant nous, prendre un aperitif: au Point du Soir. On s'etait battu un sentier, un chapelet de foulces qu'apres les tempetes on s'amusait ä recreer, suivani les ombres en creux laissees par nos traces effacees. II menageait nos efforts quand on rentrait dans le noir apres avoir trop trinque. On avait le cceur leger encore. En m'y replongeant, je 1'entends rire. Au clair de Iune, une fois, on s'est couches dans la neige et on a failli s'endormir en cherchant la-haut notre bonne etoile... Tout ä 1'heure, au bout de la Pointe, au large, un clair de brume inquietant reverberait en tous sens, ä l'infini, la bläncheur de la neige. On pouvait dis-päraitre, et je suis de bon gre disparu, un long moment, tout s'aveuglant en un neant total, comme dans la plus grande epaisseur de t^nebres... Je le raconte a la Petite Tare, mais pas trop, pour ne pas lui infliger un recit de voyage, juste assez pour lui expliquer mon retard; « Tu vas marcher toute la journee si ea continue. Fais attention, il y a un nom pour ca. ......- Bah, plus on sera de fous, plus ca leur coutera cher. — Si on exagere, ils vont se lasser de payer et ils vont nous gazer.» Thorazine'shuffle,, ca s'appelle en argot americain. Elle est tombee par hasard la^dessus dans ses recherches, qui semblent donner raison a son flair et confirmer que Waiter a bien fait la guerre, et comme soldat americain. La couverture du cahier comporte le nom (Exercise Book), la marque (McGill) et une description sommaire, dont le nom-bre de pages et de sections. Rien ne lui echappe et elle a releve, a travers les fioritures ornementales, que Walter avait deliberement, en plusieurs traits du crayon, transforme en « 8 » le second « S » de ce mot. «Ce qui donne section eight, qui veut dire dingue. » Elle le savait, mais elle a fouiM plus profond. Et elle a trouve 1'origine de I'expression, qui designait d'abord les G.I.'s reformes pour desordres mentaux, surtout ceux consecutifs a des chocs subis au combat... ■ ■ . Elle est Here de sa performance et je suis pas mat 282 283 impressionné moi-méme. Cest tout petit, ca ne měnera personne nulle part, mais qu'est-ce qu'elle a dú déployer comme science, intelligence et sensibilitě pour le produire, pour ne pas dire créer, comme Dieu, car elle est partie ďabsolument rien, un peu de poussiěre... Aprěs son numero, elle tombe un peu á plat. Normal. ... « Toujours aussi cocu?... » Cocu un jour cocu toujours, ca ne part pas com míla grippe, et toi?... Plutót sedutta, abbandonata. Comme Cio-Cio-San, tu sais?... Cest vague!... Rien de trop beau pour les marginaux, elle me chante Pair, avec la voix qui se brise en montant et qui continue l'asccn-sion avec des bouts de filet. Comme si ce n'etait pas grave, si plus rien n'etait grave... « Ca fait un moment que je sens venir mon coup de mort. Je 1'ai recu dans le Nord. Quand il m'a annoncé qu'il voulait te parler. J'ai un conseil á lui demander, il a dit... Je me suis mise a chialer et je n'ai plus arrété, jour et nuit... II a remis ca tantót. pour enfoncer le clou encore un coup. II va t'appe-ler, il a dit, ou il va t'apparaitre... » : Elle m'a cache ca. Qu'est-ce qu'elle me cat In encore ? « Des choses que tu ne veux pas savoir... Comme combien je t'aime... Comme á quel point... Comme toutes les bonnes raisons que je trouve en toi de tenir á moi, de ramer, pas me laisser charrier... Comme le cran que ca me donne, méme quand je me reveille et que tu n'as pas dormi avec moi. méme quand je t'attends et que tu tie viens pas... J'arrete ou je déballe tout?.,. » Gardes-en, pour tout ce que j'ai á garder de mon cote qui n'est juste pas montrable. Comme ne pas venir te voir, méme si menacée, si fragile, parce que je suis trop occupé de ma propre sécurité; que cetic enragée me tient, eile me fait peur, eile va me crasser, je dois la guetter si je ne veux pas me ramasser sur le trottoir, sur le tien peut-étre bien, force de te demander asile, et t'infliger jusqu'ä l'exasperation le spectacle affligeant demon ineptie. Je suis nul. Tu ne sais pas ä quel point, tu ne veux pas le savoir. Et que sans toi je le serais en si totale absurditě que je serais tenté, avec mon genre ďorgueil, ďy tróuver mon absolu. Aller nulle part prendre une biěre. Ne rien vouloir savoir. Mobile sans mobile. Sans rnoteur. Increvable. «Tu sais, il faut que je ťavoue, ce que je te donne C'est tout inventé par toi. Le reste, c'est juste un sac, juste bon ä le porter... » Repete un peu ca, elle dit, qui n'a pas suivi lě íil de ma pensée et qui ne s'y retrouve plus. Trop tard, je réponds, c'est reparti ďoů c'est venu. «Ca a intérét!... » Elle rigole. II faut l'avoir entendue, avoir été l'objet de la caresse que c'est, pour savoir jusqu'oü on peut aller pour la faire rigoler... J'ai trainé ä la Brasserie, fini par manger une bouchée. Quand je me suis ramene, la bagne était dans la cour. Je suis entré en grand seigneur contra-rié, chaud pour cogner si quelque coco se metiait 284 285 dans mes jambes. C'est le chat qui s'y est jeté et moi qui ai manqué avoir la gueule cassée. II est complě-tement déconnecté, il ne me reconnait plus, il nese rappelle plus qu'il ne m'aime pas, il se frölait, il se lamentait, il ne me lächait pas. Elle est au. telephone, ou eile a dú se précipiter ä mon arrivée. Elle a eu la. frousse ou elle fait semblant, pour flatter l'ego du coco, fmir de l'attendrir, le rachever. Ou il attendait dejä ä l'autre bout du fil, et eile luia donné le mot... Ca se présente mal. Ca peut dégr-nérer. Mais 9a ne depend que de moi... Respirer, Contröler ma combustion. Avaler tout 9a, jusqu'au fond, puis l'expulser, comme un crachat. Répéier 1'opération pendant qu'elle s'avance. en me regardant comme si une battue était sur pied, que j'etais traqué, fait comme un rat, et qu'un coup d'eeil a 1'atelier constate en effet qu'elle n'a pas raccroché... . « Qu'est-ce. qu'il attend. Coco dans ses petits trous? Que je te torde le cou? Qu'est-ce que c'est que ce guignol?... » ... J'ai claqué les portes, il paratt, et je ne me suis pas vu, je suis tout congestionné. Cramoisi... C'est le soleil!... « Quel soleil ? II n'y a plus de soleil depuis long-temps!... :. -—,. Premiere nouvelle, Depuis quand? » , . Elle me donne raison : eile dramatise... Elle me donne raison : c'est assez dur comme ga, on ne va pas se sauter dessus comme ga> on ne s'en sortira pas,., Ou est-ce qu'elle a été chercher ga? Je n'ai jamais dit ga!... « Pu as raison. jc xv: sais plus ce que je dis, mats c'est ce queje pense... On n'a jamais eu aussi besoin l'un de fautre... » Avant que les sanglots qu'elle retient eclatent, et declenchent une alerte, elle retourne, et rassoit le combine. Elle revient comme si c'etait a moi qu'elle revenait, mais elle voit que j'en ai assez vu, ga ne me regarde plus, je vais rester plante la, visse la, equarri, yarlope, plus rien qui depasse ou qui sort. Les mains dans la figure, avec du jour entre les doigts pour voir ou elle va, elle monte en courant se vider dans sa chambre. La vie (la seule que j'aurai jamais) est comme recpmmencee.^ Elle m'a laisse une longue liste et le cafe etait parfait. Juste assez chaud, juste assez fort. La montagne avait accouche, de sa ridiculus mus : je l'ai entendue trotter menu, chuchoter a son chat, tirer les portes en douce. Pour respecter le repos du nul, il faut avoir du mou au fond, une bonne epais-? seur, et ga ne rate jamais, ga m'a... Qu'est-ce qu'elle a voulu dire par « c'est dur » ? Qu'elle vient refaire ses forces avant de m'assener un autre coup, et ainsi de suite jusqu'a je ne tienne plus debout?... Je ne vais pas me ronger, on n'arrete pas le.progres. Je.veux.bien. Walter a fait la guerre, comme de\ millions de pauvres types. Et d'autres Canadiens ont prefere les forces americaines, parce qu'ils connaissaient le cinema, qu'ils voulaient jouer dans une superproductionj pas un complement de pro- 286 287 gramme, un truc de série B... Et selon la Petite Tare, que ca commence á passionner, il■s'est trou c englobé dans les O.S.S. (Overseas Servicemem, dont il resterait quelque chose dans facronyme O.S.F., par lequel il se designe... Mais encore? El aprěs? Dans tout ce que j'ai lu jusqu'ici. il n'y en a pas trace. Sans doute, je me trompe, et le fait qu'il se taise la-dessus, qu'il l'ait éliminé de son «mémoire », est révélateur, comme tout ce qu'il biffe et qu'il rature pour se dépasser, sortir du cocon ou on se trouve un peu tous ficelés... II n'est pas retourné « draguer » (il avait mis trůl-rr. puis trailer) au Manoir ou á ses autres abreuvoir>. Peuť-étre plus tard, aprěs son deuil (mais il y songe déjá), le gout le ressaisira (il avail mis repognera, puis ajouté un i). II a repassé la journée á fourrager (rature illisible) en descendant (calant) des cannettes (bottes, en bon frangais, ca lui a échappé). II s'est apergu, en les embrassant encore au fil des pages, \, qu'il n'a embrassé que des filles de bar et d'hotel. Des qui traínent pour qu'on s'occupe d'elles. II a prepare le souper, pour épater la Too Much. H a allumé une chandelle, pour voir bruler leur flam me éterneile. II est retourné prendre un bol d'air jusqu'a la boíte á Bri. II n'y a rien trouvé et n'y a rien mis. Mais ga va aller. Un pied devant l'autrc. i I n'y a rien qui ne peut pas aller un pied devant 1'autre. Je suis parti une bonne heure plus tot, pour compenser, et j'ai de nouveau marché sur les eaux. ^ On ne fait plus le tour d'elie en la longeant, cti 1'efBeurant, en frölant .ses bords : on se fie tout le long sur eile, sur l'illusion d'etre porte, et on joue sur cette peau immaterielle, avec les pieds qui s'ebrouent dans les blancheurs paillettes, cendres des nuits ou se sont enflammes ses reves innocents et qu'aura glacees 1'irruption du matin qui les a souffles lä. Je ne sais pas trop ä quoi ca correspond, dans son echelle des.valeurs, mais Poppee s'est. mise ä me tutoyer, qui ai deux ibis son age. «J'en ai parle ä Johnny. C'est o.k., parce que c'est toi... » Elle m'effleure en me glissant dans Ia: main, comme un sachet de dope, un bout de papier oü je trouverai ses deux numeros (travail, residence), et ce la fait sentir si bon qu'on ne peut reprimer un sou-pir trop exclamatif. Elle le prend par-dessus la jambe. En professionnelle. « C'est ma nouvelle huile de corps. On en met beaucoup, on se sent moins toute nue... Elle parle bien, ta copine. Elle a i'air intelligente. Comment eile s'appelle dejä?... » Moqueuse avec 9a. Elles ont toutes ca. Elles n'ont pas le choix. Si elles prenaient l'idee qu'on se fait d'elles au serieux, elles iraient toutes se jeter au bout du quai, en rangs serres, au pas de l'oie. Ou de la poule. Ou de la dinde. Je vois ma mere parmi, «souillon du foyer », et qui le revendiquait pour nous le faire payer. Le rapport n'est pas clair, mais eile a surgi tout a coup du fond de ma memoire, d'oü je m'etais efforce de la chasser, a jamais. 288 289 La Petite Tare est tout épatée d'avoir ga^né la confiance de Poppée, mais je la prcviens,-routine j'ai été prévenu : eile s'est mise sous la prot* ( nou ď Johnny, un louche individu... Elle saute aux ronrli -siöns. Un maquereau !■ Un pimp! Ah lala lala lala!... Ca 1'épate encore plus. Quant ä la confusion des noms oú j'ai jeté Poppée, mon baratin éhonté, eile ) voit le pourquoi de sa nouvelle assurance avec moi, ses familiarités : mes grands airs la menagaient el elle n'y a trouvé qu'un petit bluffeur gafieur, eile m'a attrapé par une poignée qui la met en contröle Et méme... «Comme elle ne craint plus de se faire baisei entre guillemets, tu pourras la baiser tranquille... -' Qüe ca te plaise ou non... Puisqu'il faut y passei poür le sacrement et qu'entre nous c,a ne peut pas se passer autrement... Avoue ou je me déboutonne... » J'avoue sous la contrainte. En avocat. Sans prejudice des questions qui pourront étre soulevée.s. Et sous la reserve mentale que tout ceci est mental ;"' Poesie et compagnie. « Tu lui diras que je serai Bibi pour elle, (me je , serai sa Bibi. Et qu'elle peut de méme étre qui eile veut pour moi... Tu m'en donneras des nouvelles! » "'- Ca bouge aussi au séminaire, mais pas dans la i bonne direction. Et elle aimerait mieux ne pas remettre le nez lä-dedans, cette bouillie pour les j_ ehattes : le pauvre est débordé, il s'est échappé, „ dans un grand élan de tendresse il l'a traitée de * chatte... Ma chatte!... ■ ... . ....... « Pour qu'il i'ait á la bouche de cette facon, il faut qu'elle soit a la portee.... Mais il se peut aussi qu'il l'ait eue juste avant, au telephone..; — Tu ne sais pas, c'est peut-etre un nom qu'il te donnait tout bas. — Sans blague!...1 Mais je ne t'ai pas raconte cette histoire sur Modigliani. Vers la fin de sa vie, compldtement ravage, a tout ce qu'on lui disait, il repondait sur le metric ton : "Sans blague!... " Cette toile est geniale, maitre!... Sans blague!... Ta braguette est ouverte!... Sans blague!..: Vous allez crever dans six mois!... Sans blague!... » Ca la fait cramper. Pas moi... Elle s'en remet en ramenant Walter, et «l'edition Pleiade » du cahier, qu'elle a recommence a preparer. Je lui fais part de mes doutes sur le sens de ses efforts de decodage, surTinteret de denicher ici et la une petite bete. Ga la fait s'emballer. «Voyons, voyons, ca va de soi de chercher a comprendre. II y a un besoin, une passion de comprendre, et qui s'applique a tout, de la patte de mouche aux bras des etoiles. Tout ce qui echappe a notre intelligence, elle le poursuit jusqu'a ce qu'elle ' l'ait saisi, et qu'elle ait trouve au fond autre chose a pourstiivre... Cen'est jamais fini, jamais reussi, mais c'est de toute beaute cet enterrement continu, a perte de vue, des rates par les rates, pendant que le flambeau se passe, avec la plume et le bout de papier, pour une petite equation encore, un petit poeme aussi, parce que l'amour noh plus personne ne l'a encore compris, on se demande encore comment c'est fait, comment 9a se fait... Et puis, meme 290 291 si ga ne convainc personne, meme pas toi, jc veux comprendre ce qu'on me dit quand on me pailc. Ou qu'on m'ecrit. J'aime ga. Je suis comme fake pour ga...» Juslement, Que Walter se soit appele Odiluu Sansfagon et qu'il ait ete G.I. ne m'aide pas a comprendre ce qu'il raconte. Ca me nuirait plutol, ga me contraint d'en sortir pour en tenir comptc au lieu de rester enveloppe dedans comme ga veut... Elle ne repond pas. Elle est fachee, mon ounecui-dance a fini par excedersa complaisance... Non, elle etait partie chercher le cahier. Elle me lit tin extrait ou Walter, qui se sent aller, recite a sa Too Much un poeme, «Blue Heavens forever », qui k remercie de tout ce qu'elle Iui a donne, a commcn-cer par elle et ces autres femmes qu'il a trouvees en elle, de tout ce qu'elle a fait pour lui, pour qu'il la^se ce qu'il voulait, qu'il gaspille un cadeau si pn'rieux que seul un Dieu, sinon une Deesse, peut 1'offrir a un homme : la liberie... Elle joint les mains qui se sont. abimees pour lui, et elle lui repond, comme en priant : « Non, la liberte, e'est toi qui me fas don-nee.» . / «Oui, e'est cucul, et la liberte dont elle p.irle n'est qu'une parole en fair si on ne sait pas qu'elle Fa connu soldat, ou sorti a moitie fou d'un liopital de soldats... Mais je la soupgonne d'avoir ele son inlirmiere, e'est ce que les exaltees se clonnaient comme sacerdoce en ce temps-la... Qu'est-ce que tu fais, tu mets ta main?... ....... ... ..... Tu Fas dit. \ — Je Fai send. — Tu Fauras voulu : o.L, salut! » Ca déchire un peu de se quitter aussi sec mais ga vaut la peine, ga reste sensible ďune fois ä Fautre. Ca marche puisque ga marche : les emotions sont sous contrôle et je n'ai pas aussitôt raceroché que Fenvie me reprend d'entendre la voix tout en petits cailloux jetés dans Feau qui avant de se déposer pour vous faire un lit vous déploie dans les ronds de son echo, vous répandant jusqu'oú vous vous retrouvez compíétement perdu, «vibration de la membrane entre ce monde et Fautre ». II y a aussi que le temps me presse. Une grosse commande á remplir. Épicerie, boucherie. Je res-sors du supermarché avec deux sacs au bout de chaque bras, sans compter ce que j'ai pu coincer dans mon Air Italia. . . «Tu fais Fane pour avoir du foin ou quoi?.;. Je rľai pas dit dix livres, j'ai dit quelques pommesďe terre. Ou veux-tu que je range tout ga? » C'était le méme prix, et ma raison s'est rebellée:. Pourquoi pas vingt livres alors? Un quintal? On peut devenir millionnaire avec les economies qu'on fait en achetant les pommes de terre á la tonne!... Kile me prend de court avec son ton ä pic. ĽOpéra ľa-t-il montée contre moi ? Elle en revient gonflée á bloc, décidée ä m'aŕfronter, á se bagarrer. Je veux bien, mais pas en dehors des cables, oú tous les coups sont permis et je serais seul contre je ne sais pas cornbien. . ,. Je disparais. Je mets le casque et je « réve » un 292: 293 peu de musique, ä la facon de la Petite Tare. J'ai tout un tas de: cassettes qu'elle a enregistrées expres pour moi, expres pour ga. Branche sur VAntarctica de Vaughan Williams, je me retrouve en plein dans mon element, un blizzard ä tout arracher qui me fait le désirer pour un prochain tour ďelle, et que je traverserais en tout confort, comme un zombi, comme maintenant. Si on pouvait, je me ferais: jouer le quatuor de Barber en méme temps, celui qui meurt comme un été, qui met des feuilles mortes au fond des flaques et qui pleut par-dessus. Aprěs ga, Pamour est fait, plus besoin de recommericer... Puis, d'un parasite ä l'autre, Pacha vient m'annoncer que c'est servi. «Tu ne lěverais pas le petit doigt pour moi! Tu he m'as jamais rien donné que tu ne m'as pas fait payer! De ma vie! Que je perdais!... » Elle s'est refrénée jusqu'au dessert. Elle échuc. elle vocifére, elle énuměre en crescendo ses gncf.. 'Pant pis, eile l'aura voulu, je vais aller trop loin. «Tu ne m'as méme jamais touchée avec un vrai plaisir. Avec joie!... Tu ne m'aimes pas!... — Ca ťarrangerait bien, hein?... Ne meurs pa-,, tu as réussi, tu m'as complětement dégoůté avec tes putasseries, je ne pourrais plus jamais te toucher!. . Méme pas lever le petit doigt sur tou... — Qu'est-ce que tu fais encore ici?... — Qu'est-ce que tu crois? La méme chose qu<; toi !■..-. La méme maudite affaire!... Je vis!... Je n "ai pas le droit ou quoi? » J'etais prepare, exercé. Au moment oú < ■lie : 294 corňptáit me rachever, je 1'étendais faide : c'etait moi qui ne voulais plus ďelle, et cé n'etait pas moi qui partirais... Je ne 1'ai pás ratée. Terrbrisée de sé tromper elle aussi, d'avoir fait de travers un pas qui ne se refait pas, elle a recu ma combinaison direct au ventre, et elle n'a plus Fair aussi vache que je mela figurais, c'est moi qui me fais Feffet d'etre aussi vache... Mais la guerre n'est pas gagriée, je me dis, elle trouvera bien moyen de se rattraper, avec toUs ses allies. En attendant, elle aura senti toute cette force que j'ai en reserve, et que je n'ai jamais employee, sinon pour Faimer aussi mal qu'elle dit... Et ca la tiendra sur la defensive. « On s'en reparlera quand les couteaux voleront moins bas, mon Johnny. — Comme tu veux, ma biche au pied d'airain. •» Je n'ai pas fait le message de sa Bibi á Poppée, ni donné son propre numero, en gage de loyauté. Ca ne presse pas. Je ne vois pas oú elle s'en va avec son char. Si ca m'excitait, je ne dis pas, mais ca ne me dit rien. Ca ne me čoncerne méme pas. Sinon par personnes interposées. Dans son theatre. Dans son jeu désespéré, dérisoire, pour contróler Julien á travers moi, lui procurer tout ce qu'il veut, méme une autre femme, qu'il n'irait pas chercher ailleurs, á Fextérieur de sa planete... Mais je me méfíe de ces explications, méme si elle me les a souíflées elle-méme et comme malgré elle. J'aime mieux penser que c'est du vice, en ce que ga a de pur, de pas trafi-qué, pas (arabiscoté, une explication qu'elle ne renieraitd'ailleurs pas. 295 Ainsi, je pense ä autre chose que ce qui nous occupe. Exa aussi, je suis sör. Cest force. On n'est ni Fun ni ťautre intéressés ä se laisser coincer. Mats ä quoi bon ruser ? On s'est rendus si mutuellement. transparents, on ne peut plus rien se cacher, Elle peut projeter en moi sa voix intérieure et me don-ner un quart ďheure, une heure plus tard, sans ouvrir bouche, une réplique ä ce qui lui trottait dans la téte, « Comme si j'avais besoin de toi pour me toucher, la cour est pleine, on refuse du monde pour me toucher! » Un silence hostile a beau étre insupportable, on va le supporter, chacun de son coté, eile ä rempla-cer une fermeture Eclair devant la télé, moi juste á coté, ä me contenter de ne plus faire de mal si je ne peux plus faire de bien. Le telephone sonne. Si c'est le coco je ne réponds plus de moi, j'arrache le iil. Ca n'a pas Fair. Ca va, eile dit, o.k., o.k., merci, ä demain. Elle a mis toute la province au courant ou quoi? L'alerte a Fair nationale. Elle monte, eile fait, son.train, eile se couche... On va étre passé ä travers, on va respirer un peu ďair aprěs tout ce feu. Elle tape au plafond. Je Fignore. A J la-troisiěme fois troís fois, ga devient ridicule, j'y | vais. Elle m'attendait dans le noir. Elle allume, son ..iL brigadier en main, un truc de motard, plombe. f « Dis-moi quelque chose qui a de Failure ou je .' tue!...» ■ í : Pas besoin, je suis mort de rire. Elle ne par tage T\ pas mon plaisir, que sa mise en scene a déchaíné et }" qui me secoue comme une toux. Elle attaque, a. bras | raccourcis, lachant la matraque aussitot que je la saisis, pour avoir une main de plus a me lancer a la figure et que j'en aie une de moins pour Fempecher. Je recois un coup d'ongle en plein dans Fceil. Je vois trente-six chandelles et je ne peux plus que les compter, m'occuper d'elles, hors de combat, completement livre a ses coups, qui ne pleuvent pas moins. Elle ne veut rien savoir. Elle va me regler mon cas ce soir. «Je vais te le montrer, moi, si tu ne peux plus me toucher! On va bien voir si tu ne vas pas te les salir, les mains!... » Elle a fmi par avoir raison. Elle n'a pas eu tout ce qu'elle voulait, je ne lui ai pas fait aussi mal qu'elle voulait, je ne me suis pas rendu aussi ignoble qu'elle voulait, mais j'ai ete force de me defendre, et uii bout de coude egare lui a froisse le museau, ce qui lui a permis d'eclater en sanglots. Mais ce n'est pas le pire. On a frole Famour. Ca sentait a plein nez. Une 6tincelle aurait sufS. « Tu as raison, c'est moi qui a commence. Tu as raison, tu n'as pas tous les torts; Mais ce serait mieux, meme s'il est trop tard, s'il n'y avait ni torts ni raisons. » C'est le petit mot d'Exa, tel quel, avec le « a » au lieu du « ai» approprie, mais ce n'est pas vraiment une faute : elle fait accorder le verbe avec le pro* nom sous-entendu mis en apposition, et elle a bien le droit... Et je lui donne raison gratis, pas comme elle, qui s'est mise a me donner raison sur tout pour 296 297 que je lui donne tout le reste, avec ma bénédic.l i< in pour aller se faire ligoter et mieux passer á tabar. Elle a 1'áge oú les femmes s'epanouissent ou sr fanent. Elle a choisi... En attendant, c'est moi qui ai un ceil á moitié bouché et garni ďun dróle de santr qui ne part pas quand on Fessuie. Mais au royaume * des aveugles les borgnes sont rois. Le moral de Walter est « descendu d'une marche ,'• encore dans les talons ». II n'a plus faim, měme plus soif d'une biěre. II survit en trouvant des moyens d'alleger le fardeau de la Too Much. La banne á linge est pleine. II enfourne tout dans un sac á ordures, il se le met sur le dos, il ne sait pas s'il va se rendre á la laverie, s'il va y arriver, mais il s'habille, il sort, il se met en route. Un coup de klaxon. II se ť retourne. Ernie. Sous son bonnet de caracul assorti au col de son pardessus. II s'est fait une beauté pour aller á la caisse, impressionner son gérant. Pour une lavette, un torchon qu'il a vu essuyer le plancher, : qu'est-ce qu'il tient bien le coup... Et puis il s'cn fout, il a froid aux mains, il ne va pas jouer au mar- -f\ tyr lui aussi. II monte. : «D'oú tu sors, le pere, avec ta poche? D'une ;" chunée?...» • . • Cheminée, chminée, chinée, chunée... Walter se soustrait á la conversation, qui serait devenue une i inquisition, en jouant avec ces elisions et la forma- 1 tion d'autres contractions du langage familier. « Comme ga, je ne peux plus compter sur toi pour m'en débarrasser ?.., Cest de valeur!... Salut, f le pere, séparé bien ton blanc de tes couleurs! » 'i II n'avait pas mis les pieds dans ce genre de bor-del depuis les Etats. Ebranle dejä de s'etre dans le miroir brandi par ce bouffon, ce prochain, le trac l'a pris, il a fige, debile fini tout d'un coup devant le parterre de bonnes femmes dont il devenait l'attrac^ tion avec ses cheveux trop longs qui se repandaient. Un^etite a compati et l'a depanne, pilote, lui cnsei-gnant le b a ba. Elle lui a refile des bandes anti-statiques et de I'assouplisseur, des trues dont il n'avait jamais entendu parier. Pas vingt ans. A peine une femme. Et elle le traitait comme un enfant. Elle le tenait ä l'ceil. Elle l'a aide ä plier ses draps. Elle voyait bien qu'il n'y tenait pas, qu'elle 1'avait assez malmene, mais il a bien fallu, il n'y arrivait pas. Par-dessus le marche, la Too Much n'a pas teile-ment apprecie. « Quoi, il n'y a pas assez de moi qui fais la bonne dans la famille?... Et pourquoi m'ereinter si tout ce que ga peut me payer c'est un chien battu comme il en traine ä tous les coins de rues?...» Pour elle qui n'a jamais eleve la voix, e'etait une scene en regie... Aussi grande que lui, elle le depas-sait tout ä coup, elle le regardait de haut, ga lui a donne des frissons. II avait interet ä se secouer. « Tu n'es plus content d'avoir leur peau, il faut que tu les enterres aussi?... Que tu nous fasses choir ä leur niveau? Tu commences ä flechir? Les genoux commencent ä te plier, comme ceux qui tremblent et qui se mettent ä prier ? Pour etre 6par-gnes?... Cest tout ce que tu as dans le corps? Que 298 299 tu as pour m'inspirer, moi qui te regardais aller pour voir comment marcher droit sur le bord de Fabime ?..-.■» : Elle n'a rien dit de tel, mais ce ne sont pas non plusdes mots qu'il a mis dans sa bouche. II les a entendus. Sur leur réseau... Cest plein de bon sens, ce devoir de s'elever, se dresser les uns les autres, pas les uns sur les autres, Ce que je ne comprenais pas assez et que j'ai etc rechercher sur la glace, en contournant la Pointe au large, assez loin pour avoir perdu de vue la tour i lu signal, c'est qu'il n'y a pas de friture, les signaux envoyés á 1'homme sur la terre ne sont pas brouillés, la communication est claire. A la Brasserie ce n'est pas mal non plus. Sous la surface, il ne se passe rien. Toujours la mérne chose inerte, une vague hostilité entre membres inutiles, entre «touristes » comme dirait Walter, et qu'on a convenu de supporter au lieu de se dévisager, se renvoyer nos portraits tout crachés. « Je ne t'attendais plus, espěce. Cest le tour de toi qui est de plus en plus long. C'est comme si je pouvais, un de ces jours, ne plus jamais revenir de toi. — C'est beau, continue, parle-moi de moi, dis- ■> moi tout. A Mount Pleasance, entre voisines, on se demandait nos qualités et nos défauts, une pleine page, en deux colonnes. J'etais celle pour qui on cherchait le plus dans le dictionnaire. Je leur en trouvais plein, elles ne me trouvaient rien. » Histoire de lui donner ce qu'elle m'a reclame, je lüi raconte un peu ma chaude chamaille avcc ma furieuse. Elle m'arrete au milieu. Ca ne la fait pas rigoler. Tout ce temps que nous ne passons pas ensemble, si au moiris il n'etait pas si mochement gäch6!... Julien est revenu de son seminaire. Elle s'est jetee dans ses bras en se hissant sur le böut des pieds, pour mieux se faire bercer, comme elle fait toujours, mais il sentait si fort qu'elle a rase eternuer. Elle a comme reconnu 1'odeur mais elle n'a pas mis le doigt dessus, elle n'ose pas. Elle n'en doute plus, il a passe tout ce temps avec eile. II l'a essayee. Comme uh malpropre. « Tu n'as rien ä me dire ?... — Je t'aime, je t'aime!..: » Mais c'est tout: il ne le lui a jamais tant dit mais il n'a jamais eu si peu ä lui dire. « Ce n'est pas mechant. Ce n'est rheme pas vrai-ment faux. Avec tout le souci malsain qu'il se fait, il me voit avec une couronne, il croit vraiment qu'il ne m'a jamais tarit aimee. Et ga ne me fait qu'uri peu plus mal... » Mais c'est dans son integrite qu'elle se sent le plus menacee, son idee d'eUe-meme, son respect d'elle-m§me, dejä pas terribles, et s'il ne joue pas franc jeu, s'il continue de la bouffer comme une bonne poire pour Peliminer satis que ga saigne, sans se salir, elle n'aura pas le choix, elle fera changer la serrure et le numero de telephone. « Tu m'epates. Tu as des ressorts caches... —-J'ai un ami que je ne vois plus mais qui m'appelle de temps en temps... J'ai mon Ecureuil vert. Etje respire... Püraka, khumbakä, rechaka... » 300 301 Elle a. appris quand die ctait petit rat, et qu'elle manquait de souffle, Elle m'a toujours promisde me l'enseigner, et a faire circuler mon endorphine. Quand on sait bien, et qu'il le faut, on peut passer des journees entieres a rien que respirer, controler le feu qui nettoie, le faire penetrer jusqu'au fond, -r chasser un peu de poison a chaque expiration. 1 «Tu m'epates. Continue. J'en prends de la .; ij graine. — Ca fait deux fois ou trois fois deja que ' je t'epate, ga va, j'ai compris, je suis epatante, qu'est-ce que j'ai a raler, ou est le probleme?... » | J'avoue, j'ai charrie, pour la flatter, la conforter. Elle ne m'epatait pas vraiment, mais la, pardon, 1 y avec sa hargne, elle m'a epate jusqu'au trognon. . . «Remets-moi ga d'ou ga sort, je ne veux plus voir ga! » i Mais elle s'est choquee elle-meme et le choc est salutaire. Elle se secoue. Encore un coup. Pas le dernier. 'I « Ca va, ga va. Mets ta main... Non, de l'autre .-, cote. Je t'ai relocalise.: Pour la duree des reparations. Excuse le derangement.» Si gracieuse et si legere... On t'a battue, bergere bergere, on t'a battue bergere, avec ton baton... Et c'est ainsi, sur les aiies d'une chanson, comme ga me prend de temps en temps, que je rentre a la l maison. f Exa me met des gouttes dans l'ceil. Un anti- j biotique... D'apres la date d'exp.,il a du moisir, mais on peut toujours compter sur une marge de precau- 302 fl lion, elle m'explique. Quand ga la prend de vous soigner, c'est comme autre chose, il n'y a rien pour 1'arreter, on est force de la laisser se contenter, a nos risques et perils. Mais ga me fait moins peur que d'aller chez le docteur et me faire passer tout, rond dans une machine a cartes. «Johnny, je voudrais qu'on se parle. Pour se pro-teger... On a un pouvoir de vie ou de mort l'un sur l'autre... Tu as la chienne?... » C'est idiot mais notre culture commune a pris le dessus, le coup est parti tout seul. Et puis ga va comme ga, je m'en fous moi, je n'ai pas besoin de tatouages et de trues plombes moi, je n'ai peur de rieri moi avec mon ange gardien pour m'ouvrir le chemin, je n'ai meme pas le droit de douter, ga pourrait roffenser... Exa avait combine tout un scenario et ga lui a ruine ses effets. Elle met tout le temps qu'elle prepare a souper a se raccorder, pour demarrer sur un autre ton. «Tu ne veux plus me toucher? O.kL. C'etait pour te faire plaisir mais ga liait... Qu'est-ce qui reste ? — L'entretien. Les petites reparations. Bien plus utiles. Plus efficaces. Quand on change un joint de robinet, ga tient... Et puis de quoi tu paries? Un menage a trois? Une semaine ici, un week-end a la Villa. Tu te fiches de qui?... Je veux dire : abou-tisf...» Non, elle fait signe que non a repetition, on n'arri-vera a rien, le cas est desespere, suis trop coince. 303 : « Aprěs tout, j'ai bien supporte d'etre cbcue n 101. pourquoi pas toi?... Tu t'en tapais bien deux cu up sur coup toi, pourquoi pas moi?... Ouest le drame .J Je ne comprends pas... Ou plutót, j'ai compris fina-lement, tu m'as convertie, tu devrais etre content... — Parle quand tu ouvres la bouche!■■■■■ — Oui c'est de ta faute, oui c'est toi qui m'as jetée dans ses bras. Non je ne 1'ai pas regretté, non il ne m'a pas forcée. Mais je ne vivrai pas avec lui. Ni avec personne. Plus jamais. Mon petit boulot, mon chat, la paix!... » Á la facon dont le chat est inséré dans 1'énuméra-tion, la forte inflexion qu'elle y a mise et le regard buté qu'elle lui a jeté, les elements tombent en place et ma lanterne est éclairée. lis se sont brouillés a cause du chat! H se lamentait jour et nuit et Coco a pété sa coche. C'est moi ou le chat!... C'est le chat!... Elle n'a pas hésité une seconde... Total, elitně sait plus ou elle en est. Et c'est ce que je lui ai >.,,.,. « Tu reviendras quand tu te ressembleras! » II avait irregulierement frequente, en d'autres temps de crise, ou il ne souhaitait pas rencontrer 305 certaincs personnesV le bar a morpions quele tax lui conseillait comme coin tranquille. 11 a ete s< . planquer au fond du salon, une fille est veniie le ser vir dont le sourire un brin moqueur, un brin conspi-rateur, lui disait quelque chose. C'est elle qui■ l's replace. ( « Vous etes le monsieur de la buanderette, on va faire semblant de ne pas se connaTtre... >> Elle ne peut pas fraterriiser, c'est la loi. A son retour, il la s.crute a fond, il la retrouve a travers le masque aux yeux salopes, aux levres enflammees. Ce n'est plus la petite aux bandes antistatiques, ' mais c'est bien elle. Chaque consommation donnc droit a un jetori dont elle met un jumeau dans son \\ sac frange, porte en pareo, et elle danse une fois ■„ l'heure devant le client du numero tire. II a trame jusqu'a minuit, a empiler les jetons. Aucun de ses ' numeros n'est sorti. Meme pas le 13, dont elle lui . avait assure pour le rassurer qu'en Russie c'est un \ numero chanceux, tous les joueurs de hockey le |' portaient... Pas qu'il y tenait. II etait dans un de ses |* etats on 1'on jouit bien mieux de toute la veine \ qu'on n'a pas: Elle a danse deux fois a la table voi- > sine, et pour la meme brute epaisse. II n'osait plus {. regarder quand elle commengait a se peler, a se tou- | . cher. Elle allait i'^mouvoir, il allait s'attendrir I devant ce gachis, et tout serait a recommencer quLj,;. avait assez dure. II en avait famasse a la pelle des *! comme elle, aussi fraiches, aussi enchantees de se JJ gater. Elles ne demandaieht qu'a bruler, se jeter sfi dans les bras du premier qui avait du feu, comme |' 306 1) lui dans les derniers qui s'ouvraicnt... Mais il n'etait plus le meme homme, il le serait encore moins quand Bri aurait fini de passer a travers lui et. tout casser, il le fallait, il lui devait un pillage... Ca ne tramait pas, ils se reconnaissaient aussitot. II y avait le genre qui ne Favait pas, qui le cherchait et ne le trouverait jamais. Puis il y avait eux, le genre qui Favait, qui se le donnait et se le prenait... Puis il n'y a plus eu qu'un vieux rogaton qui se prend, C avec ses conquetes a califourchon, pour Napoleon a Sainte-Helene. Sainte-Helene! II va Fappeler Sainte-Helene. Plus de funerailles avec des boites a malle en facon de cercueils. Plus de bols d'air arctique expiatoire. II irait veiller a Sainte-Helene. Elle ne serait pas quelque fille mais quelque part, quelque exil. II lui a demande ses jours et promis de revenir. «Vous ne m'avez meme pas regarde.» Elle est. remarqueuse, elle a remarque... Gurieux, cette fagon qu'elle a eu de Faborder. Cet air de complicite. Cette chaleur. Immediate... Ah elle Fa bien roule! L'air de ne pas y toucher, elle lui a fait flarnber tout son fric. II rentre a pied, en plein mirage a travers la dentelle, tout le fla-fla tombe du ciel et qu'il fait f grincer sous ses pas. Apres lui le desert. B neigeait aussi ce midi. Ca remplissait les boulevards. Jene me suis pas risque sur la glace, on n'y voyait pas a dix pas. Poppee m'attendait avec les yeux qui brillaient, tant que j'ai regards derriere moi pour m'assurer que c'etait bien a moi qu'ils s'adressaient. Elle avait une surprise pour moi. En 307 grande pompe, avec la bouteille dans Je seau et le linge autour de la bouteille, elle .me. sert le champagne, en m'assenant deux bisous, un sur chaque joue. De la part de Bibi... Elle est nerveuse parce iUs qu'elle s'est donne du mal et qu'elle avait la chienne (eile ne mäche plus ses mots) que tout tombe ä 1'eau ä cause de la tempete. G'est ma fete, il parait. Sans blague i... Elle a meme apporte, 9a fait partie du programme des rejouissances, une coupe pour trin- I quer. Je lui en mets plein malgre ce qu'elle: me. dit qu'elle suit un regime et qu'elle n'a rien dans 1'esto-mac. Je n'y ai moi-meme que mon cafe, et quelques cul-sec en hommage ä ses efforts pour se mouiller le bee me font completement deraper. Je me suis rarnasse tout seul devant le juke-box ä faire jouer les Supremes (Bad Girl, Baby Love) qui.se sont mises ä me faire danser malgre moi pendant qu'elle s'etait eclipsee derriere le decor ou il semble bien que son patron dirige un petit commerce illi-cite ou deux, ce qui me faisait danser aussi, quand la vie est belle, elle est toute belie... Poppee s'est : retrouvee tout ä coup devant le comptoir, avec son plateau, et ä Poeil amuse qu'elle jetait sur mon agi-tation je 1'ai invitee ä me joindre. Elle a refuse (un seul petit coup de tete, une moitie, le genre aller pas retour, qui ne marque aucune hesitation). Elle m'a ^ plutöt accompagne ä distance, en balancant..une ; epaule, une hanche, et comme en refrenant une adhesion au rythme, une penetration de tout le i corps qui surprenaient, qui faisaient imaginer une ,4, chaleur mal controlee sous l'afiectation deliberee. ,1 La Petite Tare est ravie du tour qu'elle a joue^ a moi qui n'avais aucune raison de m'atlendre ä rien, ä Popp6e qui n'a pas vu ä quoi aü juste elle lui faisait consentir en lui faisant debiter,; entre autres, a son numero d'American Express, deux petites caresses... «Je voudrais que toutes les femmes t'aiment.» Comme si je n'avais pas bien compris, que 9a ne me faisait pas tout Peffet que 9a devrait, elle me le repete. « Ca ne te plairait pas que toutes les femmes t'aiment, comme moi?» Ca y est, j'ai compris, enfin je crois: elle veut dire comme Julien. Et que ce soit elle, par amour, pour deployer dans toute son etendue son amour, qui les fasse toutes l'aimer, Mais elle songe a une en parti-culien Je fais mine de rien. Aussi bien, ga me depasse. . «Toutes les femmes comme toi. Pas une de plus.» Elle proteste, elle n'est pas une si chouette minette, elle s'est prise ä brutaliser son Ecureuil, qui lui avait d'autre part trouve des mangoustes, une si fragile orange ä goüt de framboise qu'elle ne survit que quelques heures en ces parages, et qui par ail-leurs voudrait « se soüler dans son petit Soulier », si elle a bien compris ce qu'il lui a chante, car il chante aussi. « Tu as un petit Soulier, toi ? ~ Pourquoi toutes les autres et pas moi? » Elle lui avait bien demande, bien specifie, du tofu 308 309 sans agents de conservation. II s'est encore fié au marchand. Elle le lui a mis sous te nez, en tou tes lettres ; sulfate de. calcium. Pourtant, il avait fait bien attention, il avait tout lu et pas vu « agents de conservations. Qu'est-ce qu'il croyaic, qu'ils allaient s'en vanter, annoncer qu'ils sont préts ä nous empoisonner ? II était encore aussi naif? Á son age, aprěs tous les coups qu'il avait regus, il n'était done rien entré lá-dedans?... ~~ « Pas de ma faute, j'avais trop envie, il me donne trop envie... » * ? D'etre cruelle, entend-elle. Julien est sorti eher-eher des billets pour la partie, on joue contre les {' Bruins, qui vont nous faire manger les bandes, entre deux elans de Bobby Orr, s'il tient encore debout ■' sur son malheureux genou, méme s'il ne le géne pas quand il vole... Elle se sent parfois préte á tous les * compromis, ä considérer que s'il y a un probléme ils „ pourraient peut-étre, en s'y mettant, trouver sinon ... une solution du moins un rapprochement... EUe ľa ■'■ cuisine encore un peu pour voir. í «. II m'a jure qu'il n'y a rien de change entre nous. 1 Ailleurs, il ne dit pas. Ľart du négociateur. Jamais *? un mot de trop. Surtout quand ca avance tout seul: j'ai constate, je vais accepter, le processus est -A' enclenché. Aprěs il avisera. En attendant, je ne le -4 lache plus, je suis toujours pendue, méme en dor- ŕ mant, ä son sacré bras!... » On ne salt pas ce qui la fait le plus rigoler; toutes 4-: ces astuces ou ľimpossibilité d'y échapper malgré sa ..% facilité ä les percer. Elle s'analyse, eile se juge^ elle 4; 310 se rend jalouse, possessive, eile s'en defend, eile ne va pas contraindre et tourmenter comme die en connait... Elle ne veut pas de ces horreurs nazics en eile, elle se jettera avant de descendre si bas. « Ne te casse pas la tete. Tu n'as pas de defauts. II n'y a pas de dictionnaire assez gros. Tu es une Petite Tare parfaite... — Un vrai echo! C'est exactement ce qu'il m'a repondu en d'autres mots... Vous etes si tenures, on ne sait plus comment vous prendre. Vous pendre!... 11 me touche quand il passe, et quand on se croise il m'embrasse, il me prend la figure entre les mains, comme s'il me cueillait, regarde done ga si c'est beau, il me dit, c'est pas humain... J'ai demande a Poppy, effrontement, en maquignon, si elle etait belle... Elle a hesite, elle se demandait comment le prendre. Pas toujours, elle a dit, quand j'ai le gout. "Tu pourrais mais ga coüterait plus eher?... " Motte!... Est-ce que j'ai ete trop claire ou juste assez pour bien lui planter l'idee dans le compteur?... Comment tu la trouves? Tu ne me l'as jamais dit finalement... ■ —- Je ne la trouve pas. Elle a des jambes, elle a des seins, il faut bien, c'est son gagne-pain... » On a jazze comme ga deux heures. Elle n'a pas fondu. Pas une fois, Elle a tenu le coup tout le long. Legere et fragile. Comme un cristal de neige. Ou comme plusieurs. Quand je suis sorti la temp€te etait finie, son Hot dei paroles s'etait universellement fige en un profond silence... Les retours de boule ont ete retardes. Exa est debarquee ä ras de crise, 311 asphyxiee par le monologue ininterrompu d'Amdlo qui he supporte pas les trous dans la conversation et moins vous. manifestez d'interet plus il en tut i pour vous: interesser. II lui a raconte tous ses put-blemes avec ses patrons et, au bas I'echelle comme . il est, il en a, il en a, c'est tout ce qu'il a. des patrons. Pendant que je deblayais la cour, elle a commande du fried chicken. J'aiete force d'aller le " chercher moi-meme chez le Grec, qui n'a plus de livreur. II n'y a meme. plus de Grec, plus que la Grecque, le Grec a eu une attaque. II n'etait pas cardiaque, il travaillait jour et nuit, il a juste eu le 4 temps d'attraper deux ou trois mois de francais. , I C'est en tout cas ce que m'a raconte le chanceuv qui attendait une pizza derriere moi. J'ai horreur du poulet nourri a la sciure de bois. Mais c'est Mere i: aux Trois Simon qui paie et c'est son delice. EUe Iorgne ma moitie en se regalant deja de tout ce que ' je vais laisser. Sur quoi, tout a trac, elle me dresse un autre bilan. ^ « Comment peux-tu gouter avec toute cette biere } en decomposition dans le corps ? Mais ca va, et tu i peux me souffler ca a la figure, et empester la mai- |, son avec tes cigares. On ne s'habitue pas mais ca va, Jf; je t'en aurai bien fait supporter autant. Ce. que je"^ n'ai jamais pu tolerer, queje ne peux pas te pardon- JU ner, c'est elle. On ne peut pas aimer 9a, ce serpent, ,Jf toujours en train de vous froler pour voir si elle ne ' pourrait pas: vous enfoncer ses crochets quelque M[ part, et. ne pas me mepriser. comme elle me fj meprise.» J| Vide ton sac. « Non mais tu ne l'as pas vue ?.,, Elle te draguait sous le nez de Julien, je ne compte meme pas le mien : eile pouvait regarder le hockey tranquille, assise ä tes pieds, la tete entre tes genöux, je n'etais pas de la Sainte-Trinite, je n'etais rien!... Tu n'as meme pas vu ce qui saute aux yeüx du premier venu : c'est tout en petits airs, avec rien par-dessous, ce n'est meme pas bon ä baiser. Pourquoi tu crois qu'il cherche tant ä s'en defaire, le divin Julien?... En faisant l'innocente, en se prenant au jeu s'il fal-lait, eile s'imaginait l'inquieter!... II faisait le mort. II y avait de quoi. II etait mort de rire... Malgre tout je ne perdais pas confiance. Je ne me disais pas: c'est avec ca qu'il va me tromper, cette becasse sur canape, les osselets dejä tous sortis pour etrangler le premier affame. Je me disais : c'est moi qui me trompe, il ne peut pas etre si b€te... » II n'y a rien ä repondre. Son idee est faite. Elle a raison, eile l'a decidee une fois pour toutes. Je ne me defendrai surtout pas. C'est une question de lois, et ca reviendrait ä passer en jugement devant un tri-bunal regi par les siennes... Un jour peut-etre elle comprendra. C'est elle qui ne m'a jamais aime. Vraiment aime. Aime les yeux fermes. Avec les mains qui cherchent, comme deux ailes qui auraient perdu leur oiseau... Comme je lui en veux et comme 9a me rend hideux. Comme je lui en veux de m'avoir ainsi defigure. Quand je l'ai connue, j'etais de ceux qui ne cherchaient qu'ä ne pas faire de mal ä une mouche, ä la plus moche, ä 312 313 L'accueiliir et reconcilier, a dignilier sa mochete. Elle etait si soule entre mes bras, si grossiere en rhanifestant ses desks, quej'ai eu du dedain, mais je rie me suis pas laisse rebuter dans mon gout de la combler d'egards au lieu de 1'humilier, 1'avilir, comme elle s'y prStait trop, meme si elle ne pouvait plus faire la difference. J'etais content d'avoir trouve 4uelqu'un d'aussi peu que moi, et lui prouver que »es mils sont les elus, les heritiers designes, qu'ils sont voues, avec tout le besoin qu'ils en ont, la place qu'ils lui font par le vide, a la possession du bien, celui qu'on a a se le donner, ce que nos meilleurs (nos inspires, nos lumineux) ont trouve de mieux sur leur chemin, et qui trainait... Ma parole, je plaide! Je me fais des effets de manche... Mauvaise conscience. On en a tous une : on est tous condamnes a mort done tous crirninels. On reconnait la sienne en celle des autres et on n'y touche pas, on n'y tourne pas son couteau, ga ne se fait pas entre petits etres humains...Et e'est, moi a qui elle ne pardonne pas, ce que je ne lui pardonne pas. ;■' Puisque e'etait comme ga, elle est montee se cou-cher. Avec le telephone. Qu'est-ce qu'il a du se cra-cher la-dedans comme saletes. Au propre et au figure. Le hockey aurait mis trop de vie dans le cimetiere, je ne l'ai pas regarde. Je suis tombe dans les poiriers en fleur du cote de Guermantes, et je me suis endormi avec Rachel-quand-du-Seigneur. « La vie ensommeillee dans la jeunesse et dans Pamour etait de plus en plus devenue un songe... » Le café nťattendait, impeccable, imperturbable. Elle avail ciré mes bottes. Pas par vice mais parce que ga la mortifie que j'en prenne si mal soin. Elles lui ont « coúté les yeux de la tele et elles ont Pair de sortir d'une poubelle ». Mais je n'ai rien trouvé dans le pot, ou je ne me corrige pas de chercher. La liste, e'est tout. Moutarde en ppudre. Citrons. Savon á vaisselle. Sac de litiěre. LJn petit (trois fois souligné)... C'est avec nos habitudes qu'on est vrai-ment en menage. Tant qu'elles tiennent, qu'il ne manque rien pour les perpétuer, on peut s'eiriper, pas de probléme. Walter repense au petit bar, á la petite. II a dans la bouche encore le goiit qu elle donnait á tout ce qu'il buvait et qui ne peut étre que le goůi d'elle, qu'il prend pour le gout qu'elle a. C'est chaud et frais. Un fruit pas encore ouvert, avec tout le soleil encore dedans... La mie á Pinťérieur du pain quand oň le sent qui cuit... U se reprend a rever puis il se reprend tout court. II a assez couru á reculons, chassé de nombrils pas encore sees ou raccrocher son cordon. La rupture avec Bri Pa sonné, et c'est son réveil qu'elle a sonné, il se le promet. II a tout son discoůrs á retournér, orienter dans le sens de son voyage avec la Too Much. S'il ne s'y met pas, il ne va pas la rattraper, il se retrouvera planqué cler-riěre encore une fois qui sera la derniěre. II ne l'aura pas accompágnée jusqu'au bout. II n'aura pas fait face au feu du méme front qu'elle. II n'aura pas sauté du méme pied qu'elle. II l'aura laissée tomber toute seule au champ d'honneur. 314 315 Je le rends tel que je l'ai lu. Je ne verrai pas trop de quoi il s'agit avant que la Petite Tare* tout a 1'heure, ne m'ait pas parte de cette page, euidiee a la lumiere d'une lecture complete. Les deux se seraient entendus pour mourir ensemble, et s'epou-ser ainsi a la fin plutot qu'au debut. Par ce « contrat de rriariage », ils seront sans pitie puisqu'ils ont la J~ raeme ame, et le premier qui manifestera, en se passant Panneau au doigt, que le temps est venu. sera % delivre par 1'autre, au moment juge bon, sans une larme, un mot plus haut que 1'autre. V «Blue Heavens forever!... » On s'y fie comme a -* un beau serment d'amour, tout lisse et tout dur. Pas une petite maitresse es lettres. Elle a gratte et trouve ■ que chacun, tout probable, a du « ciel bleu » range X quelque part et que c'est dans ce « ciel bleu » qu'ils 4 s'engouffreront, {'expression designant depuis la ,-,*> guerre un euphorisant dont les psychiatres a la * mode freudienne usaient pour defouler leurs vie- f times. . ; t « Et si ce n'etait qu'un roman... » Du haut de sa chaire, elle va m'assurer que non. II II en est tombe trop epais. On en aurait par-dessus les genoux. C'est la fin. On ne peut plus mar- !^ eher la peau de ses eaux. Ca me met en rogne. f! Quand je suis passe, Simon la Maree etait si .'J absorbe par ses travaux deblaiement qu'il m'igno- { rait completement. Je l'ai nargue, cet effronte. Je lui I at demande des tuyaux sur ce qu'Exa me jouait ; dans le dos, qu'elle me plaquait. \ « Vous autres puis vos problěmes!... » II en avail ras-Ie-bol. Amer, cornmc si e'etait ä lui qu'elle faisait le coup. On y a été : on sait comment ca roule quand ca vient se jeter dans vos bras pour pleurer, comment c'est glissant quand c'est tout mouillé. Par-dessus le marché, pas de Poppée. En congé. Elle est malade?.,. Pas pour mourir, me répond «Hellhenn », comme c'est marque sur sa petite coiffe ä la soubrette, assortie au petit tablier dont on verra quand elle se retöurnera que les cordons né couvriraient plus rien si un faux mouvement les faisait voler. Décidément impertinent, je 1'interpellé; «Personne ne vous a jamais appelée Sainte-Hélěne par hasard ? Un vieux soldat ? Napoleon?... » Distrait par son gréement, je n'avais pas remar-que ses yeux, verts, ardents, et qui me dardent. On se demande un peu pourquoi; Si c'est parce qu'on est tombé juste ou tombé sur la téte, A « C'est dans votre paren té?... » Le ton de son alio fait foi de tout pour mä Petite Tare. Aprěs, elle le soutient, le mieux que ca peut, comme un tempo. II ne fait pas exception, vif et vibrant. Le genre c,a se déglingue un maximum de tous les cotés c'est merveilleux. Ca s'est mál passé au Forum : Mackenzie a fait sortir Henri de ses patins avec ses grimaces et Bucyk en a mis trois dedans en avantage numérique. Qa a continue rue Sainte-Catherine, ou ils se sont coincés dans un bouchon. Julien est devenu violent. II tapait sur le 316 317 «J'ai parle ä Simon. Tu vas avoir de ses nou-velles... » Comme il n'y a plus qu'ün Simon pour eile, eile bondit. Puis eile flaire un piege et se ressaisit. « Ce que tu veux savoir, tu me le demandes. —- Justement, j'attends de la visite en fin de semaine. Si tu etais organisee, je la recevrais ici... » Ca passe mal mais eile avale. Elle s'arrangera. Est-ce que Pacha peut rester, est-ce qu'il sera micux traite?... Elle me fait bien savoir que c'est tout ce qu'elle veut savoir. Mais eile n'a pas le cceur ä faire la cuisine, et eile me sert un tournedos ä Ia semeile de hotte. « Tu vas me zigner longtemps comme ga ? » De zing, au sens de coups d'archet, sur les nerfs. Je suppose. Oü est-ce qu'elle a pris 9a? II lui met dejä des trues dans ia bouche ou quoi ? Je lui fais i savoir, en zignant son steak avec mon couteau, que i je ne lui dirai pas ce que je pense... « C'est 9a, ferme ta bouche quand tu manges ma bouffe.» Sans blague!... Et c'est reparti... Mais on ne peut ; plus aller aussi loin que dans le temps que ga finis-sait dans la couchette, oü on pouvait s'entre- '" devorer. Alors on s'arrete, aussi raide. Quoique... Elle suit le meme courant de pensee, je le vois ä ce qui fait peüller ses yeux, comme quand elle riait aux eclats, quelqtie chose de mouille que le battement L] des cils ne peut pas balayer. Avec tout ce qui nous * lie, le pire encore plus fort que le meilleur, quelques t mots pourraient tout arranger, on dirait. On les a "j sur le bout de la iangue, on dirait, et on ne va pas les trouver. Hein, ma furieuse? Je n'ai pas attendu le signal, je me suis risque, je suis monte lui dire bonsoir. Ca ne s est pas mal pass6. Elle m'a vire de bord mais elle m'a rappele. Pour me debiter sa legon sur Pacha et son horloge biologique. Et puis tout a trac : « La bagnole, tu peux 1'avoir. Qa ne me coute pas, ga me d6barrasse. Plus de tas de ferraille. Une Kawa 75Q ou rien.» C'est une moto, Une puante. Une grosse mechante. Je ne vols pas. C'est dans le tas de tout ce qui m'echappe. J'ai reve d'elle. Toute la nuit. Elle des-cendait, elle venait me trouver, brulante. EUe me faisait le true de la Petite Tare ajulien. Je me reveil-lais et elle trebuchait en se sauvant. Tombee a genoux, face contre terre, elle me tendait ses poi-gnets par-derriere. Pour que je 1'attache. Que je ne la laisse pas partir. Elle a laisse une petite valise entre les deux portes. Un baise-en-ville. Elle ne se Test pas fait dire deux fois, comme on dit. Elle la prendra sans dome en revenant du boule, elle ne m'a pas mis au courant de ses arrangements. Beaucoup de mal a me concentrer sur Walter. Pour aviver mon interet, je vais tout droit a « Sainte-Helene », deja reperee par anticipation. II a tire ses bottes et mis un pan talon noir qui avantageait sa taille elancee. B s'est lisse et pommade les cheveux pour se donner cet air que la Too Much estime aristocratique. II avait en lui de gagner. II a redemande le 13, et quand il est sorti, a 320 321 onze heures, dans lé salon bondé, il était. prét. La petite avait quelque chöse ä lui montrer mais ce n'etait pas sa bless urc, c'etait sä classe. II lui a pris les mains'et-s'est incline dessu's pour 1'invitcr á dan-ser avec lui cet Harlemv Nocturnequi annongait son ' numero. Les gars sifflaient dejä, huaient, allaient déclencher un chahut, mais elle a consenti, et gra- '■■ cieusement répondu quand il a change le tempo s pour la faire vaíser. Quand le patron, pas d'humeur :-f á rigoler, lui a rappele l'interdit de toucher, et qu'il 1'a pressée contre lui au lieu de la lächer, eile s'est abandonnée á lui, elle s'est rebiffée awe lui, sans se dégonfler, jusqu'ä ce qu'il se soit jugc satisfait, au dernier moment, ne tenant pas ä se faire vieler, mais decide ä faire «rendre au blanc-bee qui s'en char-gerait les honneurs dus ä (sa) dignitě d'O.S.F....» * . ■'-.'■'' ' .. -. ■ '■ ■ • ■ - »■ Le calcium a tout salopé. Parlez-moí ďun che- * min blanc. Parlez-moi ďun voyage blanc entre deux berges blanches. ,y A la Brasserie, toujours les mémes gueules, et > c'est ce que celles-ci se disent elles-ménies en me voyant ramener la mienne. J'ai feuiileté lcur jour- < nal. Je n'y ai rien trouvé, Iis n'y avaient rien laissé. "f «Alio!... — Oui, oui, puisque tu le dis. Mais peux-tu me ;«j le prouver ? » ti Oui, assure-moi que je ne rčve pas, que tu n'es ,U pas une idee que je nie suis faitc tout ce temps-lá, _»| une petite lumiěre fossile, un dernier éclat lancé par ^ un monde éteint?... : é 322 f í •'•''••'« Moi aussi je veux te voir pour te croire. Tais^toi et viens me voir que je te croie. On se cachera dans l'escaiier. On gělera... » Elle m'arrache un peu le cceur, je lui arrache un peu le sien. Ca fait: mal mais il n'y a que du bon. «Je ne peux pas. Ca ne s'arrange pas. » Je suis comme un oiseau sur la branche. Et qui se cramponne... Elle ne comprend pas ga. Elle ne voit pas qu'on y a notre nid, que dans les feuilles tout est | ecrit. Qu'on ne tiendra plus á rien si ga ne tient plus. Elle rie saura plus oil me trouver, elle n'aura plus oú se poser elle non plus. Elle se perdra elle aussi á chercher tout ce qu'on y a mis et on s'epui-sera á ne plus savoir ou revenir... Mais il ne s'agit pas de ga avec toutes les revelations qu'elle me reserve. « Tu as eu du flair. Walter est vivánt, il est ton voisin, sur l'autre lie. Personne ne le voit plus parce qu'il se remet mal d'une fracture á la máchoire, qu'il a attrapée en se battant pour Sainte-Hélěne, comme tu vas le lire á la fin du cahier. » Et cette Sainte-Hélěne, qui est restée la consolation de son Napoleon, qui le visitě et qui remue ses ennuis de mauvaise fille avec lui, ne fait qu'une en effet avec mon Hellhenn. C'est de Poppée, qui est sá « bitch » (sa meilleure), qu'elle le tient, et d'autres details, méme si elle s'est gardée de l'irriter en lui tirant les vers du než, Le couple O.S.F.-S.F.A. est bien"coririu dans les entours, sous les noms de Sef et i Sweet. La Too Much est une assez forte et encore assez belle personně usee par les trávaux domes- 323 tiques ou elle s'est fait la meilleure reputation. Elle impose le respect, on la salue comme une dame. On ne comprend pas ce qui la fait se crever pour ce « vieux snoro »,(du yiddish shnoerer, bourdon, parasite enjoleur, precise-t-elle). On a repandu que c'est une espece de frere un peu sonne par la guerre et :" dont elle s'est chargee, par grandeur d'ame... Si elle allait se marier et si elle se cherchait une couturiere, ce serait complet... •§ « Elle se disait vieille, avec un drole d'accent. Elle tient a se faire habiller par Exa, et en grand secrei, je crois, puisqu'elle m'a donne un nom d'artiste... ^ — Tu me charries!... » ■ Ma soudaine intuition la gagne. Elle se sent avec. moi froler une autre planete, un autre monde, ou ils J nous apparaissent, elle transfiguree par son voile nuptial, toute rajeunie, et les deux couches dans leur lit, qui s'endorment ensemble, une derniere | fois, la bonne... Ca nous cloue le bee. Ca nous tient 7 un long moment en totale resonance et jouissance a ':■ rebours. «Tu as vu comme tu es doue, comme on a rai- 4 son de croire en toi, comme tu as mis dans le mille 5 encore, pour S.F.A?... Sweet, sweet fuck, sweet fuck \ all... C'est fou tout ce qu'il y a la-dedans... » | Elle s'ent€te a decoder O.S.F., toujours en suivanl j la piste Overseas Servicemen.;; Elle a beau etre j fausse, il faut partir d'une bypothese, avoir un oulil j pour fouiller, deterrer des choses. Si Walter faisait _» des. forces de debarquement, eta quoi d'autre un j petit mercenaire aurait-il bien pu servir, il n'a pas | etc ern-oye dans le Pacifique puisqu'il aurait iete rapatrieet soigne sur la c6te ouest... Total, elle est partie tot ce matin a McGill compulser des souvenirs de debarquement, en Sicile^ en Normandie... Ca la fait sortir de la maison. De la prison. A voir Julien tourner comme un lion, c'est le mot... «Je suis a bout, et pourtant, espece que tues, regarde un peu l'effet que tu me fais. Les sales coups, Tamer arriere-gout, ils se changent en coups de cceur pour toi, en douceurs et petites bouchees pour te gater. Tout le feu que je crache, il est souffle pour te tenir chaud.... Mais je ne fais pas le service a domicile... » Elle me dit, en soufflant dans Pappareil, pour me montrer par derision ce que 9a donne a cette distance.- Ce serait une folie d'y aller, et je n'irai pas, ce qui est en faire une bien pire, j'ai bien peur. Je me sens deraper, comme sa voix, qui se rattrape aussitot tandis que je ne le pourrai pas, je Pai decide. Depuis qu'il l'a traitee de maladej elle se censure, elle ne fait plus de reves ou elle s'abandonnait par-fois jusqu'au plaisir, en effet malsain. Elle ne se per-met plus qu'un cinema de violence et d'horreur. Ah il ne Pa pas ratee, il a saccage tout son paysage inte-rieur, dont il etait Pastre, et c'est lui, si cruel, assez pour la serrer dans les bras ou une autre vient de se moquer d'elle, qui la traite de malade, elle chaste depuis elle n'ose pas s'avouer quand, de peur que du coup sa feminite s'atrophie, sa fleur se fane. Elle n'est pas frustree, il ne faut pas croire. Malgre tout, 324 325 elle s'en fout. L'idee lui plait bien avec tout ce gout qu'elle inspire, mais l'idee qui iui plait plus que tout c'est l'idee qu'elle s'en fbut. Qu'elle n'appanient ni a ga ni a rien, mais a elle seule. Je le lui dis tout net : ■ « Ca va finir par te sortir de partout. — Je m'en fous! Tu passeras un torchon.;. Tu vas me repondre o.k. salut, ne fais pas ga, ce nYst pas drole, attends, attends-moi, aime-moi encore un petit brin, je ne me sens pas a 1'abri de je ne sais quel peril;.. La drogue? La prostitution? L'ano-rexie? La dyspepsie?... Ne sois pas chiche et mechant, crains encore pour moi un petit brin... » Ce qu'elle donne est si plein, si vif, que je la vois, devant moi, sur ecran geant, assise a terre et les genoux dresses sous le menton, blottie autour de 1'appareil en une contraction qui tend sur son dos la soie de son vetement, le genre kimono. Elle a fait un signe a Julien, en train d'eplucher des dossiers, et qui lui apporte un verre d'eau. « Dis-lui que ma biche est partie pour le weekend. Je suis seul dans mon bordel, je 1'attends. — Pas moi?... Pourquoi lui? Pourquoi pas moi?... Je ne comprends pas... Non non, ga va, je comprends, je comprends, va te faire fouler. » Je mets ma main, puisqu'elle y tient, mais ga ne risque rien, je ne la saisis pas, on ne peut pas la sai-sir, celle qu'on atteint en arme une deuxieme, une troisieme, aussitot pretes a surgir. Avec tous les cceurs qu'elle a, je suis tranquille, on ne se la fera pas. : Laissez-moi traverser un torrent sur ks wehes Quitter par bonds cette chose pour cette autre... lis lui vom bien tous ses Saint-Denys Garneau... Je la retrouve ä la Samuel Bronfman Library, oü je ne mettrai jamais les pieds. EUe s'est abritee dans un coin, Baa-Baa Black Sheep entre les mains^ qu'on lui a recommand6 pour son argot du temps de la guerre; Elle a mis ses lunettes. Tiens, eCe m'a cache qu'elle n'y voyäit rien, et je n'y ai rien vu; II est vrai qu'elle ne m'a jamais rien lu; Tout ce qu'elle m'a dit, eDe le savait par cceur... Mais eüe n'y perd rien, ga lui va bien, je me dis, chemin faisanty charge des provisions qu'Exa m'a fait faire pour que je ne manque de rien jusqu'ä ce qu'elle revienne... Fagon de parier. Elle a merne mis cigares, avec un point d'inter-rogation. Toutes ces fagons qu'elles ont de vous tenir, m§me quand elles ne tiennent plus ä vous! C'est crampant... Je m'autorise ä fouiller dans ses papiers, son agenda telephonique. A la recherche, apparem-ment, du nom donn6 par la future, que je retrouve et qui est bien «Alice»... Sweet Alice? Ca ne prouve rien, sinon qu'on s'est fait plaisir. laisse encore empörter par notre imagination, et je serais encore moins avance si je logeais un appel qui me le confirmait, alors je continue de feuilleter, ä rebours, jusqu'ä tomber sur un numero de la ^(illa) de l'A(nsej, mfil. Note debut decembre. Tiens, c'est ce jour-la, le jour de ce matin-lä. Bon, mais je ne vais 326 327 pas aller mettre le feu et me faire collier, leur don-M ner raison en sabotant ce semblant de liberte de mouvement qu'ils m'ont laisse. Je tiens plus ä ma peau qu'ä lasienne : aucune comparaison, suitout ; depuis ce qu'elle en fait. Mais on ne sait jamais avec tous les dechets qu'un bon brasier eliminerait, si je mc jetais dedans... La soiree se passe mal ä contempler le telephone, eprouver que la Petite Tare est dedans, que le bout de mon doigt la ferait surgir. G'est un miracle, et il ne rate jamais. Parce que nous laissons grandir le besoin, monter l'energie qui le produit... Comme ga : va etre long mais comme ca va etre bon, comme ca va venir nous chercher, comme ce serait moche de le gächer...Ca sonne! Exa. Qui veut dejä, si j'entends bien,. des nou-velles de son chat. Elle parle tout bas, G'est le Troi-sieme Reich ou quoi? Puis crac, comme si on lui avait presse un bouton, eile attaque. : «Johnny, assez branler. On est deux grandes per-sonnes, on peut se parier franchement. On n'etait pas en aifaires, on ne se doit rien. Je ne te demande rien. Je te donne l'auto. Et je te donne un mois... » J'attends voir. Est-ce bien ä eile que je parle ? A eile seule? «Vas-tu avoir besoin de fric? As-tu une idee? Qu'est-ce que tu veux faire? En attendant les pinces de decarceration?... Je ne le sais pas, et je ne vais pas me le demander, ne comptez pas la-dessus, tous tant que vous : etes... » On est toujours en affaires. Tout a son prix. Si eile entendait me donner mon mois, eile n'avait qu'ä payer pour mes services,; et m'inscrire ä l'assurance-chömage. « G'est mon Samson, c'est sa passion, il tient les murs!» NYmpeche, ils lui seraient tombes dessus si je n'y aväis pas vu. Sans compter tout ce qui lui serait entre dedans si je ne m'etais pas mis dans ses jambes. Elle se serait ramassee ä l'egout. Son ex etait un sale. Elle avait dejä un pied sur le trottoir... Voilä tout ce que j'ai comme mauvaises pensees pour me bercer, me rouler dans mon lit. Elle m'a. Je suis eu. Je ne me possede plus. G'est ce qui arrive quand on se donne. L'eternel retour. Ca veut finir comme ca a commence. Dans mon cachot, ä Toronto. Mon espace est reduit ä rien, je ne peux plus bouger, plus allonger une jambe, un bras sans toucher le dur, et qu'il me renvoie ä moi obstacle immediat, infranchissable. Du cran. Du plus dur. Pas se lais-ser tasser. Rebondir comme une balle quand on se fait entrer dans la bände. Comme Henri, le Pocket Rocket. Pourquoi? Pour rien! Gompletement gra-tuitement. Par mauvais; esprit. Pour aucun avan-tage, aucune gratification. Parce qu'on n'est pas une putain. Parce qu'ön est une toupie, qu'on ne peut pas se tenir sur sa pointe sans tourner. Parce que personne ne va me ramasser si je me laisse tomber. Parce que tout ce qui traine se salit. C'est la danse de la survie. Si on saute un pas, on perd le ry thme, on est chasse de sa propre musique. 328 329 he cafe. Puis la toilette et presque pas de dejeuner, pour rester vide, ouvert, que le grand air sous monte ä la tetc, et qu'elie vous joue des tours; Puis Walter. Sa boite ä malle etait bourree de photos. II en est deborde qui se sont plantees, couchees, rou-lees dans la neige. Elles sont toutes d'elle. Elle les a prises avec un polaroid devant son armoire ä glace. Au verso de chacune, elle a mis l'heure. 9 : 25, eile sort du bain. 10 : 15, elle s'est fait une beau te. 13 : 45, elle est habillee pour sortir. Le plus grand ' nombre, oü elle a Pair toute nue, ont ete tirees dans le noir avec un flash insuffisant. Sur la derniere, au lieu de l'heure, elle a mis le mot fin. Bri. B.A,Bri. II ne s'est pas trompe. II ne va jamais regretter de l'avoir aimee. Puis pas a pas, et je n'en ferai jamais assez puisque chacun te possede en me rendant le desir de te posseder, je vais tracer un cercle encore autour de toi dont tu ne pourras pas t'echapper. J'ai boucle chacun sous le signe de Barabbas, Barabbas comme dans la Passion. Pas de Poppee. Sa bitch Hellhenn, qu'elie rem-/ place ä son tour quand elle se deregle... Elle me plante encore ses yeux dans la figure, y causant tous les degäts qu'elie peut, pour me prevenir, que je ■• n'aille pas m'imaginer que ce qui s'est ragote der- "-riere son dos me donne aucun droit ä une Sympathie que je ne lui inspire pas... Je le projette et eile i me le renvoie?.,. Paranoia?... Ga ne me surpren- "| drait pas. Maladie des rats, toujours chasses, mena- -:', ces. Quand ma mere est partie, sans me dire au revoir, mon pere s'est fait une petite amie, une grosse ä vrai dire, qui a decide que e'etait. elle qui etait chez elle pas moi chez. moi.-Ma ligne de vie etait tracee. G'est en tout cas ce que nous avions trouve, Julien et moi, qui passions nos recreations a nous psychanalyser, Ce qui ne le decourageait pas moins sur son propre sort, car d'apres cette science oü nous etions devenus des experts, il se voyait « condamiie », en cequ'il etait idolätre par sa mere, ä plaire, ä conquerir, toujours gagner, tout reussir; II m'enviait quasiment. II etait le veau d'or, le veau au superlatif, et moi le mouton noir, le rebelle,The Wild One, reincarne avec des boutons d'acne... Je n'en finirai jamais de m'expliquer pourquoi il m'a toujours, comme on dit, porte dans son cceur. Et si ga ne se coniprenait pas? Si ga nous depassait?... Au lieu de mes trois bieres usuelles, Hellhenn m'en debarde une demi-douzaine. J'avais vu juste apres tout. Elle se fiche de moi. «Tu es qui, toi?... » J'ai fait voir qu'elie me demandait l'heure, et que je n'avais pas de montre... A la satisfaction d'unc Petite Tare ulceree, qui ne mäche pas son com-mentaire. « Elles sont specialisees, les garces. Dans le tres eher et le tres selectif... Je lui racontais que la maladie, un cancer, terminal, m'empechait de me don-ner, est-ce qu'elie ric pourrait pas, et ga pressait, se prendre un peu pour moi, tenir mon role ä notre nuit de noces ?... Elle a lache le morceau : elles sont une dizaine et ne marchent qu'ä deuxy d'apres la 330 331 couleur des cheveux : une brune et une blonde, ou une rougette... A moins qu'on me charrie a mun tour. Qu'on m'att vue venir et decide de m'exploi-ter a fond... »v Tant mieux. Ca regie la question. Ca a bien Fair... D'autre part, elle se rejouit d'avoir mis une assez chic puce a foreille de Poppee, qui lui deman-dait a quoi tenait tout son interet pour Walter : «Je tele dirai quarid je saurai que c'est bien lui, le seul ... a savoir ce que veut dire O.S.F... » Elle ne sera pas plus avancee, je crains, et que c'est des plans pour que j'attrape un coup de batte de base-ball sur le •' coin du bibi. On ne sait pas trop a qui on a affaire au bar Au Quai... Cette mentaiite lui fait envie. Un : jour elle viendra m'y surprendre. En petit tablier '-' qu'on a qu'a soulever pour montrer tout ce qu'on a. Comme ga lui remonte le moral et que je vois Hell- ; henn s'executer, je lui decris Taction. Son true est de se plier sous le nez de son client puis, au moment ; de se reveler, ou juste apres, de se cacher en jouant avec ses brides. Elle le fait cinq ou six fois, sans , regarder, sans s'en meler, comme un exercice d'assGuplissement. Poppee est autrement adroite elle vous le fait comme si elle ne savait pas trop comment, qu'elle etait forcee, que vous profitiez de son humiliation, que vous devriez avoir honte... Et .. §ane me fait aucun effet ?.;••. En effet!... J'ai le cceur ,4, dur, elle trouve. Et ca la refait rigoler, mais ca n'a rien a voir; ga n'a presque jamais rien a voir. Elle rigole parce qu'elle est contente et que ca lui donne f; envie de rigoler d'etre contente, et elle n'est pas spe- j cialement contente, elle n'est pas contente parce qu'on Pa contentée mais parce qu'on ne l'a pas empéchée d'etre contente, parce que c'est dans sa nature d'etre contente: Si persorine ne lui faisait de peine, on serait toujours abreuvé par sa bouche un peu gonfíée comme si elle attendáit qu'on ait soif pour éclater. Je lui en fais le compliment. Elle le prend autrement. «Une bouche pour rire c'est une bouche pour rien... Mais c'est assez bon pour moi si c'est assez bon pour toi, qui sais toujours ce que je veux mieux que moi, qui sais me donner du désir et ne pas me 1'abimeř, qui sais vraiment me gäter... » Elle ne va pas se mettre á se fícher dc moi, elle aussi? On ne diraiť pas. Elle continue, elle en jette plein la cour. Je suis 1'espěce de sa vie! « Sans blague!... Cest un testament? Tli sens ta derniěre heure venir?...» Superstitieuse comme trente-six sorciéres, elle en a des frissons dans le dos: « Cest jeter un sort c,a, tu sais ga ? Tu m'as jeté un sort lä, tu sais qa ? » Et elle ne va pas toucher du bois! Ca m'apprendra! Si elle meurt, elle mourra en se disant que 1'ai mise a mort, que je me suis finalement decide... Au meme moment, quelque arrogant s'impatiente : « Vas-tu la lächer? »Je n'ai pas aussitöt écarté le rideau que Julien me tombe dans les bras, dégageant une cha-leur que je ne íui connais pas. Elle a raison : je ne sais pas ce que je sens mais ca se sent. A moins que je ne fasse que «realiser » ce qu'elle m'a raconté. Entre autres folies que nous faisons en nous arra- 332 ?! 333 chant le combine, je me demande avecelle comment je vais en venir a bout, il n'a pas Pair dans son etat normal. 11 veut savoir ce qu'elle me repond de si comiquc. ,: «II s'est mis a swigner, elle dit. A cote de ses godasses...» ■ II regarde Hellhenn avec insistance, inquiet de son cffet sur elle. Ca ne lui ressemble pas non plus. Ni son trop gros pourboire. Ge qu'il a je m'en doute bien, mais je ne savais pas que ca l'avait a ce point-la. II se sent demenager, decoller de la rea-lite... II me le dit dans une lettre qu'il avail commencee et qu'il me fait lire apres avoir inutile-men t cherche d'autres mots dans son verre. «J'en aime une autre, C'est dur. Dans tous les sens du mot. Le pire c'est qu'avec 1'autre on devient un autre en restant le meme, celui qui aime la meme, dont on a peur qu'elle reflete notre vraie identite, qu'elle seule en reponde, et de la perdre en la perdant. On s'arrache a 1'une, on s'arrache a 1'autre, elles s'arrachent en meme temps, a tour de role. Le mal dans tous les sens du mot... Arrange-moi ca, veux-tu?... » Ce n'est pas simple, il 1'avoue, mais il a simplifie, c'est encore plus complique...Je lui dis, avec un certain plaisir, ce qu'il veut entendre. « C'est degueulasse. Pas plus complique que ga. » Ca le soulage. II me secoue encore un peu la car-casse, il se decontracte, on va boire un coup tran-quiile, en admirant le paysage... Apres on verra, ga se sera peut-etre arrange tout seul... On voit qu'il n'est pas souvent en tré clans ce genre de boite a la facon dont il ne sail pas comment regarder Hellhenn. ■■ ■ « Hen, ca prend un n, pourquoi deux ti? Parce que j'en ai jamais assez. ee Tiens. on a quelque chose.en. commun. » Peu intéressée á 1'intérét qu'il porte á son cas, elíe p est déjá partie. Belle église, il me dií. Gonnais-tu ses heures de visitě? ; « Depuis quand tu ťintéresses aux églises ?■ — Quand on est pieux ce n'est pas le meillcur lieu pour faire ses devotions? — Voyons, qu'est-ce que ťu racontes? Tu fais la conversation?... » Le fait est que Toe a toujours les danseuses éro-tiques á la bóuche. Elle á méme cbntacté des agences et fait valoir sa formation, ses dispositions. ,! Par jeu. Et parce qu'elle continue, comme si de rien n'etait, á ramasser deš choses a lui raconter... Elle a fait un art de ce qui était devenu uně nécessité, avec tout le temps qu'ils devaient passer au telephone. Elle a méme étudié et développé des theories sur la Í parolCj la faculté vraiment supérieure de l'espece, I sinon la plus riche en connexions nerveuses. cqui-j; pée pour lui procurer ses plus grandes satisfactions. I lis s'entendaient d'autant mieux la-dessus qu'il en a f fait son metier. L'amour, le pouvoir, c'est par la J parole qu'on obtient tout ce qui compte. Qu'eSt-ce I qui couronne les chefs d'Etat et les autres bons ou r I mauvais maitres du monde ? Des discours. Et c'est { 1 toujours lesien, malgré tout, toujours savoix en lui, I qui continuera de gouverner sa vie. 334 335 « Brillante. Tu ne peux pas savotr. Elle'a'le don de jeter de la lumiere sur tout. Si quelque chose m'echappe, Poperation mentale qui me reussk le mieux c'est de me mettre a sa place, dans sa petite machine a piger... — Ca ne (ui a pas tellement reussi, on dirait. — Oui, mais moi ce n'est pas pareil, je suis , ingrat...» II me jette un long regard, tendu comme line perche, a un noye. Ou d'un noye a 1'autre. C'est 'i penetrant, les yeux de quelqu'un de sa famille. et profond, toutes sortes d'autres yeux y confondent leurs ressemblances et leurs signaux, leurs appels. II | a les yeux de la mere Francoise. Un peu exorbues. Un peu trop vifs. D'une sensibilite qui a Peclat de la durete... On n'arrivera a rien avec Hetlhenn, elle ne nous laisse absolument pas s'interesser a son cas. Aussi bien aller casser une croilte. Je ne veux pas l'emmener chez la Grecque. J'aurai peut-etre affaire J, a elle, et je vais passer pour un gangster au volant t de la B.M., dont je me charge. II a trop consomme ', pour le test. Moi aussi, mais moi qu'est-ce que j'ai a [ perdre? ; Je le vois de loin. Je le vois de dos se profiler dans [ le halo des phares. II empiete a moitie sur mon cote du chemin, et il ne va pas s'ecarter sous les coups de 1 klaxon, meme pas se retourner. Je ralentis. Et il 4 m'apparait... Tete nue malgre le gel, il a les cheveux jetes en arriere et qui debordent autour du col • fourre d'un blouson pele, 1'« aviateur » du cahicr. II est grand, droit, trop : son allure est contractee, par s une minerve on dirait. Sur la manche, a 1'ameri-caine, il porte une serie de lettres, Aveugle par le choc, on ne peut pas lire. On n'a pas besom, on sail ce qu'elles disent. O.S.F. .. « C'est lui!... C'etait lui!.... » . Pourjulien, qui a tout observe bien froidcment, ca ne colle pas. Du tout. C'etait un homme encore jeune. La quarantaine. Et ce qu'il avait au bras res-semblak plus a des ecussons de hockey. II lui faisait plutot I'effet d'un coach pris dans une histoire de mceurs et qui s'est jete dans la boisson, qui le faisait marcher si raide. Et puis Walter n'aurait pas eu froid aux yeux, il nous aurait regardes en pleine face... Ca ne m'impressiorine pas. Rien ne peut se mesurer, comme verite, aux energies qui ont grave dans mon cerveau ce train d'images. « Et puis qu'est-ce que tu y connais a notre Walter? » Tout. Elle lui raconte tout, en long et en large. II me dit, mais il suppose que je le sais, qu'elle a meme entrepris la-dessus un memoire de doctorat, ou elle entend definir 1'« objet Utt6raire », decouvrir et analyser ses proprietes... Elle me l'a dit mais ce n'est pas ce qu'elle m'a dit... Au Chaland du Chenal, il me prend le menu des mains. II commande pour moi, ce qu'il y a de mieux. Un chateau. (Un chateaubriant sans briant, *** comme entre inities.) De meme pour le vin. Un autre chateau. II est content que ma sentence avec Exa soit purgee. Puisqu'il faut feter, c'est ce qu'on va f€ter. Qu'est-ce qui me faisait done en vie avec cette malade? Les palmes du martyre? 336 337 « Sais-tu que j'ai eu á repoUsser ses avarices ?.,. — Elle était síiremeni soůle. Ou givrée. En tout :i; cas pas elle-meme. — Sais-tu ce qu'elie a fait de toi? — Elle m'a tué mais aprěs je n'ai pas eu á me plaindre, elle m'a jeté dans 1'alcool. et je me suis bien conserve. Je n'ai plus qu'a me débarrasser du ' corps.- Elle a bon cceur, elle va me donner tin coup J de main avec son frappé-bord. Mais le Seigneur est mon berger rien ne saurait me manquer... » II aime. La Petite Tare est pareille. Ca leur plait = qu'on les attaque et les rudoie, qu'on leur saute des- í sus comme des chiens fous avec nos pattes sales., «Qu'est-ce qu'on fait, on va lui faire son af- 'i faire?... -Qui ca?... .....— Qui tu voudras. Tout ce que tu voudras. ; Comprends-tu 9a? Tout ce que tu voudras. J'en ai plus qu'il m'en faut, mais qu'est-ce que 9a vaut si 9a ne peut pas servir, méme pas á toi?... Tu ne m'as ; jamais rien demandé, tu aimerais mieux geler dans un fosse, je sais, mais c'est moi qui te le demande : aie besoin de moi, dis-moi ce qui te ferait plaisir une bonne fois, et iaisse-moi te Poffrir... Veux-tu . T'OC?... »:':'■ La méme perche. Pas tendue ce coup-ci. Rabat-tue pour me débusquer. Je me sens avec tout mon Iinge arraché de sur le dos. II sait, parfaitement, combien j'ai peur de lui en vouloir, peur de l'avoir trahi et de l'avoir voulu. « Veux-tu en prendre soin pour moi?... Peux-tu 338 faire 9a pour moi?... Ou vas-tu la iaisscr se grigno-ter en t'attendant dans Pescalier?... — Vas-tu fermer ta gueule ? » Ma machine est debordee, elle ne pent plus tout traiter. Je ne vais plus ecouter, tant que je n'aurai pas compris son langage, ou compris qu'il ne joue pas, que c'est sa verite, tdute crue, comme if me Pa toujours dite. II commande un autre chateau. Neuf-du-Pape. II me fait choquer son verre : il m'avail promis une defence, une vraie. il va tenir parole, je n'ai qu'a bien me tenir. II ne va pas remonter en ville, il n'äuräit d'ailleurs pas de quoi. Toe est partie pour une sauterie avec son amicale de petits rats, elle en a pour la nuit. On va se prendre une caisse de 24 en passant puis aller se rachever tranquille-mentj en s'arrachant le cceur de temps en temps, , pour sentir de Pämour. ^ Qa sonnak quänd on est entres. Je reponds, on raccroche. Un petit controle? Julien fait le tour de la maison. Pour se reconnaitre. II y a comme long-temps, on a joue aux cartes ä quatre autour de la table ou on s'installe avec nos munitions, face ä face; II s'allume un cigare avec moi, pour faire comme moi, il ne fume plus, depuis «une escoüsse ». Aussitöt leves, deux bocks sont descen-dus, puis äüssitöt remplis. Ca commence a me faire plaisir de le voir. On se sourit, fixement. Deux par-faits debiles.. «Veux-tu Loupou? Aitnerais-tu mieux Lou- pou?» :: - II me sort la photö. De son portefeuille. Une blon- 339 de. Une beaute. Comme il en pleut dans 1'autre monde. Armee jusqu'aux dents. Morte de rire. De moi. « Tu l'as choisie dans im catalogue ? — Non justement. Ce n'est pas une creature de, reve, une idee qu'on se fait. Elle a des seins, un cul pour vrai, pas pour rire. Elle veut me faire des petits. ...... Qu'est-ce que ga veut dire, ga? — Queis enfants veux-tu qu'une enfant ait? D'oü ga lui sortirait? Par labouche? Comme un poeme?... Dans quel etat?... Pitie pour les enfants ä moitie faits...» II me met dans le tas. Court-circuitant des cou-rants ä fils decouverts, il vient chercher au fond de moi l'enfant dont on n'a pas eu pitie et dont il m'a dejä predit que je lui cröerais moi-meme un enfer en cherchant ä reconquerir sa mere ä travers toutes les megeres qui me la rappelleraient. « Elle est encore pire que toi. Dans un lit, c'est une enfant de huit ans. Pas moyen de lui donner du plaisir. Aussitöt qu'on l'excite, eile panique, eile a toujours peur de s'oublier, tout lächer... Quand je n'en ai plus pu et qu'il n'y a plus rien eu, eile s'en est passee, eile n'avait rien.demande, on s'aimerait un peu plus, il faudrait, tant mieux... Je l'ai ratee, quoi. Completement... Mais avec son petit frere pris par la main, eile n'aura peur de rien. Tu es bien place pour le savoir... Tu es bien place tout court. Elle t'a fait un tröne... » 11 me saisit les bras ä travers les bouteilles, cher- chant á changer la perche en passerelle, en poms et merveilles. « Elk- n'<^st pas ce qu'il tne Taut mais elle est ce que j'ai de mieux... Arrange-moi ga, veux-iu? Que je la garde. Que ce soit toi qui me la gardes. Que personne ne me la salope... » A 1'écouter, je crains bien plus pour lui. Je lui dis. Ca lui donne un peu froid aux yeux. Ca le fait s'occuper á rallumer son cigare. « Qu'est-ce que tu veux, petit? Les deux?... — A bien y penser, bátie comrne elle est, je lui ferais bien sortir mes: poubelles, á ta Ixiupou, Crois-tu que tu pourrais me combiner ga?... » Ca n'ira pas tout seul, if me répond. aprěs reflexion. II n'y a pas de quoi se tordre. On se tord pareil. Ca nous manquait. Un éclat de phares est jeté dans la cour. Des portieres sont claquées, les marches du perron battues. Pendant que je fais un menage express, Julien se rajusté et va ouvrir. La police, je ne sais pas pourquoi je pense á la police, je n'ai rien fait, je suis innocent, je n'ai absolument rien á me reprocher... « Mellhenn. Avec une copine. Je ne sais pas ce qu'elles lui veulent. Je pense que c'est du bien... » Je les rejoins dans le tambour, ou le chat s'est glissé entre les pattes. En jeans et blouson de ski, sans aucun maquillage, elles ont Pair de collé-giennes, et je ne doutě plus tout d'un coup que ce soit vrai qu'elles « ramassent» pour se payer des cours. Poppée m'annonce, en me piquant un clin d'ceil, qu'elles ont « score du bon stock », comme si 340 341 ga leur prenait souvent de venir fumer apres la galere, Elles me font des bisous en levant la patte et tout, histoire de bien se lancer et continüer lä-dessus, Elles se font presenter Jeff (comme dans « Mutt and Jeff»), venu les aider ä se débarrasser, débotter et rechausser en bas de laine bariolés dépa-reillés. «Attention les fílles, il a le bras long...» Cest vrai qu'il fait « assiette au beurre » comme genre, elles trouvent, impressionnées pas une sacrée miette. II leur trouve un petit ton pas coton non plus, puis il met le nez dans leur petit lot ďherbe, en connaisseur qu'il n'est pas, que je sache. «J'ai mieux que ca dans mes chapeaux de -.roues...» v Elles flashent... Cétait une farce. Pas mal plate, elles trouvent. «Oui mats j'ai su á quel gibier j'ai affaire... » Quoiqu'il se le demande encore quand je sors gueuíer aprěs le chatj qu'il me rejoint et qu'il voit que leur taxi les attend ■: « Cest quoi, 9a ? L'abon-dance ? » Je lui jette un peu de poudre aux yeux : «Non, c'est les vaches maigreSj 9a en prend deux pour en faire une. » Pendant que j'emplis les bocks, elles s'affairent á rouíer des joints, en se chuchotant des trues á foreille, histoire ďinquiéter, s'assurer un bon contröle. Julien marche ä fond, dont la fagon de rejeter la furriée comme si c'etait du tabac réjouit leur complické. «Vous avez 1'air de vous aimer beaucoup. Si on fermait les rideaux, nous feriez-vous un petit show ? » Elles vont discuter le coup dans un coin, avee animation. Elles reviennent en se tenant la main, l'air de consentir aux plus crasses caprices. « O.k., mais vous commencez les premiers.., » Elles nous ont bien poss6des. Elles en sont ravies et elles s'emploient ä nous bassiner lä-dessus, nous poussant a se donner un p'tit bee, rien qu'un p'tit bee, en troussant les pantalons pour nous rnontrer nos beaux mollets. Elles y mettent un joyeux entrain qui rechauffe aussitöt l'atmosphere. Elles ont mis les Stones ä plein volume, elles ont pousse les meubles, on danse. On fait ce qu'on peut, qui fait leur bonheur, moqueur, et on a le plaisir, religieux, de les voir flamber : elles ont le diable au corps. On manquait d'air, on a ouvert. Elles com-mencent ä lever en meme temps que nous ä decli-ner. On tombe ä terre, ventre en l'air. Pour nous remonter, elles roulent d'autre herbe. Elles me font le service a domicile. Sous la table, ou je me suis refugie. Elles s'allongent, une de chaque cole, ä l'abri du courant d'air. On s'envoie la fumee dans les yeux, les trous de nez, tout est hilare, ä se plier en deux. Julien s'ennuie tout seul, il nous offre une biere, qu'il nous verse ä travers le joint de rallonge. II la trouve bien bonne. Elles, bien plate. Elles se merit sur lui en huriant, puis vers 1'evier, ou elles se debraillent et s'essuierit toujours quand 9a fricote a —^ la porte. De la visite encore, Vite, au verrou. Gar si * 342 343 ce n'est pas le chauffeur, qui n'en peut plus, geíé ou asphyxié, je sais. qui c'est, ils ont les clés. lis p'assaient par hasard... Des bouňees de chaleur jaillissaient des fenětres, avee'les rideaux, le chahut de bordel, lěsxris de mort... Exa ne craint pas pour moi mais pour Pacha, qui ne s'en remeitrait pas ct qu'elle viení délivrer. Elle ne croit pas que c'est fait, qu'il a déjá filé, Le coco non plus, qui se met á s'en mcler. • .« Ouvre ca, mon sale! Ouvre ou je défonce!... » Toute la soiree, sans savoir, répliquer, Julien a essuyé des attaques á sa virilité trop triomphante. II a enfin de quoi se mettre sous la main, J'y allais, il me repousse, if va s'en. occuper... II ouvre et fait fronts sans hésiter, malgré tout le poids qu'il ne fait pas. ■ ■ «C'est moi ton sale. C'est quoi ton probléme? — C'est quoi ton idée, mon sale? — Ote-toi de ma face ou c'est moi qui vais te délbncer. — Ah oui ? Descends. Je te donne une minute. » On descend tous. J'en ai déjá plein les bras avec Exa. Et plein les oreilles. Elle va mettre les flics aprěs moi, et quoi encore. Mais je n'entends: pas, tout aux anxiétés d'avoir combine ce qui aboutit soudain á cette, sáloperie, oú sont sacrifiés mes liens avec.elle,. si solides encore, si vitaux, tout áThorreur de voir massacrer Julien, mon frěre, attiré dans un ™{ guet-apens, il n'y a pas de hasard, par les machina-lions de mon orgueil malade. Je me liběre et me .'. jette entre les deux, qui. se. mesurent encore. Laisse- Z le-moi,il esL á moi, c'est mon affaire!... Mais il le vcut, il le vcut, il le lui faut!,,. Ca fait rigoler le coco: « Chacun son tour!... » Puis il attaque enfm, ce que Julien attendait. Sur un élah qu'il dévie, il se colle ä lui pour lui ôter sa portee^ puis il eogne au corps, ä coups bas redoubles, comme je Tai vu faire au hockey. Si ľautre plie avant de ľétouffer, s'il lache prise une seconde, il le cogne au menton, de bas en haut... C'est fait, cá a claqué et les femmes ont crié. Le coco glisse et se tourne un poignet en se recevant dessus. Exa se rue ä son secours et met fm au combat en me crachant son mépris. Tan t pis. Je respire. Ca aurait pu étre pire. Julien était furieux. II y mettait tous ses élans brisés. II aurait pu y rester. « Hé les gars, c:'était quoi, 5a ? » Les lilies, elks s'en balancent, elles marchent au compteur, comme leur chauffeur dont elles se fichent aussi. Elles jouent ä se boxer en se traitant de sales puis en nous accablant de bruits de baisers, comme deux pedes, parce que je badigeonne á Julien ses éraflures aux jointures. Entre une autre biére et un autre joint, pour me rassommer, je monte á ľétage et jette un coup ďceil clandestin á ma furieuse. Elle se fait rembarrer par son coco qui saigne et que sa soUicitude agace : « Y a rien la!... » Puis la revoici qui s'est glissée de tout son long sous le taxi, ou elle a repéré son chat, qu'elle extrait de force. Elle sait ou est son bien. Tout est la, Julien réve ä sa Loupou et tous ses polls fous devant la télé qu'il a allumée, oü on ne voit que nei-ger. C'est ca l'amour ? Est-ceque c'est bien sérieux? 344 345 Lui qui se trouve >si malin, il aurait Pair bien plus malin, je trouve, ä croquer ces fiiles, dejä si deli-cieuses affalees sur mon divan, ä se payer nos tetes en somnolant. Leurs seins ont Pair si sages enfouis sous leurs1 tricots, escamotesj on se dit que c'est des vrais qu'elles ont mis pour nous faire plaisir, aussi sensibles äu toucher qu'ils sont touchants... A moins que la Petite Tare n'ait tout combine, jusqu'au moindre detail, sans regarder ä la depense. Je signified Hellhenn que j'ai affaire ä eile. Elle secoue Poppee qui sort sans demander son reste en refer-mant la pone. « Qu'est-ce que tu aimes ? » Elle veut dire ce que je veux qu'elle me fasse. «Les histoires... Raconte-moi une histoire. Parle-moi du vieux... » Elle a tout de suite compris. Elle reflechit. Elle va, ou eile ne va pas, me raconter n'importe quoi. Elle a le choix et eile est maligne. : «II n'en reste plus. Presque plus. II traine. II attend son heure, les yeux tout retournes pour aller voir ailleurs s'il y est reste... C'est comme un pere pour toi, c'est ga?... Ou si 9a fait partie de l'his-toire?... — Dans mon histoire, il avait plaque Bri, il commengait quelque chose avec toi... — - Quelle chose ? II ne dit jamais la m6me chose. II fabule. H radotc. . — II ne venait pas te; voir danser au bar Au Quai » II venait se degoüter pour eile. II avait le cceur sensible et 9a le lui soulevait pour elte. 11 s'est fait défbncer le portrait pour eile, quasiment casser le cou. II vouiait. rnourir pour elle, mais son « corps » était pris, il l'avait promis ä -sa vieille. Mais il avait été lache une fois et il pouvait trahir encore, si elle faisait un petit effort... « Pourquoi rnourir ?... Tu le faisais souffrir ?... » Un soir qu'il lui tripotäitles sentiments de cette fagori, elle a saturé. Malgrě son etat, son carcan, malgřé lä pudeur entre eux, la repugnance filiale,: elle s'oflre a lui, il échoue, il lui en veut, ä mort. II lui arrache Panneau qu'il lui faisait porter au cou, qu'ii lui avait donné comme son äme au diable, et il se le passe au doigt. Elle ne se rend pas compte. Ou elle triche. « Tu t'en fiches; on dirait, comme si tu racontais une histoire. — Ce n'est pas ce que tu m'as demandé ?... Pour ouvrir mon cceur, ce n'est pas le meme prix.» Jouons franc jeu, on va bien voir. Je lui sors ma: photocopie du cahier, je la lui mets sur les genoux, en lui résumant les péripéties. Elle s'installe dessus pour s'en rouler encore un. «Je connais, il m'en a lu des bouts i J'ai failli en hériter. II était venu me prendre en taxi pour me faire ses derniers adieux, parce que c'est toujours ses derniers adieux... Je n'en ai pas voulu. II pouvait les garden ses cádeaux, 9a Pexempterait de me les reprendre... II s'est enragé, il a baissé la vitre, il Pa jeté dans le decor... On a roulé toute la nuit. A écouter cliquer le compteur de ses derniers 346 347 milles, parce que c'est toujours ses derniers •nilles... — Ca lui cöüte toujours aussi eher, pour ouvrir ton cceur? ........- Ce n'est pas lui qui paie. C'est eile. Ii a pave ä la guerre, lui. II ne doit plus rien. D'apres eile. Et quand eile dit quelque chose, elle, il le pense. — Tu fumes comme une cheminee. » Lui aussi. Aya pris goüt avec eile. Ca le fait parier, se decoincer, il en avait besoin. Mais il a toujours son cauchemar qui revient. Tout ä coup, en plein jour, paf, ga le secoue, comme une taloche. La chienne qu'il a eue. La chiasse autremcnt dit. « What have we got here, Overseas Forces, or Old Skit-., faces?...» lis sont debarques les premiers, avec Tony. Tony son meilleur. Tony the Turde, il l'avait appele. Comment ga se fait qu'il courait si vite ä Sorrento, comment ga se fait qu'il courait devant avec ses petites pattes, et lui derriere?... Comment ga se fait que c'est lui qui a ete fauche quand ga s'est mis ä cracher?... II l'a laisse tomber!... Tomber plein de trous ä sa place!... Puis il se remet ä brail-ler. ä räler. II a creuse des rivieres dans sa figure tel-lement il a pleure pour Tony... Old Shitface. Vieux foireux?... Curieux. J'ai toujours cru que l'expression signifiait ivre mort, soül crasse... Mais pour un soldat de 43 ga revenait peut-etre au meme, ä tout ce qu'il y a de plus degueu-lasse. '■■ « Ca va?... Ca t'excite ?... >> : ; Elle a des velleites de gagner honnetement son fric. Je les reprime. Elle va voir si Poppee a fini... Julien lui a Cede lelauteuil qu'il a incline pour lui faire un meilleur lit. Iis dorment ä poings fermes, lui sur un coussin, par terre. Elle ne va pas les deran-ger. Tapant dans les carreaux, elle se soucie enfin du taxij qu'elle renvoie. « Oü je me mets ? » Le divan ne se convertit pas mais le dossier se rabat.Il s'agit de trouver la petite manette. Ädeux on va bien y arriver. «Je garde mes sous-vetements?■■■■ — Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse?.., » II faut bien lui faire unpeu payer ses petits sar-casmes. Elle reste assise au bord, avec ses velleites qui la reprennent, exprirnees par une demangeaison dans le dos, oü eile ne peut pas se gracter. Je sauve-rais bien I'honneur de Lavaltrie, mais je suis medio-crement tente. Au premier signe de bonne volonte, je le sens, elle va ouvrir son petit reticule, qui ne l'a pas quitte, et me presenter un choix d'imper-meables. Sans compter qu'elle s'est rasee pour les besöins du metier et que ga m'inspire autant, met-tons, qu'un jardin asphalte en parking. En dernier reCours, au diable son precieux sommeil, elle veut aller nie chercher Poppee, qui est plus douce (plus smooth, elle dit). Une bonne fois, je lui dis, il n'y a pas le feu. « As-tu un probleme?... » , Qu'est-ce que ga peut lui faire ?j.. A elle, rien. Mais elle en connait une qui a 1'air pas mal interes-see... Et elle me jette un regard de chat qui sort du sac... 348 349 « On va avoir Fair lines, il ne s'est rien passe. A ■moins. qu'on s'arrangc- avec toi... On en; meUra autant que tu voudras.;.. On ne peut pas trop la desappointer, eile y tenait tcllement... Que ca se fasse et qu'on la fasse entrer dans les details... — Qu'est-ce qu'elle veut savoir, tu: crois ?-.--■ ■ r Si tu Faimes vraiment... Avec >tous tes moyens... »■.■■■■■■ Plus rien ne la re tenait par ici. Elle est tombee raide endormie. Quand Poppee est venue reveiller sa bitch en cätimini, qu'elles ont rappele leur taxi et qu'elles sont parties, immaculees (comme on dit, infiniment grossierement), je ne dormais pas encore, je cher-chäis a rassembler mes morceaux, qui partaient dans tous les sens, qui ne savaient plus oü se jeter avec tous ces murs qui se dressaient en meme temps, qui: me bloquaient jusqu'aux moindres repaires : les yeux d'une serveuse oü je ne serais plus reconnu avec mon masque arrache, un coin dans un bar oü je m'etais elimine, comme un objet consomme, une donnee traitee... Elles s'en allaient juste au mauvais moment. J'avais laisse mon etat second brouiller I'identite d'un corps oü mon pied en s'egarant avait decouvert une plage dont 1'eten-due se repandait encore quand j'ai compris que ce mouvement Femportait, que la main que j'y portais n'allait pas saisir et retenir sa chaleur, qu'ii etait trop tard, qu'il n'y aurait pas d'autre fois... Je me suis reveille avec Julien, quand il a eu fini de tirer la couverture a lui. Tous les radiateurs fonc-tionnent excepie Ic mien : il a quelque chose comme on dit. Mais je n'en fais aucun cas. Je le prends comme il est: Tant pis pour lui. « C'est tout ce que tu leur fais, la jasette?... » On va se regaler. On se fait des ceufs au bacon. Aussitot debout, il a rejoint sa Loupou dans son lit. Je me suis bouche les oreilles. «La drogue, le sexe, le rock'n'roll!... Une orgie!... /I m'en pas!... » II a garde le telephone ouvert, pour lui fajre sen-tir le bori cafe, les bonnes toasts, et la faire jouir de notre compagnie, meme si j'ai refuse de «lui dire un petit mot »,J'en ai juste; des gros, je lui ai fait dire, ce qui a eu l'heur de l'amuser. «Comme ga qu'il me pique toutes mes conquctes. » lis ont deja leur propre facou, coquine comme tout, de se dire au revoir. Fais-moi la moue, il lui dit. Je te la fais fort fort, elle lui repond. Est-ce qu'elle lui fait vraiment la rrioue a l'autre bout? Est-ce qu'elle va jusque-la? Heureux comme ils ont Fair, ca ne m'etonnerait pas. : ■ : De plus en plus plates, ses farces, decidement... Tout le temps qu'ils s'en fourraient partout, je Fimaginais, la pauvre enfant de huitans, menacee, chassee,: forcee comme un. trop petit oiseau de s'elancer du haut de son baicon... Qu'est-ce que tu fabriques, on ne s'etait pas dit qu'on s'atten-drait? : « Vous 6tes hideux...» 350 351 (Safires est le mot que je cherchais. Deux vrais satires. Qui sapent ct quipiaqucnt.) II-en convient. A sa fagon. «Justement. Ce n'est pas facile; On se serre les coudes...» Avant de partir. vers onze heures, leur heure, il donne un coup de 111 a la maison. Ca ne repond pas. « Les petits rats ont passe la nuii sur la corde a Huge, on dirait. — Ca ne t'inquicte pas? - Pourquoi? Elle n'est pas entre bonnes mains?... » ■Les miennes, il veut dire, qu'il me prend et qu'il serre : «On se compte dessus, pas dessous!...» Comme au college. Meme s'il n'en croit plus un mot... Si je suis fichu pour lui... Mais il faut bien les aimer pareii, ca leur fait tellement plaisir, ga leurs yeux si lumineux. - ■ Je mets unpen d'ordre en refaisant le numero tous les quarts d'heure. Elle ne me repond pas non plus. Puis je mets fin a ces transgressions : pour que )e miracle opere, il faut passer a travers toute la cere-monie. D'abord un: « Envoi >> de Walter a Sairite-Helene, ou je ne comprends pas tout, pas parce que e'est trop cafouille mais que e'est de la vraie poesie, qui me depasse, comme il se doit. Ca n'a meme pas Pair de rimer avec les propos de l'interessee. Napoleon ust mort mais ce n'est pas assez: il va mourir encore ..■ il en a pris le gout ,-■ et va recommencer toutes les sainksjbis que n'aura pascomptees : :::::: .. la petite pute qu'elle est en lui mikinl au cou ..... pour Vembrasser, C'est le debut. C'est apres que ga se complique. Elle va le detrousser, et la Too Much a travers lui, comme il le merite, et qu'il en convient cn vicux puant suppliant qu'elle a fait de lui, infirme, impuis-sant, condamne au courage dont il allait encore manquer. Je fais mon tour a contre-cceur. Ca ne me terue pas. Je ne fais que presser le pas pour me trouver au plus vite installe a la Brasserie, avec ma biere en fut. avec mes nouvelles de seconde main, avec elle.,. Je ne suis pas aussitqt assis qu'on me siffle a la caisse. Un farceur. « C'est toi Air Italia?... Un message pour toi. Line femme! » Un numero. Farci de six qui me font un drole d'effet, Mais il n'y a pas ni de six ni de ga, il faut passer par la. Une voix d'homme qui meme s'il n'a rien dans la bouche a l'air de le savourer. La classe. II ne comprend pas. II me fait repeter. S'il vous plait?... .. « II n'y a pas de Petite Tarte ici. » Je n'ai pas le temps de me rejouir. Le combine est 352 353 rattrape, change de mains. Je reconnais dejä son souffle, oppresse. : « Oui, il y une Petite-Tarte ici. II y a une Petite Tarteici, une la, une partout ou il faudra pour toi. Et tu peux faire lout ce que tu veux de moi, meme rien d'elle si c'est tout ce que in veux. Rien ne pourra changer 9a. Rien ni personne... Emends-tu? » Elle s'est mise ä chuchoter. Pour se cacher. Ou me cacher. Ou pour que 9a me caresse, que sa cruautc meme nie caresse. «Je ne peux pas te parier. C'est si soudain, si; puissant, j'en suis tout etourdie, prends-moi par la main, tiens-moi bien... Et prie pour moi, rends; grace avec moi, je ne te dis que ga!...» Je ramasse mes pedes. Mon petit. Moi obstacle aboli. Qu'eile abolissait. Je n'ai plus affaire ici, meme plus ici. ■■■■■■: ■ Je d6fais ce que j'ai fait de mon tour en leparcou-rant ä Penvers. Je connais bien les broussaüles ou j'ai trouve le cahier, je les ai toujours saluees en passant. Je leur lance ä bout de bras ma photocopie. Ce n'est pas vraiment 9a mais c'est toujours 9a. .: Ca klaxonnait. Je n'ai pas bronche puis 9a nf a agace et j'ai repris du chemin. Ca a voulu me fon-cer dessus et 9a a perdu le contröle en m'evitant au dernier moment. Une grosse voiture noire clcrapait de travers et piquait du ncz dans le fosse. La Buick de la nuit passee. «Je voulais te euer!... Tu sais 9a?... » s Exa crie, pleine d'autres cris qu'elle se retieni. de pousser et qui la secouent toute. « Me tuer moi?... Depuis quand on tue ceux qu'on aime?... - Toi?... Toi?... T'aimer toi?... » Gueulant aussi fort qu'elle, jem'approche afin de m'arc-bouter au pare-chocs, et tácher de la sortir de la. «Je t'aimc bien, moi!... » v Elle n'en a pas cru un ii'aitre mot. Elle a tournée la tete et attendu que je disparaisse avec mon visage á deux faces et mes figures de style. « Ote-toi de la! Je vais m'arranger toute seule! » Plus aucune confiance. Je ne me suis pas trompe. Mon mauvais pressen-lirnent éiait bon. Comme elle n'etait pás accompagnée au bal des petits rats, on lui a présenté ce cavalier. Trop beau, trop sexy pour ne pas etre trop cher, il lui a fait reflet d'un gigolo, et dans Pétát oú la mettait mon role en train de se jouer dans son cinema pervers, il s'est bientót assimilé au désir de Poppée qu'elle avail de ma part, á ma place; Elle s'etait de plus en plus émue á Pidée de le faire en merne temps que moi, avec n'importe qui. Elle a decide que ce serait avec lui. II est musicien. Pianisté. II a grandi dans la presqu'ile de Sorrento. II était petit gars quand les G.I.'S ont débarqué en 43. II a connu les Canadiens de la compagnie C, itaíos la plupart. Iís se traitaient entre éux d'Old Shitface, et on voyait qu'ils en avaiént bouifé... Le destin la frappait ma Petite 'Pare plein front mais cě n'est pás le pire. II allait la 354 355 frapper en plein cceur. Elle lui dormait line nuit a son hotel, et il a tout ete chercher, il a tout pris. Elle ne le connaissait pas et.il savait tout d'elle.Elle croit qu'elle l'aime, elle le croit de toutes ses forces. Et de toutes les miennes aussi, il faut. c est une question de vie ou de mort. Si elle nem'a pas au.bout du fil comme elle m-a toujours eu, meme au moment ou il le Ku faisait perdre, ou i, i, ilia possedait en faisant voler en eclats tous ses reperes, elle n'y aura plus rien dans ses chaussures, elle n'aurait plus de nom, plus d'ame, elle sera debranchee, elle va m'appeler de Philadelphie, ou elle va le rejoindre en tournee... Sa voix tremble un peu. Moins pour elle que pour moi, je crois bien... Mais ga ne craint rien. Qa ferait tellement son bonheur que ga fasse mon bonheur, c'est tellement le peu qui manque a son bonheur, le comble qu'ont les mesures vraiment pleines, on ne peut pas lui refuser ga, ce serait trop chiche et repugnant, on supporterait encore moins degacher son bonheur que de ne pas le lui avoir donne. ; « Benis-nioi, espece. —- Avec une petite eau de boudin peut-etre ? — Meme avec. ton. crachat, si tu veux... Tu ne m'as jamais embrassee. Embrasse-rnoi. » Qu'est-ce que ga veut dire encore, 9a? On a trouve comment on va rechapper. Facile-: ment... On a facilement mis la bagne en marche et on est facilement monte au village, a la Rose d'Argent. L'afiiche etait toujours accrochee, qui offrait de Pemploi. On I'a prise et pas autrement jetee sous le nez de la Grecque, person ni-. «Je suis votre homme. : — Minute!...» Une megere, 5a a bien Pair. fin' 356