IX. Naissance de la France (10e -- 12e siècle) IX.Naissance de la France (10e -- 12e siècle) >> L'an mil <<, une idée fausse sûrement, mais aussi le temps d'un grand changement. Après les dernières invasions, arabes, hongroi ses, normandes, un extraordinaire essor économique, démographique et culturel transforme la France et l'Occident. De ce mouvement bénéficie la famille royale des Capétiens, qui, à la tête du royaume de France à partir de 987, accède au premier plan dans le courant du 12e siècle. IX.NAISSANCE DE LA FRANCE 1 IX.A. L'ANARCHIE DU 10E SIèCLE 2 IX.A.I. LES DERNIèRES INVASIONS. 2 IX.A.II. LES GRANDES PRINCIPAUTéS. 3 IX.A.III. L'USURPATION DE 987. 3 IX.B. TERREURS ET PROMESSES DE L'AN MIL 4 IX.B.I. LES TERREURS DE L'AN MIL. 4 IX.B.I. LES GRANDS DéFRICHEMENTS. 5 IX.C. LES PREMIERS CAPéTIENS 6 IX.C.I. EFFACEMENT DU POUVOIR ROYAL AU 11E SIèCLE. 6 IX.C.II. SON REDRESSEMENT AU 12' SIèCLE. 7 IX.C.III. L'EMPIRE PLANTAGENêT. 8 On ne peut pas dater la naissance de la France... On peut seulement, dans la longue évolution qui a conduit de la Gaule franque au royaume de France, poser quelques jalons. Le traité de Verdun, en 843 [voir document IX.a.], qui a donné au royaume pour plusieurs siècles ses contours géographiques, en était un. Tout aussi importante, au terme de ce 10e siècle qui est un des plus tourmentés du Moyen Age, apparaît la date de 987, avec l'installation de la dynastie qui va incarner l'histoire de France jusqu'à la Révolution : les Capétiens. Leurs débuts, avant le règne de Philippe Auguste (1180), sont lents et modestes : ils se situent dans un contexte féodal peu propice à un pouvoir royal fort. Mais, en même temps, le royaume bénéficie de l'extraordinaire essor économique, démographique et culturel qui, à partir de l'an mil, emporte l'Occident tout entier et transforme le monde sous-développé du haut Moyen Age en un monde conquérant face à l'Islam et à Byzance : nouveau rapport de forces exprimé, à partir de la fin du 11e siècle, par le mouvement des croisades. IX.a. L'anarchie du 10e siècle IX.a.i. Les dernières invasions. Point d'aboutissement, depuis les âges préhistoriques, des grandes migrations eurasiatiques, l'extrémité occidentale de l'Europe connaît aux 9e et 10e siècles trois dernières vagues d'invasions. L'une, venue du sud, est le prolongement de la poussée musulmane : implantés en Afrique du Nord, en Espagne et dans les îles de la Méditerranée, les Sarrasins lancent des expéditions navales sur les côtes du Languedoc, de la Provence et de l'Italie, voire s'installent en quelques points fortifiés d'où ils terrorisent les populations : par exemple Fraxinetum (La Garde- Freinet ?), en Provence, qu'ils occupent jusqu'à la fin du 10e siècle. Venus des pays Scandinaves, les Vikings - en France, on les appelle les >> hommes du Nord << : les Normands - ne procèdent pas autrement. Avec leurs longs bateaux, les drakkars, ils remontent le cours des fleuves, à commencer par la Seine et la Loire ; descendus à terre, ils volent des chevaux et s'en vont piller cités et monastères. D'abord sporadique dans la première moitié du 9e siècle, leur action devient massive à partir de 840. Ce n'est qu'après des dizaines d'années de pillages subis et de tributs versés, de batailles gagnées et perdues, qu'une résistance efficace s'organise. L'échec des Normands devant Paris, qu'ils assiègent vainement en 885-886, a valeur de symbole : ils vont passer désormais du stade du pillage à celui de la sédentarisation. C'est alors que surgit, de l'est, la dernière vague d'invasions, terrestre cette fois : celle des Hongrois - devenus peut-être les >> ogres << -, dont les raids, catastrophiques surtout en Germanie et en Italie, atteignent à plusieurs reprises la Bourgogne et l'Aquitaine. Le danger n'est conjuré qu'au milieu du 10e siècle quand le roi de Germanie, Otton Ier,1 les arrête à la bataille de Lechfeld (955). Nouveau sauveur de la Chrétienté, Otton va fonder en 962 un nouvel empire, le Saint Empire, centré sur la Germanie et l'Italie, et dont la France ne fera jamais partie. IX.a.ii. Les grandes principautés. C'est une époque de désolation pour les paysans, les habitants des villes et les moines, dont les lamentations sont parvenues jusqu'à nous. C'est en même temps une époque de redistribution du pouvoir politique. Les effets conjugués des attaques extérieures, des rivalités entre les rois et du processus de dissolution interne que nous avons déjà noté - tendance à l'hérédité des charges comtales et des bénéfices vassaliques - mènent à un véritable transfert de la puissance publique de l'échelon royal vers des échelons inférieurs, qui permettent de mieux assurer la protection et l'encadrement des populations. Déjà la Francie médiane s'est démembrée en ensembles territoriaux beaucoup moins vastes : royaume de Provence, royaume de Bourgogne et, au nord, la Lotharingie proprement dite, qui va devenir la Lorraine et que se disputent âprement Francs de l'Est et Francs de l'Ouest : finalement, toute cette Francie médiane va passer au Saint Empire. En Francie occidentale, dès le début du 10e siècle, s'opèrent des regroupements de comtés au profit de princes territoriaux qui prennent souvent le titre de marquis (en principe, celui qui défend une marche aux frontières) ou de duc. Au sud, les comtes de Toulouse deviennent marquis de Gothie, et les comtes de Poitiers, ducs d'Aquitaine. A l'est se forme un duché de Bourgogne, que la Saône sépare du royaume du même nom. Mais c'est au nord de la Loire que se joue l'avenir de la Francie occidentale, dans les vicissitudes de la lutte contre les Bretons - dont le chef, Alain, prend en 912 le titre éphémère mais significatif de >> roi des Bretons << - et surtout contre les Normands. Deux grandes principautés s'affirment alors : au nord, celle des comtes de Flandre ; à l'ouest, celle des Robertiens, descendants de Robert le Fort2, qui avait vaincu les Normands à Brissarthe, près d'Angers, en 866. Entre les deux se crée en 911 une principauté originale : par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, le roi carolingien Charles le Simple abandonne aux Normands installés sur la basse Seine et à leur chef Rollon, en échange de la promesse de devenir chrétiens et de défendre le pays contre tout nouvel envahisseur, le comté de Rouen, qu'ils vont progressivement élargir en duché de Normandie. IX.a.iii. L'usurpation de 987. Dans ces conditions, le pouvoir du roi carolingien, circonscrit dans la région de Laon et de Reims - on s'explique ainsi son intérêt pour la Lorraine -, s'efface de plus en plus. Dès la fin du 9e siècle, les grands du royaume, c'est-à-dire les princes territoriaux et les évêques, se sentent assez forts pour choisir eux-mêmes le roi, faisant jouer le principe de l'élection au détriment de l'hérédité dans la famille carolingienne. Pendant un siècle, de 888 à 987, alternent ainsi rois carolingiens (Charles le Simple de 893 à 923, Louis IV, Lothaire et Louis V de 936 à 987) et non carolingiens. Ces derniers, à part Raoul de Bourgogne de 923 à 936, appartiennent à la famille des Robertiens. Vainqueurs des Normands, marquis de Neustrie, puis ducs des Francs, ils tiennent la majeure partie des comtés de la Seine à la Loire et contrôlent comme abbés laïques les plus grandes abbayes, à commencer par Saint-Martin de Tours et Saint-Denis. Les deux fils de Robert le Fort deviennent rois : Eudes, le défenseur de Paris, de 888 à 893, et Robert Ier, en 922-923. Le fils de Robert Ier, Hugues le Grand, est l'homme fort du 10e siècle, mais il laisse aux carolingiens le titre royal. Cependant, lorsque le jeune Louis V meurt accidentellement et sans héritier direct en 987, les grands du royaume, poussés par l'archevêque de Reims Adalbéron [voir document IX.b.], choisissent pour la troisième fois un Robertien pour roi : le fils d'Hugues le Grand, Hugues Capet (ce surnom, apparu plus tard, évoque peut-être les nombreuses chapes3 [en latin, capa] d'abbé laïque détenues par Hugues). La nouvelle dynastie, cette fois, était née. Dès 987, Hugues, par précaution, associe au pouvoir son fils, qui lui succède ensuite sans difficulté en 996 : ce Robert II, qu'on appellera >> le Pieux <<, est le roi de l'an mil. IX.b. Terreurs et promesses de l'an mil IX.b.i. Les terreurs de l'an mil. Les terreurs de l'an mil sont nées sous la plume des écrivains des 17e et 18e siècles, toujours prêts à dénoncer l'obscurantisme du Moyen Age ; elles ont fourni à l'histoire romantique un thème porteur, illustré par Michelet. Mais l'historien en trouve aujourd'hui difficilement la trace dans cette période, si pauvre en sources écrites, qui va du début du 10e siècle au milieu du 11e. Certes, très tournés vers l'au-delà, les hommes du Moyen Age ont eu volontiers tendance à voir dans les catastrophes humaines (invasions, guerres, famines, épidémies) ou naturelles (tremblements de terre, inondations), et plus encore dans les phénomènes célestes (éclipses, comètes), des signes annonciateurs de la fin du monde. Annales et chroniques les cataloguent à l'envi. Mais il est difficile de savoir s'ils furent considérés comme plus nombreux aux approches de l'an mil qu'auparavant. Il est surtout loin d'être prouvé que, dans cette époque aux chronologies incertaines, une proportion significative de la population ait attendu la fin du monde pour le millième anniversaire de la naissance ou plutôt de la mort du Christ, en 1033. Quelques allusions, très rares, à des craintes de ce genre les montrent aussitôt balayées par des citations scripturaires : l'homme ne peut connaître >> ni le jour ni l'heure <<. Telle est l'attitude dominante, celle des ecclésiastiques. IX.b.i. Les grands défrichements. Fin du monde ? ou fin d'un monde ? Les auteurs du 11e siècle qui évoquent l'an mil, et tout d'abord un moine bourguignon, Raoul Glaber, qui écrivait vers 1040, voient plutôt dans cette date symbolique la promesse d'un âge nouveau dans l'histoire de l'humanité, un printemps du monde, incarné par les églises neuves dont se couvre le pays : >> C'était comme si le monde lui-même se fût secoué et, dépouillant sa vétusté, eût revêtu de toutes parts une blanche robe d'églises. << De ce renouvellement profond, moral et matériel, pressenti par les contemporains, l'historien accumule aujourd'hui les témoignages. Le phénomène majeur, bien qu'impossible à mesurer, est d'ordre démographique. Après des siècles de dépression, pendant l'Antiquité tardive et le haut Moyen Age, le mouvement s'est inversé : contrarié par les dernières invasions des 9e et 10e siècles, il s'épanouit enfin dès avant l'an mil et va se poursuivre jusqu'au milieu du 13e siècle, soutenant la première grande croissance de l'économie européenne. A cette croissance est traditionnellement associée la notion des grands défrichements du Moyen Age. L'expression a le mérite de souligner le caractère prioritairement rural de la croissance. Il s'agit d'une augmentation massive de la production agricole et surtout de la production des céréales. Elle est due d'abord à l'extension des surfaces cultivées par défrichement des forêts et des landes, mais aussi par assèchement des vallées humides et des marais : 150 000 hectares furent ainsi gagnés sur les marais atlantiques, du 10e au 12e siècle. Elle est due en même temps à l'élévation des rendements agricoles liée à l'amélioration des techniques et au plus grand nombre des hommes : outils en fer, charrue attelée, labours plus profonds et plus nombreux ; de 2 à 3 pour 1 à l'époque carolingienne, les rendements atteignent 4 pour 1 en Bourgogne au milieu du 12e siècle et 6 à 8 pour 1 en Picardie à la fin de ce siècle. Cette extraordinaire croissance s'accompagne de la création ou de la réorganisation des terroirs et des habitats, avec la fixation définitive des villages et des paroisses. Mais les défrichements n'épuisent pas tous les aspects de la croissance. L'augmentation de la production agricole libère des surplus qui sont négociables et des hommes qui peuvent s'employer à des activités autres que purement rurales. On voit alors se multiplier de nouveaux groupements humains à vocation marchande ou artisanale : faubourgs près des vieilles cités épiscopales ou bourgs nouveaux près des châteaux et des abbayes. Déjà nombreuses en l'an mil, ces créations, dont le rythme de fondation s'accélérera par la suite, justifient la construction de ces nouvelles églises - dans un nouveau style qu'on appellera >> roman << parce qu'il retrouve certaines traditions romaines - qui ont tant frappé Raoul Glaber. Mais, pour ce moine, le renouveau n'est pas seulement matériel, il est aussi moral : c'est un vaste mouvement qui, parti de la fondation de l'abbaye de Cluny en 910 et des institutions de paix4 garanties par l'Église à la fin du 10e siècle, aboutit, au 11e siècle, à une vaste réforme de l'Église elle-même : la réforme grégorienne5. Mais notons tout de suite que le mouvement de construction et de réforme s'est accompagné de la première floraison artistique de l'Occident médiéval qui ait laissé des traces abondantes. Le 11e et le 12e siècle sont les grands siècles de l'art roman, dont témoignent encore, avec leur décor de sculptures et de fresques, de très nombreuses églises rurales et urbaines dans la plupart des régions de la France. De cet essor, tous ont profité : à court terme, les paysans et leurs seigneurs immédiats ; à long terme, le roi capétien. IX.c. Les premiers Capétiens IX.c.i. Effacement du pouvoir royal au 11e siècle. Quand Hugues Capet devient roi de France en 987, le processus d'accaparement de la puissance publique par les princes joue maintenant contre les plus grands d'entre eux au profit de comtes d'un rang inférieur et même bientôt de simples possesseurs de châteaux : nous sommes désormais en pleine féodalité6. De la grande principauté que les Robertiens avaient tenté de constituer entre la Seine et la Loire, se sont détachés des ensembles moins vastes en faveur de dynasties comtales : comtes du Maine, comtes d'Anjou, comtes de Blois... Hugues Capet ne contrôle plus directement que les comtés de Paris, Senlis, Dreux et Orléans. Ainsi cantonnés en Ile-de-France et en Orléanais, les premiers Capétiens ne sont que des princes territoriaux comme les autres - et souvent beaucoup moins prestigieux que d'autres. Robert II (996- 1031). Henri Ier (1031-1060) et Philippe Ier (1060-1108) n'ont pas bonne réputation auprès des historiens. Du premier, célèbre en son temps pour ses démêlés conjugaux, un moine contemporain a dressé le portrait d'un parfait dévot ; le deuxième n'est guère connu que pour avoir épousé une princesse russe, Anne de Kiev, qui introduisit dans la famille capétienne le prénom grec de Philippe ; le troisième fut trois fois *excommunié pour avoir voulu épouser sa maîtresse et légitimer ses bâtards. Ils font pâle figure en face des grands princes du 11e siècle : un Guillaume >> le Grand <<, duc d'Aquitaine (vers 990-1030), qui faillit devenir empereur ; un Guillaume >> le Conquérant <<, duc de Normandie (1035-1087), qui réalisa en 1066 la conquête de l'Angleterre. Mais les Capétiens étaient rois : rois sacrés qui, par nature, appartenaient autant au monde ecclésiastique qu'au monde laïque et tiraient avantage de cette position unique, auprès des comtes comme des évêques. Ils ont eu aussi la chance d'avoir chacun un héritier mâle, associé au pouvoir du vivant de son père, et d'éviter ainsi, au terme de longs règnes, tout problème de succession. Ils ont été enfin des princes obstinés qui ont patiemment cherché, avec des succès divers, à maintenir l'étroit domaine qu'ils contrôlaient directement et, si possible, à l'élargir. Robert le Pieux réussit à mettre la main sur le duché de Bourgogne, mais doit vite le céder à l'un de ses fils : ce duché capétien de Bourgogne durera jusqu'au milieu du 14e siècle. Philippe Ier s'empare du Gâtinais, du Vexin et de Bourges. Mais, dans son propre domaine, son autorité est battue en brèche par les seigneurs pillards qui, à partir de leurs châteaux, dominent les campagnes et écument les routes. IX.c.ii. Son redressement au 12' siècle. Pourtant, le mouvement féodal va jouer finalement en faveur de la royauté. Ce revirement, peut-être amorcé sous Philippe Ier, s'affirme sous Louis VI le Gros (1108-1137) et Louis VII le Jeune (1137-1180). La lente récupération du pouvoir par le roi a pris des formes très variées. Nous pouvons en discerner au moins quatre. La plus spectaculaire est la lutte sans merci qu'ont menée Philippe Ier et surtout Louis VI contre les seigneurs turbulents d'Ile-de-France et d'Orléanais, tels Hugues du Puiset ou Thomas de Marie : ils y ont gagné d'être véritablement maîtres chez eux. La deuxième est l'utilisation systématique des liens féodaux au profit du roi : l'habitude étant prise que chacun soit l'homme ou le vassal d'un seigneur, il se constitue peu à peu une chaîne de vassalités qui aboutit au roi, lequel ne peut être le vassal de personne. A cette remise en ordre - troisième aspect - a puissamment contribué l'Église, déjà protectrice des mouvements de paix du 11e siècle ; les Capétiens ont su accepter en France la réforme grégorienne et ont soutenu les papes engagés alors dans un grand conflit - querelle des Investitures et, plus tard, lutte du Sacerdoce et de l'Empire - avec les empereurs germaniques, hostiles à la réforme et désireux de contrôler l'Italie. L'étroite alliance du roi et de l'Église apparaît au temps de Louis VI, Louis VII et Suger. Abbé de Saint-Denis de 1122 à 1151, ami et principal conseiller de Louis VI, tuteur du jeune Louis VII, Suger devient régent du royaume (de 1147 à 1149), quand Louis VII part pour la croisade ; l'abbaye de Saint-Denis, qui est la nécropole royale, abrite les insignes de la royauté - la couronne, l'oriflamme -, et ses moines, à commencer par Suger lui-même qui écrit la Vie de Louis VI le Gros, rédigent l'histoire officielle des rois de France. C'est enfin l'époque où apparaît autour du roi un embryon d'administration, centrale et locale. Dans son entourage, dans sa Cour, il choisit des familiers qui lui donnent des conseils politiques et qui vont former le Conseil du roi ; autour des chefs des services domestiques du palais - sénéchal, connétable7, bouteiller, chambrier, chancelier8 -, s'organisent les premiers services centraux de la monarchie ; en même temps, le roi surveille de plus en plus étroitement les agents locaux à qui il confie la gestion de ses domaines - les prévôts9 -, et il réussit à les empêcher de rendre leur fonction héréditaire. Le mouvement de réorganisation qui profite au roi de France profite également aux plus grands princes du royaume, qui sont ses vassaux directs et ses interlocuteurs naturels. A chaque occasion, le roi les convoque à de grandes assemblées, à des cérémonies familiales ou pour des expéditions militaires. Il intervient dans leurs différends, propose sans cesse son arbitrage et cherche à imposer, souvent à leurs dépens, sa justice. Il encourage à leur détriment ces nouveaux corps politiques qui, apparus à la fin du 11e siècle, se multiplient au 12e siècle : les communes urbaines. Mais il a affaire à forte partie. En France du Sud, les comtes de Toulouse et les ducs d'Aquitaine se conduisent en souverains indépendants. En France du Nord, deux grands vassaux du roi de France, portés peut-être par l'avance économique qui caractérise dès le 11e siècle l'Europe du Nord-Ouest, ont su plus tôt que lui utiliser les liens féodaux au profit d'un pouvoir supérieur : le comte de Flandre et le duc de Normandie ; devenu roi d'Angleterre, ce dernier développe de façon décisive dans l'ensemble anglo- normand les institutions féodales dans un sens favorable au pouvoir central. Les pays riverains de la mer du Nord et de la Manche - Flandre, Normandie, Angleterre - représentent alors un pôle de modernité politique et économique par rapport à l'ensemble du royaume et à l'Occident tout entier, Italie exceptée. IX.c.iii. L'empire Plantagenêt. De fait, dans la première moitié du 12e siècle, le roi de France est bien moins puissant et moins riche que son vassal de Normandie. Il y a là un danger potentiel pour les Capétiens, qui se précise au milieu du siècle lorsque s'éteint la descendance directe de Guillaume le Conquérant. On assiste alors à l'ascension fulgurante d'un seigneur de second rang, Henri Plantagenêt. Il hérite en 1151 du comté d'Anjou et de la Normandie, rassemblés par son père ; il épouse en 1152 la dernière héritière des ducs d'Aquitaine, Aliénor, divorcée quelques semaines auparavant de Louis VII après six ans de mariage ; il devient roi d'Angleterre en 1154 et s'empare ensuite du comté de Nantes et de la Bretagne. Les historiens français n'ont jamais pardonné à Louis VII d'avoir laissé échapper, avec Aliénor, l'héritage aquitain et d'avoir permis la constitution au profit d'Henri II de cet >> empire angevin << ou >> empire Plantagenêt << qui s'étendait de la frontière de l'Ecosse aux Pyrénées et englobait le tiers du territoire français, avec la totalité du littoral du Tréport à la Bidassoa. Mais nous touchons là le caractère paradoxal du pouvoir du roi de France à cette époque : qu'il n'ait pas pu empêcher la formation de l'empire d'Henri II prouve sa faiblesse ; qu'il ait survécu à ce danger et en ait, à la génération suivante, tiré le plus grand profit témoigne de sa force. Un tel paradoxe ne se comprend que dans le cadre de la société féodale. _______________________________ 1 Fils d'Henri Ier l'Oiseleur de la dynastie Saxonne, Otton Ier fut le premier empereur du Saint Empire romain germanique, en recevant des mains du pape Jean XII, en 962, la couronne impériale. 2 Comte d'Anjou et de Blois, marquis de Neustrie, Robert le Fort lutta contre les Normands 3 Chape. Grand et long manteau qui s'agrafe par-devant et qui est porté par l'officiant dans les cérémonies religieuses. Les Capétiens possédaient comme relique la chape de saint Martin et l'emportaient dans leurs expéditions militaires. 4 Paix (institutions de). Ensemble d'institutions établies par l'Église à partir de la fin du 10e siècle pour limiter les vengeances et les guerres privées. La paix de Dieu proclame l'inviolabilité de certains lieux (droit d'asile) et le statut protégé des églises et de certaines catégories de personnes (femmes, enfants, pèlerins, clercs, marchands...). La trêve de Dieu interdit la guerre pendant certains jours de la semaine et certaines périodes de l'année. Les participants s'engageaient par serment à respecter la paix et pouvaient donc, s'ils ne respectaient pas leur serment, être frappés d'excommunication. 5 Réforme grégorienne. Grand mouvement de rénovation de l'Église entrepris et réalisé aux 11e et 12e siècles, auquel le pape Grégoire VII (1073-1085) a donné son nom. Ce mouvement vise à émanciper l'Église de la tutelle des laïques. 6 Féodal, féodalité. Au sens strict, la féodalité désigne l'ensemble des institutions dites féodo-vassaliques qui régissent les rapports entre un seigneur et son vassal, rapports qui comportent la remise d'un fief (en latin, feodum) par le seigneur au vassal. Au sens large, la féodalité désigne la société qui reposait sur ces liens féodo-vassaliques et qui se caractérisait par une hiérarchie des hommes et des terres, par la prépondérance d'une aristocratie de guerriers, par le morcellement de l'autorité publique et des droits de propriété. 7 Connétable. Chargé, avec l'aide des maréchaux, de surveiller les écuries royales (comes stabuli, comte de l'étable), il devient sous les Capétiens un des cinq grands officiers de la couronne. C'est le conseiller militaire du roi et le chef de l'armée en son absence. 8 Chancelier, chancellerie. Devenu, sous les Capétiens, un des cinq grands officiers de la couronne, il est alors le principal personnage du Conseil du roi, qu'il préside en l'absence du roi, et le chef de l'administration royale. A la fin du Moyen Age, il devient aussi le premier personnage du Parlement. 9 Prévôt. Au Moyen Age, agent ou régisseur chargé de l'administration des domaines d'un seigneur. Les prévôts royaux, qui administrent les domaines du roi, exercent en même temps des fonctions fiscales, judiciaires et militaires.