VICTOR HUGO LA LEGENDE DES SIECLES 189 Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une Moabite 21, S'etait couchée aux pieds de Booz, le sein nu, Esperant on ne sait quel rayon inconnu, Quand viendrait du réveil la lumiěre subite. Booz ne savait point qu'une femme était lá, Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle 22. Un frais parfum sortait des touffes d'asphodele; Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala 23. L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle ; 70 Les anges y volaient sans doute obscurément, Car on voyait passer dans la nuit, par moment, Quelque chose de bleu qui paraissait une aile 24. La respiration de Booz qui dormait Se mélait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse. On était dans le mois oil la nature est douce, Les collines ayant des lis sur leur sommet.j' Ruth songeait et Booz dormait; l'herbe était noire, Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement; Une immense bonté tombait du firmament25; 80 C'etait l'heure tranquille oil les lions vont boire. Tout reposait dans Ur 26 et dans Jérimadeth 27; Les astres émaillaient le ciel profond et sombre; Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre Brillait á l'occident, et Ruth se demandait, Immobile, ouvrant l'oeil á moitié sous ses voiles, Quel dieu, quel moissonneur de 1'éternel été Avait, en s'en allant, négligemment jeté Cette faucille d'or dans le champ des étoiles 2S. Indiquer les différentes parties du poéme; tenter ď'analyser I'art de la composition. Préciser le sujet. La scene se passe á Bethléem : en quoi est-il important de le savoir? Montrer qu'il s'agit d'un moment capital dans 1'épopée de l'humanite. Montrer comment le poete a imité le ton de la Bible et créé une atmosphere de paix biblique, patriar-cale, nocturne. Relever et apprécier les images les plus frappantes. Quels sont ďaprěs vous les plus beaux vers du poéme? Que ressentez-vous en les lisant? — 21 Du pays de Moab, en Arabie Petree. — 22 Pourquoi cette insistance ? — 23 Collines pres de Bethleem. Apprecier les sonorites. — 24 Montrer avec quelle discretion le mer~ veilleux intervient dans cette strophe. — 25 Cf. p. 170, v. 21 et p. 184, v. 38. — 26 En Chaldee. — 27 Dans ce nom de ville forge par Hugo, on a pu voir un calembour (j'ai rime á dait), mais il existe des mots hébreux assez voisins (Jérahméel, Jérimoth). — 28 En quoi cette image couronne-t-elle le poéme d'une facon partículiérement heureuse ? Chanson ď « Eviradnus » Eviradnus (1858-1859) s'inscrit dans le cycle des Chevaliers errants. L'action se situe au XVe siěcle. L'empereur Sigismond, surnommé Joss, et le roi de Pologne Ladislas, surnommé zéno, trament un noir complot contre la jeune marquise de Lusace, Mahaud. Mais un vieux paladin, Eviradnus, est lá qui veille : il tuera les deux complices et sauvera Mahaud. Ici, dans un moment de detente, le ton devient lyrique ; sans doute c'est I'odieux Joss qui chante, et sa chanson est menteuse; mais nous oublions le drame pour nous Iivrer au charme tout musical de cette invitation au voyage et au réve ďamour. Gide lui-méme, pourtant severe pour l'ensemble du poéme, reconnaissait aux alexan-drins qui encadrent cette chanson « une extréme beauté », « une qualité particuliérement rare » (Eviradnus, XI : Un peu de musique). Ecoutez! — Comme un nid qui murmure invisible, Un bruit confus s'approche, et des rires, des voix, Des pas, sortent du fond vertigineux 1 des bois. Et voici qu'a travers la grande forét brune 2 Qu'emplit la reverie immense de la lune 3, On entend frissonner et vibrer mollement, Communiquant aux bois son doux frémissement, La guitare des monts d'lnspruck, reconnaissable Au grelot de son manche oil sonne un grain de sable; 10 II s'y mele la voix d'un homme, et ce frisson Prend un sens, et devient une vague chanson 4 : « Si tu veux, faisons un reve 3 : Montons sur deux palefrois ; Tu m'emmenes, je t'enleve 6. L'oiseau chante dans les bois 1. « Je suis ton maitre et ta proie; Partons, c'est la fin du jour; Mon cheval sera la joie, Ton cheval sera l'amour 8. 20 « Nous ferons toucher leurs tetes ; Les voyages sont aises ; Nous donnerons a ces betes Une avoine de baisers 9. « Viens ! nos doux chevaux mensonges 10 Frappent du pied tous les deux, Le mien au fond de mes songes, Et le tien au fond des cieux. — i Quelle impression traduit cet adjectif ? — 2 Cf. v. 32. — 3 Commenter cette transposition, qui annonce le symbolisme. — 4 Comparer le crescendo discret de ce prelude au decrescendo des v. 68-71. — 5 Comment se traduit, dans toute cette chanson, 1'invitation au voyage et á l'amour? — 6 Préciser cette conception des liens ďamour (cf. v. 16), et montrer en quoi le rythme évoque une chevauchée. — 7 Montrer que la nature va étre « Un bagage est necessaire 11; Nous emporterons nos vceux, Nos bonheurs, notre misere 30 Et la fleur de tes cheveux. « Viens, le soir brunit les chenes ; Le moineau rit; ce moqueur Entend le doux bruit des chaines Que tu m'as mises au coeur 12. « Ce ne sera point ma faute Si les forets et les monts, En nous voyant cote a cote, Ne murmurent pas : « Aimons ! » « Viens, sois tendre, je suis ivre. 40 O les verts taillis mouilles ! Ton souffle te fera suivre Des papillons reveilles u. constamment associée ä Vamour. — 8 Apprecier ce symbolisme. — 9 Quelle nuance nouvelle apparait ici ? — 10 Comment comprenez-vous cette expression ? — u Avec un sourire, Hugo enlace au theme de la chevauchée de réve (evasion dans l'amour) celui du voyage trés reel. Relever dans la suite des effets analogues. — 12 Apprécier cette préciosité nuancée d'humour. — 13 Parce qu'il est aussi suave que le parfum des fleurs. i