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LES CHANTS DU CREPUSCULE Par Victor Hugo
NOUVELLE CHANSON
SUR UN VIEIL AIR
S'il est un charmant gazon
Que le ciel arrose,
Oü brille en toute saison
Quelque fleur eclose,
Oü l'on cueille ä pleine main
Lys, chevre-feuille et Jasmin,
J'en veux faire le chemin
Oü ton pied se pose !
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S'il est un sein bien aimant Dont 1'honneur dispose, Dont le ferme devouement N'ait rien de morose, Si toujours ce noble sein Bat pour un digne dessein, J'en veux faire le coussin Ou ton front se pose !
S'il est un reve d'amour,
Parfüme de rose,
Oü 1'on trouve chaque jour
Quelque douce chose,
Un reve que Dieu benit,
Oü 1'äme ä 1'äme s'unit,
Oh ! j'en veux faire le nid
Ou ton coeur se pose !
Fevrier 18...65
AUTRE CHANSON
L'aube nait et ta porte est close !
Ma belle, pourquoi sommeiller ?
A 1'heure ou s'eveille la rose
Ne vas-tu pas te reveiller ?
0 ma charmante,
Ecoute ici
L'amant qui chante
Et pleure aussi !
Tout frappe a ta porte benie ;
L'aurore dit : Je suis le jour !
L'oiseau dit : Je suis l'harmonie !
Et mon coeur dit : Je suis 1'amour!
0 ma charmante,
Ecoute ici
L'amant qui chante
Et pleure aussi !
Je t'adore ange et t'aime femme. Dieu qui par toi m'a complete A fait mon amour pour ton ame Et mon regard pour ta beaute ! 0 ma charmante,
Ecoute ici L'amant qui chante Et pleure aussi ! Fevrier 18...
Les Feuilles d'automne
XXIX
LA PENTE DE LA REVERIE
Obscuritate rerum verba saepe obscurantur. GERVASIUS TILBERIENSIS.
Amis, ne creusez pas vos cheres reveries ;
Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;
Et quand s'offre a vos yeux un ocean qui dort,
Nagez a la surface ou jouez sur le bord ;
Car la pensee est sombre ! Une pente insensible
Va du monde reel a la sphere invisible ;
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La spirále est profonde, et quand on y descend, Sans cesse se prolonge et va s'élargissant, Et pour avoir touché quelque énigme fatale, De ce voyage obscur souvent on revient pále !
L'autre jour, il venait de pleuvoir, car 1'été,
Cette année, est de bise et de pluie attristé,
Et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre,
Prend le masque d'avril qui sourit et qui pleure.
J'avais levé le store aux gothiques couleurs.
Je regardais au loin les arbres et les fleurs.
Le soleil se jouait sur la pelouse verte
Dans les gouttes de pluie, et ma fenétre ouverte
Apportait du jardin á mon esprit heureux
Un bruit d'enfants joueurs et d'oiseaux amoureux.
Paris, les grands ormeaux, maison, dóme, chaumiěre,
Tout flottait á mes yeux dans la riche lumiěre
De cet astre de mai dont le rayon charmant
Au bout de tout brin ďherbe allume un diamant !
Je me laissais aller á ces trois harmonies,
Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ;
La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil
Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil
Faisait évaporer á la fois sur les grěves
L'eau du fleuve en brouillards et ma pensée en réves !
Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi
Mes amis, non confus, mais tels que je les voi
Quand ils viennent le soir, troupe grave et fiděle,
Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle,
Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent,
Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant.
Ils étaient bien lá tous, je voyais leurs visages,
Tous, méme les absents qui font de longs voyages.
Puis tous ceux qui sont morts vinrent aprěs ceux-ci,
Avec l'air qu'ils avaient quand ils vivaient aussi.
Quand j'eus, quelques instants, des yeux de ma pensée,
Contemplé leur famille á mon foyer pressée,
Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés
Pálir en s'effacant leurs fronts décolorés,
Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s'ecoule,
Se perdre autour de moi dans une immense foule.
Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas.
Ceux qu'on n'a jamais vus, ceux qu'on ne connait pas.
Tous les vivants ! - cites bourdonnant aux oreilles
Plus qu'un bois d'Amerique ou des ruches d'abeilles,
Caravanes campant sur le desert en feu,
Matelots disperses sur 1'ocean de Dieu,
Et, comme un pont hardi sur 1'onde qui chavire,
Jetant ďun monde á 1'autre un sillon de navire,
Ainsi que l'araignee entre deux chénes verts
Jette un fil argenté qui flotte dans les airs !
Les deux poles ! le monde entier ! la mer, la terre,
Alpes aux fronts de neige, Etnas au noir cratěre,
Tout á la fois, automne, été, printemps, hiver,
Les vallons descendant de la terre á la mer
Et s'y changeant en golfe, et des mers aux campagnes
Les caps épanouis en chaines de montagnes,
Et les grands continents, brumeux, verts ou dorés,
Par les grands oceans sans cesse dévorés,
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Tout, comme un paysage en une chambre noire
Se reflechit avec ses rivieres de moire.
Ses passants, ses brouillards flottant comme un duvet,
Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait !
Alors, en attachant, toujours plus attentives,
Ma pensee et ma vue aux mille perspectives
Que le souffle du vent ou le pas des saisons
M'ouvrait a tous moments dans tous les horizons,
Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes,
A cote des cites vivantes des deux mondes,
D'autres villes aux fronts etranges, inouis,
Sepulcres ruines des temps evanouis,
Pleines d'entassements, de tours de pyramides,
Baignant leurs pieds aux mers, leur tete aux cieux humides.
Quelques-unes sortaient de dessous des cites
Ou les vivants encor bruissent agites,
Et des siecles passes jusqu'a 1'age ou nous sommes
Je pus compter ainsi trois etages de Romes.
Et tandis qu'elevant leurs inquietes voix,
Les cites des vivants resonnaient a la fois
Des murmures du peuple ou du pas des armees,
Ces villes du passe, muettes et fermees,
Sans fumee a leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins, Se taisaient, et semblaient des ruches sans essaims.
J'attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes, Et je les vis marcher ainsi que les vivants, Et jeter seulement plus de poussiere aux vents. Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes, Je vis l'interieur des vieilles Babylones, Les Carthages, les Tyrs, les Thebes, les Sions, D'ou sans cesse sortaient des generations.
Ainsi j'embrassais tout : et la terre, et Cybele ;
La face antique aupres de la face nouvelle ;
Le passe, le present ; les vivants et les morts ;
Le genre humain complet comme au jour du remords.
Tout parlait a la fois, tout se faisait comprendre,
Le pelage d'Orphee et l'etrusque d'Evandre,
Les runes d'Irmensul, le sphinx egyptien,
La voix du nouveau monde aussi vieux que l'ancien.
Or ce que je voyais, je doute que je puisse
Vous le peindre : c'etait comme un grand edifice
Forme d'entassements de siecles et de lieux ;
On n'en pouvait trouver les bords ni les milieux ;
A toutes les hauteurs, nations, peuples, races,
Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces,
Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas,
Parlant chacun leur langue et ne s'entendant pas ;
Et moi je parcourais, cherchant qui me reponde,
De degres en degres cette Babel du monde.
La nuit avec la foule, en ce reve hideux,
Venait, s'epaississant ensemble toutes deux,
Et, dans ces regions que nul regard ne sonde,
Plus 1'homme etait nombreux, plus 1'ombre etait profonde.
Tout devenait douteux et vague, seulement
Un souffle qui passait de moment en moment,
Comme pour me montrer 1'immense fourmiliere,
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Ouvrait dans 1'ombre au loin des vallons de lumiere, Ainsi qu'un coup de vent fait sur les flots troubles Blanchir l'ecume, ou creuse une onde dans les bles.
Bientot autour de moi les tenebres s'accrurent, L'horizon se perdit, les formes disparurent, Et 1'homme avec la chose et l'etre avec 1'esprit Flotterent a mon souffle, et le frisson me prit. J'etais seul. Tout fuyait. L'etendue etait sombre. Je voyais seulement au loin, a travers 1'ombre, Comme d'un ocean les flots noirs et presses, Dans 1'espace et le temps les nombres entasses !
Oh ! cette double mer du temps et de 1'espace Ou le navire humain toujours passe et repasse, Je voulus la sonder, je voulus en toucher Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher, Pour vous en rapporter quelque richesse etrange, Et dire si son lit est de roche ou de fange. Mon esprit plongea done sous ce flot inconnu, Au profond de 1'abime il nagea seul et nu, Toujours de l'ineffable allant a 11 invisible. . . Soudain il s'en revint avec un cri terrible, Ebloui, haletant, stupide, epouvante, Car il avait au fond trouve l'eternite.
Les Rayons et les Ombres
LE POETE A LUI-MEME
Tandis que sur les bois, les pres et les charmilles, S'epanchent la lumiere et la splendeur des cieux, Toi, poete serein, repands sur les families, Repands sur les enfants et sur les jeunes filles, Repands sur les vieillards ton chant religieux !
Montre du doigt la rive a tous ceux qu'une voile
Traine sur le flot noir par les vents agite ;
Aux vierges, 1'innocence, heureuse et noble etoile ;
A la foule, 1'autel que l'impiete voile ;
Aux jeunes, l'avenir ; aux vieux, l'eternite !
Fais filtrer ta raison dans 1'homme et dans la femme. Montre a chacun le vrai du cote saisissant. Que tout penseur en toi trouve ce qu'il reclame. Plonge Dieu dans les coeurs, et jette dans chaque ame Un mot revelateur, propre a ce qu'elle sent.
Ainsi, sans bruit, dans 1'ombre, 6 songeur solitaire, Ton esprit, d'ou jaillit ton vers que Dieu benit, Du peuple sous tes pieds perce le crane austere ; -Comme un coin lent et sur, dans les flancs de la terre La racine du chene entr'ouvre le granit.
Les Voix interieures
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Quelle est la fin de tout? la vie, ou bien la tombe?
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Est-ce 1'onde oü 11 on flotte? est-ce 1'onde oü 11 on tombe? De tant de pas croises quel est le but lointain? Le berceau contient-il 1'homme ou bien le destin? Sommes-nous ici-bas, dans nos maux, dans nos joies, Des rois predestines ou de fatales proies?
0 seigneur, dites-nous, dites-nous, 6 Dieu fort,
Si vous n'avez cree 1'homme que pour le sort?
Si deja le calvaire est cache dans la creche
Et si les nids soyeux, dores par 1'aube fraiche,
Ou la plume naissante eclot parmi des fleurs,
Sont faits pour les oiseaux ou pour les oiseleurs?
24 mars 1837
Les Contemplations
XXI
ÉCRIT SUR LA PLINTHE D'UN BAS-RELIEF ANTIQUE A MADEMOISELLE LOUISE B.
La musique est dans tout. Un hymne sort du monde.
Rumeur de la galěre aux flancs laves par l'onde,
Bruits des villes, pitié de la soeur pour la soeur,
Passion des amants jeunes et beaux, douceur,
Des vieux époux uses ensemble par la vie,
Fanfare de la plaine emaillée et ravie,
Mots échangés le soir sur les seuils fraternels,
Sombre tressaillements des chénes éternels,
Vous étes 1'harmonie et la musique méme!
Vous étes les soupirs qui font le chant supreme!
Pour notre áme, les jours, la vie et les saisons,
Les songes de nos coeurs, les plis des horizons,
L'aube et ses pleurs, le soir et ses grands incendies,
Flottent dans un réseau de vagues melodies;
Une voix dans les champs nous parle, une autre voix
Dit á 1'homme autre chose et chante dans les bois.
Par moment, un troupeau béle, une cloche tinte.
Quand par l'ombre, la nuit, la colline est atteinte,
De toutes parts on voit danser et resplendir,
Dans le ciel étoilé du zénith au nadir,
Dans la voix des oiseaux, dans le cri des cigales,
Le groupe éblouissant des notes inégales.
Toujours avec notre áme un doux bruit s'accoupla;
La nature nous dit: Chante! et c'est pour cela
Qu'un statuaire ancien sculpta sur cette pierre
Un pátre sur sa flute abaissant sa paupiěre.
Juin 1833. XIII
PAROLES SUR LA DUNE
Maintenant que mon temps décroit comme un flambeau, Que mes táches sont terminées;
Maintenant que voici que je touche au tombeau
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Par les deuils et par les années,
Et qu'au fond de ce ciel que mon essor réva, Je vois fuir, vers 1'ombre entralnées, Comme le tourbillon du passé qui s'en va, Tant de belles heures sonnées;
Maintenant que je dis: Un jour, nous triomphons; Le lendemain, tout est mensonge!
Je suis triste, et je marche au bord des flots profonds, Courbe comme celui qui songe.
Je regarde, au-dessus du mont et du vallon, Et des mers sans fin remuees, S'envoler sous le bee du vautour aquilon, Toute la toison des nuees;
J'entends le vent dans 1'air, la mer sur le recif, L'homme liant la gerbe mure;
J'ecoute, et je confronte en mon esprit pensif Ce qui parle a ce qui murmure;
Et je reste parfois couche sans me lever Sur 1'herbe rare de la dune.
Jusqu'a 1'heure ou 11 on voit apparaitre et rever Les yeux sinistres de la lune.
Elle monte, elle jette un long rayon dormant A l'espace, au mystere, au gouffre; Et nous nous regardons tous les deux fixement, Elle qui brille et moi qui souffre.
Ou done s'en sont alles mes jours evanouis? Est-il quelqu'un qui me connaisse? Ai-je encor quelque chose en mes yeux eblouis, De la clarte de ma jeunesse?
Tout s'est-il envole? Je suis seul, je suis las; J'appelle sans qu'on me reponde;
0 vents! 6 flots! ne suis-je aussi qu'un souffle, helas! Helas! ne suis-je aussi qu'une onde?
Ne verrai-je plus rien de tout ce que j'aimais? Au dedans de moi le soir tombe. 0 terre, dont la brume efface les sommets, Suis-je le spectre, et toi la tombe?
Ai-je done vide tout, vie, amour, joie, espoir?
J'attends, je demande, j'implore;
Je penche tour a tour mes urnes pour avoir
De chacune une goutte encore!
Comme le souvenir est voisin du remord! Comme a pleurer tout nous ramene!
Et que je te sens froide en te touchant, 6 mort, Noir verrou de la porte humaine!
Et je pense, écoutant gémir le vent amer, Et 1'onde aux plis infranchissables; L'été rit, et 1'on voit sur le bord de la mer Fleurir le chardon bleu des sables.
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5 aout 1854, anniversaire de mon arrivee a Jersey.
La Legende des Siecles
La chanson d'Eviradnus
Si tu veux, faisons un reve. Montons sur deux palefrois; Tu m'emmenes, je t'enleve. L'oiseau chante dans les bois.
Je suis ton maTtre et ta proie, Partons, c'est la fin du jour; Mon cheval sera lajoie, Ton cheval sera 1'amour.
Nous ferons toucher leurs tetes; Les voyages sont aises; Nous donnerons a ces betes Une avoine de baisers...
Viens, sois tendre, je suis ivre. O les verts taillis mouilles ! Ton souffle te fera suivre Des papillons reveilles...
Allons-nous en par I'Autriche ! Nous aurons I'aube a nos fronts; Je serai grand, et toi riche, Puisque nous nous aimerons.
Allons-nous-en par la terre, Sur nos deux chevaux charmants, Dans I'azur, dans le mystere, Dans les eblouissements !
Nous entrerons a I'auberge, Et nous paierons I'hotelier De ton sourire de vierge, De mon bonjour d'ecolier.
Tu seras dame, et moi comte; Viens, mon coeur s'epanouit; Viens, nous conterons ce conte Aux etoiles de la nuit.
Victor HUGO, La legende des siecles