, " ~ • 1 • • "-< ~ • . ' . . ~~--- 884 VÛL't'AI:RE 10. LA DÉCADENCE INÉVITABLE Pour le commentaire. - On se reportera au «Tout est dit et l'on vient trop tard , de La Bruvere (Cf. édit. CAYROU,Didier, éditeur, p. 77 et notes), ainsi qu'aux théories diverses soutenues dans la Qnerelle des Anciens et des Modernes, (Cf. VIAL et DENISE, Idées et Doelrines littéraires du X VIl' siècle p. 247 et sq., et surtout XVllI' siècle, p. 47,50, et AB'lY ... , Lill. p. 300.) La fécondité Irttéraire du XVIIIe et du XIXe siècle fournira, pour réfuter Voltaire, des arguments à foison. Il ne s'éleva guère de grands génies 1 depuis les beaux j ours de ces artistes illustres, et, à peu près vers le temps de la mort de Louis XIV, la nature sembla se reposer. La route était difficile au commencement du siècle, parce que personne n'y avait marché; elle l'est aujourd'hui parce qu'elle a été battue. Les grands hommes du siècle passé ont enseigné à penser Z et à parler 3; ils ont dit ce qu'on ne savait pas. Ceux qui leur succédèrent ne peuvent guère dire que ce qu'on sait. Enfin, une espèce de dégoût est venue de la multitude de ces chefs-d'œuvre. Le siècle de Louis XIV a donc en tout la destinée des siècles de Léon X, d'Auguste, d'Alexandre 4. Les terres qui firent naître dans ces temps illustres tant de ,fruits du génie avaient été longtemps préparées auparavant. On a cherché en vam dans les causes morales et dans les causes physiques la raison de cette tardive fécondité, suivie d'une longue stérilité: la véritable raison est que chez les peuples qui cultivent les beaux-arts, il faut beaucoup d'années pour épurer la langue et le goût. Quand les premiers pas sont faits, alors les génies se développent; l'émulation, la faveur publique prodiguée à ces nouveaux efforts excitent tous les talents; chaque artiste saisit en son genre les beautés naturelles que ce genre comporte. Quiconque approfondit la théorie des arts purement de génie 5 doit, s'il a quelque génie lui-même, savoir que ces premières beautés, ces grands traits naturels qui appartiennent à ces arts, et qui conviennent à la nation pour laquelle on travaille, sont en petit nombre. Les sujets et les embellissements propres aux sujets ont des bornes bien plus resserrées qu'on ne pense. L'abb Dubos 6, homme d'un très grand sens, qui écrivait son Traité sur la poésie et sur la peintu~e 7 .vers l'a~ 171~,. trouva que dans t~ute l'histoire de France il n'y avai t de vrai sujet de poeme epi que que la destruction de la Ligue par Henri le Grand 8. Il devait 9 ajouter que les embellissements de l'épopée, convenables aux Grecs. aux Romains, aux. Italiens d~l xve et du XVIe sièc~e 10, étaient proscrits parrn i les Français ; les dieux de la fable, les oracles, les heros invulnérables les monstres, les sortilèges, les métamorphoses, les aventures romanesques'll n'étant 1. De grands génies: le mot est en train d'évoluer vers son sens moderne. Plus bas, il a encore son sens classique. - Cf. RÈGLE nv 3. 2. A penser: Voltaire ne songe pas, comme on pourrait le croire, à Descartes, mais au Dictionnaire de raisonnement de Bayle, « le premier ouvrage de ce genre où l'on puisse apprendre à penser" (ch. XXXII). (Cf. BAYLE, p. 690). 3. A parler: pour Voltaire, l'épuration de la langue est due à l'Académie, à Vaugelas surtout, à Patin, aux Maximes, aux Provinciales (ch. XXXII). (Cf. FÈNELON, p. 714, et fig. 604). 4. Alexandre: ce siècle est plus communément appelé siècle de Périclès. Cf. Sièçle de Louis XIV, ch. L 5. Purement de génie: les arts, et notamment la Iit téra ture, olt l'inspiration de l'artiste est tout, par opposition à ceux, comme I'archi tecture, où les progrès de la technique peuvent apporter un renouvellement. 6. Abbé Dubos (1670-1742) : diplomate et critique, qui fut secrétaire perpétuel de l'Académie française en 1722. 7. Traité sur la poésie: le titre exact cst : Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, et la date 1709. 8. Henri le Grand. Cf. Op. cit., II, XXXV r r 1. On trouvera le texte dans VIAL et DENISE, MI"'N et Doctrines littéraires du XV Ill' siècle. p. :101" L'abbé Dubos signale la destruction de 'la LlfllII comme beau, mais non comme unique sI11,'1 Voltaire a profité de la suggestion pour sa Henril~'/" 9. Il devait = il aurait dû. - Cf. RÈGLE 110 H\II Vous dont j'ai pu laisser vieillir l'ambition. 10. Italiens du XV'et du XVI' siècle: a1l1lM11I1I au Roland amoureux, de Boiardo (1434-1,11111. et à la Jérusalem délivrée (1575), du Tasse. 11. Les aventures romanesques: on retl'OIIVIIIII ces idées et des exemples dans L'Essai SlIr '" poésie épique de Voltaire. (Cf. quelques ex l rull • VIAL et DENISE, op. cil, p. 316-321.) Votlntu s'est lui-même abstenu dans La Henriade de ,., Il, sorte de merveilleux. II l'a remplacé pal' un uuveilleux chrétien ou allégorique, ne conSCII'YI"iI de l'épopée ancienne que les procédés el III \" (Cf. Extrait 1, p. 851.) - 162 XVIII' LE SIÈCLE D:2 LOUIS XIV 885 plu~ de ~ai~on,. le,s b~autés propres au poème epique sont renfermées dans un cercle tres etroit . SI donc Il se trouve jamais quelque artiste qui s'empare des se,-!ls orneme~ts conven~bl~s au temps, ,au s~jet, à la nation, et qui exécute ce qu on a tente, ~eux qUI VIendront apres lUI trouveront la carrière remplie. Il .en est de .meme dans l'art de la tragédie. Il ne faut pas croire que les grandes passions tragiques et les grands sentiments puissent se varier à l'infini d'une maniere neuve et frappante. Tout a ses bornes. ' . ~a haute comédie a les sie~nes. Il f!.'y a, dans la nature humaine, qu'une douz~me, ,tout au plus, de cara.ct.eres v~alment comiques et marqués de grands traits. Labbe Dubos, faute de genie, croit que les hommes de génie peuvent encore tro~."er une foule de nouveaux caractères 2 ; mais il faudrait que la nature en HL. Il s Imag~ne que <:e,spetites différences, qui sont dans les caractères des hommes, p~uy~nt etre .malllees aUSSI heureusement que les grands sujets. Les nuances, à la ;ente, sont mnombrables, .m::ti~ les co,uleurs éclatantes sont en petit nombre; et ce sont ces couleurs primittves qu un grand artiste ne manque pas d'em- ployer. L'éloquef!.c.e de la chaire, et surtout celle des oraisons funèbres sont dans c ,·a.s., Les ventés. morales une fois annoncées avec éloquence, les' tableaux d s Iliisere~ et des .faiblesses humaines, ~es vanités de la grandeur, des ravages de Ja lI~or~, etan~ ~aI~S par des mams habiles, tout cela devient bien commun: on est l',.'d.mt ou a ImIter.' ou à S'égarer., Un no~bre suffisant de fables étant composé l'dl un La Fontame, tout ce qu on y ajoute rentre dans la même morale eL 1'1'('~q.uedans l~s mêmes aventures. Ainsi donc 3 le génie n'a qu'un siècle, al;rès qllOI Il faut qu'Il dégénère. (Siècle de Louis XIV, ch. XXXI!.) l.cs derniers chapitres (XXXV à XXXIX) sont consacrés aux aflaires religieuses. COR.RESPONDANCE 11. DÉSENCHANTEMENT D'UN SERVICE ROYAL 1111" 10 commentaire. - On pe<:t définir d',apr,ès cette Iet tre la façon dont Voltaire comprend ct prat lquc les rapports avec les puissants, et Il n est pas Impossible d'autre part de reconnaître dans III co'"tuite. de r<:réd~ric ~I,quelques traits de caractère dont ce Hohenzollern n'a pas eu le ;nono""Ic. Etudier I'Ironie désabusée du style. A MADAME DENIS 4 A Berlin, le 18 décembre 1752. t'" vous enyoie, ma chère enfant, les deu~ co~tr~t~ du c1uc de Wurtemberg fi; 1~I une petite fortune assuree pour votre VIe. J y joins mon testament. Ce n'est 1 1',,/,,'/" 1,.,'" étroit: Voltaire, hanté par l'idée 1 HI tll·IIH.'Il.Ls.". qu'il. croit indispensables, Ifldll ln Nlrllpl1cJtc grandiose soutenue par l'ima- 111111111111.u+to qu'on la trouve dans le Roland. 1 1 1 .l''lIlls 2 et 4, p. 4 et 7.) On la trouvera Il 1 d'"'N Chateaubriand (Cf. Extrait 6) et III " t 11/1{0(Cr. Extrait 11). , ""'I/'III'~'caractères: cf. Op. cit., I, XXVII. 1II/IIV""11 le texte dans VIAL et DENISE 1 11/* ~'I'I'/r, p. 17-50. Dnbos y déclare «qu~ 1 Il ""111'1'\"('5 parfaitement semblables sont t I l'hw "'U'('!) dans la nature que deux visages ""111,,"1 scrnbtables », et que «il s'en faut 1 'III" IIIIIS 1 s ridicules du genre humain ne III t 111 1 01'11 réduits en comédie », C'est Dubos 1 Il'11_1111"oill,'c Voltaire; Balzac n'a-t-il pas Il ,Ii ','''/llirc dans Eugénie Grande! ·(Cf. Extrait)? Augier Le Bourgeois Gentilltomme clans Le Gendre de M. Poirier (Cf. Extrait 1), etc. ? 3. Ainsi donc: cette conclusion d'un raisonnement d'après les faits littéraires antérieurs s'impose-t-elle ? Tous les faits sont-ils connus '! Tous les faits ont-ils leur véritable explication '1 Tous nos grands artistes ont-ils jamais fait autre chose que de peindre, avec leur tempérament, la physionomie actuelle de l'homme éternel? 4. Mme Denis: fille de Mme Mignot, soeur cie Voltaire. Elle était veuve depuis 1744, et Voltaire avait fait de sa nièce sa fille d'adoption. 5. Duc de Wurtemberg: Voltaire venait do placer 300 000 livres en hypothèques sur les terres que possédait en France le duc de Wurtemberg. Même au milieu des difficultés, il ne manquait pas une bonnc aûaire. - 163 XVIII' -