Zaire de Voltaire http://fitheatre.free.fr/gens/Voltaire/Zaire.htm Voltaire (1694-1778) ne ä Paris le 21 novembre 1694 mort ä Paris le 30 mai 1778 Ďes études classiques á Louis-le-Grand et la perspective ďune carriěre juridique préludent á la carriěre mouvementée et diverse de Frangois-Marie Arouet, f i Is de notaireet filleul de I'abbe de Chateauneuf, qui I'introduit dans les milieux mondains et épicuriens du temps. II essaie sa plume en pratiquant la satire, exercice périlleux qui I'oblige á se réf ugier dans quelque chateau oú il fait de nouvelles connaissances. Embastillé pendant onze mois en 1717-1718, i I se fait appeler M. de Voltaire, et publie des oeuvres qui déjá lui donnent á vingt-cinq ans une solide reputation littéraire : une tragédie, CEdipe, regue á la Comédie-Frangaise en 1718, suivie de Marianě, en 1724, une epopee, laLigueen 1723 qui deviendra la Henriade en 1728, et de nombreux poernes satiriques. Trois années d'exil en Angleterre lui permettent de découvrir seulement une liberté de pensée, morale et politique, dont i I va adopter les principes, mais aussi une littérature nouvelle et un theatre dégagé des regies qui entravent la tragédie f rangaise. Les quatre années qui suivent son retour en France en 1730 sont ďune grande fécondité : des tragedies {Brutus, la Mort de César,EuryphHe, Zaire, Adelaide de Guesclin), un essai de critique littéraire, le Temple du Gout, un ouvrage historique, I'Histoire de CharlesXII, et surtout les Lettres anglaises ou Lettres philosophiques, qui exaltant les découvertes politiques et philosophiques faites en Angleterre, constituent une critique de la religion off icielle et s'attirent une condamnation á I'exil. II s'installe á Cirey, chez son amie Mme du Chatelet de 1734 á 1744. Dans retraite mondaine ou le rejoignent disciples et admirateurs, Voltaire écrit beaucoup : le Mondain, poéme léger á la gloire de 1'épicurisme, les Elements de la philosophie de Newton et le Ďiscours sur I'homme, des tragedies, par mi ses n\e\\\eures,Alzire, Mahomet, Méropezi une comédie, I'Enfantprodigue. Cest également á Cirey qu'il entame les grandes oeuvres historiques et philosophiques publiées plus tard. Ses succés au theatre et en librairie font de Voltaire un écrivain célébre. Paris et la Cour, oú régne Mme de Pompadour, qui lui accorde sa protection, le fétent et le cajolent. II est élu á 1'Académie frangaise, mais il n'est pas dupe et conserve sa liberté d'esprit. Voltaire voyage, de la cour du roi Stanislas en Lorraine á celle de Frederic II de Prusse. II fait á la Comédie-Frangaise entre 1748 et 1752 de nouvelles tragedies : Sémiramis, Oreste, Rome sauvée et une comédie sentimentale, Nanine. II utilise, pour répandre ses conceptions politiques et philosophiques, le conte ou le roman, avec Zadigzi Micromégas, tandis qu'il achěve le Siěcle de Louis XIV, commence le et publie 1'Essai sur les mceurs. A nouveau contraint de quitter Paris, il achěte pres de Geneve le chateau de Ferney, et s'y installe. Vingt années ďune activité intense produisent non seulement des oeuvres littéraires et philosophiques (Candide, 1'Orphelin de la Chine, Tancrěde, 1'Ingénu...), mais aussi nombre de pamphlets, libelles et des milliers de lettres á des correspondents varies. II se fait le champion de toutes les causes oú la justice et la liberté sont battues en brěche et met toute son influence á défendre la f ami Ne Calas, le Chevalier de la Barre, Sirven, Lally-Tollendal, etc. II est á Ferney comme un roi dans sa cour, á qui toute I'Europe vient rendre visitě. Lorsqu'il se decide, á quatre-vingt-quatre ans, á revenir á Paris, il est célébré comme le défenseur des opprimés, 1'apotre de la tolerance, et I'auteur tragique le plus joué depuis Racine. II meurt trois mois aprěs son retour. Ďe 1718 á 1778, on peut dire que Voltaire a dominé le repertoire tragique de la Comédie-Francoise. Sa carňére se termine en apotheose, avec le couronnement de son bustě sur la scene du Théatre-Francais, en sa presence, á la fin de la representation de sa derniěre tragédie, Irene. Ses relations avec la Comédie-Francaise ont connu des fluctuations, et Ton sait combien I'auteur deZaíre pouvait étre severe avec ce qu'il appelait« le tripot comique ». Mais il a aimé Adrienne Lecouvreur et Mile (Saussin, il est I'ami de Lekain et de Mile Clairon, e'est I'un des artisans des progres de la mise en scene - encourageant les Comédiens-Francais á libérer leur scene des encombrantes banquettes destinées á un public plus mondain que connoisseur -, et de I'evolution du costume théatral. Quelques-unes de ses tragedies ont survécue au XVTIIe siěcle, et peut-étre 1'une ou 1'autre mériterait-elle d'etre remise á la scene, comme le f ut 1'Orphelin de la Chine en 1965. 4 • Zaire • Fatime • Nérestan • Chatillon • Corasmin • Mélédor • Un esclave Resume par actes Acte 1: Fatime espere le retour de leur sauveur. Zaire lui avoue qu'elle et Orosmane s'aiment. Elle renie la religion chretienne pour lui et est prete a etre musulmane. Fatime tente de Ten dissuader. Orosmane declare sa flamme a Zaire. II lui demande de l'aimer aussi fort qu'il l'aime. II n'a que deux amours : eile et la guerre. Corasmin annonce un Chretien mais ne veut pas le faire entrer. Orosmane est tolerant, il ne veut pas etre « un tyran invisible ». Nerestan demande la liberation promise. Orosmane lui accorde 100 chevaliers pour rien mais ne veut ni liberer Zaire ni Lusignan. Nerestan est outre. Orosmane va faire preparer le manage. Orosmane a surpris un regard entre Nerestan et Zaire. II dit qu'il n'est pas jaloux mais qu'en est-il vraiment ? Acte 2: Nerestan dit a Chatillon qu'ils sont tous libres sauf leur chef ce qui decoit Chatillon. II dit aussi que Zaire prefere Orosmane. Chatillon lui dit de se servir d'elle pour liberer leur heros ce qui semble le degouter. Zaire arrive et demande pardon a Nerestan. Elle lui apprend qu'elle a obtenu la liberation de leur chef. II la trouve vertueuse et infidele. Lusignan veut retrouver son fils et sa fille rescapes. II s'agit en fait de Nerestan et de Zaire. II regrette qu'elle soit musulmane. Elle finit par dire qu'elle est chretienne. lis doivent se separer. Lusignan fait promettre a Zaire de garder le secret. Acte 3: Orosmane dit a Corasmin qu'il fait tout pour Zaire. II lui accorde meme un entretien secret avec Nerestan. II I'aime sincerement. Corasmin semble plus craintif a cause de la liberation de Lusignan. Corasmin dit a Nerestan que Zaire veut le voir. Nerestan se plaint de la laisser au serail. Nerestan et Zaire parlent d'elle. II comprend qu'elle aime Orosmane. Elle jure de ne pas I'epouser sans avoir ete baptisee. Lusignan est en train de mourir. Zaire est seule et perdue. Elle aime Orosmane et veut honorer sa religion. Orosmane vient chercher Zaire pour le mariage. Celle-ci ne sait que faire, eile demande un delai et sort apres avoir reaffirmer qu'elle ne veut pas lui deplaire. Orosmane est jaloux, violent. II n'aime pas qu'on le trahisse. II ne doute pas de Zaire mais veut l'oublier. II en, veut pas etre dirige par sa mattresse. Acte 4: Discussion entre Fatime et Zaire. Elle regrette son acte. Elle aime Orosmane plus que tout mais ne veut pas trahir son secret. Fatime ne comprend pas que Zaire prefererait mourir. Orosmane vient annoncer a Zaire que c'est fini lorsqu'il comprend qu'elle I'aime. II lui accorde une derniere grace. Elle lui dit qu'il saura ses secrets le lendemain. Orosmane doute, il ne sait que penser de l'attitude de Zaire. Meledor apporte une lettre destinee a Zaire qu'il a interceptee. II a mis dans les fers le Chretien qui la portait. Orosmane a peur de ce qu'il va lire. La lettre est epouvante pour Orosmane. Corasmin le force ä tuer Zaire et Nerestan. Orosmane veut voir comment Zaire va agir. II ne veut plus la voir pour ne pas etre destabilise dans son choix. Zaire dit une fois de plus son amour pour Orosmane. II dit qu'elle se parjure, elle s'en defend, il al renvoie. Orosmane dit etre encore amoureux de Zaire. II veut mettre Nerestan au supplice mais garder Zaire en liberte. Acte 5: Orosmane tend un piege a Zaire, il lui fait parvenir la lettre. Zaire la lit. Elle veut parier a Fatime qui renvoie I'esclave. Fatime reproche a Zaire son amour. Elle ne veut pas trahir ses voeux et va aller rejoindre son frere. Apres quoi, elle veut tout avouer a Orosmane. Elle cherche l'appui et le secours de Dieu. Zaire dit a I'esclave de prevenir Nerestan qu'elle I'attend. Elle ne sait pas qu'il est au service d'Orosmane. L'esclave lui dit tout. Orosmane congedie tout le monde en disant qu'il hait tous les etres humains. Orosmane se pose des questions. II rappelle Corasmin. II ne veut pas que Zaire jouisse. Orosmane veut se venger. II I'aime plus que tout. II pleure pour la premiere fois. II parle de sang. II fait arreter Nerestan. Orosmane voit Zaire. II court a eile et la poignarde pour se venger. Orosmane apprend la verite, il est triste. II libere tous les Chretiens. Nerestan, dans sa peine, le plaint presque. II se tue. Le 29 mai 1732, Voltaire écrivait á Cideville: « J'ai cru que le meilleur moyen ďoublier la tragédie ďÉriphyle était ďen faire une autre. Tout le monde me reproche ici que je ne mets pas ďamour dans mes piěces. Ils en auront cette fois-ci, je vous jure, et ce ne sera pas de la galanterie. Je veux qu'il n'y ait rien de si ture, de si chrétien, de si amoureux, de si tendre, de si furieux que ce que je versifie á présent pour leur plaire. J'ai déjá 1'honneur ďen avoir fait un acte. Ou je suis fort trompe, ou ce sera la piěce la plus singuliěre que nous ayons au théátre. Les noms de Montmorenci, de saint Louis, de 5 Saladin, de Jésus et de Mahomet s'y trouveront. On y parlera de la Seine et du Jourdain, de Paris et de Jerusalem. On aimera, onbaptisera, ontuera, etje vous enverrai 1'esquisse děs qu'elle serabrochée. » (...) La piece fut achevée en vingt-deux jours, si nous en croyons 1'avertissement. « Elle fut representee le 13 aoůt, non pas sans agitation et sans troubles, dit M. G. Desnoiresterres. Les acteurs, peut-étre dépaysés dans ce monde oriental et chrétien, jouěrent médiocrement. Le parterre, oú les ennemis contrebalancaient les amis, était tumultueux et ne laissait pas tomber quelques negligences provenant de la háte et de 1'effervescence avec lesquelles 1'ouvrage avait été écrit. Bref, si 1'émotion désarma le plus grand nombre, les protestations ne firent pas défaut, et l'auteur, tout le premier, se garda bien de les considérer comme non avenues. II s'empressa, au contraire, ďeffacer les taches qui lui avaient été signalées, de limer cette versification un peu láche et incorrecte qui, á son avis, n'approchait pas de la versification d'Eriphyle. Mais ce travail de remaniement n'etait pas du gout ďOrosmane. « Lacteur Dufresne le prenait de haut avec les auteurs. Lors des representations du Glorieux, il ne se donnait pas méme la peine de lire les corrections du poete; quant á Destouches, il 1'avait consigné á sa porte. Voltaire et ses retouches étaient menaces du méme sort. Mais ce dernier était de plus dure composition, et Dufresne cette fois ne fut pas le plus fort. Le comédien grand seigneur donnait un diner; un magnifique páté lui fut envoyé sans qu'on sut ďoú il venait. Lorsqu'on 1'ouvrit á 1'entremets, on apercut une douzaine de perdrix ayant toutes au bec de petits papiers qu'on s'empressa de déployer: c'etaient autant de passages corrigés de Zaire. Pour le coup il fallut bien se rendre et loger dans sa mémoire ces corrections du poete. » Le 25 aoůt, Voltaire écrit de nouveau á Cideville: « Ma satisfaction s'augmente en vous la communiquant. Jamais piece ne fut si bien jouée que Zaire á la quatriéme representation. Je vous souhaitais bien la: vous auriez vu que le public ne hait pas votre ami. Je parus dans une loge, et tout le parterre me battit des mains. Je rougissais, je me cachais, mais je serais un fripon si je ne vous avouais pas que j'etais sensiblement touché. II est doux de n'etre pas honni dans son pays. » (...) Zaire eut neuf representations dans sa nouveauté, et fut reprise le 12 novembre pour étre jouée vingt et une fois consécutives. Cétait alors un succés trés rare. Les acteurs avaient fait un effort vers la vérité du costume en s'affublant de turbans, ce qui avait coůté trente livres á la Comédie. Les representations de Zaire ayant été interrompues par l'indisposition de Mile Gaussin, Voltaire fit jouer sa piece en société chez Mme de Fontaine-Martel. Mile de Lambert figura Zaire; Mile de Grandchamp, Fatime; le marquis de Thibouville, Orosmane; et M. d'Herbigny, Nérestan. Quant au role du vieux, du chrétien, du fanatique Lusignan, il fut rempli, — devinez par qui? — par Voltaire lui-méme, qui le jouait, raconte-t-on, avec frénésie. On sait l'immense succés de Zaire au dix-huitiéme siécle et dans le commencement de celui-ci. Laharpe disait: « On a dispute et Ton disputera longtemps encore sur cette question interminable: Quelle est la plus belle tragédie du theatre francais? Et il y a de bonnes raisons pour que ceux mémes qui pourraient le mieux discuter cette question n'entreprennent pas de la decider. L'art dramatique est compose de tant de parties différentes, et il est susceptible de produire des impressions si diverses qu'il est á peu pres impossible ou qu'un méme ouvrage réunisse tous les mérites au méme degré, ou qu'il plaise également á tous les hommes. Tout ce qu'on peut affirmer en connaissance de cause, c'est que telle piece excelle par tel ou tel endroit; et si Ton s'en rapporte aux effets du theatre, si souvent et si vivement manifestos depuis plus de cinquante ans, si Ton consulte l'opinion la plus generále dans toutes les classes de spectateurs, je ne crois pas trop hasarder en assurant que Zaire est la plus touchante de toutes les tragedies qui existent. » Et plus loin, il semble enchérir encore sur la louange: « Je regarde Zaire, dit-il, comme un drame égal á ce qu'il y a de plus beau pour la conception et l'ensemble, et supérieur á tout pour 1'intérét. » Zaire n'a pas garde tout á fait dans l'opinion publique le haut rang ou la placait la critique de la fin du siécle dernier. Mais elle n'a pas disparu de la scene. Le mouvement qui y régne, la passion qui l'anime, la font vivre. Nous avons vu une reprise de cette tragédie au mois d'aout 1874, et depuis elle a continue d'etre affichée par intervalles. Acte V 6 SCENE VIII. OROSMANE, CORASMIN. OROSMANE. Ah! trop cruel ami, quoi! vous m'abandonnez! Venez; a-t-il paru, ce rival, ce coupable? CORASMIN. Rien ne parait encore. OROSMANE. O nuit! nuit effroyable! Peux-tu preter ton voile a de pareils forfaits? Zaire!... l'infidele!... apres tant de bienfaits! J'aurais d'un oeil serein, d'un front inalterable, Contemple de mon rang la chute epouvantable; J'aurais su, dans l'horreur de la captivite, Conserver mon courage et ma tranquillite; Mais me voir a ce point trompe par ce que j'aime! CORASMIN. Eh! que pretendez-vous dans cette horreur extreme? Quel est votre dessein? OROSMANE. N'entends-tu pas des cris? Seigneur... OROSMANE. Un bruit affreux a frappe mes esprits. On vient. CORASMIN. Non, jusqu'ici nul mortel ne s'avance; Le serail est plonge dans un profond silence; Tout dort; tout est tranquille; et l'ombre de la nuit... OROSMANE. Helas! le crime veille, et son horreur me suit. A ce coupable exces porter sa hardiesse! Tu ne connaissais pas mon coeur et ma tendresse! Combien je t'adorais! quels feux! Ah! Corasmin, Un seul de ses regards aurait fait mon destin; 7 Je ne puis etre heureux, ni souffrir que par elle. Prends pitie de ma rage. Oui, cours... Ah, la cruelle! CORASMIN. Est-ce vous qui pleurez? vous, Orosmane? 6 cieux! OROSMANE. Voila les premiers pleurs qui coulent de mes yeux. Tu vois mon sort, tu vois la honte ou je me livre; Mais ces pleurs sont cruels, et la mort va les suivre; Plains Zaire, plains-moi; l'heure approche; ces pleurs Du sang qui va couler sont les avant-coureurs. CORASMIN. Ah! je tremble pour vous. OROSMANE. Fremis de mes souffrances, Fremis de mon amour, fremis de mes vengeances. Approche, viens, j'entends... je ne me trompe pas. CORASMIN. Sous les murs du palais quelqu'un porte ses pas. OROSMANE. Va saisir Nerestan, va, dis-je, qu'on l'enchaine; Que tout charge de fers a mes yeux on l'entraine! SCENE IX. OROSMANE, ZAIRE ET FATIME, marchant pendant la nuit dans l'enfoncement du theatre. ZAIRE. Viens, Fatime. OROSMANE. Qu'entends-je! Est-ce la cette voix Dont les sons enchanteurs m'ont seduit tant de fois? Cette voix qui trahit un feu si legitime? Cette voix infidele, et l'organe du crime? Perfide!... vengeons-nous... quoi! c'est elle? 6 destin! (II tire son poignard.) Zaire! ah Dieu!... ce fer echappe de ma main. 8 ZAIRE, a fatime. C'est ici le chemin, viens, soutiens mon courage. FATIME. II va venir. OROSMANE. Ce mot me rend toute ma rage. ZAIRE. Je marche en frissonnant, mon coeur est eperdu... Est-ce vous, Nerestan, que j'ai tant attendu? OROSMANE, courant a Zaire. C'est moi que tu trahis; tombe a mes pieds, parjure! ZAIRE, tombant dans la coulisse(46). Je me meurs, 6 mon Dieu(47)! OROSMANE. J'ai venge mon injure. Otons-nous de ces lieux. Je ne puis... Qu'ai-je fait?... Rien que de juste... Allons, j'ai puni son forfait. Ah! voici son amant que mon destin m'envoie, Pour remplir ma vengeance et ma cruelle joie. SCENE X. OROSMANE, ZAIRE, NERESTAN, CORASMIN, FATIME, ESCLAVES. OROSMANE. Approche, malheureux, qui viens de m'arracher, De m'oter pour jamais ce qui me fut si cher; Meprisable ennemi, qui fais encor paraitre L'audace d'un heros avec Fame d'un traitre; Tu m'imposais ici pour me deshonorer. Va, le prix en est pret, tu peux t'y preparer. Tes maux vont egaler les maux ou tu m'exposes, Et ton ingratitude, et l'horreur que tu causes. Avez-vous ordonne son supplice? CORASMIN. Oui, seigneur. 9 OROSMANE. II commence déjä dans le fond de ton coeur. Tes yeux cherchent partout, et demandent encore La perfide qui t'aime, et qui me déshonore. Regarde, elle est ici. NÉRESTAN. Que dis-tu? Quelle erreur? OROSMANE. Regarde-la, te dis-je. NÉRESTAN. Ah! que vois-je! Ah, ma soeur! Zaire!... elle n'est plus! Ah, monštre! Ah, jour horrible(48)! OROSMANE. Sa soeur! Qu'ai-je entendu? Dieu! serait-il possible? NÉRESTAN. Barbare, il est trop vrai; viens épuiser mon flanc Du reste infortuné de cet auguste sang. Lusignan, ce vieillard, fut son malheureux pere; II venait dans mes bras d'achever sa misěre, Et ďun pere expire j'apportais en ces lieux La volonté derniěre, et les derniers adieux; Je venais, dans un coeur trop faible et trop sensible, Rappeler des chrétiens le culte incorruptible. Hélas elle offensait notre Dieu, notre loi; Et ce Dieu la punit d'avoir brůlé pour toi. OROSMANE. Zaire!... Elle m'aimait? Est-il bien vrai, Fatime? Sa soeur?... J'étais aimé? FATIME. Cruel voilä son crime. Tigre altéré de sang, tu viens de massacrer Celie qui, malgré soi constante ä ťadorer, Se flattait, espérait que le Dieu de ses pěres Recevrait le tribut de ses larmes sincěres, Qu'il verrait en pitie cet amour malheureux, Que peut-étre il voudrait vous réunir tous deux. Hélas! ä cet exces son coeur ľavait trompée; 10 De cet espoir trop tendre eile était occupée; Tu balancais son Dieu dans son coeur alarme. OROSMANE. Tu m'en as dit assez. O ciel! j'etais aimé! Va, je n'ai pas besoin d'en savoir davantage... NÉRESTAN. Cruel! qu'attends-tu done pour assouvir ta rage? II ne reste que moi de ce sang glorieux Dont ton pere et ton bras ont inondé ces lieux; Rejoins un malheureux ä sa triste famille, Au héros dont tu viens d'assassiner la fille. Tes tourments sont-ils préts? Je puis braver tes coups; Tu m'as fait éprouver le plus cruel de tous. Mais la soif de mon sang, qui toujours te dévore, Permet-elle ä l'honneur de te parier encore? En m'arrachant le jour, souviens-toi des Chretiens Dont tu m'avais jure de briser les liens; Dans sa férocité, ton coeur impitoyable De ce trait généreux serait-il bien capable? Parle; ä ce prix encor je bénis mon trépas. OROSMANE, allant vers le corps de Zaire. Zaire! CORASMIN. Hélas! seigneur, oú portez-vous vos pas? Rentrez, trop de douleur de votre äme s'empare; Souffrez que Nérestan... NÉRESTAN. Qu'ordonnes-tu, barbare? OROSMANE, aprěs une longue pause. Qu'on détache ses fers. Écoutez, Corasmin, Que tous ses compagnons soient délivrés soudain. Aux malheureux chrétiens prodiguez mes largesses; Comblés de mes bienfaits, charges de mes richesses, Jusqu'au port de Joppé vous conduirez leurs pas. CORASMIN. Mais, seigneur... OROSMANE. 11 Obeis, et ne replique pas; Vole, et ne trahis point la volonte supreme D'un soudan qui commande, et d'un ami qui t'aime; Va, ne perds point de temps, sors, obeis... (A Nerestan.) Et toi, Guerrier infortune, mais moins encor que moi, Quitte ces lieux sanglants; remporte en ta patrie Cet objet que ma rage a prive de la vie. Ton roi, tous tes Chretiens, apprenant tes malheurs, N'en parleront jamais sans repandre des pleurs. Mais si la verite par toi se fait connaitre, En detestant mon crime, on me plaindra peut-etre. Porte aux tiens ce poignard, que mon bras egare A plonge dans un sein qui dut m'etre sacre; Dis-leur que j'ai donne la mort la plus affreuse A la plus digne femme, a la plus vertueuse, Dont le ciel ait forme les innocents appas; Dis-leur qu'a ses genoux j'avais mis mes Etats; Dis-leur que dans son sang cette main s'est plongee; Dis queje l'adorais, et que je l'ai vengee. (II se tue.) (Aux siens.) Respectez ce heros, et conduisez ses pas(49). NERESTAN. Guide-moi, Dieu puissant! je ne me connais pas. Faut-il qu'a l'admirer ta fureur me contraigne. Et que dans mon malheur ce soit moi qui te plaigne!