CHAPITRE 2 5. POUR ALLER PLUS LOIN > Sur l'histoire de la traduction en general (en francais): Cary E. (1956), La Traduction dans le monde moderne, Geneve : Georg. > Sur Thistoire de la traduction en general (en anglais): Brower R.A. (1959), On Translation, Cambridge : Harvard University Press. > Sur l'histoire de la traduction en Occident (en francais): Van Hoof (1991), Histoire de la traduction en Occident; France, Grande-Bretagne, Allemagne, Russie, Pays-Bas, Paris : Duculot. > Sur l'histoire de la traduction en Occident (en anglais): Kelly L. (1979), The True Interpreter: A History of Translation Theory and Practice in the West, New York : St. Martin's Press. > Sur l'histoire des idees traductologiques : Ballard M. (1992), De Ciceron ä Benjamin. Traducteurs, traductions, reflexions, Lille : Presses Universitäres du Septentrion. > Sur l'histoire de la traduction en France : D'Hulst L. (1990), Cent ans de theorie francaise de la traduction. De BatteuxäLit-tre (1748-1847), Lille : Presses Universitaires de Lille. > Sur l'histoire de la traduction en Allemagne : Lefevere A. (1977), Translating Literature: The German Tradition from Luther to Rosenzweig, Amsterdam : Van Gorcum. 'Marin*»*!-"' 6. TESTEZ VOS CONNAISSANCES j Quelle Thistoire contemporaine de la traduction ? 2) Quels rapports entretient la traduction avec la politique ? Donnez des exemples historiques et contemporains. 3) Quels facteurs expliquent le developpement considerable de la traduction et de Pinterpretation depuis la Seconde Guerre mondiale ? 4) Quel est Pimpact du « prestige » des langues sur la traduction ? Donnez des exemples historiques et contemporains. 5) Quels sont les traits caracteristiques de <« PEcole frangaise » de la traduction au siecle de Louis XIV ? 6) Quels sont les traits caracteristiques de « PEcole allemande »> a Pepoque romantique ? 7) Dans son traite sur la traduction, Etienne Dolet (1540) propose comme troisieme regie de bien traduire la suivante (adaptee en francais moderne) : « Le traducteur ne doit pas s'asservir au point de traduire mot a mot. Celui qui agit ainsi manque d'esprit et d'intelligence. » Expliquez les enjeux de cette regie et les debats que suscite la traduction « mot a mot ». CHAPITRE 3 Approches et modeles de la traduction II existe de nombreuses approches explicatives de la traduction. Chaque approche se caracte-rise, en regle generale, par tine terminoJogie propre, des categories specifiques et une methodologie distincte. [.'application d'une approche particuliere ä la traduction peut etre qualifiee en fonction du trait dominant: par exemple, I'approche linguistique ou semiotique de la traduction, I'approche sociologique ou sociolinguistique, I'approche philosophique, culturelle ou encore ideologique du pheno-mene traductionnel. On peut faire des distinctions au sein d'une meme approche. Par exemple, I'approche linguistique se caracterise par le fait qu'elle envisage la traduction avant tout comme une operation d'essence verbale. Au sein de cette approche, il est possible de distinguer le « modeie structuraliste » qui etudie les relations entre systemes linguistiques, le « modeie textuel»qui s'interesse aux situations commu-nicatives dans Jes textes, le « modeie psycholinguistique » ou « cognitiviste» qui etudie le processus mental de la traduction, etc. Ces « modeles » delimitent le domaine de la traduction de facon differente, et chacun met en relief un aspect particulier de I'activite generale. Malgre leurs divergences theoriques et methodologiques, ces « modeles » doivent etre percus comme egalement pertinents et tout a fait complementaires. Outre le benefice de I'interdisciplinarite, la conjonction de leurs acquis ne peut qu'enrichir la traductologie. 1. LES APPROCHES LINGUISTIQUES Le developpement de la traductologie au cours du XXe siecle est quasiment indissocia-ble de celui de la linguistique. La traduction a beaucoup Interesse les linguistes qui lui ont applique les diverses approches theoriques qui se sont succedes au cours du siecle : structuralisme, generativisme, fonctionna-lisme, linguistique formelle, enonciative, tex-tuelle, cognitive, sociolinguistique, psycholinguistique. Chaque courant est parti de ses propres postulats, empioyant des concepts differents pour etudier le phenomene de la traduction, sans jamais parvenir ä 1'apprehender dans sa complexite ni meme dans sa globalste. Mais certaines approches ont ete plus convaincantes que d'autres parce qu'elles ont capte des aspects essentiels de I'activite tra-ductionnelle. Cette relation complexe entre linguistique et traduction peut etre resumee sous forme de deux orientations principals : on peut soit appliquer les acquis de la linguistique a la pratique de la traduction, soit developper une theorie linguistique de la traduction a partir de la pratique. Ces deux options ont ete explo-rees successivement tout au long du XXe siecle, mais aujourd'hui les choses parais-sent plus claires : la linguistique s'interesse aux langues et au langage, tandis que la traductologie s'occupe des traducteurs et des traductions. Le cordon ombilical a enfin ete coupe. CHAPITRE 3 II faut rappeler cependant que dans leur etude de la traduction, les«linguistes * (i.e. ceux qui se reclament de I'approche linguistique) par-tent generalement des differences observees entre les langues et les systemes linguistic ques. lis relevent, par exemple, les incompati-bilites semantiques dans la designation de la realite : Mounin (1963) a donne I'exemple des noms du « pain » en francais, et Bassnett (1980) celui des mots qui designent le « beurre » en italien, pour montrer les differences flagrantes avec I'anglais. A partir de tels decalages, les linguistes se posent la question du transfert du «sens»en insistant sur les differences et les specificites (pour les « particularistes ») ou encore sur les convergences et les points communs (pour les « universalistes »). La question du «gain » et de la « perte » de sens fait partie des themes galvaudes de la reflexion linguistique sur la traduction. Pour y remedier, chaque courant linguistique propose une explication propre et des techniques specifiques, parce que cha-cun envisage les phenomenes observes a un niveau different: le « mot», la « phrase » ou encore le «texte ». L'approche fonctionnelle Les approches fonctionnelles de la traduction sont essentiellement inspirees des travaux du linguiste britannique J.R. Firth (1890-1960). On en trouve ('illustration en particulier dans I'ouvrage de Catford : A Linguistic Theory of Translation (1965). Firth rejetait la conception du langage comme un simple code servant a transmettre I'information - c'est le cadre de la theorie de la communication a I'epoque -et definissait plutot le sens en terme de fonction relative a un contexte particulier. Dans la perspective fonctionnaliste, le contexte revet une importance cruciale et renvoie a un certain nombre d'elements tels que les actants, Taction, I'espace et le temps, qui doivent etre pris en consideration pour saisir le sens du message. Bref, depuis plus ďun demi-siěcle, la linguistique joue un role moteur dans le développe-ment de la traductoJogie, mais elle présente egalement certaines lacunes et inconsequences qui ont conduit á creuser le fosse entre ces deux disciplines jumelles. Gamier (1985 : 30) insiste sur « les apports proprement lin-guistiques dont a bénéficié depuis environ trente ans la théorie de la traduction». Pour appuyer ce constat, il cite Linguistic Analysis and Translation (Firth 1957), Linguistic Aspects of Translation (Jakobson 1959), Les problěmes théoriques de la traduction (Mounin 1963), « Problématique linguistique de la traduction » (Charaudeau 1971), « Traduction et linguistique** (Kahn 1972), «Traduction et théorie linguistique » (Pergnier 1973), « Traduction et théorie linguistique » (Bastuji 1974), « Linguistique et traduction » (Mounin 1976), « Traduction et linguistique » (Schmitt 1981). Saluant les contributions de ces linguistes, Gamier (1985 :33) adhere lui-méme á l'approche linguistique de la traduction. II insiste, a I'instar de Mounin, sur le fait que «toute operation de traduction - Fedorov a raison - com-porte, á la base, une série d'analyses et ďopérations qui relěvent spécifiquement de la linguistique ». Dans ce chapitre, nous allons interroger, á travers un apercu des principals contributions, non seulement les liens qui se sont tissés au fil des décennies entre linguistique et traduction, mais aussi les ruptures et les lignes de demarcation entre les linguistes et les traductologues. L'un des premiers ouvrages a adopter une approche proprement linguistique de la traduction est I'Introduction á la théorie de la traduction (1953) d'Andrei Fedorov. Celui-ci cherche á mener une étude systématique de la traduction suivant un paradigme linguistique parce qu'il est convaincu que «toute théorie de la traduction doit étre incorporée dans I'ensemble des disciplines linguistiques »(cite dans Larose 1989:11). Mais il n'est pas le seul: d'autres auteurs ont la méme conviction et s'evertuent á faire de la traduction un domaine parmi d'autres de la recherche en linguistique. En 1958, Vinay et Approches et modéles de la traduction Darbelnet publient leur fameuse Styiistique comparée du francais et de I'anglais, que Ton tient pour la « premiére vraie méthode de traduction fondée explicitement sur les apports de la linguistique » (Larose 1989 : 11). D'autres « méthodes » du méme genre sui-vront, dont la Styiistique comparée du francais et de i'allemand (1966) de Malblanc, et ie Traité de styiistique comparée: analyse comparative de I'italien et du francais (1979) de Scavé et Intravaia. Vinay et Darbelnet (1958 : 20) revendiquent « son inscription normále dans le cadre de la linguistique ». lis considérent méme que la traduction se ramene á « une application pratique de la styiistique comparée ». Ensuite, la liste est longue des travaux sur la traduction qui se réclament de la linguistique, á des degrés divers: Mounin (1963 :17) suit le méme raisonnement en estimant que les problěmes de traduction « ne peuvent étre éclairés en premier lieu que dans le cadre de la science linguistique ». Ladmiral (1979 : 8) est du méme avis mais il est plus nuance que ses prédécesseurs:« ce n'est pas la linguistique contemporaine qui, á elle seule, peut permettre ďélaborer une théo-rie, une«science » de la traduction : elle four-nit une méthodologie, des outils de conceptualisation ; mais il faudra bien se garder de tout terrorisme«theoriciste»». Pour lui, certes la linguistique est incontourna-ble, mais elle ne suffrt pas á fonder la traductolo-gie. Pour I'essentiel, ses critiques portent sur le fait que la linguistique pretend étudier la langue alors que la traduction relěve du langage, c'est-a-dire de I'ordre du verbal et du non-verbal. Du point de vue épistémologique, on constate néanmoins dans toutes les approches esquis-sées des problěmes de terminologie qui empěchent une comparaison rigoureuse des travaux, Évoquant le domaine musical, et plus largement celui des representations artisti-ques, Steiner (1975 : 423) souligne á quel point un vocabulaire adéquat est la condition sine qua non d'une analyse rigoureuse. Or, bon nombre de mots-clés dans les ouvrages traitant de traduction d'un point de vue linguistique sont trop vagues pour permettre des études sérieuses. lis recouvrent souvent un champ sémantique si vaste qu'its en devien-nent inopérants. 1.1 L'approche « styiistique comparée » La Styiistique comparee du francais et de I'anglais (1958) de Vinay et Darbelnet est Tun des ouvrages qui « a le plus marque les etudes de traduction » (Larose 1989 : 11). Dans cet ouvrage, les deux auteurs revendiquent le rattachement de la traductologie ä la linguistique, mais ils ne se privent pas de faire appel a d'autres disciplines pour completer leur approche de ta traduction (styiistique, rhetori-que, Psychologie). A I'epoque, l'approche comparative constitue une innovation majeure dans le domaine des etudes traductologiques, parce qu'elle ne se contente pas de mettre ä profit les acquis de la linguistique mais propose des principes generaux pour traduire ; bref, une veritable « methode de traduction » (sous-titre de I'ouvrage de Vinay et Darbelnet). L'objectif des auteurs est clairement enonce: il s'agit pour eux de degager«une theorie de la traduction reposant ä la fois sur la structure linguistique et sur la Psychologie des sujets parlants » (Vinay et Darbelnet 1958 : 26). Pour ce faire, ils s'efforcent de « reconnaitre les voies que suit ('esprit, consciemment ou inconsciemment, quand il passe d'une langue ä l'autre, et d'en dresser la carte ». A partir d'exemples, ils precedent ä l'etude des attitudes mentales, sociales et culturelles qui don-nent lieu ä des precedes de traduction. Afin d'etablir ces procedes, Vinay et Darbelnet definissent des criteres de base qui leur per-mettent d'analyser les traductions: 1) servitude et option ; 2) traduction et sur-traduction ; 3) bon usage et langue vulgaire. L'application des criteres leur permet de dis-tinguer sept procedes techniques de traduction : trois procedes directs (I'emprunt, le caique, la traduction litterale) et quatre pro-cedes obliques (la transposition, la modulation, ('equivalence, I'adaptation). Vinay et Darbelnet innovent en definissant comme objet d'analyse de ces procedes la CHAPITRE 3 notion d'« unite de traduction »(UT). Pour eux, celle-ci comprend trois volets : le lexique, I'agencement, le message, Mais la nature et la portee de ces«unites»vont susciter de nom-breuses critiques. Les « unites de traduction » Vinay et Darbelnet (1958:16) definissent ainsi I'unite de traduction : c'est le « plus petit segment de I'enonce dont la cohesion des signes est telle qu'ils ne doivent pas etre traduits separement». A partir de cette definition, les deux auteurs distinguent quatre types d'unites de traduction ; 1) les « unites fonctionnelles», qui ont les mernes fonctions grammaticales dans les deux langues; 2) les « unites seman-tiques », qui possedent le meme sens; 3) les « unites dialectiques »», qui procedent du meme raisonnement ; 4) les « unites prosodiques », qui impliquent la meme intonation. Larose (1989: 23) critique sur le plan metho-dologique les unites de traduction definies dans la Stylistique comparee du frangais et de I'anglais : « Vinay et Darbelnet distinguent quatre types d'unites de traduction: a) les unites fonctionnelles [...] b) les unites semantiques [...] c) les unites dialectiques (...) d) les unites prosodiques [...] II semble que seules b, c et d soient veritablement des unites de traduction au sens ou I'entendent les auteurs, c'est-a-dire des syntagmes qui fonctionnent comme autant de lexemes «au singulier». Les unites fonctionnelles semblent plutot correspondre au decoupage syntagmatique traditionnel en grammaire structurale. Et encore la, il est per-mis de se demander pourquoi le pronom «il » par exemple, n'est pas considere comme une unite de pensee au meme titre que « Saint-Sauveur». De surcroTt, on s'etonne de consta-ter qu'un meme element linguistique puisse appartenir a plus d'une categorie. La charniere « car», par exemple, d'apres cette typologie serait tout aussi bien une unite fonctionnelle qu'une unite dialectique.» Malgre ces critiques, Larose (1989 :24) recon-nait I'lmportance de l'« unite de traduction » en tant que concept operatoire en traductolo- gie : « Cette notion, á la base du decoupage des textes et d'importance considerable pour ses auteurs [Vinay et Darbelnet], sert d'empan en matiére de comparaison des textes. En effet, bien que la traduction se ramene excep-tionnellement au mot á mot, i I est nécessaire de reconnaitre les micro-unités textuelles (le mot ? la phrase ? etc.) et á I'inverse, les macro-unites qui serviront ďéléments de mesure des textes traduits. Dans la pratique, il est plutöt question de traduction "phrase ä phrase" dont l'objectif est de parvenir, de pro-che en proche, ä une traduction "texte á texte". En general, on peut dire que plus I'unite de traduction est grande, plus la traduction tend á étre "libře", tandis que lorsque les micro-unites sont traduites pour elles-mémes, la traduction est "littérale"». Pour Larose (1989 : 27), le probléme de la méthode de Vinay et Darbelnet reside dans le niveau d'analyse auquel its se placent. C'est pourquoi, il appelle á « mettre en perspective !e probléme des unites de traduction, qui reside dans le fait que chaque unite de texte n'a de sens que si eile est insérée dans une totalito textuelle ». A cet égard, il fait une critique de fond: « Les unites de traduction doivent done étre élevées au niveau macrotextuel et s'inscrire dans une conception plus large de la segmentation des textes, qui ne doit pas étre mesurée en termes de sequence linéaire puisque [„.} le sens d'un texte, pris globale-ment, dépasse celuí des elements langagiers qui le composent». Dans la méme perspective, I'Ecole de Paris (Seleskovitch et Lederer) critique les unites statiques définies par Vinay et Darbelnet, et propose de les remplacer par des « unites de sens » qui autorisent une traduction dynamique : « L'unite de sens est le plus petit element qui permette I'etablissement ďéqui-valences en traduction [...] Elle apparaít comme le résultat de la jonction d'un savoir linguistique et d'un savoir extra-linguistique déverbalisé »(Lederer 1994 : 27). Les « procédés de traduction » Les sept procédés de traduction définis par Vinay et Darbelnet ont connu leur heure de gloire, mais ils ont également fait I'objet de Approches et modeles de la traduction nombreuses critiques, essentiellement en raison du postulat qui les sous-tend:« Si nous connaissons mieux les methodes qui gouver-nent le passage d'une langue ä I'autre, nous arriverons (...) ä des solutions uniques »{Vinay et Darbelnet 1958 : 24). L'idee qu'il puisse y avoir une seule solution de traduction pour chaque segment a ete tres critiquee. En ce qui concerne les procedes directs (Femprunt, le caique, la traduction litterale), un certain nombre de traductologues considered qu'ils «restent en decä de ce qu'est veri-tablement I'activite traduisante» et qu'ils « ne sont pas encore de la traduction»(Ladmiral 1979:20). Pour ce qui est des procedes obliques (la transposition, la modulation, I'equivalence, I'adaptation), Ladmiral (1979 : 20) fait egale-ment remarquer que «I'equivalence n'est pas autre chose qu'une modulation lexicalisee », que « le concept d'equivalence a une validite extremement generate et qu'il tend ä designer toute operation de traduction », enfin que «['adaptation n'est dejä plus une traduction.» Pour Chuquet et Paillard (1987 : 10), les definitions donnees par Vinay et Darbelnet sont floues. lis estiment, par exemple, « difficile de I'isoler [I'equivalence] en tant que procede de traduction, dans la mesure oü eile fait entrer en jeu des facteurs socio-culturels et subjec-tifs autant que linguistiques.» Larose (1989: 45) souligne egalement les far-blesses de ces procedes en reprenant les exemples donnes par Vinay et Darbelnet : « Dans Texemple He swam across the river/u\\ traversa la riviere ä la nage", lequel a fait plu-sieurs fois le tour de la terre, pour reprendre l'expression de Pergnier, Vinay et Darbelnet ont pretendu que swam etait concret et que "traversa" etait abstrait, selon justement l'hypothese de la vision du monde (quoi de plus concret que de se faire "traverser" le cceur par une balle!). Get exemple, de meme que celui portant sur le "film de Taction" (par ex. : He gazed out of the open door into the garden/"\\ a regarde dans le jardin par la porte ouverte"), repose sur des bases fragiles.»» Pour pallier les lacunes de cette approche, Larose (1989 ; 26) propose le s6mioteme comme unit6 de traduction : « On ne traduit pas des unites d'une langue par des unites d'une autre langue mais, comme le fait remarquer Jakobson (1963 : 80), des messages d'une langue en des messages d'une autre langue. [...] L'analyse en unites de traduction doit done se liberer du signifiant. Et, bien qu'au niveau lexical l'analyse componentielle permette de resoudre de nombreux probld-mes, e'est plutot vers la decouverte d'unites semiotiques, de « semiotemes » pourrait-on dire, qu'il faudrait se toumer. » Bref, I'approche « stylistique comparee >> a fini par etre abandonnee parce qu'elle etait orien-tee vers le transcodage, e'est-a-dire vers des correspondances virtuelles de mots au lieu de rechercher des equivalences de messages. De plus, en etablissant a posteriori une taxino-mie des ecarts et des difficultes de traduction entre I'anglais et le francais, elle s'est eloignee des equivalences textuelles qui sont au fonde-ment du processus de traduction. 1.2 L'approche theorique » «I inguistique Dans Les Problemes theoriques de la traduction (1963), Georges Mounin consacre la lin-guistique comme cadre conceptuel de reference pour I'etude de la traduction. Le point de depart de sa reflexion est que la traduction est « un contact de langues, un fait de bilinguisme » (Mounin 1963 : 4). Son souci premier est la scientificite de la discipline, ce qui le conduit a poser une question lan-cinante pour I'epoque: * I'etude scientifique de I'operation traduisante doit-elle etre une branche de la linguistique ? »(Mounin 1963 :10). Outre I'appellation contestable d'« operation traduisante »(car seul le sujet est traduisant!), cette question du rattachement de la traduc-tologie occupe totalement les esprits a une epoque ou la linguistique triomphe partout, notamment sous Peffet du structuralisme. Mounin lui-meme precise, dans sa these de doctorat qu'il soutient en 1963, qu'il «etudie, a la lumiere de la linguistique generate con-temporaine, essentiellement structuraiiste, les problemes generaux de la traduction ». Obnubile par la linguistique, Mounin (1963 : 16) repond de facon dogmatique a sa propre CHAPITRE 3 question : « Les problemes theoriques poses par la legitimite ou I'illegitimite de I'operation traduisante, et par sa possibility ou son impossibility, ne peuvent etre eclaires en premier lieu que dans le cadre de la science linguistique ». En realite, t'objectif de Mounin est de faire acceder la traductologie au rang de « science » mais il ne voit pas d'autre possibility que de passer par la linguistique. C'est pourquoi «il revendique pour I'etude scientifique de la traduction le droit de devenir une branche de la linguistique »(Mounin 1976:273). Dans cette optique, son ouvrage est structure suivant des distinctions binaires qui relevent de la linguistique theorique: 1) Linguistique et traduction, 2) Les obstacles linguistiques, 3) Lexique et traduction, 4)« Visions du monde » et traduction, 5) Civilisations multiples et traduction, 6) Syntaxe et traduction. Pour traiter ces aspects, Mounin (1976: 273) passe en revue les principals theories linguistiques de I'epoque (Saussure, Bloomfield, Harris, Hjelmslev) pour affirmer la legitimite d'une etude scientifique de la traduction:«Plusieurs grandes theories linguistiques modernes [...] ont montre combien la saisie des significations - pour des raisons non plus litteraires et stylis-tiques mais proprement linguistiques et meme semiologiques - est, ou peut etre, tres difficile, approximative, hasardeuse. [...] Elles n'ont entame, cependant, ni la legitimite theorique, ni la possibility pratique des operations de traduction. »(Mounin 1963 : 39). La question de I'intraduisible occupe une place importante dans la reflexion de Mounin, mais sa reponse est nuancee. Selon lui, «la traduction n'est pas toujours possible... Elle ne Test que dans une certaine mesure et dans certai-nes limites, mais au lieu de poser cette mesure comme eternelle et absolue, il faut dans cha-que cas determiner cette mesure, decrire exac-tement ces limites »(Mounin 1963: 273). En d'autres termes. les limites de la traduction ne doivent pas etre appreciees de facon theorique dans I'absolu mais examinees au cas par cas :« Au lieu de dire, comme les anciens prati-ciens de la traduction, que la traduction est toujours possible ou toujours impossible, toujours totale ou toujours incomplete, la linguistique contemporaine aboutit a definir la traduction comme une operation, relative dans son suc-ces, variable dans les niveaux de la communication qu'elle atteint»(Mounin 1963:278). Cette derniere phrase a ete parfois reprise comme une definition acceptable de la traduction. Elle presente neanmoins I'incon-venient de sortir la traduction du champ de la linguistique pour la rattacher a celui de la communication, etant entendu que cette derniere connalt aujourd'hui un essor equivalent a celui de la linguistique au siecle dernier. 1.3 L'approche « appliquee» |L. [fi^Lj'i -* tilt* r * * .,f II i ■ r^V,* f'" linguistique La linguistique appliquee est une branche de la linguistique qui s'interesse davantage aux applications pratiques de la langue qu'aux theories generates sur le langage. Pendant longtemps, la traduction a ete percue comme une chasse gardee de la linguistique appliquee. L'exemple type de cette approche est le livre de Catford intitule A Linguistic Theory of Translation (1965), dont le sous-titre est sans ambiguite quant ä la nature de l'approche : Essay in Applied Linguistics (essai de linguistique appliquee). Catford (1965 : 7) affirme son intention de se concentrer sur« I'analyse de ce que la traduction est» afin de mettre en place une theorie qui soit suffisamment generale pour etre applicable ä tous les types de traductions. Dans sa preface, il justifie son approche linguistique: « Comme la traduction a trait au langage, I'analyse et la description des processus de traduction doivent recourir essen-tiellement aux categories mises en oauvre pour la description des langues.» Ä noter ici que Catford veut etudier les« processus de traduction » en ayant recours ä la linguistique appliquee, mais il estime neanmoins que la traductologie doit etre rattachee ä la linguistique compare:« La theorie de la traduction s'intyresse ä un certain type de relation entre les langues et elle est, par con-syquent, une branche de la linguistique comparee »(Catford 1965 : 20). Approches et modeles de la traduction Bref, pour Catford, il existe une theorie generale du langage dont la traduction n'est qu'un cas particulier. Elle est une relation inter-langa-giere dont le fondement est la substitution de textes :« La traduction est une operation reali-see sur les langues: un processus de substitution d'un texte dans une langue par un texte dans une autre langue »(Catford 1965 :1). Ä partir de cette conception, Catford distingue divers types de traductions: 1) La traduction « integrale », par opposition ä la traduction « partielle », parce qu'elle s'effectue au niveau des syntagmes et non pas des mots simples. 2) La traduction «totale », par opposition ä la traduction « restrictive », parce qu'elle concerne les niveaux du langage et non pas des usages particuliers. Malgre son interet theorique, cette typologie sera critiquee pour deux raisons: d'une part, parce que les traductologues sont unanimes sur le fait que la traduction «totale » n'existe pas et qu'il s'agit d'une vue de I'esprit; en pratique, il n'y a que des traductions « partielles » parce qu'il ne saurait y avoir identite de signification interlinguistique ; d'autre part, parce qu'il s'agit davantage, dans cette typologie, de correspondances for-melles que d'equivalences ä proprement parier; la traduction ne peut se reduire a la concordance de la forme au contenu des langues visees. En realite, l'approche linguistique de Catford -appliquee ä la traduction - reflete surtout I'etat de la theorie linguistique ä son epoque. Ainsi, la dimension « dynamique » de la traduction, mise en evidence par Nida, est totalement absente de son approche. II faut attendre Taftirmation de la sociolinguistique et de la linguistique textuelle pour saisir les liens existant entre les niveaux du texte et les realites extra-textuelles. 1A L'approche sociolinguistique La sociolinguistique etudie la langue dans son contexte social ä partir du langage concret. Apparue dans les annees 1960 aux £tats-Unis sous I'impulsion de Labov, Gumperz et Hymes, elle a beneficie de Papport de la sociologie pour I'etude du langage. Parmi ses centres d'interet, on trouve les differences socioculturelles et I'analyse des interactions, mais aussi les politiques linguistiques et I'eco-nomie de la traduction ; bref, tout ce qui a trait au traducteur et a I'activite de traduction dans son contexte social. Dans Les Fondements sociolinguistiques de la traduction (1978), Maurice Pergnier s'inter-Iroge sur ia nature de la traduction en mettant en exergue le caractere ambigu du terme-meme : « Le phenomene recouvert par le terme de traduction ne comporte pas, en depit des apparences, de frontieres nettes et bien definies » (Pergnier 1978 : 2). Ce constat Pamene a distinguer trois accep-tions de la traduction : 1) Le terme designe un «resultat», c'est-a-dire le produit fini: le texte traduit est une traduction. 2) Le terme designe une « operation », c'est-a-dire la maniere de traduire: ainsi, I'ope-ration de reformulation mentale est une traduction. 3) Le terme designe une «comparaison», c'est-a-dire la mise en parallele de deux idiomes : les deux objets compares sont des traductions. Pergnier (1978: 3) precise cependant que « si ces trois aspects se supposent les uns les autres et constituent trois facettes du meme phenomene, ils n'en sont pas moins irreducti-bles aux memes modes d'approche.» S'agissant de l'approche la plus a meme de rendre compte de la traduction, Pergnier (1978 : 7) souligne I'interet mais aussi les limi-tes de l'approche linguistique:« S'il n'est pas possible de mettre en doute que la traduction releve bien de la linguistique, en tant qu'elle s'opere sur et par le langage, il faut souligner cependant que Pusage qui est fait du terme linguistique, s'agissant des problemes de la traduction, est la plupart du temps restrictif.» Pour lui, la traduction couvre le meme champ de problematiques langagieres que la Unguis- CHAPITRE 3 e refus de la linguistique L'Ecole de Paris, par la voix de Seleskovitch et Lederer, refute la legitimite du recours exclusif a la linguistique pour I'etude de la traduction : « Quels qu'aient ete les merites de la linguistique [...] elle ne peut pretendre expliquer la complexity de la traduction [...] les linguistlques structurales et generatives ont ete mues par ce qui nous apparaTt aujourd'hui comme un complexe d'inferiorite a Pegard des sciences exactes, Elles se sont efforcees de facon quasi obsessionnelle de reifier la langue. En en faisant un objet observable de facon objective, elles se voulaient scientifiques. En se limitant au mesurable, quantifiable et previsible, elles ont sacrifie I'essentiel du langage: son emploi en situation par un individu pensant »(Lederer 1994 : 92). tique avec, en plus, une ouvertuře sur d'autres disciplines : « C'est bien la linguistique, mais une linguistique qui se déploie dans toutes les directions que suggěre son objet, jusqu'a ses confins ou elle rejoint d'une part la sociologie et I'anthropologie et, á I'autre extréme, la neurologie et la biologie»(Pergnier 1978:11). II fait ainsi le constat impficite de Pinsuffisance des outils conceptuels de la linguistique et éprouve le besoin de faire appel á d'autres disciplines pour appréhender le phónoměne traductologique. II en arrive á la conclusion que«la traduction est - on Pa souvent dit - la meilleure 'lecture' qui puisse étre faite d'un message »(Pergnier 1978: 479). mm ■■ í— 2. L'APPROCHE HERMENEUTIQUE L'hermeneutique est un mot forge a partir du grec « hermeneuein » - qui signifie a Porigine « comprendre, expliquer »> - mais qui a fini par designer un courant et une methode d'inter-pretation initiee par les auteurs romantiques allemands. Le principal promoteur de cette methode dans le domaine de la traduction est Friedrich Schleiermacher (1767-1834). Pour lui, la traduction doit etre fondee sur un processus de comprehension de type empa-thique, dans lequel Pinterpretant se projette dans le contexte concerne et s'imagine a la place de I'auteur pour essayer de ressentir ce qu'il a senti et reflechir comme lui. Loin d'objectiver le texte en maintenant une distance critique, le traducteur est invite a I'abor-der de facon subjective et a adopter un point de vue interne pour etre le plus proche possible de la « source ». Bref, la metaphore-cle du courant hermeneutique pourrait etre: « se mettre dans la peau de I'auteur». L'hermeneutique traductionnelle selon Steiner Dans After Babel (1975), George Steiner affirme que « comprendre, c'est traduire ». C'est meme le titre du premier chapitre de son livre. Dans cette perspective, il entend explorer«un nou-veau terrain pour la pensee, celui d'une ontológie de la comprehension á partir d'une gram-maire et d'une poétique du traduire »(Steiner 1975:9). Le sous-titre anglais du livre Aspects of Language and Translation) ne rend pas suffi-samment compte de ce programme philosophi-que, á Pinverse du sous-titre de la version fran-caise, plus precis et plus explicite : Une Poétique du dire et de la traduction. Or comprendre nécessite ď interpreter, et cette interpretation est indispensable á tous les niveaux, de ľétablissement du texte jusqu'au choix final des equivalences. Pour illustrer cette impérieuse nécessite, Steiner cite un extrait de Shakespeare qui exige une recherche préalable á tout travail de traduction. Pour pouvoir traduire cet extrait, il faut établir Poriginal, car celui-ci n'a pas une forme figée et unique, étant donne les variations entre le "manuscrit" publié par Shakespeare en 1623 et les versions imprimées par la suite. Le traducteur est contraint, dans ce cas precis, á faire « au sens plein des termes, oeuvre ďinterprétation et de creation ». II faut choisir 4161 Approches et modeles de la traduction entre plusieurs versions, ce qui revient ä decider, dans une certaine mesure, de la forme de Poriginal qu'on traduira. De plus, il n'est pas prouve que Shakespeare adoptait, pour tous les mots, le sens generale-ment reconnu, ce qui revient ä dire que le tra-ducteur doit interpreter l'idiolecte de l'auteur dans un sens qui ne contrevient pas au con-texte historique. Or, cette täche est perilleuse car«toute lecture approfondie d'un texte du passe d'une langue ou d'une litterature est un acte d'interpretation aux composantes multiples »(Steiner 1975:197). Pour mesurer la difficulty de Interpretation en traduction, Steiner (1975 : 45) rappeile quelques evidences : tout d'abord, « il n'est pas deux lectures, pas deux traductions identiques»; ensuite,«le travail de traduction est constant, toujours approximatif» ; enfin, «tout modele de communication est en meme temps modele de traduction». Pour Steiner (1975 : 45), ces trois champs conceptuels que sont la traduction, le langage et la communication, sont intrinsequement lies : « Correctement interpretee, la traduction est une portion de la courbe de communication que tout acte de parole mene ä bien decrit ä I'interieur d'une langue. [...] Ä I'interieur d'une langue ou d'une langue ä I'autre, la communication est une traduction, studier la traduction, c'est etudier le langage. » L'on pense immediatement ä la linguistique pour I'etude de la traduction. Mais Steiner de preciser aussitöt:«la linguistique en est encore au Stade des hypotheses mal degrossies en ce qui concerne les questions essentielles ». Exit done la linguistique, place ä I'hermeneutique: « A considerer la traduction comme une herme-neutique de I'elan, de la penetration, de la mise en forme et de la restitution, on depasse le modele sterile ä trois volets qui domine tout au long de sa theorie et de son histoire,» C'est pourquoi le parcours hermeneutique propose par Steiner se deroule en quatre temps: d'abord,«un elan de confiance» qui enclen-che toute comprehension ; ensuite, vient le temps de « ('agression, de I'incursion, de Pextraction »; la troisieme phase est l'« incorporation au sens fort du terme » ; enfin, I'acte hermeneutique doit etablir une compensation, « une reciprocity qui recree I'equilibre »> (Steiner 1975:277-281). Lors de la premiere phase hermeneutique, le traducteur« se soumet » au texte source et lui «fait confiance » en se disant qu'il doit bien « signifier» quelque chose, malgre son carac-tere totalement « etranger» de prime abord. S'il ne place pas d'emblee sa foi dans le texte, il ne pourra pas le traduire ou bien fera des traductions litterales et indigestes. La deuxieme phase est celle de « I'agression ». Apres s'etre mis en confiance, le traducteur s'attaque au texte, « fait une incursion » pour extraire le sens qui l'interesse. II n'est plus dans une position passive mais active et conque-rante. Steiner convoque Hegel et Heidegger pour confirmer la nature agressive de toute appropriation du sens. La troisieme phase est celle de « incorporation ». Elle est encore plus agressive que la precedente, car le traducteur rentre chez lui -dans sa tribu - avec le butin conquis (le sens qu'il a bien voulu extraire et empörter dans sa langue). S'il s'arrete ä cette etape, il produira des «traductions assimilatrices » qui gom-ment toute trace de I'origine etrangere. La quatrieme phase est celle de la «restitution » : ici, le traducteur retrouve la paix interieure et recherche la fidelite au texte en se faisant exe-gete. II acquiert la mesure de sa responsable et retablft I'equilibre des forces entre la source et la cible. Bref, il«restitue » ce qu'il avait vole, repare ce qu'il avait detruit, par souci ethique. Cette hermeneutique quadripartite, motivee par la volonte de depasser les Schemas anciens, offre l'avantage de l'innovation et du dynamisme. Mais eile ne permet pas d'attein-dre la « traduction parfaite », en raison du caractere foncierement polysemique, evolutif et imprecis du langage. Steiner (1975 : 292) doit se contenter de la * bonne traduction » qui n'est pas plus aisee ä realiser pour autant: « La bonne traduction se definit comme celle ou la dialectique de l'impenetrable et de la progression, de Petrangete irreductible et du terroir ressenti n'est pas resolue mais demeure expressive.» La dimension dialectique que Steiner a tente d'instaurer dans son hermeneutique de la 1*1« it tTv' Vl>t*fl CHAPITRE 3 traduction grace ä ce mouvement en quatre temps ne doit pas masquer la violence des phases mentionnees plus haut. Les deux phases centrales du processus, «I'agression » et «Incorporation », ne laissent aucun doute quant au caractere conquerant de la traduc- tion ni quant a la violence exacerbee qui raccompagne. Ce n'est pas un hasard d'ailleurs si le livre de Steiner a ouvert la voie aux etudes ideologiques sur la traduction, notamment de la traduction comme reflet de I'imperialisme et/ou du colonialisme. 3. LES APPROCHES IDEOLOGIQUES L'ideologie est un ensemble d'idees orientees vers Taction politique. L'approche ideologique a connu un essor important dans le sillage du courant culturaliste, qui a mis les etudes sur les rapports de pouvoir au centre de ses preoccupations. Le domaine de la traduction a ete maintes fois analyse suivant ce para-digme particulier. Plusieurs questions ont ete posees a ce sujet: la traduction est-elle moti-vee ideologiquement ? Comment faire la difference entre « culture »> et*ideologie » dans une traduction ? Comment separer notre vision du monde de l'ideologie qui peut enta-cher la traduction ? La traduction est-elle tou-jours ideologique ? Autant de questions qui ont recu des repon-ses variables dans lesquelles se melent des considerations heteroclites concernant des aspects differents : 1) la « censure » des traductions ; 2) l'« imperialisme »> culture!; 3) le « colonialisme » europeen. En tout cas, on est loin de I'activite de traduction comme « mediation culturelle » ou encore comme « dialogue des cultures ». En definitive, les approches ideologiques apparaissent elles-memes comme marquees par le sceau de l'ideologie. Berman (1984) fait une distinction entre les traductions « ethnocentriques »>, qui mettent en avant le point de vue de la cible (langue d'arri-vee), et les traductions « hypertextuelles », qui privilegient les liens implicites entre les textes des differentes cultures. De son cote, Penrod (1993 : 39) distingue deux grandes tendances ideologiques : la « naturalisation » des elements contenus dans la traduction et « I'exotisation » qui preserve les elements originaux tels quels. L'auteur ecrit:« Comme nous sommes toujours ame- nes, en traduisant, a prendre position concernant les autres langues et cultures, nous devons etre sans cesse vigilants quant a la position presumee.» En realite, derriere l'approche ideologique se profile le vieux debat sur la «fidelite » a la source, lequel debat oppose la traduction « litterale » a la traduction « libre »». Les tenants de cette approche cherchent simple-ment a qualifier sur le plan politique les choix de traduction qui sont faits a un moment donne concernant un texte ou une ceuvre particuliere. Dans cette perspective, Lefevere (1992 : 39) ecrit:« A chaque niveau du processus de traduction, il est possible de montrer que lors-que les considerations linguistiques entrent en conflit avec des considerations d'ordre ideologique ou poetologique, ces dernieres ont tendance a Temporter. » En ecrivant cela, il pensait surtout a la censure des oeuvres consid6rees comme « osees »> dans certaines cultures. De son cdte, Niranjana (1992 : 3) pense au colonialisme europeen et met en cause la representation de I'autre dans les oeuvres tra-duites. Pour lui, « la traduction renforce les representations hegemoniques du colonise ». L'auteur denonce la « repression de la difference » dans les traductions des « colonisa-teurs »> et estime que certaines representations ne laissent aucun doute sur la nature ideologique de la «trahison ». II sera conforte dans cette optique par ('etude de Tymoczko (1999) concernant les traductions vers I'anglais de la litterature irlandaise. Cependant, I'analyse du phenomene doit etre contextualis^e ict, car il est evident que la Approches et moděles de la traduction traduction n'echappe pas a son temps et qu'elle suit 1'evolution ideologique de son epoque. Kelly (1979 : 70-74) montre qu'il est possible de reinterpreter toute I'histoire de la traduction en adoptant un point de vue ideologique ou politique. L'auteur prend comme exemple le pas-sage de la traduction a domi-nante « litterale » au Moyen Age vers un mode de traduction plus « libre »> a partir de la Renaissance. Dans le meme etat d'esprit, il ne semble pas etonnant que les traductions de I'epoque romantique soient « romanticisees » ni que les traductions de I'epoque communiste soient « revisees » selon les dogmes du communisme. Ainsi, le linguiste russe Fedorov, qui avait ecrit Tun des premiers ouvrages sur la theorie de la traduction (1958 : 91), estimait que les reflexions de Lenine en la matiere etaient de la plus haute importance pour tous ceux qui s'interessent a la traduction. Lenine conside-rait, en effet, que la meilleure occupation pour un intellectuel en prison etait de traduire des romans dans un sens puis de les retraduire dans I'autre sens. C'etait I'un de ses«conseils les plus avises », selon Fedorov. La theorie marxiste de la traduction est en soi une excroissance ideologique du communisme. Dans sa version standard, la traduction est decrite comme une activite dialectique ou la langue source occupe la fonction de la «these », par opposition a la langue cible qui joue le r&le de « Pantithese », afin que le conflit soit resolu dans la « synthese » que repre-sente la traduction. Certains théoriciens occidentaux ont été éga-lement critiques pour leur approche de la traduction qui se voulait « objective » et « neutre»alors qu'elle dissimulait, selon leurs détracteurs, une dimension ideologique latente. C'est le cas d'Eugene Nida, promo-teur du concept d'equivalence dynamique, qui a été accuse par Meschonnic (1986 : 77) de « pseudo-pragmatisme >» et par Gentzler (1993 : 59) de cacher son cóté « protestant» derriěre son approche linguistique. ologie et traduction selon Meschonnic Dans Pour la poétique // (1973), Henri Meschonnic insiste sur I'importance de I'ideologie dans I'etude de la traduction : « La theorie de la traduction des textes se situe dans le travail, fondamental pour Pépistémologie, sur les rapports entre pratique empirique et pratique théorique, écriture et ideologie, science et ideologie. [...] Une theorie translinguistique de I'enonciation consiste dans ^interaction entre une linguistique de I'enonciation [...] et une theorie de I'ideologie » (Meschonnic 1973 : 305). Pour lui, la notion de «transparence » de la traduction reflěte simplement I'ignorance du traducteur, car la traduction n'est autre chose que la « ré-énonciation spécifique ďun sujet historique » (proposition 11): « L'illusion de la transparence appartient au systéme ideologique caractérisé par les notions liées ďhétérogénéité entre la pensée et le langage »(Meschonnic 1973 :305). Selon lui, la « ré-énonciation » peut prendre deux formes, le décentrement ou I'annexion : « Le décentrement est un rapport textuel entre deux textes dans deux langues-cultures. [...] L'annexion est I'effacement de ce rapport, l'illusion du naturel. [...) II [le traducteur] transpose I'ideologie dite dominantě dans une pratique de I'annexion » (1973 : 307). Dans ses formes les plus exacerbées, cette « annexion » relěve de I'imperialisme : « Un imperialisme culture! tend á oublier son histoire, done á méconnaítre le role historique de la traduction et des emprunts dans sa culture » (Meschonnic 1973 : 307). Pour donner des exemples de cet imperialisme culturel dans la pratique de la traduction, Meschonnic cite deux formes communes de décentrement et d'annexion : « La poétisation (ou littérarisation), choix ďéléments décoratifs selon I'ecriture collective ďune société donnée á un moment donné, est une des pratiques les plus courantes de cette domination esthétisante. De méme la récriture : premiére traduction « mot á mot » par un qui sait la langue de depart CHAPITRE 3 mais qui ne parle pas le texte, puis rajout de la « poesie » par un qui parle le texte mais pas la langue » {1973 : 307). En guise d'illustration, il donne un exemple symptomatique de ces defauts de traduction : « Un langage-systeme [...] n'est pas un langage poetise et factice comme Le Cantique des cantiques de Chouraqui >» (Meschonnic 1973 : 308). Pour justifier cette position, Meschonnic insiste sur le lien indefectible dans le cadre de la traduction entre ecriture et ideologie : « une theorie et une pedagogie des textes, desesthetises, desacralises, travaillant a une semantique theorique du langage poetique et aux rapports entre ecriture et ideologie, peut transformer le statut theorique, la pratique et le statut sociologique de la traduction » (Meschonnic 1973:323). Bref, dans le cadre de I'approche ideologique, tout peut etre ideologise, c'est-a-dire recevoir une interpretation orientee et politisee : les elements omis par le traducteur, I'identite du commanditaire, le controle du processus de traduction, etc. Certes, cette approche a mon-tre de facon irrefutable I'illusion de la « neutrality » du traducteur, mais a trop rechercher Hdeologie partout, elle risque de reduire a neant tout ideal de dialogue interculturel par le biais de la traduction. . ------- u i ■ , ni , ii 11 i - n a mm ■ mm, >n i ail Mpwrt—«Up m hi ■ ihm» h««»m^^^—w—»11 ww) ■ m} — *™ mm >• 4. L'APPROCHE POÉTOLOGIQUE wium r ■»•*- uuinm.-«««.» i i I n i —m>......" *■ »■ —»»■«■■ ■ Ji m......-i^ ■■...........■ — ■ ' *.................■ 1 1 ■ ■ La poétique est I'etude de I'art littéraire en tant que creation verbale. Ainsi, Tzvetan Todorov distingue trois grandes families de theories de la poesie dans la tradition occidentale: le premier courant développe une conception rtiéto-rique qui considěre la poesie comme un ome-ment du discours, un « plus » ajouté au langage ordinaire; le deuxiěme courant congoit la poesie comme I'inverse du langage ordinaire, un moyen de communiquer ce que celui-ci ne sau-rait traduire; letroisieme met I'accent sur lejeu du langage poétique qui attire I'attention sur lui-méme en tant que creation davantage que sur le sens qu'il véhicule. Dans cette perspective, la traduction de la poesie occupe une place de choix. Certains traductologues en ont fait une problématique centrale de leur reflexion. Ainsi, dans Un Art en crise (1982), Efim Etkind estime que la traduction poétique passe par une crise profonde dont il essaie de comprendre les causes. Plu-sieurs conclusions ressortent de son etude. En premier lieu, il y a la rationalisation caracté-ristique de I'approche frangaise:« Le mal dont souffre depuis longtemps la traduction poétique frangaise porte un nom: c'est la rationalisation systématique de I'original, qui ignore I'unite irre-ductible de chaque poéme »(Etkind 1982:13). Ensuite, il y a un état de défonctionnalisation : « L'absence de fonction est le défaut le plus répandu de la littérature de la traduction. L'ori-gine de ce phénoměne, qu'on pourrait appeler défonctionnalisation, il faut la chercher dans la nécessité de publier». A vouloir publier des traductions á tout prix - souvent au mépris des regies déontologiques les plus élémentai-res - les traducteurs ne font qu'augmenter la masse des versions sans fonction sociále. Enfin, il y a I'abstraction excessive de la reflexion traductologique qui n'aide pas les praticiens : « Au cours de ces derniěres années ont surgi, et ont disparu aussi vite, un grand nombre de theories fort abstraites; leur multitude comme la complexité sans cesse Approches et moděles de la traduction croissante de la terminologie employee n'ont rien fait pour ameliorer la pratique de la traduction » (Etkind 1982 :19). Pour toutes ces raisons, Etkind regrette I'absenced'une veritable critique-comme il en existe pour les ceuvres litteraires - susceptible de juger les traductions realisees: « Si la traduction des vers est aujourd'hui en pleine crise, cela est du, entre autres raisons, a I'inexistence de la critique... Tant qu'il n'existera pas de critique, continueront a paraitre en toute impunite, les unes apres les autres, des traductions qui trompent le lecteur»{Etkind 1982:28). Etkind precise d'ailleurs qu'il a entrepris son essai de poetique pour demontrer les differen-tes options qui existent pour traduire la poe-sie. II existe, en effet, en matiere de traduction poetique, deux grands courants representes par deux poetes majeurs de la litterature francaise: Charles Baudelaire (1821-1867) et Paul Valery (1871-1945). Pour Baudelaire (1859), il n'est pas possible de traduire la poesie autrement que par de la prose rimee : « Dans le moulage de la prose applique a la poesie, il y a necessairement une affreuse imperfection ; mais le mal serait encore plus grand dans une singerie rimee» (cite dans Etkind 1982:247). A I'inverse, pour Valery (1968), il ne suffit pas de traduire le sens poetique; il faut tenter de rendre la forme jusque dans la prosodie:« S'agissant de poesie, la fidelite restreinte au sens est une maniere de trahison. Que d'ouvrages de poesie reduits en prose, c'est-a-dire a leur substance significative, n'existent litteralement plus [...] Un poeme au sens moderne [...] doit creer I'illusion d'une composition indissoluble de sons et de sens »(cite dans Etkind 1982:253). Etkind critique la conception baudelairienne qui appelle a la traduction de la poesie « dans le moulage de la prose » et se place resolument du cote de Valery qui fait de la signification Tun des attributs subalternes du langage poetique, en se fondant sur sa propre experience de poete : « Je m'assurais que la pensee n'est qu'accessoire en poesie et que le principal d'une oeuvre en vers, que I'emploi meme du vers proclame, c'est le tout, la puissance resul-tante des effets composes de tous les attributs du langage»(cite dans Etkind 1982 : 257). Traduire le « tout » poetique Etkind met en cause I'opposition entre le « fond >■ et la «forme », qu'il accuse de tous les maux : « C'est trěs prócisément cette distinction entre le fond et la forme qui est á I'ori-gine de la crise traversée par la traduction poetique en France »(Etkind 1982 : 10). Refusant de privilégier Tune par rapport á I'autre, il déplace le debat au niveau de la prosodie et de la sonorité, pour lui définitoires de la poesie: « La poesie, c'est I'union du sens et des sons, des images et de la composition, du fond et de la forme. Si, en faisant passer le poéme dans une autre langue, on ne conserve que le sens des mots et les images, si on laisse de cóté les sons et la composition, il ne restera rien de ce poéme. Absolument rien.»(Etkind 1982:11). Etkind estime qu'on ne traduit pas des mots en d'autres mots, mais du mental en verbal: « Tout langage est déjá infidélité par rapport au mental [...] Lire un poéme, c'est done un peu le traduire...» Aprěs avoir insisté sur la lecture, il met en parallěle le travail du traducteur avec celui du peintre:« La traduction n'est pas une technique de reproduction mais un art, c'est-a-dire une activité qui crée une chose á partir d'une autre. (...) Le poete lui-méme n'avait-il pas été déjá de la méme maniére le peintre de sa propre aventure mentale ? II I'avait mise en mots [...] il avait uni la vérité ďemotion á une beauté verbaie. Le traducteur tentera á son tour une peinture de cette peinture en la transpo-sant dans un coloris nouveau oú il s'efforcera de conserver les relations et I'effet general de I'ceuvre primitive ». Pour parvenir á cette traduction « artistique », Etkind énonce quelques principes permettant de bien traduire la poesie sur le mode pictural:« Établir la dominantě, choisir au plus juste ce qui doit étre sacrifié, tels sont les principes premiers de I'art du traducteur» (Etkind 1982 :12). Ainsi congue, la traduction se con-fond avec ťécriture et le traducteur devient auteur á part entiére:«II n'y a pas de traduction mais creation, et creation grace á la litté-ralité absolue »(Etkind 1982 : 255). Cette « littéralité absolue » peut inquiéter le traducteur, mais Etkind (1982 : 257) s'empresse de préciser: « Le traducteur qui CHAPITRE 3 La poétique de la traduction selon Meschonnic Dans Pour la poétique II (1973), Henri Meschonnic accorde une grande place á la « poétique de la traduction », qu'il veut tibérer du dualisme qui oppose la « théorie » á la « pratique ». Pour cela, il fait appel aux textes de Walter Benjamin et propose de concevoir« la traduction comrne la pratique ďune théorie du signifiant », parce qu'« il n'y a plus, ici, antagonisme entre une activité reflexive et une pratique, mais une homogénéité dialectique. Traduire n'est pas détruire. Cest ici montrer qu'un texte continue » (Meschonnic 1973 :301). Pour conforter cette opinion, il commence par interroger certaines idées recues sur la traduction poétique. Le caractěre intraduisible de la poesie, par exemple, est un cliche qui apparaít chez Coleridge en 1817, mais qui est devenu depuis un lieu commun, bien que I'histoire de la traduction en démontre Tinanité (Meschonnic 1973 : 351). II en est de méme du statut du traducteur qui apparaít faussement paradoxal:« un traducteur qui n'est que traducteur n'est pas traducteur, il est introducteur; seul un écrivain est un traducteur (...) Ce n'est pas encore un truisme pour tous que de dire que traduire un poéme est écrire un poéme, et doit étre cela ďabord » (Meschonnic 1973:354). Pour corriger ces idées regues, Meschonnic fait des propositions théoriques fortes visant une poétique de la traduction, qu'il énonce en 36 points. En voici les plus importants : 1) « Traduire un texte n'est pas traduire de la langue, mais traduire un texte dans sa langue. » 2) « La poesie n'est pas plus difficile á traduire que la prose. La notion de la difficulté de la poesie, qui se présente aujourd'hui comme ayant toujours eu cours, est datée. Elle inclut une confusion entre vers et poesie. » 3) « La traduction n'est plus définie comme transport du texte de depart dans la s'est identifié á I'auteur de I'original éprouve non plus une sensation de paralysie mais, soudain, de liberie ; de cette liberie de creation, telle qu'en use le poete [...] dans la mesure ou I'art de la traduction est avant tout I'art d'accepter tel sacrifice, de trouver telle compensation, de faire telle trouvaille, le tra-ducteur-créateur se sent, dans les limites des obligations imposées, le maítre de ces operations, et done du texte». Pour ne pas se sentir prisonnier de I'original, Etkind propose de ne pas se focaliser sur un aspect en particulier du poéme, ni sur le sens, ni sur les sons, ni sur les images. II faut simple-ment prendre conscience que « le texte forme un tout et il [le traducteur] doit absolument redonner á ce tout, dans sa propre langue, sa fonction, en respectant la forme et la pensée » (Etkind 1982: 261). En traduction poétique, il s'agit ainsi de recreation au sens fort du terme. Etkind en est convaincu :« Si la creation verbale est possible, alors la recreation Test tout autant. La difficulté de la premiere est ďincarner le principe spirituel dans ta matiére du mot; la difficulté de la seconde, moins philosophique, est de trouver pour telle ou telle réalité spirituel le une autre enveloppe de mots. Mais la creation verbale a déjá montré que cette incarnation était possible »(Etkind 1982 : 255). Suivant cette conception, Etkind distingue plusieurs types de traduction : «1. La traduction en prose qui ne pretend pas étre une oeuvre d'art: elle se contente de transmettre le contenu sémantique. Je Pappellerai traduction en prose d'information. 2. La traduction en prose qui vise á reproduce le systéme artistique sans s'attarder aux diffi-cultés particuliéres du rythme et de la rime. Je I'appellerai traduction en prose artistique. 3. La traduction en vers de type intermédiaire. Elle ne pretend pas a une existence autonome, elle n'a de sens qu'en regard de I'original [...] Ce genre de traduction peut s'appeler traduction versifiée d'information. Approches et moděles de la traduction 4. La traduction en vers, visant a retnplacer I'original pour le lecteur ignorant de la langue de depart, a produire sur lui, en tout ou en par-tie, I'impression meme que I'original produit sur un Anglais. Cela, c'est la traduction artisti-que en vers »(Etkind 1982 : 211). Pour Etkind, ces quatre types de traduction permettent de determiner avec precision la nature de I'operation dont il est reellement question dans la pratique. litterature du texte d'arrivee ou inversement transport du lecteur d'arrivee dans le texte de depart (double mouvement, qui repose sur le dualisme du sens et de la forme qui characterise empiriquement la plupart des traductions), mais comme travail dans la langue, decentrement, rapport interpoetique entre valeur et signification. » 4)« On construit et on theorise un rapport de texte a texte, non de langue a langue. Le rapport interlinguistique vient par le rapport intertextuel, et non le rapport intertextuel par le rapport interlinguistique. » 5. L'APPROCHE TEXTUELLE L'approche textuelle part du postulát que tout discours peut étre « mis en texte ». Qu'il s'agisse d'une interaction orale ou écrite, le résultat est le méme : c'est un «texte »> qui possěde des caractéristiques propres et un sens precis. II en découle que toute traduction est censée étre précédée d'une analyse textuelle, au moins au niveau typologique, pour assurer la validitě de la comprehension - et done de I'interpretation - qui s'ensuit. Mais il existe plusieurs perspectives ďétude du « texte », ce qui rend ('analyse traductologi-que compliquée: 1) Le type de texte determine la nature et les modalités de la traduction; 2) La fonction envisagée pour le texte determine la traduction; 3) La finalité du texte determine la traduction; 4) Le sens du texte determine la traduction; 5) Le contexte ou le cadre du texte determine la traduction; 6) Vidéologie du texte determine la traduction. En raison de la multiplicité des points de vue et de la diversité des perspectives textuelles, plusieurs traductologues se sont orientés vers une approche plus spécifiquement discursive de la traduction. L'analyse du discours offre, en effet, un cadre ďétude plus rigoureux pour aborder les pro- blemes de traduction. Du point de vue de la linguistique, le terme « discours » recouvre non seulement la structure et ('organisation des productions langagieres, les relations et les differences entre les sequences, mais ausst I'interpretation de ces sequences et la dimension sociale des interactions. Dans cette perspective, Delisle (1980 : 22) a propose une methode de traduction fondee sur l'analyse du discours, mais il s'est inte-resse exclusivement aux « textes pragmati-ques » qu'il definit ainsi: « Les ecrits servant essentiellement a vehiculer une information et dont I'aspect litteraire n'est pas dominant.» A travers l'analyse du discours, Delisle (1980 : 18) vise expressement I'autonomisation de la traduction et I'institution d'une theorie «texto-logique » centree sur la dynamique traduction-nelle, e'est-a-dire sur l'analyse du « processus cognitif de I'operation ». Cela passe, selon lui, par I'introduction d'une dose d'interpretation dans I'activite de traduction, permettant ainsi au traductologue de se demarquer de l'approche comparative centree sur la « signification » (langue). Du point de vue traductologique, l'analyse du discours permet en effet de se focaltser sur le « sens » en abordant deux niveaux principaux : d'une part, le niveau du « genre », c'est-ä-dire des cadres d'expression linguistique et litteraire propres ä une langue (le genre CHAPITRE 3 « lettre de motivation », « román policier», etc.) et ďautre part, le niveau du «texte », c'est-á-dire des unites rhótoriques compo-sóes de sequences reliées et complómentai-res (phrases, paragraphes). Cela est ďautant plus important qu'il existe des phénoménes textuels que le traducteur doit savoir détecter pour pouvoir traduire de fagon pertinente. Le plus marquant de ces phénoménes est Vintertextualité qui concerne les liens implicites ou explicites entre les tex-tes, tels que la reprise, la paródie, le pastiche ou la citation. Le traducteur doit savoir recon-naítre ces liens afin de ne pas traduire prosáf-quement, par exemple, un vers célébre de poésie en simple prose ou sans tenir compte de la reference poétique. Ľintertextualité intégre également le phéno-méne des « discours concurrents» qui concerne, par exemple, ľemploi délibéré ďun registre marqué dans un contexte inhabituel (i.e. des expressions familiéres dans un contexte soutenu). Le traducteur doit pouvoir reconnaítre les traits relevant de chaque niveau d'expression et les rendre par une expression adequate. Les différents types de discours (écrits et oraux) renferment également des modes d'expression de la sociabilité qui different d'un groupe humain ä ľautre et d'un pays ä ľautre. Dans certains contextes (tels que les tribunaux), la connaissance de ces modes d'expression est essentielle pour la defense ou ľaccusation. lis exigent, par consequent, une attention particuliére de la part du traducteur ou de ľinterpréte, qui engage dans de tels cas sa responsable éthique et juridique. Plus généralement, les discours révélent des visions du monde diverses et variées selon les groupes sociaux et les locuteurs qui en sont issus. Dans cette perspective, la sensibilité sociolinguistique du traducteur est primordiale, en particulier concernant des phénoménes aussi recurrents que les formules de poli-tesse ou l'expression du respect selon les contextes et les cultures. Dans les domaines de špecialite, l'analyse du discours sert notamment á montrer le marquage culturel de la terminológie. Ainsi, la traduction d'un ouvrage ou d'un article de medecine du francais vers I'arabe necessitera, par exemple, le passage d'une maniere abstraite de penser et d'ecrire a une maniere plus concrete et plus pratique, une variete de modalites et de registres differents, un choix de concepts et de metapho-res medicales plus adaptes a la culture cible. Le processus de metaphorisation est Tun des aspects les plus remarquables dans I'analyse du discours. De ce point de vue, les metapho-res apparaissent comme des marqueurs de visions culturel les et de points de vue ideolo-giques, marqueurs qui torment un reseau de signification incontoumable lors de la traduction. Car il ne s'agit pas simplement de precedes decoratifs du texte, mais de veritables declencheurs d'effets chez le recepteur. Bref, les contraintes discursives ne sont pas les memes entre les langues, et le traducteur doit adapter sa perspective et sa methode de travail en fonction des discours qu'il rencontre. Dans leur tentative de redefinir la traduction, Hewson et Martin (1991) s'appuient precise-ment sur ces divergences pour expliquer I'interet d'une « approche variationnelle». Le modele d'analyse qu'ils proposent est en deux temps : d'abord, « linguistique » avec une generation de paraphrases dans la langue source et la langue cible; ensuite,« normatif »> avec I'application de filtres socioculturels. L'objectif est de parvenir a des correspondan-ces paraphrastiques (homologies), tant au niveau intralinguistique qu'interlinguistique. Par le biais de cette approche textuelle forte-ment ancree dans la realite socioculturelle, les auteurs veulent parvenir a une systematisation de I'operation de traduction qui ne soit pas tri-butaire des exemples individuels. Cela leur permet egalement de redefinir le rdle du traducteur, « operateur de la traduction », comme un mediateur culturel avant tout. L'approche textuelle selon Larose Dans son ouvrage de synthese intitule Theories contemporaines de la traduction (1989 : 15), le linguiste canadien Robert Larose analyse les elements constitutifs des discours sur la traduction au cours des annees 1960-1980, en particulier ceux de Vinay et Darbelnet, 076^ Approches et modeles de la traduction Mounin, Nida, Catford, Steiner, Delisle, Lad-miral et Newmark. Cette etude comparative a le merite de mettre en evidence a la fois les qualites et les limites des titres qu'elle passe en revue, mais il s'agit d'une synthese orientee vers la conceptualisation, en ce sens que Larose vise a proposer, a travers cet expose, son propre modele expli-catif de la traduction. Sa reflexion est inspiree des travaux de Beau-grande (1978) et de House (1981). Son modele integratif de la traduction s'inscrit clairement dans le cadre de la linguistique textuelle qui s'affirme a partir des annees 1990 : « La linguistique du texte, champ privilegie de la traductologie »(Larose 1989 : 21). L'interet premier de ce modele est qu'il per-met de depasser les dichotomies traditionnel-les : « II serait errone de vouloir ramener la paire traduction litterale / traduction libre a une polarisation, plutot qu'a une complementarity La question, en effet, n'est pas tant de savoir s'il faut traduire litteralement ou libre-ment, mais celle de traduire exactement» (Larose 1989 : 4). Pour atteindre cette exactitude, Larose propose d'emblee le concept de traduction teleologique: « L'exactitude d'une traduction se mesure a I'adequation entre I'intention communicative et le produit de la traduction. C'est ce que nous avons nomme la traduction teleologique. Aucun ideal de traduction n'existe hors d'un rapport de finalite »(Larose 1989:4). Dans cette perspective, Pobjectif du modele integratif de Larose est de faire « apparaitre le profil respectif des textes en presence ». Pour y parvenir, I'auteur propose d'adopter une demarche teleologique et textuelle qui per-mette de « mesurer le degre d'adequation d'une traduction ä son original» (Larose 1989 : 288). Son modele integratif est resume en un tableau recapitulatif qui illustre les differents niveaux d'analyse du texte ä traduire. Dans ce tableau, il distingue deux types de conditions: 1) Les « conditions prealables » ä la traduction, telles que la connaissance de la lan-gue et de la culture de depart ou encore la connaissance de la langue et de la culture d'arrivee. 2) Les «conditions d'enonciation», telles que le but des enonciateurs, la teneur informative, la composante materielle ou encore I'arriere-plan socioculturel. II distingue egalement deux types de structures dans les textes (source et cible): 1) La « superstructure et macrostructure» qui englobe, chez lui, I'organisation narrative et argumentative, les fonctions et les typologies textuelles, mais aussi I'organisation thematique du texte. 2) La « microstructure » qui refere d'une part, a la «forme de I'expression » avec ses trois niveaux d'analyse (morphologique, lexicologique, syntaxique) et d'autre part, ä la « forme du contenu » avec ses quatre niveaux d'analyse (graphemique, morphologique, lexicologique, syntaxique). C'est par rapport ä la finalite que Larose propose d'evaluer ces differents niveaux d'analyse de la traduction. II appelle meme ä la mise en place d'une traductometrie qui permette d'evaluer avec davantage de rigueur les trois aspects fondamentaux de la traduction, ä savoir: 1) Le caractere asymetrique du concept d'equivalence; 2) Le caractere approxi-matif de la traduction ; 3) Le rapport gain-perte en traduction (Larose 1989 : 289). CHAPITRE 3 6. LES APPROCHES SEMIOTIQUES ■ ■ ■ -,, , . ----......----- ... . - . . La sémiotique est Pétude des signes et des systěmes de signification. Elle s'interesse aux traits généraux qui caractérisent ces systěmes quelle que soit leur nature : verbale, pic-turale, plastique, musicale, etc. Le terme « sémiotique » est percu, en francais, comme synonyme de « sémiologie», méme si Pun réfěre á la tradition anglo-saxonne issue des travaux de Peirce (1931), tandis que I'autre se rattache á la tradition francaise avec Barthes (1964) et Greimas (1966). Au-delá des differences, le principe de base des deux traditions est qu'une comparaison des systěmes de significations peut contribuer á une meilleure comprehension du sens en general. Pour Peirce, le processus de signification (ou sémiosis) est le résultat de la cooperation de trois elements : un signe, son objet et son interprétant. Aussi, d'un point de vue sémiotique, toute traduction est envisagée comme une forme ďinterprétation qui porte sur des textes ayant un contenu encyclopédique different et un contexte socioculturel particulier. En raison des differences intrinsěques aux signes, aux contenus encyclopédiques et aux contextes socioculturels, les sémioticiens ont beaucoup discuté la question de la <« traductibilité » (i.e. possibilité de traduire). Pour eux, en théorie, la traduction est impossible pour une raison simple: les langues pos-sědent des structures différentes et organ i-sent le monde de Pexpérience de diverses maniěres qui ne se recoupent quasiment jamais. Chaque langue forme un systéme de reference « holistique»(global) qui empéche Pétablissement de véritables equivalences. Cest en comparant les systěmes linguisti-ques que Pon se rend compte de ces difficul-tés, mais cela en va autrement dans la pratique langagiěre. II est clair que le probléme se pose davantage au niveau des langues en general que des textes en particulier. D'un point de vue sémiotique, le traducteur est amené á traduire des « objets >» qui peuvent afficher des signes issus de plusieurs systěmes mais qui concourent á une méme signifi- cation. Malgre leur difference semiotique, ils sont complementaires et interpretables comme un ensemble signifiant. C'est le cas par exemple des affiches publicitaires, des bandes dessinees, des emissions televisees, des sites web, etc. Pour tous ces exemples, Papproche semiotique de la traduction s'avere tres utile. Pour clarifier cette imbrication de signes, Jakobson (1959) avait defini trois types de traduction: intralinguistique, interlinguistique et intersemiotique. La traduction intralinguistique est«('interpretation de signes verbaux par le biais d'autres signes du meme langage ». La traduction interlinguistique est«Interpretation de signes verbaux par le biais de signes d'autres langues ». La traduction intersemiotique est «interpretation de signes verbaux par le biais de signes issus de systemes de signification non verbaux ». Seul le deuxieme type (signes verbaux et inter-langues) est considere, par Jakobson, comme de la « traduction a proprement parler >». Mais afin de preserver la coherence generale de Papproche semiotique de la traduction, Toury (1986) propose de reformater la typologie jakobsonienne en deux grands volets : d'une part, la ««traduction intrasemio-tique » qui porterait sur tous les types de traduction a Pinterieur de n'importe quel systeme de signification ; et d'autre part, la traduction «intersemiotique » qui serait subdivisee en traduction « interlinguistique » (par ex. la transposition) et en traduction « intralinguistique »(par ex. la paraphrase). Le fait d'envisager et de classer la traduction « interlinguistique » sous le chapitre « intersemiotique » permet de traiter des «textes » qui ne contiennent pas seulement des signes verbaux, c'est-a-dire uniquement des « mots »> de la langue. C'est un elargissement Approches et moděles de la traduction de perspective utile dans le monde contem-porain oü se melent, de facon parfois inextricable, des mots, des sons et des images. La semiotique textuelle offre des outils con-ceptuels interessants pour traiter ces formes innovantes de signification. En particulier, le traducteur peut tirer profit des distinctions semiotiques suivantes: 1) La distinction entre le «texte», le « cotexte » et le « contexte » : le premier designe les signes verbaux ä traduire ; le deuxi&me, l'environnement immediat de ces signes ; le troisieme, l'arriere-plan socio-culturel dans lequel s'inscnt l'ensemble. Ainsi, sur une publicite par exemple, une expression acquiert un sens precis grace ä I'image qui l'accompagne, mais le sens global de l'annonce n'est appreciable que dans le cadre de la culture qui la produit. II en est de meme pour la communication orale: par exemple, des expressions prononcees ä I'ecran dans un spot publicitaire n'acquie-rent leur plein sens qu'en fonction des sequences animees. t 2) La distinction entre l'« histoire», l'« intrigue » et le « discours » : le premier designe les elements du recit {ou fable); le deuxieme, la Chronologie et ('arrangement des sequences (ou des evenements); le troisieme, la maniere d'organiser verbale-ment le recit et les evenements. Ainsi, dans une bände dessinee par exemple, ces distinctions seront tres utiles au traducteur pour mieux approcher le «texte », le com-prendre et ('interpreter. 3) La distinction entre le « genre », le «type» et le « prototype »> : le premier designe la categorie generale ä laquelle renvoie le texte (par ex. la traduction audiovisuelle); le deuxieme, la nature precise du texte ä traduire (texte argumentativ informatif, etc.); la troisieme, le « modele » qui sert de reference implicite au texte (par ex. Moliere pour les textes de theatre, autre genre intersemiotique). Dans la version francaise de son essai sur la traduction (Dire presque la meme chose), Umberto Eco (2007) part ainsi de son experience personnelle pour expliquer en quoi la Vers une semio-traductologie Dans Semiotics and the Problem of Translation (1993), Goriee appelle ä l'instauration d'une « semio-traductologie » afin de pouvoir analyser les traductions portant sur des signes verbaux et non-verbaux. Son cadre de reference theorique est !a semiotique de Peirce (1931) comme l'indique le sous-titre de son ouvrage : With Special Reference to the Semiotics of Charles S. Peirce. Du point de vue peircien, un signe est un « representamen » premier, qui tient lieu d'un « objet » second, pour un « interpretant»troisieme, lequel devient a son tour« representamen » par rapport au meme objet pour un autre « interpretant», et ainsi de suite. Tout signe s'inscrit ainsi dans une continuity, c'est-a-dire qu'il est precede par des signes et precede lui-meme d'autres signes, et cet enchainement continu est designe par Peirce sous le nom de « semiosis »(Peirce 1931). A partir de ce cadre theorique, Goriee montre que la traduction est une « semiose incomplete » parce qu'elle ressemble a un « contrat tronque ». Selon elle, le contrat qui lie le traducteur a sa tache n'est pas construit autour d'un quid pro quo, mais d'un jeu de roles dans lequel il ne s'engage finalement dans I'execution de sa t^che que vis-a-vis de lui-meme. Dans ce jeu de la traduction qui n'en finit pas, Goriee (1993 :102) insiste sur le role capital de I'interpretant-traducteur. Celui-ci doit etre a la fois I'interprete du texte source et I'enonciateur de la version traduite en langue cible. Dans cette perspective, la notion d'equivalence occupe une place centrale. Elle est definie comme une identite ä travers des codes : ainsi, deux signes sont equivalents dans la mesure ou ils determinent un interpretant qui renvoie au méme objet dynamique. Cest pourquoi Goriee (1993 :184) distingue trois types d'equivalence semiotique : I'equivalence qualitative, I'equivalence referentielle, I'equivalence significationnelle. CHAPITRE 3 traduction était une « négociation » permanente sur tous ces plans. Pour lui, il ne s'agit pas simplement de passer d'un type de texte dans une langue au méme genre de texte dans une autre langue, mais véritablement de traduire « monde ä monde ». Dans cette négociation, le traducteur n'est pas un « peseur de mots » mais un « peseur d'ämes ». Sa con-naissance des mondes paralleles de la traduction lui permet, avec des mots différents, de « dire presque la měme chose ». Bref, grace ä son extension ontologique, l'approche semiotique offre l'avantage de pouvoir traiter plusieurs « mondes » avec des outils conceptuels appropries. Son interet reside dans Pelargissement de perspective qu'elle permet au traducteur en integrant des signes issus de systemes varies. En ce sens, elle est une approche englobante qui semble plus en phase avec notre monde globalise marque par la convergence des medias. 7. LES APPROCHES COMMUNICATIONNELLES Les approches communicationnelles sont nées de la focalisation des linguistes sur la fonction du langage humain. Dés le debut du XX" siěcle, Ferdinand de Saussure (1916) dis-tinguait la « parole » que nous produisons pour communiquer, de la«langue »qui est un ensemble de mots presents dans le cerveau des locuteurs. Concu en ces termes, le langage n'a dans la communication humaine qu'une fonction utilitaire: par exemple, dans la théorie de Shannon et Weaver (1949), il est un code (ou un canal) parmi d'autres qui sert á transmettre I'information entre deux individus. Dans cette optique, la communication est analysée en termes d'« encodage » et de « décodage » portant sur un message particu-lier. L'encodage renvoie aux informations que le locuteur met dans son message et le décodage renvoie á la comprehension du récep-teur de ce méme message: Tun « encode », I'autre <« decode », de facon quasi mécaníque pour ainsi dire. Cette conception simpliste et binaire fait que le traducteur est percu comme un simple « décodeur » du message original et un «ré-encodeur » du message final. II doit se con-tenter de relayer le message en apportant le minimum de modifications, c'est-a-dire celles qui servent uniquement á « prédire » le sens dans la langue cible. Cette idée de la communication est appliquée á la traduction pour la premiére fois par Nida dans Toward a Science of Translating (1964). Celui-ci propose de concentrer le travail du traducteur sur les « informations non prédictibles » entre deux langues. Le traducteur aurait ainsi pour táche principále de « compenser» le bas niveau de prédictibilité de certains messages (Nida 1964:120). Cette « compensation » peut ětre requise pour des raisons linguistiques telles que I'existence d'un ordre des mots inhabituel ou d'une expression peu familíére. Elle peut I'etre éga-lement pour des raisons culturelles telles que I'absence de certaines notions, genres tex-tuels ou mémes objets de la vie courante. Communication et discours La prise en compte des fonctions du langage décrites par Jakobson et I'etude du discours ont été á I'origine du développement de plusieurs courants communicationnels qui vont ětre mis á profit pour enrichir la reflexion tra-ductologique. Ainsi, dans Discourse and the Translator (1990), Basil Hatim et Ian Mason affichent clairement I eur objectif: contribuer á réd u i re le fosse qui séparé depuis trop longtemps la théorie et la pratique de la traduction, lis s'inspirent en par-ticulier des sciences de la communication : « L'objet central de ce livre est la traduction envisagée comme un processus de communication qui a lieu á I'interieur d'un contexte social »(Hatim et Mason 1990: 20). 5^61 Approches et moděles de la traduction Leur constat de depart reléve de I'evidence: « Les aides aux traducteurs sont en constante amelioration, mais les problěmes de base qu'affrontent les traducteurs tout le temps dans leur travail demeurent les mémes » (Hatim et Mason 1990:21). lis résument ces « problěmes de base » en trois niveaux distincts: 1) La comprehension du texte source: (a) le découpage du texte (grammaire et lexique); (b) faeces aux connaissances spécialisées; (c) I'acces au sens intentionnel. 2) Le transfert du sens: (a) relayer le sens lexical; (b) relayer le sens grammatical; (c) relayer le sens rhétorique, y compris le sens implicite ou inferable par les lecteurs potentiels. 3) devaluation du texte cible: (a) la lisibilité; (b) la conformité aux conventions généri-ques et discursives de la langue cible; (c) ('adequation de la traduction á I'objectif spécifié. Dans le cadre de ce bilan descriptif, ils insistent sur la preponderance des criteres prag-matiques dans la traduction, en donnant comme exemple le type du discours de depart et I'effet sur le lecteur ďarrivée. Cela leur per-met de conclure á I'impossibilite de résoudre le duel entre «traduction littérale»et«traduction libre ». Mais ils estiment que les récentes contributions issues de diverses disciplines per-mettent desormais d'envisager la traduction de facon plus globále et plus concrete. Ainsi, ils envisagent la traduction comme « discours communicatif » et le texte a traduire comme une « transaction communicative », e'est-a-dire comme « le résultat de choix motives ». Partant de cette conception, ils élaborent un modele de communication appliquée qui « implique le lecteur dans une reconstruction du contexte á travers une analyse de ce qui se passe {le domaine), de I'identite des participants (les actants), et du médium choisi pour relayer le message (le mode) » (Hatim et Mason 1990: 55). Fonctions du langage et fonctions de la traduction Les fonctions que peut remplir le langage humain ont été longuement étudiées. L'une des premieres classifications est I'oeuvre de Buhler (1934) qui définit trois fonctions principales : 1) la representation des objets et des phénoměnes ; 2) I'attitude du producteur du texte á I'egard de ces objets et phénoměnes ; 3) I'adresse de I'auteur au récepteur du texte. Cette classification a servi de point de depart á la typologie textuelle de Reiss (1976) qui distingue, pour la traduction, trois types de textes : informatifs, expressifs, et opérationnels. Chacun de ces types requiert, selon elle, des competences particuliěres chez le traducteur et des strategies de traduction spécifiques. Malgré son intérét, cette conception a recu deux objections : d'une part, lafonction textuelle ne se confond pas avec la fonction langagiěre (Roberts 1992) et d'autre part, les textes possedent rarement une seule fonction unique et indiscutable ; ils affichent en general plusieurs fonctions en merne temps (Hatim et Mason 1990). D'ailleurs, la plus connue des classifications de fonctions, celle de Jakobson (1960), insiste sur ce point. Celui-ci distingue six fonctions de communication langagiěre: 1) la fonction « emotive » concerne I'expression des désirs et des états mentaux; 2) la fonction«référentielle»concerne les indications contextuelles qui renvoient au monde environnant; 3) la fonction « conative » concerne Taction dirigee vers le récepteur; 4) la fonction « poétique » concerne la forme esthétique du message en soi; 5) la fonction « phatique » concerne les elements interactionnels du message (pour commencer ou interrompre une conversation par exemple); 6) la fonction « métalinguistique » concerne le commentaire porte sur le langage (en d'autres termes, autrement dit, e'est-a-dire, etc.). Les tenants de I'approche communicationnelle estiment que ces fonctions sont primordiales pour comprendre le sens du message, qu'elles varient d'une langue á I'autre, et qu'a chaque fonction correspond une maniěre spécifique de traduire. CHAPITRE 3 C'est sur ce modele tripartite qu'ils s'appuient pour distinguer trois dimensions contextuelles: communicative, pragmatique et semiotique. « La dimension communicative est un aspect du contexte qui englobe toutes les variables relatives au domaine, aux actants et au mode»»; « La dimension pragmatique est un aspect du contexte qui régule I'intentionnalité»; « La dimension semiotique est un aspect du contexte qui régule les relations sémiotiques entre les textes »(Hatim et Mason 1990 : 65). Cette analyse conduit naturellement les auteurs á envisager le traducteur avant tout comme un « communicateur » (Hatim et Mason 1997). L'approche pragmatique La pragmatique est I'etude du langage du point de vue de sa « praxis », c'est-a-dire des finalités et des conditions de son utilisation. Son champ d'investigation privilégié concerne les actes de langage, c'est-a-dire les expressions impliquant une action telles que les ordres, les requétes, les excuses ou encore les compliments; bref, toute expression lan-gagiére qui produit un effet. Le linguiste Austin a étudié ces actes de langage dans un ouvrage au titre explicite en anglais, How to Do Things with Words (1962), et traduit en francais sous le titre non moins expressif: Quand dire, c 'est faire! Par exem-ple, lorsque le juge dit«la seance est levee», il ne s'agit pas simplement d'une phrase ano-dine, mais le simple fait de la prononcer impli-que que la seance est effectivement et instan-tanément levée (effet immédiat). II en va de měme d'expressions telles que : « Je vous félicite », «je m'ennuie », etc. Pour décrire ce type d'expressions, Austin a défini trois categories d'actes de langage (locutions, illocutions, perlocutions) qui ont été mises á profit pour I'etude du processus de traduction et d'interpretation. Baker (1992) a exploité cette approche qui vise á produire dans la langue cible des actes «locutoires » et « illocutoires », ayant la meme force « perlocutoire » que ceux de la langue source. Hickey (1998) a egalement applique cette approche a la traduction, mais de facon plus systematique et sur une echelle plus large. L'interet principal de l'approche pragmatique pour la traductologie est qu'elle permet de mettre en relief les elements les plus saillants de la communication dans un texte ou dans un discours particulier. Grace a cette approche, le traducteur acquiert une conscience de I'importance du sens percu par I'interlocuteur, qui peut etre different du sens linguistique apparent. Ce sens pergu est le resultat d'une sequence apprehendee globalement dans un texte. Cela signifie que le processus de traduction depend largement du type textuel concerne, car le sens de la sequence en est tributaire : la meme sequence peut etre comprise et recue differemment selon qu'elle appartient a un texte de type argumentatif ou simplement informatif, Dans cette perspective, Grice (1975) a demontre que la communication langagiere pouvait contenir un implicite discursif susceptible d'influer sur le sens du message transmis au sein d'une meme langue. Aussi, le traducteur - ou I'interprete - doit non seulement deceler ce sens implicite dans la langue source, mais aussi se poser la question de son explicitation dans la langue cible. Cela est crucial pour les langues qui appartiennent a des aires culturelles eloignees, parce qu'elles utili-sent des precedes d'implicitation et d'explici-tation differents. Par exemple, Hatim et Mason (1990 et 1997) ont analyse cet aspect pour le couple arabe-anglais: ils montrent clairement I'existence de structures discursives specifi-ques a chaque langue et incontournables lors de la traduction. Bref, l'approche pragmatique est utile au traducteur pour reflechir sur sa pratique, mais elle n'est pas applicable a tous les types de textes ni a tous les genres de discours. Elle concerne une certaine categorie de situations qui peuvent, de surcroit, etre gerees suivant le paradigme general de la communication ou de la cognition. Approches et moděles de la traduction 8. LES APPROCHES COGNITIVES Les sciences cognitives s'interessent aux pro- cation dans une seule langue á la communica- cessus mentaux qui sont mis en ceuvre dans tion multilingue. Ainsi, le traducteur ne lit pas les différentes activités humaines. De ce point simplement pour comprendre le texte, mais de vue, la traduction est envisagée comme un pour déceler les elements pertinents pour le processus de comprehension et de reformula- transfert; il ne prend pas note dans la consó- tion du sens entre deux langues, integrant un cutive pour ses etudes futures mais pour ren- traitement particulier de ('information, dre le discours qui vient d'etre prononcé. De méme, I'interprete n'ecoute pas pour le plaisir Partant du principe que la traduction met un mais doit traduire les discours qu'il écoute, humain(le traducteur ou le bilingue) en contact qu'ils lui plaisent ou qu'ils I'ennuient; il doit avec des langues (source et cible), il fatlait mobiliser ses connaissances et sa concentra- recourir á une discipline qui puisse aborder á tion méme lorsque le sujet lui est inconnu ou la fois la psychologie de I'humain et le fonc- indigeste. Enfin, qu'ils soient récepteurs ou tionnementdu langage. Cest pourquoi, la dis- émetteurs du message, les interprétes et les cipline phare qui illustre aujourd'hui I'approche traducteurs doivent savoir contróler leurs cognitive est la psycholinguistique. Celle-ci emotions et leurs reactions en contexte pro- étudie la maniére de communiquer et de gérer fessionnel. les informations par un ětre humain au sein d'une langue, et postule que la traduction / L'approche cognitive de ces phénoménes interpretation est une forme de communica- peut ětre résumée en quelques axes: tion bilingue. 1) L'analyse du processus de traduction : la A partir de ce postulát, la psycholinguistique question de savoir par quelles phases passe le envisage les processus mentaux qui permet- traducteur ou I'interprete, lorsqu'il traduit á tent le passage d'une langue á I'autre, sous Técrit ou á Toral, a regu des réponses variées. leurs formes les plus variées: de Técrit en Ian- Certains chercheurs réduisent le processus gue source vers Técrit en langue cible (traduc- ďinterprétation á deux étapes principales tion écrite), de Técrit vers Toral (traduction á (comprehension puis reformulation), d'autres vue), de Toral vers Técrit et de Toral vers Toral y voient trois phases distinctes en ajoutant (interpretation consecutive et simultanée). Tétape de la « memorisation » (Gile 1995). D'un point de vue psycholinguistique, ces for- En ce qui concerne la traduction, Tanalyse du mes de traduction engagent quelques activi- processus distingue en general trois étapes tés mentales de base (lire, écouter, écrire, par- (analyse, synthese, revision) mais la nature et ler), qui sont soumises á des contraintes Pimportance relative de chaque étape sont spécifiques et qui utilisent des ressources débattues par les spécialistes : Tanalyse est- cognitives particuliéres lors de la traduction. elle davantage micro- ou macro-textuelle ? Se Ainsi par exemple, I'interprete de conference fait-elle de « bas en haut»(bottom up) ou bien doit écouter et parler « en temps reel » pour de « haut en bas » (top down) ? La synthése ainsi dire, mais cette contrainte temporelle ne est-elle partie intégrante de la revision ? La pése pas de la méme fagon sur le traducteur revision est-elle simplement formelle ? etc. de Técrit, méme s'il doit - selon les normes de TONU - produire six pages de traduction par D'un point de vue cognitif, ces questionne- jour et 300 mots environ par heure. Bref, cha- ments concernant le processus de traduction que forme de traduction et ďinterprétation ont été classes sous le chapitre plus general posséde ses contraintes propres. de la « resolution de problémes » ou des « strategies de traduction ». L'idee de depart Ces contraintes apparaissent d'autant plus est que le traducteur, comme d'autres sujets clairement lorsque Ton compare la communi- charges du traitement cognitif des textes, est CHAPITRE 3 3) La question de « I'equivalence » est au cceur de la reflexion traductologique. Quels sont les auteurs qui s'y sont particulierement interesses et qu'est-ce qui les differencie ? 4) En quoi la reflexion sur le « discours » a-t-elle influence les traductologues ? 5) La majorite des theoriciens contemporains s'accordent sur un point: en traduction, le « sens » doit I'emporter sur la forme. Expliquez les raisons de cette preference. 6) Pour certains theoriciens, traduire serait « impossible ». Expliquez les arguments qu'ils avancent pour appuyer cette opinion. 7) La notion de « communication » a beaucoup influence les traductologues con-temporains. Expliquez comment. A cote des approches qui designent une orientation generate des etudes a partir d'un point de vue disciplinaire particulier (linguistic que, semiotique, pragmatique, communica-tionnel...), on trouve un certain nombre de theories specifiques a la traduction. Les «theories » de la traduction sont des constructions conceptuelles qui servent a decrire, a expliquer ou a modeliser le texte traduit ou le processus de traduction. Meme si ces theories peuvent etre issues de cadres concep-tuels existants, elles presentent la particularite d'etre exclusives, c'est-ä-dire de proposer une reflexion centree uniquement sur la traduction. Ä l'inverse des approches qui tendent ä rattacher la traduction ä des disciplines institutes, ces theories veulent renforcer I'auto-nomie et l'independance de latraductologie. II n'en demeure pas moins que la nature meme de la traduction en fait le champ par excellence des etudes interdisciplinaires. Nous pre-sentons ci-apres les principals theories con-nues de la traduction. 1. LA THEORIE INTERPRETATIVE La theorie interpretative de la traduction est connue sous la denomination de « I'Ecole de Paris»» parce qu'elle a ete developpee au sein de I'Ecole superieure d'interpretes et de tra-ducteurs (ESIT, Paris). On la doit essentielle-ment a Danica Seleskovitch et Marianne Lederer, mais elle compte aujourd'hui de nombreux adeptes et promoteurs en particulier dans le monde francophone. A I'origine de cette theorie se trouve la pratique professionnelle de Danica Seleskovitch, qui s'est appuyee sur son experience en tant qu'interprete de conference pour mettre au point un modele de traduction en trois temps: interpretation, deverbalisation, reexpression. Ce modele emprunte ses postulats theoriques aussi bien a la psychologie qu'aux sciences cognitives de son epoque, avec un interet particulier pour le processus mental de la traduction. La preoccupation centrále de la theorie interpretative est la question du « sens ». Celui-ci est de nature «non verbale » parce qu'il con-cerne aussi bien ce que le locuteur a dit (I'explicite) que ce qu'il a tu (Pimplicite). Pour saisir ce « sens », le traducteur doit posséder un « bagage cognitif»qui englobe la connais-sance du monde, la saisie du contexte et la comprehension du « vouloir-dire » de I'auteur. Á défaut de posséder ce bagage, il sera con-fronté au probléme épineux de I'ambiguVte et de la multiplicité des interpretations, lequel probléme risque de paralyser son elan de traduction. Pour Seleskovitch, il s'agit avant tout d'un questionnement de la « perception » : d'une part, la perception de I'outil linguistique (interne) et d'autre part, la perception de la réalité (externě). Cela signifie que le processus de traduction n'est pas direct, mais passe nécessairement par une étape intermédiaire, celle du sens qu'il faut déverbaliser. Cest un CHAPITRE 4 processus dynamique de comprehension puis de reexpression des idees. Dans le prolongement de Seleskovitch, Jean Delisle (1980) a formule une version plus detaillee et plus didactique de la theorie interpretative de la traduction, en ayant recours ä l'analyse du discours et ä la linguistique tex-tuelle. II a etudie en particulier l'etape de conceptualisation dans le processus de transfert interlinguistique. Pour lui, le processus de traduction se deploie en trois temps. D'abord, la phase de « comprehension », qui consiste ä decoder le texte source en analy-sant les relations semantiques entre les mots et en determinant le contenu conceptuel par le biais du contexte. Ensuite, la phase de « reformulation », qui implique la re-verbalisation des concepts du texte source dans une autre langue, en ayant recours au raisonnement et aux associations d'idees. Enfin, la phase de « verification », qui vise a valider les choix faits par le traducteur en pro-cedant ä une analyse qualitative des equivalents, ä la maniere d'une retro-traduction. Dans La Traduction aujourd'hui (1994), Lede-rer integre ces idees et presente une vue generale qui perm et de saisir les tenants et les aboutissants du « modele interpretatif». Trois postulats essentiels sont ä la base du modele (Lederer 1994 : 9-15): 1) «tout est interpretation » ; 2) « on ne peut pas traduire sans interpreter»; 3) « la recherche du sens et sa reexpression sont le denominates commun ä toutes les traductions ». A partir de ces postulats, Lederer (1994 : 11) resume les principaux acquis de la theorie interpretative de la traduction : « La theorie interpretative (...) a etabli que le processus [de traduction] consistait ä comprendre le texte original, ä deverbaliser sa forme linguistique et ä exprimer dans une autre langue les idees comprises et les sentiments ressentis. » On le voit: il s'agit d'un modele interpretatif qui se deploie en trois temps et dont Torigina-lite reside principalement dans la seconde phase, dite de « deverbalisation », etape fondamentale s'il en est dans le processus de traduction. Par son dynamisme, ce modele constitue une remise en cause des approches traditionnel-les fondees sur la distinction d'une etape de comprehension dans la langue source, ä laquelle succede une etape d'expression dans la langue cible : « Defini de facon sommaire, l'acte de traduire consiste ä « comprendre » un «texte », puis en une deuxieme etape, ä reexprimer ce « texte » dans une autre langue »(Lederer 1994 :13). Interpreter le sens d'un texte exige de prectser le niveau auquel on se situe : « II faut des le depart faire le partage entre la langue, sa mise en phrases, et le texte ; car si Ton peut «traduire »> ä chacun de ces niveaux, I'opera-tion de traduction n'est pas la meme selon que Ton traduit des mots, des phrases ou des textes »(Lederer 1994 :13). Cette distinction (mots, phrases, textes) amene l'£cole de Paris ä distinguer deux types de traduction :« J'englobe sous ('appellation traduction linguistique la traduction de mots et la traduction de phrases hors contexte, et je denomme traduction interpretative, ou traduction tout court, la traduction des textes » (Lederer 1994 :15). Pour Lederer, la veritable traduction n'est concevable que par rapport aux textes, c'est-a-dire dans le cadre d'un discours et en function d'un contexte :« La traduction interpretative est une traduction par equivalences, la traduction linguistique est une traduction par correspondances [...] la difference essentielle entre equivalences et correspondances : les premieres s'etablissent entre textes, les secondes entre des elements linguistiques » (Lederer 1994: 51). Ces precisions terminologiques constituent un aspect essentiel de la theorie interpretative de la traduction. Lederer definit de facon rigoureuse les outils conceptuels qui lui per-mettent de penser le processus de Les theories de la traduction traduction : le « sens » et le « vouloir-dire » occupent une place centrale dans son modele : « Le sens d'une phrase c'est ce qu'un auteur veut deliberement exprimer, ce n'est pas la raison pour laquelle il parle, les causes ou les consequences de ce qu'il dit» (Seleskovitch). En consequence, « La theorie interpretative de la traduction, corroboree par I'experience, pose que ce sont les designations des « choses » qui doivent etre reexprimees ». Lederer (1994 : 90) ajoute en note : « De nos jours, on dit plus volontiers «referent»que«chose»». En somme, la theorie interpretative de la traduction est cibliste en ce sens qu'elle accorde une attention particuliere au lecteur cible, a Intelligibility de la traduction produite et a son acceptability dans la culture d'accueil. 2. LA THEORIE DE L'ACTION _______________ - --- .. i im.««..—->■■■■. i. ■■■^»o. La théorie actionnelle de la traduction a été développée en Allemagne par Justa Holz-Mánttári (1984). Dans le cadre de cette theorie, la traduction est envisagee avant tout comme un processus de communication interculturelle visant á produire des textes appropriés á des situations specifiques et á des contextes professionnels. Elle est consi-dérye de ce fait comme un simple outil d'inte-raction entre des experts et des clients. Pour développer cette conception toute prag-matique de la traduction, Holz-Mánttári s'est appuyee sur la theorie de Taction et, dans une large mesure, sur la théorie de la communication. Elle a pu ainsi mettre en evidence les dif-ficultés culturelles que le traducteur doit sur-monter lorsqu'il intervient dans certains contextes professionnels. L'objectif premier de la theorie actionnelle est de promouvoir une traduction fonctionnelle permettant de reduire les obstacles culturels qui empechent la communication de se faire de facon efficace. Pour y parvenir, Holz-Mánttári (1984 : 139) preconise tout d'abord une analyse minimale du texte source qui se limite á « la construction et la fonction ». Pour elle, le texte source est un simple outil pour la mise en ceuvre des fonctions de la communication interculturelle. II n'a pas de valeur intrinsěque et est totalement tributaire de l'objectif com-municationnel que se fixe le traducteur. La principále preoccupation de ce dernier doit étre le message qui doit étre transmis au client et exclusivement ce message. Avant de decider de I'equivalence á employer, le traducteur doit penser le message dans la culture cible et evaluer a quel point le theme est acceptable dans le contexte culturel visy. Dans cette perspective, I'idee de «« profil textuel * joue un role central chez Holz-Mant-tari. Ce « profil » est defini relativement a la fonction du texte dans les cadres generiques existant dans la langue source et dans la lan-gue cible. De ce point de vue, le traducteur apparait comme le chalnon principal qui relie Pemet-teur original du message a son recepteur final. II est I'interlocuteur privilegie du client, envers lequel il a d'ailleurs une responsabilite ethique majeure. Holz-Manttari (1986 : 363) explique longuement les qualites professionnelles requises et les elements de formation neces-saires pour developper ces qualites. Ainsi concue, la theorie actionnelle de la traduction est, en realite, un simple cadre de production des textes professionnels en mode multilingue. L'action du traducteur est definie en reference a sa fonction et a son but. Le texte source est envisagy comme un conte-nant de composants communicationnels, et le produit final est evaluy en reference au critere de la fonctionnality. Un cahier des charges precis definit d'ailleurs les specifications du produit qu'est la traduction finale; autrement dit, le but de la communication, le mode de realisation, la remuneration prevue, les delais imposys, etc. CHAPITRE 4 Bref, la fonction determine I'ensemble du travail du traducteur. Celui-ci doit I'envisager d'une part, par rapport aux besoins humains dans la situation de communication visee et d'autre part, par rapport aux roles sociaux dans la culture d'arrivee. Holz-Manttari (1984 : 17) distingue au moins sept roles en fonction des situations : I'initiateur de la traduction, le commanditaire, le producteurdu texte source, le traducteur, I'applicateur du texte cible, le recepteur final, le diffuseur. Dans la succession de ces roles, le traducteur est considers comme un simple « transmetteur de messages » : il doit produire une communication particuliere, a un moment donne et suivant un but precis. Mais il doit agrr en tant qu'expert en interculturalite en con-seillant le client commanditaire et, au besoin, en negociant avec lui le meilleur moyen d'atteindre son but. Selon Holz-Manttari, le traducteur doit prendre toutes les mesures qu'il juge utiles pour surmonter les obstacles culturels qui empe-chent d'atteindre le but recherche. De plus, il se doit de negocier avec le commanditaire le moment opportun ainsi que les conditions les plus favorables pour diffuser sa traduction. Bref, le traducteur est responsable du succes comme de I'echec de la communication dans la culture cible, et Holz-Manttari estime que ces exigences sont valables pour tous les types de produits culturels. La traduction apparait ainsi comme une activity teleologique prise dans un faisceau com-plexe d'actions et tributaire d'un objectif de communication global. Holz-Manttari ne se contente pas d'integrer les elements tradition-nels qui entrent dans la definition de la traduction, tels que I'unite de traduction, le texte source ou le genre discursif; elie prend en consideration tous les composants de la communication interculturelle, en particulier le processus de production des textes dans chaque langue, le r6le de I'expert et la culture specifique de chaque client. Ainsi par exemple, la theorie actionnelle de la traduction preconise le remplacement d'ele-ments culturels du texte source par d'autres elements plus appropries a la culture cible, meme s'ils paraissent eloignes des elements originaux. L'essentiel est de parvenir au meme but recherche dans le cadre de la communication interculturelle. C'est Taction seule qui determine, en definitive, la nature et les moda-lites de la traduction. Cette approche quelque peu radicale a ete cri-tiquee par plusieurs traductologues, y com-pris parmi les tenants de l'approche fonction-nelle comme Nord (1991 : 28). lis lui reprochent notamment son dephasage par rapport a la realite d'exercice du metier de traducteur qui ne peut pas toujours decider de tout. De plus, certains traductologues comme Newmark (1991 : 106) ont reproche a Holz-Manttari le caractere jargonneux de son approche trop orient6e vers le business et les relations publiques, alors que ce domaine ne represente qu'un aspect mineur de I'activite. Bref, la theorie actionnelle de la traduction a le merite d'avoir mis au centre du processus les concepts d'action et de fonction, mais elle est loin d'avoir epuise la nature proteiforme de la traduction. 3. LA THEORIE DU SKOPOS Le mot grec «skopos » signifie la visee, le but ou la finalite. II est employe en traductologie pour designer la theorie initiee en Allemagne par Hans Vermeer a la fin des annees 1970. Parmi ses promoteurs, on trouve egalement Chris-tiane Nord (1988) et Margaret Ammann (1990). Du point de vue conceptuel, la theorie du skopos s'inscrit dans le meme cadre episte- mologique que la theorie actionnelle de la traduction, en ce sens qu'elle s'interesse avant tout aux textes pragmatiques et a leurs fonctions dans la culture cible. Ainsi, la traduction est envisagee comme une activite humaine particuliere (le transfert symboli-que), ayant une finalite precise (le skopos) et un produit final qui lui est specifique (le translation ou le translat). Les theories de la traduction Vermeer (1978) est parti du postulat que les methodes et fes strategies de traduction sont determinees essentiellement par le but ou la finalite du texte ä traduire. La traduction se fait, par consequent, en function du skopos. D'oü le qualificatif de «fonctionnelle » accole ä cette theorie. Mais il ne s'agit pas ici de la fonction assignee par I'auteur original du texte source ; bien au contraire, il s'agit d'une fonction prospective rattachee au texte cible et tri-butaire du commanditaire de la traduction. En d'autres termes, c'est le client qui fixe un but au traducteur en fonction de ses besoins et de sa Strategie de communication. Mais cela ne se fait pas en dehors de tout cadre methodoiogique. Le traducteur doit respecter deux regies principales : Tune intratex-tuelle, I'autre intertextuelle. D'une part, la «regle de coherence » qui stipule que le texte cible (translatum) doit etre suffisamment coherent en interne pour etre correctement appre-hende par le public cible, comme una partie de son monde de reference. D'autre part, la «regle de fidelite » qui stipule que le texte cible doit maintenir un lien süffisant avec le texte source pour ne pas paraitre comme une traduction trop libre. Ces regies semblent trop generates et trop vagues. Aussi, grace ä l'apport de Katharina Reiss (1984), Vermeer parvient non seulement ä preciser le fonctionnement de sa theorie mais aussi ä ölargir son cadre d'etude pour englober des cas pratiques et des phenome-nes specifiques qui n'etaient pas pris en compte jusque-la. II a integre, en particulier, la problematique typologique de Reiss. Si le traducteur parvient ä rattacher le texte source ä un type textuel ou ä un genre discursif, cela l'aidera ä mieux resoudre les problemes qui se poseront ä lui dans le processus de traduction. Dans cette perspective, Vermeer prend en consideration les types de textes definis par Reiss (informa-tifs, expressifs, operationnels) pour mieux preciser les functions qu'il convient de preserver lors du transfert. Ainsi, le texte source est dösormais concu comme une « off re d'information »faite par un producteur d'une langue A a I'attention d'un recepteur de la meme culture. Des lors, la traduction est envisagee comme une « offre secondaire » d'information, puisqu'elle est censee transmettre plus ou moins la meme information, mais a des recepteurs de langue et de culture differentes. Dans cette optique, la selection des informations et le but de la communication ne sont pas fixes au hasard; ils dependent des besoins et des attentes des recepteurs cibles dans la culture d'accueil. C'est le skopos du texte. Ce skopos peut etre identique ou different entre les deux langues concernees : s'il demeure identique, Vermeer et Reiss parlent de« permanence fonctionnelle»; s'il varie. ils parlent de * variance fonctionnelle ». Dans un cas, le principe de la traduction est la coherence intertextuelle; dans I'autre, ('adequation au skopos. La nouveaute de I'approche consiste dans le fait qu'elle laisse au traducteur le soin de decider quel statut accorder au texte source. En fonction du skopos, I'original peut etre un simple point de depart pour une adaptation ou bien un modele litteraire a transposer fidele-ment. Cela signifie qu'un meme texte peut avoir plusieurs traductions acceptables parce que chacune repond a un skopos particulier. En bref, le skopos est le critere devaluation, et sans skopos, il n'est point de traduction valide. Cette position extreme a ete critiquee parce qu'elle rompt le lien originel existant entre le texte source et le texte cible au profit exclusif de la relation translatum-skopos. Snell-Hornby (1990: 84) estime que les textes litteraires -contrairement aux textes pragmatiques - ne peuvent etre traduits seulement en fonction du skopos : pour elle, la situation et la fonction de la litterature depassent largement le cadre pragmatique delimite par Vermeer et Reiss. De plus, Newmark (1991 :106) critique la simplification excessive du processus de traduction et la mise en relief du skopos au detriment du sens en general. CHAR IRE 4 Enfin. Chesterman (1994 :153) fait remarquer que la focalisation sur le skopos peut conduire a des choix inappropries sur d'autres plans: le traducteur peut forcer ses choix lexicaux, syn-taxiques ou stylistiques, uniquement pour « coller» a son skopos. Malgre ces quelques critiques, la theorie de Vermeer demeure I'un des cadres concep-tuels les plus coherents et les plus influents de la traductologie. 4. LA THEORIE DU JEU La theorie du jeu a ete mise au point par le mathematicien John von Neumann pour decrire les relations d'interet conflictuelles qui ont un fondement rationnel. L'idee est de trouver la meilleure strategie d'action dans une situation donnee, afin d'optimiser les gains et de minimiser les pertes : c'est la « strategie minimax ». Cette theorie a ete successive-ment appliquee a divers champs d'activite humaine, dont I'activite de traduction. C'est l'idee d'optimisation qui a retenu I'atten-tion des traductologues : comment aider le traducteur a optimiser le processus de decision sans perdre trop de temps ? Levy (1967) estime que la theorie du jeu peut y contribuer grandement: « La theorie de la traduction a tendance a etre normative: elle vise a appren-dre aux traducteurs les solutions optimales. Mais le travail effectif du traducteur est pragmatique: celui-ci a recours a la solution qui off re le maximum d'effet en fournissant le minimum d'effort. En d'autres termes, il [le traducteur] recourt intuitivement a la strategie minimax.» Pour illustrer son approche. Levy definit la traduction comme une«situation »dans laquelle le traducteur choisit parmi des«instructions», c'est-a-dire des choix semantiques et syntaxi-ques possibles afin d'atteindre la solution optimale. Gorlee (1993) adopte la meme approche mais en partant de postulats theoriques differents. S'inspirant de la notion de «jeu de langage»» elaboree par Wittgenstein dans son Tractatus Logico-Philosophicus, elle entreprend I'etude de ce qu'elle appelle « le jeu de la traduction >». La traduction est comparee a un puzzle puis a un jeu d'echecs : « Le jeu de la traduction est un jeu de decision personnels fonde sur des choix rationnels et regies entre des solutions alternatives » (Gorlee 1993 : 73). La comparaison avec le jeu se justifie, pour Gorlee, par le fait qu'un jeu a toujours pour but de trouver la solution la plus adequate en fonction de regies institutes pour le jeu en question. Ce rapprochement permet de met-tre en lumiere la dimension generique de la traduction. Comme le jeu, celle-ci presente une part d'imprecision qui possede ä la fois des avantages et des inconvenients. Par exemple, I'analogie avec le jeu d'echecs permet de mettre en parallele les regies qui le regissent avec Celles qui determinent le langage. Mais en traduction, il ne s'agit pas de « gagner » ni de « perdre » au jeu, mais de « reussir» ou d'« echouer »> ä trouver la solution optimale (Gorlee 1993 : 75). Ce faisant, la theorie du jeu ne prend pas en consideration les facteurs emotionnels, psy-chologiques et ideologiques qui peuvent inter-ferer dans le processus de traduction, en par-ticulier pour certains types de textes. Elle ne prend pas non plus en compte les lacunes de formation et d'information qui peuvent affec-ter le traducteur ou le texte. Bref, il s'agit d'une approche formelle et idealisee de la traduction qui ne tient pas compte des contraintes, par-fois aleatoires, de la realite professionnelle. Par ailleurs, ce qui rend problematique I'appli-cation de la theorie du jeu ä la traduction, c'est I'absence de la dimension ludique (le «jeu » justement). II est evident que la preoccupation strategique rend illusoire le plaisir que le traducteur ou le lecteur peut tirer d'un eventual «jeu de la traduction ». Si I'objectif est de rechercher systematiquement la solution optimale, il est plus pertinent de restreindre cette approche ä la traduction pragmatique en limi- Les theories de la traduction tant ses modalites ä certains types de textes specialises. Enfin, le concept central de « Strategie » n'est pas applicable tel quel ä la traduction pour la simple raison que le traducteur ne maitrise pas la totalite du processus. Par exemple, il n'est pas l'auteur du texte source, et ce con-tenu original lui echappe totalement. II n'est pas non plus le seul récepteur du texte traduit et Interpretation de la traduction lui échappe en grande partie puisque chaque public se ľapproprie ä sa maniere et suivant sa culture. Tout cela fait qu'il ne peut pas fixer une stratégie globále et I'appliquer rigoureusement, sans tenir compte des paramétres influents dans le systéme d'accueil. 5. LA THEORIE DU POLYSYSTEME La théorie du polysystěme designe le cadre conceptuel développé dans les années 1970-1980 par Itamar Even-Zohar. Celui-ci est parti du concept de « systéme »initié par les forma-listes russes tel que Tynjanov (1929) et ľa appliqué á ľétude de la littérature considérée comme un « systéme de systémes », ľobjectif étant d'analyser et de décrire le fonctionne-ment et revolution des systémes littéraires en prenant comme exemple la littérature traduite en hébreu. Par« polysystéme », Even-Zohar (1990) designe un ensemble hétérogéne et hiérarchisé de systémes qui interagissent de facon dyna-mique au sein d'un systéme englobant (le polysystéme). Ainsi, la littérature traduite ne serait qu'un niveau pármi d'autres au sein du systéme littéraire, lequel est inclus dans le systéme artistique en general, mais ce dernier fait également partie intégrante du systéme religieux ou encore politique. Bref, il s'agit d'un polysystéme ayant des racines socioc u Itu relies. Au sein de ce polysystéme, ľidée centrále est celie de la concurrence qui existe entre les dif-férents niveaux ou «strates » de systéme. II y a ainsi une tension permanente entre le centre et la périphérie du systéme, c'est-á-dire entre les genres littéraires dominants ä un moment donne et ceux qui tendent ä ľétre. Car le polysystéme littéraire regroupe aussi bien les ceuvres majeures que les types textuels moins canoniques tels que les contes pour enfants ou les romans policiers traduits. Even-Zohar analyse cette competition entre formes littéraires en termes de principes « premiers » et de principes «secondares » : les uns sont innovateurs, les autres sont con-servateurs. Ainsi, quand une forme littéraire « premiére » accede au centre du systéme, elle tend á devenir de plus en plus figée et conservatrice, jusqu'a se faire évincer par une forme «secondaire », plus dynamique et plus novatrice, et ainsi de suite. Appliquée aux oeuvres traduites, la théorie du polysystěme s'est intéressée á deux aspects: d'une part, le role que joue la littérature traduite au sein d'un systéme littéraire particulier; et d'autre part, les implications de I'idee de polysystéme sur les etudes traducto-logiques en general. Concernant le premier aspect, Even-Zohar estime que les traducteurs ont tendance á se plier aux « normes » du systéme littéraire d'accueil, tant au niveau de la selection des ceuvres que de leur reformulation / écriture des traductions. La littérature traduite occupe en general une position périphérique dans le systéme d'accueil, mais le degré d'eloignement du centre est variable selon les systěmes. Even-Zohar identtfie trois types de situations: 1) La premiere est celle des «jeunes literatures » en formation : dans ce cas, la littérature traduite tend á jouer un role important comme porteuse d'innovations et de repě-res de comparaison. 0 CHAPITRE 4 2) La seconde est celle des litteratures nationales « peripheriques»: dans ce cas, la litterature traduite tend ä occuper une place centrale parce qu'elle emane d'une nation plus puissante et plus influente. Cela est valable aussi bien dans le domaine francophone qu'anglophone ou hispanophone. 3) La troisieme est celle des litteratures «en crise»: dans ce cas, la litterature traduite tend ä occuper le vide laisse par les auteurs nationaux et ä devenir centrale dans le champ litteraire de la langue cible. Dans tous les cas. il s'agit d'une prise de pou-voir imprevisible et evolutive, car la litterature traduite est tributaire de la position des autres formes au sein du polysysteme. Even-Zohar (1990 :51) insiste sur ce point:« La traduction ne constitue plus un phenomene dont la nature et les frontieres sont fixees une fois pour toutes, mais une activite tributaire des relations internes ä un Systeme culturel particulier. »> La theorie du polysysteme conduit ainsi ä con-siderer la traduction comme un sous-systeme dependant du cadre culturel general de la societe d'accueil. Elle n'est pas un Systeme autonome ayant sa propre logique, mais eile est soumise aux interactions des autres syste-mes en presence. Cette conception de la traduction possede plusieurs implications theoriques et pratiques: 1) Le processus de traduction n'est pas envisage comme un transfert inter-langues mais inter-systemes. Cela signifie que la traduction s'inscrit dans un contexte socioculturel plus large et qu'il faut tenir compte de cet hyper-contexte lors du transfert. 2) Le texte / I'ceuvre traduit(e) n'est pas analyse^) en reference ä la notion d'equivalence mais envisage(e) en soi comme un objet autonome. Il/elle est une entite ä part entiére qui s'inscrit dans le cadre general du systéme cible. 3) Les procédés de traduction ne sont pas analyses en fonction de chaque systéme linguistique, mais en fonction des « normes » spécifiques au contexte socioculturel au sens large (genre littéraire, ideologie dominante, contexte politique). Ces perspectives ďétude ont été dévelop-pées par Gideon Toury (1995) dans le cadre de sa traductologie descriptive. Celui-ci s'est donnó pour objectif principal de rendre compte des phénoměnes traductologiques de facon systématique et dans un cadre théori-que unifié, II définit la traduction en terme de transfert et établit que toute operation de transfert com-prend d'une part « un invariant sous la transformation », et d'autre part «trois configurations basiques de relations* : 1) entre chacune des deux entités et le systéme dans lequel elles s'integrent; 2) entre les deux entités elles-mémes ; 3) entre les systěmes respectifs » (Toury 1995 :12). Ces trois types de relations sont interdépen-dants et permettent de définir la traduction comme un transfert interlingual ou plus préci-sément intertextuel. Toury (1995 : 14) sug-gěre, en s'inspirant des Familienähnlichkeiten de Wittgenstein, de « penser la traduction comme une classe de phénoměnes dans laquelle les relations entre ses membres s'apparentent ä Celles au sein d'une famille». Bref, la théorie du polysysteme sert á dévelop-per une traductologie analytique de nature systémique. Ainsi, eile s'inscrit dans le prolon-gement des approches traductologiques for-tement ciblistes, parce qu'elle envisage la traduction de facon panoramique au sein des systěmes culturels d'accueil. Mais son analyse des rapports de force entre litteratures nationales et étrangěres revét une coloration idéologique qui peut fausser la perception de la traduction en general. 83 Les theories de la traduction — — .... . ........- I' I I . ... - , I, in __..in _ 6. FAITES LE POINT Comparée á d'autres disciplines proches, la traductologie offre relativement peu de theories propres et bien établies, Dans ce chapitre, nous avons tenté de donner un apercu des theories les plus connues et les plus influen-tes. Elles se distinguent essentiellement par I'aspect qu'elles privilégient dans la théorisa-tion de la traduction. Ainsi, la théorie interpretative (École de Paris) insiste sur la preeminence du sens et de sa comprehension dans ie processus de traduction. La théorie de faction insiste sur le role central du traducteur comme acteur economique charge de faire le lien entre le commanditaire et le client. La théorie du skopos part du postulát qu'il n'est point de traduction sans but precis et que la fonction du texte determine la maniére de le traduire. La théorie du jeu se focalise sur la dimension contractuelle de la traduction et insiste sur la nécessité de connaítre et de maí-triser les « regies du jeu » avant de s'engager dans la traduction. Enfin, la théorie du poly-systěme voit la traduction comme une partie d'un tout plus englobant, le systéme littéraire dans son ensemble, et préconise la connais-sance des« normes » qui régissent le systéme pour pouvoir assumer la mission de traduction dans tel ou tel polysystěme. On le voit, chacune de ces theories adopte un point de vue particulier et original, mais toutes ont le mérite d'avoir place le processus de traduction ou le sujet traducteur au centre de leur reflexion. Elles ne s'interessent pas prioritaire-ment á la langue, ni au langage, ni aux signes, ni au texte, mais se focalisent sur les particularités de 1'activité de traduction prise en elle-méme et pour elle-méme. Leur perspective est résolu-ment et exclusivement traductologique. La plu-part des auteurs de ces theories affirment d'ailleurs leur volonte d'autonomisation de la discipline et inventent, pour cela, des concepts et des méthodes propres á son développement. Malgré le mérité indéniable de ces efforts, I'impact réel de ces theories demeure limite: d'une part, parce qu'elles sont peu connues des praticiens sur le terrain et d'autre part, parce qu'elles sont de nature explicative et ne foumis-sent pas aux traducteurs les méthodes auxquel-les ils s'attendent. Du coup, la difficulté de leur mise en application immediate a tendanca á creuser davantage le fosse qui séparé la théorie de la pratique. Une didactique de la traduction ä partir de ces theories reste á faire pour en mon-trer 1'utilité á des traducteurs debutants ou con-firmés qui recherchent souvent des «recettes » davantage que des explications abstraites. ft ■to CHAPITRE 4 7. POUR ALLER PLUS LOIN "D 1...............-:......•-.......-.......■nm>«-fir :-a^..........------- — ---------------......-----1 2 > Sur la theorie interpretative de la traduction : Lederer M. (1994), La Traduction aujourd'hui, Paris : Hachette. > Sur la theorie du skopos : Vermeer H.J. (2000), « Skopos and Commission in Translational Action », in Venuti (ed.), The Translation Studies Reader, London : Routledge, pp. 221-232. > Sur la theorie du polysysteme : Hermans, T. (1999), Translation in Systems. Descriptive and Systemic Approaches Explained, Manchester: St. Jerome Publishing. Toury G. (1995), Descriptive Translation Studies and Beyond, Amsterdam and Philadelphia: John Benjamins. 8. TESTEZ VOS CONNAISSANCES 1) Comment s'explique le lien entre le « sens » et « Tinterpretation » dans le cadre de la theorie interpretative ? 2) Comment I'idee de « but » ou de « finalite » determine-t-elle la maniere de tra-duire au sein de la theorie du skopos ? 3) Dans quelle mesure la traduction est-elle comparable a un jeu d'echecs ? 4) En quoi la reflexion sur les «types de textes » a-t-elle influence les traductologues ? 5) La notion de « contexte » est centrale dans les theories traductologiques. Pourquoi ? CHAPITRE 5 Questions et problématiques de la traductologie Les traductologues se sont posé un certain nombre de « questions >» de facon récurrente et persistante. Cela est flagrant á travers la multiphcité des etudes critiques sur ces questions, par delá la diversité des points de vue. Le survol qui suit montre le caractére central de quelques interrogations dans la reflexion traductologique. II a pour objectif de synthéti-ser un certain nombre de prises de position théoriques et pratiques. Quant aux « problematiques », elles renvoient a certaines propositions qui ont suscite le debat parmi les traductologues parce qu'elles posaient probleme sur le plan methodologi-que et non pas seulement d'un point de vue conceptuel. Ces problematiques sont nom-breuses et evolutives : elles dependent des courants et des approches en vogue a un moment donne. Nous en avons retenu quel-ques-unes parmi les plus debattues. 1. le « sens » >»»> —«.' La question du sens est centrale en traductologie. Gamier (1985 : 40) insiste sur le carac-tere consensuel de son importance: « II y a chez la plupart des auteurs un tres large accord sur cette question de la primaute du sens dans I'operation de traduction.» Ainsi, Vinay et Darbelnet (1958 : 37) placent le sens au fondement meme de tout acte de traduction : « Le traducteur, repetons-le, part du sens et effectue toutes ses operations de transfert a I'interieurdu domaine semantique. » II en est de meme chez Nida (1964 : 19) qui insiste sur la preeminence du sens: « Le sens doit avoir la priorite sur les formes stylistiques. » Apres avoir etabli que « le sens est exprime a travers le langage com me code de communication », il distingue trois types de sens (Nida 1964 : 30): 1) Le « sens referentiel», dans lequel il distingue le« situationnel» par opposition au «comportemental». 2) Le « sens linguistique », dans lequel il distingue le «linguistique» par opposition a l'« extralinguistique ». 3) Le « sens emotionnel », dans lequel il distingue l'« organismique »> par opposition a '« extraorganismique », 1.1 Ľe « sens » selon Nida Dans Toward a Science of Translating (1964), Nida accorde une attention toute particuliere a la question du sens (meaning) puisqu'il lui consacre pas moins de trois chapitres. Nida retient dans la foulee trois niveaux d'etude du sens: semantique, syntactique et pragmatique. Ces niveaux seront repris et precises par Gamier (1985: 40) qui distingue cinq types au lieu de trois: le sens referentiel, rela-tionnel, contextuel, situationnel, emotionnel. O) o o 0 1 -TO c o ■ -4-* o 5 ™c o CHAPITRE 5 80 Le sens du « sens » Jakobson est le premier á aborder la question du « sens » ďun point de vue traductologique et intersémiotique. Dans son article intitule On Linguistic Aspects of Translation (Jakobson 1963, trad. N. Ruwet), il définit le sens par le biais du « signum » et du « signatum ». Ces deux termes empruntes á la scolastique ont été traduits en francais respectivement par « signe »> et« signifié », dans le prolongement de la terminologie saussurienne (signifiant / signifié). L'une des qualités de la traduction de Ruwet reside dans 1'homogénéité de sa terminologie, mais le choix des equivalents pose probléme ici: est-il correct de traduire "There is no signatum without signum" par "II n'y a pas de signifié sans signe" ? Cest une affaire de choix : le traducteur aurait pu, en effet, garder les termes originaux en francais : « II n'y a pas de signatum sans signum », mais il a préféré utiliser une terminologie plus connue empruntée á Saussure. Ce choix de traduction reléve de •'interpretation personnels et s'avere, avec le recul, tout á fait discutable : certes, le sens de la citation est plus clair pour le lecteur francais, mais si le traducteur voulait inscrire ses equivalents dans le prolongement de Saussure, il aurait pu tout autant traduire la méme phrase par« il n'y a pas de signifié sans signifiant »>; il n'a pas retenu ce choix parce qu'il ne correspondait pas exactement á I'intention de Jakobson (qui n'est pas saussurien !). II en est de méme de ('expression "verbal sign" rendue en frangais par« signe linguistique » et I'expression "nonverbal sign" rendue par« signe non linguistique ». Ruwet retient ainsi la traduction par signe linguistique au lieu de signe verbal, mais cette traduction présente I'inconvenient de donner I'impression que les termes « verbal» et« linguistique » sont equivalents. Or, il n'en est hen. Le "verbal sign" de Jakobson designe seulement I'aspect verbal et ne s'applique pas á tous les types de signes linguistiques. Le traducteur semble ainsi étre allé trop loin dans la recherche systématique de coherence terminologique. 1.2 Le « sens » selon Catford Pour Catford (1965 : 35), «il est clair qu'une theorie de la traduction doit s'appuyer sur une theorie du sens ». Mais Catford estime aussi que «le point de vue selon lequel on transfer! des sens, ou que les textes de la langue source et de la langue cible ont le meme sens, est intenable. [...] Le sens n'est qu'une propriety d'un langage donne». C'est que Catford fait partie des theoriciens qui pensent qu'« un texte dans une langue source possede un sens inherent a la langue source et [qu'] un texte dans une langue cible possede un sens inherent a la langue cible». Dans cette perspective, il critique les tenants du sens a tout prix, en expliquant simplement sa position:«Si Ton adopte, comme je le fais, le point de vue que le sens est seulement l'une des proprietes du langage, alors on ne peut pas parler de transferer un sens d'une langue a I'autre. Un texte russe possede un sens en russe et sa traduction en anglais est un texte anglais avec un sens anglais » (Catford 1965 : 35). Pour lui, le sens est un ensemble de relations formelles et/ou contextuelles internes a une langue en particulier: « Nous definissons le sens comme le reseau total de relations, insti-tue par n'importe quelle forme linguistique.» S'opposant a I'idee d'un transfert de sens, il montre que le phenomene du transfert releve du transcodage et non pas de la traduction a proprement parler (Catford 1965 : 42). A I'oppose de cette conception, Mounin (1963 :144) fait remarquer, a juste titre, que le sens n'existe pas en dehors du sujet, dont la comprehension peut etre variable. Pour lui, le plus important dans le processus de traduction ne reside pas dans le « sens » (du texte) mais dans la « comprehension >» (du sujet). II propose, par consequent, de distinguer non pas des types de sens mais plusieurs niveaux de comprehension : « une comprehension totale (enonce de tous les caracteres inhe-rents au concept), une comprehension deci-soire (enonce d'un petit nombre de caracteres suffisants a le distinguer sans ambiguite), une comprehension implicite (avec les caracteres qu'on peut deduire des explicites), une com- Questions et problématiques de la traductologie prehension subjective enf in : I'ensemble des ou chez la plupart des membres dun caractěres qu'evoque un terme dans un esprit groupe ». 2. L'« EQUIVALENCE » L'equivalence est un concept largement répandu dans les etudes traductologiques. mais il est également trěs controversé en théorie comme en pratique. Certains auteurs, comme Snell-Hornby (1988 ; 20) et Gentzler (1993 : 4) contestent měme sa pertinence et son intérét pour la traductologie. D'autres tra-ductologues comme Baker (1992 : 5) I'emploient simplement « pour des raisons de commodité ». Pym (1992 : 37) critique la « circularité » du concept: pour lui, cette circularité reside dans le fait que I'equivalence est définie en reference á la traduction (I'equivalent d'une expression est sa traduction) et la traduction est définie en reference á Téquivalence (la traduction d'un mot est son equivalent), de sorte qu'il est difficile de dire ce que recouvre préci-sément Tun et I'autre. Cette imprecision conduit Pym á définir la traduction comme une «transaction » variable et evolutive, et I'equi-valence comme une « entité négociable » dans le cadre d'un systéme d'echange de valeurs. Le probléme est de savoir de quel type de « négociation » il s'agit et á quel niveau du texte il faut établir les relations d'equivalence. Car I'equivalence est par definition asymétri-que, étant donné qu'elle porte sur des langues différentes. Comme le souligne Pym (1995 : 166), c'est le traducteur qui fait I'equivalence: « L'equivalence est cruciale pour la traduction parce qu'elle constitue I'unique relation inter-textuelle que les textes traduits sont censés montrer, á la difference des autres types de textes... [Le texte] B n'a jamais été I'equivalent de A avant qu'il n'apparaisse dans la traduction : en utilisant des inferences de nature adductive, le traducteur rend les deux elements equivalents.» De fait, la plupart des definitions de I'equivalence sont fondées sur I'idee de «relation » entre deux entités de d i verses natures. To us les elements qui entrent dans la definition de I'equivalence ont ete aprement discutes: non seulement la nature de la relation entre entites (identite, similarite, analogie, exactitude, fide-lite, liberte, etc.) mais egalement la nature et le type des entites elles-memes (qui peuvent etre deux mots, deux segments, deux phrases, deux textes ou encore deux faits extralinguistiques): « La question qu'il faut poser dans I'etude effective des traductions (en particulier dans les etudes comparatives entre TS et TC) n'est pas de savoir si les deux textes sont equivalents (concernant un aspect), mais a quel degre ils le sont et quel type d'equivalence ils revelent»(Toury 1980: 47). Dans cette perspective, Bassnett (1980 : 6) distingue trois niveaux d'analyse de I'equivalence: 1) L'equivalence est le resultat de la relation qui existe entre les unites linguistiques (niveau syntaxique); 2) L'equivalence est le resultat de la relation qui existe entre les unites linguistiques et leur sens (niveau semantique); 3) L'equivalence est le resultat de la relation qui existe entre les unites, leur sens et ceux qui les utilisent (niveau pragmatique). Parallelement a la definition de ('equivalence, la question typologique a toujours suscite le debat entre traductologues. Selon le point de vue ou Ton se place, l'equivalence change de nature et de types. Ainsi, il est possible de repertorier plusieurs appellations qui refletent la diversite des points de vue traductologiques et des options theoriques: Au niveau des syntagmes et des phrases, on rencontre des equivalences « dynamiques » a caractere formel (Nida 1964) et des CHAPITRE 5 L'equivalence selon Catford Catford place la question de l'equivalence au cceur de la theorie et de la pratique de la traduction : « Le probleme central de la pratique traductionnelle consiste a trouver les equivalents de traduction dans la langue cible. La tache centrale d'une theorie de la traduction est de definir la nature des conditions pour l'equivalence traductionnelle »{Catford 1965 : 21). Sa definition de l'equivalence est fondee sur la notion de substitution : c'est«le remplacement d'un materiau textuel dans une langue par un materiau textuel equivalent dans une autre langue »> (Catford 1965 :20), Catford (1965 : 27) precise qu'« une equivalence textuelle de traduction est ainsi toute forme de la langue cible (texte ou portion de texte) observee comme ■ equivalente d'une forme donnee de la langue source »>. II fait ainsi une distinction nette entre l'equivalence textuelle et la correspondance formelle, cette derniere etant plus abstraite et plus approximative : « Une correspondance formelle est n'importe quelle categorie de la langue cible qui est susceptible d'occuper la "meme" place dans I'economie generale de la langue cible que celle qu'occupe la categorie correspondante dans la langue source »(Catford 1965 : 32). Ainsi, Catford envisage ('equivalence, non plus relativement au sens, mais relativement aux situations dans lesquelles elle peut fonctionner: « Les textes ou les elements de la langue source et ceux de la langue cible sont des equivalents traductionnels lorsqu'ils sont interchangeables dans une situation donnee >» (Catford 1965 : 49). Concernant les conditions d'equivalence en fonction des situations, Catford (1965 : 50) precise : « l'equivalence traductionnelle intervient lorsqu'un texte ou un element de la langue source et de la langue cible sont relatifs (au moins en partie) aux memes traits de substance ». Cela signifie pour lui qu'il peut y avoir une «traduction partielle » et une « traduction restreinte », par opposition a la « traduction totale »tant esperee (Catford 1965 : 93). « equivalences pragmatiques » de nature referentielle et connotative (Koller 1989). Au niveau du lexique de la langue, ('equivalence est definie en termes quantitatif et qualitatif: « equivalence unique », « equivalence multiple », « equivalence partielle »>, «equivalence vide»(Arntz 1993). Au niveau du texte, on rencontre des equivalences « textuelles » portant sur la structure d'ensemble et sur la cohesion generale (Baker 1992), et des equivalences «transactionnelles» refletant les contextes d'origine et les « negotiations » que mene le traducteur pour s'y adapter (Pym 1992). Au niveau de la communication, on constate la presence d'equivalences <« fonctionnelles » portant sur certains types de textes (Vermeer 1989) et sur certains effets (Newman 1994), mais aussi des equivalences«interpretatives » portant sur la dimension cognitive de la communication interlinguistique (Lederer 1994). Au niveau extra-linguistique, on constate I'existence d'equivalences « culturelles » de nature « normative », qui refletent les contrain-tes specifiques a chaque culture (Hermans 1999) et des equivalences « ideologiques » (Niranjana 1992) de nature orientee et ayant une portee politique. Malgre la multiplicite des approches et des definitions, le concept d'equivalence reste operationnel en traductologie et a dejä donne lieu ä des etudes aussi bien prescriptives que descriptives, qui structurent aujourd'hui encore la pratique et la reflexion sur la traduction. Au-delä des divergences d'objets et de points de vue, les theoriciens s'entendent sur au moins deux distinctions essentielles pour la recherche en traduction. D'une part, ils distinguent clairement les cor-respondances potentielles qui renvoient au niveau de la langue et du dictionnaire bilingue traditionnel, des equivalences effectives qui concernent le niveau des textes et qui renvoient a des realisations discursives conside-rees en contexte. Aussi l'equivalence est-elle Questions et problematiques de la traductologie definie aujourd'hui en reference au niveau inter-textuel et non pas inter-linguistique. D'autre part, les traductologues font desor-mais une distinction nette entre les equivalences theoriques de nature systematique et prescriptive, et les equivalences empiriques de nature descriptive et analytique. Les premieres concernent des generalisations eta-blies ä partir d'observations partielles ; les secondes se bornent ä la formalisation de I'existant dans des domaines d'etude precis (etude de cas). Ces deux distinctions ont notamment permis le developpement, au cours des dernieres decennies, de systemes de traduction bases sur I'exemple ou sur les memoires de traduction. Sans la prise en compte de I'aspect empirique de I'equivalence, de tels systemes n'auraient jamais pu voir le jour. Face au succes de I'equivalence, Gorlee (1993 : 102) pointe du doigt la confusion ter-minologique qui caracterise les etudes traduc-tologiques en general, avec une kyrielle d'appellations qui se trouve compliquee, selon elle, par I'adjonction de qualificatifs censes preciser le sens du mot:« equivalence de traduction », « equivalence fonctionnelle », « equivalence stylistique >», « equivalence formelle », « equivalence textuelle », « equivalence communicative »,« equivalence linguistique », « equivalence pragmatique », « equivalence semantique »», « equivalence dynamique », « equivalence ontologique »». Bref, cela amene Gorlee a conclure que «I'equivalence, au sens strict, entre signe et interpretant, est logiquement impossible ». mmm n»n u.....ir.^i.)Mn w»w4uui^> im i m mm—W^Mi ■ ■ mm » » ■ . ■ ,mt ■ i i ■ 3. I_A « FIDELITE » 4 L'adage italien «traduttore traditore» illustre bien le prejuge commun selon lequel le traducteur est par definition un traitre. La proxi-mite etymologique des deux mots n'est pas etrangere a ce rapprochement. En effet, le latin «trado » exprime I'idee de «remettre entre les mains de quelqu'un» ou encore de «livrer par trahison, trahir». Son sens premier est relativement proche de celui de « traduco » qui evoque I'idee de * conduire au-dela, faire traverser, faire passer d'un lieu a un autre, traduire ». II n'en reste pas moins qu'en traductologie, les deux mots traduttore I traditore ne sont asso-cies que pour mieux faire ressortir leur incompatibility intrinseque: traduire consiste juste-ment a ne pas trahir I D'ou la question sans cesse debattue de la «fidelite » en traduction, tant sur le plan pratique que theorique (Hur-tado-Albir 1990). Dans Traduire sans trahir (1979), Margot expli-que longuement les origines religieuses et theo-logiques du debat sur la fidelite, principal avatar de la traduction biblique qui a domine le Moyen Age et s'est meme prolonge jusqu'a I'epoque moderne avec Nida (1964) par exemple. Van Hoof (1991 : 31) fait appel a Leonardo Bruni, dit Leonardo Aretino (1370-1444), pour resumer les debats sur la question de la fidelite au Moyen Age. Ce dernier expose un certain nombre de principes dans son De inter-pretatione recta, publie en 1420 : « II semble avoir ete I'un des premiers a aborder le pro-bleme de la fidelite et du litteralisme avec une certaine rigueur scientifique.» Dans son traite, Leonardo Bruni axe sa reflexion sur le rapport entre traducteur et auteur, qu'il considere comme foncierement complementaires : « Comme tous les bons ecrivains (...) allient ce qu'ils veulent dire a propos des choses a Tart de Pecriture lui-meme, un traducteur digne de ce nom doit servir deux martres (...) a la fois la matiere et le style » (cite dans Lefevere 1992 : 83). Cette position de Bruni fait figure d'exception. Les traducteurs des siecles suivants serviront I'un ou Pautre de ces maitres, sans jamais parvenir a concilier les deux contraintes de base de la traduction : fidelite et liberie. CHAPITRE 5 Ballard (1992 :103) retrace les grandes lignes de cette evolution á partir de ľépoque moderne :« Des la fin du XVe siécle, tant par la reprise de traductions antórieures que par la perpetuation de leur méthode, on s'achemine vers un style de traduction qui culminera avec Amyot et qui, parfois méme, annonce les liberies que Perrot d'Ablancourt prendra avec le texte pour le rendre accessible ». Le grand siécle (le XVIIe), le siécle de Louis XIV, « imbu de sa supériorité, pretend mettre les Anciens au goüt du jour»(Van Hoof 1991 : 48). Aussi les traducteurs de ce siécle ont-ils pour devise de plaire. Les liberies qu'ils prennent par rapport au texte original sont telies que ľon assiste á «ľäge d'or d'un type de traduction qui fut baptise "la belle infidéle" » (Ballard 1992 :132). L'expression (« belles infideles ») fut forgée par Gilles Menage en 1740 pour décrire une traduction de Perrot d'Ablancourt. Elle designe des traductions qui se distinguent par une adaptation complete des oeuvres aux exigences esthétiques de ľépoque, sur le fond comme sur la forme. Le champion de cette méthode, Nicolas Perrot d'Ablancourt (1606-1664) estime que son travail n'est certes pas « proprement de la traduction, mais cela vaut mieux que la traduction » (cite dans Ballard 1992 :171). Van Hoof (1991 : 49) ócrit fort justement que d'Ablancourt « n'a pas volé son titre de chef de file de la traduction libre, c'est-á-dire elegante et inexacte»». Sous prétexte d'améliorer ľoriginal, d'Ablancourt s'autorise toutes les liberies et toutes les infidélités. Dans la preface á sa traduction d'Arien par exemple, il declare que « cet autheur est sujet ä des repetitions fréquentes et inutiles, que ma langue ny mon Stile ne peuvent souffrir». Mais d'Ablancourt n'est pas dupe et insiste sur le caractére exceptionnel de sa demarche: « Que ľon ne croie pas que je veuille faire passer pour des regies de traduction les liberies que j'ai prises. » Malgré cela, sa maniere de traduire fait des émules au point qu'on a pu parler, dans ľhis-toire de la traduction, de « secte perrotine ». La permissivité outranciére de Perrot d'Ablan- court et ses disciples est critiquee en France des 1654, notamment par Francois Cassan-dre, La Bruyere, et Amelot de la Houssaye, qui relevent d'innombrables inexactitudes dans les traductions realisees par d'Ablancourt. Mais c'est Madame Dacier (1647-1720) qui se distingue comme une adversaire acharnee des « belles infideles ». Elle appelle a un respect scrupuleux de I'original,« mais verse tou-tefois dans un travers nouveau, celui de la paraphrase erudite ». Van Hoof (1991 : 51) estime qu'en s'opposant farouchement a d'Ablancourt, M™ Dacier est devenue « le champion de la fidelite en cet age d'or des belles infideles.» Entre ces deux extremes, Ballard (1992 :195) mentionne les prises de position de Gaspard de Tende dans ce qu'il considere, a juste titre, comme «< la premiere 6tude scientifique de la traduction ». Dans ses considerations sur la problematique de la fidelite, de Tende recom-mande une bonne connaissance des deux langues et une distinction nette entre les paroles et le sens :« Bien entrer dans la pensee de I'auteur qu'on traduit et [de] ne pas s'assujettir trop bassement aux paroles, parce qu'il suffit de rendre le sens avec un soin tres exact et une fidelite toute entiere, sans laisser aucune des beautes ni des figures. » En faisant la synthese de I'histoire traductologi-que du XVII0 siecle, Ballard (1992 : 197) ecrit: «les deux manieres opposees de traduire continued de ccexister alors que Tune surtout, celie des belles infideles, par ses exces et dans la mesure ou elle exprime de maniere exacer-bee I'esprit d'un siecle, a ete mise en avant comme la plus caracteristique»». II souligne egalement que I'application des divers principes de fidelite a I'original se deplace du domaine religieux vers le domaine litteraire, et cette evolution marque Pemergence d'une «th6orisation a caractere scientifique ». II faut neanmoins attendre le XX* siecle pour qu'une approche depassionn^e et desacralisee de la fidelite voie enfin le jour. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, l'£cole de Paris, par la voix de Marianne Lederer (1994: 83), insiste sur le caractere errone de I'opposition seculaire : « Le traducteur doit-il etre libre Questions et problématiques de la traductologie ou fidéle ? L'alternative ainsi posée est fausse car chacun de ces termes, « fidélité », « liberie », ambitionne de s'appliquer á I'ensemble ďun texte, alors que toute traduction comporte une alternance entre des correspondences (fidélité á la lettre) et des equivalences (liberto á 1'égard de la lettre)». Cest precisement dans cette alternance que se deploie une conception dialectique de la traduction : les correspondances et les equivalences « sont intimement liees dans le processus de la traduction (...) Jamais les unes ne I'emportent integralement sur les autres.» 4. LES « MODES DE TRADUCTION » ii i —■ —-........ii iiiM.itnimwiWl^im'H' pour designer le sujet charge de l'adaptation des messages et autres produits de traduction (publicites, sites web, etc.). Ainsi, Fun des grands merites de l'adaptation est d'avoir ouvert de nouveaux champs Questions et problématiques de la traductologie d'application a la traduction proprement dite et permis au traducteur - en faisant appel a sa competence multilingue - d'investir de nou-veaux domaines d'activite qui lui etaient initia-lement fermes. Sur le plan de la reflexion theorique, I'adapta-tion a egalement le merite d'avoir oblige les traductologues a s'interesser aux aspects autres que linguistiques dans le processus de traduction. Cet interet a ouvert la voie a I'etude de la traduction comme forme de communication multilingue et permis d'envisager le traducteur comme mediateur culturel. •> I *« 1 explicitation W1- 'Ifi^l&dtt't'' ■ *' ■ ■., i L'explicitation est le fait de rendre explicite dans le texte cible ce qui n'etait qu'implicite dans le texte source. II s'agit d'un procédé de traduction introduit pour la premiere fois par Vinay et Darbelnet (1958) mais qui a soulevé, depuis, de nombreuses questions: quand est-il possible d'expliciter ? Que peut-on expliciter ? Pourquoi et comment expliciter ? Vinay et Darbelnet donnent un debut de réponse en écrivant que l'explicitation est possible lorsque ('information « peut étre deri-vée du contexte ou de la situation». Pour eux, il s'agit d'un « gain » de sens legitime parce qu'on peut le déduire du texte source. En abordant les principales techniques d'ajus-tement, Nida (1964) traite l'explicitation sous la rubrique de P« ajout » au texte cible, dont il défi-nit plusieurs types: expliciter une expression elliptique, ajouter une specification, ajouter une information grammaticale, amplifier un énoncé laconique, ajouter des réponses ä des questions rhétoriques, ajouter des énumérateurs ou des connecteurs, ajouter des synonymes ou des categories propres á la langue cible. Chez Nida, la technique de l'amplification est celle qui illustre le mieux l'explicitation: eile consiste ä ajouter des informations inexistan-tes sur l'original « lorsque des elements sémantiques importants et implicites de la langue source necessitent une identification explicite dans la langue du récepteur». En guise d'exemple, Nida cite des expressions bibliques telles que « Reine du Sud »(Évangile de Luc) oil chacun des mots requiert une explicitation pour savoir de quoi il s'agit (quelle « Reine » ? quel« Sud » ?). Dans d'autres genres de discours, l'explicitation revet une dimension non seulement cultu-relle mais aussi intersemiotique. Par exemple dans la traduction du theatre, Hewson et Martin (1991) ont montre que d'une part, certains elements linguistiques du texte etaient explicites dans les situations dramatiques (la mise en scene) et que, d'autre part, certains elements signifiants de la scene pouvaient etre explicites dans les mots des acteurs (les repliques). La question de savoir pourquoi le traducteur est parfois amene a expliciter ('original a ete posee par plusieurs specialistes et a recu des reponses differentes mais complementaires. Ainsi, certains linguistes estiment que l'explicitation est necessaire en raison des differences qui existent entre les langues et a cause de la structure meme du discours dans certaines langues. Par exemple, le francais serait plus explicite que I'anglais non seulement en raison de ses nombreux connecteurs et marqueurs de cohesion, mais aussi a cause de certaines particulates stylistiques et rhetoriques. Sur ce point, Seguinot (1988) part du postulat que l'explicitation est un phenomene general parce que les traductions semblent toujours plus longues et plus explicites que les textes originaux. Mais son etude des traductions entre le francais et I'anglais debouche sur une conclusion differente : certes, la traduction francaise est generalement plus explicite que ('original anglais, mais l'explicitation n'est pas due aux differences structurelles ni stylistiques entre les deux langues ; elle est essen-tiellement due aux choix de traduction et aux strategies d'edition des reviseurs. Les traductologues sont ainsi amenes a dis-tinguer les explicitations « obligatoires » des explicitations « facultatives ». Les premieres sont dictees par les differences structurelles entre les langues, les secondes par les choix stylistiques privilegies par chaque auteur. Ainsi, les explicitations syntaxiques et semanti-ques sont necessaires lorsque le resultat de la traduction dans la langue cible risque d'etre agrammatical. Certaines differences de cate- CHAPITRE 5 gories grammaticales entre les langues exigent une explicitation : par exemple, il existe en arabe un pronom personnel specifique lorsqu'il s'agit de deux personnes (le pronom du duel, humi) et ce pronom exige un accord different en genre selon qu'il s'agit de deux hommes ou de deux femmes. Lors de la traduction, cette specificite rend obligatoires certains ajouts au niveau syntaxique, qui se traduisent par un nombre plus important de mots. II en va de meme de I'explicitation semantique qui concerne la difference qu'affichent les mots de la langue concernant le decoupage de la realite. Ainsi par exemple, les mots qui servent a designer les membres de la famille en francais (oncle, tante, cousin, cousine, neveu, niece) ne peuvent pas etre traduits en arabe sans explicitation parce qu'il existe des mots differents pour chacun de ces membres selon qu'ils appartiennent a la famille du pere ou a celle de la mere (oncle paternel, 'amm; oncle maternel, khal, etc). Ces explicitations sont necessaires parce qu'elles influent reellement sur le sens du texte. Mais d'autres sont moins imperieuses parce qu'elles portent sur des preferences stylistiques (I'idiolecte). C'est le cas par exemple de la coordination avec «waw » ou «/a" » en arabe qui remplace, dans de nombreux cas, la ponctuation francaise ou anglaise. De meme, I'usage de la redondance est plus frequent dans la phraseologie arabe, mais cela n'est pas contraignant pour le traducteur qui peut choisir, par exemple, de ne pas expliciter le sens des adjectifs originaux lorsqu'ils se presentent comme des quasi synonymes. Bref, peu d'explicitations sont obligatoires et le traducteur garde toute latitude d'agir face au texte. En definitive, I'explicitation apparait davantage comme un precede de traduction parmi d'autres que comme une necessite impo-see par les langues et les cultures. Elle est I'une des mesures de la liberie prise par le traducteur. - 4,3 « compensation » La compensation est un procede de traduction qui consiste a pallier la perte d'un effet du texte source par la recreation d'un effet similaire dans le texte cible. Newmark (1991 : 144) cite les exemples suivants, susceptibles selon lui d'etre compenses : «les calembours, les alliterations, le rythme, I'argot, les meta-phores et les mots pleins, tous peuvent etre compenses si le jeu en vaut la chandelle, mais parfois cela ne vaut pas la peine ». L'exemple le plus connu est celui de la traduction des bandes dessinees de Tintin ou encore d'Asterix qui regorgent, comme on le sait, de references culturelles et de calembours diffici-les a rendre : « Les traducteurs ont renonce a toute velleite de transposition des calembours francais ; Ms ont procede a une compensation en inserant des calembours anglais de leur cru, qui n'existaient pas dans le texte source, mais en maintenant une equivalence detention »(Hatim et Mason 1990 : 202). En d'autres termes, la compensation a consiste ici a utiliser le meme procede linguistique dans les deux langues (le calembour) et cela afin d'atteindre le meme effet (I'humour). Mais ce n'est pas la seule possibility offerte au traducteur. Hervey et Higgins (1992 : 34) distin-guent quatre types de compensation: 1) La « compensation du genre»: elle consiste a utiliser dans le texte cible un pro-cede linguistique different pour recreer un effet particulier du texte source. 2) La « compensation du lieu»: elle consiste a placer I'effet du texte cible a un autre endroit que celui ou il se trouve dans le texte source. 3) La « compensation par fusion » : elle consiste a condenser certains elements du texte source dans la reformulation du texte cible, soit en les melangeant, soit en les synthetisant. 4) La « compensation par scission »: elle consiste a developper le sens d'un mot du texte source par le biais d'une formulation plus etendue dans le texte cible. Hervey et Higgins soulignent le fait que les deux premiers types de compensation (du genre, du lieu) ne s'excluent pas et peuvent intervenir dans un meme texte, voire pour un meme element textuel, Mais les deux autres types de compensation (par fusion, par scission) s'excluent mutuellement parce qu'ils Questions et problematiques de la traductologie relevent des caracteristiques lexicales de cha-cune des langues en presence et non pas des traits stylistiques de chaque texte. Harvey (1995 : 84) fait ainsi une distinction claire entre les specif icites lexicales d'une lan-gue et les particularites stylistiques d'un texte. II propose, en consequence, une typologie qui n'est pas fondee sur la nature du precede lin-guistique employe mais sur ('emplacement de la compensation realisee par le traducteur: compensation parallele, contigue ou deplacee. Cette proposition remet en question la notion d'unite de traduction qui sert a la comparaison de mots, de syntagmes ou de phrases entre les textes source et cible. De ce point de vue, Gutt (1991 : 48) estime que la compensation n'est concevable que dans le cadre d'une conception « holistique » (globale) du texte parce qu'elle est fortement tributaire de I'inge-niosite et de la creativite du traducteur. Mais Hervey et Higgins (1992 : 40) insistent sur la difficulty de parvenir a une compensation satisfaisante: « Certes, la compensation permet d'exercer I'ingeniosite du traducteur, mais I'effort qu'elle requiert ne doit pas etre consacre inutilement a des traits textuels insignifiants. » Bref, les traductologues s'accordent sur le fait que la compensation est souvent difficile, parfois impossible a realiser; tout depend du texte et de I'effet recherche. 5. LES « TYPES DE TRADUCTION » La question typologique est complexe et aprement debattue en traductologie. Dans leur quete de la scientificite, les traductologues ont toujours voulu introduire des classifications pour clarifier le produit et le processus de la traduction. Ces classifications se sont considerablement affinees au cours des siecles : si Ton cherchait simplement au debut a qualifier des « manidres de traduire », cette attitude a evolue vers une veritable activite de theorisation typologique a partir du XXe siecle. Certains traductologues ont propose des typologies de traductions, d'autres des typologies de textes, chacun a partir de postulats et de points de vue differents. Mais tous visaient le meme objectif: derriere les «types » se profilait le souci d'une approche qui se voulait plus rigoureuse et plus methodique de la traduction. En voici quelques exemples issus des traditions allemande et francaise. 5.1 Chez Goethe Goethe (1749-1832) n'a pas consacre un ouvrage ä part ä la traduction bien qu'il s'y soit interesse toute sa vie. L'essentiel de ses id^es en la mattere est consigne dans Le Divan occidental-oriental (Westöstlischer Divan, 1819) qui constitue, selon Berman (1984 : 96), « Texpression la plus achevee de la pensee classique allemande sur la traduction ». Dans cet ouvrage, Goethe distingue trois manieres de traduire: 1) La premiere«nous fait connaTtre I'etranger dans notre sens a nous»; 2) La seconde est qualifiee de « parodistique » et consideree comme typiquement francaise : « Le Francais, de meme qu'il adapte a son par-ler les mots etrangers, fait de meme pour les sentiments, les pensees et meme les objets; il exige a tout prix pour tout fruit etranger un equivalent qui ait pousse sur son terroir»(cite dans Berman 1984:96). 3) La troisieme maniere est la plus satisfaisante selon Goethe parce qu'elle se donne pour objectif de « rendre la traduction identique a I'original, en sorte qu'elle puisse valoir non a la place de ('autre, mais en son lieu ». Goethe precise que « ce mode de traduction rencontre d'abord la plus grande resistance, car le traducteur qui serre de pres son original renonce plus ou moins a I'originalite de sa nation, et il en resulte un troisieme terme auquel il faut que le gout du public commence par s'adapter»(cite dans Ballard 1992 : 234). CHAPITRE 5 D'une facon plus g6nerale, et en depit de I'influence de Goethe en Europe, c'est Schleiermacher {1768-1834) qui publie I'etude la plus approfondie sur la traduction dans Ueber die verschiedenen Methoden des Uebersetzens (1813). Ce tivre ne sera accessible en francais qu'ä partir de 1985 grace ä la traduction de Berman : Des differentes methodes du traduire. Schleiermacher aborde la traduction en philo-sophe et examine son objet d'etude en termes tres generaux. Cela I'amene ä distinguer trois types de traductions; 1) La traduction «intralinguistique » par opposition ä la traduction « interlinguisti-que » :« N'avons-nous pas souvent besoin de traduire le discours d'une autre per-sonne, tout ä fait semblable ä nous, mais dont la sensibiiite et le temperament sont differents ? » (trad. Berman 1985 : 281). 2) La traduction «intra-individuelle» par opposition ä la traduction « inter-indivi-duelle * : « Plus encore: nous devons traduire parfois nos propres discours au bout de quelque temps si nous voulons de nou-veau nous les approprier convenab lern ent» (trad. Berman 1985 : 282). 3) La traduction ecrite par opposition au « truchement » (interpretation) : « On entend plutöt par truchement la traduction orale, et par traduction, la traduction ecrite, que I'on excuse la commodite pre-sente de cette definition, d'autant plus que les deux determinations ne sont pas si eloignees l'une de I'autre (...) chaque transposition ecrite ne doit etre conside-ree, ä proprement parier, que comme I'enregistrement d'une transposition orale » (trad. Berman 1985 : 283). ill Chez Jakobson Dans son article sur« les aspects linguistiques de la traduction » (1959), Jakobson distingue trois types de traduction consideres comme autant de maniere d'interpreter le langage: « Nous distinguons trois manieres d'interpreter un signe linguistique, selon qu'on le traduit dans d'autres signes de la meme langue, dans une autre langue, ou dans un Systeme de sym-boles non linguistique»(Jakobson 1959:233). Ces trois formes de traduction sont designees de la maniere suivante: 1) La «traduction intralinguale ou reformulation (rewording) » consiste en I'interpretation des signes linguistiques au moyen d'autres signes de la meme langue. 2) La «traduction interlinguale ou traduction proprement dite » consiste en Pinterpreta-tion des signes linguistiques au moyen d'une autre langue. 3) La «traduction intersemiotique ou transmutation » consiste en Interpretation des signes linguistiques au moyen de syste-mes de signes non linguistiques (Jakobson 1959 : 233). La typologie de Jakobson montre une prise en compte du linguistique et du semiotique dans la reflexion traductologique, c'est pourquoi elle a eu un impact considerable sur les etudes ulterieures. Dans sa Poétique, Meschonnic a établi une typologie des traductions qui reserve au traducteur un statut comparable á celui de I'ecrivain: « Une théorie de I'ecrire et du traduire implique une théorie du langage, une théorie du langage implique une théorie de I'ecrire et du traduire » (Meschonnic 1973:325). Malgré son abstraction apparente, Pauteur insiste sur le fait que sa typologie est issue d'une observation de la pratique traductionnelle :« Un établissement des crttě-res de traduction et une typologie des traductions peuvent se faire non en fonction de la resolution ponctuelle des problemes philolo-giques, mais en dégageant de chaque pratique sa théorie » (Meschonnic 1973: 305). En consequence, Meschonnic envisage la traduction comme une activité littéraire á part entiěre et la nomme de differentes facons 55 Questions et problematiques de la traductologie selon les aspects retenus par le traducteur dans I'exercice de sa fonction d'ecrivain: 1) l_a «traduction-introduction » ; 2) La «traduction-traduction » ; 3) La «traduction non-texte »>. Meschonnic precise le lien, de nature chrono-logique et historique, entre ces differents types de traductions ; « Selon I'historicite du traduire, une traduction est traduction-introduction, avant que soit produit, s'il peut I'etre, le moment d'une traduction-texte » (Meschonnic 1973:307). 5.5 Chez Etkind A partir d'une analyse comparee des appro-ches adoptees dans le domaine poetique, Etkind distingue six types de traductions qui correspondent globalement aux differents modes de I'adaptation: Les « unites de traduction » designent les elements du texte source que le traducteur prend comme point de depart a son travail. Ces unites peuvent etre des mots simples, des groupes de mots, des propositions ou encore des phrases entieres ; certains theori-ciens considerent meme I'ensemble du texte d'origine comme une seule et meme unite de traduction. Le choix de I'unite depend de la nature du texte et de la competence du traducteur. Que ce soit en interpretation ou en traduction, plu-sieurs etudes ont montre que les unites de traduction tendent a etre plus etendues et plus signifiantes lorsqu'il s'agit de traducteurs confirmes. A I'inverse, les apprentis traducteurs et les etudiants debutants en langues ont tendance a s'appuyer sur des mots simples et des structures grammaticales de base pour approcher les unites de traduction (Lors-cher 1993). « I. La Traduction-lnformation (T-INFO)» : elle s'apparente a un resume et vise a donner au lecteur une id6e generate de I'original. « II. La Traduction-lnterpretation (T-INT)» : elle est plus proche de la paraphrase que de la traduction mais peut combiner les deux. «III. La Traduction-Allusion (T-ALLUS)» : elle evoque ('original et s'adresse avant tout a ('imagination du lecteur. « IV. La Traduction-Approximation (T-APPROX)» : elle s'eloigne de I'original et reflete la conviction d'une impossibilite de traduire. « V. La Traduction-Recreation (T-R) >» : elle recree I'ensemble, tout en conservant la structure de ('original. « VI. La Traduction-lmitation (T-l) » : elle se substitue a I'original et revele les poetes qui cherchent d'abord a s'exprimer eux-memes. (Etkind 1982:18-27). D'autres etudes ont tente de montrer le lien existant, non pas entre la competence du traducteur et le choix de I'unite, mais entre la structure des langues en presence, laquelle expliquerait le type d'unite choisie comme point de depart a la traduction. II semblerait ainsi que plus les langues sont eloignees, plus la difference est marquee au niveau des unites de base, c'est pourquoi Catford (1965), par exemple, conseille de traduire « structure par structure ». Bassnett (1980/1991) resume bien le debat concernant les « unites de structure » et les « unites de sens ». II s'agit, en realite, d'une refonte de I'opposition classique entre traduction litterale et traduction libre: les uns s'atta-chent a la forme pour definir les unites de depart, les autres se focalisent sur le sens pour traduire le message. Les appellations varient: « unite de sens » ou « unite d'idee » par opposition a « unite linguistique » ou « unite lexicale ». S'ajoute a cela le debat sur 6. LES « UNITES DE TRADUCTION » CHAPITRE 5 II est possible - et preferable - de combiner ces deux methodes de travail sur des corpus varies pour aboutir a des resultats fiables con-cernant les phenomenes etudies. Mais il est evident que le plus important reside dans I'hypothese et I'observation de depart, car « ce n'est pas assez d'avoir I'esprit bon, mais le principal est de I'appliquer bien » (Descartes, Discours de la methode, 1637). 9. LES « CHOIX » ET LES « DECISIONS » Dans un souci de rationalisation, la traduction apparaTt pour un certain nombre de specialis-tes comme une activite de decision face ä un certain nombre de choix qui se posent au tra-ducteur selon les textes et les contextes. Mais le processus de prise de decisions est com-plexe parce qu'il est tributaire des modalites de resolution des problemes de traduction. Ces modalites dependent du savoir disponible ä un moment donne, c'est-ä-dire du savoir declaratif (ce que Ton a emmagasine en memoire) et du savoir procedural (la maniere d'utiliser nos connaissances). A cet egard, Wilss (1996) pose plusieurs questions importantes : quels sont les facteurs qui determinent le choix de telle ou telle solution de traduction ? Quels types de choix pour quels types de textes ? Quelles sont les decisions possibles ? Comment se fait le choix ä tel ou tel niveau du texte ? Quel est le resultat obtenu en fonction de tel ou tel choix ? etc. Autant de questions qui meritent une etude approfondie ä partir d'un large panel de tra-ducteurs. D'un point de vue decisionnel, l'activite du tra-ducteur est d'autant plus complexe que la traduction est une operation derivee, en ce sens que le sujet ne part pas du neant pour pro duire un texte original, mais « derive» sa production d'un texte source existant. En toute rigueur, il faudrait etudier de facon systemati-que toutes les manieres par lesquelles le tra-ducteur tente de resoudre les problemes semantiques, pragmatiques et stylistiques au cours de ce travail de « derivation ». Levy (1967 :172) estime que les choix de traduction « sont influences par le savoir accumul6 lors des decisions anterieures et par la situation qui en a resufte ». Autrement dit, de la memoire. En realite, la nature de la decision depend du niveau ou se place le traducteur et de sa strategic de traduction. Au niveau microtextuel (des unites lexicales et syntaxiques), le traducteur ne fait que resoudre des problemes locaux. Au niveau macrotextuel, il est conduit a prendre des decisions importantes en fonction d'une strategie preetablie (par ex. sour-ciere vs cibliste). Mais pour eviter toute incoherence dans la traduction, il doit penser la resolution des problemes au niveau microtextuel en fonction de sa strategie au niveau macrotextuel. Les « protocoles de reflexion a voix haute» (TAPs) permettent de saisir certains modes mentaux de ces prises de decision. En suivant pas a pas les etapes par lesquelles on passe en traduisant, on explicite le deroulement de I'operation en enoncant a voix haute ce que I'on est en train de faire. Dans le meme temps, I'ordinateur peut enregistrer nos actions et le magnetophone nos reflexions. Tirkkonen-Condit (1993) a pu ainsi identifier la maniere dont les etudiants en traduction trai-tent les problemes de traduction et comment ils choisissent entre differentes possibilites. II est ainsi etabli que I'une des methodes les plus frequemment utilisees est celle de « I'essai-erreur» : I'etudiant opte de fagon quasiment aleatoire pour une solution, puis il evalue la pertinence du resultat; s'il le juge adequat, il le maintient, sinon il fait un autre essai, et ainsi de suite jusqu'a la fin du texte. En somme, il s'agit d'un processus d'appren-tissage par induction qui vise a developper progressivement des strategies de traduction generates a partir d'une succession de decisions particulieres. On est loin du cogito pre-traductionnel qui devrait eclairer le chemin du traducteur. Questions et problématiques de la traductolog le Le cogito pre-traductionnel La plupart du temps, nous traduisons des genres de textes connus. Que nous tradui-sions des romans, des essais, des publicites ou des manuels scolaires, nous suivons des chemins discursifs que nous avons deja pratiques (narratifs, argumentatifs, informatifs, etc.) et nous utilisons des precedes dont nous avons fait usage (['adaptation, I'explicitation, etc.). Notre traduction peut etre ainsi conside-ree comme une actualisation de nos anciens choix et de nos solutions anterieures. Le texte traduit ne serait que la convocation de decisions passees et de connaissances memori-sees. Des lors, on peut se poser la question de la possibility d'une decision de traduction sans memoire. Plusieurs problematiques se posent ici. D'abord, celle de savoir ce qui distingue la decision analytique d'un choix memoriel: s'il n'est pas de traduction sans memoire, alors la decision se reduit-elle a la mobilisation de connaissances et de choix passes ? Ensuite, s'il est possible de penser la decision sans memoire, cette distinction possede-t-elle des implications sur le plan pratique, concret ? Enfin, s'il est impossible de choisir une solution sans memoire, quel statut alors donner aux decisions « originaires »qui ont pourobjet ce que nous n'avons pas traduit auparavant ? Concernant le premier point, il est vrai que la plupart du temps notre choix de traduction renvoie a une traduction d'objets deja connus. Traduire un compte rendu d'evenement politique, une analyse d'economiste ou le recit des frasques d'une star du cinema sont les objets de decisions si similaires qu'il est possible d'affirmer que la decision de traduction est une reconnaissance, au sens d'une rememo-ration. Cependant, force est de constater que la decision ponctuelle ne se reduit pas elle-meme ä un acte de memoire. Pour soutenir qu'il n'est pas de traduction sans memoire. il faut consi-derer que choix et memoire peuvent etre con-fondus. Or, memoire et choix se donnent d'emblee comme des actes vraiment distincts. Le choix d'une solution de traduction, dans la mesure ou il exige un effort de concentration, est un acte volontaire et exterieur, qui se passe entre le moi et le texte. Tandis que I'effort de memorisation consiste ä interioriser ce qu'on percoit pour en faire une connaissance susceptible d'etre mobilisee en temps voulu. La passivite de la memoire ne parait pas pouvoir etre conciliee avec la decision volontariste de traduire ä un moment donne de telle maniere. La question ne serait done pas tant de savoir si on peut traduire sans memoire, que de savoir comment la memoire pourrait intervenir dans la decision de traduction. Étant donne que la traduction se donne elle-méme comme une rencontre du sujet tradui-sant avec un donne textuel exterieur, elle peut se reveler comme un choix subjectif, et non pas comme une decision tributaire de ce qui est dans I'objet. Ce que I'on choisit comme solution de traduction constitue en general une reaction á ľintentionnalité contenue dans le donne textuel. La decision de traduction ne serait pas ainsi actualisation d'une memoire textuelle déjá constitute, mais ré-action á une intention premiére de communication. .9 O u n ra k. J! -to 10. LES « STRATEGIES DE TRADUCTION » Le terme « strategic »> (du grec « stratos », armee et « agein », conduire) designe ia con-duite generale d'une action ayant une coherence et un but sur le long terme. Dans le domaine de la traduction, la strategic conceme le choix des textes a traduire et la methode adoptee pour les traduire. e'est-a-dire les diffe-rentes decisions que prend le traducteur dans I'exercice de ses fonctions. Ces trois elements (choix, methode, decision) dependent de fac-teurs divers et varies: economiques, culturels, politiques, historiques, ideologiques, etc. CHAPITRE 5 Mais il est possible de distinguer, par dela la multiplicité des facteurs, deux grands types de strategies traductionnelles : d'une part, la stratégie « sourciére » qui vise á conforter les normes et les valeurs dominantes dans la culture source ; d'autre part, la stratégie « cibliste » qui vise á soumettre les textes étrangers aux contraintes de la culture cible. L'une est protectionniste parce qu'elle vise á preserver la culture de depart, ľautre est assi-milationniste parce qu'elle vise ä la gommer en privilégiant la culture ďarrivée. Les termes qui servent á designer chacune de ces strategies varient d'une langue á ľautre. En francais, on rencontre le terme « naturalisation », qui indique le travail d'adap-tation mené par le traducteur pour « naturaliser»ľceuvre étrangére, á la maniere ďun individu qui acquiert la nationalité par Ľéthique de la traduction selon Berman Dans ĽÉpreuve de ľétranger (1984), Berman estime que la reflexion sur la traduction est devenue une nécessité interne. La question éthique est intiment liée au « dráme du traducteur», tiraillé entre deux pôles (ľceuvre et ľauteur; ľauteur et le public): « Traduire, c'est servir deux maítres » (Rosenzweig). La reflexion éthique est également indispensable parce que les cultures résistent á la traduction -merne si elles en ont besoin - par pur reflexe ethnocentrique. Or, ľessence de la traduction est d'etre ouverture, dialogue, métissage, décentrement. Cette éthique « positive » s'oppose, selon Berman, á une éthique « negative » qui cherche á détourner la traduction de sa visée humaniste en la mettant au service de valeurs idéologiques qui opérent une negation de « ľétrangeté » de l'Autre ou de ľceuvre traduite. C'est pourquoi, le traducteur doit développer une « analytique » lui permettant de repérer les systémes de deformation qui menacent ses pratiques et opérent de facon consciente ou inconsciente au niveau de ses choix de traduction. Bref, ľéthique impose au traducteur de contrôler sa « pulsion traductrice »(Berman). ' naturalisation : le texte devient naturel dans la 1 culture cible, c'est-a-dire que Ton gomme ses \particularftes les plus visibles pour qu'il soit admis au sein de la « nation». L'objectif est de faire admettre « I'etranger » dans la culture nationale sans susciter la polemique et sans heurter la sensibilite du public. A I'inverse, le terme « exotisation » indique dans les etudes traductologiques d'expression francaise la tendance inverse, qui consiste a garder, dans la culture cible, les traits caracte-ristiques de I'ceuvre etrangere (images, style, valeurs). Le resultat de cette strategie est une traduction qualifiee d'« exotique » parce qu'elle affiche son etrangeite en maintenant visibles les marques de son origine (noms etrangers, lieux exotiques, etc.). L'objectif est avant tout didactique: ouvrir I'esprit du public cible en lui faisant ressentir ce que Berman (1984) appelle « I'epreuve de I'etranger». En anglais, les termes qui designent ces deux strategies sont differents mais I'idee qui sous-tend chaque strategie est la meme qu'en francais. D'un cote, il y a la «< domestication » (domesticating) qui consiste a « domestiquer» le texte etranger, c'est-a-dire a le rendre domestique, a la maniere d'un animal sauvage qu'on parvient a rendre docile au prix d'un grand effort, au terme duquel il fait partie de la « maison » (domus, en latin). D'un autre cote, il y a l'« etrangeisation » (foreignizing) qui consiste a preserver le caractere etranger des ceuvres traduites, mais au prix de quelques entorses consenties aux normes de la culture d'accueil. Ici, le traducteur ne cherche pas a adapter le texte aux valeurs locales de la cible, mais affiche sans complexe I'origine etrangere de son produit. Dans certains cas, il peut meme accentuer les cliches associes a Pimage de I'etranger pour mieux satisfaire a la mode de I'exotisme. Ces choix strategiques ont ete pratiques tout au long de I'histoire. Le philosophe Nietzsche (1844-1900), par exemple, s'est interroge sur la pregnance du phenomene de « domestication » dans la Rome antique. D'illustres poe-tes latins ont traduit deliberement les textes grecs dans la langue de leur temps et selon le gout de leur epoque. lis ont notamment sup-prime les noms grecs (de personnages, de Questions et problematiques de la traductologie lieux) au profit de noms latinises et gomme les allusions culturelles d'ortgine au profit de references propres a la culture romaine. Cette strategie de traduction a fait ecrire a Nietzsche que « la traduction etait une forme de conquete ». II semble, en effet, que la naturalisation des ceuvres traduites soit une strategie caracteristique des cultures dominantes a une epoque donriee. II est possible de verifier cette hypothese en observant les choix et la methode des traducteurs anglais et francais aux heures de gloire de leurs empires respec-tifs. L'illustration la plus celebre en frangais est celle des traductions «belles mais infideles » promues par Nicolas Perrot d'Ablancourt au XVII8 siecle. En anglais, on trouve une appro-che comparable chez John Denham qui ne visait pas seulement a moderniser les ceuvres anciennes, mais aussi a conforter I'identite nationale de la culture anglaise. Venuti (1992) a etudie de pres ies enjeux de cette strategie et a conclu au fait que la « domestication » ou naturalisation des ceuvres traduites servait souvent des interets nationaux, qu'ils soient politiques, economi-ques, religieux ou meme scientifiques. A I'inverse, Berman (1984) estime que la strategie de P« etrangeisation » ou de r« exoti-sation » constitue une veritable « ethique de la traduction » parce qu'elie ne procede pas d'une demarche ethnocentrique et qu'elie vise a preserver la culture d'origine des ten-dances imperialistes des cultures d'accueil. Berman cite I'exemple du philosophe allemand Frie-drich Schleiermacher pour son essai sur les « differentes methodes du traduire » (1813). En realite, quel que soit le pays, on rencontre des promoteurs de I'exotisation mais aussi des partisans encore plus nombreux de la naturalisation. Chacune de ces strategies de traduction a ses avantages et ses inconve-nients, de sorte que le choix d'une strategie en particulier n'est pas tant lie a la nature des tex-tes a traduire mais davantage a I'objectif, declare ou non, du traducteur. Les enjeux strategiques de la traduction ne se situent pas necessairement dans le domaine textuel; ils debordent souvent le cadre langa- ! gier pour englober des problematiques culturelles et politiques. Pour s'en convaincre, il f suffit de comparer des traductions modernes d'ceuvres anciennes avec des traductions d'epoque de ces memes ceuvres et cela dans differentes aires culturelles, A cet egard, la tra- 1 duction litteraire offre de nombreux exemples • instructifs dans la plupart des langues interna-\ tionales. Selon les pays, on ne traduit pas les memes ceuvres de la meme facon. Ethique et politique du traduire selon Meschonnic Dans £thique et politique du traduire (2007), Meschonnic developpe trois concepts (poetique, ethique et politique) qui participent d'une theorie d'ensemble du langage dans laquelle la traduction joue un role determinant: * Je ne definis pas I'ethique comme une responsabilite sociale, mais comme la recherche d'un sujet qui s'efforce de se constituer comme sujet par son activite, mais une activity telle qu'est sujet celui par qui un autre est sujet. Et en ce sens, comme etre de langage, ce sujet est inseparablement ethique et poetique. C'est dans la mesure de cette solidarity que I'ethique du langage concerne tous les etres de langage, citoyens de Phumanite, et c'est en quoi P6thique est politique »(Meschonnic 2007: 8). L'ethique ainsi definie apparaTt comme une evidence face a Pinsuffisance de la deontologie vilipendee par Pym (1997). Celui-ci axe sa reflexion sur le traducteur, au detriment de I'acte de traduction et omet, par consequent, le lecteur recepteur. L'analyse detaillee qu'en fait Meschonnic souligne les limites de Papproche dyontologique de Pym. Mais I'ethique de Meschonnic est indissociable de sa theorie de la poetique dans laquelle la traduction apparaTt, en definitive, comme la transformation d'une forme de vie par une forme de langage et vice versa ; bref, un rapport d'interaction entre le langage et la vie. Pour lui, la traduction est un acte ethique parce qu'elie court-circuite Popposition entre identity et alterite en montrant que I'identite ne vient que par Palterite.