Chapitre 7
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Le vieillissement intolerable
corps defaii
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Le corps indesirable
Un chapitre particuUer s'impose iei 8U£<% vieiUi.sement et sur la representation sociale de la peräftmire ägee; <Je sont lä deux precieux revelateurs du Statut paoderne du corps qui permettent d'affiner les analyses precedentes.
La definition que donne Erving Goffman du stigmatise n'epargne pas la personne ages : « Un individu qui aurait pu aisement se faire admettre dans le cerclerdes rapports sociaux ordinaires possede une caracteristique telle qu'eÜe peut s'im-
poser ä Pattention de ceux d'entre nous qui le rencontrent et
nous detourner de lui, detruisant ainsi les droits qu'il a vis-a-vis
de nous du fait de ses autres attributs. »* Dans la relegation sociale plus ou moins feutree qui distingue la vieillesse et la met 4 regard de la sociability ordinaire, on diseerne en effet
le travail social d'une marque, La personne ägee porte parfois son corps a la maniere d'un stigmate dont la resonance est plus ou moins vive selon la classe sociale ä laquelle eile appartient et selon la qualite d'accueil de Fentourage familier. H y a une virtualite forte de stigmate dans le vieillissement, I
La vieillesse est aujourd'hui ce « Continent gris »2 cernant une population indecise, un peu lunaire, egaree dans la moder-
1. Erving Goffman, Stigmate, op. cit.
2. Communications, n° 37, 1983, Le Continent gris.
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Anthropologic du corps et modernitě
nité. Le temps n'est plus á 1'expérience et á la mémoire. II n'est pas davantage au corps abimé. La personne ágée glisse lentement hors du champ symbolique, elle déroge aux valeurs centrales de la modernitě : la jeunesse, la seduction, la vitalitě, le travail. Elle est Tincarnation du refoulé. Rappel de la pré-carité et de la fragilitě de la condition humaine, elle est le visage méme de Taltérité absolue. Image intolerable d'un vieillissement qui se saisit de toute chose dans une societě qui a le culte de la jeunesse et ne sait plus symboliser le fait de vieillir ou de mourir.
Le travail du vieillissement est évocateur d'une mort qui fait son chemin dans le silence des cellules sans qu'il soit possible de Fendiguer. La personne ágée avance vers la mort, elle incarne en elle les deux innommables de la modernitě ; le vieillissement et la mort. Ni la vieillesse ni la mort ne sont en effet des tabous, comme on le dit si souvent; un tabou fait encore sens dans le tissu social, il renvoie a une frontiěre autour de
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laquelle se structure une identitě commune du groupe. Ni la vieillesse ni la mort ne remplissent ce role, elles sont les lieux de l'anomalie, elles échappent aujourd'hui au champ symbolique qui donne sens et valeurs aux actions sociales : elles
incarnent lWductible du corps.
Le vieillard est dans la perception commune, réduit á son seul corps, surtout bien sůr dans les institutions,« Corps relégués, caches, puis oubliés, les "petits vieux" de Phospice étaient des corps vieux devenus inutiles qui avaient servi et qui ne pou-vaient plus servir, des corps dont on ne savait que faire et qu'on mettait la en attendant qu'ils veuillent bien mourir. » Telles sont les premieres phrases d'un article de R. Sebag-Lanoé, décrivant le choc ressenti á son entrée dans un service de long et moyen séjour. Dans la plupart des institutions Pépaisseur humaine, la singularitě individuelle sont gommées sous le cliche unique du corps abimé, du corps á alimenter, du corps á laver. Le vieillard n'est plus son histoire, il n'est plus sujet, il est un corps défait dont il faut entretenir Fhygiene et la survie3. De méme que le porteur d'un handicap, le vieillard
3. Par exexnple le récit d*une journée de travail par une aide-soignante en hospice. A aucun moment elle ne parle des personnes dont elle a la charge. Tout son travail, tel du moins qu'elle en parle, semble se réduire á une somme contrai-
Le corps défait
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est objet de son corps, et non plus sujet k part entiere, Simone de Beauvoir fait dire ä son personnage central dans La femme rompue, « je me suis resignee ä mon corps ». Le vieillissement,
marque la reduction progressive au corps, une sorte d'asservissement ä une dualite qui oppose le sujet a son corps et le rend sous la dependance de ce dernier. La aladie, la douleur sont d'autres exemples, mais provisoires, de la dualite inherente ä la condition de Phomme, mais le vieillissement est ici associe ä une dualite definitive. Dans la perception sociale, le vieillard se reduira toujours plus ä son corps, qui le lächera peu ä peu, au point que Bichat a pu ecrire : « Voyez l'homme qui s'eteint ä la fin d'une longue vieillesse : il meurt en detail, toutes ses fpnct;ons exterieures finissent les unes apres les autres, tous ses sens se ferment successivement : les causes ordinaires des sensations passent sur eux sans les affecter. »4 La vieillesse traduit un moment ou le refoulement du corps n'est plus possible, le moment ou le corps s'expose au regard de l'autre sous un jour qui n'est plus favorable.
Simone de Beauvoir se rappelle le scandale qu'elle a suscite par-de vers eile en ecrivant ä la fin de L'ordre des choses qu'elle arrivait au seuil de la vieillesse. L'
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revenait ä briser un pacte de silence qui obligeait d'innombrables autres femmes ä se situer. Elle nommait Finno
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Le vieillissement
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suivre une marcbe naturelle qui les amenait ä une reconnais-
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permanence toutes les traces de son äge et il apprehende de
gnante de gestes d*entretien sur des corps anonymes : le change des era choirs, preparation du chariot pour les petits dejeuners, manage (souillure des toilettes, des lavabos), toilette des pensionnaires, etc. Traquee par le temps et la somme de ce qu'elle doit faire, elle donne rimpression de courir sans cesse. Le temoignage nous semble revelateur de ce qui se passe en effet dans nombre destitutions, cf. Nicole Benoit-Lapierre, P. Cevasco, M. Zafiropoulos, Vieillesse des pauvres, Paris, Ed. Ouvrieres, p. 26 sq. Une phrase egaleinent emblematique dite par une pension naire : « Ici on se mo que bien de la dignity des gens, on les tore he, e'est tout. »
4. X. Bichat, Recherche* physiologiques sur la vie et ta mort, Paris, Bresson, Gabon & Cie, 1802, p. 153.
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vieillir dans la crainte de perdre sa position professionnelle et de ne plus trouver d'emploi ou de perdre sa place dans le champ de communication5.
Vieillir pour la plupart des Occidentaux, surtout dans les couches populates, mais pas seulement, c'est se livrer ä un lent travail de deuil qui consiste a se dépouiller de Fessentiel de ce qui fut sa vie, ä désinvestir les actions autrefois appréciées, et ä admettre peu ä peu comme legitime le fait de ne plus posséder qu'un contröle restreint sur son existence, Dépouillement qui peut devenir absolu et qui pousse certaines personnes ágées en institution ä collectionner des pierres ou des chiffons, ä garder un réveil ou une photo, ayant seul survécu au naufrage et qui demeure signe unique d'une existence passée. Désinvestis-sement de soi qui aboutit au rétrécissement du territoire, jusqu'a ce qu'il ne reste plus qu'un corps immobile et quasi inutile, qui exige pour la satisfaction des besoins les plus élé-mentaires Faide du soignant. Retrait progressif de la symboli-
sation de sa presence au monde et repliement sur une sorte de territoire animal ou le symbolique est résiduel, ä moins qu'un
soignant attentif s'attarde au chevet du vieillard et s'attache
ä restituer un sens ä son existence par une qualité de presence oů la parole, le geste et Pécoute se mélent.
Le désinvestissement de soi et des activités inhérentes ä la vie quotidienne considérée maintenant comme sans perspective se traduit bien chez nombre de personnes moins ágées qui meurent dans les premieres semaines de leur entrée en institution, c'est-ä-dire quand le dépouillement a atteint son comble et que le sujet n'est dorénavant plus réduit qu'a son seul corps. S'il ne meurt pas c'est une sorte de mort symbolique qu'il intériorise peu ä peu ä travers une dépendance grandissante envers le personnel soignant, le repliement sur un soi toujours plus restreint et dévalorisé qui peut aller jusqu'au recroque-villement ou la grabatisation quand les activités du corps sont toutes déléguées au personnel soignant. Lorsqu'on a tout perdu,
5. Louis-Vincent Thomas explique a Traverse que les Africains aiment a se vieillir lorsqu'on leur demande leur age. Pour une image differente de la vieillesse, ailleurs, voir Louis-Vincent Thomas, La vieillesse en Afrique noire ; Georges Condo-miiiaa, A in£s, anciens et ancetres en Asie du Sud-Est; Moses Finley, Les personnes agles dans 1*Antiquity classique, in Communications* op, cit.
corps défait
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I
il reste la butee du corps ou encore la deuience : autre fa<jon de ne plus etre la*
Le vieillissenqient est un processus insensible, infiniment lent qui echappe ä la conscience parce qu'en lui aucun contraste ne se fait jour; Phomme glisse souplement d'un jour ä Fautre, d'une semaine ä Fautre, d'une annee ä Fautre, ce sont les evenements de sa vie quotidienne qui scandent Fecoulement du jour et non la conscience du temps. Avec une lenteur qui echappe ä Fentendement, la duree s'agrege sur le visage, penetre les tissus, affaiblit les muscles, amenuise Fenergie, mais sans traumatisme, sans rupture brutale. Longtemps dans la vie, les personnes äg6es ce sont les autres; <c la vieillesse, dit Simone de Beauvoir, est partiellement difficile ä assumer parce que
nous Favions toujours consideree comme une espece etrangere moi, je suis devenue une autre, alors que je de
6. La senescence est un cheminement a pas d'ho
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elle ne pěse jamais, chaque jour fait avancer d'un pas sur la route, mais la distance semble longue, inépuisable le trajet encore á accomplir quel que soit Page. L'evidence guide la arche et le sentiment ďidentité demeure égaL Fiděle et
insistante comme une ombre, la durée inscrit sa trace dans le
rapport au monde. Ce n'est pas d'un jour á Fautre que les performances se modifient et que la santé s'altere, mais insensi-blement, sans heurt, c'est le souvenir surtout qui rappelle ce que le sujet pouvait encore faire sans dommage Fannée precedente. Proust a dit combien la vieillesse est, de toutes les réalités humaines, celle qui demeure longtemps la -plus abstraite* Le sentiment de la vieillesse traduit F apparition de la goutte d'eau qui fait déborder le vase* Parce que Fimage du corps se remoděle sans cesse, retraduit fidělement ce dont le sujet est pbysiquement apte á accomplir, accompagne les remaniements physiologiques dont il est Fobjet, le sujet n'a pas Fimpression de vieillir. Nous sommes tous étonnés de regarder par exemple des photographies qui datent de quelques années. Parce que Fecoulement du temps n'est jamais physiquement perceptible, il suggěre un sentiment ďimmobilité, II faut nécessairement un intervalle et un examen conscient pour repérer que le corps a change. Le prince Salina du Guépard, á Faube de sa mort, se
6. Simone de Beauvoir, ha vieillesse, Pari», Gallimard, 1970, p. 301*
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souvient d'avoir toujours connu Fécoulement hors de lui du « fluide vital». II Le compare á la fuite de « grains de sable serrés qui glissent un á un, sans hate et sans reláche, par Fetroit orifice d'un sablier. Dans certains moments d'intense activité, de grande attention, ce sentiment de continuel abandon disparaissait, pour se représenter impassible á la moindre occasion, au moindre silence, á la moindre tentative d'intros-pection... C'etait comme le battement d'une pendule qui s'im-pose quant tout ce tait ». Longtemps, Salina a éprouvé le flux de Pénergie vitale sans malaise. Ce n'etait pas une hémor-ragie du temps, tout au plus la mince saignée d'un vaisseau sans importance, Mais il arrive un temps ou une seule goutte d'eau a le pouvoir de faire déborder le vase. Un grain de sable a enrayé la transparence des choses. Et Salina sait alors qu'il a vieilli.
Image du corps
*
L'image du corps, c'est la representation que le sujet se fait de son corps ; la fa<jon dont il lui apparait plus ou moins cons* ciemment á travers un contexte social et culturel particularise par son histoire personnelle. Gisela Pankow á travers sa reflexion de clinicienne de la psychose distingue deux axes dont Fentrelacs structure existentiellement Fimage du corps. Cette derniěre s'organise autour d'une forme : le sentiment de l'unite des differentes parties du corps, de leur saisie comme un tout, de leurs limites precises dans Fespace, et d'un contenu : c'est-a-dire Fimage de son corps comme un univers coherent et familier ou s'inscrivent des sensations prévisibles et recon-naissables7. Mais il semble nécessaire d'ajouter á ce concept deux autres axes intimement lies : celui du savoir, c'est-a-dire la connaissance, par le sujet, fůt-elle rudimentaire, de Fidée que la société se fait de Pépaisseur invisible du corps, savoir de quoi il est constitué, comment s'agencent les organes et les fonctions, ces trois axes accompagnent 1'homme au long de son existence et se remodelent au fur et á mesure des événements. Ce sont des repěres nécessaires qui donnent á Phomme le senti-
7. Cf. Gisela Pankow, Ukomme ei sa psychose^ Aubier, 1969.
Le corps defait, 151
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ment de son harmonic personnelle, de son unite. L'image du corps est ici une jauge a laquelle sont evaluees les actions accomplies ou a accomplir, c'est une mesure familiere de sa relation au monde, A ce niveau il n'y a en principe pas de conflit entpe la realite quotidienne du sujet et Pimage qu'il se forme de son corps.
II y a en fin, et en ce qui concerne la personne vieillissante (mais aussi Ip handicaps, le migrant, etc.), cette derniere compo-sante est essentielle, la valeur, c'est-a-dire, pour le sujet, Finte-riorisation du jugement social qui entoure les attributs physiques qui le caracterisent (beau/laid, jeune/vieux, grand/petit,
maigre/gros, etc.). Selon son histoire personnelle et la classe sociule au sein de laquelle il structure son rapport au monde, le sujet fait sien un jugement qui marque alors de son empreinte Fimage qu'il se fait de son corps et Festime qu'il a de soi.
Ces quatre composantes sont sous la dependance d'un contexte social, culturel, relationnel et personnel, sans lequel
Fimage du corps serait impensable, comme le serait Fidentite du sujet. Cependant c'est le registre de la valeur qui represente ici le point de vue de F Autre, et force le sujet a se voir sous un angle plus ou moins favorable. Or, la vieillesse est affectee d'un signe negatif. C'est a ce niveau que, dans 1'image que le sujet a de son corps, s'infiltre pen a peu h sentiment d'une depreciation personnelle. A l'extreme, la dependance a laquelTe oblige la perte des fonctions corporelles peut etre vecue comme le couronnement d'une vie accomplie. Les paroles propitiatoires dites au ebevet de Fenfant baptise en pays Sara au Senegal le disent explicitement : « Qu'il vive longtemps, ait de Fintel* ligence, ait pere et mere, ait plus de jours que les plus ages du village, qu'il soit vieux au point que sa tete soit toute fieurie, au point qu'il ne puisse plus marcher » (cite par Louis-Vincent Thomas). Elle peut etre vecue aussi a la fa<jon d'une decheanee, d'un degout de soi, selon la trajectoire personnelle de la personne agee, selon ses valeurs, le sens qu'elle attribue a ses actes, la qualite de presence de Fentourage. La meme situation de dependance peut deboucher, selon ces facteurs de modulation,
sur des attitudes opposees.
II faut a cet egard soxdigner le jugement social qui amene a Fimpact plus nuance du vieillissement chez Fhomme que chez
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Anthropologie du corps et modernitě
la femme. La femme ágée perd socialement une seduction qu'elle devait essentiellement á sa fraicheur, á sa vitalitě, á sa jeunesse. L'homme peut gagner avec le temps une force de seduction grandissante, puisqu'on valorise chez lui Pénergie, Fexpérience, la maturitě. On parle de « séducteur aux tempes grises », de « beau vieillard », jamais ces qualiíicatifs ne sont associés á une femme. Une femme qui cherche encore á séduire un homme bien plus jeune qu'elle s'attire un jugement sans complaisance de la societě, Finverse est tout á fait ad mis, et témoigne á Pextréme limite de la « verdeur » de Fhommc. Simone Signoret disait á juste titre qu'une femme ágée est baptisée « une vieille peau », tandis que de Phomme ágé on dit : « II a de la gueule, » La vieillesse marque inégalement dans le jugement social la femme et Phomme. On voit ici, indépendamment de Fáge des acteurs, la perdurance ďune image sociále opposée de Phomme et de la femme qui fait du premier un sujet actif dont Pappréciation sociále repose moins sur une apparence que sur une certaine tonalité de son rapport au monde, et de la seconde un objet á ravir qui se degrade au fil du temps, au contraire de Phomme qui reste toujours un séducteur potentiel. |
De ces influences découle le constat que le personnel qui prend en charge la personne ágée dans un service de long ou moyen séjour peut accréditer le stigmate ou á Ťinverse le désamorcer par son attitude chaleureuse. Le personnel peut entreprendre avec la personne ágée une restauration de Fimage du corps par une action directe sur le corps, qui aboutit á une restauration du sens. Diíférentes actions sont possibles, par
exemple en suivant un certain nombre de propositions mises en place par Renée Sebag-Lanoé : restituer á la personne ágée son identitě en la nommant, en cherchant á reconstruire le fil de sa vie ; favoriser le maintien des relations familiales ; aménager Fespace de Finstitution sur un mode plus personna-lisé en créant des lieux propices á 1'échange ; promouvoir une politique du mouvement pour limiter Palitement et la demission du corps par la mise en place ďune gymnastique adaptée; prendre soin des vétements et de la coiflure pour restaurer le narcissisme ; réintroduire le sentiment du plaisir dans la vie quotidienne ; favoriser le contact soignant-soigné dans les
Le corps defait 153 d'esthetique permettant aux personnes agees d'entretenir leur
visage, de se maquiller, de soigner leur coiffure ; le visage c'est, sans jeu de mots, la capitale du corps. En agissant positivement sur le sentiment de son visage, on favorise chez la personne agee le retour a un narcissisme normal dont elle s'etait peu a peu detacbee en interiorisant un discours social qui fait de la vieillesse le degre zero de la seduction. En ravivant le sentiment du visage on affirme a la personne agee que les rides n'ont pas altere son identite et qu'elle peut prendre plaisir a soigner son apparence. Elle reactualise aussi des gestes et des sentiments, fait renaitre les souvenirs, elle retrouve une epaisseur de vie qui peu a peu se retrecissait. Par ces actions, on favorise l'ins-
tauration d'un gisement de sens et de valeurs qui peut per* mettre a la personne &gee de reprendre gout a son existence et a reinvestir son rapport au monde.
Le regard de ľautre
Notre corps nous expose au travail de la durée et de la mort, Mais ľimage que ľindividu s'en forge se modéle selon son avancée dans la vie, elle le dispense d'une appreciation trop brutale de son vieillissement. C'est l'autre surtout qui renvoie en miroir sous une forme dépréciée ľinscription de la senescence. Ľimage du corps n'est pas une donnée objec* tive, ce n'est pas un fait, c'est une valeur qui résulte essen-tiellement de ľinfluence de I'environnement et de I'histoire
personnelle du sujet, II n'y a jamais d'appreciation brute des sensations issues du corps, raais décbiffrement selection
des stimuli et attribution d'un sens9. L'identification d'un ressenti, la tonalité positive ou negative qui lui est attribuée traduisent une equation complexe entre les influences sociales et culturelles, l'expérience du sujet ä la fa$on dont, enfant, il a été élevé, notamment dans ses relations avec sa mere. Ainsi le sentiment de la vieillesse est-il un melange indiscernable de
8. Renée Sebag-Lanoé, A la recherche de ľidentité perdue, psychomotricité et gerontológie, La psychomotricité,, 1984, vol. 8, p. 39-44.
9. Cf. David Le Breton, Corps e t sociétés, op. cit.
154 Anthropologie du corps et modernitě
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conscience de soi (ä travers la conscience aigue d'un corps qui change) et d'une appreciation sociale et culturelle. Le sentiment d'une ensomatose (chute dans le corps) n'est pas une donnée brute, c'est Pintériorisation d'un jugement qui déprécie la vieillesse, avant d'etre un jugement personnel.
Les choses du corps et sans doute aussi celles du désir révělent la marque du temps. Lorsque le regard de Pautre cesse de se porter sur soi avec la suspension infime oil le jeu du désir un instant se pressent s'amorce déjá la conscience de son vieillissement.
Cest du regard de Pautre que nait le sentiment abstrait de vieillir. Dans le méme ordre de fait, ce sont des sequences ä la fois sociales et individuelles qui le reformulent ä notre conscience : des anniversaires, une separation, voir grandir ses enfants, les voir partir ä leur tour, voir arriver ses premiers petits-enfants, la retraite, la disparition soudain plus fréquente de ses amis, etc. Le sens attribué ä ces événements, leur valeur renvoient ä une axiologie sociale et ä la fa$on personnelle dont le sujet s'en accommode. Le sentiment de vieillir vient toujours d'ailleurs, il est la marque en soi de Pintériorisation du regard de Pautre. Retrouver d'anciennes photos, qui renvoient ä un visage qui n'est déja plus tout ä fait le sien, voir le visage trans-formé des autres aprěs une longue absence, c'est connaitre une confrontation intime du temps metabolise. Sur le visage de Pautre et sur son propre visage, dans les mouvements, la maniěre d'etre, la durée a fait son oeuvre á sa maniere de fourmi. La vieillesse est une graine qui met longtemps ä éclore, c'est un sentiment venu du dehors qui donne parfois des racines pré-coces, parfois ä Pinverse qui tarde infiniment, car elle est une mesure du goüt de vivre du sujet. Ce n'est pas seulement un chiffre chronologique, elle ne commence pas ä un age precis, elle est une somrne d'indices que seul connait le sujet10. La vieillesse est un sentiment.
En eile s'entrecroisent des données que le champ social integre mal, le corps d'une part, mais davantage encore la
10. « C'est parce que ľäge n*est pas vécu sur le mode du pour-soi, parce que nous n'avons pas une experience transparente comme celie du cogito, qu'il est possible de se declarer vieux de bonne heure ou de se croire jeune jusqu'ä la fin ». Simone de Beauvoir, op. ciř., p. 31 J.
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precarite et la mort. Le statut actuel des personnes agees, la denegation qui marque la relation que chacun noue avec son propre vieillissement, la denegation aussi de la mort, ce sont la des signes qui montrent les reticences de Thomme occidental a accepter les donnees de la condition qui fait d'abord de lui un etre de chair, ,