CHAPITRE PREMIER Lea pieda dc Grand-Mere Antoinette dominaient la cham-bre. 11« etaient la, tranquillea ct sournois comme deux betes couchees, freinissant a peine dans Ieurs bo t tines noire*, toujours preta a ae lever : e'etaient des pieds tneurtris par de longues anneea de travail aux champs, (lui qui ouvrait les yeux pour la premiere fois dans la poussiere du matin ne les voyait pas encore, ii ne connaissait pas cneore Ja blesaure secrete a la jambe, sons le baa de laine, la cheville gonflee sous la prison de facets et de cuir...) des pieds nobles et pieux, (n'allaient-ils pas a Teglise chaque matin en Thiver ?) des pieds vivants qui gravaient pour tou jours dans la memo ire de ceux qui les voyaient une seule fois — I'image sombre de Tautorile et de la patience. Ne sans bruit par un matin d'biver, Emmanuel ecoutait la voix de sa grand-mere. Immense, souveraine, elk semblait diriger le monde de son fauteuil, (INe cite pas, dc. quoi te plauia-tu done ? Ta mere est retouraee a la ferine. Tais-toi jusqu'a ce qu'elle revienne. Ah ! deja tu es egoi'ste et me-chant, deja lu me nieta en eolere !) II appela sa mere. (CTeat un bien mauvais temps pour naitre, nous n'avons jamais ete aussi pauvres, une saison dure pour tout le monde, la guerre, la faim, et puis tu es le seizieme . . Elle se plaignait a voix basse, elle egrenail un chapelct gris accroche a sa laillc. Moi aussi j'ai mes rhumatismca, mais personne n'en parle. Moi ausai, je souffre, Et puis, je deteste les nouveanx-nes; des insectes 7 dans la poussiere ! Tu feras couune les autres, tu scras ignorant, cruel et amer.., (Tu n'as pas pcnse ä tons ces ennuis que tu m'apportes, il fant que je pcnse ä tout, ton nora, le baptetne . , .) II faisait froid dans la maison. Des visages l'entouraient, des silhouettes apparaissaient. II Ies rcgardait mais ne lea re-counaissait pas encore. Grand-Mere Antoinette etait si immense qu'il ne la voyait pas en entier, II avait peur, II diminuait, il se refermait comme un coquillage. (Assez, dit la vieille fem-me, regarde autour de toi, ouvre les yeux, je suis lä, c'est moi qui conimande ici ! Regarde-moi bien, je suis la seule per-sonne digne de la maison. C'est moi qui habile la chamhrc par-fumee, j'ai range les savons sous le lit...) Nous aurons beau-coup de temps, dit Grand-Mere, rien ne presse pour aujour-d'hui... Sa grand-mere avait une vaate poitrine, il ne voyait pas ses jam h es sous Ies jupes lourdes mais il lea imaginait, batons sees, genoux cruela, de quels vetenients etranges avait-elle enve-loppe son corps frissonnant de froid ? D vonlait suspendrc «es poings fragiles k ses genoux, sc blottir dans l'antre de sa laille, (car il decouvrait qu'clle etait si maigre sous ces inontagnes de linge, ces jupons rugueux, que pour la premiere fois il ne la craignait pas. Ces vetements dc laine le separaient encore de ce sein glace qu'elle ecrasait de la main d'un geste d'inquietude ou de defense, car lorsqu'on approchait son corps etouffe sous la robe severe, on croyait approcber en eile quelque fraichenr endonnie, ce desir ancien et fier que mil n'avait assouvi — on voulait dormir en eile, comme dans un fleuve chaud, reposer sur son coeur. Mais eile eeartait Emmanuel de ce geste de la main qui, jadis, avait refuse l'amoiir, puni le desir de Thomme. — Mon Dieu, un autre garcon, qu'est-ce que nous allons de-venir ? Mais elle se rassurait aussitöt : "Je suis forte, mon enfant. Tu peux m'abandonner ta vie. Aie confiancc en moi." II l'ecoutait. Sa voix le bercah d'un chant monotone, acca-ble. Elle Tenvcloppait de son chalc, elle ne le caressait pas, elle le pkmgeait plutot dans ce bain de linges et d'odeurs, II rete-nait sa respiration. Parfois, sans le vouloir, elle le griffait lege* rcment de ses doigts replies, elle le secouait dans 1c vide, et a nouvcau il appclaii sa mere. (Mauvais caracterc, disait-clle avec impatience). II revah du sein de sa mere qui apaisrrait sa soif et sa revoltc. — Ta mere travaillc comme d'habitude, disait Grand-Mere Antoinette. C'est unc journee comme Ies autres. Tu ne penscs qu'a toi. Moi aussi j'ai du travail. Les nouveaux-nes sont sales, lis me degoutent. Mais tu vois, je suis bonne pour toi, je te lave, je te soigne, et tu seras le premier a te rejouir dc ma mort.., Mais Grand-Mere Antoinette sc croyait immortelle, Toute sa personne triomphante etait immortelle aussi ponr Emmanuel qui la rcgardait avee elonnement. "Oh ! Mon enfant, per-sonne ne t'ecoute, tu pleures vainement, tu apprendras vite que tu os soul au monde !" — Toi aussi, tu auras peur___ Lcs rayons de soleil entraient par la fenetre. Au loin, le paysage etait confus, inabordable, Emmanuel entendait des voix, des pas, autour de lui. (II tremblait de froid tandis que sa grand-mere le lavait, le noyait plutot a plusieurs reprises dans l'eau glacee...) Voila, disait-elle, c'est fini. 11 n'y a rien a craindre. Je suis la, on s'hahitue a tout, tu verras. Elle so una it. II (lesirait respecter son silence; il n'osait plus se plaindre car il lui semblait soudain avoir une longue habitude du froid, de la faim, et peut-etre meme du desespoir. Dans les draps froids, dans la chambre froide, il a ele rempli d'une etrange patience, soudain. II a sn que cettc misere n'au-rait pas de fin, mais il a consent! a vivrc. Debout a la fenetre, Grand-Mere s'eat ecriee presque joyeusement : 8 9 "Lea voila. Je sens qu'ils montcnt 1'escalier, ecoute lours voix. Les voila tous, les pclils-enfanta, Irs en fan La, lea eousiiiJ, les nieces, et les ncveux, on lea croil e rise ve lis sous la neige en a 11 ant a I'ecole, ou hien murts depuis des annecs, inais ila sont toujours la, sous lea tables, sous les 'I its, ils me gucttent de lenrs yeux brill ants dans Pombre, Ila attrndent que je lcur distri-bue des moreeaux de sucre. II y en a toujours ou on deux autour de nion fautcml. de ma chaise, lorsque jc mc bcrce le soir ... "Ils ricanent, ils jouent avec les lacels dc mcs souliera. Us me poursuivent toujour* de ee rieanemcnt stupide, de ce regard suppliant el bypocrite, je lea ehassc comrac des niouches, mais ila revieunent, ila eollent a moi comme line nuoc de vermines, ils mc deyorenl.. ." Mais Grand-Mere Antoinette dump I ait aduiirablement tou-te eette niaree d'rnfanta qui grondaient a sea picds. ]e Emmanuel. Sa mere ecoutait gravement. Elle levait parfois la tete avec surprise, sa levre tremblait, elle aemblait vouloir dire quelque choae, mala elle no dbait rien. On Tentendait soupirer, puis dormir. — Decidons le jour du Bapteme, dil Grand-Mere. Le pere parla d'attendre au printenips. Le printemps est une bonne saison pour le* baptejnes, dit-il. Dimanche, dit Grand-Mere Antoinette. Et j'irai le faire baptiser moi-meme. La mere in c Ii na la tete : — Ma femme pense aussi qne dimanche fera Laffaire, dil l'homme. Elle etait assise dans son fauteuil. majestueusc et satbfaitc, et l'ombre a'elendait peu ä peu sur la colline, voilait la foret blanche, les champs silencieux. (Vous devriez me rernercier de prendre los decisions a votre ptace, diaait Grand-Mere Antoinette, dans son fauteuiL) L'homme s'babillait au coin du fen. Grand-Mere Antoinette lui jetait deg regards fugitifs ä la derobee. Non, jc ne fcrai pas un geste pour servir cet homme, pensait-elle. II croit que j'imiterai ma fille, mais je ne lui apporterai pas le bassin d'eau ehaude, lcs velemcnts propres, Non. Non, je ne bou-gerai pas de mon fauteuil. II attend qu'une femme vienne le servir. Mais je ne me levcrai pas. (Mais remuait encore sous la pointe de sa bottine, une chose informe qu'elle tentait de repousser. Mon Dicu, une souris, un ecureuil, il y a quelqu'un sous ma robe,.,) 13 mi ere de la lunc, avec aa robe noire, sou uhapeau de fourrure sur le front, sea souliers boueux a la main. Jean-Le Maigre se hatait de faire son examcn de conscience avant que le Diable ne ae glisse dans eon lit. II etait minuit, le surveillant ronflail deja dans «a cellule, tnais s'echappait encore de sa porte un filet de lunxiere rouge ou se baignaient, comme dans un etang, dea |»icds soniuaiulnilc- qui rrraieni rrun Hi a l'autre. Ensevelis dans bin laiili- chemise ck nuil, exlialant un clioenr de pluintes, lea uns dormaienit d'un sommeil beni, les mains jointes sur lea draps, le profil droit roranie dea noyes flobtauts sur l'eau. D'au-tre9 eveillaient les tentations en bougeant dans leurs lits, car, connne disait le surveillant, LORSQUE LES LITS CRAQUENT JE SAIS CE QUI SE PASSE el il avait raison. Jean-Le Maigre lui-meiuc, suant de fievre dana sa chemise de coton, avait en pen de nuits parcouru tous les lits du dortoir. II se consolait en songeant que Pomme et le Septieme, cux, au mo ins, dor-maicnt du sommeil de l'innocenee auprcs de leur grand-mere. Vu ä Ja lumiere du jour, le Diable n'eiait que le Frere Theodule que l'on releguait ä nnfirmerie quand il ne donnait pas de cours de Sciences Naturelles ä ses classes endonnies. "Vous maigrissez, disait lc Frere Theodule avec allegresse, lors-que Jean-Le Maigre montait sur la balance, vous/maigrissez de plus en plus." Pieda nus dans le courant d'air, Jean-Le Maigre buvail du lait chaud en songeant qu'il etait temps pour lui d'ecrire eon testament au Septieme et de choisir le lieu ou ea grand-mere l'enterrerait. — Du lait chaud, le matin, disait le Frere Theodule, en posant ea main moite sur l'epaule de Jean-Le Maigre, du 'lait chaud le soir. Et ne vous mouillez pas les pieds. Jean-Le Maigre to-ussait, crachait du sang, toujours encourage par le Frere Theodule qui cssuyart les coins de sa bou- che avec un mouchoir, ou lc regardait s'evanouir avec une admiration passionnec. Jean-Le Maigre etait beau, evanpui, II ressemblait a ces jeunes amcs que lc Frere Theodule avait preci-pitees dans la vie eternelle, a un age preeocc : Narcissc, mort a treize ans et six mois — Lc Frere Paul, decede le jour de son douzierne anniversairc... Lc Frere Theodule etait jeune et aimait la jeunesse. Eniwrc epris de la fleur de I'adolescence, il la oueillait au passage, quand il avait le temps. Jean-Le Maigre appieciait que le Noviciat tut ce jar din etrangc ou pousaaient, la comme ailleurs, entremelant Icurs tiges, les pJantes gracieuses du Vice el de la Vertu. Mainte-nant cloue a son lit par l'ordrc du do<:teur et la complice sollicitude du Frere Theodule, Jean-Le Maigre ecrivait triste-ment son autobiographic ... Děs ma naissance, j'ai eu le front eouronné de poux ! Un poětc, a'ecria mon pere, dans un élan de joie — Grand-Mere, un poete ! lis s'approcherent de mon bereeau et me con-teniplěrcnt en silence. Mon regard brillait déjá d'un feu sombre et tourmenté. Meg yeux jetaient partout dans la ehambre, des flammes de génie. Qu'il est beau, dit ma mere, qu'il est 8, ©t qu'il sent bon ! Quelle jolie bouche ! Quel beau front ! Je báillais de vanité, comme j'en avais le droit. Un front eouronné de poux et baignant dans les ordures ! Triste terre ! Ren-des champs par la porte de la cuisine, les Muses aux grosses joues me voilaient le cicl de leur dos noirci par le soleil. Aie, comme je pleurals, en touehant ma těte chauve. .. Je ne peux pas penser a ma vie sans que l'encre coule abondamment de ma plume impaticnte. (Tuberculos Tuber-culorum, quel destin miserable pour un garcon doué comme toi, oh ! le maigre Jean, toi que les rats ont grignoté par les ■ •) 48 49 Pivoine est niort Pivoine est mort A table tout le monde Mais heurenscment, Pivoine etait mort la veille et me cedait la place, tres gentimcnt. Mon pauvre frere avait ete empörte par l'epi ... l'api .. . I'apocalypse .. . l'epilepsie quoi, quelques heures avant ma nnissancc, ce qui permit ä tout le monde d'avoir lui Ijoii repas avee Monsieur le Cure apres les funerailles. Pivoine retourna ä la terre sans se plaindrc et moi j'en sortis en criant. Mais non seulement je criais, maia ma mere eriait eile aussi de douleur, et pour recouvrir nog cris, mon pere egorgeait joyeuscment un eoehon dang Tetable ! Quelle journee ! Le sang eoulait en aliondance, et dans sa petite bolte noire sous la terre, Pivoine (Joseph-Ainie) dorinait paisible-mcnt ct ne «e souvcnait plus de nous. — Un ange de plus dans le eiel, dit Monsieur le Cure. Dien vous ainic pour vous punir eonuuc ca ! Ma mere hocha la tete : — Mais Monsieur le Cure, c'ost le deuxieme en une annee. — Ab ! Comme Dieu vous recompense, dit Monsieur le Cure. Monsieur le Cure m'a admire des cc jour-lä. La recompense, c'etait moi. Combien on m'avait attendu ! Combien on m'avait desire ! Comme on avait hcsoin de moi ! J'arrivais juste ä temps pour plaire ä mcs parents. Une benediction du eiel, dit Monsieur le Cure. IL EST VERT IL EST VERT MAM AN DIEU VA NOUS LE PRENDRE LUI AUSSI — Heloise, dit Monsieur le Cure, mangez en paix, mon enfant. La petite Heloise avait beaucoup pleure sur la tombe de Pivoine et ses yeux etaient rouges, encore. — Elle est trop sensible, dit Monsieur le Cure, en lui ca-reesant la tete. II faut qu'elle aille au couvent. — Mais comme il est vert, dit Heloise, se tortillant sur sa chaise pom- mieux me regarder — Veil comme un celeri, dit Heloise. Monsieur le Cure avait vu le signe du miracle a mon front. — Qui aait, une future vocation ? Les oreilles sont lon-gues, il sera intelligent. Tres intelligent. — L'essentiel, e'est dc potivoir traire les vaehes et couper le bois, dit mon pere, seehement. Josep'h-Aime est mort Joseph-A ime eat mort, dit ma mere — et elle se moucha a grand bruit.. — Consolez-vous en pensiant au futur, dit Monsieur le Cure. Ne regardez pas en arriere. Cet enfant-la va rougir avant de faire son premier peche mortel, je vous le dis. Et pour lea peches, je m'y connais, celui-ci, Dieu lui pardonne il en com-mettra beaucoup. Non seulement je f-aillis mourir de ma verdeur, mais le Septieme en herita cn naissant. Preparez sa tombe, dit ma grand-mere qui sentait deja eourir la meninigite sous ce front disgracieux, tour a tour jaune, gris et vert, dont le sommet etait parseme de poils rouges, agressifs comme des epines. "Si ce n'esl pas la meningite, e'est la soarlatine, mais celui-la n'en sortira pas vivant." — Dieu benit les nombreuses families, dit Monsieur le Cure qui se hatait dc baptiser le Septieme avant que la niala-die ne Temporte comme le malheureux Joseph-Aime, mort sans bapteme, il y a des epreuvee qui sont des benedictions, Fortune, Mathias, que sorte de toi I'esprit inipur... Et il sortit a l'instant meme. Car a la grande deception de ma grand-mere qui avait prepare les funerailles, choisi la robe de denil pour renfant, le Septieme ressuscita. Ranime par l'eau 50 51 !ZUX ™"g™ drOÍU 6Ur k téte' ,e Septiéme accourir mon pere de la du baptéme, ses ch lanca des cris per cants qui f i rent grange. — Mon Dieu, dit mon pere en apercevant cc nionstre aux cheveux hérissés — cot idiot m'a fait perdre ma vache... Ma mere cssuya ges lamie*. Ce sera pour une autre foia, dit ma grand-měre, des niorts, il y en aura toujours. Ah ! com-me je grandissais pieusement sous la jupe de ma grand-mere en ce temps-lä... J'etais vertueux et fermais toujours lea ycux pendant la priem pour imiter Heloi'se dont ma grand-mere louait l'ardente pietě ä Monsieur le Cure, le dimancbe. Je jouais a 'la messe en été, aux sepultures en biver, ot Héloísc m'enter-rait jusipi'au cou dans la neige. Cest ainsi que j'ai commence ;'i tousscr et ü dépérir. Les rhnmes, les pneumonies tombaient sur moi comme des maledictions. Je me monchais partout, dans les jupons de ma grand-měre comme sur le tablicr d'He-loi'ae. J'eternuais comme un canard. Mais tout le monde tous-it dans la niaisou : on entendait siffler la toux comme une brise seche par los fentes des lits et des portes, "Cela passe avec 1'hiver" disait mon pěrc, et il avait raison. Car au printemps, cliacun de nous Iwurgeonnait, fleuris-sait sous la vermine et la rongeole. Cétait á 1'époquc oů lc Scpliěme faisait ses premiers pas sur la galerie, le ventre nu sous son gilet ä carreaux, souriant ct bavant a tout le monde, la těte enfléc par l'orgueil. Ah ! Si j'avais su quelle» fesséee m'attendraient ä cause de lui ! Pourtant ma grand-měre m avait prévenu: Méfie-toi de oe monstre aux cbevcux rouges, disait-ellc, dea le premier jour, il a trompe tout le monde avec sa meningite — mort, il devait etre mort, et regarde-moi ya maintenant, une chenille, il bouge comme une chenille ! — Une mauvaise influence, une mauvaise frequentation, disait Monsieur le Cure en me touchant le front de sa main 52 rude — le dimanche matin, ce Fortune a la peau dure, il ne pleure pas quand on lc bat ! Abandoning par noire pauvre mere, qui, lorsqu'elle n'etail pas aux champs ou a l'eourie a soigner sa jument atteinte de consumption (dont l'odeur etait un peu comparable a la mien-ne aujourd'hui, je dois l'avouer) diaioguait avec sea marts, tons alignes lea uns a cöte des autre* sur le vieil harmonium ronge par les rats, (seul heritage de Grand-Pere Napoleon qui aimait jouer des hymncs la nuit pour faire enrager ma chaste grand-mere) marts du niois de novembre, morts des longues soirees d'hiver — ma mere lea appclait un a un des tenebres ou ils ronflaient avec bien-etre, dans sa mauve chemise de nuit, quelques cheveux epars sur son front toujours humide, cette triste femme contemplait avec douceur lea enfants, leg bebes au eourire edente, des vieilles photographies mille fois regar-dees... "Ah ! suppliait-cllc, d'unc faiblc voix, Hector, pourquoi in"a.>-tn abanrlounec, llerlor ? Est-cc que tu m'entenns ? Gemma ! Gemma ! tu avais ä peine un jour, lorsque tu es partie. MYntciuls-tu Gemma ? Mais ä meaure que les beures passaient, ma mere confon-dait les noma, le« evenemcnts, et les morts valsaient eonfuse-ment devant aes yeux. (Eue pensait ä Gemma, maia «ans le sa-voir, eile voyait Ohve ä la place, le petit crane sanglant d'Olive ecrase sous la charrue de mon pere, Et Gemma ? \h ! Le jour de sa premiere communion, oui, disparue, comme ca, dans sa robe de dentelle !) Gemma, Barthelemy, Leopold, elle avait eneore lea clraue-sona de laine de ce lointain Barthelemy qu'elle n'etait pas eure d'avoir mis au monde, mais qu'importe ! Et Leopold, une annec, il ne reatait qu'une annee, et il sortait du Seminaire. Leopold qui avait tant de talent ! Ah ! Mais Dieu avait prie Leopold d'unc oirrieufle facon. Par lea cheveux, comme on tire une oarotte de la terre. S3