Clément Dessy - Résumé 1 Titre Les écrivains face au défi nabi. Positions, pratiques d'écriture et influences Résumé En 1888, une communauté de peintres s’associe sous l’appellation « Nabis ». Ce terme, issu de l’hébreu, signifie à la fois les « prophètes » et les « initiés ». Paul Sérusier qui vécut sa rencontre avec Paul Gauguin comme une révélation est à l’origine de la formation du groupe. Une année auparavant, le symbolisme littéraire triomphe en France et suscite l’émulation parmi une nouvelle génération d’écrivains qui se cristallise autour de La Revue Blanche et le Mercure de France. Entre les Nabis et les symbolistes s’établit dès lors un intense réseau de collaborations. Tant dans l’élaboration des décors et programmes du Théâtre de l’œuvre de Lugné-Poe que dans l’illustration d’ouvrages d’André Gide, d’Alfred Jarry ou encore de Jules Renard, les Nabis participent activement à la vie littéraire de leur temps tout en s’incarnant volontairement comme une avant-garde picturale. Les échanges nombreux entre peintres et écrivains sont alors loin de se limiter à de simples commandes. Ils aboutissent souvent à des amitiés durables comme celles qui unirent Gide à Maurice Denis et Jarry à Pierre Bonnard. Au cours des différents chapitres, nous avons pu mettre en évidence à la fois l’usage et la valeur de la peinture synthétiste par les écrivains. Depuis les débuts du groupe synthétiste, les peintres sont nimbés d’une légende tant à la galerie du Barc de Boutteville que dans leurs réunions bretonnes au Pouldu. Les revues littéraires et les théâtres proches du symbolisme se relayent dans les collaborations avec ces peintres. Dans les années 1890, La Revue blanche ainsi que le Théâtre de L’Œuvre, en particulier, bénéficient du travail des peintres Nabis dans l’image qu’ils ont montrée au public. Les peintres leur dessinent, en quelque sorte, ce que l’on pourrait nommer aujourd’hui une « charte graphique ». La multiplicité des mouvements picturaux proches des milieux symbolistes provoque, parmi les écrivains et les critiques, une concurrence qui se traduit en une « lutte pour les peintres », selon les mots de Julien Leclercq. Dans ce cadre, les Nabis sont placés en rivalité avec les peintres de la Rose-Croix. Le jeu croisé des invectives et des louanges nous a permis de constituer la carte d’identité publique de chacun de ces courants qui se voient attribuer discursivement des valeurs que les critiques et les écrivains espèrent récupérer à leur propre compte. L’« innovation » et l’« intelligence » constituent, pour les Nabis et synthétistes, des caractéristiques que leur octroient les écrivains dans l’espoir qu’elles rejaillissent sur euxmêmes et leurs œuvres. Les théories nabies et synthétistes conduisent cependant à une révision des attitudes qu’adopte l’écrivain vis-à-vis des peintres. Le désir manifesté par ces derniers de s’extraire d’une position de dominé, que ce soit au tribunal de la critique d’art ou dans la dépendance au texte qui leur est imposée dans le domaine de l’illustration, provoque l’émergence de réactions nouvelles. Les projets des Vierges et des Tombeaux, par exemple, inversent la relation traditionnelle entre écrivain et illustrateur. À l’exception de Gabriel-Albert Aurier, des écrivains proches des Nabis et des synthétistes délaissent progressivement le rôle jusqu’alors tout puissant du critique d’art. C’est ainsi que Gide fait preuve d’humilité vis-à-vis de Denis en adoptant une posture d’incompétent en matière de peinture. L’alignement des écrivains sur les idéaux esthétiques des Nabis et des synthétistes n’est pas un phénomène facile à décrypter. Les peintres définissent leur activité par des aspects formels Clément Dessy - Résumé 2 et ils sont plutôt dispersés au point de vue des thématiques que chacun d’entre eux exploite. Un ensemble de principes convergents se cristallise néanmoins dans les discours artistiques rapprochant les peintres et les écrivains avec lesquels ils collaborent sous les mêmes « bannières » : celles d’un art de la simplicité, de la synthèse, de l’enfance et du primitif. L’écriture littéraire est elle-même soumise à un défi. Des auteurs, comme André Gide, Romain Coolus ou Alfred Jarry, tentent d’éveiller le regard intérieur du lecteur, de faire image par le biais de textes. Le principe fondamental qui les anime répond, en somme, à celui qu’expriment les Nabis et synthétistes : il s’agit de rénover le regard. C’est avec une langue de poète qu’ils tentent de susciter des images nouvelles qui pourront être reçues par le lecteur dans un style proche des peintres qu’ils soutiennent ou avec lesquels ils collaborent. Des techniques comme l’exaltation et la déformation de la couleur ou la libération de la ligne décorative, l’arabesque, apparaissent dans l’écriture. Leur transposition reflète un hommage des écrivains aux éléments mêmes qui définissent le métier de peintre, en une période où l’académisme impose encore à ses étudiants d’avoir recours à des sujets littéraires. Cela implique également un transfert des valeurs du pictural vers le littéraire : le non-mimétisme et la fonction décorative deviennent des valeurs littéraires. La métaphore du rythme rassemble une communauté d’écrivains et de peintres autour de pratiques littéraires et picturales présentées comme analogues : la couleur et le rythme, le vers libre et l’arabesque. Les constats qui précèdent peuvent finalement être relevés, dès le début des années 1890, dans l’expérience éphémère mais significative d’un poète obscur : Paul Percheron, le Nabi écrivain. Les quelques poèmes publiés par cet écrivain paraissent à La Revue blanche en 1891 et 1892, peu de temps avant que la revue n’entame sa campagne en faveur des Nabis. Ils rassemblent en quelques lignes l’ensemble des éléments que nous avons mis en lumière.