Jean de Schélandre Tyr et Sidon La princesse, la mort et le chevalier BELCAR Arrêtez, arrêtez, peuple, faites-moi place, Qu’avant m’avoir ouï plus avant on ne passe. MÉLIANE Quel est ce nouveau bruit ? que vois-je là, bons Dieux ? Quel prestige incroyable est offert à mes yeux ! N’est-ce pas là Belcar ? c’est lui-même, ou je rêve. BELCAR Archers, ne craignez rien, renez, je rends mon glaive, Je ne viens pas ici pour faire quelque effort, Mais pour entre vos mains reconnaître mon tort : Ma vie est pour ma Dame une rançon capable, Car du fait prétendu je suis le seul coupable, Je mérite la place où sans sujet elle est, De mourir avec elle ou pour elle étant prêt. MÉLIANE Messieurs, n’emêchez point ce Prince misérable Qu’il ne donne et reçoive un adieu déplorable. Quelle rage, ô Belcar, t’a pu donc inciter, Etant hors de péril, de t’y précipiter ? BELCAR Mais, ma Reine, plutôt, qui vous fait condescendre D’avouer comme vôtre un crime de Cassandre ? Un crime des plus noirs, et des plus inhumains, Qu’elle a par désesoir fait de ses propres mains ? Je l’ai su, je l’ai vu, lorsque l’ayant quittée, Elle s’est de plein saut dans les vagues jetée, M’ayant auparavant par signes menacé De s’enfoncer au sein mon poignard amassé. Cependant c’est le mal qu’à tort on vous impose, Que vous pent-on d’ailleurs imputer autre chose ? Si l’on ne vous punit que pour m’avoir sauvé, Qu’on me remette aux fers, me voilà retrouvé : Je suis, et non pas vous, s’il faut une victime, A Léonte et Cassandre offrande légitime. MÉLIANE Belcar que vous dirai-je ? avant que repartir, Faites-moi franchement de mes doutes sortir. Est-ce le mouvement d’un amour véritable, (Amour qui soit resté toujours solide et stable) Aujourd’hui résolu de me donner secours, Ou de joindre à ma fin le terme de vos jours, Qui vous fait innocent venir en confiance ? Ou bien est-ce un remords de votre conscience ? Est-ce, dis-je, un regret, un flambeau de fureur, Qui des Dieux irrités vous donnant la terreur, Vous force à satisfaire aux pieds de l’offensée ? A ma bonté trahie ? à votre foi faussée ? Car bien qu’à vous et moi l’un ni l’autre motif N’apporte qu’un remède inutile et tardif, (L’arrêt de mon supplice étant irrévocable, Et la haine du Roi contre vous implacable) Les malheurs néanmoins communs entre nous deux M’auront une autre face, un aspect moins hideux, Si dans la trahison dont ma sœur m’a trompée, Votre fidélité n’a point été trempée : Car nous serons contents dans les champs Elysés Et ne verrons jamais nos Mânes divisés, Au lieu que vous sachant mêlé dans cette trâme, Je veux être aux enfers le fléau de votre âme. BELCAR Ma Déesse, eh ! comment, cet injuste soupçon, Vous a-t-il pu séduire en aucune façon ? Que j’eusse à vous, Madame, une autre préférée, Une autre qui jamais ne vous fut comparée ? Qu’en mon amour si franc et si bien établi, Aurait pu se glisser le mépris et l’oubli ? Quel tort fait à ma flamme ! et quelle injure encore Faite à votre beauté qui son pouvoir ingore ! Sachez que vos liens sont aussi forts que doux, Et que pour débaucher un cœur aimé de vous, Je ne sais si Vénus serait même assez belle ; Aussi les immortels tous en aide l’appelle, Dieux d’en-haut et d’en-bas de Justice conjoints, Qu’ils soient de ma franchise et juges et témoins. O courriers de Neptune et filles de Nérée, Errantes déités de la plaine azurée, Avec quel zèle ardent vous ai-je protesté Que j’avais le cœur net de cette lâcheté, Lors que dans ma nacelle à route vagabonde J’allais comme un plongeon dansant au gré de l’onde ? PHULTER Grâce, grâce, ouvrez-vous, grâce de par le Roi. Madame, descendez. MÉLIANE Vous moquez-vous de moi ? PHULTER Non, non, Madame, non, le roi vous donne grâce, Il meurt s’il ne vous voit et s’il ne vous embrasse : Il est désabusé, dépouillé de courroux, A bonne heure je viens, pour lui, mais pour nous tous. MÉLIANE Sa grâce était tardive, et serait encor vaine, Sans Belcar que le Ciel à mon secours amène, Car s’il ne m’eut tiré les épines du cœur, Ma douleur eût tourné cette grâce en rigueur, Mais puisque ce beau Prince a levé tout l’ombrage Qui m’avait contre lui troublé jusqu’à la rage, Phulter, allez devant, dites-lui le premier Cependant n’ôtez point cet appareil funeste, Car pour ma délivrance encor un point me reste. Ça ! que de mes deux bras je t’aille environner. Que n’ai-je un myrte en main propre à te couronner ! O mon parfait ami, ma méfiance fausse De ta fidélité le mérite rehausse, Baise-moi mille fois, ma joie en sa grandeur Comme un petit objet méprise la pudeur.