Jean Rotrou, Le Véritable Saint Genest (1645), Acte IV, scènes 5 et 7 (1645) ADRIAN Mes vœux arriveront à leur comble suprême, Si, Lavant mes péchés de l’eau du saint baptême, Tu m’enrôles au rang de tant d’heureux soldats Qui sous même étendard ont rendu des combats ; Confirme, cher Anthyme, avec cette eau sacrée Par qui presque en tous lieux la Croix est arborée, En ce fragile sein Se projet glorieux De combattre la Terre et conquérir les deux, ANTHYME Sans besoin, Adrian, de cette eau salutaire, Ton sang t’imprimera ce sacré caractère ; Conserve seulement une invincible foi ; Et combattant pour Dieu, Dieu combattra pour toi, ADRIAN, regardant te ciel et rêvant un peu longtemps, dit enfin. Ah ! Lentule ! en l’ardeur dont mon âme est pressée, Il faut lever le masque et l’ouvrir ma pensée ; Le Dieu que j’ai haï m’inspire son amour ; Adrian a parlé, Genest parle à son tour ! Ce n’est plus Adrian, c’est Genest qui respire La grâce du baptême et l’honneur du martyre ; Mais Christ n’a point commis à vos profanes mains Ce sceau mystérieux dont il marque ses Saints ; Regardant au ciel, dont l’on jette quelques flammes. Un ministre céleste, avec une eau sacrée. Pour laver mes forfaits fend la voûte azurée ; Sa clarté m’environne, et l’air de toutes parts Résonne de concerts, et brille à mes regards, Descends, céleste acteur ; tu m’attends ! tu m’appelles ! Attends, mon zèle ardent me fournira des ailes ; Du Dieu qui t’a commis dépars-moi les bontés. Il monte deux ou trois marches et passe derrière la tapisserie. Marcelle, qui représentait Natalie. Ma réplique a manqué ; ces vers sont ajoutés. lentule, qui faisait Anthyme. Il les fait sur-le-champ, et, sans suivre l’histoire, Croit couvrir en rentrant son défaut de mémoire. DIOCLÉTIAN Voyez avec quel art Genest sait aujourd’hui Passer de la figure aux sentiments d’autrui. VALÉRIE Pour tromper l’auditeur, abuser l’acteur même. De son métier, sans doute, est l’adresse suprême. SCENE VII, SerGeste, Lentule, Marcelle, GARDES, DlOCLÉTIAN, VALÉRIE, etc. genest, regardant le ciel, le chapeau à la main. Suprême Majesté, qui jettes dans les âmes Avec deux gouttes d’eau de si sensibles flammes, Achève tes bontés, représente avec moi Les saints progrès des cœurs convertis à ta Foi ! Faisons voir dans l’amour dont le feu nous consomme, Toi le pouvoir d’un Dieu, moi le devoir d’un homme ; Toi l’accueil d’un vainqueur sensible au repentir. Et moi, Seigneur, la force et l’ardeur d’un martyr. MAXIMIN Il feint comme animé des grâces du baptême. VALÉRIE Sa feinte passerait pour la vérité même. Certes, ou ce spectacle est une vérité, Ou jamais rien de faux ne fut mieux imité. GENEST Et vous, chers compagnons de la basse fortune Qui m’a rendu la vie avecque vous commune, Marcelle, et vous, Sergeste, avec qui tant de fois J’ai du Dieu des chrétiens scandalisé les lois, Si je puis vous prescrire un avis salutaire, Cruels, adorez-en jusqu’au moindre mystère, Et cessez d’attacher avec de nouveaux clous Du Dieu qui sur la croix daigne mourir pour vous : Mon cœur illuminé d’une grâce céleste... MARCELLE II ne dit pas un mot du couplet qui lui reste. SERCESTE Comment, se préparant avecque tant de soin... LENTULE, regardant derrière la tapisserie. Holà, qui tient la pièce ? GENEST II n’en est plus besoin. Dedans cette action, où le Ciel s’intéresse, Un Ange tient la pièce, un Ange me radresse ; Un Ange par son ordre a comblé mes souhaits Et de l’eau du baptême effacé mes forfaits. Ce monde périssable et sa gloire frivole Est une comédie où j’ignorais mon rôle. J’ignorais de quel feu mon cœur devait brûler, Le Démon me dictait quand Dieu voulait parler. Mais depuis que le soin d’un esprit angélique Me conduit, me radresse et m’apprend ma réplique, J’ai corrigé mon rôle, et le Démon confus, M’en voyant mieux instruit, ne me suggère plus ; J’ai pleuré mes péchés, le Ciel a vu mes larmes, Dedans cette action il a treuvé des charmes, M’a départi sa grâce, est mon approbateur, Me propose des prix, et m’a fait son acteur. LENTULE Quoiqu’il manque au sujet, jamais il ne hésite. GENEST Dieu m’apprend sur-le-champ ce que je vous récite Et vous m’entendez mal, si dans cette action Mon rôle passe encor pour une fiction. DIOCLÉTIAN Votre désordre enfin force ma patience. Songez-vous que ce jeu se passe en ma présence ? Et puis-je rien comprendre au trouble où je vous vois ? GENEST Excusez-les, Seigneur, la faute en est à moi, Mais mon salut dépend de cet illustre crime ; Ce n’est plus Adrian, c’est Genest qui s’exprime ; Ce jeu n’est plus un jeu, mais une vérité Où par mon action je suis représenté, Où moi-même l’objet et l’acteur de moi-même, Purgé de mes forfaits par l’eau du saint baptême, Qu’une céleste main m’a daigné conférer, Je professe une loi que je dois déclarer.