Théophile de Viau Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé Pyrame et Thisbé A Babylone, jadis, Pyrame et Thisbé s’aimaient, malgré la haine ancienne qui séparait leurs familles et la jalousie dangereuse d’un roi trop épris des charmes de la belle Thisbé. Contraints de s’enfuir pour préserver leur amour, les deux jeunes gens se donnèrent rendez-vous dans un endroit solitaire, auprès d’un tombeau. La nuit tombée, Thisbé arriva la première, mais elle dut fuir, effrayée par un lion. Pyrame, qui survint peu après, ne vit que son voile abandonné et les traces de la bête fauve. Croyant à la mort de sa maîtresse, il se tua, désespéré, d’un coup de poignard. Lorsque Thisbé revint, il lui fallut se rendre à l’horrible évidence ; la voici, exhaltant un elongue plainte sur le cadavre de son amant. THISBE Pyrame ne vit plus, ha ! ce soupir l’emporte. Comment ! il ne vit plus et je ne suis pas morte ? Pyrame, s’il te reste encore un peu de jour, Si ton esprit me garde encore un peu d’amour, Et si le vieux Charon touché de ma misère Retarde tant soit peu sa barque à ma prière, Attends-moi, je te prie, et qu’un même trépas Achève nos destins ; je m’en vais de ce pas. Mais tu ne m’attends point, et si peu que je vive En ce dernier devoir mon sort veut que je suive. Coupable que je suis de cette injuste mort, Malheureux criminel de la fureur du sort, Quoi ? je respire encore et regardant Pyrame Trépassé devant moi, je n’ai point perdu l’âme ! Je vois que ce roche s’est éclaté de deuil Pour répandre des pleurs, pour m’ouvrir un cercueil, Ce ruisseau fuit d’horreur qu’il a de mon injure, Il en est sans repos, ses rives sans verdure ; Même, au lieu de donner de la rosée aux fleurs, L’Aurore à ce matin n’a versé que des pleurs, Et cet arbre, touché d’un désespoir visible, A bien trouvé du sang dans son tronc insensible, Son fruit en a changé, la lune en a blêmi, Et la terre a sué du snag qu’il a vomi. Bel arbre, puisque au monde après moi tu demeures, Pour mieux faire paraître au Ciel rouges meures Et lui montrer le tor qu’il a fait à mes vœux, Fais comme moi, de grâce, arrache tes cheveux, Ouvre-toi l’estomac et fais couler à force Cette sanglante humeur par toute ton écorce. Mais que me sert ton deuil ? rameaux, prés verdissants, Qu’à soulager mon mal êtes impuissants ! Quand bien vous en mourriez, on voit la destinée Ramener votre vie en ramenant l’année : Une fois tous les ans nous vous voyons mourir, Une fois tous les ans nous vous voyons fleurir, Mais mon Pyrame est mort sans espoir qu’il retourne De ces pâles manoirs où son esprit séjourne. Depuis que le soleil nous voit naître et finir, Le premier des défunts est encore à venir, Et quand les Dieux demain me le feraient revivre, Je me suis résolue aujourd’hui de le suivre. J’ai trop d’impatience, et puisque le destin De nos corps amoureux fait son cruel butin, Avant que le plaisir que méritaient nos flammes Dans leurs embrassements ait pu mêler nos âmes, Nous les joindrons là-bas et par nos saints accords Ne ferons qu’un esprit de l’ombre de deux corps ; Et puisque à mon sujet sa belle âme sommeille, Mon esprit innocent lui rendra la pareille. Toutefois je ne puis sans mourir doublement ; Pyrame s’est tué d’un soupçon seulement, Son amitié fidèle un peu trop violente, D’autant qu’à ce devoir il me voyait trop lente, Pour avoir soupçonné que je ne l’aimais pas, Il ne s’est pu guérir de moins que du trépas. Qua donc ton bras sur moi davantage demeure, O mort ! et, s’il se peut, que plus que lui je meure ! Que je sente à la fois poison, flammes et fers ! Sus ! qui me vient ouvrir la porte des Enfers ? Ha ! voici le poignard qui dus ang de son maître S’est souillé lâchement ; il en rougit, le traître ! Exécrable bourreau, si tu te veux laver Du crime commencé, tu n’as qu’à l’achever ; Enfonce là-dedans, rends-toi plus rude, et pousse Des feux avec ta lame ! Hélas ! elle est trop douce. Je ne pouvais mourur d’un coup plus gracieux, Ni pour un autre objet haïr celui des Cieux. Elle meurt.