86 PREMIERES POESIES T'aimeta le vieux patre, Seul, tandis qu'a ton front D'albatre Ses dogues aboieront*. T'aimeta le pilotc Dans son grand Mtiment, Qui flotte, Sous le clair firmament 1 Et la fillette preáte Qui passe le huisson, Pied leSte, En chantant sa chanson. Comme un ours á la chaine, Toujours sous tes yeux bleus Se traine L'Océan monStueux Et qu'il vente ou qu'il neige, Moi-méme, chaque soir, Que fais-je, Venant ici m'asseoir ? Je viens voir ä la brune', Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Pcut-étre quand déchante' Quelque pauvre mari, Méchante, De loin tu lui souris. Dans sa douleur amére, Quand au gendre béni La mere Livre la clef du nid, Le pied dans sa pantoufle, Voilä ľépoux tout prét Qui souffle Le bougeoir indiscret. PREMIERES POESIES «7 /It if■ Au pudique hymehee La vicrge qui se croit Menee, Grelotte en son lit froid, Mais monsieur tout en flamme ^t<^ Commence a rudoyer Madame, Qui commence a crier. « Ouf! dit-il, je travaille, Ma bonne, et ne fais rien Qui vaille; Tu ne te tiens pas bien. » Et vite il se depeche. Mais quel demon cach£ L'empeche De commettre un peche? « Ahl dit-il, prcnons garde. Quel temoin curieux' Regarde Avec ces deux grands yeux ? » Et e'est, dans la nuit brune, Sur son clocher jauni \ La lune Comme un point sur un i". MARDOCHE' Voudriez-vous dire, comme de fait on peut logicalement infčrer, que par ci-devant le monde cuSt été fat, maintenant seroit devemi 20,"? ' 'iV v^u-sage? . . Ptmtagrml, liv. V *. í «■ e- /i*i> v^-'*< C / 'or **<-lV I J" at connu, ľan dernier, un jeune homrae nommé Mardoche, qui vivait nuit et jour enfermé. 8 S PREMIERES POÉSIES O prodigel il n'avait jamais lu de sa vie Le Journal de Paris', ni n'cn avait envie. II n'avait vu ni Keanni Bonaparte, ni Monsieur de Metternich; — quand U avait fini t De soupcr, se couchait, precisement a l'heure Ou (quand par Ie brouillard la chatte rode ct pleure) Monsieur Hugo va voir mourir Phoebus le blond*. Vous dire ses parents, cela serait trop long. II Bornez-vous a savoir qu'il avait la pucclle D'Orleans pour aTeule en ligne maternelle*. D'aiUeurs son compagnon, compare et confident, Etait un chien anglais, bon pour Tceil et la dent. Cet homme, ainsi reclus, vivait en joie. — A peine " Le spleen le prenait-il quatre fois par semaine '. \ Pour ses moments perdus, il les donnait parfois f A I'art myBerieux de charmer par la voix : Les muses visitafent sa demeure cachee, Et quoiqu'il fit rimer idee avec facbee', On le lisait. C'ctait du řešte un esprit fort; 0 * II cut fait volontiers ďune téte de mort Un falot, et mange sa soupe dans le crane De sa granďmére. — Au fond, il eStimait qu'un áne, Pour Dieu qui nous voit tous, eft autant qu'un ánier. Peut-étre que, n'ayant pour se désennuyer Qu'un livre"(c'est le coeur humain que je veux dire), II avait su trop tót et trop avant y lire; C'eSt un grand mal d'avoir un esprit trop hitif. — II ne dansait jamais au bal par ce motif. IV Je puis certifier pourtant qu'il avait Tame Aussi tendre en tout point qu'un autre, et que sa femme (En ne le faisant pas c—)/n'eůt pas été Plus fort ni plus sou vent battue, en vérité, Que celle de monsieur de C***//En politique, Son sentiment était trěs ariftocratique, PREMIERES POÉSIES 89 Et je dois avouer qu'ä consulter son gout, II aimait mieux la Porte et le sultan Mahmoud', Que la chrétienne Smyrne, et ce bon peuple helléne Dont les flots ont rougi la mer hellespontienne, 's •_. V Et taché de leur sang tes marbres, ô Paros! — Mais la chose ne fait rien á notre héros. Bien des heures, des jours, bien des longues semaines "t* Passerent, sans que rien dans les choses humaines Le tentät d'y rentrer. — Tout ä coup, un beau jour... Fut-ce l'ambition, ou bien fut-ce l'amour? (Peut-étre tous les deux, car ces folles ivresses " Viennent á tous propos déranger nos parcsses); Quoi qu'il en soit, Icfteur, voici ce qu il advint A mon ami Mardoche, en ľan mil huit cent vingt. 0 y 0 VI Je ne vous dirai pas quelle rut la douairiére Qui lui laissa son bien en s'en allant en terre, Sur quoi de cénobite il devint elegant, ^— Et n'allait plus qu'en fiacre au boulevard dé. Ganď.'-Í ;> Que dorme en paix ta cendrc, ô quatre foisTjerriea *p Iw^Douairiére, pour le jour'oil cette sainte envie, "°"Comme un rayon d'en haut te vint prendre en toussant, De demander un prétre, et de cracher le sang! Ta tempe fut huilée, et sous la lame neuve é Tu te laissas clouer, comme dit Sainte-Beuve". vn Tes meublcs furent mis, douairiére, au Chátelet"; Chacun vendu le tiers de l'argent qu'il valait. De ta robe de noce on fit un parapluie; 0 Ton boudoir, ô Vénus, devint une éeurie. Quatre grands lévriers chassérent du tapis Ton chat qui, de tout temps, sur ton coussin tapi" S'était frotté le soir ľoreille á ta pantoufle, Et qui, maigre aujourd'hui, la queue au vent, s'essouffle, "y A courir sur les toits des repas incertains. — Admirable matiére á mettre en vers latins! 'ti ■ 90 PREMIERES POĚSIES VIII 1^ \ Je ne vous dirai pas non plus a quelle dame Mardoche, ayant d'abord laisse prendre son ame, Dut ces douces lecons, premier enseignement Que l'amie, a regret, donne a son jeune amant. Je ne vous dirai pas comment, a quelle fete II la vit.'fqui des deux voulut le tete-a-tete, Qui des deux, du plus loin, hasarda le premier ? L'lrillade italienne, et qui, de l'ecolier Ou du maitre] trembla le plus. — Helas 1 qu'en sais-je Que vous ne sachiez mteux, et que vous apprendrais-je ? II se peut qu'on oublie un rendez-vous donne, Une chance, — un remords, — et l'heure oil Ton est n£, Et Pargent qu'on emprunte. — II se peut qu'on oublie ^ t| Sa femme, ses amis, son chien, et sa patrie. — II se peut qu'un vieillard perde jusqu a son nom. Mais jamais l'insense, jamais le monbond, Celui qui perd l'esprit, ni celui qui rend l'ame, N'ont oublie la voix de la premiere femme Qui leur a dit tout bas ces quatre mots si donx Et si mystcrieux : « My dear child, I love you".ji * x Ce fut aux premiers jours d'automne.'lau mois d'oftobre, Que Mardoche revint au monde.|— II etait sobre D'habitude, et mangeait vite. Son cuisinier Ne le genait pas plus " que son palefrenier. II ne prit ni cocher, ni groom, ni gouvernante, Mais(|(honni sqit qui mal y pensel)|une scrvante. De ses facons cPailleurs rien ne parut change. Peut-ctre dira"-t-on qu'il etait mal loge; C'est a quoi je reponds qu'il avait pour voisine Deux yeux napolitains qui s'appelaient Rosine. XI J'adore les yeux noirs avec des cheveux blonds. Tels les avait Rosine, — et de ces regards, longs \ I PREMIERES POESIES 91 A s'y noycr. — C'ctaient deux dtoiles ďébčne Sur des cieux de criStal: — tantůt mourants, á peine Entr'ouverts au soleil, comme les voiles blancs Des abbesses de cour; — tantót étincelants, Calmes, livrant sans crainte une áme sans melange, Doux, et parlant aux yeux le langage d'un ange. — Que Mardoche y prit gout, ce n'eft auounement, Judicieux ledteur, raison ďétonnement. XII M'en croira qui voudra, mais depuis qu'en dcccmbre La volonté du ciel est qu'on garde la chambre, A coup sur, paresseux et fou comme je suis, A réver sans dormir j'ai passé bien des nuits. Le soir, au coin du feu, rcnvcrsé sur ma chaise, Mon menton dans ma main et mon pied dans ma braise, Pendant que l'aqudon frappait á mes carrcaux, J'ai fait bien des romans, — báti bien des chateaux; — J'ai, comme Prométhee, animé ďune flamme Bien des étres divins portant des traits de femme; XIII Blonds cheveux, sourcils bruns, front vermeil ou páli Dante aimait Beatrix, — Byron la Guiccioli". Moi (si j'eusse etc maitre en certe fantaisie), Je me suis dit souvent que je l'aurais choisie r A Naples, un peu brúlée á ces soleils de plomb Qui font dormir le pátre á l'ombre du sillon; Une lěvre á la turque, et, sous un col de cygne, Un sein vicrge et doré comme la jcune vigne; Telle que par instants Giorgione " en devina, Ou que dans cette hištoire était la Rosina. XIV Ml* €{, r II en est de Pamour comme des litanies De la Vierge. — Jamais on ne les a finies;1 Mais une fois qu'on les commence, on ne peut plus S'arreter. — C'est un mal propre aux fruits defendus. C'est pourquoi chaque soir la nuit etait bien prochc Et le soleil bien loin, quand mon ami Mardoche y ÚH 92 PREMIERES POESIES Quittait la jalousie ecartee ä deml, D'ou l'indiscret lorgnon plongeait sur l'ennemi. —• Meme, quand il faisait clair de lune, l'aurore A son poste souvent le retrouvait encore. XV Philosophes du jour, je vous arrete ici. Ö sages demi-dieux, expliquez-moi ceci. On ne volerait pas, ä coup sür, une obole A son voisin; pourtant, quand on peut, on lui vole... Sa fcmmel — Car il faut, 6 ledteur bien appris, Vous dire que Rosine, entre tous les mans, Avait recu du ciel, par les mains d'un notaire, Le meilleur qu'a Dijon avait trouve son pere. On pease, avec raison, que sa mere, en partant, N'avait rien oublid sur le point important. XVI Rien n'eSt plus amüsant qu'un premier jour de noce; Au debotte, d'ailleurs, on avait pris carrosse. — Le reSte ä 1'avenant. — Sans compter les chapeaux D'Herbeau,"rien n'y manquait. — C'estunmechantpropos De dire qu'ä six ans une poupee amuse Autant qu'ä dix-neuf ans un mari. — Mais tout s'use. Une lune de miel n'a pas trente quartiers Comme un baton saxon. — Et gare les derniers I 1 L'amour (helasl 1'dtrange et la fausse nature!) Vit d'inanition, et meurt de nourriture. xvn ifjf TJI'h EtP«is,quefaire?—Unjour,c'eStbienlong.—Etdemain? Et toujours ? — L'ennui gagne. — A quoi rever au bain ? Et toujours t — l/ennui gagne. — A qu„. — Hdlas I l'Oisivete s'endort, laissant sa porte Ouverte. — Entre FAmour, — Pour que la Raison sorte Il ne faut pas longtemps. La vie" en un moment Se remplit; — on se trouve avoir pris un amant. — L'un attaque en hussard la decsse qu'il aime, L'autre fait I ecolier; chacun a son sySteme. Hier un de mes amis, se trouvant ä souper Aupres d'une duchesse, eut soin de se tromper PREMIERES POESIES 9? XVIII De verre. XXIV La matinée était belle; les alouettes Commencaient á chanter; quelques lourdes charrettes T Soulevaient cä et Iä la poussiere. C'était ? Un de ces beaux matins un peu froids, comme ü fait ^ En oclobrc. Le ciel secouait de sa robe Les brouilkrds vaporeux sur le terreštre globe. PREMIERES POfiSIES 9J « Asseyez-vous, mon fils, dit le pretre; voila/ \ ' L'un des plus beaux instants du )our. — Pour ce vent-la,■ Je ie crois usurier, bon pere, dit Mardoche, Car il vous met la main malgre vous a ta poche. XXV — L'un des plus beaux instants, mon fils, ou les hutnains 1 Puissent a l'Eternel tendre leurs faibles mains; L'ame s'y sent ouverte, et la priere aisee. — Oui; mais nous avons la les pieds dans la rosee, Bon pete; autant vaudrait prier en plus bas lieu. — Les monts, dit le vieillard, sont plus proches de Dieu, Ce sont ses vrais autels, et si le saint prophete MoTse le put voir, ce fut au plus haut faite. -* — Helasl reprtt Mardoche, un homme sur le haut ) Du plus pointu des monts, serait-ce le Jung-Frau, j XXVI Me fait le meme effet justement qu'une mouche Au bout d'un pain de Sucre". Ahl bon pere, la bouche Des homines, a coup sur, les met haut, mais leurs pieds Les mettent bas. — Mon fds, dit le do&eur, voye2 Que vos cheveux sont d'or et les miens sont de neige. Attendez que le temps vienne. — Et qu'eti apptendrai-je Prit 1'autte, souriant de son mechant souris; Science des humains n'eft-elle pas mepris ? II s'assit a ce mot. « Laissons cela, mon pere, Dit-il, je suis venu pour vous parler d'alfaire, xxvrr Comme vous le disiez tout a 1'hcure, je suis Jeune,/par consequent amoureuxjje ne puis Voir ma maitresse; elle a son mari. La fenetre ESt haute, a parler franc, tt.Ji — Je vous ai vu naltre, Mon ami, dit le pretre, et je vous ai tenu Sur les fonts baptismaux. Quand vousetes venu Au monde, votre pere (er que Dieu lui pardonne, Car il est mort) vous prit des bras de votre bonne, Et me dit: Je le mets sous la protection Du del; qu'il soit sauve de la corruption! } ? 96 PREMIERES POESIES PREMIERES POESIES 97 XXVIII — Le malhcur, dit Mardoche, eft que les demoiselles Sont toutcs, par nature ou par mode, cruelles; Car je vous entends bien, et je sais que c'eft mal. Mais que voudriez-vous, monsieur, qu'on fit au bal? — Oml vous avez raison, dit le bedeau, le monde T Est un lieu de misere et de pitie profonde. — Done, dit Mardoche, avec votre consentement, Je reprends mon reck et mon raisonnement. Or je ne puis pas voir ma maltresse; hier meme J'ai failli m'y casser le cou. |- Bont6 supreme! ^, XXIX A Dit le bedeau, e'eft Dieu qui vous aurait frappé. Quel eft le malheureux que vous avez trompe ? — Malheureux ? dit Mardoche; il n'en sait rien, mon pere. — II n'en sait rien, mon filsl Nul secret sur la terre N'eft secret bien longtemps. — Bon, dit Mardoche, maisT) Je ne bavarde guěre, et je n'ecris jamais. hX^XL:- — Et quand cela serait, mon fils, jc le demande, 1 Une injure cachée en eft-elle moins grande? En aurez-vous done moins desséché, désuni Un lien que la main ďun prétre avait béni ? XXX En aurez-vous moins fait le plus coupable outrage ~f A la société, dans sa loi la plus sage ? Ce secret, qu'a jamais la terrc ignorera, Pensez-vous que le ciel, qui le sait, Pouhliera? Songez á ce que e'eft qu'un monde, et que le notre A quatre pas de long, et, pour l'horizon, l'autre. — Quittons ce sujet-ci, dit Mardoche, je voi" Que vous avez le crane autrement fait que moi". Je vous racontais done comme quoi ma mattresse T Était gardée á vue : on la proměně en laisse. XXXI — Et Ton a, dit le prétre, éminemment raison. Ah! qu'elle pense done á garder sa maison, ? A vouer au seigneur un coeur exempt de feintc, A donner a ses fils un hit pur et la crainte Du ciel. — Mon reverend, dit l'autre, les oiseaux Qui sont les plus charmants, sont ccux qui chantent faux. Ne vous parait-il pas simple et tout ordinaire Qu'un rossignol soit laid, honteux, lorsqu'au contraire Le paon, ce mal-appris, porte un manteau dore, Comme un diacre a Noel a cdte du cure? XXXII Ne vous etonnez done aucunementj1, bon pere, Que le plus bel oiscau que nous ayons sur terre, La femme, chante faux, et sur ce, laissez-moi ^ Vous finir mon recit, je vous dirai pourquoi. Hier done, je revenais, ayant failli me rompre t" Les..^'— Et, dit le vieillard, qui done l'a pu corrompre Ainsi, fils d'un tel pcrc, et jeune comme il eft! N'eft-ce pas monftrueux ? — J'ai, dit Mardoche, fait f Mes classes de bonne heurc, et puis, dans les families, Voyez-vous, j'ai toujours trouve quatre ou cinq filles XXXIII Contre un ou deux gargons, ce qui m'a fait penscr Qu'on pouvait en aimer la moiti£, sans blesser Dieu. — Dieul mon cher enfant! voyons, soycz sincere. Y croyez-vous ? — Monsieur, dit Mardoche, Voltaire Y croyait". — Comment done l'offensez-vous ainsi? — Or, dit le jouvenceau, jc reprends mon recit. r-J'adore cette femme, et ne connais de joie Qu'a la voir; vous sentez qu'il faut que jc la voie. Et j'ai comptc sur vous dans cette occasion. — Sur moil dit le bedeau, perdcz-vous'Ia raison? XXXIV — La raison, reverend, helas! je l'ai perdue; Et si, par un miracle, ellc m'etait rendue, Vous me la vcrriez fuir, ou plutot renvoyer Comme un pigeon fidele au toit du colombier. Ah! secourez-moi done; votre bonne assistance Peut seule me sauver dans cette circonftance. 98 PREMIERES POÉSIES — Et dc quelle facon, mon ami? — Vous senteai, Dit Mardoche, que j'ai cherche7de tous cotes, Pour la voir, une charnbre, an lit, un trau, n'importe; Y venir n'etait rien, mais il faut bien qu'on sorte. XXXV Et le rustre la guette. — Eh bien I dit le bedeau, Puis-je Ten cmpecher? — Vous avez un tres beau T Lit a rideaux bleu-ciel, monsieur; un presbytere N'cstpas suspefi../^—Jamais! ditle vieillard. — Bonpere, Dit l'autre^je n'ai pas -si peu de temps vecu Qu'au premier jour d'ennui/ie croie une vertu De partir^en parlant ainsii'1 ami Mardoche Tirait tout bas un long pislolet de sa poche). — Porter la main sur vous, mon filsl dit le chretien. En etes-vous done la? ne croyez-vous a rien? XXXVI ojlW- % in- * k ' \ — Reverend, repondit Mardoche, je m'ennuie. \/i*Pf^'f" Shakspeare, dans Hamlet, dit qu'on tient a la vie Parce qu'on ne salt pas ce qu'on doit voir apres"; Ses vers " me semblent beaux, mais ils seraient plus vrajs, S'ils disaient qu'on y tient parce qu'une cervelle f A peur d'un pistolet qui s'applique sur elle, Pour la faire craquer et sauter d un seul bond, Comme un bouchon" 3e vin de Champagne, au plafond. Je ne suis pas douilletl — Un suicide! on se damne, Mon filsl -ft- Nous n'avons pas, dit Mardoche, le crane [pai XXXVII Fait de meme. — Attendee du moms jusqu'a demain, Mon tils, et retirez ceci de voire main. Songez-y done: chez moil dans ma charnbre 1 une femmel Mon enfant, un suicidel Ah! songez a. votre ame. — Henri huit, reverend, dit Mardoche, fut veuf r \ De sept reines, tua deux cardinaux, dix-neuf Eveques, treize abbds, cinq cents prieurs, soisante- F" I Un chanoines, quatorze archidiacres, cinquante ?-■ Docreurs, douze marquis, trois cent dix chevaliers, Vingt-neuf barons chretiens, et six-vingt roturiers. PREMIERES POÉSIES XXX VIII 99 Moi, je n'en tuerai qu'un, reverend; mais, de grace, Parlez, et dites-nous ce qu'il vous plait qu'on fasse. — Qu'on fasse! dit le pretre; et l'enfer, mon cher fiJs! L'enfer! — Monsieur, reprit Mardoche, je ne puis Rcpondre la-dessus, n'ayant eu pour nourtice Qu'une chevrc. » Le bout de 1'arme tentatrice Brillait en plein soleil. « Eh bien! je le veux bien, S'ecria le vieillard, mais vous n'en direz rien. Sur votre foi, mon fits I songez a ce qu'on pense... — Touchez la, dit Mardoche,etDicu vous recompense! » XXXIX Telle fut, de tout point, la conversations Qu'avec son oncle Évrard Mardoche eut ä Mcudon (Car Évrard du bedeau fut le nom veritable). De ľoncle ou du neveu qui fut le plus coupable ? Le neveu fut impie, et ľoncle fut trop bon. L'un plaidait pour le ciel, l'autre pour le démon. Le paralléle préte ä faire une elégie : Oncle, tu fus trop bon; neveu, tru fus impie. Mats n'importe; il suffit de savoir pour 1 instant, Quel qu'en sok le motif, que Mardoche eit content. XL" De plus, j'ai déjä dit, que c'était jour de fete. Une féte, ä Meudon, tourne plus ďune tete; Et qui pouvait savoir, tandis que, soucieux, Notre héros á terre avait fixé ses yeux, Ce qu'il cherchait encot ? — Le fait eft qu'en silence Au digne magiiter il fit sa reverence, Puis s'eloigna pensif, sans trop regarder ou, La tete basse, et, comme on dit, a pas dc loup". — Toujours un amoureux s'en va tete baissée, Cheminant de son pied moins que de sa pensée. if C XLI 13[bLI0THETJfľ ja' Heu reu x u n amoureux! — II ne s'enquéte pakí^^~pVip\5JÍ^ Si c'est pluie ou gravier dont s'attarde son pas.---—* ■i ioo PREMIERES POÉSIES On en tit; c'est hasard s'il n'a heurté personne. Mais sa folie au front lui met une couronne, A 1'épaule une pourpre, et devant son chemin La flute et Ies flambeaux, comme un jeune Romain! Tel était celui-ci, qu'a sa mine inquiete On eút pris pour un fou, sinon pour un poete. Car vous verriez plutót une moisson sans pré, Sans serrure une porte, et sans niěce un eure, XLII Que sans manie un homme ayant l'amour dans Tame. Comme il marchait pourtant, un visage de femme Qui passa tout ä coup sous un grand voile noir, Le jeta dans un trouble horrible ä concevoir. Qu'avait-il? Qu'etait done cette beauté voilée? Peut-čtre sa Rosine! — Au détour de Fallée, Avait-il reconnu, sous les plis du schall blanc, 'jf-V^Sa demarche a Panglaise, et son pas nonchalant? Elle n'etait pas seule; un homme ä face pále L'accompagnait, d'un air d'aisance conjugate. XLIII Quoi qu'il en soit, ledteur, notre heros suivit Cette beautc voiide, aussitot qu'il la vit. Longtemps, et lentcment, au bord de la terrasse, II marcha comme un chien basset sur une trace, Toujours silencieux, car il delibeiait S'il devait passer outre ou bien s'il attendrait. L'ennemi tout a coup, a sa grande surprise, Fit volte-face. II vit que Pinstant de la crise Approchait; tenant done le pied ferme, aussitot II rajusla d'un coup son col et son jabot. , , XLIV Muses! '.Vit, f'-.''' Les gilets blancs proscrits, et jusques aux talons ul- (Exerriple monStrueux!) trainer les pantalons; ^Nj|) Jusqu'd ces heureux temps oü nos compatriotes Enfirt jusqu'ä mi-jambe ont releve leurs bottes, ;es I — Depjois le jour oú John Bull, en silence, jadi's paf"T^mm'ř en depit de la France, PREMIERES POÉSIES Et, ramenant au vrai tout un siecle enhardi, s Degage du maillot le mollet du dandy"! Si jamais, retroussant sa roynle moustache, Gentilhnmme au plein vent fit sifflcr sa cravache; XLV D'un air tendre et rcveur, si jamais merveilleux, Pour montrer une bague, ecarta ses cheveux; Ohl surtout, si jamais manchon arislocrate Fit mollement plicr la douillette ecarlate; Ou si jamais, pareil a l'etoile du soir, Put sous un voile epais scintiller un aril noir", O Muses d'Helicon! — 6 chaftes Pierides "1 Vous qui du double roc buvez les eaux rapides, Dites, ne fut-ce pas lorsque, la canne ert Pair, Mardnche en sautillant passa comme un dclair? XLVI Cc ne fut qu'un coup d'ceil, et, bien que passc^maitre Notre epoux, a coup sur, n'y put ricn reconnattre. Un vieux Turc accroupi, qui pres de Fa fumait, N'aurait pas eu le temps de dire : Mahomet. La dame, je crois meme, avait tourne la tete; Et, sans s^inqiueter autrement de la fete, Ni des gens de l'endroit, ni de son bon parent, Mardoche regagna sa voiture en courant. « A Parts 1 » dit le groom en fcrmant la portiere. A Paris! oh! Petrange et la plaisante affaire! XLVII Lecteur, qui ne savez que penser de ceci, Et qui vous preparez a froncer le sourcil, St vous n'avez d6ja devine que Mardoche Emportait de Meudon un billet dans sa poche, Vous serez, en rentrant, etonne de le voir Se jeter tout soudain le nez contre un mirotr, Demander du savon, et gronder sa servante; Puis, laissant son laquais glace par l'epouvante, Se vider sur le front, ainsi qu'un Hot luStral, Un flacon tout entier d'huile de Portugal. ) vtoet i PREMIERES POÉSIES XLvm Venus! flambeau divinl — Afire chci aux pirates] AStre cher aux amantsl -— Tu sais que de cravates, Un jour de rendez-vous, chiffbnne un amoureuxl Tu sais comhicn dc fois il en refait les nceudsl Combien coule sur lui de kit dc rose et d'ambre I Tu sais que de gilets et d'habits par k chambre Vont trainant an hasard, mille fois essayes, Pareils a des blesses qu'on heurte et foulc aux piedsl Vous surtout, dards Iegers", qu'en ses doftes emphases Delille a consactcs par quatre periphrases! XLIX 6 bois silencieux! 6 kcs! — O ruurs gardes! Balcons quittes si tardl si vite escalades! Masques, qui ne laissez entrevoir d'une fcmme Que deux ttous sous le front, qui lui vont jusqu'a 1'amel 0 capuchons discrets! — O manteaux de satin, Que presse sur la taillc une amoureusc main! Amour, mySterieux amour, douce misere! Et toi, kmpc d'argent, pale et Fraiche lumicre Qui fait les douces nuits plus blanches que le kit I — Soutenez mon haleme en ce divin couplet! L Je veux chanter ce^oar d'&ernel!e_ mdmoitc if Ou, son diner firtl, devant qu'il fit nuit noire, Notre heros, le ht£ cache sous son manteau, Monta dans sa voiture une heure au moins trop tot! OhI au'il etait joyeux, et, quoi qu'on n'y vit goutte, Que de fois il compta les bornes de k route! Lorsqu'enfm le tardif marchepied s'abaissa, Comme, le cceut battant, d'aboid il s'eknca.1 Tout le quartier dormait profondement, en sorie Qu'il leva lentement le marteau de k porte. LI Etes-vous quclquefois sorti par un temps doux, Le soir, seul, en automne, — ayant un rendez-vous ? PREMIERES POÉSIES II est de trop bonne heure, et Ton ne sait que fake Pour tuer, comme on dit, le temps, ou s'en distraite. On s'arrete, on reyient, — De guerre lasse, enfin, On entre. — On va poser son front sur un coussin. -Sur le bord de son lit, — pkee a\ jamais sactce! Tiede encor des patfums d'une tete adoree"! — On ecoute. — On attend. — L'ange du souvenir Passe, et vous dit tout bas : « L'Entends-tu pas venir? » L1I I'aJ vu, sur les auteis, le pudique hymenee Joindre une seche main de prude surannee A la main sans pudeur d'un rou<5 de vingt ans, Au Havre, dans un bal, j'ai vu les yeux mourarrts D'une petite Anglaise, a Pair meiancolique Jeter un long regard plein d'aniour romantique Sur un buveur de punch, et qui, dans le moment, Vcnait de se griset ab o mi nable ment 1 fa des apprentis šěTvendre a~cIeT douairiěres des Almavivas payer leurs chambrieres. LTI1 1 O Eít-il done étonnant qu'une fois, á Paris, Deux jeunes cceurs se soient rencontres — et compris? Helas! de belles nuits le ciel nous est avare Autant que de beaux jours! — Frferes, quand la guitare Se mele au vent du soir qui frise vos cheveux, Quand le clairet vous a rantmé de ses feux, OÍil que votre maittesse, alois surtout, soit belle! Sinon, quand vous vondrez jeter les yeux" sur elle, Vous scntirez le cceur vous manquer, et soudain L'foftrument, malgřé vous, tomber de votre main. LTV LWcur du present livre, en cet endroit, supplie Si'Ieftrice, si peu qu'elle ait la main jolie (Comme il n'en doute pas), d'jjf jeter un moment tct veux, et de penser a son dernier amant. Qu'clle songe, de plus, que Mardoche etait jeune, Amoureux, qu'il avait pendant un mois fait jeune, io4 PREMIERES POESIES Que la chambre etait sombre, et que jamais bais£" Plus long ni plus ardent ne put etre pose D'une bouche plus tendre, et sur des mains plus blanches Que celles que Rosine eut au bout de ses manches. LV a. dire le vrai, ce fut la Rosina Qui parut tout a coup, quand la porte tourna. Je ne sais, 6 lefteur! si notre ami Mardoche En cette occasion crut son bien sans reproche, Mais il en profita. ■— Pour la table, le thi, Les biscuits et le feu, ce fut vitc apporte. — II pleuvait a torrents. — Qu'on eft bien deux a table! Unc femmc! un souper! je conscns que le diablc M'etnporte, si jamais j'ai souhake d'avoir Ricn autre chose avant de me coucher le soir. LVI Lecteur, remarqucz bien cependant que Rosine Etait blonde, I'oeil noir, avait la jambe fine Meme, hormis les pieds qu'elle avait un peu forts, Joignait les qualites de 1'esprit et du corps. II parait done assez simple et facile a croire !, Que son feal cpoux, sans etre d'humeur noire, Voulut la surveiller. -— Peut-ctrc qu'il etait Averti de I'afTaire en dessous; le fait est Que Mardoche et sa belle, au fond, ne pensaient guerc A lui, quand il cria comme au festin de Pierre : LVII ffif « Ouvrez-moi— Pechero! dit la dame, je suis Perdue I... Oü se cacher, Mardoche? n Aufondd'unpuits, II s'y serait jete, de peur de compromettre La reine de son coeur. II ouvrit la fenetre. Stratageme excellent] ■— Ricn n'etait mieux trouve. Et zestel il se demit le pted sur un pave. Ö bizarre destin! A fortune inconstante! Ö maiheureux amantl plus malheureuse amantel Apres ce coup fatal qu'allez-vom deventr, Helasl et comment done ced va-t-il finir? PREMIERES POESIES LVTII 105 De tout temps les epoux, grands denoueurs de trames, Ont mange les soupcrs des amants de leurs femmes. On peut voir, pour cela, depuis maitre Gil Bias, Jusqu'a Crebilfon fils ct monsieur de Faublas. Mais notre Dijonnais a la face chagrine Jugea la chose mal a propos. — Et Rosine, Que fit-elle? ■— Elle avait cet air desappointe Que fait une perruche a qui Ton a jete MaHae^ement une feve arrangee Dans du papier broutllard cn guise tie dragee. LIX ft Elle prend avec som 1'enveloppe, 6te tout, Tire, et s'attend a bien, puis, quand elle esT: au bout Du papier i mposreur, voyant la moquerie, Reste moitie colere et moitie bouderie. « Madame, dit l'epoux, vous irez au couvent. » Au couvent 1 — O destin cruel et decevantl Le calice etait plein; il fallut bien le boire. Et que dit a ce mot la pauvre enfant 1 — L'histotre N'en sait ricn. — Et que fit Mardoche? — Pour changer D'amour, il lui fallut six mois i voyager". SUZON' Heureux eclui dont 1c ctrui nc demande qti'un cceur, et qui ne desire ni pare a 1'an-gkisc, ni opera scria. ni musique de Mo/art, ni tableaux de Raphael, ni eclipse de lune, ni metne un clair de lune, ni scene de romafl, ni leur aecomplissement. Jean-Paul '. Ce que j'ecris est bon pour les buveurs de biere Qui jettent la bouteille apres le premier verre : C'est 1'hiStoire d'un fou mort pour avoir aime A casser une pipe apres avoir fum£. i U i i