DES NOUVELLES d'aLGERIE II poursuivait fixement des yeux les graffitis de Fhorreur sur sa peau comme pour gommer la marqueterie torturde de la chair et semblait parcourir une a une les veines creusees telles des oueds asseches. Brusquement happe comme interloque par une surprenante vision, le geolier detourna son visage taurin. Au milieu du corps decharne, le sexe lambin - une virgule mal placee, inattendue, d'oii coulait une vapeur liquide, cuivree, chloree. Une deletere souillure repandue sur le marbre chenu. {Non, ne pleure pas. Tout passera. Tu verras. Je sais bien que tu n'oublieras jamais cette histoire. Entre ta flottante memoire et ce lieu demeureront toujours ce blanc, cette taie, ces traces. II y a comme 9a des morceaux de souvenirs qu'un rien rallume, taraude. Aussi loin que se depliera ton reve tu rencontreras toujours ce gout de cendres. Comme toute chose qu'aucun pardon n'eteint. Tu auras beau te persuader de repousser la haine, d'expliquer, de comprendre, de mettre cela sur le compte des lois sauvages de la cite, de la necessity des combats, de la violence politique. Tu auras beau conjurer ta douleur en ecrivant des poemes. Mais les eclairs resurgiront a tes yeux et les etincelles te bruleront de ces lambeaux de scenes, de tes cicatrices meurtries comme 1'eterneile question de Job, Job des ficritures qui repetait indefiniment a l'Jiter-nel: "Mais quand je parle, ma souffrance demeure; si je me tais, en quoi disparaitrait-elle ?" Tu sais, Job des Gens du Livre, celui de la parabole de la souffrance qu'habitaient deux bouches: Tune pour la parole et Fautre pour le silence.) Alger, novembre 1988 72 Rachid MiMOUNi Rachid Mimouni est ne en 1945 ä Boudouaou (ex-Alma), a 30 km a Vest dAlger, d'une famille de paysans pauvres. II fait une licence de sciences a Vuniversite dAlger (1968). II a etc enseignant ä l'Jicole superieure de commerce puis ä l'Institut national de protection et de developpement industriel. Apres avoir rencontre beaucoup de difficulty a faire publier ses premiers romajts, il edite ä la SNED, en 1978, Le Printemps n en sera que plus beau (ree'dite chez Stock en 1995). II se decide ensuite ä se faire Miter en France et public le roman qui lui assurera un succes notoire, Le Fleuve detourne (Laffont, 1982). Il faitparattre, a nouveau a Alger, en 1983 ä l'ENAL Une paix ä vivre et en 1984, Tombeza, chez Laffont ä Paris. Avec la diversification des maisons d'edition algeriennes, I'editeur Laphomic reedite a Alger, en 1985, les deux romans "parisiens". La Ceinture de l'ogresse parait chez Laphomic en 1990. Il est alors un des romanciers les plus lus dans le pays. Iiparticipe ä de nombreuses manifestations culturelles, conferences, entretiens, colloques. Apres 1993 et l'assassinatde Tahar Djaout, Use dicide h contrecceur ä quitter le pays et s'installe, avec sa famille, ä Tanger. II meurt en 1995 a Paris, des suites d'une hepatite aigue. II a public chez Stock des romans, comme L'Honneur de la tribu (1989), Une peine ä vivre (1991), La Malediction (1993), Chroniques de Tanger (1995) ainsi que d'autres ouvrages: un album sur Alger, La Colline revisitee, accompagnant les dessins de Jacques Ferrandez; un essai au Pri-aux-clercs, De la barbaric en general et de I'integrisme en particulier (Paris, 1992). Les editions Stock ont reedite l'ensemble de son ceuvre. 73 DES NOUVELLES d'ALGERIE La nouvelle a été choisie dans son recueil de 1990, La Cein-ture de l'ogresse. Le gardien Je ne comprends rien ä ce qui m'arrive. Est-ce que quel-qu'un chercherait ä me nuire? Je ne me connaís pourtant aucun ennemi. Si je Umíte mes rapports avec mes voisins d'immeuble, c'est parce que je suis naturellement reserve, et, connaissant la familíarité proverbiale de mes compatriotes, je ne tiens pas ä voir mon intimité troubíée par des sans-géne. Si j'ai decide de ne plus adresser la parole ä ma voisine de palier, c'est parce quelle me harcelait sans répit. Elle voulait transferer chez le célibataire que j'etais, au cours de belles noces, sa fille aínée, grasse et blanche comme une oie, afin de laisser un peu plus de place aux huit enfants suivants qui étouffaient dans leurs trente metres carrés. Si je ne fréquente plus guěre mes collegues, c'est parce que je n'ai pas d'eux une haute opinion. lis n'ont aucune conscience professionnelle et negligent leur travail. lis trainent leur ennui a longueur de journée puis, děs la fermeture, se dépéchent de disparaítre pour aller s'adonner ä leur occupation favorite: le tiercé, l'alcool ou la priěre. Ce n'est pas mon cas, car j'aime mon metier. Si je ne respecte guere mon supérieur, c'est parce que j'ai eu a. constater son incompetence et sa légěreté. Ce jeune íngénieur agronome, specialisté des cultures en terres arides, s'est retrouvé, par un coup de génie de notre bureaucratic directeur des espaces verts de notre ville. II se considěre en exil et range son frein en attendant d'aller fertiliser le desert. 75 DES NOUVELLES D'ALGERIE — Je ne désespěre pas, m'a-t-il confié un jour. lis finiront bien par accepter ma mutation. Entre-temps, l'essentiel est de I ne pas provoquer de remous politiques. i II se montre si aboulique qu'au rythme oil se dégradent nos pares, e'est ici méme et sous peu qu'on aura besoin de ses i connaissances. t| Je suis gardien au Pare de la Liberie. Croyez-moi, ce n est pas une sinecure, comme vous venez de le penser. -1 Je vais vous expliquer. j Mon pere lui-méme y officia longtemps et je me souviens de A mes premieres promenades d'enfant émerveillé par la sereine luxuriance de la verdure. II m'enseigna patiemment le nom de f \ chaque varieté ďarbre et de fleur ainsi que sa provenance, |-; souvent lointaine. Ces consonances étranges de plantes et de f~ pays excitaient mon imagination qui prenait son envoi pour jj; me mener vers des contrées paradisiaques. II me laissait réver en |: hochant la téte de satisfaction. Aiors que la plupart des parents J] hátaient le pas á 1'approche de la statue dénudée, traínant par le Is poignet kurs bambins curieux, mon pere me fit découvrir les charmes de l'Aphrodite noire. Je ne devais par tarder á tomber amoureux moi aussi de la déesse, esperant prendre la releve de ; mon géniteur le jour oil sonnerait pour lui l'heure de la retraite. || Mais il sen alia trop tot, emporté par les complications d'une severe bronchite, et le poste řut confié á un de ses confreres. *j A Tissue de ma formation, je fus affecté au Jardin du ler novembre, situé dans le quartier le plus populeux de la I i ville. Imaginez un vaste terrain vague délimité par un simple 1 grillage. Aucune plante n'y a jamais pu pousser. Les raids |j dévastateurs de 1'innombrable marmaille locale qui préférait fs disposer d'un terrain de football eurent raison de mes tenta- |j tives. Tout ce que j'ai essayé de planter a été foulé aux pieds. I] J'eus tót fait de demander ma mutation. |i II m'a fallu patienter dix-huit mois. Je faillis, durant 1'inter- f j valle, devenir bigot ou poivrot, nétant guere porte sur les | jeux de hasard. |} 76 il RACHTD MIMOUNi Le jour de mon installation au Pare de la Liberie fut le plus beau de ma vie. Mon prédécesseur, qui prenait sa retraite, m'observa longuement d'un air désabusé avant de me tendre les clés ďun geste reticent. - Je suis bien conscient, lui ai-je dit, de i'honneur qui m'echoit ďassurer votre succession. Vous-méme avez recu ces clés de mon pere qui m'apprit que ce pare est un veritable jardin d'acclimatation, riche de soixante-dix-huít variétés d'arbres exotiques et de cent vingt et une plantes et fleurs, et parmi les plus rares et les plus délicates. Je peux, seance tenante, vous citer leurs noms et origines. Je connais la bio-graphie détaillée de tous les sculpteurs qui ont peuplé ce lieu de sylphides et de déesses, dont la superbe Aphrodite noire. Par consequent, je mesure 1'ampleur de la tache qui m'attend si je veux me,montrer digne de vous. Mon interlocuteur me gratifia d'un large sourire. - Je crois que je vais pouvoir aller me reposer le cceur en paix. Je reviendrai souvent vous voir. Oui, j'etais heureux. J'avais enfin realise mon réve d'enfant et le sourire du vieil homme venait de me confirmer dans mon nouveau poste. Non, je n'avais pas choisi un poste de tout repos et je n'allais pas tarder á en découvrir les nombreuses complications. Formeliement, je suis seuiement charge ďassurer le gardiennage pendant les heures d'ouverture au public. L'entretien incombe á un service specialise de la municipalitě. Mais, trois jours aprěs ma prise de fonction, je n'avais pas vu la moindre moustache de jardinier. Craignant de voir dépérir ma verdure, je m'en fus signaler cette absence á mon directeur. - Normal, me rétorqua ce dernier. Aucun de nos jardiniers ne cultive de moustache. - Les plantes doivent étre arrosées, lui fis-je remarquer, sinon elles vont mourir. - Je veux bien. Mais ou trouver de Feau? 77 DES NOUVELLES D'ALGERIE Ii est bien connu en effet que la ville souffre d'une penurie d'eau chronique. — N'y a-t-il pas de camions-cifernes? — S'il n'y a pas d'eau, ä quoi bon des citernes ? me repondit-il. Seules les trois Fontaines romaines permettent & la population d'etancher sa soif. Sans les vestiges de ces lointains conquerants, nous serions tous, hors les poivrots, en train de tirer la langue. Tu as pu constater que chaque matin, devant chaque source, s'etire une interminable queue de porteurs de seaux. L'apparition d'un camion-citerne provoquerait une erneute. Je ne veux pas de 9a. Je faillis lui faire remarquer qu'il tenait lä Ie plus efficace moyen de se faire muter dans la region la plus desolee du pays. — Mals si nos concitoyens, continua-t-il, ne peuvent boire ä satiety pas meme les ivrognes vu Ie prix de la biere, ils semblent en revanche atteints d'une effarante boulimie. On peut en juger par les montagnes de detritus qui encombrent les trottoirs. Ce que voyant, le maire, qui nest pas un idiot, a reconvert! tous les camions-citernes en camions ä ordures. Ce que voyant, moi qui le suis encore moins, j'ai reconvert! tous mes jardiniers en peintres. Armes de pinceaux, üs sont desormais charges de teindre en blanc tous les troncs de tous les arbres de la ville. Ca fait ;pimpant. Le maire en est ravi. Veux-tu que j'envoie une escouade de ces blanchisseurs dans ton pare ? Apres deux jours d'hesitation, je pris le parti d'aller brancher le tuyau d'arrosage sur une bouche d'incendie d'une rue proche. Mais apres avoir tourne le bouton, je n'entendis qu'un räie d'agonisant. Pas d'eau. Je me demandai dans quel travail on avait pu reconvertir les pompiers de la ville. Je decidai done, rentre chez moi, d'installer mon lit dans la salle de bain. Je dormais tout habille. Au premier gar-gouillement du robinet reste ouvert, je sautais sur mes pieds. Eau be"nie, plus attendue que l'arrivee du Messie! Le miracle ft RACHID MIMOUNI ,2... se produisait selon les pures lois du hasard, mais bien entendu ? jamais avant minuit. Tandis que mes voisins d'immeuble reveilles se hataient de remplir tout ustensile creux, je devalais ^ les escaliers en courant et me precipitais vers le pare pour arroser mes arbres rarissimes et mes fleurs qui commencaient a. se faner. Je courais ainsi irregulierement Ie risque de me briser l'echine en glissant sur une marche dans la cage mal eclairee. Les pares sont des lieux general ement frequentes par des citadins amoureux de la nature ou de leurs semblables. Mais des mon installation je m'apercus que ceux qui peuplaient mon domaine se recrutaient surtout parmi les gens presses. En effet, devant les capricieux detours d'une rue ivre, la traversee du jardin offrait un raccourci tentateur. Je ne voyais passer que des menageres aux couffins lourdement charges, des fonctionnaires tard leves qui enjambaient mes massifs de primeveres en surveillant leur montre, des ecoliers de'sinvoltes l| qui en se poursuivant pietinaient mes plates-bandes de jon-quilles. Jamais ces gens au temps precieux n eurent le moindre f regard pour mes rosiers dpanouis ou le charmant Cupidon qui esperait leur admiration. Un matin, en prenant mon service, je le vis qui pleurait. ?| Ce n'etait pas de deception mais de douleur. Je me rendis f compte qu'il avait 6t6 castre\ Je n'en fus guere etonn^. Je sais * j depuis longtemps que mes concitoyens vivent leur sexualite comme un peche. lis forniquent comme des boucs en rut, ^ mais dans Fobscurite et les yeux ferm^s. Ainsi, au matin, leur ^ conscience a moins de peine a censurer le souvenir de leurs I} furies nocturnes. Tout objet pouvant titiller leur memoire leur devient intolerable. C'est a peine s'ils ne s'etonnent d'avoir des enfants. Ce deplorable incident m'obligea a aller revoir mon ,^1 directeur. i| — Mon pare ne sert que de lieu de passage. Je viens vous demander l'autorisation de fermer une de ses deux portes. - Serais-tu un contre-reVolutionnaire? 78 79 DES NOUVELLES d'aLGERIE RACHID MIMOUNI - Mon Dieu, je riy ai jamais pense. Pourquoi done? - Ces gens que tu dis presses sont des proletaires qui triment ä longueur de journee, tenus de se lever ä six heures du matin pour ne retrouver leur foyer qua la nuit tombee. Ce pare a done au moins l'avantage de leur faire gagner quelques minutes de sommeil. Je ne veux pas de conflu avec les masses laborieuses. - Non. - Comment non ? - II ne peut s'agir d'eux. Le pare ouvre ä neuf heures et ferme ä dix-neuf. C'est trop tard ou trop tot. - Ab bon? Dans ce cas, je suis d'accord. Cache" derriere le rideau de jasmin, je pris plaisir ä entendre pester devant la grille cadenassee les habitues de la traversee. Ddcus, ils durent rebrousser chemin. Je faillis meme me laisser attendrir par le depit d'une vieille dame qui, lestee de son panier de provisions, avait bute contre les barreaux. Je remarquai que meme mon voisin le fleuriste me faisait grise mine. Je le tenais pourtant pour un homme frequentable et il m'arrivait souvent le matin, avant d'ouvrir, de passer quelques minutes ä echanger avec lui des considerations sur les ineuries municipales. Le jour oü je le vis pour la premiere fois s'aetiver sur le curieux renfoncement qui menageait la cloture du pare, je le pris pour un employe" communal. Je m'en fus lui demander s'il etait jardinier. - Dieu me garde! me repliqua-t-il. C'est un metier bien trop penible. - Qu est-ce que tu fais lä, alors ? - Le maire, qui est mon cousin, a fini par rn attribuer ce petit carre de terrain qui ne servait ä rien. - Pour en faire quoi ? - Un kiosque ä fleurs. Je ne suis done pas jardinier mais je compte fatre commerce des produits des jardins. C'est bien plus remunerateur et bien moins fatiguant. 80 - Tu es fou ? Tu feras faillite en quelques jours. Les habitants de cette ville ne se préoccupent que de leur ventre. On ne voit fleurir que les fast-food et les patisseries. Pour le prix ďune rose á contempler, ils préféreront alourdir leur estomac d'une tarte. D'autant qu'avec la pénurie ďeau, chaque fleur doit valoir son pesant ďor. i — J'ai mon idée, me souffla-t-il jovialement. ^ Je dois avouer que j'eprouvais une particuliěre sympathie % pour cet originál. •i - Tes affaires marchent bien ? lui demandais-je chaque matin. Pour toute réponse, il se frottait les mains en jubilant. II n'approuva pas ma decision. — Pourquoi as-tu choisi de fermer cette porte plutót que * celle du bas,? Le fleuriste ne rríadressa plus la parole mais cela ne m'affli-"f gea pas outre mesure. En fait, je n ai regretté que la disparition | de 1'affable jeune homme qui, en fin ďaprěs-midi, allant I acheter son journal étranger, n oubliait jamais de me décerner quelque compliment sur la tenue de mon pare. j Ainsi débarrassé des indésirables, j'eus la joie de voir mon havre de verdure retrouver sa quietude et sa sérénité. Les trois I retraités qui venaient chez moi agrémenter leur oisiveté 1 madressěrent des sourires reconnaissants. Mon prédécesseur approuva mon initiative. | Ce furent mes seuls visiteurs pendant plus de deux i' semaines. Et puis, un jour, je vis le premier couple d'amou- ' reux hésiter devant F entrée. lis aventurěrent finalement leurs 5 pas parmi les allées, firent préeautionneusement le tour du lieu, s'assirent un instant sur un banc puis s'eclipserent. Ils I revinrent le lendemain, déjá plus assures puisqu'iis se tenaient * la main. A leur troisiěme apparition, ils allěrent s'installer ^ dans la discrete retraite que ménageait Fépats rideau de T jasmin. Lá, ils se permirent enfin d'epancher une tendresse I trop longtemps corsetée par l'hostilite des rues. Lorsqu'ils me 81 DES NOUVELLES D'ALGERIE rencontraient, ils detournaient le regard, comme honteux, alors que mon sourire leur confirmait que je continuerais ä proteger leurs rares moments d'intimite. Quelque temps plus tard, j'eus droit ä mon second couple. La jeune fille portait une robe ridicule d'enfant trop vite grandie mais ses grands yeux clairs et naifs rayonnaient de charme. Ce fut ma preferee. Ses frequents acces de melancolie la rendaient encore plus attirante. Eile parlait tres peu, se contentant d'ecumer du regard le visage de son cornpagnon dont eile sirotait les paroles comme une rare liqueur. Elle devak l'aimer beaucoup. En revanche, je n'avais que peu de Sympathie pour le jeune homme ä la moustache avantageuse qui ne cessait de perorer. Je le soupconnais de n'etre qu'un freluquet. Je ne me trompais pas; Je le vis quelques semaines plus tard arri-ver dans mon pare au bras d'une nouvelle compagne, encore plus arrogant que de coutume. Je n'ai pas I'habkude d'impor-tuner mes amoureux mais ma mine severe fit clairement comprendre au godelureau qu'il n'etait plus ie bienvenu chez moi. Le sedueteur n'osa plus reparaitre. Je crois que les gens qui s'aiment possedent une prescience qui les aide ä deceler les lieux accueillants. Les tourtereaux affiuerent chez moi. Mon pare se mit ä bruire de baisers furtifs, de rires, de serments murmures, de promesses atten-dries. Bien sttr, il y eut quelques aecrocs. Certains eurent le mauvais goüt de profiter de l'asile que je leur offrais pour rompre. II y eut des larmes et des sanglots. J'en fus outre et peine. D'autres se montrerent d'une touchante fidelite, entre eux et envers moi. Mais leur longue assiduite" finissait par m'inquieter. Un jour, je remarquai im petit carton blanc coince dans la saignee du bras droit d'Aphrodite. C'etait une invitation ä un mariage. Je ne manquai d'y assister. Le bellatre que j'avais dissuade de continuer ä frequenter mon pare vint m'accueillir. II avait renoue avec son Aphrodite et j'ai la vanite de croire que mon attitude l'y avait aide. 82 RACHID MIMOUNI Et chaque jour je voyais mes couples s'enivrer de tendresse et d'odeur de jasmin, se pencher vers les ceillets ^panouis, caresser du regard la deesse qui, du haut de son socle, semblait veiller sur leur concorde. Cela ne dura pas, vous devez bien vous en douter. Un matin, en entrant dans mon pare, j'eus la plus desa-gr^able surprise de ma carriere. La tete d'Aphrodite etait badigeonnee de peinture blanche. Quelle horreur! Son masque laque la rendait repoussante de laideur. Ce spectacle grotesque risquait d'effaroucher mes amoureux. Je me depechai d'ailer acheter un bidon d'essence de terebenthine et un chiffon. Je passai ma matinee a effacer Fenduit. Mon minuueux nettoyage acheve, ma statue m'adressa un sourire en recompense de ma peine. Je m'en fus par la suite occuper le refuge prefere des soupi-rants pour reflechir a mon aise. Quel pouvait etre 1'auteur de cette plaisanterie de mauvais gout? Ma voisine de palier dont j'ai dedaigne la fille incolore et dodue et qui repandait de sournoises allusions sur la bizarrerie de mes mceurs? Elle m'accusait d'entretenir de perverses relations avec Aphrodite, pretendant que je preferais le marbre dur et noir a la chair tendre et blanche. Devais-je soupconner le fleuriste dont l'eventaire n avait pas cesse de s'appauvrir et le commerce de pericliter depuis la fermeture de la grille? Fallait-il en conclure que Fidee qui le faisait jubiler consistait a se fournir gratui-temenr chez moi ? L'amateur de journaux etrangers qui, decourage par le detour, avait du renoncer a sa lecture favorite serait-il implique? Etais-je en droit de suspecter quelque machiaveiique manoeuvre de mon predecesseur jaloux de mon succes? Serais-je Fobjet d'un complot fomente par un collegue desireux d'occuper ma place ? Un peintre qui trainait dans la rue adjacente avec son bidon et son pinceau essuya mes premieres vagues de fureur. Le pauvre homme me certifia qu'il se contentait d'appliquer les ordres du directeur des espaces verts en maculant de blanc 83 DES NOUVELLES D'ALGÉRIE les troncs ďarbres et qu'il n'avaít jamais pénétré dans mon jardin. Miile questions se bouscuiaient dans mon esprit et mon trouble n'échappa pas ä mes couples. Aprés une nuit peuplée de cauchemars dans ma salle de bain, je retrouvai ä nouveau blanchi le visage de ma statue. La recidíve excluait ľhypothése ďune plaisanterie. Devant la gravité de ľattentat, je décidai de fermer aussitôt le pare pour aller rendre compte ä mon directeur. H était ce jour-la d'une jovialiré particuliére. II m'apprit qu'il avait bon espoir d'obtenir sous peu sa mutation. Ma mine chiffonnée ne parvint pas ä ternir sa joie. II se mit ä réver en ma presence en dépit de mes frequents tousso-tements d'impatience. II disserta longuement sur son projet d'introduire la culture des bananes dans le désert. - Au prix oil se négocient chez nous ces fruits exotiques, m'affirma-t-il, un hectare de sable se révélera plus rentable qu'un puits de pétrole. íl accepta enfin de s'enquérir de ľobjet de ma visite. Mon rapport transforma sa bonne humeur en franche hilarité. - II n'y a pas lieu de s'alarmer, me dit-il. C'est súrement le fait d'un plaisantin. - II a recommence la nuit derniere. - C'est done un plaisantin récidiviste. - Je ne comprends pas pourquoi il s'en prendrait precise-ment ä Aphrodite. - C'est sans doute un plaisantin amateur d'art. - Et pourquoi lui teindre la tete en blane? - C'est un plaisantin raciste. Je faillis faire remarquer ä mon supérieur que je n'a\.us guére le cceur ä apprécier ses boutades. Je lui proposal de déposer une plainte pour depreciation de biens publics. - Une plainte contre qui ? - Contre X. J'ai laissé les choses en ľétat pour qu'on puisse établir le constat. .£ RACHID MI MO UNI - Les policiers te renverraient ä ta verdure. lis ont trop a :f faire avec les victimes de chair pour se consacrer ä celles de % , marbre. Tu sais bien que nos intolerants bigots ne cessent '■ d'agresser les femmes dans les rues, pretextant leurs tenues osees. Quelle serait leur reaction s'ils s'apercevaient que ton Aphrodite n'a aucune tenue? Meme de marbre, ses charmes, impudiquement exposes, provoqueraient leur fureur. Non, crois-moi, son cas est independable. Leurs preches risquent de nous prendre pour cible et je ne veux pas cela. Ce n'est pas le moment. Je tiens ä ma mutation. - Alors que faire ? - On pourrait eriger autour d'elle une grille de protection. - Aphrodite emprisonnee? - La couvrir d'une bäche ? - Aphrodite voilee? l_ — La debbuionner et la ranger dans une remise communale? ; - Aphrodite deportee ? - En definitive, je crois que le meilleur moyen de decou-rager ce farceur est de la laisser jouir du fruit de son activity nocturne. - Mais ce nest pas possible! - Pourquoi done? - Sa tete jure avec le reste de son corps. Elle en devient I effrayante. - Vraiment? ^ - Essayez de vous imaginer une tete blanche et tout le \ reste du corps noir. - J'ai une idee, hurla mon directeur, le visage illumine. - Oui? - Tu vas teindre en blanc tout le reste du corps. Le peintre nocturne en sera marri. - Ce serait contre nature. Le marbre n'est pas fait pour etre enduit de vinyle. Cela ferait fuir tous mes amoureux. - Tes amoureux? Aurais-tu transforme ce lieu de loisir en un lieu de depravation? Si les devots de la ville decouvrent ce 84 85 DES NOUVELLES d'ALGÉRIE RACHID MIMOUNI qui s'y passe, ce sera Sodome et Gomorrhe. A leurs yeux, tu auras ajouté ľhérésie ä la iuxure. Car il ne faut pas oublier que notre religion interdit ľidolátrie. Elle affirme qu'il n'y a de Dieu que Dieu, et ta déesse paíenne chutera du haut de son piedestál. - Faut-il aviser le maire ? — Surtout pas. Si notre édiíe municipal est un superbe ignare, il n en est pas stupide pour autant. II sait qui vote pour lui, et son mandát arrive ä terme. Pour se rallier les suffrages des proselytes, il est capable de transformer ce lieu de detente en un lieu de culte. Et tu te retrouveras muni ďun pot de peinture et d'un pinceau en train d'errer le long des rues. J'avais fini par comprendre que mon directeur, tout ä la joie de son prochain depart, s'en lavait les mains. A mon retour, je passais devant le ŕleuriste qui me suívit des yeux en ricanant. - J'ai décídé de me reconvertir en droguiste, me lanca-t-il. On pourra trouver chez moi des pots de peinture de toutes couleurs et les meilleurs pinceaux. Je vendrai merne du diluant, pour ceux que 9a intéresse. Ma resolution se conforta pendant que je nettoyais Aphrodite: j'allais désormais passer mes nuits derriére le rideau de jasmin ä guetter le prédateur. Je voulais le surprendre en flagrant délit. Rentré chez moi aprés la fermeture du pare, j'avalai rapide-ment mon repas puis ressortís muni d'une couverture. Debout sur le palier, ma voísine me regarda descendre en ricanant. — Vbus feriez mieux de la déboulonner et de la mettre directement dans votre lit, me dit-elle. Ca ne doit pas étre tres commode de grimper sur son socle afin de ľétreindre. Les ébats en plein air ne conviennent plus á votre áge, sans compter ľhumidité nocturne qui réveillera la douleur de vos reins. Je m'apercus en effet que ľautomne avait rendu les nuits fraíches. Ma mine chiffonnée par le manque de sommeil 86 intrigua mes couples d'amoureux. Certains s'inquieterent de ma sante. II y eut meme un jeune homme qui me manifesta tant de sollicitude que je faillis lui confier mes soucis. Mais ma reserve coutumiere reprit le dessus et je me tus. Je savais que mes clients ne commencaient a arriver qua partir de dix heures. Aussi, apres deux nuits de veille, je voulus profiler du repit matinal pour me reposer un peu. Apres avoir ouvert la grille, je rejoignis done la retraite que menageait le rideau de jasmin. Lorsque j'ouvris les yeux, il etait midi passe. Je me levai precipkamment, confus de rn etre ainsi laisse prendre en defaut. Les sourires comprehensifs de mes visiteurs habituels excuserent ma faute. Mes rares moments de sommeil etaient tourmentes par des reves sanglants. Je voyais souvent une mitrailleuse lourde cracher le feu sur une ombre qui s'enfuyait dans la nuit. Le malfa'iteur n'osa plus reparaitre et au bout d'une semaine je crus que ma determination 1'avait definitivement dissuade de reproduire son forfait. Je commencai a m'inter-roger sur l'utilite de poursuivre mes gardes. Au cours de ma neuvieme nuit, alors que je somnolais en grelottant, une ample clameur m'eveilla. J'ouvris les yeux pour decouvrir une ville en emoi. II me fallut plusieurs minutes pour comprendre que cet eveil nocturne etait du a Parrivee de l'eau. Je rejetai done ma couverture pour aller brancher le tuyau. Au matin, j'eus la mauvaise surprise de revoir le masque dont on avait affuble Aphrodite. J'en deduisis que le criminel avait mis a profit le moment ou j'arrosais le pare pour recidiver. J'ai done decide' de ne plus quitter mon poste. Prives d'eau, les arbres se sont orioles. Les fleurs sont mortes. Le rideau de jasmin s'est desseche. Mes amoureux, qui avaient perdu leur havre discret, ont deserte le lieu. Tout periclite autour de moi. Constatant le desastre, mon predecesseur passe devant moi en ricanant. Mais je suis determine a rester en sentinelle aussi longtemps qu il le faudra. 87 DES NOUVELLES D'ALGERIE ailait s'agrandissant, et biencôt il ne resta plus au-dehors qu un petit groupe d'esprits lents et de coeurs endurcis, ou simple-ment d'hommes que trop ďémotions avaient complétement hébétés. Ils devaient plus tard donner naissance ä une petite minorite ďhérésiarques, qui s'exilérent eux-mémes dans une íle aux pauvres ressources, plus par entétement et par manque ďagilité dans l'esprit que vraiment par conviction. Le gros du peuple décréta tout de suite qu'il formait ľorthodoxie. Quand les orthodoxes furent épuisés de se lamenter en cadence, ils écouterent un poéte pleurer en phrases mélodieuses et dechirantes la mort du juste. Au dernier vers, le poéte dit qu'il ailait de ce pas prélever sur le cadavre un cheveu de sa tete pour le garder en souvenir ä I jamais et le léguer comme une relique vénérée aux enfants de ses enfants. Ce fut la ruée. En moins de trois minutes, le corps fut dépouillé et rendu f ä la nudité de la mort. Aux derniers arrives, il ne restait plus que la peau sur les os. lis essayérent ďenlever les ongles. Les plus zélés des fidéles se précipitérent sur eux et il fallut pour les arréter toute ľadresse de quelques comédiens de grand style, qui s étaient declares prétres de la religion nouvelle et \{ deja donnaient ľexégese du dogme et de la loi. •1 On chercha les bourreaux (les vrais) pour leur crever les yeux et les livrer vivants aux fourmis rouges qui pullulaient aux abords de la viíle, aux chacals, aux chiens errants: on les chercha longtemps, mais on ne les trouva pas. II faut croäre qu'ils avaient compris ďeux-mémes. Mohammed DlB Ne le 21 juillet 1920 a Tlemcen, dans I'Ouest algerien, Mohammed Dib meurt le 2 mai 2003 et est enterre a La Celle Saint-Cloud. Issn d'une famille d'artisans de la bourgeoisie cultivie tlemcenienne ruineepar la colonisation, ilfait des etudes primaires et secondares enfrangais. A ['adolescence, ils'initie au tissage et a la comptabilite et exerce ensuite divers autres metiers. II arrive dans I'arene litteraire apres la relative effervescence algeroise autour d'Edmond Chariot, editeur-libraire. II t&te du journalisme dans Alger republicain et dans Liberty organe du parti communiste. II publie son premier poeme, "Vega", dans la revue Forge, fondee par Emmanuel Robles, de retour a Alger apres la guerre en 1947, numho special, consacre a "la jeune poesie nord-africaine". II a publie aussi dans un hebdomadaire algerois, TAM, le 22 mars 1947, une nouvelle, « LAmi». C'est en 1952 qu'ilpublie son premier roman, La Grande Maison, grdce aux rencontres de Sidi Madani ou il a connu Francis Ponge et Jean Cayrol. Il participe aussi au reve de Senac pour la revue Soleil en Janvier 1950 et la revue Terrasses en 1952. Peu apres la publication, a Vete 1954, de son second roman, L'Incendie, dont on a pu apprecier le souffle primonitoire, Mohammed Dib prendpart a la resistance, en particulier par ses ecrits. En 1957, il publie son troisieme roman, Le Metier a tisser. Entre-temps, etselon un rythme d'alternance auquel il restera fidele jusqu'au boutentre les differentsgenres litteraires, il a publie son premier recueilde nouvelles, Au cafe, en 1955- En 1959, expulse d'Algerie par la police coloniale, il peut s'installer en France grace a I'intervention d'Albert Camus, Jean 33 DES NOUVELLES D'ALGERIE Cayrol, André Malraux et Louis Guiüoux. Cette meme année paraitson quatriéme roman, Un écé africain. En 1961, Ombre gardienne, son premier recueil de poémes, est publié avec une preface de Louis Aragon. Une fois linde-pendance acquise, lecrivain estime pouvoir reprendre sa Uberte ďécriture. Instaílé en France, ilfaitplusieurs tentatives de retour au pays qui se soldent par le silence des autorités sollicitées. En 1962, ilpublie Qui se souvient de la raer dont 1'écriture déroute les lecteurs, plusportés vers un realisme "décodable". Le rythme de publications est maintenu avec une régidarité étonnante et une diversité de preoccupations et de choix de creation passionnante: Cours sur la rive sauvage (1964), Le Talisman, recueil de nouvelles (1966), La Danse du roi (1968), Dieu en barbaric (1970), Formuiaires, poémes (1970), Le Maitre de chasse (1973), Omneros, poémes (1975), Habel (1977), Feu beau feu (1979), Mille hourras pour une gueuse, theatre (1980), Les Terrasses d'Orsol (1985), Ö vive, poémes (1987), Le Sommeil d'Eve (1989), Neiges de marbre (1990), Le Desert sans détour (1992), L'Infante maure (1994), Tlemcen ou les lieux de 1'écriture, album (1994), La Nuit sauvage (1995), L'Aube Ismael, récitpoétique (1996), L'Enfant-jazz, poémes (1998), Si Diable veut (1998), L'Arbre ä dires, essai (1999), Le Coeur insulaire, poémes (2000), Comme un bruit d'abeilles (2001), Simorgh, essai (2003). De 1952 a 1980, M. Dib édite au Seuil; de 1985 ä 1992 chez Sindbad; de 1994 á 2003 chez Albin Michel. L'ensemble de son ceuvre est en cours de réédition a La Dicouverte. Cette nouvelle, choisie avec Mme Colette Dib, est extraite de L'Arbre ä dires. Une lecture de substitution: la station de la Vache Dans ce douar du centre de 1'Algerie, dont les habitants se trouvaient a peu pres les seuls a connaitre le nom, Hamadi ne disposait que de ses bras et de la force dont ils bouillaient II les mettait bien a la disposition de quiconque en voulait contre son repas du soir sinon celui de midi: mais pour un aussi petit endroit, on denombrait deja trop de bras. Si loin de la qu on la croyait, la France le sut, elle en voulait, elle, de ses bras, elle 1'appela. Et le voici aujourd'hui a. pied d'ceuvre dans un chantier de construction, a Paris meme, oui monsieur. On n'y chome ni ne traine, pourtant on suffit tout juste a la tache. Hamadi ne parle pas le francais; il parle encore moins le parisien. Hamadi nen a pas besoin; pour ce quil en a a faire... II sait encore moins ecrire et lire, dans aucune langue. Mais sur son lieu de travail il n'est pas un cas unique. Pour aller a son chantier depuis la chambre qu il partage avec cinq autres de ses compatriotes, il a tout simplement invents un systeme de lecture personnel. II ne l'a cependant mis au point qu'avec l'aide et les conseils d'un ancien, comme lui locataire d'un lit dans la meme turne. Un compagnon aux connaissances illimitees, aussi illettre qu'il soit Iui-meme, mais 6 combien obligeant. L'ayant, le premier jour, accompagne au metro, celui-ci y est descendu avec lui. II lui a montre comment on s'y dirige, ce qu'on doit faire pour s'y reconnaftre. Puis le Hamadi reste seul au milieu de la foule. Il examine tout de tous ses yeux, enregistre les moindres details de la 34 35 DES NOUVELLES D'aLGERIE MOHAMiMED DIB station. Une affiche publicitaire retient en particulier son attention. Plus grande que les autres, elle représente une vache ďune taille inconnue. Elle lui sourit, c'est de bon augure. Une image qu'il déchiffre done sans difficulté, déjá familier qu'il est avec ce genre d'animal. Sans difficulté, elle se grave aussi dans son esprit avec boucles ďoreiiles et sourire. II est tranquille, pareille chose ne peut s'oublier. Cela, en prevision du retour, une fois la journe'e de travail finie. Quant á 1'aller, Hamadi n'a pas á s'en faire: ligne directe, terminus, il est arrive. Sans se douter qu'il a de'tourne le sens d'un signal con^u pour d'autres fins, il a baptise sa station de metro: station de la Vache. Ce repěre en téte, Hamadi, confiant, se rend a son travail ce premier jour et les suivants. Tout va bien pendant quelque temps. Puis arrive un jour ou, sur une ligne semblable a elle-méme, k ramenant, le méme train roule, continue de rouler, mais apparemment sans passer par la station de la Vache. Hamadi est pourtant sůr de n avoir pas une seule seconde fermé les yeux comme il voit d'autres voyageurs le faire. Le metro s'est-il trompe de route par hasard ? Hamadi se trouve soudain replongé dans i'etat d'angoisse des premiers temps. II est la et, autour de lui, de nouveau se dresse un monde ďétrangeté jaloux de ses secrets, de ses signes,un monde qui lui a retire sa confiance. Figé sur son banc, ne sachant que tenter, Hamadi passe des heures á rouler, á surveiller chaque station dans l'espoir de reconnaítre á la fin celle de la Vache. Peine perdue. II se fait tard déjá, le metro roule toujours. Hamadi ignorait qu'a un moment donné les affiches changent. Lui revient alors en mémoire ce qu'on lui avait dit une fois á propos de sa station; c'est quelque chose comme: bou burnous, l'homme au burnous, cette grande cape dont se couvrent les Bédouins. II descend de son train n'importe oil, au petit bonheur, et s'en va, accostant sur le quai une personne apres l'autre et brcdouillant devant chacune les mémes syilabes bou burnous. Les gens n essaient pas de comprendre son baragouin. lis s'ecartent sur son passage, méfiants, presses. Sa dégaine ne leur dit rien qui vaille d'ailleurs, et de lä ä penser qu'ils ont affaire ä un fou dangereux... Jusqu'au moment ou l'un d'eux, se laissant aborder, lui répond: - Ah, la station Montparnasse? - Oui, msieu! Oui, oui, oui, m'sieu! - Je vais te montrer