© INTRODUCTION » i i* 4 > 4 t < » A I U H > I H N f « f in» n t 4 i * « m m f k ä I y 8 e • i O s D E }■- M í k * N t, S t *i b ? .................. 213 6 I ti i f u (j R Ä P H I £ 229 Á ľentrée «francophone », le Trésor de la langue fran^aisc donne deux definitions::«čefui (celie).qui parle fefrancais ;«en:parlant ďune colíec-tivité, dont fa langue officielle ou dominante est le: frangais >>, et á «francophonie »: « ensemble de ceux qui parlent frangais; plus parrjcu-liérenient, ensemble des paýs de langue francaise». Ľädjectif «francophohe»,qui doit s'entendre dans un senspurement linguistique et descriptif, s'applique á uns communauté de sujets (groupé ethnique, peuple, nation), qui1 parle francais et, par extension, qui écrit en langue francaise: Le francais peutalorsétre langue premiére, ou seconde, langue nationale ou étrangěre, rriais il. doit remplirune:fohction véhicu-laire. Dans 1'abso'u, le. substantif «francophonie». derive de ľädjectif,. designe le faiťou láqualité de celui ou ce qui est« francophone». Derriere le mot «francophonie » se trouvent des realites linguistiques disparates. Le degre de maitrise de la langue varie du tout au tout selon les pays, les regions, les groupes sociaux, les individus. Comment comparer la situation linguistique a Geneve, Bruxeiles, Montreal et a Bamako, Casablanca, Port-au-Prince ? Que signifie, au juste, parler frangais ? Et qui parle frangais? Compte tenu de fa diversite des situations linguis-tiques, culturelles et sociopolitiques, le mot apparemment neutre de «francophonie » doit done imperativement etre mis au pluriel, car les francophonies sont n£cessairement multiples. II en est de meme des litteratures francophones. L'emploi des expressions «francophonie », « litterature francophones au singulier, n'a de sens que dans le contexte tres specifique d'une opposition aux autres -phonies: anglophonie, germano-phonie, hispanophonie, lusophonie, arabophonie, etc. et aux litteratures d'autres langues: la litterature francophone vs la INTRODUCTION introduction introduction 9 >■>-.'.•>. ,MFj'.>,.í,..ti> ,111-, Antilles ou en Afrique, par i < ?f tri...|.h.ifii.i^'if: p.*. liiri'! icftimt les «singularités francophones» ii...,,UMi-v 'uštu, (!'(•< nvdins issus de pays ou le frangais n'est ni i.i'pi'i.' ii.iiiuii.tl!', in méme langue de communication, ne serait-i. !• rjiu- jMiiu If", cliles. Certes, Cioran a fait le choix de renoncer hiiim.iin au profit du francais, mais il vient d'un pays qui a niif midition francophone collective, méme si le frangais n'y est p.r; l,t liingue offidelle. Samuel Beckett, Hector Bianciotti, Lorand Cinspar, qui ne sont pas de langue maternelle frangaise, ont fait le choix ďécrire en francais, de méme que Joseph Conrad ou Vladimir Nabokov pour I'anglais. lis peuvent ainsi étre qualifies de «francophones», mais leur choix reste strictement individuel et personnel, il n'engage pas une communauté de sujets. Á pro-prement parier, il n'existe pas de francophonie irlandaise, argentine ou hongroise, dans le sens ou Ton parle d'une francophonie haitienne, libanaise, suisse, ou méme roumaine. Le fait historique et culturel de la «francophonie », lui-méme, revet une signification double. Parmi les grandes aires géo-graphiques de diffusion de la langue francaise, en simplifiant et en schématisant á 1'extréme, on peut distinguer le « Nord », íe monde occidental, ou la langue francaise s'est développée libre-ment (méme s'ii s'agit de colonies de peuplement, comme au Canada), du « Sud » colonial et postcolonial, ou ia langue a été imposée par 1'impérialisme européen. Les francophonies colo-niales (ou postcoloniales) résultent d'une exportation ou ďune « dispersion » du frangais vers les Antilles, i'Afrique, le Proche-Orient, 1'océan Indien, le Pacifique, et se distinguent des francophonies « ataviques » (Glissant), qui correspondent aux líeux de la naissance et du développement de la langue francaise en Europe: France, Wallonie-Bruxelles et Luxembourg, Suisse romande, Val ďAoste, EfJCADRE N° 2 Monde francophone du «Nord»: Europe (Suisse, Belgique, Luxembourg, Val d'Aoste, Roumanie); Amerique du Nord (Quebec, provinces partiellement francophones du Canada: Acadie, Ontario, Manitoba), ou des £tats-Unis, quoique ä titre residue!: Louisiane, Vermont, etc.), Terre-Neuve... Monde francophone postcolonial du «Sud»: Afrique {Maghreb: Tuntsie, Algerie, Maroc) et Afrique subsaharienne (Cöte d'lvoire, Senegal, Tchad, Mali, Niger, Gabon, Cameroun, Congo...); Caraibe (Guyane, Martinique, Guadeloupe, Haiti); ocean Indien (Madagascar, Djibouti, Comores, Reunion, Maurice); Proche-Orient (Syrie, Liban, Egypte); Asie du Sud-Est (Vietnam, Cambodge, Laos); Pacifique (Nouvelle-Caledonie, Polynesie francaise). La diffusion du frangais outre-mer occasionne une rencontre, et souvent méme un « choc » des iangues, qui crée natureile-ment des situations plurilingues dans lesqueiles le frangais est en contact avec I'anglais, I'espagnol, le créole, I'arabe, le berbere, le wolof, le malinké, le malgache, etc. Les littératures francophones des Antilles, du Maghreb et d'Afrique subsaharienne portent la marque évidente d'une interaction des Iangues et des cultures, dans une confrontation parfois violente. Certes, les histoires des deux mondes se croisent, se rejoignent et s'entrelacent, mais elles produisent des situations trěs différentes, suscitant á leur tour des rapports á la langue et á la culture frangaises radicale-ment difterents, qui influencent de maniěre decisive la production littéraire. Un abime séparé la francophonie en Algérie, province arabe de I'Empire ottoman iorsqu'elle est conquise par I'armee frangaise en 1830, et en Suisse romande, ou I'on parle frangais depuis que le frangais existe, et qui n'a jamais été sous domination frangaise. Les differences de situation sont méme si profondes que certains critiques s'interrogent sur la pertinence de I'idee de «francophonie » (ou de toute autre -phonie, du reste) pour rapprocher des littératures et des cultures que parfois tout séparé. Cest le critére de la langue, sur lequel est fondée 1'idée méme de «francophonie », qui est ainsi remts en question puisque « lidentité ne se réduít pas a la langue » (Quaghebeur, ! INTRODUCTION | {INTRODUCTION introduction »•>'•- -Hi wi '-ii ttci4,i) (fn probleme philosophique des f ij..,.. .i?,. <>ji, ia !.,!i,ffic h hdcrttite, ou plutot ies langues et les . ,uf I. tl (.unit,j itjvenir, il n'en demeure pas moins • j.^ if. .-(irt-.'.HMr. " .literatures francophones » et «franco-|ih. ,(.«• .. *.c -,, .nt imposees, au prix de malentendus et de contro- %,')-f,i-. Iflflf III", A(ttf', lii conference de Brazzaville en 1944, dans laquelle le w«'tn"'N)| df Gaulle, chef du gouvernement provisoire d'Alger, propose line evolution du statut des colonies en Afrique, la constitution de la IVs Republique franchise, en 1946, prevoit la creation d'une Union frangaise reunissant la metropole et ses colonies. Entre-temps, a ['initiative de Cesaire, depute communiste a I'Assemblee Rationale et artisan de la loi de « territorialisation », la Martinique et la Guadeloupe sont devenues des « departe-ments d'outre-mer». Sous la Ve Republique, apres le processus des independances qui s'acheve avec la guerre d'Algerie et les accords d'Evian en 1962, il ne reste plus ~ officiellement, du moins - de I'ancien empire colonial francais que les departements etterritoires d'outre-mer, partie integrante du territoire national. Se pose alors pour la plupart des nouveaux Etats - a i'excep-tion de l'Afge>ie et du Vietnam, ou encore de la Guinee, qui accusent Paris de « neocoloniaiisme » - la question cruciale des relations avec I'ancienne puissance coloniale. La France reste de toute facon encore presente a travers ses capitaux, ses interets economiques, ses commergants, ses fonctionnaires, ses profes-seurs - et surtout sa langue. Sous I'impulsion de Senghor, de Bourguiba et de quelques autres, germe I'idee, inspiree du Commonwealth britannique, d'une Communaute des pays francophones, que rapprochent une histoire et une langue communes. En 1969, se reunit a Niamey (Niger), la premiere conference intergouvernementale des Etats francophones. Le 20 mars 1970, lors d'une deuxieme conference a Niamey, 21 pays decident de creer une Agence de cooperation culturelle et technique (acct), qui devient I'Agence intergouvernementale de la francophonie, puis reorganisation international de la fran-cophonie (of) en 2005. L'oif, dotee d'un budget important, finance des actions en faveur du developpement de la langue et de la culture francaises et organise, tous les deux ans, un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement « ayant le francais en par-tage» (voir Poissonnier, Sournia, 2006; oif, 2007). Ces institutions, relayées par de nombreux organismes et associations (de parlementaires, de journalistes, d'avocats, de professeurs, etc.), constituent fa Francophonie en queique sorte « officieile ». Le Quebec joue un röle determinant dans ce projet politique international, mais la communaute est tout de méme largement per-cue ä I'etranger comme une sorte de « club » des anciennes colonies animé par le president de la Republique frangaise, qui use de son influence dans les reunions internationales. Par ses origines et par son histoire, la Francophonie avec une majuscule revet done une signification éminemment politique qui alimente toutes les controverses depuis les années 1960, comme en témoi-gne le fait qu'un pays comme I'Algerie ait longtemps refuse ďappartenirá ses instances. Certes, ia «Francophonie» se distingue en théorie de la «francophonie». Selon une tradition politique héritée du xixe siede, on oppose parfois la « nation », qui designe le pays «officiel» pour l'administration, au «peuple» qui constitue le pays «reel ». De la méme facon, il existe une francophonie « reelle », de terrain, qui ne correspond pas nécessairement ä la Francophonie politique. Le Senegal et ia Tunisie relěvent ä la fois de la Francophonie et de la francophonie, tandis que I'Algerie recuse la Francophonie alors méme que le francais y reste encore largement en usage. L'Egypte, ou la francophonie se limite ä une elite, joue quant ä eile un röle important dans les instances de la Francophonie. Au centre de la Francophonie, sur le territoire de la Republique frangaise eile-méme, qui ne reconnart que le fran-gais comme langue officieüe, d'autres langues sont parlées chaque jour par des milliers de sujets, non seulement des langues européennes (ou supposées telles), «regionales » comme le bre-ton, le corse, le Catalan, le basque, I'alsacien, que certains considered comme en sursis, mais encore des langues véhiculaires non européennes comme I'arabe, le berbere, le turc, le wolof, le malinké (pour ne pas citer le Creole, qui pose des problěmes spécifiques)... Toutes ces langues conduisent ä interroger I'ade-quation de la «francophonie» ä la «Francophonie» en France méme. INTRODUCTION introduction introduction :|^';v.MtM§ la iangue el le politique sont intimement lies, y compris i>\ Mifiuut i>ii hlU'uiure. Dans I'usage, en fait sinon en droit, il i'.n.iii bjfii difficile de distinguer la « Francophonie » officielle et francophones: prix Athanase David, prix du Gouverneur géné- I ral au Quebec1, prix Ramberten Suisse, prix de l'Academie royaie \ de Belgique ont une audience confidentielle, compares aux pres- Í tigieux prix anglo-saxons comme le Booker Prize ou le Pulitzer. Le | Grand prix de la Francophonie décerné par l'Academie frangaise | depuis 1986, ä Georges Schehadé, Albert Cossery, Salah Stétié, f-, Frangois Cheng, n'änteresse guěre les médias, surtout ä l'etran- 1. Attribué pour la premiére fots á un anglophone en 2007, Yann Martel, pour Le ft Regne de Pi, cequi n'a évidemment pas manqué de susdterdes polémiques... | ger. Le Nobel de litterature lui-meme, suffit-il a assurer le rayon-nement de la litterature en frangais? La notoriete discrete de Le Clezio dans le monde anglo-saxon incite a en douter. Depuis sa creation, en fait de francophones non frangais, seuls Maeterlinck et Beckett (et encore, en tant qu'lrlandais bilingue) ont regu le prix. Senghor et Cesaire auraient largement pu y pre-tendre, compte tenu de leur audience internationale mais, outre des raisons politiques, le jury leur a prefere des auteurs de langue anglaise issus eux aussi du monde postcoioniaS, Wole Soyinka, V.S. Naipaul, Derek Walcott, John Maxwell Coetzee, Doris Lessing, de tres grande envergure eux aussi. Le prestigieux Booker Prize, reserve au Commonwealth, a maintes fois ete attribue a des auteurs qui n'etaient pas d'origine britannique, comme Salman Rushdie, Ben Okri, Arundhati Roy, Kazuo Ishiguro, parmi lesquels seront elus, un jour ou I'autre, les futurs Nobel. Que le Goncourt ou le Renaudot soit attribue a Tahar Ben Jelloun, Amin Maalouf, Patrick Chamoiseau, Jonathan Littell ou Alain Mabanckou ne suffit maiheureusement pas a mettre ces derniers en lice pour le Nobel - d'autant moins que Seur selection est loin d'etre au-dessus de tout soupgon, contrairement aux prix anglo-saxons, qui repondent a des criteres exdusivement litteraires. En France meme, loin de constituer un atout, la langue frangaise se revele paradoxalement un obstacle: Plus je reflechis sur les destinees de la litterature canadienne, moins je iui trouve de chance de laisser une trace dans I'histoire. Ce qui manque au Canada, c'est d'avoir une langue a Iui. Si nous parlians iroquois ou huron, notre litterature vivrait. Maiheureusement nous parlons et ecrivons d'une assez piteuse facon, il est vrai, la langue de Bossuet et de Racine. Nous avons beau dire et beau fairs, nous ne serons jamais, au point de vue iitteraire, qu'une simple colonie; et quand bien meme le Canada devien-drait independant et ferait briller son drapeau au soleil des nations, nous n'en demeurerions pas moins de simples colons litteraires. Voyez la Beigique, qui parle la meme langue que nous. Est-ce qu'il y a une litterature beige? Ne pouvant lutter avec la France pour la beaute de la forme, le Canada aurait pu conquerir sa place au milieu des litteratures du vieux monde, si parmi ses enfants il s'etait trouve un ecrivain capable d'initier, avant Fenimore Cooper, i'Europe a la grandiose nature de nos forets, aux exploits iegendaires de nos trappeurs et de nos voyageurs. INTRODUCTION introduction - f i, -. -,jí si„i iiii-m tncinc tin talent aussi puissant que celui ,!, * .,; 'h> />. ,tiM {/,"> Mohicans se révélerait parmi nous, ses ... m» piMtbiniiieiil aiitune sensation en Europe, car il aurait i,...(»m i!'!*- tmi il'.tinvcr le second, c'est-a-dire trop tard. Je le .♦p. i.* .t ni'ir, p.dlions Huron ou iroquois, les travaux de nos .Kdit'tdicnt I'attention du vieux monde. Cette langue hi,i[c H iifivense, née dans les foréts de 1'Amérique, aurait cette jKK'.-.ir ciu Lfii qui fait les délices de 1'étranger. On se pámerait ilcv.ini un roman ou un poéme traduit de I'iroquois, tandis que Ton ne prend pas la peine de líre un íivre écrit par un colon du Quebec ou de Montreal. Depuis vingt ans, on publie chaque année, en France, des traductions de ronrtans russes, scandinaves, roumains. Supposez ces mémes livres écrits en francais, ils ne trou-veraient pas cinquante lecteurs. (Crémazie (1867), 2006, p. 130) Ce constat pessimisíe a été formule il y a déjá bien longtemps, en 1867, á Paris. On ne parlait pas encore de littératures francophones, mais toutes les questions étaient déjá posées. Le poete et éditeur canadien francais Octave Crémazie, figure majeure du romantisme, exile á Paris pour échapper á ses créanciers, correspond avec un ami reste au Quebec. II dresse un diagnostic sans appe! sur la littérature du Canada francais dont il est I'un des pěres fondateurs. Étendu de la littérature canadiennefrancaise á la littérature « québécoise », dont la notion ne s'impose qu'un siécfe plus tard, et de lá aux littératures francophones dans leur ensemble, ce constat reste encore ďurte saisissante actualité en 2010. Les contemporaíns, eux, se méfient ďune consecration univer-sitaire, pourtant assez rare et parcimonieuse, surtout en France. Ainsi du romancier djiboutien Abdourrahmane A. Waberi: Á 1'université, le sort des écritures dites «francophones» n'est pas á envier davantage. La měme pensée systématique, para-phrastique et in fine hiérarchisante rěgne dans les coulisses quand eíle ne déroule pas ses muscles dans les amphitheatres et dans les pages des manuels édictés depuis le sommet de la pyramide. On réduit la prose ou le poéme «francophone » au document et, lorsqu'on iui accorde une capacité subversive du bout des lévres, c'est presque toujours sur le terrain sociopolitique, et presque jamais sur íe terrain formel. [...] Cest ainsi que íe poéme ou la prose en question se trouve neutralise dans sa spécificité et son tumulte propres, renvoyé au folklore et a ía vulgátě socíologique, a 1'univers préhistorique des contes et des légendes, réduit en introduction _h note de bas de page noyee dans le desert glace de I'abstraction. (Abdourahmane A. Waberi in Le Bris, Rouaud, 2007, p. 69-70) Waberi, lui-meme professeur, est I'auteur d'un roman hila-rant qui, renversant le point de vue ethnocentrique, represente la culture occidental ä partir d'une Afrique devenue dominante, £tats-Unis d'Afrique (2006). il dresse un tableau accablant de la situation des litteratures francophones dans I'universite franchise, qu'on retrouve sous la plume des autres signataires du manifeste. La literature comme telle, il est vrai, est souvent le parent pauvre des etudes francophones, ou prevalent des preoccupations ethnographiques, sociologiques, ideologiques qui transforment le texte en document, negligeant I'ecriture qui lui donne sa qualite litteraire. Cependant, lä encore, la critique n'est pas nouvelle. La caricature du cours de literature fastidieux dispense ä la Sorbonne par un mandarin fatigue est devenue un cliche, bien qu'elle ne soit evidemment pas toujours sans fondement... C'est aussi une facilite pour t'ecrivain, francophone ou non, de denigrer la critique, alors qu'il n'est pas lui-meme insensible ä la reconnaissance universitaire, qui passe par les cours, les seminaires, les conferences, les colloques qu'il est de bon ton de dealer. Mais il ne faut pas oublier que nombreux sont ceux qui, parmi ces ecrivains francophones, sont ou ont ete professeurs, d'Aime Cesaire ä Edouard Glissant, de Maryse Conde ä Raphael Confiant, de Leopold Sedar Senghor ä Mongo Beti, de Tierno Monemembo ä Alain Mabanckou. Les litteratures francophones, comme du reste fa litterature francaise, sont sou-vent des litteratures de professeurs, meme si le style n'en est plus aujourd'hui un style « d'instituteur», comme on a coutume de le dire ä propos des textes fondateurs des annees 1950. Le tableau parait en fait correspondre ä la situation des litteratures francophones des annees 1970-1980, quand Waberi etait encore etu-diant. A ce moment-lä, enseigner les litteratures francophones n'allait pas de soi, tant s'en faut. Le cliche est d'autant plus sujet ä caution que Waberi oppose I'universite frangaise aux universi-tes americaines, qui auraient selon Sui, « une tout autre attitude, denuee de ce paternaiisme drape des ideaux de Ja Revolution et des Lumieres», d'un autre age. II suffit de frequenter les campus INTRODUCTiON .... ^xíIm^u, J.-! i.. Mum '.<.• persuader qu'ils sont loin d'etre exempts -i. í u,;.( iihii-, [),ií Waberi, méme lorsque des écrivains ..■)»• it,' i-h-.s'iijiii'nt. te «politiquement correct» qui y regne • f> j.itl it •. .MKii'f", 1980, mauvaise conscience moderně á 1'égard ifř", ívfííi rtfíióncains et des minorités, n'est pas toujours exempte lit* (j,t tor nalisme, voire de condescendance. Mais il est exact que ft-, programmes de Francophone and Postcolonial Studies ou upent une place de choix dans les cursus universitaires anglo-saxons, dont les universités franchises devraient s'inspirer. Dans un systéme universitaire concurrentiel, oů les universités privées jouent un ró!e moteur, il y a certes des raisons économiques au développement des études francophones. II s'agit en effet d'atti-rer des étudiants issus des minorités, afin de bénéficier des subventions accordées par 1'État pour la ((discrimination positive*. Mais ťintérět pour les cultures minoritaires n'en est pas moins reel, dans une tradition universitaire plus ouverte á Pimmigration et sans doute moins attachée aux « canons » occidentaux. Les iittératures francophones restent encore trop peu pré-sentes dans les programmes universitaires hexagonaux, en parti-culier pour les concours de recrutement des professeurs. Mais Kateb Yacine est désormais inscrit au concours ďentrée á 1'École normále supérieure de Lyon, et on peut espérer (réver?) le voir figurer un jour au programme des agrégations de fettres. Senghor est le seul auteur francophone á n'y avoir jamais figure pour le tronc commun de littérature, méme si Césaire vient d'y entrer pour Pépreuve de littérature comparée, sous le thěme de 1'épique moderně. Mais á quand un programme tncluant Mohammed Dib (Algérie), Ahmadou Kourouma (Cóte ďlvoire), Jacques Roumain (Haiti), Georges Schehadé (Liban), Charles-Ferdinand Ramuz (Suisse), Ghelderode (Belgique), Gaston Miron (Quebec)? Les choix timides des jurys pour la littérature du xxe siécle qui, en fait de francophonie, ne s'aventurent guěre au-dela de Saint-John Perse et de Beckett, sont révélateurs ďune méconnaissance plus que ďun rejet, encore que se pose réguliěrement ia question des « classiques» de la littérature francaise, c'est-á-dire des « canons » littéraires. Mais Césaire, sans doute plus lu que Saint-John Perse, pourtant inscrit au programme á deux reprises en vingt ans, n'est-il pas désormais devenu un « classíque » ? Certes, le programme de introduction _^9 specialitě des series littéraires du baccalauréat, aprěs Senghor, a justement accueilli Césaire; mais celui-ci a été retire au bout d'une année seulement, sans doute en raison du caractěre subversif du Discours surle colonialisme, qui était associé au Cahierďun retour au pays natal... Depuis lors, plus d'auteurs«francophones». Néanmoins, des progres considerables ont été accomplis ces derniěres années. Si í'on considěre les différentes « aires » cultu-relles francophones abordées dans les programmes universitaires, le Maghreb, les Antilles et, dans une moindre mesure 1'Afrique subsaharienne occupent une place dominante, mais au detriment d'autres aires, moins connues comme le Proche-Orient, 1'océan Indien et le Pacifique, ľ Asie du Sud-Est, l'Europe, et méme i'Amé-rique du Nord, qui ne se limite pas au Québec. L'enseignement est en outre trop souvent cloisonne, en raison de la nécessaire specialisation des chercheurs. Les approches transversales et synthé-tiques sont peu répandues dans le champ francophone (Combe, 1995; Beniamino, 1999; Moura, 1999; Gauvin, 2007), ä la difference du domaine postcolonial anglophone. Hormis ['heritage de la catégorie, désormais obsolete, des Iittératures dites « négro-africaines», dans laqueile figuraient conjointement des auteurs antillais et africains sur ía base de la « négritude », trop rares sont encore aujourd'huí les enseignements qui croisent différentes aires des Iittératures francophones. II reste encore ä faire dialoguer Kateb Yacine (Algérie) avec Hubert Aquin (Québec), René Depestre (Haiti) avec Jacques Rabemananjara (Madagascar). Comparaison n'est pas raison, certes, mais les Iittératures francophones, comme toutes les Iittératures, sont ouvertes les unes sur les autres, de sorte que des échanges s'établissent non seulement avec la littérature francaise, qu'il serait absurde de dénier ou méme de sous-estimer, mais avec les autres Iittératures francophones, angíophones, etc., du Sud comme du Nord. En outre, lorsque les iittératures francophones sont intro-duites dans ľuniversité francaise et dans la critique, dans les années 1960, elles sont souvent présentées en annexe de ľhis-toire de la littérature franchise, comme leur prolongement naturel. Les principaux auteurs, systématiquement rapportés ä íeurs « maitres» ou moděles francais, sont analyses et jugés ä ľaune de la littérature francaise ou d'autres Iittératures europhones en introduction introduction . • I f a jiiim que Kateb Yacine est systemati-i , .J..- tie i.wlkner, Senghor de Claudel et de rh= iyi u i.im'm de Rimbaud. Certes, ces rapproche-,td «..ml»"., m.iis ils tendent souvent ä attenuer la singu-»-,'.*) ri i'Hiqiu.ilile des ecrivains francophones. La critique liwmmppp pas toujours aux prejuges ethnocentriques, adoptant Uhr ,i!iiiudf> paternaliste un peu condescendante ä i'egard de fa • |n'm[)h£rie ». Mais, ä leur decharge, les ecrivains eux-memes ne nianquent pas de se regerer ä ces modeles francais ou occiden-taux pour legitimer leur demarche. Iis sont surtout des lecteurs admiratjfs {et pas seulement des imitateurs, comme on voulut le dire): Kateb cite le nom de Faulkner dans la preface de Nedjma, Senghor avoue sa dette ä I'egard de Claudel et de Peguy, Tchicaya U'Tam'si intitule son premier recueil Le Mauvais sang, en hommage au titre d'une section ö'Une saison en enfer. Aujourd'hui, les litteratures francophones, ayant acquis une cer-taine legitimite institutionnelle, sont au contraire parfois artificiel-lement couples de ta litterature dite «francaise », mais aussi des autres litteratures europhones, en particulier anglophone, avec lesquefles elles sont pourtant en dialogue etroit et constant. Les litteratures francophones s'inscrivent dans un reseau de relations avec les autres litteratures du Sud en langues europeennes ou vernacufaires, mais aussi avec les litteratures occidentales. Waberi observe ainsi fort justement: Je ne vois pas pourquoi je devrais m'approprier Kateb Yacine plus qu'Henri Michaux. A la limite, la plus grosse insufte qu'on puisse me faire, c'est me reprocher de m'interesser ä Joyce, sous pretexte que je suis un taivain du tiers-monde. Certains pensent qu'un ecrivain du tiers-monde doit faire une ütterature utilitaire, puisqu'il vient d'un pays, d'un continent oü ii y a 70 % d'anal-phabetes. (Cite par Nongo-Mboussa, 2002, p. 104-105) A renvoyer ainsi l'ecrivain du Sud ä ses congeneres et aux urgences socio-economiques, la critique reproduit les prejuges ethnocentriques qu'elle pretend denoncer. Les differentes aires de la francophonie elles-memes gagnent ä etre mises en « Relation », comme y incite non seulement le « metissage » sengho-rien, mais encore la « Poetique du Divers» defendue par £douard Giissant, par-delä la logique des identites nationales, qui preside encore ä VHistoire comparee des litteratures francophones (1981) d'Auguste Viatte, un precurseur. il faut tenter d'eviter I'hypersp^-cialisation ä laquelle invite fatalement rimmensite du champ. Depuis quelques annees, ä la mesure meme du phenomene des «ecritures migrantes » (voir chapitre 6, p. 189) et de I'« hybri-dite » postcoioniale (Bhabha, 2007), les etudes sur les echanges et passages entre les cultures se muftiplient, fort heureusement. * * * A quoi bon se risquer encore, apres tant d'autres, ä ecrire sur les litteratures francophones ? Et d'ailleurs, les litteratures francophones - « peripheriques », « mineures», « postcoloniales », « migrantes», comme on voudra - existent-elles? £n definitive, ne sont-elles pas une pure construction de I'esprit (journalistique et universitaire) pour rassembler, de maniere artificielle, des auteurs inscrits dans des histoires et des cultures heterogenes, et qui n'ont rien d'autre en commun que la langue ? Mais I'argu-ment nominaiiste vaut pour toute tentative de regroupement d'ecrivains et de textes: pour les litteratures «francophones» aussi bien que « postcoloniales», « migrantes», ou tout simple-ment pour les litteratures «africaine», « maghrebine », «antil-laise », etc. Le romancier togolais Kossi Efoui declare en effet, ä propos du romancier et dramaturge congolais Sony Labou Tansi, auteur de La Vie etdemie (1979): Pour moi, la litterature africaine est queique chose qui n'existe pas. Quand Sony Labou Tansi ecrit, c'est Sony Labou Tansi qui ecrit, ce n'est ni fe Congo ni I'Afrique. On peut identifier un arriere-plan culturel, mais ce n'est pas une question litteraire - celle-ci est ailieurs. La litterature africaine peut exister comme queique chose de fabriquö, comme une question qui est interessante d'un point de vue sociologique, pas d'un point de vue litteraire ! Elie existe peut-etre comme une reponse ä un libraire qui a besoin de classer ses iivres. C'est une forme de classification comme une autre. (Mongo-Mboussa, 2002, p. 140) Toute histoire litteraire est une construction a posteriori. II appartient au chercheur et au critique de donner une pertinence INTRODUCTION 2 2 introduction ä ces categories, que la seule appartenance ethnicolinguistique ne suffit pas ä legitimer. Certes, les rapprochements par-delä les langues d'auteurs inscrits dans une culture ou une histoire communes, peuvent paraTtre justifies. Edouard Glissant a evidemment plus d'affinites avec le poete antilfais Derek Walcott, anglophone et creolo-phone de Sainte-Lucie, qu'avec ses contemporains suisses ou beiges. Nombre d'ecrivains de langue francaise se referent pius volontiers aux litteratures americaines, par exemple, qu'ä la iitte-rature francaise. Mais il n'en demeure pas moins que la langue, toute langue, est dejä en soi un facteur commun, parce qu'elle est porteuse de representations susceptibles d'etre partagees. La theorie postcoloniale elle-meme se concentre sur les textes de langue anglaise, quoiqu'elle cite (le plus souvent en traduction) Fanon, Memmi, Cesaire et les penseurs de la « French theory » : Foucault, Derrida, Lacan, Lyotard ou Deleuze. Et les critiques anglophones qui travaiMent dans le domaine des Francophone Postcolonial Studies (Forsdick, Murphy, 2003) n'operent que rarement des rapprochements avec le champ anglophone. Le clivage des iangues et le partage des savoirs subsistent, meme outre-Manche et outre-Atlantique. Ce sont ces representations communes du monde (on n'ose dire, comme Senghor, des «valeurs») qui donnent une fonction heuristique au qualificatif «francophone» (comme ä ceux d'«anglophone», «hispano-phone », etc.), pourtant vague et insuffisant, surtout ä l'heure de la litterature mondiale. Faut-il se resoudre ä I'alternative accablante proposee par Waberi, qui se demande «s'il faut se Jeter dans ia Seine comme Paul Celan le fit pour d'autres raisons hautement brulantes», ou au contraire, par opportunisme, «rejoindre la francophonie emplumee, juchee sur sa rente linguistique tel un notaire sur ses actes, dont Senghor avait jadis trace les contours » ? Faut-il, comme le propose cyniquement Mabanckou, «manger dans tous les räteliers de institution francophone » ? L'identite ne se redutt certes pas ä la langue, mais celle-ci demeure tout de meme essentielle. Existe-t-il dans et par la langue francaise une certaine communaute «d'esprit» (comme dirait Senghor, ä nouveau), ou plutöt de pensee ? Entre des romanciers aussi dif- introduction _2_± ferents que Waberi (Djibouti), Mabanckou (Congo), Laferriere (Haiti/Quebec), Godbout (Quebec), Sansal (Algerie), Svit (Slovenie), Layaz (Suisse), Dai Sije (Chine), tous signataires du manifeste Pour une litterature-monde, se tissent les liens etroits d'une « Relation » qui, peut-etre, passe par la langue. Paradoxa-iement, c'est le refus de l'idee de Francophonie qui rassemble ces ecrivains sous la banniere d'une litterature-monde en fran-cais. Cette communaute «inavouee », fragile et incertaine des litteratures francophones malgre elles, si hypothetique ou pro-blematique qu'en soit la denomination, interroge la litterature eile-meme. Les etudes dites francophones sont un laboratoire de la theorie litteraire. Reflechir ä la place et ä la signification des litteratures francophones, c'est reflechir au Statut de la litterature comme telle. ■i. ■I INTRODUCTION