Principes philosophiques sur la matiere et le mouvement Je ne sais en quel sens les philosophes ont suppose que la matiere était indifferente au mouvement et au repos. Ce qu'il y a de bien certain, c'est que tous les corps gravitent les uns sur les autres, c'est que toutes les par-ticules des corps gravitent les unes sur les autres, c'est que dans cet univers tout est en translation ou in nisu, ou en translation et in nisu ä la fois1. Cette supposition des philosophes ressemble peut-étre ä celle des géo-mětres qui admettent des points sans aucune dimension, des lignes sans largeur ni profondeur, des surfaces sans épaisseur, ou peut-étre parlent-ils du repos relatif d'une masse ä une autre. Tout est dans un repos relatif en im vaisseau battu par la tempéte. Rien n'y est en un repos absolu, pas méme les molecules agrégatives ni du vaisseau ni des corps qu'il renferme2. S'ils ne concoivent pas plus de tendance au repos qu'au mouvement dans un corps quelconque; c'est qu'apparemment ils regardent la matiere comme homogene; c'est qu'ils font abstraction de toutes les qualités qui lni sont essentielles; c'est qu'ils la considěrent comme inalterable dans l'instant presque indivisible de leur speculation. C'est qu'ils raisonnent du repos relatif ďun agregát ä un autre agregát, c'est qu'ils oublient que tandis qu'ils raisonnent de 1'indifférence du corps au mouvement ou au repos, le l. Cette distinction entre mouvement visible qui se traduit par un déplacement, un transport, une translation, et mouvement interne, invisible, constitue, on Pa vu dans PIntroduction, une des conditions de la these materialisté, depuis Toland. Diderot établit un parallele cntre la gravitation newtonienne, macrosco- pique, et la gravitation moleculaire, micros-copique. 2. La critique de Pabstraction mathematique et l'image du vaisseau se trouvent deja chez Toland. Voir L. G. Crocker, «John Toland et le materialisme de Diderot », RHLF, 1953. 13 DIDEROT PRINCIPES PHILOSOPHIQUES bloc de marbre tend, ä sa dissolution3; c'est qu'ils aneantissent par la pensee et le mouvement general qui anime tous les corps, et leur action parti-culiere des uns sur les autres qui les detruit tous; c'est que cette indifference, quoique fausse en elle-meme, mais momentanee, ne rendra pas les lois du mouvement erronees. Le corps, sehn quelques philosophes, est, par lui-meme, sans action et sans force; c'est une terrible faussete, bien contraire ä toute bonne physique[,] ä toute bonne chimie; par lui-meme, par la nature de ses qualites essentielles, soit qu'on le considere en moleculeA soit qu'on le considere en masse, il est plein d'action et de force. Pour vous representer le mouvement, ajoutent-ilsB, outre la mattere existante, il vousfaut imaginer une force qui agisse sur eile. Ce n'est pas cela. La molecule douee d'une qualite propre ä sa nature, par elle-meme est une force active. Elle s'exerce sur une autre molecule qui s'exerce sur eile. Tous ces para-logismes-lä tiennent ä la fausse supposition de la matiere homogene. Vous qui imaginez si bien la matiere en repos; pouvez-vous imaginer le feu en repos? Tout dans la nature a son action diverse, comme cet amas de molecules que vous appelez hfeu4. Dans cet amas que vous appelez feu, chaque molecule a sa nature, son action. Voici la vraie difference du repos et du mouvement; c'est que le repos absolu est un concept abstrait qui n'existe point en nature; et que le mouvement est une qualite aussi reelle que la longueur, la largeur et la pro-fondeur. Que m'importe ce qui se passe dans votre tete? Que m'importe que voüs regardiez la matiere comme homogene ou comme heterogene ? Que m'importe que, faisant abstraction de ses qualites, et ne considerant A. molecules N2 3. Ce bloc de marbre est recurrent dans l'ceuvre de Diderot. Sous forme d'une statue de Falconet dans YEntretien avec d'Alembert, il est « reduit en poudre impalpable »; sous forme d'un rocher dans Jacques le fataliste et dans le Supplement au voyage de Bougainville, il tombe en poussiere au-dessus des amants qui croient pouvoir se prater un serment de fidelite. C'est encore un rocher qui s'afFaisse dans le Salon de 1767 (A.T., XI, 229; Salons, t. Ill, p. 228-229). b. ajoutent-ils [romain] N2 4. « II semble bien, comme le remarque Jean Mayer, que Diderot considere le feu comme un corps: il parle de molecules de feu et regarde l'oxydation comme une destruction » (Diderot, homme de science, p. 184). On (rouve en efFet plus bas une « molecule ignee» et les Pens6es sur Vinterpretation de la nature evoquaient deja. des « molecules d'air, de feu » (§ xxvi, 5; DPV, IX, 61). 14 4 'i que son existence, vous la voyiez0 en repos ? que m'importe qu'en consequence vous cherchiez une cause qui la meuve ? Vous ferez de la geometrie er de la metaphysique, tant qu il vous plaira. Mais moi qui suis physicien er chimiste; qui prends les corps dans la nature et non dans ma tete5, je les vois existants, divers, revetus de proprietes et d'actions et s'agitant dans l'univers comme dans le laboratoire oü une etincelle ne se trouve point ä cot6 de trois molecules combiners de salpetre, de charbon et de soufre, sans qu'il s'ensuive une explosion necessaire6. La pesanteur n'est point une tendance au repos, c'est une tendance au mouvement local. Pour que la matiere soit mue, dit-on encore0, il faut une action, une force; tmi, ou exterieure ä la molecule, ou inherente, essentielle, intime ä la molecule, et constituant sa nature de molecule ignee, aqueuse, nitreuse, alcaline, sulfureuse. Quelle que soit cette nature, il s'ensuit force, action d'elle hors d'elle, action des autres molecules sur elle. La force qui agit sur la molecule, s epuise. La force intime de la molecule ne s'epuise point. Elle est immuable, eternelle. Ces deux forces peuvent produire deux sortes de nisus; la premiere un nisus qui cesse; la seconde uu nisus qui ne cesse jamais. Done il est absurde de dire que la matiere a une opposition reelle au mouvement. c. voycz N2 5. Le refus d'une physique abstraite qui reduit la complexite du reel, apparait des les Pensees sur I'interpretation de la nature (§ x): « [...] par malheur, il est plus facile et plus court de se cmiMilter soi que la nature » (DPV, IX, 34). Vend'dans l'article principes de ['Encyclopedic critique egalement l'idee de « matiere unique ou homogene », « pur concept », « etre abstrait ». Lorsque l'esprit applique des lois qui decoulent d'une telle idee, « ä des sujets qui existent reellement et hors de lui», il « prend sa chimere pour la realite » (ENC, XIII, 376 a). Diderot parlera plus bas de s'obstiner « ä consi-ilcrcr les choses dans sa tete » plutot que dans l'univers. (>. Ce compose de salpetre, de charbon et de soufre est la poudre ä canon, comme l'explique d. dit-on encore [romain] N2 l'article correspondant del'EncyclopMe : « composition qui se fait avec du salpetre, du soufre et du charbon m£les ensemble, et mise en grains qui prennent aisement feu ou s'etendent avec beaucoup de violence par le moyen de leur vertu elastique » (XIII, 190 b). Le Systhne de la nature prend l'exemple d'un autre melange explosif: «En melant ensemble de la limaille de fer, du soufre et de l'eau, ces matieres ainsi mises a. la portee d'agir les unes sur les autres, s'echauffent peu a peu, et fmissent par produire un embrasement» (I, p. 23). Mais la poudre a canon est citee aux chapitres 4 et 11. Le Bon Sens evoque le pyrophore, compose chimique qui s'embrase au contact de l'air (chap, xli, ed. citee p. 30-31). IS DIDEROT PRINCIPES PIIILOSOPIIIQUES La quantité de force est constante dans la nature; mais la somme des nisus et la somme des translations sont variables. Plus la somme des nisus est grande, plus la somme des translations est petite; et réciproquement plus la somme des translations est grande, plus la somme des nisus est petite. L'incendie ďune ville accroit tout ä coup ďune quantité prodigieuse la somme des translations. Un atome remue le monde; rien n'est plus vrai; cela Test autant que i'atome remué par le monde. Puisque l'atome a sa force propre, eile ne peut étre sans effet. Ii ne faut jamais dire, quand on est physicien, le corps comme corps35; car ce n'est plus faire de la physique; c'est faire des abstractions qui ne měnent ä rien. Ii ne faut pas confondre Taction avec la masse. Il peut y avoir grande masse et petite action. Il peut y avoir petite masse et grande action. Une molecule d'air fait éclater un bloc d'acier. Quatre grains de poudre suffisent pour diviser un rocher. Oui sans doute, quand on compare un agregát Homogene ä un autre agregát de méme matiěre homogene; quand on parle de Taction et de la reaction de ces deux agrégats, leurs energies relatives sont en raison directe des masses. Mais quand il s'agit ďagrégats heterogenes, ceF ne sont plus les mémes lois. Ii y a autant de lois diverses qu'il y a de variétés dans la force propre et intime de chaque molecule élémentaire et constitutive des corps7. Le corps résiste au mouvement horizontal. Qu'est-ce que cela signifie ? on sait bien qu'il y a une force generale et commune ä toutes les molecules du globe que nous habitons, force qui les presse selon une certaine direction perpendiculaire, ou ä peu pres, ä la surface du globe; mais cette force e. le corps comme corps [italique] N2 p. ďagrégats heterogenes, de molecules heterogenes, ce add. N2 7. Ce paragraphe met en lumiěre ce que J. C. Guédon nomme « la stratégie antinew-tonienne de Diderot». L'attraction, proportion-nelle ä la masse, érigée par Newton en loi unique, releve d'une physique mecaniste en ce qu'elle considere la matiere comme homogene et la reduit ä sa seule masse. Diderot lui oppose le pluriel des diverses lois chimiques. l6 generale et commune est contrariee par cent mille autres8. Un tube de vcrre echauffe- fait voltiger les feuilles de Tor. Un ouragan remplit Tair de poussiere; la chaleur volatilise Teau, Teau volatiliscc empörte avec eile des molecules de sei; tandis que cette masse d'airain presse la terre, Tair agit sur clle, met sa premiere surface en une chaux metallique9, commence la destruction de ce corps; ce que je dis des masses doit etre entendu des molecules. Toutc molecule doit etre considered comme actuellement anim.ee de trois sortes d'acrions, Taction de pesanteur ou dc gravitation, Taction de sa force intime et propre a sa nature d'eau, de feu, d'air, de soufre; et Taction de toutes les autres molecules sur clle; et il peutarriver que ces trois actions soient convergentcs ou divergentes. Convcrgentes, alors la molecule a Taction la plus forte dont clle puisse etre douce. Pour se faire une idee de cette action la plus grandc possible, il faudrait, pour ainsi dire, faire une foule de suppositions absurdes, placer une molecule dans une situation tout a fait metapliysique. En quel sens pcut-on dire qu'un corps resiste d'autant plus au mouvement que sa masse est plus grantle? cc n'est pas dans le sens que plus sa masse est grande, plus sa pression contrc uu obstacle est faible. Il n'y a pas un crocheteur qui. ne saclie le conlraire "'. C'est seulement relativement ä une direction opposce a sa pression. Dans cette direction, il est certain qu'il resiste d'autant plus au mouvement que sa masse est plus grande. Dans la direction de la pesanteur, il n'est pas 11 loins certain que sa pression ou force, ou tendance au mouvement s'accroit en raison de sa masse. Qu'est-ce que tout cela signifie done? rien. 8. P. Saint-Amand commcnte ainsi le passage : « La verticalite de la pesanteur se trouve nice par l'horizontalite active de forces concurrcntes, en desordre » (Diderot, le laby-rinthe de la relation, Paris, Vrin, 1984, p. 41). <). II s'agit d'un phenomene d'oxydation. l.'anid.- chaux metallique (Chimie) de I'Encyclopedie explique que c'est ainsi qu' « on appellc communement en chimie toute matiere metallique qui a perdu son eclat et la liaison de scs parties, soit par la calcination proprement ditc [...], soit par Taction de differents mens- trues [...] » (III, 270 a). Un menstrue, dans la chimie ancienne, est un liquide acide. 10. Paul Verniere souligne justement dans son edition des Giuvres philosophiques de Diderot 1'interSt d'une telle remarque: « Si un element stylistique peut prouver l'authenticite de ces pages, c'est bien l'intrusion de cette phrase dans un developpement technique. » Un crocheteur est « un gagne-denier, dont l'occupation journalise est de transporter des fardeaux sur ses epaules, a l'aide d'une machine appelee des crochets » (ENC, IV, 500 b). 17 Československá vzdělávací nato Jana Husa Brno DIDEROT PRINCIPES PHILOSOPHIQUES Je ne suis point surpris de voir tomber un corps, pas plus que de voir la flamme s'elever en haut, pas plus que de voir l'eau agir en tout sens et peser eu egard ä sa hauteur et ä sa base, en sorte qu'avec une mediocre quantite de fluide, je puis faire briser les vases les plus solides; pas plus que de voir la vapeur en expansion dissoudre les corps les plus durs dans la machine de Papin, elever les plus pesants dans la machine ä feu". Mais j'arrete mes yeux sur l'amas general des corps; je vois tout en action et en reaction; tout se detruisant sous une forme, tout se recomposant sous une autre, des sublimations, des dissolutions, des combinaisons de toutes les especes, phenomenes incompatibles avec l'homogeneite de la matiere : d'oü je conclus qu'elle est heterogene; qu'il existe une infinite d'elements divers dans la nature; que chacun de sesG elements par sa diversite a sa force parti-culiere, innee, immuable, eternelle, indestructible; et que ces forces intimes au corps ont leurs actions hors du corps; d'oü nait le mouvement ou plutot la fermentation generale dans l'univers. Que font les philosophes dont je refute ici les erreurs et les paralo-gismes ? Iis s'attachent ä une seule et unique force, peut-etre commune ä toutes les molecules de la matiere"; je dis, peut-etre; car je ne serais point surpris qu'il y eut dans la nature, telle molecule qui, jointe ä une autre, rendit le mixte resultant plus leger. Tous les jours dans le laboratoire on G. ces N2 ii. La machine de Papin est un digesteur, defini par VEncyclopMe comme un instrument « qui sert a digerer ou ä dissoudre les mets hors de l'estomac, et suivant une voie analogue ä celle de la digestion des animaux » (IV, 998 b). La machine ä feu en decoule, qui est un Systeme pneumatique ou atmospherique, lui-m&me ancetre de la machine ä vapeur. L'article feu (Pompe ä) de YEncydope.dk note: « on peut en regarder Papin comme l'inventeur: car que fait celui qui construit une pompe ä feu ? il adapte un corps de pompe ordinaire ä la machine de Papin » (VI, 603 a). L'article reproduit ensuite un memoire technique sur plusieurs colonnes. II conclut par un parallele entre la machine et l'fitre vivant: « Le jeu de cette machine est tres extraordinaire, et s'il fallait ajouter foi au systeme de Descartes, qui regarde les machines comme des animaux, il faudrait convenir que l'homme aurait invite de fort pres le Createur, dans la construction de la pompe a jeu, qui doit 6tre aux yeux de tout cartesien consequent une espece d'animal vivant, aspirant, agissant, se mouvant de lui-meme par le moyen de Fair, et tant qu'il y a de la chaleur » (VI, 609 a; DPV, VIII, 304). 12. Diderot a parle plus haut de la gravitation comme d'une « force generale et commune a toutes les molecules du globe»qui est contrariee par cent mille autres. Le peut-kre relativise une loi qui se veut generale et abstraite, au nom d'un reel pluriel et complexe. volatilise un corps inerte par un corps inerte13. Et lorsque ceux qui ne considerant pour toute action dans l'univers que celle de la gravitation, en ont conclu l'indifference de la matiere au repos ou au mouvement, ou plutot la tendance de la matiere au repos, ils croient avoir resolu la question, tandis qu'ils ne l'ont pas seulement effleuree. Lorsqu'on regarde le corps comme plus ou moins resistant, et cela non comme pesant ou tendant au centre des graves14; on lui reconnait dejä une force, une action propre et intime; mais il en a bien d'autres, entre lesquelles les unes s'exercent en tout sens; et d'autres ont des directions particulieres. La supposition d'un etre quelconque place hors de l'univers materiel, est impossibleI5. Il ne faut jamais faire de pareilles suppositions, parce qu'on n'en peut jamais rien inferer. Tout ce qu'on dit de l'impossibilit6 de l'accroissement du mouvement ou de la vitesse, porte ä plomb contre l'hypothese de la matiere homogene. Mais qu'est-ce que cela fait ä ceux qui deduisent le mouvement dans la matiere, de son heterogeneite [ ?H]. La supposition d'une matiere homogene est bien sujette ä d'autres absurdites. Si on ne s'obstine pas ä considerer les choses dans sa tete, mais dans l'univers, on se convaincra par la diversite des phenomenes, de la diversite ? N2 13. J. C. Guédon rapproche cette phrase de l'article expansibiiitb de VEncychpédie dů ä Turgot: « Aussi la chimie nous présente-t-elle indifféremment les deux exemples contraires de deux corps fixes rendus volatils et de deux corps volatils rendus fixes par leur union » (VI, 927). Diderot remplace l'opposition Fixe/ volatil par celle de l'inerte et de l'actif ou du vivant. J. C. Guédon commente le glissement: « Ton a trěs nettement l'impression que 1'élěve chimiste, trahi par les mots au moment ou il s'approprie les concepts de la chimie rouel-lienne, telescope les deux arguments paralleles en un seul. Tout en se référant ä la volatilisation d'un corps fixe par un autre corps fixe, il pense en fait ä la resolution du probléme de la vie, soit l'animation d'un corps inerte par un autre corps inerte » (art. cite, p. 199-200). Voir Le R$ve: « avec une matiere inerte, disposee d'une certaine maniere, impregnee d'une autre matiere inerte, de la chaleur et du mouvement on obtient de la sensibilite, de la vie, de la memoire, des passions, de la pensee » (p. 105). 14. Formulation ancienne de la gravite qui est «le mouvement ou la tendance d'un corps vers le centre de la terre, soit directement, soit obli-quement* (ENC,descents ou chute,IV, 874 a). 15. La proposition a le ton du Systlme de la nature dontl'une des premieres phrases est: «les tees que l'on suppose au-dessus de la nature, ou distingues d'elle-m6me, seront toujours des chimeres, dont il ne nous sera jamais possible de nous former des idees veritables [...] II n'est et il ne peut rien y avoir hors de l'enceinte qui renferme tous les tees» (I, p. 1 et 2). 19 DIDEROT des matieres elementaires, de la diversite des forces, de la diversity des actions et des reactions, de la necessity du mouvement; et toutes ces verites admises, on ne dira plus, je vois la matiere comme existante; je la vois d'abord en repos; car on sentira que c'est faire une abstraction dont on ne peut rien conclure. L'existence n'entraine ni le repos ni le mouvement; mais l'existence n'est pas la seule quality des repos. Tous les physiciens qui supposent la matiere indifferente au mouvement et au repos, n'ont pas des idees nettes de la resistance16. Pour qu'ils pussent conclure quelque chose de la resistance, il faudrait que cette qualite s'exercat indistinctement en tout sens, et que son energie fut la meme selon toute direction; alors ce serait une force intime, telle que celle de toute molecule; mais cette resistance varie autant qu'il y a de directions dans lesquelles le corps peut etre pousse; elle est plus grande verticalement qu'horizontalement. La difference de la pesanteur et de la force d'inertie17; c'est que la pesanteur ne resiste pas egalement, selon toutes directions; au lieu que la i force d'inertie resiste egalement, selon toutes directions. I Et pourquoi la force d'inertie n'op6rerait-elle pas l'effet de retenir le ; corps dans son etat de repos et dans son £tat de mouvement; et cela par j la seule notion de resistance proportionnee a la quantite de matiere[T] La notion de resistance pure s'applique egalement au repos et au mouvement; k i. ? N2 I PRINCIPES PHILOSOPHIQUBS au repos, quand le corps est en mouvement; au mouvement, quand le corps est en repos. Sans cette resistance, il ne pourrait y avoir de choc, avant le mouvement; ni d'arret apres le choc; car le corps ne serait rien. Dans l'experience de la boule suspendue par un fil18, la pesanteur est dettuite. La boule tire autant le fil, que le fil tire la boule. Done la resistance du corps vient de la seule force d'inertie. Si le fil tirait plus la boule que la pesanteur, la boule monterait. Si la boule etait plus tiree par la pesanteur que par le fil, elle descendrait. Etc. EtcJ. 16. Dans YEncychpedie, d'Alembert defmit k resistance comme la « force ou puissance qui agit contre une autre, de sorte qu'elle detruit ou diminue son effet »: elle provient « des diffe-rentes proprietes des corps resistants » (XIV, 173 b). L'article s'acheve par revocation d'une des plus anciennes et peut-Stre des plus utiles questions: « trouver quelle figure un corps doit avoir pour que sa resistance soit egale dans toutes ses parties» (XIV, 175 b). Diderot a. l'article *hobbisme definit la resistance comme «l'opposition de deux efforts ou nisus au moment du contact» (VIII, 336 a; DPV, VII, 390). 17. La force d'inertie est « la propriete qui est commune a tous les corps de rester dans leur etat, soit de repos ou de mouvement, a moins que quelque cause etrangere ne les en fasse changer » (ENC, force d'inertie, VII, no b). D'Alembert propose la mtaie definition dans ses EUments de philosophic, cit& par j. Varloot (note 7 au Rive). L'article de l'JSn-cyclopedie precise que Ton appelle la force d'inertie « resistance, lorsqu'on veut parler de l'eftbrt qu'un corps fait contre ce qui tend a changer son etat ». D'Alembert discute ensuite le refus d'Euler de considerer la force d'inertie comme « propriete reconnue de la matiere », pour ne pas favoriser les « materialistes » (VII, 112 b). J. etc. etc. etc. N2 18. Cette experience est frequemment evo-quee dans les debats sur la pesanteur ou sur les forces vives: « Si le mouvement produit par une force acceleratrice quelconque, comme la pesanteur, commence par zero de vitesse, pourquoi un corps pesant soutenu par un fil fait-il eprouver quelque resistance a celui qui le soutient ?» (ENC, forces accelera-trices, VII, 116 b). 20 21