ISllIlÉ^ Montréal-Paris roman Nager dans le mensonge C'etait bien fini les jolies petites discussions au soleil, plantes sur le trottoir. En hivcr comme en ete. Midi maintenant. Deja ! U avait fallu operer avec delicatesse. Ca avait pete. Quelle fusee ! Un peu de fumee. Le bruit des foreuses deux rues plus loin. On se souvient maL Quand on a eu si peur. Midi deja. Le temps passe si vite..» Quand il sert cnfin. L'etnpoigner celui-la. Que 5'a ete long. Faire qu'il dure. Au moins pendant quel-ques secondes. Quelle jouissance, je 1'ai vu couler, passer. Comme on regarde filer, en deroulant ses anneaux, un joli petit ver de terre, bien rose ! Un bon petit petard. Roulons. Je ne veux pas ecouter les nouvelles. Roulons. Sa grande main, ses longs doigts qui jouent avec les pitons. Quelle saloperie ! Des morts ! Un seul ? Non, ce n'cst pas possible. On avait deja dit ca. Ses long* doigts qui trouvent toujours un bout de musique -— un bout de chanson, etirante ye-y£-ye- les nouvelles, et hop, les longs doigts •ye'-y&ye... Rou- 10 BTHEL ET LB TERRORISTB ETHEL ET LB TERRORIST! 11 Ions ! On se parle peu. Sans eile, j'etais ..«. cult ! EUe a dit, chez eile — famille, je vous honnis —-qu'eUe partait en vacances. Ou bien qu'elle altait travailler, je ne sais trop au juste. Nous nageons dans tc mensonge. Depuis le debut de cette avcn-ture. Nous nageons dans une süperbe melasse de mensonges, de duperie. C'est qu'il faut etre prudent, bien prudent. Filons, filons, jolt bazou ! Petite auto ! On chante. On fredonnerait n'importe quoi, pour ne pas penser, pour oublicr. Avec cette belle et chouette et chatte tnijauree, pas de danger, on passera la frontiere cotnme une lettre ä la poste. La poste I Brrr ! Pas une vitre, plus un seul carreau ! Vraiment, les gars poussent un peu fort, lis m'ont, ma foi, ma parole, confic toutes les provisions I Quand on a les fesses tout contre, on croit que c'est douze bombes atotniques — bataclan ■!;'■■■■■■■■■,■■: Comme quelque chose qu'on a mange II fait done, ce samedi du tout petit Jesus, un solejl dore. Dore. Tantot les valises sortaient ä un rythme d'enfer. Ma juive, ma belle juive lente. Du desordre alors qu'on etait presse. Comme chez les juifs, lente ä boucler, peur d'oublier. Avait peur ! Sa peau olive, parfois terre de sienne. C'est pas bien beau, mais c' est reconfortant, je ne sais pas, eile est d'une couleur qui me rassure, qui ne fait pas cinema, qui ne fait pas peche, ni grimee, ni actrice. Je la revois nue. Ses orteils, scs fesses, belles, rondes, fermes mais ordinaires aussi, normales. Je m'etais laisse posseder peu ä peu, eile y etait venue, sans trop bien savoir, parce qu'elle m'aimait, je pense bien, je lui de* manderai, maintenant, e'etait en nous, comme quelque chose qu'on a mange, qu'on he peut plus renvoyer. J'ai eu si peur. Elle ne peut pas savoir. Ou plutöt, eile ne veut pas savoir. Pas une question encore. J'ai faim. Elle a faim. On laissera la route, on fera un petit detour, vers St-Jean. Apres, ce sera la frontiere. Le soir viendra vite On chante ä tue-tete. Elle cesse, me regarde, tres serieuse : — Tu es certain. Pas un mort ? Non, je ne suis pas certain. Pas eu le temps d'y penser, d'y retlechir. Quand on a un tel paquet sous le bras, colle contre son petit cocur, on ne pense qu'ä s'en debarrasser — rant pis pour les presents. —- C'est la vie ! Et je veux dire, c'est le destin, c'est la fatalite — on ne veut pas faire rire de soi. On fcrme sa gueule. Ou bien on I'ouvre, pour chanter une petite toune — un petit air 12 ETHEL BT LB TERRORIST* BTHBL BT LB TJBRRORISTB 13 bete qui est a la mode —- et 5a ne regie, bien sur, rien du tout — mais c'est apaisant —- je vou-lais tant qu'il se passe quelque chose, qu'il arrive quelque chose — mais, helas, (a a deja eu lieu ! C'est fini. Pour cette pauvre minute, it va falloh* se cacher — c'est bete ca. — Je voudrais y etre. — Ou, k New-York ? — Oui. EUe me regardc avec sa petite moue. Elle sou* rit. EUe me retrouve ; niais, ambitieux, irrealiste. Et je sais qu'elle est d'accord. Le soleii baisse vite; Tout I'horizon, en face du restaurant, devient lai-teux. La lumiere s'egalise. Pourtant, il ne doit pas etre plus de deux heures, ce samedt de ma vie. Deux heures d'un apres-midl funeste . .»Brr ! C'est terrible, avoir eu peur a ce point, et puis, tout est fini, etre la avec sa poupee, avec un soleii f iltre, devant des hamburgers garnis a mort, et puis, je ne sais pas, — d'avoir eu si peur, sans doute — une envie, une envie de lui caresser les jambes qu'elle a si fines, si longues, si belles, de m'en faire une ccinture et de m'approcher d'elle, totit pres, pour un de ces vieux jeux, pour un grand coup plein de chair, comme une bombe, celle-la inoffensive — elle me regarde et baisse les yeux, en chatte qui a compris — je l'aurai — —> On y sera vers minuit ! — J'ai hate. Et, de nouveau, le long serpent. Le citnent Le dragon avec sa Hgne blanche sur le dos. Bon sang que le soir viendra vite. C'est une journee blanche. Du soleii de temps en temps, parcimo-nieusement. „. Le moteur ronronne. Lacolle, c'est par la. Bientot, le poste de la frontiere. Et hop ! Tout ira Men. II le faut. II le faudra. Pourvu que l'on tombe sur un bon cave. Un myope, un pas fin, un pas psychologue. Je rigolc. Pour qui me prendre ? Rien qu'a notts regarder. De quoi j'ai I'air ? Bon sang que le soir viendra vite. On peut voir, loin, qui fiottent, les drapeaux des postes. On passe. Du beurre. Premier poste, celui du Canada. Par un des carreaux, un vieux beta nous fait signe de filer. Nous filons. A 1'au-tre poste, un jeune fonctionnaire sort, bloc sur l'avant>bras, crayon en l'air: nom, prenom, ou etes-vous n£, d'ou venez-vous, ou allez-vous, com-bien de temps, et hop ! En voiture I Ce soir, cette nuit, nous avons hate, nous verrons New-York, dans toute sa Iaideur, dans toute sa beaut£, dans toute sa lumiere, et dans toute sa musique. Un lit avec une chambre autour On fait des projets, on se fait des idees, on s'i-magine que c'est la fin du monde. On en parlait si souvent, depuis si longtemps. New-York : le tonnerre, une decharge elcctrique. On a hate. Y serons-nous toujours les memes. Ou differents. 14 ETHEL BT LE TERRORISTS ETHEL XT LE TERRORISTS 15 Elle ne sera plus cette jolie fille anonyme qui suit un rebelle, un patriote pout rire et pour voir, un patriote sans theorie precise, sans but, ce sont les meiileurs. Elle m'engueule, me dit que je suis un rate. Je Iui explique qu'on est les meiileurs, on n'a pas peur des risques, on ne craint pas la violence, on n'est pas des beaux et des haut-parleurs, on ne fait pas de phrases, on fait chier et trembler les perils vieux des journaux et ceux de la police, toute cette chigne de poigne accro-chee k leurs balustrades, k leurs satntes-tables, a leurs biscuits bien cuits; nous, on ne se prend pas au serieux mais on nous prend au serieux; je gueule tant qu'elle est convaincue. Elle redemande : — Y a pas d'mort ? Si on ecoutait la radio. Mais ca recommence, on a tellement peur qu'on n'ose pas, on se pince des postes de langue anglaise. Toujours elle et toujours la meme. Avec ses efftles de doigts, ses mains de saihte vierge, ses saintes mains, ses savantes mains qui savent si bien, en temps normal, me chatouiller le ventre. En temps ordinaire tout ca, car, je vous jure qu'on n'a pas la tete a se chatouiller, ni meme a se taquiner. Les mains qu'on a —- et puis quoi, crac, la musique — quoi ? crac, eric, y a plus rien qui tient, ni peur, ni remords, ni inquietude — la voila qui a com' pris, e'est comme une vague, une de perdue qu'on ne voit pas venir, elle est collee, collee a s'y rentrer — et je I'embrasse — dehors, e'est comme de Tardotse debout — ce jazz est trěs énervant — dehors 1'ardoise, grise et bleue, on ne sait pas. Je freme au premier chemin, zone de repos, annon-céc depuis un bon moment. II y a peu de neige. II n'y a que des petits bouleaux, de petits fouets — et je l'ai á pleines mains, e'est la premiére dé-charge — le soleil se remontre — enfin — comme pour saluer cet arrivage de deux poignées de mains, on a envie de se casser les doigts, on se mord au visage — e'est vraiment la detente — je ne suis plus rien, rien qu'un homme ordinaire, elle est une bonne petite fille, une petite juive de rien du tout, d'une famille pauvrc et de rien du tout, d'un coin de rue, Villeneuve, pres de St-Laurent, et elle dansait bien, et elle se collait bien, et j'ai-mais ses lěvres cgyptiennes, pharaonesques, et ses yeux maquillés mais tristes — et on a clause toute la nutt, et on a bu, et on a braille, on a sue —- on s'est jure d'attendre un peu, beaucoup, ďétudier ďabord. Cest loin et long tout ca — les etudes, elles ont foutu le camp, vous savez oů. On ne se quittait plus —- sa mere nourrissait I'mtellectucl — une grosse juive débonnaire comme il ne s'en fait plus. Et sa fille, sa beauté, sa noironne, sa perle, mon africaine, mon jus, ma négresse, ma peau — eh bien oui, je Iui ai enlevé son petit tresor, et je le garde et je Paime — et e'est bién béte ťaimer de méme, y a pas un regiment de pions pour me la retirer, si elle partait, je courrais la terre, je ferais le tour de la planete li ETHEL ET LB TBRRORISTB ETHEL ET LE TBRRORISTB plusieurs fois. Deja, elle fait pattie de moi, et c'est regie pour toujours. Et ca ne s'explique pas. C'est dans le sang. Elle salt tout de mot. Je dis bien tout. Et c'est tout. Et quand on a nos crises, y a plus rien pour nous reveiller, le tonnerre, ou une bombe, une de nos bombes amateurs J On s'en moque. La cause, le drapeau, la langue, le tra-la4a, aussi bien dire la fin du monde. C'est que je l'ai la, entre mes pattes et je pose mes doigts autour de sa petite face et c'est a peine si elle ouvre le bee quand je fais mon entree avee le pistolet que votis savez. Terroriste, va, si peu. C'est sa peau, ma dynamite, ses yeux, ce regard noir, eternel, immuable. Et tantot, on louera an lit, avec une chambre autour, a Plattsburg ! méme fait expres, ai parlé avee deux agents, tin á pied, nigaud, l'autre crayonnant au fond de son char luisant — informations pour les parco-mětres. II s'explique, est poli, sort de sa voiture, me verrait rien. Rien que deux petits fous qui se ta» tent dans les coins des vitrines, qui rient, qui crient, se cachent, se font des peurs, qui se font des cachettes, des surprises. Et puis, j'aime ca, la voila ma muse, ma poupee mecanique qui me pousse, -— Tes sur. Pas de mort ? Mais, oh ! je ne sais pas, moi. Est«ce que je sais. Qa a pete, oui, et fort, oh la la ! J'en ai des tics pour un long moment, et puis apres I J'avais des ordres. Oui. C'est ce que je voulais, A un moment, j'ai fait ni un ni deux, j'ai dit aux gars : "donnez-moi le paquet, 1'hcure, l'endroit". C'est tout. Je ne voulais rien savoir. J'avais besoin d'un travail aveugle. Cela couvait en moi, tout au fond un besoin d'obeir ! C'est ainsi. Ma juive s'inquiete. Est-elle juive ? Au moins une vraie juive ? Sais pas. II faudrait ouvrir une enquete. Ethel. C'est son nom. Et Sara, ou Sarah aussi. Sa mere criait "Ethel" a longueur de jour. Pour qu'elle aille brasser les spaghettis ou dresser un lit. Au bas du long et branlant escalier, avant de partir, j'y met-tais une derniere main. Histoire de la bien griser avant qu'elle aille se coucher. J'en titubais rue St'Laurent. J'en titubais. Un chat, un enfant r— fou de joie, ivresse enfantine. Quelle decouverte. Je vivais. Je venais au monde. La. On se lache. On se decide. On entre dans IS ETHEL ET LB TERRORISTS ETHBL ET LE TERRORISTE 19 ratelier dc bateine-de-conte-pour-faire-peur-aux-petits-anglais, nous accueille. Et on mange. Avec appétit. On ne pense á rien. Rien qu'a ce soir, ou cette nuit, á minuit, nous y serons, on a fait des calcuts. New-York, ma catin, mes pochettes de couleurs, fas besoin de nous attendre. Lá-bas, il y a un jeune noir, un negre qui parle cinq ou six langues, un negre fin, savant, instruit-comme-un* blanc, qui nous aidera. Cest entendu depuis longtemps . Et Ethel jongie, révasse : Des rats, les bétes puantes de 1'Amérique du nord : tine juive, un noir et toi pauvre "canoque" —-c'etait le surnom. Elle baptisait ainst tous les petits moutons, tous les rats de ma petite race de rats — les canayens-qui-jasent-fran^ais, des "ca-noques", tous des "canoques". Elle tient ca d'un chauffeur de taxi, ex-New-Yorkais qui disait : "vous-autres, les cannucks du nord, vous avez de belles filles. TI en a épousé une, fitie de canucke et en a tiré une dizaine de petits canukes — taxi, jour et nuit ! On sort. Oui, bon, nous serons trois rats, trois pauvres rats : la juive, lc negre et le ffcanoquc". II n'y a pas de quoi rire. On sera bicn, on sera trois. On ira lá et ici, partout, on nous a tant parlé de New-York ! II s'agit de s'y rendre. Maintenant, c'est l'epreuve, pour Ic bazou surtout. Ccs chemins de montagne. Quelques heures ! Apres, ga va filer: on nous l'a dit: Albany-New-York, c'est beau, droit et fini corame une allée de quilles ! Moteur. On tourne. —- "... ďintensives recherches V. Et hop, les beaux doigts veillent. On ne saura rien de plus. On s'en tiendra á de la zizique tonitruante et des baragouinages á 1'américaine qu'on n'ecoute pas. On va se creuser un peu, pour rire. Peut-étre que la dépéche se lisait ainsi: "voyant la passivité de la population, le bombardement de ce matin n'a au-cune valeur et les autorttés viennent de decider d'abandonner cette série ďintensives recherches". Rires ďEthcl. C'est son tour ; "Nous sommes sur la piste d'un couple de jeunes terroristes et nous poursuivons ďintensives recherches". Et puis, le ciel s'etire invisiblement, en ďétonnants lacets colorés. Ethel se presse et montre du doigt. Sans un seul mot. Je pose ma main bien á plat sur sa nuque, comme elle aime. Elle sourit faible-ment, me semble pále, fatigúée. Elle me regardc a la dérobée, sans détourner la tétc : — Nous ne sommes pas des rats ! Je l'embrasse. II y a un moyen. Je reste les yeux ouvcrts. C'est assez bon. Je vise la route. Nous nous pressons, serrés, serrés. Limite : 60. 20 ETHEL ET LB TERRORISTS ETHEL ET LE TERRORISTS 21 Se souvenir Quand on ne savait pas quoi dire, c'etait tou-jours pareit, on se souvenait. Ainsi, j'aimais bien me souvenir de cette histoire de Chinois, fou, dans un petit film pornographique; c'etait le grand faineant, le grand deprave Dastous qui coliectionnait ccs epiceries —- j'avais tellement n — il etait jfu-rieux — il prenait ca au serieux routes ces petites histoires de cul, ces scenarios minables, facilcs, si comiques. — "Voyons, ce gros Chinois, tout serieux, ven-tru, je t'en ai deja parle ? It entre dans la cuisine de la donzelle avec ses deux paniers pleins de provisions, et puis, il en profite, la tripote. On les re-trouve, elle a poil, lui avec une longue camisole de coton — c'etait a sc tordre, le zizi sorti, tout dresse, et elle, avec des airs de grande dame va s'instalter sur le divan. Vraiment, tu ne te souviens pas r* Ethel, toujours, me faisait la meme remarque : — "C'est pas drole. Oh Paul, Paul, tu disais qu'il fallait etre de qualite !n C'etait pour l'entendre parler de ca, la qualite, que je recommencais toujours avec cette histoire de Chinois en camisole de laine et zizi sorti. J'aimais sa facon de dire ca, ce mot: la qualite. Je revais. Nous etions deux jcunes guerriers, sans sexe, de porcelaine, de beaux emaux, un tresor an- tique — nous etions brillants, exotiques, avec des sourires affcctes —- autour de nous, il plcuvait de grands soleils couchants ou levants, je ne sais plus, si ce n'est que le decor etait scinttUant, lumineux, ciignotant — j'entendais des bruits de lames, le fer des amies qui sonnait, avec beaucoup de classe — des images de qualite, le son aussi, de qualite, de beaux gongs, des accessoires pointus, impossibles a decrire, inutiles, de glace, dc vcrre. poli, de bronze et d'or. C'est drole. Ethel est fiere. Elle n'est plus une petite juive de la rue St-Laurent. Je ne suis plus un simple "canoque" de quartier du pare Lafontaine. Des heros. Ethel, tu es folle — "Tu te rappelles le Francais V* Si je m'en souviens Ethel. II etait venu pour m'interroger, puisque j'etais le secretaire du Mou-vement. Un petit maigre, des genoux pointus. II etait assis sagement, en fidele valet des agences de presse puissantes, ou des puissantes agences, je ne sais plus pour qui il travaillait, AFP ou UPI, ah, toute cette soupe, ces alphabets; il me regar-dait avec un petit air serieux, un petit air de Francais, intellectucl, gens de la presse, gens serieux, calepin sur ses genoux pointus, le bee suave, pro-: noncant bicn chaque mot de chacune de ses questions prudentes, diplomatiques, rusees, le vrai Francais, un modele. Et toi, Ethel, qui t'amenes du 22 ETHEL ET LE TERRORISTS fond de I'atelier de Pierre-le-sculpteur, notre logis temporaire. Et tu te caches. Tu ris. Tu fais 1'idiote. Tu reapparais derriere des caisses, des meubles, tu te caches aussitot, le petit vieux de la vieille France n'y voit rien, myope et sourd, je n'en peux plus. Tu apparais avec une perruquc, une vadrouille, des bouts de film; je pouffe, je continue dc repon-dre au poli et ruse bombardement de Pagent de l'agence et soudain, plus pres encore, tu t'affiches, les seins offcrts, bien nus, bien pointus, je n'en peux plus, tu es folle. Tu ris, tu ris... Si je m'en souviens. II se retourne soudain et il te voit, la jupe levee jusqu'a la taille, tu t'enfonces derriere Ie grand chevalet encombre, rouge, morte de hon-Moi je pleure. Je n'ai jamais tant ri. Je dis :iix.; type de l'agence que tu es folle. II me croit. II s'en ira, poli, clignant de I'oeil. Refusant ta tasse de cafe. Pius tu fais la serieuse, plus il te menage, te parle comrae a une enfant. Et puis apres, tu te souviens 1 Non ? Oui, je me souviens ! Nous avions bien fait ca ! Et c'est encore le coup du pressons-nous, pres-sons-nous bien. Guetter la route en crochets, les montagnes sont sptendides, non? Un spectacle. Tu regardes. Tu te tais. II fait une fin d'apres-midi rare. C'est plein de modelage, mou, de plasticine molle, cela se fait et se defait. Un spectacle. Des affiches avec tou-: jours ces mots qui nous font sourire et que nous BTHBL ET LE TERRORISTS 23 lisons á haute voix: "DANGER, DEER CROSSING". Avec la fine petite ncige qui tombe, pous-sée par le vent dans ces montagnes modelées avec grace, ces annonces de "traverses dc cerfs" nous amusent. II flotte dans cette lumierc agonisante un air dc Noel. .. Pourtant, depuis plus d'un mois les fetes picusement commerciales sont ter-minées —« et des cantiques surgissent, des canti-ques profanes. On chantonne Ethel et moi. "New Russia", c'est écrit, c'est pour bientót. On ira prendre un café noir et chaud. On tripote la carte assez souvent, pour rien. Pour avoir Pair de savoir ou on va, pour se convaincre que. Pon voyage. On y a pense si souvent: partir ensemble. Fuir. On ne savait pas quoi á 1'époque. Mainte-nant, nous fuyons vraiment. Cest mcrveilleux. II me semble que cet incident — cctte dynamite -—' c'est une vieille histoire, il y a des mois. Ethel répěte : "Peut-ctre un mort". Pas plus. Adiron-dacks ! "Paul", je n'aime pas ce nom, je n'aime If::. pas mon nom. Je voudrais un nom plus dur, ou plus mou, pas entre les deux. Deer Crossing: Drive carefully « 5 S'il fallait dire tout ce qui m'agacc, chez moi, chez les autres, chez toi, Ethel. Quelle liste. Une :|: montagnc de griefs. J'aime mieux ne pas y penser. Maintcnant, déjá, il fait nuit. Les collines qui bor-dent le chemin sont de gros dos ronds et 24 ETHEL ET LB TERRORISTS ETHEL ET LS TERRORISTS 25 noirs, ou Manes quand la lumicre s'y pose. Les arbres ne sont que piquets et batons. II y a les sapins, les sapins, ces cones gras, ces jupes, ces edifices, ces hautains ! II y a le chemin, cette route a surprises qu'il faut surveiller. Et ce vent. Et ces comiques avcrtissements: "Debut-avalanche de rocs" et "Fin-avalanche de rocs". Et les bourras-ques. "Winding zone, drive carefully". Ethel ecou-te, j'ecoute. Rien. Le bruit du vent, celui du mo teur. Celui de la nuit. Et nos respirations, nos souffles, presque rien. La vie au ralenti, a trente a. 1'heure, pas plus, a cause des "STONES FALLING" et des "WINDING ROADS" et que sais-je. Si un "deer" apparaissait. On en discute. On se souvient. Des histoires des devots du pays. Ce pays des legendes, il en pleut des racontars, des histoires mysterieuses. Mon pere ne tarissait pas quand il etait lance la-dessus, il partait k l'aide d'un dix onces, au plus. Un verre parfois et ca y etait ! On nagcait dans un monde de fantomes, d'apparitions, de miracles, de cris, de frissons, j'en bavais, bouche ouverte, le dos glace, et plus on en bavait, plus il en rcmettait, avec des noms, des dates, pour faire vrai, des temoins, la famille y passait, tons les ancetres defilaient, avec des pre-noms inconnus, il les faisait sortir des cimetiercs, un a un. Mais on n'a pas peur. II y a nous deux. C'est beaucoup. La radio tniaule ou jappe. La radio, compagne bizarre. On ne craint rien. Mais c'est k Chestertown qu'on fait la pause pour ce cafe noir. J'ai les yeux endoloris de guetter dans le noir, de fendre ces grands draps de tenebres derriere mes phares vigilants. Et c'est toujours, e'etait toujours, toujours, ce spectacle egal, le meme, le ciment par taches, par zones sur la route, chaque cote les collines qui levent, fuient et ne pouvoir jamais re-garder ailleurs, ne pas oscr lever ies yeux, regarder au ciel, derriere, de cotL Fixer droit devant soi et dechirer toujours ces petites nuees de brume ou ces rafales vaporeuses, du tulle, d'une neige poudreuse deplacee par ce vent. Mais on n'a pas peur. On a soif et on a envie de se regarder un peu. Car, plus tard, ce sera l'auto-route, ce "turnpike" infernal. On sait ce que c'est, un couloir. Oui, c'est un couloir que ces voyages d'aujourd'hui. Des couloirs gris ou blancs, noirs ou violets, un couloir interminable avec des phares, des avertissements surrealistes d'avalanches ou d'orignaux traversant — un long couloir, depuis ce tunnel, le Wellington, il coulera en montant doucement jusqu'ä 1'autre, apercu sur la carte : "Lincoln Tunnel" —-toll — comme un egout-collecteur monstre — un metro ä echelle d'un pays. Jouissons de ce repit, de cette faille pratiquee dans le tunnel-caf£ chaud. C'est une nuit etrange. Y a-t-il des nuits plus etranges les unes que les autres I Ou, serait-ce qu'il y a dans fair, notre air, 26 ETHEL ET LB TERRORISTS BTHB1 BT LB TERRORISTS 27 cette odeur de fuite, ce gout dc la mort — "com* bien ? combien ?" me repete Ethel — ce voyage n'est pas qu'un pretexte.Et il y a cette nuit de fevrier, vers la tour-New-York. II y a que c'etait la premiere fois... Ea premiere fois que nous agis-sions conrre des notres, des enfants-de-chicnnes-de* canoques ! "II le faut", il le fallait, m'ont-ils expli-que. II y avait trop de laches. On m'a tout expli-que, tout et tres bien, au pauvre petit porteur, porteur de bombes si on veut. On m'a repete : — "Tant pis, il faut faire une lecpn ! H faut reveiller nos gens !" — Et s'il y a des blesses, un mort, gemissait un zouave, un sentimental, un con ? Une voix a fait: "Toe, mon hostie, farme ta grand'gueule". Et le petit con, le petit cave a ferme sa petite gueule. I! a vu que c'etait anti-climax. Le paquet etait ficele, tout fin pret, pare, ttc-tic-toc-toe c'etait pas le moment. Je me suis done offert... Pourquoi, bon Dieu ! Sais plus. Peut-etre, juste-ment parce que personne n'en voulait, du colis, cette fois-ci. Contre des canoques. C'etait bien ca, mon tour, cette merde, cette cochonnerie. Qsl oui, c'etait bien pour moi. Pourquoi ? Elle tie saura jamais Parce que, parce que je suis un pauvre, un vide, un fourbe, un sale menteur, un petit cave a sa "moman" — et quoi encore — je ne sais pas au juste. II y a que j'avais mal cc soir-la. Comme chaque fois que je trompais Ethel j'avais ma!, Encore une fois. Et chaque fois. Et chaque fois, apres bien sur, j'en crevais. C'cst drole. Elle ne saura jamais pourquoi j'ai joue ce role. Elle ne sait pas. Et e'est bien. Elle m'engueule un peu, me fait des reproches et me repete sans cesse : "Si on ecoutatt la radio du pays ? S'il y avait un mort ?" Au lieu dc repondre, ouvrir la carte, lui taper un clin d'ocil et dire : — Prochain cafe a Lake George, nous serons a New-York vers minuit. A minuit, je nous vois deja dans Manhattan, sur le Broadway, le nez en l'air, les yeux petillants et Ethel qui ne dira plus, plus jamais : — II n'y a pas d'mort, Paul ? New-York: 240 milles En route. "Deer crossing" — "slow". Merde ! On fait des rcves. On fait des projets. On a tout vendu. On additionne. On est bon, environ huit cents dollars, on est bon pour une bonne meche de temps. On fait des projets, on reve serieuse- 28 ETHEL BT L£ TERRORISTB ETHEL ET LE TERRORISTS 29 ment- Lä-bas, du cote de Greenwich Village, 2 ou 3ieme Avenue, on verifiera. Nous avons une adresse, un nom, un noir, un intellectuel, un de ces gars a grandes lunettes qui fait des vers et des "pizzas" dans le quartier des etudiants. II peut npus aider. II nous donnera des papiers, faux. Et pour nous, c'est une fete. Avoir de faux papiers, c'est une joie. Trompcr Ics gens, sc jouer d'eux. Se nommcr soudainement, je ne sais pas, Fred ou Arthur, toi, Ethel, Rose ou Virginie, mais c'est fan-tastique... Nous rions. Nous parlons d'aller au sud, de piquer jusqu'ä Miami. Ce bazou est ä bout. II fau-dra le vcndre, la-bas, a New-York, cela fcra un pcu plus d'argent. Nous prendrons 1'avion pour la Floridc. Ethel sait des choses etonnantes, eile parle du prix, me dit que les vols de nuit c'est moins eher. Ce bazou tiendra-t-il le coup 1 Pour la troisie-me fois, il s'etouffe. Nous traversons une zone plus humide, plus fondante, chaque auto qui nous double nous asperge copieusement. Une noyade. Chaque fois, une douche invraisemblable. A la douzie-mc douche, le moteur s'arrete, il faut le faire secher. On fume, on jase. On est inquiets, la nuit est noire comme I'encrc. Je rcpars car les questions m'inquietent: ai-je assez d'essence, la pile tiendra-t-elle lc coup, il me semble qu'il n'y a plus d'huile. On repart. On fonce dans les draps sales, dans les draps gris et mouilles. Point d'avalanche, point de "deer", rien, rien que la nuit a traverser et ce couloir a grimper petit a petit. Nous serons au bout, tout en haut, sur la palette, le plongeoir, la planche-a-pochette, nous serons la-haut, a New-York-la-nuit, au milieu des curieux, des touristes, des visiteurs, nous serons sur le bout du teton de 1'Amerique. Ce sera un coup terrible que la vue soudaine, furtive de Pecritcau inattendu : "NEW-YORK - 240 miles". — "Paul. Nous etions fous de partir, non ?" — Mais non. Ethel, IWrtitude Toujours ces questions. Ces regrets. Ethel l'in-certainc. Curieux. Je me souviens. Je cherchais. La derniere fois que j'etais bien. C'etait le soir. Au milieu de la bande. De cette bande de come-diens. lis etaient des amis d'un soir. Et pourtant, tout de suite, je me suis senti bien, a I'aise. Nous attendions un camion. Je les avais aides a peindre des panneaux. Nous etions etendus dans un coin, le seul recoin chauffe de ce petit theatre. Un reve. II faisait une drole de rare chaleur — humainc. Subitement. II y a un grand type maigre qui joue du pipcau je crois, une petite et longue flute de bois qui mi ressemble et nous sommes la a atten-dre, nullement impatients a ecouter ces airs de flute. Oh, qu'il faisait doux ce soir. Jamais je ne 30 ETHEL ST LB TERRORISTS ETHEL ET LB TERRORISTS 31 fus si bien, si tranquille, tout serein, jusqu'au fond de moi. Quand les camionneurs ont sonne, per-sonne n'a bouge, ils sont entres, ils nous regar-daient, etendus les uns sur les autres comrae de pauvres fourrures d'un pauvre stock et ils ne par-laient pas les gros types, ils ecoutaient la flute je crois bien, ils ecoutaient le reste, ce temps, cette paix, ce calme. Des bandits k mon gout, des bohe-miens, melanges; riches et pauvres, sales et pro-pres, je savais desormais, qu'en cherchant bien, it y avait, oui, je trouverais bien moi aussi, une ban-de comme celie-Ia, un joueur de quelque chose, un bout de paix, des bouts de soirees et le gout de rester la, des heures, des nuits. -—Ethel, c'est pas possible. Nous serons heu-reux pour vrai, un jour, quelque part. Elle me regarde. EUe a soudain son chaud regard de juive, et puis, elle commence a sourire. C'est lent. C'est long mats quand il est fait, forme, on diratt qu'elle va sourire pour le reste de ses jours et c'est bien cela qui me fascine. Je n'ai plus peur de rien. Je pense a ses Iongues jambes que je connais si bien, je songe a son cou, je me promene, en souvenir, une randonnee de reconnaissance, une sentinelle de sa chair, elle garde son phare allume, son sourire, je peux bien faire le guet, tourner tant que je veux. Elle sourit. Et le moteur peut bien ne plus jamais repartir, jamais. II me semble que plus rien ne compte, rien du tout. Nous sortirons dc l'auto, nous en sortons. Nous marchons vers ce "rest area". Elle me regarde, ne me pose aucune question. Elle sait. La nuit est d'encre. Nous sommes seuls, enfin, pourquoi nous dépéch ions-nous ľ Je l'embrasse. Elle ouvre les yeux, me regarde tout doucement. Des voitures filent la-bas, sur la route. —-Tu vois- Ils vont á New-York. Ils y mon-tent tous. Tous. Nous serons des milliers, des millions. Nous parlerons tous ensemble. On pourra s'expliquer. Ce n'est pas une ville ordinaire. C'est i une grande plateforme. Tout le monde a droit de parole. — Tu reves. — Oui, je réve. Et nous repartons. Soulagés. On ne sait trop de quoi. Mais bien, micux, hcureux. Le defilé des trois rats Je ne sais pourquoi, était-ce I'ennui de la route ľ Je voyais Ethel qui marchait au milieu d'un pont, moi j'étais la aussi. Entre nous, il y avait le noir — Slide — et tous les trois nous marchions en nous tenant par la main. Slide me serrait la main tres fort, je crois qu'il avait peur, qu'il tremblait un pcu. Sous ce pont — il me semble que ce pont, je ľavais déjá vu — sous ce pont, c'était plein de petits bateaux avec de petites trompettes et des fanions, et ľon y jouait des rrvusiqucs joyeuses, de 32 ETHEL ST LB TERKORISTE fanfares, 4e parades militaires comma les corps de cadets de mon quartier. 11 faisait un bon vent, il soufflait sur nous, c'etait tiede, fort agreable, n'est-ce pas Ethel I Elle acquiescait. Nous Prions f iers et tres contents de nous. Tout ce monde. Tou-te cette flotte sous le pont. Et ces lumieres et ces musiques, ces amplificateurs, nous avions stopp£ la circulation — le pont nous faisait une large avenue — nous etions des heros, j'aimerais tout de meme savoir de quoi, pourquoi — enfin —- Nous nous trompions. Les rieurs sont de quel cote. Au bout du pont, il y a I'estrade. II y a lea officiels, les minis tres, les bien vetus, les munis, les tres richards, les doues et les surdoues, les ad-ministrateurs — ceux qui redigent les lois — ils sont installes sur de petits trones bien batis — et la parade joue etmarche en l'honneur de ces sages, de ces elus, de ces grades, de ces puissants. Trois miserables marchent cote a cote, et si le pont est large, sans trafic et luisant c'est pour mieux nous conduire au supplice. On a dres-si un gibet pour le noir, une potence pour I'itlu-min£ canoque que je suis et, pour ma jolie juive, on prepare une cage de barbeles, un piege, un tourment tout neuf. ETHEL ET LB TBRRORISTE 33 Samedi, 10 heures 30 du soir — Tu as l'air grave. — Oui, Ethel, j'ai l'air grave. —- Sais-tu a quoi j'ai pense I Je pourrais tra-vailler en arrivant a Miami, disons une semaine ou deux, un travail de fou, harassant, mais bien paye. Apres je quitte. Je leve la seance. Et e'est ton tour. Ainsi, on passe une quinzaine en dedans, une quinzaine au grand soleil, au bord de I'ocean. Chouette, non I C'est elle. Elle a souvent, ainsi, de bonnes pe-tites idees pratiques. — Mais, Ethel, avec ton true, nous ne serons jamais ensemble ! Elle me regarde en riant. Sans honte. Elle s'en fiche. C'est comme ca. — On s'arrangera. Et voila. Elle vient de reglcr notre sort. Eton* nante bonne femme. Et soudain, ca y est, le "thru* way", I'autoroutc, la legende, le passage tant van* te. On se reveille un peu. On est revigore. Un dernier cafe. Done, on le boit ici. De Glenn Falls a Schenectady, il y a un pet. Le gros garagiste est un fictfe menteur. II promet: "New-York, vous etes la dans une heure et demte". On ne peut pas !e croire. II y a au moins le double. En tout cas, il est 10 heures 30 minutes. Chose certaine, de-main dimanche, on se promenera Times Square ! 34 ETHEL ET I>£ TERRORISTB BTHBL ET LB TERRORISTB 35 II y a des jeunes gens, affales a des tables ban-calcs. II y a I'odeur traditionnelle de graisse k fri-tes. On commande des hamburgers. La vieille nous fabrique des hot-dogs. EUe explique : Plus de viande hachee... que de la saucisse. Vous aime-res ca. Avec la moutarde, la, qu'elle pousse sous nos doigts. Merci. On consulte la carte avec satisfaction. Etre a la portc de ce "turnpike" e'est com-me partir en avion. On sait que ca va filer. Ethel est excitee. Je suis de meillcure humeur. Nous nous eloignons et e'est une bonne chose. Et e'est plus prudent. Au fond, derriere 1'epaissc cloison, sans qu'aucun son nous parvienne, on voit tout un regiment dc jeunes gens qui s'installent, se grou-pent portant d'autres gens costumes sur les cpau-les, couronnant une reinc-carnaval, lui rcmettant des insigncs avant de sc mettre a danser quelque twist endiable. Un aquarium de silence, je songe aux jeunes du Mouvement. Qui dansaient peu. Qui discutaient a longueur dc jours et dc nuits. Qui passaient leur jeunesse, certains a mesurer 1'avenir au compte-gouttes, en termes d'echecs, d'entreprises graves, voire dangereuses ou precai-res, k mesurer des risques, a suivre une ligne, un parti, des theories, et ceux-ci qui buvaient et dansaient dans une nuit claire, au bout d'un petit samcdi crasseux d'Amerique, comme il y en aura encore des millions a vivre. En route. — Tu as l'air grave ? Eh oui, pauvre fille. Si tu savats. C*est que je suis fatigue d'avoir l'air grave. Je suis un pantin, un conspirateur de chocolat, un patriote pour rire. Et le guignol s'engagc, enfin, enfin, sur le long serpent neuf et propre. En avant, vers Albany, vers Kingston, par-dessus Newburg, un petit bout dans le pare de New Jersey et hop, värage ä gauche, dans la nuit, nous descendrons sur New-York. Guignol en tcte accompagne d'unc jolie poupee brune, chocolat, soldat pour rire. —- Si on ecoutait la radio, pour savoir ... — Ethel, e'est inutile. lis Pont dir, tu te sou-viens ? Des morts, ca ne se compte plus, ca sert. En route, on monte ä 70. Et ca cogne dans I'entre-capot. Pour suivre nos mensonges Oh Ethel, petite Ethel. Quel mensonge. Quand je t'ai fait la cour. Quelle faeon. Quelle tromperie. Nous etions de joyeux petits calvaires de baveux, non ? On faisait un film ? Tu te souviens. On fai-sait un film. Nous t'attendions, tous les jours, vers quatre hcures, rue Bleury, ä la porte de ce "business college" pour poursuivrc nos mensonges. 11 y avait Gaston, le fauche, le plume, celui que tu n'aimais pas mais qu'il fallait bien trainer parce qu'il avait cette vieille camera — et il y avait "le-Casq", et ses grands airs qu'il fallait bien trainer aussi car il avait un petit bazou jaune mcrde. 36 ETHEL ET LB TERRORISTS ETHEL ET 1.B TERRORISTS 37 Oh Ethel, petite Ethel, quel mensonge ! Tu suivais, naive, candide. Tu suivais. Tu écoutais. On t'amenait partout. Docile. Tu te déshabillais. Tu te rhabillais. On te faisait prendre des pauses idiotes, on te faisait faire les pires acrobaties. Cette combinaison de laine rouge, c'crait tordant. Idiots ! Tu te le rappelies. Et ce bout d'essai, dans ce hangar ou tu attrapas un rhume terrible qui dura tout l'hiver. Et je t'ai tout avoué. Et tu pardonnais. Tu riais méme. Adorable. Amour. Etrange. La, vrai-ment, j'ai vu qui tu étais. Et je ťai atmée. Vrai-ment, une dróle de füle. On n'avait pas un sou, pas un rond, pas un poucc de pellicule. Rien. Nous étions des vauriens, des mythomanes comme il en pleut dans ce pays, cassés, pas de moyens. Moins que rien. Et tu as oublié 5a. Tu me regar-dais, tu écoutais mes aveux, je croyais que tu allais me tuer, ou bien pleurer comme une folle et, oh Ethel, je ťaime, tu as haussé les épaules. Et alors, lá, alors la, je me suis mis á ta recherche, á ta poursuite. II y avait de quoi. Tu étais quclqu'un. En or. Un role. Je ťen écrirai un, long, bien fait, bien fini, un role a n'en plus finir de le jouer. II s'inti-tulera, mon film, l'Echappe, le retour vers New-York ou, la Montée, 1'Asccnsion. Petite fille sublime. Une legende pour Ethel II me semble que je pourrais poser une pierrc, une brique sur la pedale de l'accelerateur et que nous pourrions laisser filer ainsi cette voiture sur la route si droite. Nous irions nous prendre les doigts de mains ct de pleds sur le siege-arricre. Nous survolons Schenectady, puis, nous cn fe-rons autant pour Albany. C'est fou. Ce ciment volant, ces dos de dragon. Ces anncaux, ces ponts, ces rampes d'evitement. Les petites lumieres fati-diques d'unc ville, et hop, enlevees J On file. A cha-que cinquantaine de milles, un arret. On s'amuse. Toujours le meme type de garage, de parking, de cafeteria. Meme camelote, memes entrees, meraes souvenirs, memes menus. Meme cafe americain qui goute l'eau de vaisselle. Nous nous mefions. Chaqife regard un peu pesant nous inquiete. Nous nous efforcons de prendre bonne allure. Mine de ricn. Mine de deux jeunes amoureux un peu betes, un peu ecerveles. Jeux de mains, jeux de vilains, je te fais rire, pour rien, en vain, en fou, je te cha-touille, meme pas, tiens, c'est jure, crache, mains en Pair, tu te fais des idees, hi es folte, je t'atme bien, langueur, torpeur, on se sccoue, deux faux innocents, en route, loin des amis, loin d'un Montreal ecoeure, nervcux, on joue bien les innocents, les stupides, les arrieres mentaux, les tordus, les ccux-qui-ont-ca-au-ventre, ccux qui vont s'allon- 38 ETHEL ET LE TERRORISTS ETHEL ET LE TERRORIST!! 39 ger au prochain motel, les ceux qui n'ert peuvent plus, regards discrets, regards penetrants, regards honnétes • comme - au - cinema - des - anciennes ' vagues, doigts serrés, cheveux qui luisent sur le decor lunaire, a-t-on asser vomi sur ces maladies d'antan. A-t-on réussi, Ethel, á tout désacraliser, á tout débarquer, á ironiser sur tout, a aspergcr de sarcasmes ces manies romantiques et maintenant, en ce desert de beton, de ciment, en cette nuit qui s'adoucit, roulant vers ce réve tant chéri —- voir New-York, parlcr et rire á New-York, courir á New-York —- maintenant sommes-nous plus avan-cés, en sortant de ce "rest zone" quand il f aut aller derriěre le garage de blocs propres de ciment neuf, s*y appuyer, et nous enfoncer Tun dans l'autre, par joie antkipée, par besoin nervcux, parce que je ne cesše plus de penser á toi, de prendre tes me-sures, de mieux savoir qui tu es pour moi. Une maladie. Un mal nécessaire. Et tot, tu souffles : — En arrivant, je veux montér au haut de l'Empire .. . comme tout le monde. —- Oui, la-hant, nous ouvrirons ton petit transistor, nous pourrons entendre Montreal. Et s'il y a des morts, on se laissera tomber. Promis ? Jure 1 Oh Paul ! Tu paries sérieusement ? — Oh non Í Je me moquc, je la souléve, je la tire, quelle chahut, elle rit, je la couche sur le toit de l'auto, je la ficelle avec du Huge, nos foulards, ma cein-turc. \ — Voilä, mon trophee de chasse. Mon "deer", ma biche, je te montrerai partout. Tu feras la morte. On te rentrera dans un de ces riches mu-sees. Je t'ecrirai une histoire, une legende. Je dirai qu'on a creuse beaucoup, tres creux, que tu es la reine, la princesse des forets, de nos champs mouil-les et steriles, que tu es la deesse des "canoques" ou la niece du Messte, de l'Antechrist, de Qucbec-la-revolution, je dirai que je t'ai decouverte au fond des bois, sous des tonnes de sapins coupes, au fond d'une mine du nord, de Rouyn, de Noranda, de l'Ungava, ou bien que tu t'echappais au-dessus -, de Manicouagan, pres des barrages, que tu es elec-trique et qu'on meurt foudroye si on te touche. — Ah, si c'etait le printemps, Ou mieux, l'ete. Mais fevrier, fevrier, fevrier ! Allez done courir aux bois. Je voudrais courir aux bois. — Moi aussi. : ■ Faire un grand feu. De branches, de feuilles, i de rien. *; — Ge serait bien. Beau. Chaud. Faire cuire des petites saucisses. Se chauffer: ! tes mains et les pieds. Etendrc une couverture. S'y rouler. Et s'aimer jusqu'ä la derniere etincclle, ä ",' la derniere lueur. I — Ce serait beau. Bon. f Ethel mon amour regarde : \ On voit comme une mare d'huile, une graisse liquide. Elle s'agrandit et s'etale demesurement 40 ETHEL ET LB TERRORISTS derriere le garage. C'est incroyable. On a oublie de fermer un robinet ä essence. C'est beau. La fache se repand lentement, lentement, nous la regar-dons couvrir le patio du parking, fascines. Les lueurs des reverberes s'y mirent. Et le passage des autos, par intcrmittences irregulieres, ajoute des reflets intcnses. On peut ecouter le bruit derriere le mur. Est-ce le robinet oublie ? Ou peut-etre fait-on la vidange de quelques moteurs epuises par les voyages. Un ruisseau d'cau vient du terrain voi-sin, en pente. L'huile atteint 1'eau. Cela fait des formes rares, des figures etranges se mettent en mouvement. Nous prenons un grand plaisir ä tourner autour de cette flaque. On se regarde et nous sommes follement amuses de notre aspect. Notre peau devient cendres, charbons, diamants, melasse visqueuse, sable ou grumeaux durs comme la pierre. Nous voulons participer ä ce spectacle. Et nous marchons dans l'huile et l'eau. Nous je-tons des restes d'une neige salie. Nous pictinons la mare aux reflets cruels ou agrcables. Nous rions. On a joue longtemps ainsi, comme deux en-fants. Comme je m'amusais le long du caniveau, rue Drolet, rue Jean-Talon, rue Henri-Julien, rue Belanger quand j'etais petit, rue de Castelnau. Ethel prend son air de nuit. Je me comprcnds. Ses yeux baissent un peu. Elle se met, comme je dis sur "ses petites". Et eile se blottit. Ronronne. Une chatte confiante. Je pousse au bout. Jc songe ä l'avenir. Je veux dire a. tantot, ä cette nuit. Nous |! ETHEL ET LE TERRORIST! 41 ; . ■.' ■ '■ ■ ■" ■■ .' : --'''' ''•.•'} '■'.■'■"■■'."••'},'"'••: '■ T serons, hilas, morts, nous refuserons toute tenta-tion. Nous tomberons de fatigue. Nous approchons I, pourtant. Des affiches nous disent, de plus en plus | sou vent, qu'elle est la, toute proche, qu'elle s'ame-ne cette grande damnee, qu'elle s'approche cette grande folle illumin^e. Qu'elle vienne cette beaute \ baroque. Je me vois vieux Soudain, c'est comme un hopitai, je n'arrive plus a savoir si je reve, si je me souviens ou si, tout a coup, je suis plonge dans 1'avenir. Cela arrive. Je reconnais des sons, des choses et dcs etres. Cette infirmierc. Et pourtant je suis \ etranger a certaines odeurs. C'est ainsi, cela arrive. Ne plus savoir si c'est le passe ou si nous faisons un bond dans l'avenir. Pourtant, c'est bien l'h6pi-tal du nord de la ville. Et je sais que derriere ces fenetres, quand le jour reviendra, je verrai cc dome, cette tete d'orme et un pcu a gauche, ces rangees innombrables de briques rouges et delavees. f C'est bizarre. Je n'ose parler. J'ecoute. Je serai mis au courant. Mais c'est un piege, je ne peux pas |: percevoir clairement cc qui se dit autour de moi :i\ — un accident, j'ouvre grands les yeux, non. Me voila rassure, puisque Ethel est bien la, a mes cotes, ■ftwa'blottiei'.et.'.ftiucttei'-ses' yeux vifs aux lueurs d'yeux *, de chatte scrutant le dos du dragon, les affiches, les phares de ceux qui doublent, de ceux qui sui- / ETHEL ET LB TERRORIST* vent, les lueurs rouges de ceux qui vont de l'avant, les multicolores et clignotants des camions, done, non, pas d'accident, je jpeux done rouvrir le pan-neau et retourner oil j'etais — les corridors se ; montrent par la porte qui vient de s'ouvrir, devant moi ca n'est plus la ligne blanche et droite dc mes draps dc lit ďhópitai mais la nappe blanche dc ce séminaire du diable; plus ďinfirmiěres coquettes ä me raidir du matin jusqu'au soir, pour une appendicite á quinze ans, des religieuses grises et noires, des tétes pales mais luisantes de cures en goguette, en goguctte pour 1'instruction. Que ca rentrait mal. Mais, si c'etait demain, plus tard, car je me sens vicux, je me vois vicux. Je ne songe plus au passe, je suis projeté en avant. C'est certain. Ethel ne viendra pas, pas ici. Pas de place pour les juifs dans tous ces murs, á moins de les cacher, les fourrer sous nos oreillcrs ou en rembour-rer les matelas. Ethel n'est done pas la. Je ne peux veux m'en aller. On me sourit gentiment. Les cures sont armés. Ce sont des policiers et c'est la voix d'Ethel enfin. Oui, je reconnais. Elle a vicilli aussi. Et elle n'a pas change puisque je peux I'en-tendre répéter distinctemcnt: ■ :.\; — Si on pouvait savoir ? Un seul mort, ce se-rait de trop. Si on s'informait ? Errer C'est le soir. C'est vraiment tranquille. Nous sommcs encore dans un de ces arrets-restaurants jisemlf^ cheuse impression de n'avancer en rien. De pieti-ner. De rester sur place. De faire semblant de rou- ler^GJe^ H y aura peut-etre des dizaines de gares, de stations identiques, comme celle-d. Et nous ne finirons ja- — Ethel, c'est vrai. On est mort. Morts, tous Ics deux. Regarde, n'as-tu pas 1'impression d'etre Jdej$:i^^ — Oui, tout a 1'heure. — Bien sur, tout a l'hcure, mais aussi, il y a mcnt morts. Et nous errons. Nous errons quelque part en Amerique du nord. C'est un enfer, ou vres par nos amis, ceux de la dynamite peut-etre, s'Us parviennent a retrouver notre piste. C'etait quand, 1'annee derniere? n'a aucun sens concret, precis de certains mots. 11 y a ce vocabulaire qui I'excite et la tient dans un i||i$r|j^ 44 ETHEL KT LE TERRORISTS ETHEL ET LE TERRORISTS 45 —-Cest certain, Ethel, nous avons péché. Comme le petit mot "péché" dans notre vieux Livre. Nous sommes tout couverts de péchés, des petits, des longs, des ronds et des gros, des bleu pále , des rose tendre avcc des petites aigrettes — elle riait — et nous marchons á genoux, regar-de ils sont uses, on nous a coupe le bas des jambes, c'etait plus pratique pour marcher á genoux — elle riait —- et nous roulons, la mort dans l'ame, oh oui, deux pauvres, pauvres ámes en peine. Regar-de, c'est noir depuis des jours ct des jours, e'est noir depuis des mois et des années. Parviens-tu, Ethel, mon Ethel, á tc souvenir d'hier, non ? Cétait quand, 1'annéc derniěre ? Tu vois, tu ne peux dire. Encore ce bruit, cst-ce bien un avion qui siffle ? Tu n'en es pas trop certaine, avoue. C'est ainsi. Le purgatoire des culs-de-jatte nord-américains. C'est ici. J'etais au courant. Oui, on m'avait prévenu, pour les Nord-Américains, dít Dieu, j'ai pense á des autoroutes, de tongues auto-routes rapides et inutiles, dit Dicu, un grand sec, tout-puissant, avec des biceps comme Tarzan et comme Popeye, des yeux fins comme le promeť taient les images pieuses de mon enfance, oui, oui, Ethel, des routes, en tous sens avec, pour nous don-ner du courage, des affiches, des limites pour la vitesse, beaucoup ďaffiches. Tu n'as pas remarqué comme tout le monde joue bien son role. Rcgarde sur la banquette de ce restaurant, la, ce pére et son enfant, vieillis, comme ils ont 1'air morts ou jouent-its les vivants ? Regarde la serveuse, impeccable et qui parle un peu en francais. Eh bien ! si tu lui demandais tout ce qu'elle pense au sujet de ce que je viens de te dire, elle rirait, aux larmes meme, l'hypocrite, aux larmes, une vraie salopc. Parce qu'il y a ainsi des questions qui ne se posent plus. Tu vois, nous songeons ä gagner New-York, le haut monde, le bout dc l'Amerique, plongeoir eclaire; nous perdions notre temps. Ppurquoi ? Parce que nous avons seme la mort la-bas, la mort, tuvme demandais, si souvent, tu veux savoir, oui, ct pas un mort, mais plusieurs, je ne te dis que ca, et des enfants parmi, oui, on n'avait pas pense ä ca, des enfants. Le porte-bombe: Un outil indispensable Ethel me secoue. Elle sait que j'ai cesse de di-vaguer, de poetiser comme elle dit: — Paul tu savais tout ca, non ? — Oui, Ethel. —~ Et tu l'as fait quand meme. — Out, Ethel. — Mais pourquoi ? —- On m'a explique, c'etait clair, et mainte-nant. .. Oui, on m'a dit des mots pourtant clairs ä ce moment-la : "une Iecon. Ce sera un coup de 46 ETHEL ET LE TERRORISTE ETHEL ET LB TERRORISTE 47 fouet pour Ics traitres, les notres verront qu'on n'a plus le droit de collaborer. Nous ne le ferons qu'une fois, apres ce sera la fin, fini la rigolade..." Des phrases micux tournees, plus ronflantes, tongues de douze pieds, et j'ai dit "oui". Et on m'a serre les mains. On m'a dit que j'ctais un outil indispensable. Ethel, que j'etais indispensable ! Tu entends. On ne m'a jamais dit ca, sais-tu. Ethel pleure au bord du chemin. Je veux rire, la voir rire. Elle ne bouge pas. Elle sanglote pres de la voiture. — Alors, il y a eu des morts ? — Mais, je ne sais pas. Je sais que dans Pautre aile, oui, il y avait des gens, plein de gens. New-York: 40 milles Je chante en roulant. "Sommes*nous des baveux, de pauvres rats, sommes-nous les caves de l'Histoire, sommes-nous des chiens, ou de simples et pauvres domestiques ? Ethel sourit quand je chante. Je continue : "Nos enfants seront-ils des petits baveux de caves de domestiques, de rats de valets . . ." . Je la regarde. Elle ne rit pas assez. "Nos peres furent-ils des cons d'abrutis, des porteurs d'eau et des valets, nos meres furcnt-ellcs . des bonnes femmes bonasses et puritaines, des pauvres setvantes abruties, sans gages, sans espoir..." — Oh, regarde Paul. Nous approchons. En eff et. New-York, la bien-aimee, la tant revee est annoncee. 40 milles. Dans moins d'unc heurc nous y serons. — Tu vois, Paul, le purgatoire, e'est fini, ca acheve. Nous allions nous decouragcr.- C'est vrai. Deux piastres aux guichets. Et nous aliens tourner au-dessus de Paramus. Nous guet-tons deja les lumieres de la Ville. Nous nous ima-ginons que les buildings vont emcrger, que ga va sc voir a des milles. J'ouvre la vitrc. II me semble qu'on va entendre des bruits speciaux et que I'odcur sera dans l'air toute speciale •— Rten. II faut rouler. N'importe. New-York ne peut plus etre loin. Nous pouvons oublier les detours, la route dans les montagnes, les bourrasques, les menaces d'avalanches, de cerfs, d'ours ct le givre sur les vitres, les pannes, la neige poudreuse, 1'essuie-glace qui fonctionne mal. Tout s'envole. Nous approchons. Je me rase dans l'auto. Ethel s'amuse k me voir grimacer dans le miroir. Le sang — Pourquoi as-tu accepte, Paul 1 Je ne peux pas lui expliquer. A la radio eclate une chanson aigre-folle. Idio* te. Cretinisante. Ahurissante. Ethel en oublie sa question. 48 ETHEL ET LE TERRORISTS ETHEL ET LE TERRORISTS 49 ■— Paul, fait Ethel, hi as ton petit air cocoon ? A quoi penses'tu 1 Je stoppe, je freine sec. Je sors de la voiture. J'ouvre sa portiere. Je I'embrasse, je gueule, je la brutalise doucement, la fais sortir. Je la levc, ma puce, a bout de bras. Je vois ses longucs cuisses polies. Soudain, le coup de sang. Comme k l'accou-tum.ee. Et je la fais atterrir tout doucement. Elle sait ce qui se passe. -—On ne voit pas New-York, Paul. Peut-etre ferions-nous mieux de louer une chambre au premier motel ! — On dit "autoberge", mon enfant ! Et, pure precaution, elle me palpe en riant. Odeurs d'une banlieue — C'est comme du poisson ? — Non ! C'est comme si on faisait cuire... — Des peignes ! — Non ! Des bottes de caoutchouc ! — Oui, oui, c'est cela. Sale odeur J — Et New-York ? New-York, Ethel ? — Je vois pas, je vois rien ! — Regarde bien. Elle regarde bien. La sage. Appuyes, chacun de son c6te, vitres baissees. Deux momes au parapet, au basringage d'un pauvre petit bateau a croisieres, a touristes. A 1'odeur de feu, de caoutchouc brule, a succede une forte odeur de biscuit-soda. Bizarre. Et puis, plus etrange, une odeur de cannelle s'infiltre dans l'air. Et puis, encore, une odeur de moutarde. Nous sommes mystifies. Per-siste maintenant un melange de cannelle et de moutarde. Nous foncons narines ouvertes. On de-teste cette scntcur forte et rare. Et pourtant c'est un besoin. Inexplicable. Apres avoir contourne des endroits aux noms d'une sonorite plaisante, Paramus, Passafe, c'est la banlieue de New-York. Banlieue ouest, on n'est pas certains. Ouest ou nord-ouest. On ne sait trop, Comment s'orienter ? Cette carte froissee que nous consultons en vitesse. Ethel ne cesse plus, excedee, impatiente, de Pouvrir et de la refcrmcr. Le bruit du papier froisse me sert de mesure. Je sais que sa tension monte de plus en plus et qu'il faut main-tenant aboutir. II y a ce cube, ce petit espace d'un jaune cru, vif : M A N H A T T A N, les lettres sont isolees, la, au revers de la carte ou New-York est montre a une plus grande echelle. Approche Nous dormirons a Secaucus. Manhattan, cette tache, comme eclatec sur la carte, nous fascine, nous attire, nous fait signe. Un appcl irresistible ! Manhattan semble se deplaccr et nous courons 50 ETHBL BT LE TERRORISTE ETHEI. ET LE TERRORISTE apres, nous voulons entourer, center cette jaune eclaboussure. Le plongeoir de l'Amerique. Le bout. Forme claire qui fait la belle, brillc devant nos regards avides. Nous grimperons sur toi, demain, ■■. ■.dimai^ Restc le dernier bout de chemin. Ce pare du New Jersey. Par quel bout accrocher Manhattan ? Au lasso ? ifi^r^Ki Mais nous tombons de fatigue. Tantot, on chancelait quand on est remonte en auto apres lc dernier "cafe-hamburger-coke", au dernier poste du bout du "New-York-Inter-State-Thruway". Nos yeux se ferment. Ethel est epuisee. Elle somnole. Elle a pose sa main sur ma jambe, mollcment. Cela est le signal, le signal d'arret. La halte. Moi aussi, j'en creve ! Je guette le premier motel. Je le sou- Bon. C'est bien fini. Cette tranquillite des beaux chemins. Indications : New-York. Virage. Tournez a gauche. Ethel, pour m'avertir n'a eu qu'a presser le genou legercment. Et soudain, c'est le rrafic intense du bord des villcs. II y a dans l'air quelque chose de change. On ne peut plus etre bien loin. Et pourtant, on ne voit encore rien. Maintenant, il flotte dans l'air une nouvelle lu-miere. Des ondes ! Pourquoi des ondes. Nous som- |||::^^ Wa, ;|I est si tard. Si tard qu'a un certain moment, ne J beau visage defait, vaincu d'Ethel, je vire a droite. |||:>;N^ C'est soudain la nuit parfaite de nouveau. La nuit noire. Banlieue incroyablcment calme de New-York ! Nous avons quitte le dragon-a-la-crete de phares aveuglants, quitte ce fleuve grincant, : cette piste pour coureurs aveugles. Finie la route. Delaissc, le jouet essoufflant. II etait temps. Ca-bine numero 7, petit havrc, abri bleme, halte que- Dos au monde, dos aux chemins paves, dans cette cour mysterieusement calme. Le gravier cris-se sous nos pas. Pas alourdis par le poids des valises. Une cle. Oh ! Ethel, unc cle ! II y a si long-■ temps, nous semble-t-il. Oui, je jurerais que nous Isommes partis, que nous fuyons depuis des jours P^|ldjes^^ monde ! Tu ouvres avec terrcur, Ethel. Ou avec Ijoie ! Tu me fats peur. Ricn ne se Ut sur ton visage. Rien. C'est atroce. Violent. Tu nc sais quel sentiment eprouver. II est bien etonnant ce lotird et 52 BTHBL BT IB TERRORISTB | complet silence de février, en banlieue de New- j York. Ethel se précipite dans la cabine. i Avant de reťermer le coffre de la voiture, je tente de reconnaítre le paysage, 1'avenir. Cher \ avenir ! J'arrive, avec peine, sans aucune certitude, a soupconner des masses gigantesques. En j l'air, ces mastodontes forment ďétranges barrages d'obscurite dans unc nuit laiteuse, éclairée par les phares d'autos, loin, plus haut dans cc paysage \ étonnant. Pres de moi, des lampes-veilleuses dif-fusent des formes, des masses que je distingue fragiles. On y lit d'enormes sigles noirs : tours, tun- j nels, rampes ďéviícment, signes inconnus. Dessins simplistes, sculpture anonyme, inachevée, tempo* raire. Le sommeil ďEthel Je rentre. Et déjá Ethel, pauvre douce Ethel éreintée, est sous la douche; eile qui adore l'eau. Sa valise git au milieu de la chambre, ouverte, dé-faite. Le pyjama traíne, une partie sur le tapis, l'autre sur un fauteuil. Elle dit toujours, comme pour s'excuser : "Je n'arrive pas ä m'endormir sans pyjama, c'est dróle $a, non Trěs dróle ! J'ouvre doucement la porte de verre i dépoli. Je veux lui laver doucement le dos, et, ma ■ beautd, ma surprise, oh ma fille. Elle dort! Elle ■ dort sous la pluic drue de la douche tendrement, ( :: ETHEL BT LB TERRORISTS 53 appuyée au tnut* Sa belle téte aux cheveux mouil-lés. "Ethel, il faut que je te parle, pendant ton sommeil, pendant qu'il pleut sur nous, sur notre nudíte. Nous sommes deux orphelins. Je n'ai rien. Je suis pauvre. Je ne suis pas ce chevalier blanc et baptise. Je ne suis pas ce prince-aux-bois des contes pour pctitcs filles. Ethel, pendant que tu dors et que j'ecoute cette artificielle ondée en cette ridicule boíte de vcrre, au milieu de cette petite loge pour deux rats échappés, il faut que, je te dise que, simplement, je ťaime. Que je ťaime et que la vie sera meilleure en sortant ďici. Nous pourrions faire une vie plaisantc. Loin, s'en aller au sud. Dans ces lies qui nous faisaient réver. Te souviens-tu, nous courions les agences de voyages durant Thiver en ce Montreal dur, humide, blanc et severe ? Pour rirc, pour entendre pařler í du soleil, du sable de ces plages cxotiques ! Eh bien ! Ethel, tu verras, nous avons assez ďargent pour fuir loin. Loin de ce pays blanc et froid. Nous irons au bout du monde s'il le faut, mais nous le I. trouvérons ce repos. Cette paix que nous quéman-i. dons depuis des síěcles ct des siécles, il me semble. ; Depuis des siécles ! Maintenant elle va venir. Elle va fondre sur nous. Je veux qu'elle vienne, fonde, £■ s'abatte sur nous. Oui, c'est idiot J'irat jusqu'a ■v permettre qu'elle nous écrase et qu'on en meure. ^ Tout ce savon sur ton beau corps. Toutes ces |; caresses de savon. Tu ouvres les yeux. Avec un 54 ETHEL ET LE TERRORISTS naturel désarmant. Comme si tu n'avais pas dor-mi. Tu me souris. Désarconnante. Je sens tes jam-bes flageolantes quand tu retournes vers la cham-bre, le lit que je défais d'un geste avant que tu y tombes. Mořte. Je tombe á tes cótés. Tu me re-gardes d'un regard vide, absent, et pourtant tu trouves encore la force de me qucstionner : — Paul ! En es-tu certain ? Aucun mort selon toi, aucun I — Mais tu es folle. Tu n'ecoutais done pas tan-tót.. . La radio . . . Tu dormais 1 Dcs dizaines de cadavres. Des monceaux de rues. Des montagnes de chair pulvérisée ! Ethel s'est soulcvcc. Elle met un long moment avant de se réveiller, de comprendre et puis elle retombe sur le lit. Nous avons route depuis douze heures. Elle dort et je veille. J'ecoute le bruit du chauffe-eau, celu i du radiateur á pétrole. J'ecoute le tres lointain grondement des voitures. J'ecoute, surtout, le souffle régulter de mon amie. Je l'ecoute dormir. Presque avec respect. Je I'aime encore davantage. Se secouer Oh oui, e'est un beau matin. On se léve. En silence. Nous savons oů aller. Tantót, nous y serous. Bonne chose d'avoir dormi. Bonne chose de s'etre bien caresses. Une fois, au milieu de la nuit, |, ETHEL Et LE TERRORISTS 55 |" et tantot, a 1'aube. Bonne chose d'en avoir fini * avec les etreintes. Maintenant, tout peut arriver. I" Tout. Nous sommes rassures. Du fait dc n'avoir 1 pas ete inquietes par le proprio du motel. Tout I va bien. Tout ira bien. On ne salt rien. On ne I, nous cherche pas. Nulle part. Nous n'avons rien fait. La-haut, en ce froid Montreal, la bombe mau-dite n'a pas eclate. Personne n'est mort. Ethel regarde-moi ! — Tantot, nous entrerons dans Ncw-York. C'est sur. Ethel, regarde-moi. II n'y a, dehors, per-sonne, pas un chat. Personne pour nous coffrer, nous pincer. Nous ne sommes rien. Rien du tout. Rien. Ethel, mais c'est formidable. Nous ne sommes rien du tout. On ne nous cherche pas ! Mais c'est merveilleux Ethel ! Quel beau dimanche ! 1 Nous ne valons rien. Ma tete n'est pas mise k prix. Regarde-moi . . . Ethel 1 Tu fais semblant de I dormir. Je te vois sourire au fond de Porciller. Je ne suis rien. Un 'tit cut ! Ethel ! Un 'tit cul ! Tu te souviens. Je t'avais raconte, quand on etait jeu-r nes, on se le criait, nous n'etions tous les uns £ pour les autres que dcs " 'tits culs" I On se bour-\ rait d'injures ! Eh bien ! tu vois, je suis reste ca : ji un 'tit cul ! Tit cul mouille J Je me le rappellc, I 'tit cul, assis au milieu du trottoir, pour decoller i les machees de gomme sur le macadam I Des sa-| lauds de petits morveux ! |i Mon Dieu, que nous etions bien eteves, bien I dresses, loin du coeur, loin des yeux ! Maman etait 56 ETHEL ET LE TBRRORISTE a ses lessives, a sa trainee de chiots ! Pauvre ma-man ! —• Tu viens, Ethel, il faut te secouer. Dans dix minutes j*en suis sur, on debouche sur New-York. On y reste un petit moment, histoire de se rincer 1'oeil et hop, le coup de fit chez noiraud, Slide-mes-espoirs J Les papiers truques. L'avion ! Miami ! La plage ! Le soleil I Une affiche de gogo ! Vite, Ethel, sous la douche ! Le matin Cette seance. It nous arrivait ainsi, en pleine nuit, tres soudainement, non pas de nous eveitler entitlement mais de connaitre une sorte de faim subite qu'il fatlait absolument contenter. Nous etions, chaque fois, fort etonnes de voir avec quel accord secret et profond nos sens s'accordaient, notre envie comcidait. Ces fois-la, nous nous pre-nions avec une certaine superbe. Nous avions une sorte de respect mutuel pour ce besoin sauvage qui sourdait comme du fond d'un insondable abi-me, notre sommeil. Alors, les gestes habituels, la moindre caresse, prenaient valeur de symboles sacres, de ceremonies rituelles, antiques et comme chargees d'une certaine noblesse. Nous etouffions nos cris, nos rales, jusqu'a nos moindres soupirs. Nous avions besoin d'un silence tacite, et alors, le tout se deroulait dans une obscurite totale et dans I ETHEL ET LE TERRORISTE 57 | un silence venerable. Et c'etait bon, chaque fois, I- bon a en crever, a en mourir de satisfaction, de joie complete. En sortant de la douche, Ethel vient s'etendre j sur le lit. Cette odeur d'eau I Elle ne s'est pas se-chee vraiment* Cette odeur de mouille m'excite, s et malgrc la hate de voir New-York, malgre le beau soleil derriere les fenetres, 1'invitation transmise par les bruits dehors d'une vie reveillee, d'un jour nouveau qui s'offre, je me surprends a recom-mencer l'amusant manege. Etle se refuse molle-mcnt, proteste faiblement. Encore une fois, sou-dain, se met k remuer, a raler gentimcnt, a ouvrir les jambes et a s'accrocher a mon corps pour cette fatidique chevauchee, ces secousses, ces courses ; effrcnees, ce galop, cc trot, ces arrets. Ses yeux qui i me fixent, qui me sourient, qui m'appellent, qui me caressent, qui me supplient de continucr et qui, alors, se referment pour je ne sais jamais quel i songe fabuleux, quel reve inaccessible, quel mi-j rage de conte de fee, quelle plage souhaitee. I Une carte du tendre My r" I Et puis, il fallait bien se reprendre. Car enfin, | la-bas, a Montreal, c'etait unc fichue bataille. II I;- fallait se cacher partout. Cher Ethel, il y avait tou-jours un mondc fou qui surgissait a toutc heure du jour. Quant a. moi, je n'etais, diable, pas mieux 58 ETHEL ET LE TERRORISTE ETHEL ET LE TERRORISTE 59 Pöüs|fepiai^^ io^iiiii^^ ;|IÍr|s|iii^^ ite,«hä|oite ijp|^ie^ IpJ$iÉi|r^ ■fe^^^tis-^ '}:|;:x^ ■|;^ la fois de cette cabane á outils ct les hommes qui : reaux salis de la lucarne depuis un bon moment, j Eh oui, si je m'en souviens. Et de ta belle colére, .....:;Ätií||j^ ;« 60 ETHEL ET I.E TERRORISTS ETHEL ET LE TERRORISTE 61 qui me seduit, m'immobilise en sage et prudent tu n'as voulu que je t'aide. Si j'essaye, tu pousses des cris et tu me repousses violemment. Cela m'in-quiete, me fascine et fait que tes gestes studieux et soignes pour te vetir ont pris une importance Ksahs-dpute:-^^ Je songe soudain. Si tous tes frercs, tes trois frercs, beaux, grands et frises, si mcs soeurs, toutes mes soeurs, les quatre, si tout ce monde nous voyait remonter les valises a bord. Si nos families savaient la vcrite ! Et je pense k la tete de ma mere. Son grand garcon. Si bete mais si sage. Si tranquille et si niais. Juste bon pour rever et ecri- iais au "pif", tournage a gauche, virage a droite. Et hop, on tombe pile sur le tunnel de monsieur "Lincoln-Toll !" Je paye d'un geste. On file ! Comme dans une baignoire. Carreaux luisants aux murs. Les autos filent. Images vites du cinema muet. Je garde, avec prudence, une droite extreme. Je longe les murs de ce corridor sous l'Hudson. On ne sait jamais. Tous les autres autour de nous, pourtant, semblent savoir ou ils vont. Facheuse impression toujours, qui ne nous quittera plus ! Dans le ciel, trois avions viennent de passer. II est 9 heures. Deja. On a beaucoup flane dans cette cabine, etendus au bord du lit. II y avait ces douze heures de route, huit de nuit, de noir-ceur, de neige, de pluie, de rafales, de vents, de bourrasques.; - \: Trois autres jets sifflent. C'cst le soleil. En sor-tant du tunnel, e'est la pleine ville ! :.I^s.:';.affi.cSiss. ■ ■ ise-^utith^H^ pression qu'on est pousse :';:par :,derrierfe,'-WN^^t ■ moindre :fau^yrhbuyetn^ ■v^ehty'^ ^e::.l'iMp^ Et s'élévent les jolts cactus, polis, sans épines. Tout autour de nous, dresses, edifices raides. Grandes chandelles de béton. Cierges qui s'allu-meront ce soir en un durable feu d'artifice. v;'^;!;\;l?etít; miracle. Au hasard, cn naviguant, on tombe pile 47ieme rue, on aboutit au milieu de la ville. La rue Broadway est la, á cóté. La ville est sage et tranquille. Le vent soulěve quelques pa-piers. Des auvents de toile s'agitent. Aux portes des magasins, de sini stres grilles nous repetent que e'est dimanche. Ethel sort de l'auto, la camera pa-réc. Etrange silence sur la ville. Etranges couleurs. Le soleil joue ä cache-cache entre ces chandelles de béton. Un air de dimanche semblable ä celui de la rue St-Jacques, sous le nombril de Mont- 62 ETHBL ET LE TERRORISTS real, les dimanches matin. Je sers la main de ma grande biche armée de sa camera. Eile marche plus vite que moi. Ne pense, déjá et toujours, qu'a manger. Í1 faudra bien en reparler de ce magni-fique appétít. En hiver, tout l'hiver — et il dure treize mois par année chez nous dirait-on — Ethel a faim, et elle a froid. Eile frissonne et elle a faim. Je crois qu'ellc accepterait d'hiberner scientifiquement ďoctobrc á mai, au pays. Pour des nouvelles de Slide En cherchant un restaurant oil prendre au moins un tout petit dejeuner, nous ne finissons plus d'examiner les couleurs des edifices. Chaque ville a done ses couleurs particulieres. Je me sou-viendrai longtcmps des gris, des beiges et des chamois des rues de Paris. Des gris tendres, comme du duvet, la peau d'un petit animal fourré, le soir. On aurait eu envie de caresser les murs. Et ces verts, ces rouilles á Londres. Le petit marin ďété, 1'érudiant-matelot que j'etais, déjá notait les tcintes des villes. Juste le temps de retenir les couleurs, en courant ďune escale á l'autre sur ce miserable vieux cabot de transport de pétrole. Ici les noirs abondent, des edifices comme d'un bleu marine, d'autres violets ou d'un brun fauve, sombre et sale. Le soleil ramene quelques uns de ces hauts jeux de blocs, du brun café au brun roux, au beige, au caramel. Et, ici et la, un i ETHEL ET LE TERROR1STE 63 I tout blane. Peu á peu, on verra les bruits venir I s'installer parmi nous. Avec nous. Les autos í s'installer chaque cóté des trottoirs. Les gens qui traversent la rue. Un bar-restaurant nous fait signe I de son enseigne au néon clignotant encore d'une veillée de samedi soir juste — ä peine finie. Ethel ma sous-alimentce s'y prcctpite. Odeur de frites. Lumiěre tamisée. Róties et confiture, oeufs et café. Je monte á ľétage, Ethel dévore ses rôties, et je fcuillettc, je potache dans la série ďcpats bottins téléphoniques. Je cherche fef dans les pages du Bronx, ct puis, je me ravise et je fouille celieš de Brooklyn. R-RA-RAMP-] HAMPTON. Oh la la, ä la douzaine i Slide ! II f y en a trois. J'appelle le premiér. H aura recu des nouvelles ! Je saurai tout. Je pourrai rassurer Ethel. Je vois les autos filer par les fenétres du í restaurant. Ca sonne beaucoup. Les taxis de cou-I Ieurs vives mc ťrappent. Bon touriste. Leur grand nombre. Ca sonne énormément. Slide n'est pas i lá ľ Une voix gréle se fait entendre. — Are you Paul from Québec ? i Et la voix explique qu'il ne faut plus rappeler. t Que la ligne est peut-étre surveillée. Qu'on est : venu chercher Slide. Qu'on ľa questionné durant j une longue heure. Sur Québec, sur ses etudes á McGill. Sur ses amis čanadiens-francais ! On ľa í reláché, et il m'attendra dans un musée. La dróle : d'idée ! La bonne idée ! Ethel adore la peinture. 64 ETHEL BT LB TBRRORISTB ETHEL ET LB TBRRORISTB 65 Musée Guggenheim ! J'y serai. 5ieme avenue. Au bout de Manhattan. Au sud de Central Park, p Parfait, nous y serons. Slide aura un large car- p ton blanc dans Ie ruban de son chapeau de feutre noir. Parfait 1 petite voix gréle. Je demande. Iii —- Are you his mother ? ft On a raceroché. Et je descends. Ca va mal. I« Ca a mal été. II y a eu des morts. Pauvre Ethel ! f Pour que si vite on soit venu inquiéter ce pauvre P Slide I II y a eu plusieurs morts. Encore essayer ■ de mentir: ...... ......\ — Ethel ! . . . \ — Alors, ce telephone ? Ce Slide l \ ....... —Ethel ! . ...... ., ............... — Mais Paul, tu as rejoint ce Slide ? — Oh, Ethel, tu ne m'ecoutes pas. \ — C'est toi qui ne veux pas me répondre. ?| As-tu réussi á Iui parier ? f — Non í mais á sa mere, je crois. í Ethel me regarde songer ! Elle me parle de i sa vieille tante Gertrude, me dit qu'il faudrait lui f-s téléphoner, qu'ellc nous hébergera peut-étre. Et | puis: ff Paul, qury a-t»ií ? T,Uía*íett..des-nouvellesíde^-;i| lä-haut. Des morts ? í — Ca va pas recommencer ! Ethel. Je te dis. | II faut que je rappelle. Ii n'y avait que sa pauvre I měře ! . . ■ ,...,£ Cette odeur de cornichons m'assomme. Une sortě de "relish" baigne sur chaque table, of' ferte dans de larges soucoupes. Une confiture de piments hachés, ďune senteur omniprésente. Ethel m'adresse un pauvre sourire. Elle repousse son assiette vide. Elle n'a plus faim. Elle n'a plus froid. Elle est heureuse. — La vieille noix m'a prévenu. On ne peut pas voir Slide avant deux heures. II est dix heures. On a le temps d*y aller í — Oíi? — D'y montér ! — Oů? — Tu sais bien. Ton souhait! — Oh, dans le grand cierge ? — Out, Viens ! Nous traversons la rue. Cest encore tranquille, sauf pour ces dróles de voitures-taxis qui sem-blent courir aprěs le bout de la villc avec leurs teintes eriardes. Nous achetons les billets. Nous nous apprétons á montér. Comme tout le monde. Comme ma tante Rose-Alma-qui-alIait-á-New-York chaque-année. En bons touristes. Ethel et moi, avec des allures de petits-marÍés-en--voyage-de-no-ces, nous nous hissons. Et c'est ce doux trajet entre quaere murs. Un tra-jet třes vertical. J'aime ce voyage sous pression. 66 ETHEI. ET LE TERRORISTS ETHEL BT LE TERRORISTS 67 La portiere s'ouvre. Et dans le flot des gens, nous { nous serrons la main, nous nous pcrdons. Je songe a Rampton qui doit jouer de pru- ; dence. Je songe aux morts. Je devine un chiffre. Je murmure au hasard : 2 - 4 - non ! 8 - mets-en 21 - c'cst trop, 12 - Ethel me regarde, surprise. Nous debouchons sur le petit balcon. Ethel presse mon bras. Nous regardons autou*, du cote du soleil, aux quatre horizons. Et puis, nous baissons la tete. J'ai cnvie de crier : "Slide, Slide, ou cs-tu ?" pour rire. Et je Pimagine qui agite un grand dra-peau blanc, la, sur le toit de cet edifice, plus bas. Et Ethel qui me soufflerait: "Demande-lui s'il a recu des nouvelles du Mouvement ?" "s'il y a , des morts V Je regarde Ethel qui regarde New York de si haut. Je la scrre contre moi, je Pem-brasse, au milieu de sa jolie bouche. EHe me regarde, arausee. Et j'eprouve, de nouveau, ce grand soulagement. Je ne sais rien du tout. II faut se le ' repeter. Je n'irai pas a ce musee sur la Sieme avenue. Je ne veux rien savoir. Je ne rencontrerai jamais Slide. Je ne saurai pas. C'est fini. Cette histoire de haine, de rage, de f ierte, de vengeance. Toute cette histoire. Ces mots dui claquaient aux assemblies. C'est fini. Je ne veux plus rien savoir. Notre patrie sera l'egoisme. Etrc iache. Un petit bonheur. Partir pour le sud. Aller vers Pocean. Vers le soleil. Une plage. Nous vivrons colles t'un sur l'autre. Nous serons hcureux jusqu'a la fin s du monde, comme dans tes chansons ! k Ethel parle. Elle parlait pendant que je revais tout scul: — Paul. Oui, je me jetterais en bas de cet edifice si je savais que tu as tue une seule per-sonne avec cette maudite bombe I Une seule ! Je viendrais me jeter en bas de cet edifice. — Eh bien ! fais-le, fais-le done. II faut le faire, car je suis certain, tu entends, je suis certain que nous avons tue des gens ! Elle me regarde un long moment et puis eile vient se blottir contre moi et m'embrasse ä son tour au beau milieu de la bouche. Carte postale pour mon pays II y a des pigeons. lis se perchent sur Par-mature de Päffiche lumineuse geante. Par ma fenetre, je regarde cette drole de lutte. Quelques cheminecs lächent des fumces grises, bleuätres. Le pauvre paysage derriere la vitre est deforme. Dans ma tete parfois tout est deforme. Ainsi, pendant que nous roulons le long de Central Park et que les avenues nous montrent leurs grands blocs appartements comme des splendides et gros gäteaux de noces, je songe ä mon pays. Mon pays \ivr6 comme charogne, il y a plus de cent ans, ä une bände de loyalstes ä grandes dents. Mon pays bourr£ de soutanes multicolores, de petits epiciers, de maigres scieurs de bois, quel- 68 ETHEL ET LE TERRORISTE ETHEL ET LS TERRORISTE 69 ques geants isoles, exceptions qui entretiennent nos legendes, qu'un grand gaillard ä l'air d'un castor chante a tue-tcte ä la face de nos collegicns boutonneux, de nos fonctionnaires cacochymes, de nos commis des coins de rue — il y a, au parle-ment, une bände de grosses morucs, tous ie nez au fond de gros fromages ä taxes, taxes des "p'tits culs" epicicrs et fonctionnaires, une armee de ;-rongeurs, qui se font benir tous les dimanches, qui paradent en declamant des äneries qui font des promesses. Iis se font elire sans peine en trompant le peuple, en debauchant les cervelles de nos epiciers-fonctionnaires. En coulisses de ce theä-tre de vermine, les soutanes et les loyalistes applau-dissent. Une bände de jeunes gens lorgnent dejä ^d»:;Cot&;:d<^^ que Iä-haut. Nous trouvons enfin, apres avoir toume autour de Central Park, un petit trou pour s'y fourrer. Entre deux grands capots, un trou '::-;p^ü^ parc deux ou trois fois. Autour et au milieu, cela nous fait du bien. De voir des arbres. Tout est fauve. Et comme raye. Dimanche monte. :#|:.^ Slide. Aux questions qu'on a posees ä l'ami Slide. —-Oh, mon Ethel, un jour nous reviendrons ä New-York* Nous nous promenerons dans les ;;:;|:.;;;:vv :::|.;; cierges de beton et de verre. Nous y viendrons Ethel. Assis, les yeux dans les yeux. Et ton sou- :;|);,';;::;rjhre^ -.Ii . ■ '■: ■■ i: ■;::p ;V.::y^^i^^,:^ musee en boule. Cette boule trottoir, nous guettons le chapeau. Tous les ru-bans sont videst Ca sent I'humidite qui se debat. 70 ETHEt ET LB TERRORIST! ETHEL BT LB TERRORISTS 71 un trouble. II ne satt pas chauffer encore, ne salt fC qu'eclairer. | Entrons. AUons vers Slide, et puis, avec lui, | nous irons vers l'aeroport et Miami, le vrai soleil, ] le gros, le brillant, la grande sucette que nous | aimons tant, nous, pauvres gens du nord, les |: congeles ! i« -fk,. Beaucoup de gens. Gens ä lunettes. Grosses '; dames. Jeunes gens, barbus souvent. Ascenseur, | ä gauche en entrant. Et hop £ En haut ! Redescen- 1 dre tentement du bout des pieds. Avoir I'air d'exa- } miner les images accrochecs. C'est plein. On se bouscule. Par je ne sais quel incroyable hasard, au f, moment oil l'on parle d'atler sur la lune, de bra- §. ves gens, l'air sain pourtant, deambulcnt reli- i gieusement devant ces petits dessins, ces graffiti Y d'un autre age. II y a quelques rtegres. Qui est Slide 1 Grand, petit, moyen ? C'est en trois points. | Premier mouvement chercher le noir. Deux: | chapeau ? Si oui, le ruban et le carton. Nous sommes rendus au bout de la pente, tout en has. >■ Pas de negrc ä chapeau, k carton blanc I Aucun ! k Pourtant, il est bten passe deux heures I II ne f viendrapas ! | Soudain, c'est bizarre. Je ne tiens plus ä re- |j: trouver Slide. Ethel examine sagement chaque ouvrage accroche. Et cela m'est une image de serenite. Je me vois librc, sans toute cette histoire j: fatale lä-haut. Cette haine. Comment devient-on si dur, si bete 7 Je revois tous les gars de mon ecole. Des noms pleuvent dans ma tete. Ma memoire, comme un targe ecran, est assaitlie : des visages de gamins turbulents, par dizaines. Des ronds, des carres. De bons visages d'enfants inconscicnts, de garcons de bonne volonte. Oh, que nous etions bien disposes envers l'avenir. Quelle confiance nous avions. J'y suis. J'ecoute ces cris, ces rires, ces jeux, billes et ballons, courses et paris, echan-ges de cartes multicolores, historiettes suaves et fu tiles. Mon Dieu ! Mon Dieu ! Oh Dieu ! J'ecoute maintenant ces tristes murmures, ces melopees et je me retourne pour decouvrir la meme cour d'e-cole du quartier de mon enfance, pleine de sinis-tres visages, sur de sombres costumes. Ces hommes, ces vicillards, jeunes et vieux sont nos amis, ces gamins qui riaient et couraient sur le gravier de la cour 1 Pourquoi ceci 1 Pourquoi cette horrible metamorphose ? Mes soeurs, il est vrai, jadis, etaient d'insou-ciantes petites filles. Elles avaient bon appetit, de jolis uniformes d'ecolieres et les cheveux propre-ment coupes court. Ethel i Ethel ! Pourquoi ne pas essayer. Redevenir des innocents. Nous avions, en commun, ce gout : etre heureux. Nous avons ri si souvent ensemble. 72 ETHEL BT LB TERROR ISTE ETHEL ET LB TERRORISTS 73 Au diablc ce Slide, ces faux papiers, cette rencontre. Voici ce que nous allons f aire. Nous allons nous donner la main. Nous serons, désor-mais, deux bons petits enfants sages du méme äge et nous allons déambuler dans l'Amérique. Nous irons partout, nous visiterons. Le sud et I'ouest. Nous irons jouer dans ľeau de l'Atlantique, nous irons courir sur Ies plages du Pacifique ! Pourquoi pas ľ Pourquoi pas nous deux ? Si on vicnt nous parler du nord, de cette bombe, de cette affreuse et horrible dynamite, nous éclaterons d'un grand rire et nous rcntrerons dans ľeau de la mer, nous nous enfoncerons dans le sable jusqu'au fond de la terre. Au milieu. La douceur ďun été durable — Tu sais, tant pis. Oui, tant pis. Slide n'est pas venu. II ne viendra pas. Tant pis pour hit. Pour nous ľ Peut-étre ľ Bon* nous sommes seuls. Nous réussirons. Nous irons á Miami. Nous irons sans ces faux papiers. Aprěs tout, il n'est pas certain que nous devons changer nos identités ! Tu sais, Ethel, c'est fou mais j'ai confiance en nous. Oui, ce n'est peut-étre pas le moment, mais c'est ainsi. II est sept heures au milieu, au coeur de Manhattan. Nous avons mange. Bien mange dans ce petit restaurant au decor bleu et blanc, rempli de jeunes et jolis pédérastes qui flirtent ä qui mieux mieux. Ce n'est pas le moment f: peut-etre, mais il faut que je te le dise. Car je suis §-'. content de le savoir, oui, de savoir que je t'aime. f I Que je t'aime, Ethel. Que je t'aime. Que je 1 fp trouve le del beau, la ville belle, lcs bruits de la J | rue chaleureux. Toute cette animation m'est sym- / |; pathique. C'est peut-etre idiot, mais c'est ainsi. Jc n'ai plus peur dc rien. J'ai confiance en nous. Nous n'avons pas besoin de Slide, ni de personne. Nous y arriverons seuls. Sans aide. Tu verras. fft Oui, oh oui, que je t'aime, Ethel ! C'est fou. * J'ai envie de te soigner. Je cherche des yeux un endroit oil alter prendre soin de toi. Un gite. Je suis las, que je suis las de nous voir ainsi nous I deplacer sans cesse. Ethel, je voudrais bien te f trouver un nid, un coin. Je serais d'une telle douceur ! Je te planterais des arbrcs, des lilas on i des pruniers. Chere Ethel, je te planterais la lune I et le soletl. Je suis, tu le vois bien, envahi par une feconde joie. Je ne sais trop ce qui me prend. II y a, sans doute, que je sais, que je sens, que c'est notre derniere chance, notre derniere chance, notre dernier voyage, notre derniere etape. Si ja-I mais nous apprenons qu'il ne s'est rien produtt t d'lrremediable, nous remonterons. Nous retour-f nerons la-haut, au pays. Notre joie fera fondre 4 les glaces, les innombrables neiges de nos hivers, \ Nous ferons pousser un long printemps a n'en | plus finir de chants d'oiseaux, un ete durable, I continu, charge de fleurs odorantes, rempli de I grands jours ensoleilles. 74 ETHEL ST LS TERRORISTS ETHEL ST LB TERRORISTS 75 Suivez-nous bien | C'est tout simple, et c'est Men. Tu me regardes, | étonnée. II y a tout simplement que je ťaime ! | Quelle force cela me donne ! Quelle energie ! | J'irais danser sur les enseignes qui nous cpatent sur Times Square. Je parlerais chinois ou alle- ! mand ! Je saurais, subitement. Je sais, je sais qu'il | nous suit. Jc sais et je m'en f iche. lis sont deux par- fois, et parfois un seul. Et cela dure depuis le res- ; taurant grec de ta 44iémc rue. Je m'en fiche. Qu'il j suive ! ■ y — Ethel f Regarde tout de méme. Lc type du [■. restaurant avec les grandes lunettes aux verres [: fumes, il est la ? — Oui, toujours. II est seul de nouveau. f — Bon, alors, U sera étonné que je ťembrasse ! encore. II sera bien fatigue surtout. Nous errons, nous tournons sur place. Nous suivons notre propre piste. Lcs marquises des cinemas de la 42iěme J rue éblouissent ton sombre visage. Ethel tu es j fatiguée. Nous nous moquons de la fumée du géant | pubticitaire au-dessus des hotels, des pauvres pe- Í tites musiques émanant des comptoirs de disques, { des petits airs penibles pour la caste des pauvres, f nous nous moquons des messages commerciaux | vantés en lumino-dynamisme rouge, vert, bleu I et jaunc, nous nous moquons des titres ďun cine- | ma a piéges infantiles et comiques: seins, fesses, | rondcs cuisses et couchettes, alcoves á repetitions, le machinisme de ťérotisme puéril, I'lndustriali-sation des concupiscences pour peuple inhibé et enfantin. Le défilé est merveilleux. Instinctif. Nous Hgolons. Nous sommcs heureux. Ňous le serons partout. Nous le serons malgré tout. Rien, plus rien ne peut nous déranger. Rien n'agace vraiment lcs amoureux. lis sont soudain d'une tolerance insoupconnable. C'est qu'il fait clair jour dans nos coeurs. C'est qu'il fait une joie tenace au fond de nos ámes. Ethel, tu te rends compte ? Tu es bien consciente de cela 7 Plus rien ne peut nous atteindre, entamer notre plaisir d'etre ensemble. La géographie est dissoute. Les endroits de la terre ne sont d'aucune importance. C'est pure merveille. Nous serons heureux méme au fond d'une grotte ou d'une mine abandonnée, au haut d'un vokan enflammé. — Je crois que je ťachěterai un chien, un petit chien. — Tu es fou ! — Pour aíler avec le jardin. — Quel jardin. — Celui que tu mérites tant. — Tais-toi. — Celui que tu mérites tant. Ethel, celui que je ferai preparer. J'engagerai de savants archi-tectes. On y posera des fontaines sonores et lumi-neuses. Je te vois ... n ETHEL ET LB TBRROBJSTB ETHEL ET LB TERRORISTB «— Je m'y promenerai, mon ame sur les bras, en guise d'echarpe. — Ethel, tu as envie de rever, non I — Oui. J'ai bien envie de rever. — Viens. II nous suit toujours. Adteu, Miami! Nous retrouvons !e bazou dans la 47ieme rue. Sage. Et nous filons. Nous courons apres toutes ces affiches a petites fleches : **Kennedy Airport". Qu'est-il arrive ? Le grand sec aux verres noirs, nous 1'avons perdu dans une miserable galerie de tin Nous prenons des photos. 4 pour 25 sous. Oh ! la bonne idee que tu as eue de venir coller ton museau sur le mien. De nouveau vers Paeroport a travers I'eventatl des routes qui s'emmelent a chaque croisement d'arteres avec une prodigieuse generosite. Et bientot, emergent de la morne banlieue les gateaux a petites lueurs brillantes que forment les edifices des compagnies aeriennes. Nous ins-tallons la "limousine" dans le vaste pare de sta-tionnement. Et nous allons fureter a l'interieur. II y a foule. On dirait une sorte d'exode. Les gens sont tristes. C'est incomprehensible. Je m'in-forme au guichet. Ethel fait la queue au comptoir. C'est peine perdue. Aucun siege libre. Nous nous regardons, defaits, miserables, harasses, rapetisses, |i vaincus. Je lis sur le visage de ma tendre Ethel, |; de ma couragcuse Ethel, une epouyantablefa- | tiguc. Nous lichons. | Dehors, dans un vacarme excitant, nous re- 1 gardons les departs succcssifs des gros oiseaux f metalliqucs. Chaque minute, un avion decolle | dans un beau fracas. Le sol est de nuit, semi f d'etoilcs bleues et blanches. C'est le ciel k l'envers. t Sous le long balcon oil nous nous trouvons, nous t admirohs, beats, le prodigieux spectacle des hom- I mes manoeuvrant des jeeps, des camions-citernesr J faisant des signaux. Ilncroyable ballet 1 Nous partons sans espoir. Nous n'irons pas a Miami. Pas ce soir, ni cette nuit. On a nos noms, on pourra telephoner des demain. Nous sommes sur la liste. II nous reste a alter dormir. Trouver encore, encore, un autre gite, pour une autre nuit. Ethel sommeille dans la voiture. Je regarde, devant moi, filer le ciment des autoroutes des "thruways". Le temps stoppe. Escorteur gratuit Encore la meme histoire. Comme dans tous les romans policiers, comme dans les films d'espion-nagc, comme dans les series televisees. La meme histoire facile a verifier. D'abord, une impression. Peut-etre, en fait, un pressentiment. La fatigue. ETHEL BT LB TERRORISTS \ escortcur. Au lieu de piqucr vers Queen's Bridge me tords, me couche sur le capot. Comedie inutile ! |||iietife ETHEL ET LB TERROR!STB 79 '::.riste> ;::.G&';pyja^^ V:a/:.deri^ fauteuils de cuir beige. Son sac sur la table de ;|3§tO:§||f|I^^ ;!|||§n^ 80 ETHEL ET LE TERRORISTS ETHEL ET LH TERRORISTS 81 Apres ces premiers temps, il faudra sortir d'ici. V Sortir d'Amerique, comme il se doit. Ators, ce sera an pélerinage. Peut-étre da cóté de l'Europe. Non, c'est si víeux. Je n*aime pas les mines, ca me rend mcchant, agressif. Les cimetiěres me dépri-ment profondément ! Nous irons au Japon. Non. Nous ferons des croisiěres sur de beaux bateaux de louage. Avec de gros touristes ennuyeux et bavards, assommants et comiques. Non I Nous irons nous cacher sur une flc des Caraibes, tm coin des Antilles franchises, non, ä Tahiti, non, en Guyane britannique, non, aux Gallapagos. Alors, ou aller ? Au Brésil ? au Perou, á Cuba, ah, oů aller se réfugier ? Partout c'est habite. Partout il y a des gens, plein de gens qui rouspětent, qui veulent étre heureux. Ce jeu Ethel sort de la douche encore. Je l'ai dit. Elle degouline. Elle ne se seche jamais. Et ca recommence. Je ne peux jamais jfaire autrement. L'odeur de I'eau ! J'ai les doigts qui me piquent. Et je la ramasse au passage, elle qui voulait ranger, se piquer une cigarette et ouvrir la television — tout ca. en meme temps — je la colte. Je la presse. Elle proteste, comme toujours. Ses seins se balan-cent, scandent ses protestations. Je suis nu a mon tour. Je tombe k la renverse. Pour jouer. Sur un des lits bleu ciel. Les yeux fermes, je compte jusqu'a dix, á 1'envers. A zero, c'est parti. Une petite fusée pour une petite lune. Une traversée sans nuages. Notre fatigue s'est envolée par magie, par miracle. Des lumiéres clignotantes guettent aux fenétres. Je tire les rideaux. En bas, j'ai pu observer un géant noir qui arpente le trottoir d'en face. C'est fou. Toujours s'imaginer que 1'on est épié. C'est fou. Serait-ce Slide, oui, Rampton T Notre cher sauveur. Notre falsificatetir. L'oasisre a un large chapeau et je peux imagixter le certaet blanc fixe au ruban. Idiot. Ethel vient rsýša* dre. Elle regarde en ouvrant les tec ture? wee *e> mains, prudente. Elle a ses jolies fesse? ^zzrr.i s2t est ainsi, prudente, sur le bout des pied,?. Et je la caresse encore. Et nous retombons pour un autre tour d'orbite. Tout traine. Bouteille, lingerie, valises ouver-tes, accessoires de toilette. J'aime ce désordre. Ethel est allée chercher k manger, au restaurant du rez-de-chaussée. Ethel y tenait. Nous mangerons. J'ai ri d'elle. Elle y tenait ! Toujours faim. Et elle revient, essoufflee, les yeux grands i — Le type de la galerie de tir. II est en bas, lá. En me voyant, II s'est retourné. II est assis pres de l'entree sur un des petits fauteuils du hall ! II a une pile de journaux sur les genoux. Je l'ai reconnu. Oh, Paul. II faut en finir. Allons le trouver tous les deux, ou bien sauvons-nous ! 82 ETHBL BT LB TERKORISTB ETHEL ET LB TERKORISTB 83 — Ecoute, petite fille. J'ai reffechi. Je crois que nous ne sommes pas suivis, mais proteges. Oui, je ne suis pas certain mais tu sais, cette mince tete, ces levres etroites, ces petits yeux invisibles, je crois que j'ai dejä vu ca quelque part. Oui, je n'en suis pas sür, mais il se pourrait bien que nous soyons suivis par un membre du Mou-vement, Charbonneau Je tente de l'cndormir. Elle balbutie, ferme les yeux, les rouvre. Nous avons devore les sandwiches comme des pauvrcs sortant du desert. Nous avons change de lit au moins dix fois. Puis, nous nous sommes decides. Enfin, Ethel a sombre. Enfin ! Je dois me lever, c'est les ordres. Je dois descendre. II m'attend. C'est les ordres. Je n'en ai pas le courage. Plus de forces. Jc voudrais dormir. J'cnleve son bras d'autour de ma taille. Qu'il s'en aille. II perd son temps. Je nc marche pas. Je veux la paix. Je vcux la joie. Je veux garder Ethel et m'en aller, loin, en Chine, a Jerusalem, a Paris. N'importe quelle ruine. On gratte ä la porte. Je reconnais Ie signe. C'est lui. C'est bien lui. II est du Mouvement. II faut que j'ouvrc. Jc me trainc. J'ai sommeil. Mes paupieres tombent. II entre. Nous allons en lieu sür. Je Tai tire vers la salle de bain. II se laisse faire. I: Je referme délicatement la porte. Ethel n'a pas broncho. C'est lui, Charbonneau, mince, maigre, souple, sec L'inutile conversation — L'autre en bas . .. qui est-ce 7 — I! vient du fond de la cote nord. II fallait l'eloigner. On me l'a expedie ici, a New York. II a trempe dans le coup du chemin de fer de decem-bre. Tu sais, la veille de Noel 7 — Et toi, Charbonneau, tes cours a I'Uni-versite, 5a va 7 ■—Oui, je ne me plains pas. Un amerloque apprend plus vite a parler frangais que tous les orangistes de 1'Ontario reunis. Tu vois, je croii que cette race de loyalistes puritains a la hainc du francais dans le sang. — Et alors, que se passe-t-il 7 Charbonneau veut allumer. J'ai trop mal aux yeux. Je lui retiens Ie bras. II prend une cigarette. — Ecoute, Paul, ca va pas. Les gars sont decus. Tu es encore avec elle a ce qu'il paratt. -— Oui, je suis encore avec elle. — Ca va pas du tout. Paul, tu avals promts. — J'ai essaye. C'est impossible. —■ II n'y a vraimcnt rien a faire 7 1 84 ETHEL ET LB TBRRORISTB Je connais toute 1'histoire. Ca va reprendre. Miserable histoire. Ca va recommencer. Je suis degoute. ■ ■ ■ ■ —- Ecoute bien; Tu t'en vas, mon Paul. J'ai ce qu'il faut. Moi, je reste ici avec ta poupee juive, et demain matin, je lui raconte une histoire t que tu t'es fait pineer, qu'on est venu te chercher. J'inventerai une histoire horrible. Je lui ferai suffisammcnt peur pour qu'elle n'att plus envie de revenir, de te chercher. Elle retoumera dans sa bonne petite rue St-Laurent. Choisir d'etre elimine Je suis degoute. Encore une fois, ca recommence. Pour oublier Ethel, j'ai tout essaye. Meme la debauche. C'est impossible. J'ai Ethel dans la peau. C'est impossible. Sept ans. Sept ans de chu-chotements, de caresses et de querelles. Cela ne se compte pas, ne s'additionne pas. Cela fait qu'entre Ethel et moi, il s'est tisse un reseau de liens solides, secrets, inconscients. II n'y aura plus que la mort pour nous sepa-rer. Charbonneau parle toujours. II range ses arguments en pelotons serr£s, ne sait pas qu'il perd son temps. — Ecoute Charbonneau, je t'aime bien. Mais tout de meme, tu m'en voudrais de te laisser parler pour rien. Gaspille pas tes energies, Ethel est avec moi. Elle va rester pres de moi. ETHEL ET LE TERRORISTB 85 — Paul, n'aggrave pas ton cas. J'ai des ordres. Je transmets, voilá tout. — Sinon ? — Sinon, tu es rayé. Rayé du parti. Et tu sais que sans aide apres ce qui s'est passé la-bas, tu n'iras pas loin. — Alors, adieu, Charbonneau. Et il parle. Je parle. S'accroche. Me bourre de coups, d'arguments. Je ne l'ecoute plus. Je vois mieux dans 1'obscurité. Je regarde les carreaux de céramique, la baignoire énorme, le rideau encore mouillé. Des voisins sont en train de rigoler sous l'eau. Des bruyants. Eméchés sans doute. Je regarde le grand miroir, tout un mur, au dessus de la table de vrai marbre, de l'evier rond aux robinets brillants dans le noir. Et enfin, Charbonneau s'en va. II se tait. II a termine sa litanie. Son cortege de plaidoiries, toujours le méme, a fini de défiler. II sort de la toilette avec ses boutons sur la figure, sa face triste, ses yeux clignotants, ses cheveux précocement gris. Voúté. Je l'aimais bien, Charbonneau. Je vois que jene le reverrai plus 2 Adieu, Charbonneau. II a filé sans rien dire. Désolé, c'est mon choix : Ethel. Si je peux voir Slide. II faut que je le voie avant que Charbonneau lui fasse rapport et lui donne 1'ordrc de me laisser tomber. Je pourrais 96 ETHEL BT LB TERRORISTS ETHEL BT JLB TERRORISTS 87 avoir besoin dc ses faux papiers. J'ouvre machina-lement les rideaux. Des clients sortent, en gesticu-lant, d'un long et bizarre restaurant Italien. Je ne vois plus, en face, la silhouette du noir au large chapeau. Cela aurait eti miraculeux. Je cher-che de nouveau dans le bottin telephonique. ; Oh ! j'ai encore un peu de chance. La meme voix chevrotante qui a murmure j — One moment please ! — Slide, e'est vous ? — Oui, e'est moi. Qu'est-ce qui se passe 1 II est tard. " ...... Le grand chapeau noir de Slide II est venu ici, a I'hotet. Urt gars en or. Un noir en or. J'etais nervcux. II etait calme. Ethel ; s'est rcveillee. Elle regarde un vieux film avec Humphrey Bogart qu'elle aime bien. Slide est de belle humeur. II me remet les faux papiers, e'est amüsant. J'ai un nouveau nom, qui ne me servira peut-etre jamais. Dans la porte, je demande a Slide, car j'ai des doutes : ' ' — Est-ce que Charbonneau vous a atteint ? ^ Quoi ? Comment ? Vous saviez que j'etais raye 7-\v' ' — Mais oui. " ■ II sourit, remet son grand chapeau noir. —- Pourquoi Slide ? Pourquoi, alors ? ^J*at?^su! que e'etatt a cause d'elle, votre amie. C'etait imprudent de me le raconter. Charbonneau oubliait une petite chose sans importance. — Laquelle ? — Mais, je suis un noir. Et il est parti avec sa haute stature, son sou-rire, son calme, cette securite qui emane de lui. II a raison. Si Ethel etait noire, cela aurait ete la meme histoire, ou a peu pres. Grand verre de cognac Slide a du etre deqa, tres decu. Ou bien, peut-etre n'a-t-il pas ete decu du tout. Peut-etre -/■ a-t-il deja appris qu'il n'y a pas de bonne cause. Que la vie est une bonne bete, mats qu'elle est bete, justement, et qu'il ne faut pas trop attendre des homines. Ethel vient vers mou — Mais, Paul, que se passe-t-il 1 . — Rien......... Ethel a devine. EUe sait. Autant etre franc. Ecoute Ethel. Tous ces types qui nous sui-vaient, ils venaient s'informer. M'interroger. Oui, ils etaient du parti; celui du hall que tu as vu, le gros, et son camarade, oh, beaucoup plus sec, est 88 ETHEL ET LE TERRORISTS ETHEL BT LB TBRRORISTB 89 venu ici, tu dormais. Charbonneau, c'est le chef du r^seau ici. Pour tous ceux qui passent ou qui demeurent ici. II est le chef. Si nous restions ici, nous aurions toujours ä lui rendre compte. v.:-. —- Tu me dis pas tout. "'--Non.-■ — Vas-y. Elle a devine. Je le sais. Elle salt? tout, Elle devine. — II y a toi, Ethel. — Je sais. »II parait que c'est mauvais, tu comprends . %;.. le secretaire du Mouvemcnt. — Mais oui, je comprends. Elle fume par grandes bouffees. — Non, tu ne peux pas comprendre. — Si! ■-■y-'■ v:s--:'Non-:l.Les chefs ne sont pas d'accord, au fond, mais c'est pour eviter de choquer... Enfin, comment t'expliquer ... les gens des masses, les simples electeurs, enfin, ne me fais pas parier, tu sais comment sont les gens de chez nous. Tais-toi, Paul. — Tu es ecoeuree ? —- Non, triste ! !..;:■:. Elle se sert un verre de cognac. Le vent entre dans la chambre. Elle fait ses valises. Je la laisse faire. C'est curieux, elle affiche sa petite mine triste, boudeuse. — Ethel, tu ne vas pas t'en aller ? Tu n'es pas serieuse... — Out, je suis tres serieuse. Elle se livre a une sorte de gymnastique effi-cace et rapide pour se vetir. Elle leve ses jambes, une ä une, pour remettre ses has de soie noire. Eile range tout. Ferme bien sa valise. — Tu prendras le train I — Non, l'avion ! — Tu te feras pincer. On voudra te ques-tionner a mon sujet. — Je parlerai. Je gueulerai. Je dirai tout. Je dirai qui sont ces faux chefs de caoutchouc, de carton päte qui font bien attention aux prejuges de leurs cheres masses laborieuscs. Elle ne partira pas ! Non ! Je prefererais etre jete en prison pour des annees. II ne faut pas qu'elle parte* Sans elle, je ne suis plus rien. Je ne suis plus complet. II me manque une moitie. Sept ans ! Elle a eu le temps d'occuper jusqu'aux pores de ma peau. Une cause J'avais ce meme degout acre dans la bouche, comme cette fois ou, en septembre, Chardin m'ex-pliquait qu'il etait inutile de me presenter ä la vice^presidence du Mouvement. Je perdais mon temps si je tenais ä Ethel. Pour eux tous, e'etak 90 ETBHL ET LB TERROR!STB un mauvais boulet a trainer. Aucun de ces brillants chefs n'avait eu la franchise de m'avouer que i l'antisemitisme du peuple nuirait ä la cause si on apprenait l'existence de cette femme dans la vie privee de Tun des dirigeants du parti. Et puis est venue la clandestinite forcee par Taction des polices. Cela calma les craintes. Mais j'etais prevenu. Je savais fort bien qu'une fois le gros de la revolution passe, le moment viendrait, reviendrait de discuter la contestable presence d'Ethel dans ma vie. Une juive ! La clandestinite, quel jeu ! Quelle existence amüsante qui nous sortait enfin de la torpeur des beaux meetings d'information sur la cause, des sermons dialectiques sur Tautodetermination, ses dangers, ses bons effets, via la radio, la television. Reportages, conferences, tables rondes aux debats polis et distingues. Oh oui, quelle delivrance, la clandestinite. Nous etions insaisissables. Nous en-rrions dans cette eglise delabree, d'un eulte desuet, sans plus guere de fideles, et nous traversions, au dessus d'une etroite ruelle, vers le grenier d*un petit cinema d'art, grace ä cette poutre que nous installions entre les etroites portes de sauvetage en cas d'incendie. On jouait ä Tarzan, au sur-homme. Nous refaisions, k vingt ans, ä vingt-cinq ans, nos jeux d'enf ants. Ceux des ruelles des quartiers pauvrcs. Et maintenant, enfin, nos jeux, nos acrobaties, servaient a quelque chose; la cause. C'est bien ronflant, les beaux mots ! Bien ronflant ETHEL ET LE TERRORISTB 91 quand Ethel n'a pas le droit d'etre avec moi, quand une juive, parce qu'elle est juive, nuit aux beaux mots, aux grandes phrases. Le pitre pleure Non ! Pas d'affolement. Ethel reviendra. Elle est sortie. Tout douccment. Sans claquer la porte. Comme elle est entree dans ma vie. C'est ainsi. Ce soir, Ethel est sortie dans New-York. Je le sais bien. Je sais qu'elle va revenir, mais j'ai peur qu'elle se fasse ecraser au coin d'une rue, ou bien qu'on l'enleve, ou bien qu'elle aille trop loin, qu'elle se perde. A-t-ellc assez d'argent pour prendre une voiture ? Alors je sors aussi. Je sors dans la nuit lumineuse de Times Square, k deux rues. J'^coute l'etrange bruit des rues actives. Le bruit d'un fleuve, fleuve mouvemente, aux heures extenuees. Ravissant castelet geant pour les enfants que nous sommes. Ethel est humi-liee. Elle sait tout, je crois. Elle sait qu'elle est la cause, la raison de certains de mes echecs. Ethel a mal. Encore une fois. II faut que je la retrouve et qu'encorc une fois je lui explique que j'ai besoin d'elle, que je lui explique bien claircment que, sans elle, je ne suis plus rien. Pour la centieme fois je lui dirai que je prefere tout perdre, nager dans la misere plutot que de vivre sans elle. 92 ETHEL KT LB TEKRORISTE Bile se défendra, dira que je mens, pleurera, boudera, puis elle aura sou fin sourire, son dis-cret sourire. Et moi mes pitreries : grimper par-tout, main sur le coeur, menacer de me suicider, beaucoup de gestes, des cris, jc me trainerai ä ge-noux, j'aurai des sanglots dans la gorge. Neons, circulez! Enfin je la retrouve. Un bon Dieu de hasard. Elle tit aux eclats en m'apercevant. Je I'em-brasse. Elle en fait autant, Le type de ce petit bar de la 42ieme rue n*y tient plus. II quitte son comp-toir et nous fait des offres. Histoire de nous secou-rir, une chambre pas chére. Nous reŕusons molie-ment. II insiste. Nous jouons les intimidés. II s'encourage. II est fou. It baisse ses prix. On sort, presque rouges. Non pas de timidité mais de honte de cet hypocrite manege. Dehors, sur Broadway, une petite chanson idiote clame sa mélopée de vitrine en vitríne, de boutique en boutique ä disques. Les couleurs des néons circulent au-dessus de nos tétes. II y a des femmes de toutes sortes. Ethel s'amuse á les défi-nir au passage, par ordre zoologique : ľéléphant, cette matronne étonnante et máchante, le lama, cette pie élancée qui engueule un minuscule com* pagnon et qui a, sur le dos, un de ces étranges pelages artificiels, la tortue, cette chienne basse sur ETHBL BT LB TERRORISTB 93 pattes et qui a, dans son bee entrouvert, une paire de lunettes; et passent deux rats roses et une au-truche, un chameau a collier brillant. : Nous rentrons, epuises d'avoir tant marche. Nous avons fait la cinquieme avenue jusqu'a Central Park pour revenir par la septieme, et nous sommes encore alles pietiner Times Square. Les galeries de tlr automatique. Et demain, ce sera un jour ordinaire. C'est termine cette chasse a moi-meme. Je n'ai plus de patrie. Je n'ai plus d'ideal. Oh, que c'est reposant. Je ne crltiquerai plus rien. Je ne me crcuserai plus la tete pour avaler les humiliations, pour expliqucr les raisons de notre colere. C'est termine. La parade du nationalisme, je n'y tiens plus. Je prefere garder ma juive, et perdre l'ideal national ! Tant pis pour les echelons du parti, au diable le Mou-vement et les belles doctrines. Je prefere dormir, la joue sur l'epaule d'Ethel. Jc prefere sa peau ambree ete comme hiver. Je prefere le doux et chaud nid du creux de ses cuisses, son duvet, son ventre rond et doux. Ses bras qui s'ouvrent. Oh non, rien au monde ne peut m'offrir mieux. Ni une cause, ni une race, ni une colere a vider. II faudra se trouver d'autres anonymes et fideles et loyaux serviteurs, porteurs de bombe. Je ne suis plus un robot. Je n'ai nulle envie de suicide, et la prison me serait un penible exil. Exil d'Ethel, chatiment insupportable. 94 ETHEL ET LB TERRORISTB Ethel parle! Ethel parle. C'est rare. Je 1'ecoute religieuse-merit. J'ai hate de la remercier. II y a de ces ills' rants ! Celui du bar minable de la 42ieme rue par excmple. Cet autre : qu'Ethel sache me dire ceci: — Tu sais, je voulais vraiment te quitter. Cette fois, c'etait serieux. Je ne voulais tellement pas te nuire. Deja, tu m'avais dit a trois reprises, a ces congres, les chuchotements a mon sujet, et cette bagarre a l'hotel Queen's I'an dernier, et puis, cet automne, tiens, ce long conciliabule du conseil executif du Mouvement pour t'expliquer aimable-ment de retirer ta candidature au poste de secretaire permanent. Je ne voulais pas te nuire. Non, laisse-moi parler. Laisse-moi te raconter. Je suis sortie et j'ai confie mes valises en has, au jcune portier qui m'avait fait la cour, tu te souviens, en artivant. Tu rials. Toi, pourtant si jaloux ! Fallait-■ it que tu sois epuise I Je suis sortie en lui disant que je reviendrais aussitot. Dans la 7iemc avenue, il y avait encore du trafic a cette heure, je n'aurais pas de mat a trouver un taxi. Et puis, soudain, je remarquat un attroupement a cote, au coin de la 48ieme rue. C'est fou, j'ai ete tout de suite inquie-te; je me suis approchec des quelques badauds. lis entouraient une dame aux cheveux gris qui brail-lait au milieu de la rue, derangeant les voitures. Elle tenait un grand drapeau americain a la main et elle proferait des menaces contre la nation, elle ETHEL ET LE TERRORISTE 95 annoncait la fin du monde; il fallait faire penitence; le pays etait infeste d'esprits subversifs et en-vahi par la pensee des suppots de satan. Eh bien, tu vols, c'est curieux, cette femme impeccable dans son uniforme bleu marine m'a fait penser ä ta mere, aux femmes de ton pays, de notre province, de tes paroisses. Je l'ai reconnue. Et on aurait dit qu'elle me voyait eile aussi. Elle me fit un petit signc, et, prcnant un visage plus agressif que jamais ä mesure que j'approchais, elle vocifera pres-que ses imprecations et ses tristes proprieties. Alors, oh Paul, c'est etrange, mais soudain j'ai eu mal, oui, et j'etais tres malheureuse. J'ai ete envahie d'une telle tristesse. Je me suis approchec et, je te le jure, j'ai eu envie de la faire taire de force. Tu me vois, crepant le chignon de cette salutistc illumi-nee ?. Eh bien, Paul, la c'etait fini. Je suis idiote mats je ne voulais plus me sacrifier pour ta cause. C'est idiot. Je savais alors que j'allais rentrer, re-venir vers toi. — On ne peut pas confondre si facilement, cette predication d'hysterique.i . Oui, oui Pau 1. Je confondais. Je sais bien qu'il y a un monde cntre cette folle mystique et le Mouvement. Je sais. Mats tout de meme. Je ne peux m'cxpliquer pourquoi, mais, Paul, cette femme devenait unc odieuse caricature, une accablan-te charge. II me semblait, ä ce moment precis, que si je te laissais, tu tomberais dans les bras d'un immense regiment de femmes ä uniformes, d'un 96 ETHEL 8T tS TERRORISTS ETHEL BT LB TERRORISTS 97 peloton de bonnes femmes k drapeaux deployes, a tambours, a clochettes, a crecelfes. C'est fou, je marchais dans la rue et je te voyais comme un homme engage pour forniquer avec toutes ces pieuses femmes idealistes, tu les engrossais pour le compte d'une organisation nationaliste. Tu les fai-sais jouir etapres, elles descendaient aux coins des rues pour chanter la purete des rejetons concus dans 1'idealisme patriottque. Oh Paul, c'etait un curieux songe, je riais toute seule. Une curieuse vision, non ? Nous avons ri. Nous nous sommes dit des in-congruites. Ce qu'on a ri. J'expliquais a Ethel comment il fallait s'y prendre pour faire i'amour a cette sorte de zouaves en jupons. Ce qu'on a pu rire. Ethel se tordait. Ce doux lundi matin Nous nous endormons en riant je crois bien. Heureux d'etre ensemble de nouveau, nous jurant de ne jamais nous quitter. Je la berce. Elle me leche les joues comme un petit chien. Nous sommes en-vahis d'une telle chaleur, d'une bonne chaleur, lourde et coulante et bienfaisante. Du miel. Le bonhcur prenait un sens. J'etais debarrasse de Charbonneau, de toute la bande, de ma race. Je n'avais plus de race, ni pays. C'est ce que je vou-lais, a peine un nom. Un prenom me suffisait J'aurais pu me nommer "P" desormais, quelque chose de tres court. Du moment qu'Ethel soit la, qu'elle me reconnaisse toujours, que toujours elle me permette de la suivre, de l'aider, de la soutenir simplement pour traverser les rues de New-York, comme je fais en ce moment , en ce beau lundi matin. Nous nous sommes reveilles tres tard, cal-mes et heureux. Nous avons dejeune en bas, au "coffee shop" de I'hotel. Ethel est ravissante. Elle a son air que j'appelle "triomphant". Cela ne tient a rien. Parce qu'elle est de belle humeur. Je vou-] drais la mordre comme on mord dans une pomme J qui est belle, sans vraiment avoir faim. I Nous restons colles ensemble. Nous allons par- t tout. Dans des magasins a rayons. Ethel vou- '% drait s'achctcr du linge. La voila qui parade chez | Macy's ou chez Sak's et qui me demande mon avis I cn s'affublant de mille accessoires, c'est un tour- i billon : ceintures, echarpes, foulards, jupes, man- *■ teaux, taillcurs, chapeaux, bonnets. Je suis essouf- \ fle et je me sauve. Elle s'amuse bien. Et je la trouve Iplus jolie et plus vivante que jamais. 4 A qui rendre ses comptes? IJe sors. Elle reste. Elle viendra me rejoindre a I'hotel, c'est convenu. Dehors, des garcons pous-sent des voiturettes, d'autres tirent sur des especes de placards a linge ambulants. Quelques policiers 98 ETHEL ET LE TERRORIST!! defilent sur dc hauts et fiers chevaux. tine jeune fille passe en se dandinant avec de hautes bottes de cuir noir. Je rencontre Ie dixieme aveugle que je vois a New-York. Deux types derriere mot. Us marchent main-tenant a mes cotes. Un court instant. Je les sens qui m'observent. Us accelerent le pas, se regrou-pent devant moi, ralentissent Je me fais des idccs. Sans doute. Souvenir de ma jeunesse delinquante, de mes traineries aux postes de police, de mes "cartes de bonne conduite", je me sens tpujours suivi. Les deux types entrent dans une tabagie. Je respire. De simples rumeurs de pipe ! J'cn suais. En vain. Peureux. Voila ce que je suis devenu. Ethel ! Je voudrais qu'elle ne me quitte plus. Je me retourne pour l'apercevoir mats tl y a encore des gens qui suivent. Bon ! Ca recommence — Sueurs ! J'arrive k I'hotel. J'attends l'ascenseur. Par les fenetres du hall, je les vois. lis notent I'adressc. J'avais raison. Us entreront et s'informc-ront a la buraliste. Je suis foutu. Oh ! fuir ! .Aller plus loin. Je croyais, pout-tant, que tout etait fini. En effet, avec Ie Mouve-ment, c'est bien termine. Mais les autres. 11 me reste ceux-!a. Ceux que Ton ne connait pas. Qui demandent des comptes. Et qui agissent au nom de la Societe et de la Lot. ETHEL ET LB TERRORISTS 99 mon coeur. Une bonne charge. Un gros petard. Oui. Et Ie tic-tac du cadran. A m'en crever les oreilles. Je cránais. Car il me brúlait les bras ce colis. Et ce pauvre tic-tac me fendait les oreilles. Et il y avatt aussi cette pauvre histoire : "Tu la quitteras. Si tu es un révolutionnaire sérieux, tu quitteras cette fille". Voilá le langage des rcvo-lutionnaires sérieux. J'en bavc. "Qu'est-ce que vous lui reprocher I Pas d'etre juive V* Et les brillantes réponses pleuvaient: "Mais non. Nous, on s'en fout. 11 y a les gens. Tu sais comment ce serait difficile. Un chef qui vit avec une fille, une juive, tu connais la mentalitě des gens d'ici. .." Je rageais. lis avaient raison. II faliait choisir. Entre quoi 1... L'ascenseur enfin. Je monte: 6ieme. Et j'en-tre au 601. Et sous la porte, une note. Je lis tout de suite la signature : "Slide". Slide qui est du Mouvement satt done á quoi s'en tenir á "mon sujet. Je lis: "Me rencontrer des ce sotr. Urgent. Hall-restaurant du cinéma Siěme avenue. Au Village". Slide. Oh oui, je me souviens. De tout. De son poids. Oh oui, c'est comme si je 1'avais encore contre 100 ETHEL ET LB TERRORISTS ETHEL ET LE TERRORISTS 101 ^>i:r::^ Alleluia Slide! Ethel s'amene. Elle n'a rien achete. Elle a vu les deux types. Je donne un coup de fil au garage de I'hotel pour faire sortir la voiture. Au bar du hall, nous apercevons les deux gredlns. Its ne nous voient pas passer. Et hop ! Nous decldons d'aller manger dans Greenwich Village. Je file jusqu'au bout de la Sieme avenue. Nous rcperons le cinema oil, a sept heures, Slide nous communiquera son urgent message. II est presque six heures. On a tout le temps. On tournc un peu en rond. Je verifie s'il y a des suiveurs. Eternelle mefiance. Nous avalons une enorme pizza dans un de ces restaurants frequentes par la "generation beate". La traduction libre est d'Ethci. Le temps passe vite. Slide est la, dans lc hall du cinema. It nous fait signe d'entrer. II y a, sur l'ecran, d'etranges acteurs qui se moquent, semble-t-il, du cinema muet, deux grands voyous sympathiques qui jouent aux chasseurs pcrdus dans une foret et une neige immacu-lee. On dirait la-haut, chcz nous. Slide est assis derriere nous. Nous n'avons pas bouge depuis dix minutes. Enfin, il se decide. II se penchc et raconte en soufflant entre nos deux tetes, hypocritement, en faisant semblant de se masser le visage de ses deux mains. Je perds des mots et n'ose hit demander de les repeter: —... ai dernieres etcs encore ä New-York . parait. .. votre compte, ce. Les gars du Parti, tu . . . denonces". nouvelles ... savent... . . feriez bien ... filer... . . Ne restez ... , de grä-. ta peau. ... peur que Je ne peux m'empecher de reagir. Je me re-tourne. II se tait. II se leve. II s'en va. Je le vols sortir par 1'aUce, nonchalant. L'ami Slide. Le bien-veillant grand degingande noir qui nous aime bien et qui m'a dit: "Je suis avec toi. Si elle etait noire, ton Ethel, ce serait encore pire, je crois". Deraper sur Brooklyn Nous ne savons vraiment pas oü aller. II y a des bateaux a quai. On rode. J'ai fait le plein d'essence. II y en a un grand noir et blanc qui part pour le sud. S'embarquer > .. Ce serait inutile. On s'informe, pour rirc. Pas de place. Tout reserve. Toujours. Je vais au bord de l'eau, ä Pautre bout de Manhattan pour voir, loin, au large, la venerable statue-flambeau, dressee vers le ciel. Le soir a tout recouvert. C'cst un desert de briques de gres, de voitures stationnees, inertes enfin. Et nous sortons, sans faire attention, parce que je me suis engage, par megarde, dans une rue accueillante qui m'a fait 102 ETHEL ET LB TERRORISTS ETHEL BT LB TERRORISTE 103 glisser sous un tunnel ! Pas de virage a gauche. Nous nous retrouvons comme on se ramasse au bout d'une glissoire, dans Brooklyn. II fait temps noir. Les murs sont noirs. Comme un lezard geant, au'dessus de nos tetcs : la voie elevee de Brooklyn. Des usines sombres, des maisons vetustes, on tourne dans des rues faiblement eclairecs. Ici aussi, au bout du monde americain, au bout du plon-geoir, il y a cette suie dans l'air, ccs quatre petits marmots mal vetus, cettc femme en haillons qui s'accroche aux murs, ivre et seule. Et cette face d'homme qui est un masque de tristesse et d'an-goisse. A combien d'exemplaires tout ccla. L'envie de crier Nous avons mange de la poule. Sur le bout d'un banc au coin d'une table bancale. De la poule mal cuite avec du poil dessus, et des bouts de plumes encore. Nous avons bu de grands ver-rcs de vin d'un rouge inquietant. Et nous voila, grelottants, qui arpentons les rues pres du Brooklyn Bridge. Un train passe en sifflant. Les autos filcnt, viennent de partout et vont dans tous les sens. — Oh Ethel, si on rentrait ! — Oui. Vaut mieux rentrer ! Nous rentrons sans nous preoccuper des paroles bizarres de Slide. Nous rentrons la main dans la main. II nous faut étre braves. Nous attendons les événements. Rien ne se produit. Au bar, plus personne. II est minuit et dix minutes. Au "coffee shop", queiques clients parlent temperature, elections et television. Nous prenons un café trěs lentement. Nous souhaitons que cela finisse. Et rien ne se produit. Le gérant est tout sourire, la serveuse, affable on ne peut plus. Pour un peu, on aurait envie de crier qui nous sommcs. Un hamac sur New-York Etendue au milieu de son lit, Ethel est absor-bée par un article de journal qui relate un incen-die survenu á deux pátés plus loin. Cela I'a ren-due encore plus superstitieuse. J'ouvre la television et c'cst encore et toujours un de ces vieux films, avec James Cagney, qui joue les durs á merveille. Cela se passe dans une prison. J'aime bien ce gen-re d'histoire. Les prisons. Le film ne fait que débu-ter. Je me retourne. Ethel est nue. Elle me regarde, attentivement, comme chatte. Je pose mon verre de cordial. Je la regarde aussi. Des coups de feux pleuvent. Ca gucule derrierc mais je ne vois plus qu'Ethel. Des bruits de ferraille, des cris retentis-sent dans ia chambre. Ethel ferme les yeux et les rouvre. Je suis nu a món tour. Les cris se multi- 104 ETHEL BT LB TERRORISTS plient. Les jurons. La bagarre. Les coups qui font des bruits sourds et arrachent dcs rales, des gro* gnements de douleur. J'embrasse Ethel comme si nous devions nous séparer ce soir. Elle étire le bras. II n'y a plus maintenant qu'une lueur cli-gnotante qui provicnt de la television. De ce côté, c'est un chahut extraordinaire. On lance des ap-pcls ä l'ordre et on tire des coups de feu. Le danger le plus imminent n'empéche rien. Au contra ire. Ethel me tient si fort. Elle est accrochée ä moi comme jamais, de ses deux bras, de ses deux jam-bes. Jc la pénctrc avec douceur. Je táche d'avoir un rythme égal, solide, comme pour la calmer, la distraire. Une musique a fait place aux clameurs, aux cris et aux coups. Nous sommes bien. Nous entendons des voix d'hommes, une voix bburrue et une autre flútée et puis, la voix d'unc femme, perverse et canaille. II y a ce drôle de monde qui s'agitc derriére nous. II y a ce soulagement de nos nerfs. La detente de se balancer ainsi, tout douce* ment, accrochés ľun ä I'autre. Un hamac sur New-York í Je vois des defiles. Defile des miséres de Harlem, du Bronx, de Brooklyn, defile briliant des fanfares de la Saint-Patrice, defilé de Pá-ques, defile pour un astronaute rcdescendu. J'ima-gine des jours historiques, des dates se mélent. J'apercois des pluies de confetti qui tombent des fenétres et je recule un peu plus et je voudrais étre plus fort et plus savant. ETHEL ET LE TERRORISTB 105 Mercredi matin Etil n'est rien arrive. Ce matin, mercredi, il fait une journee incroyable. Un fevrier nouveau genre; Nous marchons dans la rue, tete nue, la v jambe alerte. C'est comme un jour d'ete. Le soleil inonde nos visages. Tout reluit, meine la salete sur les murs. Personne ä nos trousses. Slide a telephone deux fois hier pour encore nous recommander de partir. Pour aller oü, grands dicux ? La primitive Gertrude Nous avons fait connaissancc de la fameuse vicille et lointaine tante d'Ethel. Elle tient, cette Gertrude ridee et amüsante» une boutique d'art^ primitif, 53ieme rue. Pres d'cllc, je ne reconnais \ plus Ethel. Elles se parlent en hebreu et elles ont l'air de deux amies. Et je m'apercois que j'ai ou-blie de demander ä Ethel ce que c'est que d'etre juif. Egoiste I .... Bonne idee, la tante Gertrude nous a invites ä partager avec elle son minuscule logis. Ethel en est ravie. Elle est ecoeuree de l'hotel. Je finjs par accepter, surtout parce que cela pourra de-router tous les eventuels enqueteurs. Nous demcnagcons done ä la sauvette, au troisicmc etage du vieil immeuble. Nous voilä 106 ETHEL ET LB TERRORISTS ETHEL ET LB TERRORISTS 107 installés pour deux ou trois jours. Car nous som-mes decides, bien decides cettc fois, á quitter New-York. Cette neige qui est annoncée á la météo malgré ce soleil incroyablement beau et chaud ! Oui, nous irons en Floridě. Et Ethel qui sait tout, qui retient tout, recite des bouts de poéme de Rim-baud ou ii est question de "florides révées". La bonne, énorme «t vieilie Gertrude tourne autour de nous. Elle ne cesse pas de parler, de me montrer ses chers vieux objets. Son logis, au-dessus de sa galerie, est un fabuleux capharnaum. Elle ya d'un coin á l'autre, ouvrc des tiroirs, sort de vieux dessins de ses vieux amis de Boston, cxhibe de petkes pieces sculptées de la Nouvelle-Guinée. Elle cause comme un moteur láché sans frein. Un moulin á paroles, rare. Un moulin merveitleux. Quelques heures par jour ca irait, pas plus. Je veux emmener Ethel ailieurs, dans un coin tranquille, loin de ces pieces de bois, d'ivoire, de bronze, de terre cuite. Mercredi soir Nous marchons. Cest un soir fameux. Tout doux. Les edifices de la Sieme avenue, éteints, vi-dés, deviennent d'augustes monuments sombres. Nous traversons une nccropole aux steles gigan-tesques. Des autobus se pressent, toujours aussi vieux, faisant de brefs arrets aux coins des rues. Les taxis font la course. Tu sais, Ethel, il y aurait moyen de s'orga-niser et de vivre ici longtemps. J'aime cette ville ! de plus en plus. I — Moi aussi. I —-De plus en plus, Ethel. C'est une bonne I place. C'est plein, bien plein, de gens. C'est pour I ca. On sent que nous y sommes a I'abri. C'est cu- I rieux, et pourtant nous ne connaissons personne. I — Sauf tante Gertrude. I ——Oui, il y a cette pie. I — Tu ne I'aimes pas ? I Et Ethel, avant que je puisse repondre, s'ac- | croche a mon cou et frotte son nez sur le mien, t Je la pousse vers cette entree. 11 y fait bien noir. I Nous nous embrassons devant cette longue et hau- | te et ciselec cath)edrale St. Patrick. I -—Ethel, je t'en prie. Viens, nous allons re- | faire le Central Park. Le reconstruire. Nous pose-I rons des puits de chaleur sous la terre rctournee. $ Nous poserons des fleurs aux arbres de fevrier. IINous cntourerons le pare dc grilles. Nous y ferons : un petit eden magnifique, un jardin, une oasis. ™« J'ai envic d'un paradis terrestre. Je t'ai trouvee Eve. II ne manque que cct endroit sur terre. Ce coin. Pourquoi aller loin, partout, courir au sud, faire le tour des iles ... Restons ici, en plein mon-de, en pleines rues. Au milieu du monde, du bruit, des affiches. Les ycux d'Ethel brillent. 108 ETHEL BT LE TERKORISTE ETHEL ET LE TERRORISTS 109 —• Oui, Paul. Et nous aurons beaucoup d'amis. —- Oui.............. — Et puis on y fera entrer des femmes aussi. De jolies et jeunes femmes; des filles splendides. Ethel me regarde parler des filles. Elle prend un petit air jaloux, sur commande. Central Park est un projet, une promesse Marcher dans New*York, Ethel me parle si doucement, elle est si calme, si sereine que je de-viens tout mou, tout bon. J'ai envie d'embrasser les gens sur les joues, ce vieux laid avec son chien, ce'gros gaillard aux joues rouges, cette femme sans age, cette Americaine moyenne avec ses yeux qui guettent, et toujours ce pas, ce pas rapide, fonc-tionnel. Le pas precis, efficace des New-Yorkais. Je le reconnais, Ethel me parle doucement. — Nous rcviendrons mon amour, en ete, au coeur de juillet. Les arbres auront des feuilles et ce pare, des amoureux par dizaines de dizaines. ; — Oui, Ethel, nous irons nous asseoir un soir d'ete. II fera chaud. —• II fera si chaud que nous refuserons de nous tenir la main. J'aurai ma robe jaune que tu aimes et je porterai ce petit collier qui t'amuse tant. Paul, je serai de la couleur que tu voudras. Je serai heureuse. Ce sera l'ete. Ce sera le bon temps. Et plus personne ne nous cherchera. Tu n'inquieteras plus personne. Parce qu'ensemble, tous les deux, nous serons entres dans l'ordre. Sans egard pour personne. Un ordre a nous. A nous deux, Paul. En-dehors des conventions, des coutu-mcs, des lois ordinaires. Tu pourras reprendre ton metier. Oh Paul ! Si cela etait possible. La paix en echange d'un decor Et puis je ne sais ce qui m'a pris. Tout s'est casse. Je vois New-York reprendre son spectacle, Je vois la silhouette des cierges ponctues de lu-mieres jaunes; J'ainte ce spectack et pourtant, un air me vicnt, de loin, du fond de Tame. Ma mere chante, en vieux ftancais. Et c*est tres doux. Mon pere pric, et ce me semble moins ridicule qu'avant, plus attendrissant. Je suis change. Tout le pays avec ses neiges ct son enorme glace descend vers moi, comme un paquebot tout blanc. Je suis pris, soudain. Soudainement, j'ai mal. Je ne connaissais pas ca. Ce mal au ventre, au coeur... oil exactement ? Je veux entendre le rire de ma soeur, l'innoccnte Murielle, et je vcux rctrouver le regard des voisins, celui de l'epicier en face dc chez nous. Le bruit des cloches de I'eglise paroissiale. La boutique du cordonnier, celle du quincaillier, rue de Castelnau, rue Be-langer ! Et la rue Rachel pres de mon travail, 110 ETHEL ET LB TERRORISTS ETHEL ET LE TERRORISTS 111 I'odeur du pain francais, I'odeur de I'epicerie, et toute la sciure de bois sur le parquet du boucher, au marche, .... . . ......... — Oh Ethel ! Comment t'expliquer. Nous descendons, la main dans la main, sur Broadway, tu vois la-bas les lumieres affolees de la publicite et tu vois ce spectacle gratuit et bicnfaisant, et je raime ce theatre vulgaire. Pourtant, tu ne me croiras peut-etre pas, j'ai soudain envie de m'en retourner, de remonter la-haut, chcz nous. Ethel, suis-je un enfant 7 Elle me regarde. Plus tendrement encore. Elle serre mon bras et jette le sien autour de mon cou. — Oh Paul. Je sals qui tu es. Je sais que tu retourneras la-haut. Je sais qui tu es. Je sais que tu as mal. Je sais que ta mere est la sous ta grosse carapace et que ton pere t'habite sous ton bou-clier de fausse indifference. Paul, tu vois, j'ai aussi cette barre sur le coeur. J'ai aussi envie de voir les miens. De rcvoir ma misere h moi, diffe-rente et scmblablc a la tienne. Mon coin de rue. La maison qui bloque le coin de la rue Villeneuve. Les odeurs de mes boutiques rue Saint-Laurent. Ce desordre a nous. Chacun sa misere, son desordre. Nous aimons le notre. Nous souptrons Ethel et moi, non plus apres un decor. Nous avons faim de paix, avons faim de calme. Et nous savons que cette paix ne peut qu'etre interieure, que cette serenite doit se cou- ver dans son propre sein et que cela, comme dans une cage, se tratne avcc soi, sur soi. Nous appre-hendons qu'il est bicn inutile de nous en aller, de voyager, de fuir. En memoire d'un bal antique Oui, je veux des nouvelles. II faut que je sachc. Je n'en peux plus. Je saute sur Ethel en arrivant. La tante Gertrude nc rentrera pas. Elle est allee a un congres d'antiquaires, ou quelque chose du genre, du cote de Washington. Je fa is un sabbat. Nous commcttons dc grands sacrileges. Une pantomime infernale. Je suis ce negre qui balbutie un dialectc, nu et masque, et avec cette pagaie authen-tique, je promene Ethel sur le Zambcze. Je suis un primittf. Les cris ne rassurent pas Ethel, non plus que lc tambour que je bats sur ce cof fre. Ethel se sauve, se cache et reapparait dans tous les coins de la galerie. Elle monte a 1'appartement, redes-cend. Je bois toute cette boutcille de Vodka qui tratne derrtere ces piles de paperasses, de revues specialisees. Je vois rouge, et noir et rouge. Je vois Ethel nue, et puis je la vois dans sa robe jaune que j'ado-re. Je m'emparc d'elle ct je commence un lent et rituel viol, Elle rit et elle pleure. Excedee de mes folies. Je pro fere des menaces. Je la quitte. Je me cache et je reviens. 112 ETHEL ET LE TERRORISTS Et je poursuis ce viol par paliers, par étapes. Et la sauvage partenaire qui a bu aussi me dit: — Ccsse done. Viens, tu ne vois pas que e'est un veritable martyre ! Alors, je la crěve, joli tam-tam. Je fonce, cn fait, sur toutes nos deceptions, nous nageons dans un erotisme agressif. Je dois me débarrasser de tout son linge chinots, ses bandeaux égyptiens, pour la posséder sans m'empetrer davantage. Ethel fait un tapage qui m'excite. EHe s'est décorée de colliers, de bagues, de bracelets innombrabtes, et de boucles luisantes aux oreilies. Des enscignes, de facpn classique, jettent des lueurs fantomatiques par les fenétres de la galerie. Les sculptures sont des monstres. Sauvages, primitifs, nous allons sortir dans la 53ieme rue, ct nous cracherons sur les passants, notre magique salive les réveillera de cette torpeur americaine. Nous chanterons nos cantiques millé-naircs. Nous danserons les pas ancestraux, pour la suite du monde a faire, nous organiserons une battue funeste. Nous nous emparerons de tous les amoureux de la ville et des enfants et des vieiltards et des filles, et nous ferons une grande marche, un pélerinage final. Une sublime procession. — Oui. Nous les ferons montér á I'Empire State, ct lá, un á un, nous les jetterons dans les rues, en guise de sacrifice, comme ces anciens Amé-ricains d'avant Christophe Colomb. tl fera un so- ETHBL ET LE TERROR1STE 113 leil aveuglant. Et les recits de mes vieux se realise-ront. Et je n'y croyais plus. Tu me fais mal ! Elle mord sa levre tres fort. Je .ccsse cette mascarade. Je songe a Real, je songe au jeune chef de cette section l'ouest -— i! n'est pas moins furicux, pas moins violent. La hainc I'habite. La haine lui fait une terrible ecorce. Jo songe a Thibodeau et a Riopelle qui sont enro-les pour la vie, qui jurent violence et mort. Je songe a Raymond, mon frere cadet, que j'ai si bien enregimente, qui a laisse ses cours a Tecole technique pour suivre le Mouvement* s'engagcr dans le parti. Et ce jeune cousin : dix-sept ans. Qu'avons-nous fait la ? — Oh Ethel !llya la-haut une bande de jeu-nes gens qui ont mal, qui souffrent, qui cherchent des raisons de hair, qui cherchent des excuses et des pretextes. lis ont mal ! lis ont mal, Ethel. Comme j'ai eu mal. Avoir besoin d'agir, de frapper, de se soulager. II faudra que je monte, que je puisse leur parler-de nouveau. II faut qu'ils sachent qu'il —- Le mal. Tu sais ce que e'est ? ■ ; , :i:^'.'::'.'.-;-*^:iOuL' Enfin, je crois que je sais. Ecoute-moi bien Ethel, je crois qu'enfin j'ai compris. La cam- 114 ETHEL BT LB TERRORISTE ETHEL ET LB TERRORISTE 115 pagnc qu'il faut mener. Tu sais, cette guerre, la vraie. Cette bataille pour terrasser cette grande vache grasse, ce veau maladc et paresseux qui est couche sur nous. Sur ton pays et sur le mien. Sur le peuple noir, sur le peuple de la Grece, sur celui de la Turquie et sur celui de la Chine et de l'Ecos-se. Une grosse bete. Le mal, Ethel, le vrai mal, le seul, c'est l'ignorance. Voila une bonne raison de se battrc. C'est la le vrai ennemi. Notre seul enne-mi. L'ignorance. Ethel, 1'ignorance, rien n'est plus grave, ni plus mauvais. C'est elle qui seme les confusions, qui entretient la mediocrite, les tabous et les prejuges. C'est la plus grave des faiblesses. Oui, le mal, c'est bien ca. L'ombre, c'etait cela, 1'ombre qui nous gcnait, qui nous hantait, qui nous revoltait. On cherchait des coupables, de simples coupables. L'ennemi de l'esprit, de la lumiere et du bien. Ethel, ce gros et lent et eternel combat depuis la naissance du monde, ca n'etait pas autre chose. Nous marchons lentemcnt sur lui. Etendus au milieu des objets des anciens royau-mes du Benin et du Ghana, etendus parmi les tre-sors de la vie tile Juive Gertrude, nous regardons au plafond l'odieux dessin de mille petits mons-tres. Nous sommes ecrases. Nous songeons au pays. Le sang du progres Je songe aux reunions des demiers mois. La haine prenait une tournure tragique. Tous les gars serraient les poings. Hubert savait bien en-tretenir cette colere latente. II voyait bien les dcssins se repandre comme une tachc d'encre re-pandue sur la flaque d'eau. Nous sommes dans la cave de ce jeune bourgeois de la petite villc de Saint-Eustache, Hubert Giroux. II y a la des jeu-nes, aux visages nobles et graves, trop graves pour leur age. Je reconnais quelques gars de la section est et nord de la metropole. Julien et le gros Roger, Guy et le beau Roland. Pichet sommeille, fait mine de guetter, accroupi dans le banc profond que forme le mur epais de cette cave autour des fenetres. Pichet est venu avec Laramee et Laramee est le plus dangcreux fanatique du groupe. Pour lui tout va trop lentement: la revolution, Castro a Cuba, les Noirs du Sud americain, les Berlinois de l'est, les Algeriens et les Egyptiens. Pour Laramee, un monde en progress est un monde en sang. II aimerait que la fumee recouvre la terre entiere. Son pcre est alcooliquc, et je n'ai jamais rien vu de plus beau, de plus touchant que le jeune Laramee aidant son pere qui sort a quatre partes du Black Lotus, saluant les danscuses. II m'a vu. II m'a souri. Et c'est la premiere fois que je le voyais sourire. 116 ETHEL ET LE TERRORISTS — C'est comme ca tous les soirs maintenant. j II m'a glisse 5a sans colere, sans impatience. Et le lendemain, ä un meeting d'urgence, il voci-ferait des menaces, levait les poings en 1'air, re-couvrait de son. chaud,. de. son brülant pourpoint de colere, tous ses compagnons. Ce soir-lä, la premiere bombe eclatait en plcin champ, en vain, comme une soupape qui aurait eclate. Du tröp ..-.plein. . . Stupides etoiles Je trainais Ethel. Elle suivait. Parfois, elle par-lait. Nous 1'ccoutions sagement. Au debut de l'en-treprise, it n'y avait aucun probleme. Une juive ou un noir, un Allemand, un Ukrainien, n'importe qui voulant bien epouser la cause, meme de l'exte-rieur, itait un allie. Mais cela a grossi. Et main-tenant, ces chefs pensaient politique, ilspensaient elections, et la, la sacro-sainte prudence vint s'ins-taller. Au nom de la strategic il fallait rayer des noms des listes, cesser d'envoyer le journal a X et a Y- Le mot "tactique" etait apparu au fronton de nos portes clandestines. II fallait tenir loin, ecarter automatiquement tout etranger. It fallait que le Mouvement conserve ce qu'il nommait: "une certaine purete ra-ciale". Et Ethel, alors, avait commence a se re-froidir. . ETHEL ET LB TERRORIST! 117 — Ecoute Paul, nous etions dix-huit. Dix-huit juif s ! — Ah Ethel, tu ne vas pas me remettre ce vieux disque. — Oui, je vais le remettre. Et tu vas m'ecouter. Nous etions dix-huit, un clan. Un beau clan. Une belle famille. D'honttetes tailleurs, de pere en fiis. D'habiles artisans. Et elle pleurait dans ce grenier vide, je devais defaire toute trace de reunion. J'etais un specia-liste dans ce genre de besogne. Mon pere avait ete assez longtemps concierge. — Tu ne veux pas comprendte, Paul. Je la prenais dans mes bras. Je l'embrassais partout sur son visage en larmes. Elle etait comme une poupee de linge, belle comme une poupee de luxe. Je la couchais sur le vieux divan de ce grenier de Westmount. Un train, en bas, a Saint-Henri, se-couait un peu les carreaux des fenetres. Elle se relevant quand elle vit que je m'appretais encore a lui faire 1'amour. Elle sortait par la haute fenetre qui donnait sur le toit. Montreal brillait, sautillait de ses milliers de lumieres clectriques. A I'horizon, par dessus Saint-Henri, par dessus le coeur de la ville, le fleuve scmblait une large entaille noire et profonde. J'avais soudain un appetit fcroce pour elle, M'emparer d'elle, la posseder contre cette balan^oire recouverte de treillis de bois. L'au-tomne etait beau. Le temps etait pesant et sensuel. 118 ETHEL ET LB TERRORISTB Mais Ethel se tournait carrement et me tenait a distance. Elle me cria presque : — Tu ne comprendras jamais. Nous etions la-bas, eh Europe hitlerienne, dix-huit, et nous som-mes venues ici deux ! Ma mere et moi. Elle cclata en sanglots et me regardait avec une sorte dc defi, de quete de pitie qui me fit fon-dre. J'avais soudain tres peur qu'elle parte subite-ment comme chaque fois qu'elle etait en colere. Je voulais m'ecrascr. Je voulais rentrer dans le vieux plancher de bois de ce toit amenage. Je re-gardais le ciel et scs stupides etoiles luisantcs. Et cette injustice pour elle, pour Ethel que j'aime et pour tous Ies autres, pour tous les autres que je ne connaissais pas, j'en etais charge tout de meme. II m'arrivait ainsi de souffrir pour les autres, pour ceux qui en bavaient. J'aurais, d'un bond, grimpe a ce ciel et dechire ce beau masque scintillant et je devenais enrage de mon impuissance, de ma pe-titesse. Ethel s'approcha et essuya ccs miserables lar-mes inutiles qui me coulaient sur la face. Et moi, je me penchai alors pour boire ccs larmes. Telle-ment salces. Et je sentis son visage chaud, brulant, Elle brulait d'ruimiliation, elle brulait d'indigna-tion. D'impuissance, elle aussi. Oh, que nous etions petits et pitoyables. — Ethel, il faut empecher ca ! ETHEL ET LB TERRORISTB 119 Ethel se redresse. II y avait moins de lumiere dans la 53eme rue. Elle allume un cierge, un petit cierge celui-Ia. Elle nous prepare du cafe. Je monte derriere elle. Nous sommes calmes. Je vois son corps qui ondule dans 1'escalier et je me jette dans son dos, j'cntoure ses hanches nues et je cache mon visage dans le creux de ses reins. — Tu vas me faire tomber. Elle souffle la chandelle. Et la, dans cet esca- ; Her de la vicille Gertrude, comme deux insenses, nous terminons en beaute ce qui a ete commence dans la galerie, avec des masques, des cris et un faux tam-tam ! L'optimiste est un fou Et puis, hier, nous avions affranchi la vieille tante. Nous Iui avons fait avaler une séance d'in-formation. Ge fut un defile impressionnant. Pendant que je voltigeais dans les dates, la con-quéte des Anglais, l'abandon du grand roi des Francais, la fausse soumission du clergé, ľautorité.: officielle d'alors, la revolte de nos premiers patrio-tes, les combats de Saint-Eustache et de Saint-Denis, ľéchec et les pendus du pied du courant, Gertrude allait d'une statuette á l'autre, envelop* pait délicatement ses plus belles pieces pour les empörter a son congrcs d'art primitif. Ethel l'ai- 120 ETHEL ET LB TERRORISTE ETHEL ET LE TERRORISTE 121 dait. EHe connaissait l'histoire de nos histoires, bien mieux que moi ne connaissais l'histoire des Juifs. De temps á autre, Gertrude s'arretait ďépous-seter et d'envelopper, statuette, masque. Fetiche ou arme en main, elle me posait une question precise : — Et alors, croyez-vous pouvoir redevenir une 1 nation libře et complětement indépendante 1 Et Ethel, par mes réponses, découvrait bien que je n'avais pas láché mon vieux réve, notre che-re cause. Elle me regardait m'echauffer. Scander mes réponses á sa vieiííe taňte en frappant sur les socles, sur les vieilles armoires, jurer, me mettre en cotěre devant son scepticisme, devant son ineré-dulité. Et sa peur dc me voir abímer ses affreux étalages, ses vieilles choses. — Combien étes-vous en fait ? Je gueulais. — Mais ca n'a rien á voir. II n'y a que la qua-lité qui comptc. Pas besom d'etre cent. Dix ou douze suffisent, suffisaient pour répandre une ideologic Nous serious cinq ou six biindés, decides, que nous pourrions mener une action renver-sante. Vous ne me croyez pas 1 Tiens Ethel, nous devrions essayer, rcmonter la-haut et recommen-cer quetque chose de neuf avec les meilleurs seu-lement, avec Lacombe, le professeur Gauvreau et les deux freres Carriere. Tu verrais Ethel. En six mois, on defait tous les autres et... Et Ethel venait m'embrasser parce qu'elle aime me voir ainsi, fou d'optimisme. Le sommeil merite Demain, e'est jeudt. Et demain, j'aimerais bien savoir qui je suis. Qui suis-je devenu. Ethel dort a mes cotes. Elle a aime rescalicr et son tapis encore moelleux. Elle s'est assoupic etendue sur six ou sept marches. Sa chair, dans le clair-obscur de ia galerie formait une vivante forme centre les motifs fatigues. Je me suis endormi aussi. Je nc sais pas combien de temps nous sommes restes ainsi etendus, heureux d'abord et puis sombrant sans defense dans un sommeil merite. Je me suis eveille tout doucement et je 1'ai prise dans mes bras. Elle faisait semblant de dor-mir. Comme une enfant, un bebe, je suis monte la deposer la-haut dans ce petit lit offert par tante Gertrude. Demain, c^est jeudi Voila cinq jours que nous jouons plus ou moins a la cachette. Savoir vraiment. Savoir en-fin ! Ethel n'est pas d'accord. Je ne sais pourquot. Telephoncr a Slide, il doit bien savoir. Telephoner 122 ETHEL ET LE TERRORISTB BTHEL ET LE TERRORISTS 123 ä Charbonneau. II ne dira rien. Si je telephonais ä un Journal. Le Journal I Non, Ethel a raison. II faut savoir. Micux vaut savoir. Je me rhabiile lentement. Au fand, je souhaite qu'Ethel s'eveille et m'cmpeche d'y aller. Mais il faut que je sache ce qui s'est passe exactement J'y vais. Un demier regard ä Ethel. Bon, si eile ne s'eveille pas, c'est un signe. Elle veut bien. Elle accepte. Elle-meme, au fand, a besoin de savoir precisement. ■ Gendarme, ton nom? Je vais a ce comptoir de journaux "tous les journaux du monde" ai-je lu I'autre jour. Et si je ne revenais plus. C'est idiot. C'est de la persecu-tion. Je suis malade. En face de l'immeuble, le type de Ia tabagie, le petit aux tempes grises. II est seul. II voit que je le reconnais. —»Vous en faites pas. Je ne suis pas contre vous. Au contraire. II est lä, il a traverse la rue entre les autos. II est agile. -— Que me vouler-vous 1 Qui etes-vous ? — Soyez calme. II ne peut rien vous arriver. II me sourit paisiblement. II parle franeais avec l'accent europeen. Je sais tout de suite qu'il n'est pas du pays. — Mais qui etes-vous ? J'ai soudain peur parce que je viens de songer a Ethel. Je ne veux pas la perdre. / — Je vais tout vous dire. Venez. On va causer un pcu....... . ............... —- Oii ca ! Je suis certain qu'il va heter un taxi, et que ce dernier va nous conduire ä la police. Mais U re-pond : ->. Oü vous voulez. Lä-haut, si vous voulez ! — Oui. Oh non, eile dort ! II connait I'existence d'Ethel, puisqu'ü nous suit depuis notre arrivee. Je suis deja en sueurs. J'aurais du prendre ce petit revolver cache lä-haut. On ne se mefie jamais assez. — Alors, choisissez l'endroit que vous voulez. —- Si on allait, dis-je, chez un ami ä moi, un noir du Village. — Chez le prof esseur Rampton 1 Non, merci ! — Ah, vous le connaissez aussi ? -— Je connais un peu tout le monde. Combien pour un delateur ? Devant deux verres de biere. Nous nous expli-quons. ■■ —- Vous savez qui je suis ? — Oui. — Qui suis-je 1 124 ETHEL BT LB TERRORISTS ETHEL BT LB TERRORISTS 125 — Ecoutez- II se penche souvent vers mot et U verif ie tou-jours autour de nous. — Qui craignez-vous done ? — Vos anciens amis ! —- Mes anciens amis 7 — Mais oui. N'avcz-vous pas ete rave du Mou-vement ? — Ah, vous savez £a aussi. _Mais e'est pour ca que nous sommes lä, tous les deux. Je vous l'ai dit, il ne peut rien vous arriver. Nous sommes la. — Qui etes-vous exactement 1 — Exactement, e'est difficile ä expliquer. Ecoutez-moi bien. Nous ne savons pas vraiment pourquoi vous avez ete ray£ du parti revolution-naire de votre pays. — Parce qu'elle est juive. II me regarde longuemcnt. II a la mine d'un citoyen paisiblc, anonyme. Je crois comprendre ! Voilä qui est interessant. Seriez-vous pret a travailler avec nous Z Je ne sais pas pourquoi, soudain, cela m'arrive. Souvent, quand je parle avec les gens, je suis parti. J'etais dans la bagnole jaune-moutardc de l'ami Eaucher. Nous entrions dans Quebec par la Grande AUee, comme dans une eglise. Gare ä vous, les filles. On passait de joyeux samedis. Nous £tions une bände de joyeux drilles. Les freres Lan-gis, Georges et son frere cadet Julien, le petit Italien Grieco. Nous passions nos soirees, ces fins de semaine, ä draguer tous les coins et les recoins de la vieille capitale. — Voyez-vous, mon ami. II faut arreter les actes de banditisme. Et nous comptons sur vous. Puisqu'ils vous ont laisse tombcr. Je ne sais pas pourquoi, Quebec s'instaliait dans ma tete. Des filles, il en descendait de la rue Saint-Cyrille, de la rue Brown, et la petite fille de chambre du grand motel ä la sortie du pont, Elle venait nous trouver d'en haut de Sainte-Foy, et cette garce jolie ä en faire peter les bretelles qui repondait au comptoir d'artisanat dans Ie bar de la ville. Et cette grande folle plus vieille que nous, ancienne nymphe de la petite rue Saint-Louis. — II me semble que, malntenant, vous n'avez rien ä perdre. II ne s'agit pas de livrer vos anciens camarades mais simplement de limiter les degäts. Puisqu'ils vous ont rejete. Je ne sais pourquoi, mais de penscr ä cette merveilleuse ville aux anciennes allures me fait du bien. J'ai chaud de nouveau. Et, soudain, je me souviens mieux. Grieco, le petit Italien qui 126 ETHEL ET LB TERRORISTB s'était moqué d'un pauvre marí. D'urt marí saint homme et puissant personnage au parlement Le venerable cocu avait ameuté, il le pouvait facile-ment, tous les policiers de la vieille capitale. Et j'étais pris, un soir, entre deux filles, les deux socurs du quartier Limoilou, deux petites puri-taines avec des attributs ďune santé fracassante. J'étais en train de leur casser leur timidité, au milieu d'un grand lit tombé du mur. C'était un appartement extraordinaire sous les comblcs d'une vieille batisse de la rue Saint-Louis. Le gros chien ä ľhaleine putride était entré sans frapper. Cris de stupeur de mes deux pucelles qui allaient subir 1'initiation la plus élémentaire á la vie courante. Oh, cette époque bohémienne. Derriěre Grieco, le jeune peintre engage pour ra-fraichir la vieille église "ďen bas de la pente dou-ce". Nous formions un peloton de peintres-en-bá-timents-d'un-amateurisme proportionné aux satai-res d'un contrat dérísoire. Le gros chien ä ľhaleine putride m'avait sorti cul par-dessus téte. Les petites s'étaient jetées sur leur linge avec des cris de souris. Et j'étais dans un poste de Québec, et les questions pleuvaient. On voulait attraper Grieco. On cherchait Faucher et son bazou jaune-moutarde. — Vous ne semblez pas m'écouter, jeune homme. I ETHEL ET LE TERRORISTS 127 I —Connaissez-vous le charmant petit peintre i d'eglises, Grieco ? I -— Non I Ecoutez. Vous auriez tort de vous j moquer de moi. Et, de plus, le temps est precieux. — Nous le cherchions tous. II s'etait sauve ä I cause d'un gros cocu au bras long, au siege parle- mentaire. Bipede comme vous et moi ! —-Non. Cessez ce petit jeu et repondez-moi, f Etes-vous dispose a nous aider 1 ' — Que faudra-t-il faire ? 1 ■— C'est tout simple. Nous cachons votre Ethel, j Et vous annoncez une rupture. Vous retournez au Mouvement et il ne s'agit que de nous avertir en i cas de projet, disons... meurtrier. Vous voyez, ; c'est clair I C'est fort simple. — Vous avez besoin d'un informateur, d'un I indicateur ! j — Oh, ne jouons pas avec les mots. Aucune ' importance et je pense que vous vous en fichez f bien. j —Oui, oui. Jc me fiche de tout. C'est bien connu. I —-Dites-moi une chose d'abord. I — Laquelle. I — Samedi dernier ! I ""~ Qui. J — Quelles nouvelles ? 126 BTHBL ET LE TERRORISTE ETHEL ET LB TERRORISTE 129 — Quelles nouvelles ? — Oui, les resultats ? — Vous n'avez pas vu les journaux 7 -Non. Par principe. .<***. Et vous voulez savoir quoi ? — Des morts 1 Combien ? — Vous voulez rire ! — Non, je ne veux pas rire. — If y a eu un mort, Un seul. Le gardien de 1'edif ice ! Vous ne le saviez pas ? — Non ! Et si je refuse votre offre ? « Mes mains tremblent soudain. Je les cache sous la table. Un canoque, tue I — Mais vous n'avez plus le choix. — Comment ca ? — Mais I C'est inoui ca ! Mon cher ami, nous sommes bien renseignes. Nous savons qui est alle deposer cette dynamite. ; II se penchc. Et it me semble que je reconnais la mauvaise haleine du gros chien quebecois. — Nous pourrions vous faire arreter. Je ne peux pas refuser. Je suis pris au piege. II salt done. II me laisse dans une fausse Hberte. lis surveillent mes faits et gestes depuis mon arri* vee. —■ Bon. J'accepte, mais il f audra que j*en parte moi-meme a Ethel. — Mais c'est entendu. Ecoutez. Rendez-vous demain, jeudi, a midi et trente a cette adresse. Ne craignez rien, c'est un bureau extremement ano-nyme. Car nous prenons nos precautions. N'en doutez pas, vous etes suivi, tenu a l'oeil par ceux du Mouvcment. — Mais un instant. Pour qui travaillez-vous ? ■ — Jc suis de la gendarmerie. Vous n'avez pas confiancc ? Vous voulez voir mes papiers ? II me les montrc, rapidement. Ce n'est pas la peine. J'ai compris. Une devinette: Ethel Je rclis la carte avec 1'adresse, llieme avenue, coin 188ieme rue, appartement 6, J'y serai. II le faut bien. lis me tiennent. II faudra que je joue le jeu. Je jouerai mon role. Ethel se reveille et lit une grande revue iilustrec. — Je cherchais les journaux. — Du pays ? — Oui, Ethel. — Pourquoi, Paul 1 Elle se leve et je tremble de plus en plus fort. Et jesais bien pourquoi je tremble. Je ne le sais que trop. Si je lul dis, c'est fini entre nous. A cause de ses dix-huit parents, de sa famille passee aux ; fours allemands, a cause de ca. Un seul mort et i c'est fini. Je ne la reverrai jamais plus. Alors, je ) tremble. 130 ETHEL ET LE TERRORISTS ETHEL ET LE TERRORISTS 131 — Tu as trouvc ces journaux ? -Non ! —- Tu mens. — C'est-a-dire . .. _Paul I Qu'y a-t-il ? Tu sais Men que je de-vine toujours I Qui as-tu rencontre ? Oh, tu as vu un journal. .11 y a des morts 1 Elle eric maintenant. — Paul, tu as tue quelqu'un 7 — J'ai rencontre un des types de I'autre midi, tu sats, je t'en avais parle. Us guettent nos allees et venues. Ethel me prend les mains. Trop calme. Cu-rieusc. — Oil etaient-ils ? _II n'y en avait qu'un. H etait poste dehors. Us devaient se remplacer. Oh Ethel, tu vois, e'est affreux, nous faisions l'amour et, dehors, un hom-me attendait, guettait. N'est-cc pas quelque chose d'intolerable ? — II faudra quitter New-York. _Ethel, je dois t'cxpliquer. Cet homme m'a commands de le suivre. Ethel m'entraine a farriere. Elle pose la ca-fetiere sur le rechaud. Elle me devore des ycux : — Parle vite. Oil t'a-t-il amene ? Que te vou-lait-il 1 Quelqu'un du Mouvement ou .. . — Non. 11 n'etait pas du Mouvement. — C'etait un policier.? — D'Ottawa, oui ! — Qu'allons-nous faire ? Je táche d'expliquer, de résumer la situation. Ethel m'ecoute sagement. Et puis, elle dit: — Et tu n'as pas pu savoir si samedi.. . si... — Non. 11 n'en a pas été question. Encore le mensonge. Mais qu'y faire. Sinon elle s'en irait. — Tu ne vas pas faire 5a, Paul 1 — Je n'ai pas le choix. Elle me rcgarde. Elle plisse les ycux. Je tremble. II me semble qu'elle devine. — Comment 5a, tu n'as pas le choix. — Mais ils m'arreteront. Tu n'as pas compris. C'est leur condition. Mais Ethel, si je suis arrété, nous serons séparés. Et ce sera long, méme s*ils n'ont pas de preuves, pas de témoins. Iis me cuisi-neront, me feront parier par la force. Tu es au cou-rant. Tti sais comment ils procédent. Non t J ouer a rever Nous ecoutons ronronner des avions au-dessus de nos tetes. Nous nous regardons. Nous pensons a la meme chose. Fuir. Mais ils doivent bien sur-veiller la maison. — Voyons. Si nous faisions une tentative. Juste pour rire, pour voir, verifier. Non 1 132 ETHEL ET LE TERRORISTS — Tu as raison. Ethel est fiere de son idee. Nous nous habil-lons prestement en pleine nuit. Nous ramassons une auguste valise de la tante Gertrude. Nous la bourrons d'objets. Pour faire croire. Et nous des-cendons le vieil escalier de 1'immeuble. Dehors, pas un chat. Mais New-York ne dort pas, ne dort jamais, on l'entend chanter a un im-meuble voisin, on l'entend festoycr au fond de ce restaurant, on l'entend murmurer, crier, passer, claquer des talons, se plaindre. New-York ne dort jamais. — Ou allons-nous t —— Je ne sais pas. —-Aux Nations-Unies. Nous expliquerons a quelqu'un notre histoire. Que tu n'es pas un assassin mais un soldat. Que c'est la guerre la-haut. Que les vieux prudents ne vculent pas reconnaitre ce fait, ni perdre leur poste. Qu'ils jouent la prudence. — A qui expliquer ca 7 — Au president ! — Et s'il n'est pas la ? Ethel a son plus beau sourire. Le sourtre qui veut dire : revons, c'est amusant. — On parlera au secretaire. On trouvcra bien un secretaire la-dedans. — A cette heure de la nuit, on trouvera des gardiens, des balayeurs et des policiers I ETHBL ET LE TERKORISTB 133 Nous faisons sortir le bazou du parking sou-terrain, deux coins de rue plus loin. Et nous par-tons. U n'y a toujours personne. Ni derriérc, ni de-vant. C'est étrange. .:;ví. —- lis ne peuvent tout de méme pas nous sui-vre en hélicoptére invisible et silencieux 7 Nous écoutons des chansons á la radio. — Ethel, si on partait ľ -— De quel cóté ľ 'fr-~>Safe'-;paSí;>:^;.:;: y >::K:^^^ Nous ne savions pas. Ľaéroport. La Floride ! Notre réve de samedi, de dimanche soir. Pour se faire mettre la main au collet, les billets á la main. De quel cóté s'en aller ľ Nous ne sommes que des enfants. ■^■^■^■■■■^■.ŕo--!'^ %Iou Non. Le mort. Elle ne doit pas apprendre. Si eile apprenait. II faut fuir. Aller oü 1 vers le Mexi-que ... Aller en Floride en auto... Cette pauvre vieille bagnole de dix ans. Elle ne tiendra pas le coup. C'est une picouille finie. — Ethel. Avec le bazou, il est facile de nous reperer. II faut en changer, et au plus vite. On nous tiendrait ä l'oeil facilcment avec une teile monture, meme au bout du Mexique. —Tu as raison. Demain matin, premier garage; Echange. 134 ETHEL ET LE TERRORISTS ETHEL ET LE TERRORISTS 135 Nous roulons le long de la riviére Hudson, sur les thruways qui entourent Manhattan. On apcrcoit le bloc de verre des Nations Unies. Je fais mine d'y aller. J'y fonce. Je stoppe. Je sors de la voiture pour gueuler. N'importe quoi. Pour gueu-ler......■ « ,,— Vive la France ! Vive De Gaulle ! Vive la Chine Populaire ! Ethel rit. Je la vois par le pare-brise fraiche-ment nettoyé. — Vive Cuba ľ Vive i'Afrique ! Vive le Québec libre ! Vive le Québec libre ! Un type siffle, s'approche. — What's wrong, my friend. Alors lá, je joue mon numero. Ethel le con-nait bíen. Ivresse mitigée. Touriste de belle hu-■■■■ meur. Gai luron I II se gratte la tete. Enléve et remet sa casquette. Ethel sort. Je ľembrasse ostensihlement dans le cou. Elle rassure le type éberlué. Et nous rentrons notre petit spectacle. Je chante et je gueule. Nous f Hons vers le Bronx ! — Mais Ethel, c'est merveilleux. Nous som-mes seuls. Nous pouvons circuler. Rouler tant qu'on voudra. Ethel. II faut s'en aller. Allons cher-cher no9 valises chez ľantiquaire de nos amours, et filons. Nous roulcrons vers le nord et nous dé-passerons le pays. Nous irons jusqu'au pole, chez les Esquimaux. Et lá, on se déguisera avec de la loutre, de la martre, du phoque. Nous nous cons-tru irons un joli petit iglou. Nous serons bien, au propre, au frais, au blanc. Le pole sera notre re-traite, notre uttime voyage de noces. Et la, on se laissera geler. Mais bien geler pour un temps in-fini. Nous hibcrnerons Ethel. Jusqu'a ce que cette crise passe. Quand nous nous reveillerons de notre long sommeil, il se sera passe peut-etre tout un siecle et nous serons demeures jeunes et frais, dis-pos, prets a rouler de nouveau, a fuir autre chose. Et quand on sera fatigue de nouveau, eh bien, on reviendra, on remontera encore une fois tout la-haut, au pole et de nouveau ce sera un long sommeil congele. Et ca recommencera toujours. Nous serons eternels. Les policicrs du monde entier n'y pourront rien. Tu viens ? — D'accord. Elle est belle. Elle sourit a ces betises ! — Ethel je t'aime, sais-tu ? — Paul. Dis-moi franchement, samedi ? Des morts _Je ne sais pas Ethel. Ticns, allons au cinema. II y a ce cinema qui fonctionne jour et nuit. Ethel est formidable. Meme fatiguee, extcnuee, elle regarde toujours avec attention. Souvent, je I'examine sans qu'elle le sache. Cela m'attendrit. C'est comme ca. Elle regarde avec tant d'intensite. 136 ETHEL BT LE TERRORISTS ETHEL ET LB TERRORISTS 137 Et pourtant, le film est bete. Je lui demande pour-quoi. Elle me chuchote. ■— Tout ce qui bouge me fascine, quand c'est ennuyeux, je n'écoute plus et merne je ne regarde pas vraiment. Je ne regarde pas ce que I'on veut montrer. Je regarde autrement. Je me fais un film. Je me bátis unc drôle d'histoire. Avec des bribes de souvenirs, j'erre ici et lá, je sors du film, j'y reviens. J'accepte des bouts de l'histoire et je re-pars. J'examine des coins d'imagc. J'observe les acteurs secondaires. La musique me fournit des images qui viennent se superposer sur celles de ľécran. Je m'amuse. Je regarde les gens dans la salle, ceux qui sont devant moi. Je tente d'imagi-ner leur caractére, de percer Icur identite et jé les' fourre dans le film. Je m'amuse. Du moment que ca bouge, je suis une enfant, non ? Marcher sur Broadway Nous Iisons ä haute voix les titres cocasses des films ä l'affiche. Sous une marquise, nous cxami-nons les photos publicitaires d'un film de nudistes. — Ethel, qu'en dis-tu 1 Tu aimerais entrcr. — C'est fermé á cette heure, le jour va se lever. — Je te pose la question. Tu aimerais voir des tas d'hommes nus ľ i Elle me regarde, ne sait trop quoi répondre. — Je ne sais pas. Je t'ai vu. Je te vois. C'est toujours fait pareil, non. Et toi, tu voudrais voir ces films 1 — Oh oui. Moi, c'est pas pareil. J'aime bien voir le plus grand nombre de filles possible. J'ai-merais, parfois j'y songe, j'y rcve, possedcr un harem, j'aimerais diriger, gouverner une armee tu emends, une armee de femmes, un regiment en-tier de femmes nues. Comme dans "8V2". Tu te souviens 7 —- Et moi ? Toi, tu serais comme le chef de routes ces fe-melles. Toi, tu vois, je t'imagine la vraie femme, la femme complete. La femme intelligente. Toutcs les autres n'existent pas vraiment. Elles ne seraient la que pour contenter unc certaine curiosite a un niveau animal, a contenter ce curieux instinct de domination qui m'habite. — Oh, je crois que vous etes fous, vous les hommes ! Un type s'approche de nous. Nous sommes done toujours suivis. II me jette : — Vous devriez aller dormir. Vous ne pour-rez jamais etre au rendez-vous demain I < Nous ne rcpondons pas. On tournc une rue. II ne nous suit pas. Nous laisse filer. Salue de la main, affable, amical. — Quel poison, ces policiers, Ethel ! —-Oh out, quel encombrement. 138 ETHEL ET LE TERRORISTS ETHEL ET LB TERRORISTS 139 Jeudi se leve d'argent et d'or Nous retrouvons la voiture 46ieme rue. Nous montons en vitesse. Nous roulons et nous assis-tons au plus merveilleux spectacle. Le jour se leve sur New-York. Nous roulons vers le Village sur Broadway. La lumiere blanchit les buildings et puis l'asphalte devant 1'auto devient d'argent. Puis le soieil perce le lait et la rue se dore. Dans le ciel, la nuit est chassee. Jeudi se leve. La neige annon-cee ne viendra pas. II fait toujours une sorte de precoce printemps. A la radio, pour demain, de la pluie, des averses et pour samedi, cette neige. — II faut fuir New-York ! — Oh oui, Paul, cette pluie un vendredi ! Pouah ! — Cette neige, un samedi. Brr ! Maintenant, je sais rouler comme un vieux-New-Yorkais. Je ruse avec ces taxis du diablc. Je dejoue les autobus vieillots. Je tente d'eviter ce fou dans cette vieille Chevrolet d'un vert metalli-que. Rien a faire. Le gros type qui le conduit vient me doubter et se pose devant moi. Et au premier feu rouge, pres de la lOieme rue, il en sort deux jeunes hommes ! — Slide est dans la voiture. Je le vois. — Ne bougeons pas. Les deux jeunes garcpns s'approchent. Le plus gros, qui conduit, se penche pour me parlcr avec une voix nasale. — Voulez-vous nous suivre. Nous sommes avec Slide. II parle un anglais trainant et mou, du yankee. Etudiant. Faineant. La haine • ■ Nous suivons. Nous entrons dans une aile du complexe de la cite universitaire. On dirait un champ vague. Un grand lot vacant d'ou auraient surgi ces batisses neuves mais comme prefabri-quees. Rien n'a I'air solide. Slide fait stopper la voiture. II descend. Les jeunes gens continuent. Slide vient vers nous. — C'est fini, Paul. II fallait suivre mon con-seil. Maintenant, il est trop tard. Je t'ai chcrche toute la nuit. Depuis des heurcs que je te cours apres. , ..... — Que se passc-t-il 1 v —II se passe qu'Hs savent. ■ Quoi ? Mats quoi ? Parle :donc*»v:;>«<:vi'f:;:; — Paul ru as etc vu par nos gars et pas avec n'importe qui, avec un agent de la Gendarmerie. C'est vrai ? ' 140 ETHEL ET LB TERRORISTS — Mais oui. Est-ce ma faute 1 lis s'interessent beaucoup a moi. — Bon Paul, nous n'avons plus rien a nous dire. Viens en-dedans. Dans un local exigu, je rencontre le chef de /section Charbonneau. II a Pair soucieux. II me regarde a peine. ■;; — Qu'y a-t-il Charbonneau ? Vous ne me soupconncz pas I — Mais non. Que vas-tu chercher la 1 — Slide m'a dit que ... — Slide parle beaucoup trop. II jctte un regard froid vers un Slide qui range des tracts dans ce petit local inconnu de moi jusqu'a present. Charbonneau change de gilet. Se lave les mains. II est tres calme. Etonnant de cal-me. Et puis, soudain, je saisis, tout s'eclaire, j'ai compris. Je ne pourrai plus reculer. II parle cal-mement et je vois bien que c'est k prendre ou disparaitre pour PeterninK — Mon petit Paul. II y a encore un colls. Et ^*est sur ^ bureaux de commerce du pays. II faut que New-York entende un peu parler de nous, pas vrai. Voila, il est maintenant, oh I deja cinq heurcs et , demie. Tu vas te rendre avec nos deux acolytes, ETHEL ET LE TERRORISTS 141 ceux de la vieille Chevrolet, au Metropolitan Museum. Tu aimes les musees. II regarda Ethel duramens — Surtout, mademoiselle Roscnsweig, n'est-ce pas, vous verrer de belles collections. Aimez-vous Rodin, Degas, ses modetages. Les impressionnistes ? Ethel le regarde bouche bee. Tout va vite. EHe aussi vott Petau se refermer. A prendre ou dispa-raitre pour Peternite. — Vous irez du cote de Part egyptien d'abord. La, mon Paul, tu verras une demoiselle tres bien, tres comme il faut. Elle te remcttra un petit pa-quet de la grosseur d'une boite de soulicrs. Tu iras au snack-bar du Musee au sous-sol et quelqu'un viendra vers toi avec une boite semblable a la tien-ne, mats plus courte, tu verras. II te dira simple-ment ceci: "Si nous echangions nos cadeaux". II a une cicatrice sur le front et il a un accent beige, il est blond. Ethel, mademoiselle Ethel, a ce moment, demeurera avec notre ami, le blond a la cicatrice. Toi, Paul, tu sors du Musee. La Chevrolet t*attend. Elle te laisse juste en face des bureaux de notre chere patrie. La, tu deposes la boite dans le hall d'entree. Tres souvent, des livreurs, la pos-te, le font. Tu verras, il y a comme un comptoir. Tu as juste le temps de sortir. Tout est minute. Le temps de Pouvrir et c'est fait. Va. C'est tout. En-dosse ce costume et cette casquette, et tu deviens un brave f acteur de la ville de New-York. 142 ETHEL BT LE TERROR!STB ETHEL ET LE TERRORISTE 143 Je dis á Ethel í ;?* — La haine. La haine. Ca continue. EHe pieure tout doucement. Je regarde Slide : ; r -~í- La haine Slide. Ca ne finira jamais. Slide me touche le bras discrětcment. < — Je sais Paul. Je sais. Et nous nous préparons. Je suis surveillé. De pres. Ethel regarde dehors. Je m'habille. Je me déguise. Ethel parle ďune voix que je ne reconnais plus: ; /.:>■**• Paul, je ne veux pas. Pas un scul mort. Moi, tu comprends, je ne peux pas. J'en ai vrai-ment assez de cette tuerie sempiternelle. Tu com-prends. Pour nous, pour moi, cela fait déjá six millions. A cause de qa. La race. La nation, je ne sais pas. Je ne sais plus rien, si c'est bon ou mau-vais. Je ne sais que ceci: ils en ont rayé six mil' ^Itons^PauL;^ —Tais-toi Ethel ! — Non Paul J Je te le dis, un seul mort, un seul et nous serons séparés á tout jamais. —- Eh bien Ethel, c'est fait, nous sommes sé-parés. Elle se retourne. Me regarde. ~Depuis samedi, á Montreal 1 — Oui, depuis samedi, á Montreal I Elle sort. Chatbonneau vient pres de moi. Je lui dis : —Ne crams rien. Elle ne parlera pas. C'est fini. Nous ne la reverrons plus. Elle sera peut-étre antiquaire dans la 53ieme rue pour long-temps. Un jour je viendrai peut-etre. Je serai peut-étre vieux. Et je grimpcrat péniblement le vieil escalier de la petite galerie de la tante Gertrude. Et Ethel sera lá au milieu des masques et des fie-ches empoisonnées, au milieu de la barbarie, au milieu des sauvages que nous serons encore. On m'a laisse parler. Je regarde Ethel qui s'en va lentement. Elle a son mantcau de cuir noir use, ses bottes de Montrealaise. Le soleil ne se levc plus. II se met a pleuvoir. L'or de 1'asphalte a term. II etatt faux. Les autos sont de petits mons* tres noirs agites. Ethel courbe l'echinc. Je me dresse, je suis fier. Je suis seul. J'ai hate d'aller re-trouver Ethel dans mille ans. J'ai compris. Une fois le doigt pris, le reste doit y passer. Bon. J'y passe-rai. La je deviens dangereux. Craigncz, Charbon-neau, Gauvrcau, mon petit Laramee, craignez le fou qui a perdu sa juive, sa pauvre fille, sa marquee. Vous en voulcz, vous en aurez. Je vais vous dresser un fameux cimetiere. Un grand cimetie-re au gout du jour, avec de la puanteur, des tonnes d'os, des fleurs de sang epais. 144 ETHEL ST LE TERRORISTS ETHEL BT LB TERRORISTS 145 Slide me regarde. —- Tu l'aimais beaucoup. Au fait. Est-ce que je l'aimais 1 Quel dróle de mot. La Chevrolet vole au but. Le Metropolitan vient d'ouvrir. La jeune fille. Les reconstitutions égyptiennes. Quel carton-páte ! Quelle farce ! Un groupe de femmes á colliers, á robes ä pois mon-tent le grand escalier, un pliant pour le fessier. Moi, je descends vers le restaurant. Le Beige blond est lá avec sa cicatrice. Tout va bien, trěs bien. Dans le meilleur des mondes ! Je grogne : —— Si on changeait de mcrde ! II me regarde, hésite un instant et me remet sa boite, fragile et précieuse. Gentil horloger blond du diable. Va palper le pognon dans ta boite ä souliers. Moi je file. J'ai besoin d'air. Je reconnais ce poids. Le poids de la haine. II pleut ä boire de-bout Je regarde le ciel. II a pris la bonne teinte — grisaille bénie — ce sera moins triste. Filons ! Je voudrais rencontrer tous ces agents, ces espions qui hantent New-York, tous ces pau-vres heres a petits ct a gros gages. Nous formerons un syndkat. Paul, assez medste. Nous roulons. J'entends le tic-tac familicr. C'est comme si je roulais a. Montreal, rue Craig, rue Sherbrooke, avec mon cadran sur le ventre, son poids inquie-tant. La Chevrolet s'arrete. Un des jeunes gens me fait un signc. Je vois mat; je vois une vitrine. Le comptoir, en entrant, oui, je le vois, a gauche. Peu de gens. Je depose mon cadeau. Et je regarde mieux. Je regarde encore en sortant. —- Je dis a Charbonneau : — Restons pas loin, pour voir J -— Tu es f ou ! Et nous partons. II pleut. Ou allons-nous ? Nous filons sur le thruway vers le pont Washington. Nous sortons. Je vois le bazou, dans un tour-nant. La Chevrolet stoppe. On ne me dit rien. — Des ordres 1 On me tend une carte. Je lis. Je dois etre a Montreal dimanche soir. II y aura une assemblee a huit hcures precises. Ce sera la premiere assemblee depuis la dynamite de samedi soir dernier. J'y serai. — Ethel ! Nous tombons dans les bras l'un de Pautre. ''; — Ethel, j'ai eu si peur ! Elle est la dans la voiture. Elle attendait. Montreal, fivricr 1964 147 DOSSIER PETITE HISTOIRE DE ETHEL ET LE TERRORISTS par Claude Jasmin Art temps de la revoke Un auteur a des livres pre/eris, it ose a peine Vavouer. Ethel et le terroriste, je I'avoue, est de mes preferSs partni ma production romanesque. Je ne sais pas trop a qtioi cela tient, mystere! Je viens de rediger et publierfmai 1982) L'Armoire de Pantagruel a toute vitesse, c'est la deuxieme fois que ce besoin... compulsif s'empare de mot; la premiere fois ce fut pour la redaction (/"Ethel et le terroriste. an 149