a vu sa r£ponse: me marier, moi! Mais comment faire ? II vint a Ville-Marie & titre de capitaine. II avait deja et6 dans l'armee, quoiquil ent peur de tons les diables. « Pour n'etre pas oblige d'aller dans la compagnie des mediants, se divertir, d avait appris a pincer le luth. » Cette peur augmen-tant avec les annees, * il desira d'aller servir Dieu dans sa profession en quelques pays fort strangers. » Aux jesuites il apparat comme un homme providentiel. Qui etait-il au juste ? An mieux un regent, au pire un coirihon, un soldat, jamais 1 La Soutane est mauvais juge; elle a sa petite dent, sa petite pointe, sa petite agressivite, assurement, mais quand elle recrute cela fin it ton jours par une milice a son image : prenez les Suisses de la Papaute, prenez nos Zouaves! Maisonneuve n'avait rien de martial: « Voiei mon pretre I » s'ecria Marguerite Bourgeois en Tapercevant. Dcpuis quand un pretie fait-il un bon soldat ? L'un et I'autre ont des caract&res incompatibles ou je me trompe fort sur la religion. Le seul trait de bravoure du pauvre Sieur nous est rapports par Dollier de Casson, qui ecrit par oui-dire : presse par ses sol-dats, Maisonneuve aurait couru sus aux Iroquois; et encore serait-il revenu au fort en courant. « M. de Maisonneuve arrivant au fort chacun en eut une joie qu'on ne peut expri-mer, et alors tous, trop convaincus de son courage protes-taient qua l'avenir ils se donneraient bien de garde de le faire ainsi exposer mal a propos.» Monsieur de Maisonneuve s'assura ainsi une bravoure eternelle, rapportee par tous les manuels, Cette espece de combat eut lieu en 1643. Durant les vingt annees qui suivirent, il resta dans le fort, bien protege, au chaud, en compagnie des dames. < H fut renvoye en France comme incapable de sa place et du rang qu'il tenait icy de Gouverneur. > « II etait sans pared, ecrit Sceur Morin, en constance dans l'adversite; ce qui aurait attriste un autre ou mis en colere, ne faisait que le faire rire et mieux divertir, trouvant des avantages ä ce qu'd disait, dans ces disgraces, qu'on ne savait pas. Quand il avait des sujets de chagrin il rendait visits ä ma Sosur de Bressoles ou a la Sceur Bourgeois, afin de rire ä plaisir; elles riaient aussi avec luy et montraient grande joie de ses peines, ce quil aimait beaucoup. » II almerait sans doute me lire; en quoi il m'est tres sympathique, ce Sieur de Maisonneuve. Je dois conclure d'ailleurs en toute honnätets6 que, faute de ce que la pudeur me defend de nommer, la prise Parmanda ne pouvait reussir contie lui. SIEUR DOLLARD, TROIS FOIS MORTS Trots ans apres I'affaire du Long-Sault il y eut tremble-ment de terre : * On voyalt, ecrit le Pere Ragueneau, des arpents de foret sauter en 1'air, les arbres faire la culbute et retomber les branches en bas, I Des lacs, des rivieres, des montagnes meme disparurent. Dans les viHes, « les chemi-nees et le haut des logis pliaient comme des branches agitees du vent » Neanmoius personne ne fut blesse, aucune mai-son endommag6e. C'avait ete un tremblement de terre purement theatral. On avait alors de l'imagination et 134 135 comme on ecrivait pour la France qui ne pouvait redire, oa en usait Hbrement. Qu'avait-on ä perdre ? Les jesuites maitres de la Nouvelle-France apres 1632 avaient fonde leui politique sur les Hurons. La ruine de ceux-ci sapa leur edifice. La colonie depuis 1648 subsistait sans raison, presque sans moyens. Pour la regenerer il cut fallu que le Roi la reprit en main, Ce qui advint d'ailleurs en 1665. En attendant on restait stupide et hallucifle. On voyait voler les serpents. Quelques petites secousses devenaient un tremblement de tous les tonnerres, D'un rien on faisait une armee d'Iroquois. Au milieu de mai 1660, les Montagnais de Tadoussae, ayant fait un prisonnier, s'arreterent ä Quebec. Le pri-sonnier eta it blesse; il risquait de mourir de sa propre mort. Pour le prevenir les Montagnais se mirent ä le torturer. De son cöte, le Pere Chaumont, accouru, se mit ä le eonfesser. Cen etait sans doute trop: llroquois, ecoeure du melange fit une declaration inattendue; il annoncait ce que du fond de son coeur il desirait: qu'une armee des siens marchät sur Quebec et massacrät le gouverneur. Cola dit il expira mais il etait dejä venge : on I'avait cru. Aussitöt la ville fut mise en etat de siege. On abandonna les campagnes; tout le monde se refugia dans le fort. Les nonnes, dont les cou-vents etaient exposes, allaient coucher chez les jesuites. « Les Iroquois, ecrit Soeur Augustin, caressaient depuis longtemps le projet d enlever les Filles-Vierges. » Jugez un peu de l'e-moi 1 Cette panique dura quinze jours, Elle s'epuisa faute d'objet. On se remit i vivre & ITieure normale. D'ailleurs les semailles pressaient. Monsieur d'Argenson et Mgr Laval qui avaient pris la decision du siege, frais debarques d'Europe, butors par droit divin, d'autant plus jaloux de leur autorite qu'ils n'avaient guere Iexperience du pays, ne surent admettre leur bevue; s'ils avaient prSte foi au delire d'un supplicie, c'est que ce supplicie disait vrai; s'ils avaient tenu Quebec en alerte, c'est que Qu6bec avait ete menace. Restait ä trouver pourquoi l'armee iroquoise ne s'etait pas montree. « Monsieur le gouverneur, ecrit Soeur Saint-Augustin, fit faire la garde toutes les nuits autour de noire monastere pour arreter les Iroquois. Les sentinelles criaient ä tout moment id comme par toute la ville s qui va lä. Et cette precaution fut si utile qu'on apprit par les Iroquois qu'on fit prisonniers quelque temps apres, que cela seul les avait empecbe de mettre le feu aux maisons de Quebec, parce qu'ils voyaient bien que nous etions sur nos gardes et qu'ils ne pouvaient nous surprendre. » Mais pendant ce temps ils ne touchaient pas a celles que les habitants avaient abandonnees pour se refugier dans le Fort: des Iroquois distraits 1 L'argument de Scaur Saint-Augustin est faible; il n'a pas ete retenu. II montre cependant la volonte qu'on avait de couvrir ä tout prix son gouverneur et son eveque. En l'occurence l'affaire du Long-Sault parut providenu'elle. On I'apprenatt ä Quebec le 8 juin. « La voilä, se dit-on, notre armee d'Iroquois! » II On tenta de Tattaeher les incidents. On s'y prit dans un sens puis dans l'autre. On voulut d'abord que de Quebec on ait fait avertir a Montreal de 1'imininence de 1'invasion 136 137 et que Dollard ait 6t& conscient d'un r61e que par la suite on Iui a assigne. iMallieureusement les dates ne s'y pretent pas : le supplicie fit sa revelation le 18 mai; le 18 mai, la bataille du Long-Sault avait deja eu lieu. D'ailleurs le supplicie annoncait Farmee iroquoise par le Richelieu, preci-sant menie qu'elle avait atteint la Roche-Fendue, au lac Champlain. Si Dollard en avait ete averti et qu'il eut, comme on la pretendu, la mission de sauver la Nouvelle-France, il n'aurait pas remonte I'Outaouais. On essaya dans l'autre sens. Dollier de Casson, sulpi-cien botte, rapporte que le Sieur de Maisonneuve ayant eu les nouveJIes du Long-Sault, les fit transmettre en aval. « Partout, ecrit cet euergumene, on en eut une telle frayeur que mSme dans le Quebec on renferma tout le monde jusqu'aux religieuses dans le Chateau et chez les R.P. Je* suites. » La encore les dates nuisent a rafflrmation puisque la panique s'etait emparee des Quebecois le 18 mai alors que les nouvelles de Montreal n'arriverent que le 8 juin, quaod les choses avaient deji repris leur cours. Le siege de la Capitale par un ennemi imaginaire aurait bien pu avoir lieu sans la bataille du Long-Sault, comme celle-ci sans celui-la, mais c'aurait 6te dommage : on les aurait juges k leur propre valeur, c'est-a-dirc sans indulgence, et de grands personnages auraient perdu la face. Les tenta-tives maladroites et mensongeres de rattacber les deux incidents ne s'expliquent que par le besoin qu'on avait de l'un pour eouvrir l'autre. En Iui-meme le siege de Quebec etait une bevue; lie au Long-Sault i] devenait une mesure de securite peut-etre hative, du moins justifiable. Quant au geste 138 de Dollard, en soi sordide, on le transforme : il deroute l'armee iroquoise et sauve la Nouvelle-France. Du mariage d'une bevue et dune sale affaire naissait la belle legende. Ill En 1660 les canons de Quebec saluent les braves qui viennent de sauver la Nouvelle-France.. . Dollard et ses compagnons ? Voyons, ne soyez pas si betes : ils saluent Chouart et Radisson, La colonie ne vit pas de sang mais de fourrures et tout particulierement de belles et bonnes peaux de castor. Or depuis quelques annees celles-ci n'arrivent plus a cause des brigands, iroquois et autres, qui infestent I'Outaouais, la grande voie de communication avec les pays d'en haul (qu'il ne faut pas confondre avec le petit patelin du pere Grignon). En 1859, six canots seule-ment en descendent et encore ont-ils evite I'Outaouais pat le detour assez appreciable du Saint-Maurice. On a pretendu que cette annee-la Monsieur de la Dauversiere avait perdu dans un naufrage pour plus de cent mille livres de fourrures, une perte necessaire a son honnetete; malheureusement pour icelle, il n'y eut pas de traite valable en 1659. Et l'annee smvante, il semblait qu'il n'y en aurait pas davantage; les navires marchands ancres a Quebec s'appretent a rentrer en France vides de castors : ce rut alors que Chouart et Radisson, a la tete d'une flottille de canots lourdement charges, s'amenerent des confins du lac Superieur, vous vous imaginez 1'accueil, canons et tout; cinq jours durant on les traita. Ces deux h6ros ne sauraient etre compares a 139 DoIIard et a ses compagnons; ce sont de vrais Canadlens pour ne pas dire des Sauvages alors que ceux-la ne sont que des Fran^ais; ils poussent la deeouverte, Vetendent du Missouri a la Baie d*Hudson, entrent en contact avec des nations nouvelles, sont capables de lever une armee indigene de cinq cents homines, de la conduire jusqu'a Quebec et d'ap-porter ainsi les ballots de castors qui sont la seule ressource de la eolonie; ils font partie de la grande bistoire continentale alors que ceux-la n'interessent que la petite, la toute petite hrstoire locale du brigandage sur l'Outaouais. IV « Quarante de nos Hurons qui faisaient i'elite de tout ce qui restait ici de considerable, conduits par un capitaine fameux, nomine1 Anahotaha, partirent de Quebec sur la fin de I'hiver passé, pour aller ä la petite guerre et dresser des embůcbes aux Iroquois ä leur retour de chasse. ». Voile comment le jesuite de 1660 commence le récit de 1'expédition. A Trois-Rivieres six Algonquins se joignent ä eux, ä Montreal dix-sept Francais. On apprendra deux mois aprés de la bouche des Hurons qui out passe ä I'ennemi, que tous les Francais ont peri au Long-Sault. Tel est le noyau qui aprěs une étonnante germination nous donnera deux siécles ei demi plus tard un héros national. Des batailles au Long-Sault, il y en eut des dizaines; ü suffit de lire Radisson pour s'en convaincre. C'etait la loi de rOutaouais, on ny passait pas le castor sans avoir ä le défendre contťe ceux qui n'avaient pas chasse et qui comptaient sur la petite guerre pour se le procurer. Le brigand netait pas nécessairement iroquois. II arrivait měme que des chasseurs eussent á se défendre centre leur propre nation; Radisson mentionne qu'une £ois il y avait des Blancs parmi ses assaillants. Quant a la bataille du Long-Sault, elle ne varie guére ďune fois á l'autre : I'ennemi se réfugie dans un fortin, on ly attaque, se servant des ballots de castors comme de boucliers, et Ton use méme a I'occasion du fameux baril de poudre que Dc-Uard aurait lancé et qu'une branche Iui aurait retourné. « The darknesse, éerit Radisson dans sa langue forestiěre, corvered the earth, which was somewhat favorable for us; but to overcome them the sooner, we filled a barril full of gun powder, and having stoped the whole of it well and tyed it to the end of a long pole, being at the foote af the fort. I may welle fay that ye enemy never had seen ye hke, * Qu'elle ait été retenue par une branche ou portée par une gaule, la bombe fmissait tou-jours par éclater dans le fort. Suivait la mélée finale, dan-gereuse pour tout le monde; « We are mingled pell mell, so that we could not know one another in that skirmish of blowes.» Ainsi dune fois a l'autre se dégageait plus net-tement le schéma d'une bataille sur lequel on pouvait en-suite broder selon les exigences de Iinterlocuteur, mettant ici une branche, \k une gaule. Ces exercices facilitérent sans doute le récit que les Hurons transfuges eurent á servir a ces Messieurs et Dames de la Nouvelle-France pour exphquer la mort des dix-sept Blancs. Ces Messieurs el Dames le prirent pour du comptant: ils renaient a cou-vrir, comme je l'ai dit, Mgr de Laval et M. le Gouverncur d'Argenson. 140 141 Quelques années plus tard, la paix conclue avec les Agniers, le brigandage cessa sur 1'Outaouais. En 1668, ce-pendant, trois soldats de la gamison de Montreal, des retar-dataires sans doute, tuent un Iroquois á son retour de chasse et Iui volent ses peaux. A cette nouvelle, Calliěres, un gou-verneur qui n'a rien de d'Argenson, s'amene furieux de Quebec et les fait fusilier tous trois. On ne parla plus pour quel-que temps de Dollard des Ormeaux. Le Pere Charlevoix, notre premier historien, ne le mentionne méme pas. On pouvait croire que tué une premiére fois par des chasseurs en legitime defense, ressuscité pour la profit de la sainte Autoritě, il fůt mort enfin définitivement et enterré avec tous les brigands de l'Outaouais. Hélas I le bougre res-suscita une seoonde fois. Les jesuites s'etaient debarrasses des franciscains; Dieu pour les punir leur envoya les sulpieiens. lis avaient donne 1'i'le de Montreal a La Dauversiere qu'ils croyaient tenir, dans le dessein de faire payer a la clientele de l'Oratoire un eta-blissement dont ils avaient besoin, comme relai, pour Ieurs missions huronnes. Mais La Dauversiere leur echappa; il monta une affaire a son profit, qui apres sa banqueroute passa aux sulpieiens. Voila ceux-ci seigneurs de Montreal avec fentier gouvernement de 1'lle, independants comme des princes souverains; ils n'en ont pas assez, ils veulent s'em-parer de toute la colonie par un gouverncur et un eveque a leur devotion. Les jesuites les dejouent de justesse, rempla- cant D'Ailleboust par Lauzon, Monsieur de Queylus par Mgr de Laval, une affaire sur laquelle je reviendrai. Les sulpieiens durent se contenter de Montreal. En 1665 on leur enlevait la justice et la defense de l'ile, ce qui les courba définitivement sous l'autorite du roi et de ses confesseurs. Frustrés dans leurs ambitions ils restérent rétifs, grincheux. Leur attitude géna Mgr Plessis Iors de la nomination du premier eveque de Montreal : ils ne voulaient pas dépendre de Quebec. Le chapeau du cardinal Léger a été dune ceitaine facon le triomphe de ces superbes. Ils restérent fiděles ä Ville-Marie, qui avait été leur che-val de Troie. Ce sont eux qui relevěrent Dollard de sa charo-gne. Ils avaient continue d'interroger les Sauvages qui ne demandaien't pas mieux que de leur faire des contes. Cela nous valut d'abord, en 1673, l'invraisemblable récit de Dollier de Casson, qui fixe la legende et brouille lTiistoire; ptüs, en 1700, Vachon de Belmont réussit ä tirer d'un Iroquois que le Long-Sault avait coůté aux siens le tiers de leurs combat-tants, deux cents et plus, alors que la Relation de 1660 en donne moins de vingt. Tout arrive á qui sait attendre. Mgr Olivier Moreau devxait aller interroger Chief Poking Fire. En 1760 TAngleterre s'emparait du Canada, ce qui nous empécha de nous défaire des Fran?ais nous-mémes. ^^vec Mister So and So nous eumes moins d'aise; il était difficile de Iui parier dans le nez. Notre revolution nationale, inspirée par le génie du continent, avorta et de tous les peuples des Amériques nous restámes le seul assujetti. La rebellion nous avait quand méme apporté du neuf, le patriotisme; ce ne 142 143 fut pas sans raison que les marts, les exiles, les pendus de 1837 furent les Patriotes. Et de ce patriotisme naquit ľidée ďun héros national ä opposer ä la reine d'Angleterre. Tout annoncait que ce héros serait Chénier, qui avait Iivré ä Saint-Eustache un combat glorieux. Les Espagnols, Ies Fortugais du Sud, les Anglais des Etats-Unis, les Francais de Haiti avaient choisi le leur parmi Ies artisans de Ieur liberation. Chénier é-tait le eontemporain de Bolivar. Et porrrtant ce ne fut pas lui ni un Canadien ni un ennemi de nos ennemis; ce fut un Francais, un Mistigoche qui avait été ä la petite guerre contre les Iroquois, un brigand de l'Outaouais qui fut declare notre héros. Comment cela est-il arrive ? Allez le demander aux cures. Aprěs avoir été les adversaires des Patriotes, ils ont tout simplement confisqué le patriotisme ä leur profit et par un tour de- passe-passe remplacé Chénier par Dollard. II est vrai que celui-ci était sorti de la fange. Vert 1840, un Anglais de génie, le seul que nous ne vimes jamais, affirma que nous n'avions pas ďhistoire. La riposte fut foudroyante: «Tas men-ti, Durham!» A vrai dire, il n'avait pas encore mentí, mais nos historiens trlmaient dur; enfin, ils nous la bvrerent in-quar-to, cette histoire. Ils y avaient mis tout ce qu'ils avaient pu trouver, tout sans exception et ce tout était sacré. Ce fut ain-si que le Sieur des Ormeaux, profitant de la marée, reparut sur la rive nationale. H était tout frais, tout net, récuré. On le poussa sur le piedestál que les Patriotes avaient prepare. C'e-tait vers 1920, dans une sorte de trou qui puait la decomposition de tout un peuple. Nous n'en somme pas encore sortis. LA NAISSANCE D'UNE DEESSE Le tabac mene le moude. Les femmes s'en sont rendu compte, qui n ont pas vote avant d'avoir fume. Elles avaient de bons arguments pour voter, et des raisons evidentes. Intelleo-tuellement, elles etaient irresistibles. Mais les citoyens, peres et fils, les prenaient autrement — irresistibles, en effet! lis n'y pouvaient rien, c'etait plus fort qu'eux : ils riaient Ces citoy-ennes pour lesquelles ils avaient ä la maison tous les egards leur faisaient en politique 1 effet d'un cbeval sur le husting, Elles pouvaient causer, on ne Ies empeohait pas, mais il est certain, dans Ies circonstances, qu'elles causaient pour rien. Therese Casgrain se fit alors remarquer. Elle avait de la naissance : tout lui etait permis. Elle aurait reclame le droit d'etre pompier qu'on ne 1'aurait pas contredite. Mais on se chu-cbotait d'homme a homme: «Savez-vous pourquoi Madame Casgrain est suffragette P C'est que, filierte, eile navait pas la permission, comme ses freres, de glisser sur la rampe de lesca-lier». Alors, quand elle prononcait un discours, ce discours füt-il remarquable, ITionorable Alexandre Tashereau qui, lui, pour-tant, etait poü et ne riait guere, voyait un escalier monumental, fermait Ies yenx et se disait: * Tout de nierne, elle ne de-vrait pas faire ca en public*. Ces dames se donnaient ainsi beaucoup de mal et le droit de vote leur etait toujours refuse. En desespoir de cause, elles se mirent ä turner et elles leurent aussitßt. Un peu de tabac grille valait mieux que tout. Si Ies suffragettes avaient su I En-fin, elles lont appris. Non sans r6pugnance dailleurs : le tabac etait alors du petun. Petuner provoquait la salivation. 144 145