cheval. lis vont dire que jc suis fort, et solide. et que j'ai tin bien beau sac. lis disent que j'ai des chauves-souris dans la lete, et loutes sortes de choses qui me troublcnt I'esprit, mais ce n'est pas vrai, jc ne suis pas fou, je le sais. C'est 6crit dedans mon sac, sur le cote, celui que je tiens contre moi. J'ai marche uric lieue, et j'ai rejoint Annette a la grand'courbe de la Sabliere. J'ai saute sur elle, je lui ai serrd Ic cou, et elle est morte. Avec mon couteau, j'ai coupe ses cuisses aux genoux. puis plus haut, pres du corps, pour faire comme deux billots de chair. Je les ai mis dans mon sac. Le voila rond de tour et long d'une aune. Et je sais que c'est bien de lui avoir mis de la peau dedans, cuir blanc sur cuir franc. lis vont vcnir me chercher ce soir, mais j'aurai accroch<5 Ic sac dans ma cabane, jc l'aurai aime\ ct 9a ne me fera plus rien. Le cochon de la mere Soubert II fut que la femme Maugrand, en entendant geindre fort la vieille Soubert, se dit que... « C'est chose grave qu'elle geigne, il faudrait bien y aller voir.» Et elle y fut, pour trouver la mere Soubert en mal de rendre I'ame, tant elle avail de coliques qui lui labouraicnt le ventre. — Dame!... ...que dit la vieille, entre deux ahanements, — ...je ne suis plus jeunette, et j'ai mange" hier comme une femme qui fait du petit a pleine ceinture. Done aujourd'hui (et elle criait entre les mots) ...je suis punie, allez ! Mais la femme Maugrand qui est sage femme et connait les malades, qu'elle en a bien soigne des femmes dans le hameau, voit que la mere Soubert n'est pas gaillarde, et se croit moins malade qu'elle n'est. Akirs elle lui prepare une grande tisane, et fait les prieres qu'il faut pour chasser les grands maux. Tant que la journee se passe presque, et la mere Soubert ne va pas mieux. et meme qu'elle va pire, et la femme Maugrand pense aux siens qui ont tout de meme 32 33 besoin d'etre nourris. Les grands a table, et le petit a la tetde. Puis, comme elle va partir, decidee enfin a quitter le chevet de la vieille qui se lamente et crie avec des gestes de vouloir s'arracher le ventre, la mere Soubert rend 1'ame. Ce qui ennuie bien la femme Maugrand. vu qu'elle est seule, et qu'il faudra raconter cent fois l'his-toire de cette mort aux autres du hameau qui voudront en savoir lous les details. Mais puisqu'il en est ainsi, la femme Maugrand tire les bas de la vieille, et la met nue, ce qui ne fait pas un bien beau spectacle, tant elle est racornie, et jaune, et tout enfin. puis elle lui tire un drap blanc par-dessus. «Tout a I'heure, se dit-elle, je viendrai avec d'au-tres, pour la laver et 1'ensevelir.» Elte souffla le lampion sur la table, et sortit de la masure en mauvais bois. A la maison, elle donna la tete"e au petit, ce qui &ail le plus presse, puis servit les grands. Les deux garcons, la fille Maugrand, celle qui s'est donnee jeune. et Maugrand-le-fort. qui est grand pour ecorcher le plafond de sa tete, et fort a prendre un boeuf et le jeter par-dessus une cloture. A sa famille, la femme Maugrand ne dit pas long sur la mort du jour. Seulement que la vieille dtait morte et qu'il faudrait 1'ensevelir. Ce qui fit dire au Maugrand : — Je donnerais bien pour avoir son cochon. C'est un beau cochon, gras et propice au lard. T'aurais dO lui en parler. La femme Maugrand haussa les epaules. Seule la fille protesta. 34 — C'cst-y Dieu humain que de parler du cochon avec la mort si proche. Ca peul altendre. Maugrand ne voulut pas. — Ca peut attendre qu'un autre s'empare de la bete. Et moi je la veux. La femme Maugrand s'arreta a mi-chemin entre 1'atre et la table, et elle regarda longuement son man, avec un grand regard froid. Elle savait ce que voulait dire «je veux ». dans la bouche de son homme. C'avait ete comme ca pour le petit dernier, vcnu a tort de loutc raison. bien apres tous les autres. dix ans quasi. II avail dit, et fait. «je veux». Mais elle ne parla point. On ne raisonne pas avec une mule. Maugrand retomba, de son c6le\ dans un silence plein de calcul, ou se prelassait le gras cochon de la defunle Soubert. Apres le souper, la femme Maugrand alia qudrir d'autres femmes, au hasard du hameau. La femme Lor-gneau, la mere Druseau, la Judith de Coudois le forge-ron, et quelques autres, plus celles qui vinrent sans etre demandees, avec de l'obligeance plein le langage et de la curiosile plein les yeux. On ftl bien des commentaircs sur cette mort qui ne surprenait personne tout en etonnant tout le monde par sa rapidite. On en fit surtout lorsque la femme Maugrand tira le drap blanc. On en fit sur le corps dechame" de la vieille. — Triste, dit la femme Lorgneau, ca vous avail pas lous les jours la grande pitance, si on juge par la peau qui colle sur les os. 35 Et la Judith aux flancs amples et a la poitrine grasse ajoula: — De voir comme ca les seins lui cooler le long des aisselles. 9a me fait pitie. J'espere bien jamais devenir comme ca. Et plus d'une qui e"(ail la envia un moment cette chair genereuse que ia Judith deployait a chaque dehan-chement. Ce ful cependant la mere Druseau qui eul le dernier mot. — T'aurais du, la Maugrand, t'es si habile pour-tant, lui fermer les yeux et lui nouer le menton. Ne voikVt-il pas que nous aurons maintenant a 1'exposer les yeux grands ouverts et la bouche pendante. C'est pas Chretien, des choses de meme, et ca va donner mauvais nom d'incompetence a celle qji a fait J'oubli. Ce qui etait assez vrai pour faire home a la femmc Maugrand qui fut humiliee et ne dit mot de longtemps, autanl que dura le lavage et meme qu'elle etait encore morose quand on trouva une robe passable dans un placard, de quoi proprement ensevelir la vieitle. Puis Coudois vim, car c'&ait lui qui dans le hameau faisait les cercueils. Du temps que durerent ces preparatifs qui sont ceux de la mon, Maugrand songeait. Seul dans sa cuisine, il pensait a ce cochon qui criait dans 1'enclos derriere la maison de la vieille Soubert. II y songeait tellement, le voyait tellement sien, qu'il n'y tint plus, et sortit voir de plus pres ce cochon gras qu'il desirait tant. II le contempla longtemps. — Ca ferait belle viande, dit-i! tout haut, belle et bonne viande, a vendre haut prix. Trois saisons encore, et je tope un tnarche pour je te 1'dis double de ce qu'il 36 vaut aujourd'hui, tant je le soignerais bien pour I'en-graisser et le faire dodu comme il se doit. Le cochon regarda cet homme qui parlait ainsi seul, cria plus fort comme pour repondre, puis s'en fut se rouler dans la boue. Maugrand regarda le grand couchant qui luisait sur la mcr, avec du rouge et des bleus inoui's. et le vert noir des arbres et des feuilles moins heurtes de lumiere erne, et il reva un instant que demain, le cochon serait a lui. Tellement que le reve dcvint une hantise et il se promil que... « ...demain. le cochon est a moi, ca, je me le dis.» Et il alia se joindre aux femmes qui deja commen-caient les prieres et les colportages des nuits de veille au mort. On avail laisse la mere Soubert dans son lit, avec ses yeux ouverts, et sa bouche qui pendait. Ca faisait cadre macabre, cette chambre mal fi-chue, ce lit qui penchait et qui n'etait point trop propre. et puis le petit corps grele de la vieille, avec le chapelet dans les mains, la robe noire chastement montante et la bouche ouverte et les yeux fixes. C'etait, dame ! assez pour que bien peu de femmes puissent regarder la mere Soubert sans penser que c'etait done horrible de mourir laide ainsi. Maugrand vinl el s'agenouilla un instant, sans prier, peasant toujours au cochon. Puis, etant reste le temps que cela prend pour dire une priere, mais sans Ia dire — car ce n'est pas dans le gout de Maugrand, la priere — il se rcleva et vint dans la cuisine. II y avail deja quasi tout le hameau, Des hommes, beaueoup de femmes, et la plupart des en fan Is. 37 Et c'etaienl les chapelets que Ton recite, puis les nouvelles qui se racontent. II y avait meme le Daumier qui contait des his-toires a faire rougir les pucelles. Mais il les racontait tout bas, dans un coin, pour son auditoire d'hommes. Maugrand alia et vint, comme d£saxe\ cherchant a se caser quelque part, hante" toujours par ce cochon qui crie dans I'enclos, et qu'on entend d'ici. Puis il se joignit au groupe de Daumier. II fut longtemps sans parler, dcoutant les histoires de Daumier, riant avec les autres, mais moins bien, puis il se decida. — Dis done, Daumier, e'est pas pour t'oter ta joie, mais moi je me demande bien une chose. Le cochon de la vieille Soubert. e'est un beau cochon. Daumier approuva, et Lorgneau qui e"tait la dit: — C'est un beau cochon. 11 rapportera gros. Maugrand dit en finaud: — Je me demande bien qui en he"ritera. — La vieille n'a pas de parents. Lorgneau avait constate". Maugrand crut saisir de la cupidite" dans le son de voix. — Qu'on connaisse... elle en a peut-etre et on les connalt pas. — C'est bien possible. Et comme Maugrand redevenait silencieux. Daumier essaya d'une autre histoire, mais les hommes distraits ne rirent qu'a demi. Daumier vit bien que pour chacun, le cochon etait devenu une proie a conqu^rir. Maugrand, quand il vit que tous pensaient au cochon, que e'en 6tait bien evident, regretta, allez, d'avoir parle" de I'animal. « Si je m'&ais tu, se dit-il, on y aurait pas pense, et probable que j'aurais eu le cochon pour moi.» 38 Et comme la Judith servait du vin, a la table, il s'en fut qu6rir trois lampees. La veillde se continua, mais plus silencieuse. Et bientot quelques femmes s'en allerent, puis quelques hommes. Maugrand resta, et Lorgneau. Maugrand com-prit que le cochon. maintenant. serait dispute" entre lui et Lorgneau, qui n'etait pas mince adversaire. La femme Maugrand vit ce qui inquielait son mari, et elle lerejoignit. — Ecoute, Maugrand. le cochon, ce n'est pas pour toi. — Pas pour moi? Pourquoi pas? La vieille n'a personne, autant a moi le cochon. — 11 n'est pas a toi. J'ai trouve" un papier dans le placard. — Quelle sorte de papier? — Un papier ecrit de la main de la vieille. Maugrand devint soupconncux. — Et c'est quoi qui est sur le papier. — Des mots... des mots qui disent que le cochon n'est pas a toi. — Pas a moi ? A qui alors. — Au Trouble". La vieille dit comme 9a que le cochon, c'est au Troubl6. — Montre voir le papier. Mais la femme Maugrand ne fut pas si bete, et comme Maugrand faisa.it le geste de le lui oter des mains, elle se leva et dit a tout le monde, bien fort: — La vieille a laisse une maniere de testament, que j'ai trouve au fond du placard. C'est ecrit dessus que son cochon, elle le donne au Trouble". A quoi la Judith remarqua: ■ — C'est bien pour dire que les vieillards, 5a sent la mort, et ca sail quasiment quand ils vont trepasser... Dans son coin, Lorgneau se mordait les levres. Quant a Maugrand, il etait sorti aux premiers mots de sa temme. Et quand Maugrand tira son couieau et le plongea dans la gorge du Trouble, d'un coup pour tuer, c'est stir, le Trouble cherchait encore a comprendre, et n'eut pas le temps de se garer ou de se defendre. Dehors, dans le soir d'ombres et de pluie fine. [1 marcha, inconscient de la direction, tout d'abord, puis il s'apercut qu'il allait vers la grand'courbe de la Sabliere, qu'il allait tout juste vers la cabane du Trouble". II h£sila un instant, quand il vit que son instinct le mcnait la. Mais il se reprit et continua a marcher, ruminant dans sa tete ce don idiot d'un cochon a un homme conime le Trouble. A un fou ! Le Troubld £tait chez lui, assis sur une chaise droite pres de la table. II ne se leva pas quand Maugrand entra. II dit seulement, d'une voix blanche: — Je savais que vous viendriez me chercher. Et il regardait le sac pendu au mur. le sac ou etatent les cuisses d'Annette, coupees un peu plus u'n dans la journee. Maugrand ne parlapas. — Tu viens pas me chercher, Maugrand ? Pour ce que j'ai fait? Je vais y aller, je ne dirai rien, je vais y aller. Maugrand ne pai'lait toujours pas. Alors le Trouble se douta qu'il ne venait peut-etre pas le chercher, apres tout. II ne comprit pas cependant ce que voulait dire Maugrand quand tout 3 coup il I'entendit qui criait: — Le cochon, in ne I'auras pas. C'est a moi qu'il va venir, le cochon, pas a toi. 40