1 LE ROMANTISME Introduction : en France Le XIX ěme siěcle est connu comme le siěcle du Romantisme Sont presents, á cette époque quatre grands mouvements : 1. le romantisme 2. le realisme 3. le naturalisme 4. le symbolisme Presentation du Romantisme : Le Romantisme est un mouvement ďidées et de sensibilités (ensemble des mouvements intellectuels , artistiques) européen. A partir du XVIII ěme siěcle, il met en avant I'expression des sentiments personnels et la force de I'imagination En grande partie marqué par la revolution de 1830 et 1848, ce mouvement culturel et artistique important dans la premiere moitié du XIX ěme siěcle, touche non seulement la littérature, mais également d'autres arts comme la musique et la peinture. Le Romantisme dans la littérature : Le Romantisme est né vers 1795, en Angleterre et en Allemagne. A I'origine « romantique » designe ce qui pourrait venir ďun roman.Cet adjectif qui nous vient d'Angleterre (XVIII ěme siěcle) a ďabord été utilise pour définir un paysage. Line étendue de terre ou la nature dégage de la poesie, de la sentimentalitě, du réve. Les Allemands quant á eux ont créé « Die Romantik » qui est á la fois une histoire littéraire et un programme. Ce mouvement a été introduit en Allemagne, pour caractériser la poesie qui est née de la chevalerie et du christianisme (chants des troubadours) : poětes lyriques du XII et XIII ěme siěcle. Plus tardif dans le reste de I'Europe, le Romantisme commence en France au debut du XIX ěme siěcle par Chateaubriand (écrivain francais : 1768-1848) et Madame de Stael (femme de lettres francaise : 1766-1817). C'est une des ceuvres de cette femme, « De I'Allemagne » qui va ouvrir la voie du Romantisme francais (1810). NB. Son apparition á la fin XVIII ěme siěcle et au debut du XIX ěme siěcle coincide avec les guerres Napoléoniennes (1795-1815) On peut observer trois grandes generations romantiques francaises : 1. 1800-1820 : les premiers artistes romantiques sont des aristocrates qui ont assiste a I'effondrement de I'ordre.Chateaubriand,Mme.de Stael,Senancour,Benjamin Constant 2 2. 1820-1830 : les jeunes romantiques affirment leurs ambitions dans les textes theoriques et des manifestations. Lamartine,Hugo,Vigny en poesie.Balzac et Stendhal dans le roman 3. 1830-1840 : des personnages qui comme Gautier (ecrivain francais : 1811-1872) et Nerval (ecrivain francais : 1808-1856),mais aussi Musset,Merimee privilegient une sorte revolte en art. Le Romantisme ne va s'imposer en France qu'a partir de 1820. II va alors s'agir d'un courant dominant, que ce soit pour la vie artistique ou intellectuelle ou politique francaise. Les themes qu'il aborde sont: la nature, le fantastique, le « moi », le goůt du passé. Le lyrisme joue un role important á 1'intérieur de ce mouvement. L'expression des sentiments personnels est préférentiellement illustrée dans le genre poétique. De plus, s'exprime aussi la recherche de I'evasion, c'est-a-dire que selon I'attitude romantique, le voyage est essentiel pour nous permettre d'oublier. La redécouverte des époques oubliées (Moyen Age, Renaissance) et le réve, qui sert de refuge pour ceux qui veulent s'evader sont aussi des caractéristiques de ce que Victor Hugo (1802-1885) appelle le liberalisme de la littérature. Les romantiques cherchent roriginalité formelle et inventent un roman et un theatre plus libres, cela signifie par exemple que le drame romantique rejette les regies de la tragédie classique. POESIE : La poesie n'est plus seulement un divertissement, elle devient aussi un moyen de connaissance. Pour Victor Hugo, le poete romantique doit étre un Mage, un voyant, qui doit guider le peuple et remplir une mission á la fois politique, religieuse et poétique. Lamartine, Hugo et Nerval orientent la poesie vers la voie de la modernitě, et lui donnent pour mission ambitieuse celle de la "totalitě": "tout est sujet, toutrelěve de I'art, tout a droit de cité en poesie"(preface des Orientales). L'acte de naissance du lyrisme romantique est en general date de 1820, lorsque paraissent les Meditations poétiques de Lamartine. Le lyrisme évoque une maniěre bien particuliěre de s'exprimer, une maniěre passionnée et poétique, de vivre. Les Meditations poétiques sont un recueil de vingt-quatre poěmes qui constitua une veritable revolution poétique, exprimant avec force les tourments de I'amour et de Tame. Cest dans la nature et la poesie que 1'šme blessée trouve un réconfort et 1'espoir ďune eternite. Lamartine concentre la sensibilitě de toute une époque et notamment celle de I'insatisfaction du moi face au monde: son exaltation ne trouve aucun objet á la mesure de sa soif ďabsolu, de réve, de depart. Le poete adopte le ton élégiaque et trouve dans la nature le réve et des moyens de s'evader que la société ne lui permet pas. Ainsi peut-on lire dans " L'Automne " : " Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ! 3 L'air est si parfumé ! La Lumiěre est si pure ! Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !" (v.17-20) La poesie adopte le lyrisme: le poete dit "je" et cet usage de la premiere personne est pour lui l'indice de son originalitě poétique. Le Moi est a la fois le sujet et l'objet du poěme: ce dernier se penche sur la sensibilitě exacerbée d'une personne, dans toute sa plus profonde intimitě et c'est par cette personne qu'est écrit le poěme. "Je n'imitais plus personne, je m'exprimais moi-meme pour moi-méme. Ce n'étais pas un art, c'etait un soulagement de mon propre coeur qui se bergait de ses propres sanglots." (Lamartine, á propos de ses Meditations) Dans Les Nuits d'Alfred de Musset, (1835-37), il s'agit d'une chronique sentimentale qui s'etend sur trois ans. Elle est constitute de quatre poemes : Nuit de mai, compose au plus fort de la crise avec sa maitresse George Sand ; Nuit de decembre, qui evoque la solitude de Tamant; Nuit d'aout, qui a pour theme le sacrifice et la souffrance et enfin Nuit d'octobre, qui s'oriente vers la souffrance salvatrice et inspiratrice, qui semble annoncer la promesse d'une renaissance amoureuse et spirituelle. En une annee de poemes, I'auteur ressent une multitude de sensations fondees sur le tourment de I'ame jouee par les caprices de I'amour d'un couple. Le lien est tres etroit entre le mot, la pensee et les sentiments si bien que Musset ecrit: "Ce qu'il faut a I'artiste et au poete, c'est I'emotion. Quand j'eprouve, en faisant un vers, un certain battement du cceur que je connais, je suis sur que mon vers est de la meilleure qualite que je puisse pondre" Vigny, quant a lui, dans ses Poemes antiques et modernes (1826-1837), ou Les Destinies (1864, posthume) met en scene les sentiments, par Tintermediaire de personnages celebres, par exemple de MoTse, s'adressant au Seigneur: "Je vivrai done toujours puissant et solitaire ? Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre ! Que vous ai-je done fait pour etre votre elu ? " (v.5-7) Hugo, grace á son oeuvre magistrále, concentre les idéaux romantiques. Dans la preface des Orientales (1829), il définit la mission exploratrice et exhaustive du poete :" Tout est sujet, tout relěve de Tart; tout a droit de cité en poesie.". II revendique done plus que les autres une exigence de totalitě; d'ailleurs au sein d'un méme recueil, se trouvent fréquemment des inspirations différentes mais complémentaires. Par exemple, au milieu des pieces lyriques comme Les Rayons et les Ombres, on trouve un appel á I'engagement politique, mais on peut aussi avoir á faire á la veine satirique, comme dans Les Chatiments ou la veine élégiaque dans Les Contemplations. C'est dire si I'oeuvre de Hugo est vaste, et elle peut permettre á elle seule d'illustrer I'inspiration de la premiere moitié du XIXe siěcle. Le poete écrira d'ailleurs:" Le domaine de la poesie est illimité. Sous le monde reel, il existe un monde ideal qui se montre resplendissant á I'oeil de ceux que des meditations graves ont accoutumés á voir dans les choses plus que les choses..." En fait, pour lui, les choses méme possědent une šme et c'est grace á la forme poétique qu'elles se dotent d'une vie. Ce qui peut done le 4 mieux caractériser Hugo, c'est son intuition poétique qui s'applique ä tout étre. Son oeuvre immense ne saurait étre résumée ici, tant eile est totale: il aborda tous les genres, avec des inspirations extrémement variées, tout en s'engageant politiquement tout au long de sa vie. Cet homme-siěcle connu le succěs de son vivant et fut conscient de sa grandeur et de son génie. II caractérise le Romantisme et sa production peut permettre ďaborder le mieux toute 1'ampleur de ce mouvement et de cette mentalitě nouvelle. Le romantisme devient alors, dans la poesie, une volonte ďexplorer les possibilités des vers afin ďenrichir 1'expressivité de celle-ci. L'expression des sentiments des poětes se traduira par des mots bruts, vifs et colorés etparfois une syntaxe relachée. EXEMPLES debut du poéme "Le lac" de Lamartine Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle empörtes sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'ocean des ages Jeter I'ancre un seul jour ? Ö lac ! I'annee a peine a fini sa carriěre, Et pres des flots chéris qu'elle devait revoir, Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Oů tu la vis s'asseoir! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l'ecume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux. Tout a coup des accents inconnus a la terre Du rivage charmé frappěrent les échos; 5 Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chere Laissa tomber ces mots : " 6 temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides delices Des plus beaux de nos jours ! (...) ALFRED DE MUSSET Alfred de Musset est ne le 11 decembre 1810, a Paris. II a ete a la fois poete, auteur dramatique et romancier. Musset entre au college Henri IV a sept ans poury obtenir, en 1827, le prix de dissertation latine au concours general. A 17 ans, il se fait des relations dont Sainte-Beuve et Alfred de Vigny, et il ne venere pas, comme beaucoup d'autres, le mattre Victor Hugo. II devient alors l'un des premiers Romantiques franca is apres avoir pratique la medecine, le droit, le dessin, l'anglais et le piano. A 20ans, il commence a se faire une reputation. En 1830, Musset se decide a essayer le theatre mais c'est un echec. Entre 1833 et 1837, Musset compose son chef d'ceuvre lyrique : Les Nuits (Nuit de mai, d'aoüt, d'octobre, de decembre.) ayant pour themes la douleur, l'amour et I'inspiration. II se voit attribuer la Legion d'honneur en meme temps Balzac, le 24 Avril 1845 et est elu a I'Academie Francaise en 1852 apres deux echecs. II tombe dans l'oubli et meurt en 1857. Musset est un excellent exemple pour presenter les traits principaux du poete romantique LE «MAL DU SIECLE». SENTIMENT DE MALAISE ET D'INSATISFACTION : - Le romantique eprouve un sentiment d'inadaptation par rapport a la rapidite des bouleversements historiques (cf. Müsset dont le heros deplore l'absence d'ideal, l'impossibilite de s'illustrer sur les champs de bataille depuis la defaite de Waterloo). II pense ne plus avoir sa place en ce monde auquel il ne s'identifie plus : en proie au «vague des passions» il s'accuse lui-meme ou, le plus souvent s'en prend a la societe qui ne le comprend pas, a «l'esprit bourgeois» : le romantique est avant tout un anticonformiste qui provoque (cf. le dandysme)pour masquer son malaise. - Complaisance a la melancolie : I'homme est voue a la souffrance. Le romantique finit par s'enfermer dans la tristesse dont il semble avoir besoin ! Le theme du declin, de l'automne et de ses tempetes, est un lieu commun de l'esprit romantique. Etre a part, voue a un destin sur lequel il n'a aucune prise - cf. Hernani de Hugo -, le romantique va mettre a profit cette insatisfaction pour echapper au monde soit par le reve (l'imagination est «la reine des facultes», la «grande plongeuse» ; evasion dans le temps, I'espace; goüt de I'horreur...) soit par la debauche, le dandysme. Parfois, il la depassera pour transformer le monde... ENERGIE DE LA PASSION. LA PASSION COMME SOURCE D'ENERGIE 6 - Cette insatisfaction et cette tristesse peuvent etre positives, dans la mesure oü elles deviennent pour certains romantiques une source d'energie, de revolte (cf. Lorenzaccio de Musset). L'exaltation de la passion est source d'energie : cf. Julien Sorel (Stendhal) ou Rastignac (Balzac). - Meditation sur I'histoire : au sentiment de la fuite du temps, de la vie ephemere de l'homme, I'ecrivain romantique peut opposer les vastes mouvements de I'histoire, les epopees de I'humanite (cf. Chateaubriand et Hugo). - Engagement: dans Taction politique ou sociale : cf. Lamartine, Hugo, Vigny. Conscience d'une mission a accomplir pour I'amelioration du sort de I'humanite : le poete est un guide, un «phare», un «mage», un «prophete charge d'une mission divine». Pourtant, a I'origine, le romantique est politiquement conservateur (individualiste et elitiste, il prone le royalisme, le patriotisme): ce n'est que progressivement qu'il evoluera vers la democratie et I'internationalisme. - La quete d'un absolu : Thomme est avant tout une äme, d'oü la faculte de choisir le Bien contre le Mai, I'Esprit contre la Matiere. CHOIX DE TEXTES Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses II s'agit du livre deuxiěme, "L'lnfini dans les Cieux" dont nous ne citons que le debut et la fin du poěme. Cest une nuit ďété; nuit dont les vastes ailes Font jaillir dans l'azur des milliers ďétincelles ; Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni, Permet a 1'oeil charmé ďen sonder l'infini; Nuit oů le firmament, dépouillé de nuages, De ce livre de feu rouvre toutes les pages! Sur le dernier sommet des monts, ďoů le regard Dans un trouble horizon se répand au hasard, Je m'assieds en silence, et laisse ma pensée Flotter comme une mer oů la lune est bercée. [...] Flottez, soleils des nuits, illuminez les spheres; Bourdonnez sous votre herbe, insectes éphéměres; 7 Rendons gloire lá-haut, et dans nos profondeurs, Vous par votre néant, et vous par vos grandeurs, Et toi par ta pensée, homme! grandeur supreme, Miroir qu'il a créé pour s'admirer lui-méme, Echo que dans son oeuvre il a si loin jeté, Afin que son saint nom fůt partout répété. Que cette humilité qui devant lui m'abaisse Soit un sublime hommage, et non une tristesse; Et que sa volonté, trop haute pour nos yeux, Soit faite sur la terre, ainsi que dans les cieux ! Les Feuilles d'automne, Victor Hugo Ce poěme est extrait de "Soleils couchants", VI. Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées; Demain viendra I'orage, et le soir, et la nuit; Puis I'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées; Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit! Tous ces jours passeront; ils passeront en foule Sur la face des mers, sur la face des monts, Sur les fleuves d'argent, sur les foréts oú roule Comme un hymne confus des morts que nous aimons. Et la face des eaux, et le front des montagnes, Rides et non vieillis, et les bois toujours verts S'iront rajeunissant; le fleuve des campagnes Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers. Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma téte, 8 Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux, Je m'en irai bientot, au milieu de la fete, Sans que rien manque au monde, immense et radieux ! Les Contemplations, Victor Hugo XXVII. Oui, je suis le reveur; je suis le camarade Des petites fleurs d'or du mur qui se degrade, Et I'interlocuteur des arbres et du vent. Tout cela me connaTt, voyez-vous. J'ai souvent, En mai, quand de parfums les branches sont gonflees, Des conversations avec les giroflees; Je recois des conseils du lierre et du bleuet. L'etre mysterieux, que vous croyez muet, Sur moi se penche, et vient avec ma plume ecrire. J'entends ce qu'entendit Rabelais; je vois rire Et pleurer; et j'entends ce qu'Orphee entendit. Ne vous etonnez pas de tout ce que me dit La nature aux soupirs ineffables. Je cause Avec toutes les voix de la metempsycose. Avant de commencer le grand concert sacre, Le moineau, le buisson, I'eau vive dans le pre, La foret, basse enorme, et I'aile et la corolle, Tous ces doux instruments, m'adressent la parole ; Je suis I'habitue de I'orchestre divin ; Si je n'etais songeur, j'aurais ete sylvain. J'ai fini, grace au calme en qui je me recueille, A force de parler doucement a la feuille, A la goutte de pluie, a la plume, au rayon, 9 Par descendre a ce point dans la creation, Cet abime ou frissonne un tremblement farouche, Que je ne fais plus meme envoler une mouche ! Le brin d'herbe, vibrant d'un eternel emoi, S'apprivoise et devient familier avec moi, Et, sans s'apercevoir que je suis la, les roses Font avec les bourdons toutes sortes de choses; Quelquefois, a travers les doux rameaux benis, J'avance largement ma face sur les nids, Et le petit oiseau, mere inquiete et sainte, N'a pas plus peur de moi que nous n'aurions de crainte, Nous, si I'ceil du bon Dieu regardait dans nos trous; Le lis prude me voit approcher sans courroux, Quand il s'ouvre aux baisers du jour; la violette La plus pudique fait devant moi sa toilette; Je suis pour ces beautes I'ami discret et sur; Et le frais papillon, libertin de I'azur, Qui chiffonne gaiment une fleur demi-nue, Si je viens a passer dans I'ombre, continue, Et, si la fleur se veut cacher dans le gazon, II lui dit: « Es-tu bete ! II est de la maison. » Les Roches, aout 1835. Les Contemplations, Victor Hugo XXVIII. II faut que le poete, epris d'ombre et d'azur, Esprit doux et splendide, au rayonnement pur, Qui marche devant tous, eclairant ceux qui doutent, Chanteur mysterieux qu'en tressaillant ecoutent 10 Les femmes, les songeurs, les sages, les amants, Devienne formidable a de certains moments. Parfois, lorsqu'on se met a réver sur son livre, Ou tout bérce, éblouit, calme, caresse, enivre, Ou I'ame, a chaque pas, trouve a faire son miel, Oú les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel; Au milieu de cette humble et haute poésie, Dans cette paix sacrée oú croít la fleur choisie, Oú ľon entend couler les sources et les pleurs, Oú les strophes, oiseaux peints de mille couleurs, Volent chantant ľamour, ľespérance et la joie; II faut que, par instants, on frissonne, et qu'on voie Tout a coup, sombre, grave et terrible au passant, Un vers fauve sortir de I'ombre en rugissant! II faut que le poete, aux semences fécondes, Soit comme ces foréts vertes, fraiches, profondes, Pleines de chants, amour du vent et du rayon, Charmantes, ou, soudain, I'on rencontre un lion. Paris, mai 1842. Lamartine, Harmonies poétiques et religieuses II s'agit du Livre quatriěme, "Eternite de la nature, briěveté de ľhomme", dont nous citons le debut car il permet de comprendre le rapport du romantisme a la temporalité. Eternite de la nature, briěveté de ľhomme Roulez dans vos sentiers de flamme, Astres, rois de ľimmensité! Insultez, écrasez mon arne Par votre presque eternite ! Et vous, comětes vagabondes, 11 Du divin ocean des mondes Debordement prodigieux, Sortez des limites tracees, Et revelez d'autres pensees De celui qui pensa les cieux ! Triomphe, immortelle nature ! A qui la main pleine de jours Prete des forces sans mesure, Des temps qui renaissent toujours ! La mort retrempe ta puissance, Donne, ravis, rends I'existence A tout ce qui la puise en toi; Insecte eclos de ton sourire, Je nais, je regarde et j'expire, Marche et ne pense plus ä moi! Vieil ocean, dans tes rivages Flotte comme un ciel ecumant, Plus orageux que les nuages, Plus lumineux qu'un firmament! Pendant que les empires naissent, Grandissent, tombent, disparaissent Avec leurs generations, Dresse tes bouillonnantes cretes, Bats ta rive! et dis aux: tempetes : Oü sont les nids des nations? Toi qui n'es pas lasse d'eclore Depuis la naissance des jours. Leve-toi, rayonnante aurore, 12 Couche-toi, lěve-toi toujours ! Réfléchissez ses feux sublimes, Neiges éclatantes des cimes, Oú le jour descend comme un roi ! Brillez, brillez pour me confondre, Vous qu'un rayon du jour peut fondre, Vous subsisterez plus que moi ! Les Contemplations, Victor Hugo II s'agit du debut du poěme "Melancholia". Nous le citons pour évoquer la dimension sociále du romantisme. Écoutez. Line femme au profil décharné, Maigre, bléme, portant un enfant étonné, Est lä qui se lamente au milieu de la rue. La foule, pour I'entendre, autour d'elle se rue. Elle accuse quelqu'un, une autre femme, ou bien Son mari. Ses enfants ont faim. Elle n'a rien ; Pas d'argent; pas de pain ; a peine un lit de paille. L'homme est au cabaret pendant qu'elle travaille. Elle pleure, et s'en va. Quand ce spectre a passé, Ô penseurs, au milieu de ce groupe amassé, Qui vient de voir le fond d'un cceur qui se déchire, Qu'entendez-vous toujours ? Un long éclat de rire. Cette fille au doux front a cru peut-étre, un jour, Avoir droit au bonheur, a la joie, a I'amour. Mais elle est seule, elle est sans parents, pauvre fille ! Seule ! - n'importe ! elle a du courage, une aiguille, Elle travaille, et peut gagner dans son réduit, En travaillant le jour, en travaillant la nuit, 13 Un peu de pain, un gite, une jupe de toile. Le soir, eile regarde en revant quelque etoile, Et chante au bord du toit tant que dure l'ete. Mais l'hiver vient. II fait bien froid, en verite, Dans ce logis mal clos tout en haut de la rampe; Les jours sont courts, il faut allumer une lampe ; L'huile est chere, le bois est eher, le pain est eher. Ö jeunesse ! printemps ! aube ! en proie a l'hiver! La faim passe bientöt sa griffe sous la porte, Decroche un vieux manteau, saisit la montre, empörte Les meubles, prend enfin quelque humble bague d'or; Tout est vendu ! L'enfant travaille et lutte encor; Elle est honnete; mais eile a, quand eile veille, La misere, demon, qui lui parle a l'oreille. L'ouvrage manque, helas ! cela se voit souvent. Que devenir! Un jour, 6 jour sombre ! eile vend La pauvre croix d'honneur de son vieux pere, et pleure; Elle tousse, eile a froid. II faut done qu'elle meure ! Ä dix-sept ans ! grand Dieu ! mais que faire ?... - Voilä Ce qui fait qu'un matin la douce fille alia Droit au gouffre, et qu'enfin, a present, ce qui monte A son front, ce n'est plus la pudeur, e'est la honte. Helas ! et maintenant, deuil et pleurs eternels ! C'est fini. Les enfants, ces innocents cruels, La suivent dans la rue avec des cris de joie. Malheureuse ! eile traine une robe de soie, Elle chante, eile rit... ah ! pauvre arne aux abois ! Et le peuple severe, avec sa grande voix, Souffle qui courbe un homme et qui brise une femme, Lui dit quand elle vient: « C'est toi ? Va-t'en, infame ! » 14 Les Contemplations, Victor Hugo Epitaphe II vivait, il jouait, riante creature. Que te sert d'avoir pris cet enfant, 6 nature ? N'as-tu pas les oiseaux peints de mille couleurs, Les astres, les grands bois, le ciel bleu, I'onde amere ? Et de I'avoir cache sous des touffes de fleurs ? Pour cet enfant de plus tu n'es pas plus peuplee, Tu n'es pas plus joyeuse, 6 nature etoilee ! Et le cceur de la mere en proie a tant de soins, Ce cceur ou toute joie engendre une torture, Cet abime aussi grand que toi-meme, 6 nature, Est vide et desole pour cet enfant de moins ! Mai 1843. Les Contemplations, Victor Hugo Aux arbres Arbres de la foret, vous connaissez mon ame ! Au gre des envieux la foule loue et blame ; Vous me connaissez, vous ! - vous m'avez vu souvent, Seul dans vos profondeurs, regardant et revant. Vous le savez, la pierre ou court un scarabee, Une humble goutte d'eau de fleur en fleur tombee, Un nuage, un oiseau, m'occupent tout un jour. La contemplation m'emplit le cceur d'amour. Vous m'avez vu cent fois, dans la vallee obscure, 15 Avec ces mots que dit I'esprit á la nature, Questionner tout bas vos rameaux palpitants, Et du méme regard poursuivre en méme temps, Pensif, le front baissé, I'oeil dans I'herbe profonde, L'étude ďun atome et 1'étude du monde. Attentif á vos bruits qui parlent tous un peu, Arbres, vous m'avez vu fuir 1'homme et chercher Dieu ! Feuilles qui tressaillez á la pointe des branches, Nids dont le vent au loin sěme les plumes blanches, Clairiěres, vallons verts, deserts sombres et doux, Vous savez que je suis calme et pur comme vous. Comme au ciel vos parfums, mon culte á Dieu s'elance, Et je suis plein ďoubli comme vous de silence ! La haine sur mon nom répand en vain son fiel; Toujours, - je vous atteste, ó bois aimés du ciel ! -J'ai chassé loin de moi toute pensée aměre, Et mon cceur est encor tel que le fit ma měre ! Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours, Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds, Ravins oú 1'on entend filtrer les sources vives, Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives ! Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois, Dans tout ce qui m'entoure et me cache á la fois, Dans votre solitude oú je rentre en moi-méme, Je sens quelqu'un de grand qui m'ecoute et qui m'aime ! Aussi, taillis sacres ou Dieu meme apparait, Arbres religieux, chenes, mousses, foret, Foret! c'est dans votre ombre et dans votre mystere, C'est sous votre branchage auguste et solitaire, Que je veux abriter mon sepulcre ignore, 16 Et que je veux dormir quand je m'endormirai. Juin 1843. Les Contemplations, Victor Hugo Demain, des I'aube, a I'heure ou blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la foret, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixes sur mes pensees, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbe, les mains croisees, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni Tor du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et, quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyere en fleur. 3 septembre 1847. Les Contemplations, Victor Hugo - Lueur au couchant Lorsque j'etais en France, et que le peuple en fete Repandait dans Paris sa grande joie honnete, Si c'etait un des jours glorieux et vainqueurs Ou les fiers souvenirs, desalterant les cceurs, S'offrent a notre soif comme de larges coupes, J'allais errer tout seul parmi les riants groupes, 17 Ne parlant a personne et pourtant calme et doux, Trouvant ainsi moyen d'etre un et d'etre tous, Et d'accorder en moi, pour une double etude, L'amour du peuple avec mon gout de solitude. Reveur, j'etais heureux; muet, j'etais present. Parfoisje m'asseyais un livre en main, lisant. Virgile, Horace, Eschyle, ou bien Dante, leurfrere ; Puisje m'interrompais, et, me laissant distraire Des poetes par toi, poesie, et content, Je savourais I'azur, le soleil eclatant, Paris, les seuils sacres, et la Seine qui coule, Et cette auguste paix qui sortait de la foule. [...] Et j'allais, et mon cceur chantait; et les enfants Embarrassaient mes pas de leurs jeux triomphants, Ou s'epanouissaient les meres de famille ; Le frere avec la sceur, le pere avec la fille, Causaient; je contemplais tous ces hauts monuments Qui semblent au songeur rayonnants ou fumants, Et qui font de Paris la deuxieme des Romes; J'entendais pres de moi rire les jeunes hommes Et les graves vieillards dire : « Je me souviens. » 6 patrie ! 6 concorde entre les citoyens ! Marine-Terrace, juillet 1855. Les Contemplations, Victor Hugo - Apparition Je vis un ange blanc qui passait sur ma tete; 18 Son vol eblouissant apaisait la tempete, Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit. - Qu'est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit ? Lui dis-je. II repondit: - Je viens prendre ton ame. Et j'eus peur, car je vis que c'etait une femme; Et je lui dis, tremblant et lui tendant les bras : - Que me restera-t-il ? car tu t'envoleras. II ne repondit pas; le ciel que I'ombre assiege S'eteignait... - Si tu prends mon ame, m'ecriai-je, Ou l'emporteras-tu ? montre-moi dans quel lieu. II se taisait toujours. - 6 passant du ciel bleu, Es-tu la mort ? lui dis-je, ou bien es-tu la vie ? Et la nuit augmentait sur mon ame ravie, Et I'ange devint noir, et dit: - Je suis I'amour. Mais son front sombre etait plus charmant que le jour, Et je voyais, dans I'ombre ou brillaient ses prunelles, Les astres a travers les plumes de ses ailes. Jersey, septembre 1855.