Victor HUGO (1802-1885) Les Contemplations VICTOR HUGO : LES CONTEMPLATIONS (1856) Theme Cest le journal d'une destinée. Le recueilest divisé en deux parties égales de 3 livres, la premiere "autrefois" et la seconde "aujourd'hui" Les femmes chez Victor Hugo Plusieurs femmes ont partagé la vie de Victor Hugo, Aděle Foucher (1803-1868), Juliette Drouet (1833), son épouse mystique et Léonie d'Aunet (Thérěse de Blaru), une femme de lettres mariée. S'y ajoutent ses 2 f i Nes, Léopoldine (1824-1843), 1'ainée trěs attachée á son pere et Aděle (1831) la cadette qui épousera un écrivain, trěs attachée á sa mě re. Si Noble dame peutqualifier Léonie, d'autres appellations sont moins explicites. La mort de Léopoldine Le 4 septembre 1843, Léopoldine se noie avecson marien faisant du bateau sur la Seine á Villequier. Victor Hugo ne I'apprend que le 9, il est en Espagne avec Juliette. II ne se rendra sur sa tombe que 3 ans plus tard en 1946. "Si depuis ces quatre ans, pauvre cceursans flambeau, Je ne suis pas allé prier sur son tombeau". Le dernier poéme des contemplations A celle qui est restée en France, demier poěme des Contemplations résumé 1'ensemblede I'ouvrage. "J'ai marché au milieu des tombeaux" . Résumé Livre premier. Auroře. (29 poěmes-1600 vers). Cest le livre de la jeunesse. Le poete évoque ses souvenirs de college (A propos d'Horace), ses premiers émois amoureux (Lise), ses premieres luttes littéraires (Réponse á unacte ďaccusation). II chante la beauté du printemps (Vere novo) et la joie du réveurdevantun beau paysage (le poete s'en va dans les champs) ou le spectade en pleinair(La féte chez Thérěse). Livre II. L'ame en fleur.(28 poěmes-900 vers). Cest le livre des amours. Presque to us les poěmes sont inspires par Juliette Drouet. Hugo conte les premiers temps de leur union, leurs promenades en forét de Biěvre, leurs joies, leurs extases ; etaussi les épreuves vécuesen commun, les malentendus, les reconciliations. Un jour, il note pourelle des im pressions de voyage (Lettre) ; un autre jour, il lui écrit qu'il a revé d'elle (Billetdu matin). Livre III. Les luttes et les réves. (30 poěmes-2300 vers). Cest le livre de la pitié. Dans Melancholia, Hugo donne quelques exemples navrants de la misěre dans les sociétés modernes. Ailleurs, il plaint le sortďun pauvre maitre ďétudes, flétrit les persecutions infligées aux hommesde bien, dénonce la guerre et la tyrannie comme des fléaux (La source, la Statue) ou la peine de mort comme un scandale (L a nature) ; il s'élěve á des vues philosophiques, explique le mal comme uneépreuve (Explication),décrit le chátimentdes maudits (Saturne) et glorifie ceux dont le génie déchiffre Ténigme universelle (Magnitudo Parvi). Livre IV Pauca meae (Quelques vers pour ma fille). (17 poěmes-800 vers) . Cest le livre du deuil. Hugo médite sur le coup qui l'a frappé. Tantot il se revoltě contre la cruauté du destin (tro is ans a pres), tantot il s'attendritau souvenir du passé (eNi p_N), tantot il se soumetá la volonte divine (A Villeo jer). Désormais, il associe á la pensée de la mortun espoirďau-delá (Mors). Livre V En marche. (26 poěmes-1700 vers). Cest le livre de 1'énergie retrouvée. Le poete expatrié s'arrachea ses tristesse etva chercherde nouvelles raisons de vivre dans la meditation. A un poěme politique (Écrit en 1846), á des im pressions de promenade (Pasteurs et troupeaux) et méme á un souvenir ďenfance (Aux Feu i Han ti nes) se mélentdes poěmes plus généraux sur la nature et sur la condition humaine (Mugitusque bourn, Paroles sur la dune) Livre VI.Aubordde I' in fin i. (26 poěmes-2800 vers). Cest le livre des certitudes. II est peuplé de spectres, ďanges, d'esprits qui apportentau poete les revelations attendues. Les messages re cue i II is sont parfois contradictoires : des poěmes ďangoisse (Horror, Pleursdans la nuit) voisinent avec des poěmes ďespérance (Spes, Cadaver) ; mais 1'espé rance finitpar Tempo rte r. Le livre s'ouvrait sur de ux poěmes qui montraitune routeá parcourir(Le pont,Ibo) ; il s'acheve par les proprieties rassurantes de la Bouche ďombre, qui, au terme du voyage, annonce 1'échec final des puissances criminelles et 1'avěnement de 1'universel pardon 2 Les extraits ci-dessous proviennent presque tous des livres III et VI (cad qu'ils ill us t rent « V.Hugo philosophe et poete ») « Horror» Esprit mysterieux qui, le doigt sur ta bouche, Passes... ne t'en va pas ! parle a I'homme farouche Ivre d'ombre et d'immensite, Parle-moi, toi, front blanc qui dans ma nuit te penches ! Reponds-moi, toi qui Iuis et marches sous les branches Comme un souffle de la clarte ! Est-ce toi que chez moi mi nuit parfois apporte ? Est-cetoi qui heurtais I 'autre nuit a ma porte, Pendant que je ne dormais pas ? C'est done vers moi que vient lentement ta lumiere ? La pierre de mon seuil peut-etre est la premiere Des sombres marches du trepas. Peut-etre qu'a ma porte ouvrant sur I 'ombre immense, L'invisible escalier des tenebres commence ; Peut-etre, 6 pales echappes, Quand vous montez du fond de I'horreur sepulcrale, O morts, quand vous sortez de la froide spirale, Est-ce chez moi que vous frappez ! Car la maison d'exil, melee aux catacombes, Est adossee au mur de la ville des tombes. Le proscrit est eel ui qui sort; II flotte submerge comme la nef qui sombre. Le jour le voit a peine et dit: Quelle est cette ombre ? Et la nuit dit: Quel est ce mort ? 3 Sois la bienvenue, ombre ! 6 ma soeur ! 6 figure Qui me fais signe alors que sur I'enigme obscure Je me penche, sinistre et seul ; Et qui viens, m'effrayant de ta I ueur sublime, Essuyer sur mon front la sueur de I'abTme Avec un pan de ton linceul ! ... « Eclaircie » L'ocean resplenditsous sa vaste nuee. L'onde, de son combat sans fin extenuee, S'assoupit, et, Iaissant I'ecueil se reposer, Fait de toute la rive un immense baiser. On dirait qu'en tous lieux, en meme temps, la vie Diss out le ma I, le deuil, I'hiver, la nuit, I 'envie, Et que le mort couche dit au vivant debout: Aime ! et qu'une ame obscure, epanouie en tout, Avance doucement sa bouche vers nos levres. L'etre, eteignant dans I 'ombre et I 'extase ses fievres, Ouvrant ses flancs, ses reins, ses yeux, ses coeurs epars, Dans ses pores profonds recoit de toutes parts La penetration de la seve sacree. La grande paix d'en haut vient comme une maree. Le brin d'herbe palpite aux fentes du pave; Et I 'ame a chaud. On sent que le nid est couve. L'infini semble plein d'un frisson de feuillee. On croit etre a cette heure ou la terre eveillee Entend le bruit que fait I 'ouverture du jour, Le premier pas du vent, du travail, de I'amour, De I'homme, et le verrou de la porte sonore, Et le hennissement du blanc cheval aurore. 4 Le moineau d'un coup d'aile, ainsi qu'un fol esprit, Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit; L'air joue avec la mouche et I 'ecume avec I 'aigle; Le grave laboureur fait ses sillons et regie La page ou s'ecrira le poemě des blés ; Des pécheurs sont la-bas sous un pampre attablés ; L'horizon semble un réve éblouissant oú nage L'ecaille de la mer, la plume du nuage, Car I 'Ocean est hydre et le nuage oiseau. Une lueur, rayon vague, part du berceau Qu'une femme balance au seuil ďune chaumiěre, Dore les champs, les fleurs, I'onde, et devient lumiěre En touchant un tombeau qui dort pres du clocher. Lejour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher L'ombre, et la baise au front sous I'eau sombre et hagarde. Tout est doux, calme, heureux, apaisé ; Dieu regarde. « Mors » Je vis cette faucheuse. El I e était dans son champ. El le allait ä grands pas moissonnant et fauchant, Noir squelette laissant passer le crépuscule. Dans l'ombre oú I 'on dirait que tout tremble et recule, Ľhomme suivait des yeux les lueurs dela faulx. Et les triomphateurs sous les arcs triomphaux Tombaient; elIe changeait en désert Babylone, Le tróne en échafaud etľéchafaud en tróne, Les roses en f u mier, les enfants en oiseaux, Ľor en cendre, et les yeux des méres en ruisseaux. 5 Et les femmes criaient: - Rends-nous ce petit etre. Pour le faire mourir, pourquoi I 'avoir fait naTtre ? -Ce n'etait qu'un sanglotsur terre, en haut, en bas ; Des mains aux doigts osseux sortaient des noirs grabats ; Un vent froid bruissait dans les linceuls sans nombre; Les peuples eperdus semblaient sous la faulxsombre Un troupeau frissonnant qui dans I 'ombre s'enfuit; Tout etait sous ses pieds deuil, epouvante et nuit. Derriere eile, le front baigne de douces flammes, Un ange souriant portait la gerbe d'ämes. « Melancholia » ... Ou vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? Ces doux etres pensifs que I a fievre maigrit ? Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ? lis s'en vont travailler quinze heures sous des meules lis vont, de I'aube au soir, faire eternellement Dans la meme prison le me me mouvement. Accroupis sous les dents d'une machine sombre, Monstre hideux qui mache on ne sait quoi dans I'ombre, Innocents dans un bagne, anges dans un enfer, lis travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer. Jamais on ne s'arrete et jamais on ne joue. Aussi quelle paleur ! la cendre est sur leur joue. II fait a peinejour, ils sont deja bien las. lis ne comprennent rien a leur destin, helas ! Ils semblent dire a Dieu : - Petits comme nous sommes, Notre pere, voyez ce que nous font les hommes ! 6 servitude infame imposee a I'enfant! 6 Rachitis me ! travail dont le souffle etouffant Defait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, oeuvre insensee, La beaute sur les fronts, dans les coeurs la pensee, Et qui ferait - c'est la son fruit Ie pi us certain ! -D'Apol Ion un bossu, de Voltaire un cretin ! Travail mauvais qui prend I'age tendre en sa serre, Qui produit la richesse en creant la misere, Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil ! Progres dont on demande : Ou va-t-il ? que veut-il ? Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme, Une ame a la machine et la retire a I'homme ! Que ce travail, ha! des meres, soit maudit! Maudit comme le vice ou I 'on s'abatardit, Maudit comme I'opprobre et comme le blaspheme ! 6 Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail meme, Au nom du vrai travail, sain, fecond, genereux, Qui faitle peuple libre et qui rend I'homme heureux ! « Veni, vidi, vixi » J'ai bien assez vecu, puisque dans mes douleurs Je marche, sans trouver de bras qui me secourent, Puisqueje ris ä peine aux enfants qui m'entourent, Puisque je ne suis plus rejoui par les fieurs ; Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fete, J'assiste, esprit sans joie, ä ce splendide amour; Puisque je suis ä I 'heure oü I 'homme fuit le jour, Helas ! et sent de tout la tristesse secrete ; Puisque I 'espoir serein dans mon a me est vaincu ; Puisqu'en cette saison des parfums et des roses, 6 ma fille ! j'aspire a I'ombre ou tu reposes, Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vecu. Je n'ai pas refuse ma tache sur la terre. Mon sillon ? Le voila. Ma gerbe ? La voici. J'ai vecu souriant, toujours plus adouci, Debout, mais incline du cote du mystere. J'ai fait ce que j'ai pu ; j'ai servi, j'ai veille, Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine. Je me suis etonne d'etre un objet de haine, Ayant beaucoup souffert et beaucoup travail I e. Dans ce bagne terrestre ou ne s'ouvre aucune aile, Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains, Morne, epuise, rail I e par les forcats humains, J'ai porte mon chaTnon de la chaTne eternelle. Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'a demi ; Je ne me tourne pi us meme quand on me nomme ; Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un horn me Qui se I eve avant I 'aube et qui n'a pas dormi. Je ne daigne pi us meme, en ma sombre paresse, Repondre a I'envieux dont la bouche me nuit. 6 Seigneur, ! ouvrez-moi les portes de la nuit, Afin queje m'en aille et que je disparaisse ! « Mugitusque bourn » Mugissement des boeufs, au temps du doux Virgile, Comme aujourd'hui, le soir, quand fuit la nuit agile, Ou, le matin, quand I'aube auxchamps extasies Verse ä flots la rosee et le jour, vous disiez : Murissez, bles mouvants ! pres, emplissez-vous d'herbes ! Que la terre, agitant son panache de gerbes, Chante dans I 'onde d'or d'une riche moisson ! Vis, bete ; vis, caillou ; vis, homme; vis, buisson ! A I'heure ou le soleil se couche, ou I'herbe est pleine Des grands fantomes noirs desarbres dela plaine jusqu'aux lointains coteaux rampant et grandissant, Quand le brun laboureur des collines descend Et retourne a son toit d'ou sort une fumee, Que la soif de revoirsa femme bien-aimee Et I'enfant qu'en ses bras hieril rechauffait, Que ce desir, croissant a chaque pas qu'il fait, I mite dans son coeur I 'allongement de I'ombre ! Etres ! choses ! vivez ! sans peur, sans deuil,sans nombre ! Que tout s'epanouisse en sourire vermeil ! Que I'homme ait le repos et le boeuf le sommeil ! Vivez ! croissez ! semez le grain a I'aventure ! Qu'on sente frissonner dans toute la nature, Sous la feuille des nids, au seuil blanc des maisons, Dansl'obscur tremblement des profonds horizons, Un vaste emportement d'aimer, dans I'herbe verte, Dans I'antre, dans I'etang, dans la clairiere ouverte, D'aimer sans fin, d'aimer toujours, d'aimer encor, Sous la serenite des sombres astres d'or ! Faites tressaillir I 'air, le flot, I 'aile, la bouche, 6 palpitations du grand amour farouche ! Qu'on sente le baiser de I'etre i Mi mite ! Et paix, vertu, bonheur, esperance, bonte, 6 fruits divins, tombez des branches eternelles !- Ainsi vous parliez, voix, grandes voixsolennelles ; Et Virgile écoutait comme j'écoute, et I'eau Voyait passer le cygne auguste, et le bouleau Le vent, et I e rocher I 'écume, et I e ciel sombre L'homme... - Ô nature ! abTme ! immensité de ľombre !