F.Claudon-Cours de 2°année-Brno-Introduction et Présentation Le cours,donné en alternance avec M.le Prof.Kylousek, portera,pour ce qui me concerne,sur la poésie française du Romantisme. Nous lirons, préparerons, rédigerons des explications de textes des principaux poètes du premier XIX°siècle. Chaque semaine il y aura un devoir, à rédiger en français. Il sera noté et corrigé et servira à déterminer une note finale. Je recommande une anthologie très pratique : »Le Romantisme européen » t.I & II, deux petits volumes préparés par Alfred Biedermann, dans la collection très pratique des « Nouveaux Classiques Larousse ».S’ils ne se trouvent pas à la bibliothèque universitaire de Brno je les apporterai lors du premier cours (le 3 mars) et les laisserai le temps qu’il faut. Les textes sur lesquels nous travaillerons seront accessibles « on line ».Voici le premier, un extrait des Orientales de V.Hugo. Pour choisir les autres j’ai besoin de connaître le groupe des francisants, leur niveau,leur tempérament, etc. Je donnerai également des notes de synthèse pour guider le commentaire et expliquer toujours et sans cesse ce qu’est l’explication littéraire. DONC, pour cette première fois :lire mes documents (l’introduction historique : »la poésie romantique » +le doc.n°2 « comment étudier ;etc. ») et lire plusieurs fois le poème des Orientales Bonne lecture et bon travail ! Littérarités *La notion de fonction (Tynianov et Jakobson notamment) : la littérarité ne serait pas seulement un catalogue de critères ou de procédés linguistiques, mais la fonction assumée par ces mécanismes. *C’est à partir d’une dichotomie fondamentale entre une langue littéraire et une langue quotidienne (ordinaire, courante, etc.) que la notion de littérarité a été pensée par les formalistes. (III) *Enfin, dans la mesure où la littérature consiste en un « usage particulier du matériau »[5] linguistique, nous devons nous interroger sur les rapports entre la littérarité et la question du style. On voit pour la première fois apparaitre le terme de « littérarité » (literaturnost) dans un article de Roman Jakobson, « La Nouvelle poésie russe », publié en 1921 et traduit en français par fragments dans Questions de poétique en 1973. Jakobson y affirme que « l’objet de la science littéraire n'est pas la littérature, mais la « littérarité » (literaturnost), c'est-à-dire ce qui fait d'une œuvre donnée une œuvre littéraire. » (p.15). Ainsi le concept de littérarité est intrinsèquement lié à l’étude des textes et au renouvellement auquel Jakobson appelle dans ce domaine. à l’ambiguïté présente dans le texte de Jakobson ne nous permet pas de savoir s’il existe des critères de littérarité applicables de façon identique à tous les textes, ou si à chaque texte correspond une littérarité qui lui est propre. àl’importance donnée à la figure du lecteur dans la constitution même de l’objet littéraire et la réduction de la littérature au texte en tant que celui-ci définit un objet clos, unique et parfaitement indépendant de toute forme de déterminations extérieures. Ces deux points sont solidaires dans la mesure où ils fondent l’un et l’autre le texte comme support exclusif d’une lecture ne sollicitant rien, aucune histoire, aucune donnée biographique, aucune langue, sinon celles données par les formes même du texte. Lire un texte littéraire, c’est ainsi, selon Riffaterre, faire l’expérience de son unicité, non pas l’interpréter mais en comprendre la nécessité interne. La littérarité est ainsi définie par l’ensemble des éléments qui construisent la cohérence du texte littéraire, son autonomie, autrement dit, de façon très circulaire, sa littérarité. Pour finir, nous nous intéressons à la présence d’une notion de « littérarité » avant sa théorisation par les formalistes, notamment chez les Romantiques allemands. Schlegel, par exemple, donne l’exemple d’une lecture immanente des textes avec sa recension du Wilhelm Meister. Cette « littérarité », remise en perspective dans l’histoire, relèverait alors de l’interprétation des textes et non de leur seule explication ________________________________ [1] A partir de l’ouvrage que T. Todorov avait dirigé, Théorie de la littérature, Textes des formalistes russes, Paris, Seuil, 1966. [2] Formulée en ce terme précis de « littérarité » à partir de 1921 par R. Jakobson. [3] Ibid. p. 37, Eikhenbaum : la littérarité est présentée comme l’ensemble des « particularités spécifiques des objets littéraires les distinguant de toute autre matière ». [4] C’est-à-dire une littérarité variable, propre à chaque genre ou configuration d’œuvre (roman vs nouvelle, vers vs prose, etc.) ou, même, à chaque œuvre particulière. [5] Ibid. p. 44, Eikhenbaum. . Le XIXe siècle La littérature française au 19e siècle Politique. Il n’y a pas moins de 7 régimes en France: 1799 : le Consulat 1804 : l’Empire 1814 : la Restauration (1815: Waterloo) 1830 : la Monarchie de Juillet (Louis-Philippe) 1848 : la 2e République 1852 : le Second Empire (Napoléon III) 1870 : la 3e République (1870-1871: guerre franco-allemande ; 1871: la Commune) Le mouvement vers la démocratie se manifeste dans une série de révolutions partout en Europe (p.e. en 1830 en Belgique). Le libéralisme aspire à un élargissement des libertés, mais il débouchera dans un capitalisme sauvage, qui à son tour engendre le socialisme. Celui-ci s’insurge contre la misère sociale et combat les injustices produites par la différence des classes. · En France: le syndicalisme de Pierre PROUDHON (1809-1865: “la propriété, c’est le vol”). · Le socialisme international: Karl MARX (1847 Le Manifeste communiste ; 1867 Le Capital ; 1864 la première Internationale ouvrière à Londres). Le progrès scientifique. Louis PASTEUR (1822-1895). Les travaux de Pierre et Marie CURIE sur le radium. L’évolutionnisme de Charles DARWIN. Le prestige de la science rayonne aussi sur la littérature, où il influence de façon décisive l’école naturaliste. L’industrialisation. La découverte de la machine à vapeur (trains, bateaux, usines, …) rend possible une industrialisation rapide. La concentration de celle-ci donne naissance à un prolétariat urbain. La bourgeoisie riche devient à partir de Louis-Philippe la classe dirigeante du pays. Aussi dans les romans réalistes et naturalistes l’argent devient-il un thème littéraire de première importance (BALZAC, ZOLA, MAUPASSANT, …) La France dans le monde. Pendant le 19e siècle, la France reste aux yeux d’une grande partie de l’Europe la patrie de la liberté, le pays de la Révolution. Surtout dès 1870, la France fait la connaissance des cultures germaniques (musique de WAGNER, théâtre d’IBSEN) et du roman russe. D’autre part PASTEUR devient célèbre dans le monde entier, et ZOLA exporte ses idées sur le naturalisme. Il y a une expansion du domaine colonial, ce qui provoque un certain exotisme dans la littérature. Le XIXe siècle constitue une phase d’activité littéraire au cours de laquelle plusieurs écoles littéraires se sont succédées. Le XIXe siècle demeure pour la France celui du romantisme, du Parnasse, du réalisme, du naturalisme et du symbolisme. Ci-dessous une vue panoramique sur ces courants :- Le Romantisme :- Le romantisme puise ses origines dans les pays européens : les écrivains anglais, allemands, italiens et espagnols avaient une grande influence sur la littérature française pendant cette période. Ce courant s’intéresse à l’expression des aspirations de l’âme, à l'exaltation du moi, c’est le Moi qui est en scène. Les écrivains décrivaient la nature d’une façon purement personnelle, les poètes ont exprimé leur mal de vivre et leurs souffrances en songeant à la mort, Dieu et à l'amour…etc. En plus, le romantisme s’est caractérisé par la « liberté dans l’art », chaque écrivain est devenu libre d’utiliser la langue qui lui plait. Le romantisme a apparu dans : la poésie, le roman, le théâtre. Le Parnasse :- En réaction contre la liberté et le lyrisme romantiques, un mouvement se fait jour: le Parnasse. Les parnassiens ont focalisé leurs efforts sur la forme et le style. Leurs poèmes étaient pleins de descriptions. Ainsi, une nouvelle théorie « l’Art pour l’Art » a vu le jour. Le Réalisme :- Le réalisme s’attache à produire la réalité en décrivant les décors, les personnages et les faits. Ce mouvement s’intéresse à représenter fidèlement la vie. Le Naturalisme :- C’est une forme du réalisme qui présente les classes sociales. Les écrivains ont employé la langue propre aux classes décrites. Le chef de file de ce courant est Emile Zola. Le Symbolisme :- C’est un courant poétique qui cherche à se débarrasser des règles de la versification. Il exprime le rêve et la sensibilité. La poésie romantique · Selon Madame de Staël (1766-1817), dans De la littérature (1800), la poésie n’a pas de fonction spécifique, les poètes répandent leurs idées avec des exaltations. La poésie au XVIII^e siècle est une poésie d’idées, proche de la philosophie. · Jacques Delille (1738-1813) est dans la lignée de la poésie descriptive. · Sous la Révolution, les poètes expriment des sentiments patriotiques. · La poésie devient un support pour exprimer la vérité et non pas un support pour la philosophie, d’où l’hostilité avec la philosophie des Lumières. C’est vers 1820 qu’apparaît en France une poésie nouvelle, et c’est toute une génération de poètes qui l’élabore. Cette génération a vécu les mêmes moments : la Révolution,l’Empire, les bouleversements politiques et sociaux de 1848. · Lamartine (1790-1869), Méditations poétiques (1820). Le titre même de l’œuvre exprime une nouvelle conception de la poésie. La méditation renvoie au sacré, au divin. Le poète se substitue au théologien pour déchiffrer le monde par des symboles. Il y a aussi une volonté de déchiffrer l’histoire humaine. · Vigny (1797-1863) invente le poème, il cherche l’essence de la poésie. Il a aussi la volonté de raconter l’épopée humaine. Vigny est déçu du monde moderne, contrairement à l’optimisme deVictor Hugo et de Lamartine. · Hugo (1802-1885) se sent mal à l’aise avec les formes anciennes de la poésie ; il ne veut pas une poésie formelle. Hugo crée une poétique nouvelle afin de dire la vérité. Le changement de son opinion politique (libéralisme → gauche humaniste) ne change rien à l’objectif du poète. On retrouve la vocation du poète sacré dans : § Les Châtiments (1853) : il s’agit de châtier l’auteur du coup d’État, Napoléon Bonaparte. La satire politique ne rompt pas avec le prophétisme religieux. La parole du poète est la parole de tous (notamment dans les "Chansons" du recueil). § La Légende des siècles (1859-1883) est une œuvre complémentaire aux Châtiments. Il s’agit de raconter l’épopée humaine de l’Antiquité au XX^e siècle. § Les Contemplations (1856) est un recueil centré autour de la mort de la jeune fille du poète, Léopoldine. On trouve dans les poèmes un refus de séparer le moi du poète de l’humanité. Malgré le côté "sombre" du recueil, on y trouve un certain optimisme ; le moi est la parole collective, « la destinée est une », ce qui est généralement un trait caractéristique duromantisme. § Les Misérables (1853-1862). § → Les dates de publication mentionnées ci-dessus montrent que Hugo est en quelque sorte "hors de son temps" en ce sens qu’il faut tenir compte de la date de naissance de Victor Hugo : le romantisme n’est en fait pas terminé dans la seconde partie du XIX^e siècle. Le romantisme a coexisté avec d’autres mouvements littéraires et genres existants (Zola,Baudelaire, etc.) La poésie romantique est donc une poésie conquérante, elle propose une vision humanitaire, comme chez Michelet. Lors de la mort de Victor Hugo, des funérailles nationales sont organisées : il était donc considéré comme un poète central. La poésie est un mode d’accès à la vérité et constitue une alternative à la démarche philosophique. L’univers est déchiffré symboliquement. La poésie romantique est proche du sacré : c’est un sacré détaché d’une religion instituée ; la poésie a l’ambition d’être un langage du sacré. La deuxième génération de romantiques : après les "grands romantiques" qui ont revalorisé la poésie, l’énonciation poétique a changé : le je du poète est individuel et collectif et vise l’universalité. Ces aspects ont influencé le XIX^e siècle et les générations romantiques suivantes. Rimbaud (1854-1891), « Lettre du voyant » (1871), sur la première génération de romantiques : Les premiers romantiques ont été voyants sans trop bien s’en rendre compte […]. Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille. Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les derniers volumes : Les Misérables sont un vrai poème. […] Musset est quatorze fois exécrable pour nous. […] Les seconds romantiques sont très voyants […]. La deuxième génération : Alfred de Musset (1810-1857), Gérard de Nerval (1808-1855), Théophile Gautier (1811-1872). · À partir de 1830 (→ 1848), la « Monarchie de Juillet » crée une grande déception. Les premiers romantiques achèvent à cette date leur production et se consacrent à la politique. · Musset ou la poésie de la mélancolie moderne. Certains textes sont très caractéristiques : § La Confession d’un enfant du siècle (1836) est un roman romantique. C’est le grand roman d’une génération de mal-aimés. Les thèmes sont la vieillesse prématurée, le vieillard enfant, la malédiction. § Rolla (1833) § —› Il s’agit d’une malédiction : § amoureuse : la trahison féminine est évoquée in Les Nuits (1835-1837) et dans toute l’œuvre de Musset. L’écriture devient le moyen de dévoiler le malheur du poète. § politique : sentiment d’incertitude face à l’avenir. L’Amérique, chez Chateaubriand, est présentée comme un modèle. Dans Rolla, il y a effondrement des croyances religieuses. Idée d’une dégénérescence de l’humanité. Nerval, Les Filles du feu (1854). La troisième génération, à partir de 1848, rejette la société qui l’entoure. La poésie se détache par ailleurs de la politique.Ce sera celle de BAUDELAIRE Lire la suite surhttp://www.etudes-litteraires.com/poesie-romantique.php La valeur essentielle de la poésie La poésie a souvent été diversement appréciée. D’Alembert disait : « La poésie, qu’est-ce que cela prouve ? ». À l’opposé, Mallarmé, à qui on demandait : « Maître, pleurez-vous dans vos vers ? » répondit par la boutade acerbe : « ni ne me mouche ». Ainsi d’une poésie inutile à une poésie révérée, de nombreux arts poétiques nous ont indiqué comment leurs auteurs concevaient la valeur essentielle de la poésie. À notre tour de répondre à cette question personnelle. · La poésie est-elle un art de la représentation ? · La poésie est-elle un instrument d’action ou de connaissance ? · La poésie est-elle un langage, un « chant de l’âme » ? · Conclusion La poésie est-elle un art de la représentation ? *Depuis le poète latin Horace, la poésie a souvent été considérée comme une peinture, une représentation agréable de la nature. Sa mission est d’apporter le pittoresque. La plus belle poésie serait une œuvre aux hautes couleurs, véritable tableau de genre. De la Pléiade à Chénier, des Orientales et de la Légende des siècles à la perfection parnassienne d’un Leconte de Lisle, notre littérature abonde en pièces finement ciselées, riches et fortes du spectacle vivant qu’elles prétendent restituer. *Plus pernicieuse, la conception selon laquelle la poésie ne serait qu’un art de bien dire, une ornementation de la pensée, a connu une certaine vogue au XVII^e et au XVIII^e siècle. On voit alors des écrivains mettre en vers des recueils philosophiques, des œuvres historiques voire des manuels mathématiques. Il faut bien avouer que la Henriade de Voltaire reste sur les rayons des bibliothèques peu à peu recouverte de la poussière des ans. Si le Vigny de La bouteille à la mer est encore lu, c’est qu’il a su nous faire partager sa foi brûlante dans le rôle du poète, dans la victoire future de la Science et de l’Esprit. *Plus féconde a été la conception de ceux pour qui la poésie doit être l’expression des émois du cœur, en quelque sorte un chant de l’âme, la musique des passions et des émotions. À l’époque romantique, ils sont nombreux ceux qui expriment leur moi intérieur et qui veulent en même temps être « l’écho sonore » de tous les sentiments humains. Les chantres du Moi ont bien senti que la sensibilité, par son caractère irrationnel, était une attitude poétique. Baudelaire écrivait propos des Fleurs du mal : « Dans ce livre atroce, j’ai mis toute ma pensée, tout mon cœur, toute ma religion (travestie), toute ma haine », mais à travers une déchéance personnelle, c’est la tragédie humaine qui est racontée et qui permet à son auteur d’apostropher l’ « hypocrite lecteur, mon semblable ! Mon frère ! ». Bien évidemment, un recueil tel que les Fleurs du mal, véritable tournant de la poésie française, suffirait à lui seul à dénoncer la fausseté d’un tel point de vue. Baudelaire en choisissant « d’extraire la beauté du Mal », en délaissant « les provinces les plus fleuries du domaine poétique », montre bien que la création poétique est ailleurs que dans son sujet. Une Charogne n’est pas indigne de l’artiste qui peut à juste titre s’écrier devant son Créateur dont il refait la création : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ». La poésie est-elle un instrument d’action ou de connaissance ? D’autres ont entraîné la poésie sur la pente de l’action : ils ont voulu au travers de la forme poétique susciter l’enthousiasme ou l’indignation de leurs contemporains. Pensons aux Châtiments de Victor Hugo qui dénoncent avec véhémence « Napoléon le petit » jusqu’aux poèmes nés de la Résistance comme la Rose et le réséda, vibrant appel à l’unité contre l’ennemi entre « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas ». Polémique ou jouant sur les grands sentiments, une telle littérature a encore été dénoncée par Baudelaire dans l’Art romantique, qui la condamne dans un jugement sans appel : « Il est une autre hérésie… Je veux parler de l’hérésie de l’enseignement, laquelle comprend comme corollaires inévitables, les hérésies de la passion, de la vérité et de la morale. Une foule de gens se figurent que le but de la poésie est un enseignement quelconque, qu’elle doit tantôt fortifier la conscience, tantôt perfectionner les mœurs, tantôt enfin démontrer quoi que ce soit d’utile… La poésie (…) n’a pas d’autre but qu’elle-même « De cette attitude qui consiste à voir dans le poète un guide le poète est alors saisi par le vertige devant le gouffre insondable de Ce que dit la bouche d’ombre comme Hugo. Il passe « les portes de cornes et d’ivoire » en explorant systématiquement son rêve comme le Nerval des Filles du feu. Il veut entrevoir « les splendeurs situées derrière le tombeau » comme Baudelaire, ramener quelques braises de ce feu indicible et divin comme Rimbaud qui s’exclamait : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant -- le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Cette aventure prométhéenne est une Saison en enfer ; le poète sombre souvent dans la folie ou l’hébétude silencieuse après avoir ramené des pages vibrantes, étonnantes, véritable « opéra fabuleux » selon les propres termes de Rimbaud. La poésie est-elle un langage, un « chant de l’âme » ? Il est ardu de définir la poésie en tant que fin, peut-être parce qu’elle est avant tout un moyen. Claudel affirmait : « Les mots que j’emploie / Ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont point les mêmes ». Les progrès de la linguistique opérés surtout depuis la deuxième moitié du XIX^e siècle avec Ferdinand de Saussure, nous permettent d’affirmer que le langage a deux fonctions essentielles. La première est une fonction utilitaire : le langage sert à communiquer avec autrui ; la deuxième est artistique : l’objet du langage n’est plus la réalité extérieure et sensible, mais lui-même. Le langage se prend alors lui-même comme objet, il joue de ses sons et de ses sens, il cherche à faire œuvre de beauté, de plaisir. La poésie fait ainsi appel à l’irrationnel, elle est affaire d’intuition, d’associations, de sensibilité, de rêve. C’est une manière nouvelle de voir le monde, hors de toute volonté de domestication à des fins utilitaires. La poésie est fantaisie, émerveillement comme chez Musset, Sur le clocher jauni La lune Comme un point sur un i… comme chez Prévert, où les énumérations qui rapprochent ou séparent de manière inattendue des alliances de mots comiques, des coq-à-l’âne, des ellipses disloquent le réel pour le reconstruire plus tard selon une vision nouvelle très éloignée de nos concepts routiniers. La poésie est alors accord entre le monde et la sensibilité du poète.Pour accéder à cet accord primordial, certains comme Verlaine ont recommandé « de la musique avant toute chose », une « magie suggestive » retrouvant par là la valeur magique des incantations. On pourrait d’ailleurs signaler à ce propos que le titre du recueil Charmes de Valéry ne signifie pas « vagues séductions » mais qu’il doit être ramené à son étymologie latine de carmen, le chant sacré, dont le sens s’est affadi en français contemporain. Ce jeu des rythmes, des sons, des images, ces harmonies imitatives, ce phénomène d’écho entre le sens et les sons qui le portent procurent un intense plaisir à celui qui y est sensible. Des vers comme ceux que Victor Hugo a placés dans Booz endormi : Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèle ; Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala. jouent avec délicatesse sur les allitérations de F et de L, évoquant en même temps que la nuit tiède, la douce brise qui parcourt le paysage. Conclusion Au terme de notre réflexion, nous pouvons affirmer avec Valéry l’ambivalence profonde de la poésie : « J’estime de l’essence de la poésie qu’elle soit, selon les diverses natures des esprits, ou de valeur nulle ou d’importance infinie ce qui l’assimile à Dieu même ». La poésie ne peut se définir par la finalité qu’on lui attribue, elle échappe ainsi à toute définition. Aussi est-il sans doute présomptueux d’en proposer une à notre tour ! Elle ne se trouve pas au bout d’une fabrication, mais de l’inspiration. En tout cas elle se reconnaît au plaisir qu’elle procure, l’illumination qu’elle produit. Comme le disait Claudel dans la Ville : « Par le moyen de ce chant sans musique et de cette parole sans voix, nous sommes accordés à la mélodie de ce monde. Tu n’expliques rien, ô poète, mais toutes choses par toi nous deviennent explicables ».