EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Annales. Histoire, Sciences Sociales. http://www.jstor.org EHESS Review Author(s): Margo De Koster Review by: Margo De Koster Source: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 65e Année, No. 3, Histoire du travail (mai-juin 2010), pp. 836-838 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40801666 Accessed: 16-03-2016 22:27 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/ info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 16 Mar 2016 22:27:59 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions fera aussi bien les spécialistes de l'histoire des mobilisations et du syndicalisme que les chercheuses et chercheurs sur le genre. Magali Della Sudda Geneviève Pruvost De la « sergote » à la femme flic. Une autre histoire de l'institution policière, 1935-2005 Paris, La Découverte, 2008, 308 p. Geneviève Pruvost retrace la féminisation de la police française, ce processus lent et pourtant irrésistible d'obtention d'un « droit de police » pour les femmes au cours du XXe siècle. À l'heure actuelle, l'entrée des femmes dans la police est encore souvent saluée par les médias comme une nouveauté, tant les liens entre ordre, virilité et force publique, inscrits dans la longue durée, semblent encore évidents. Le phénomène est mieux connu dans le monde anglo-saxon, pionnier en matière d'études sur le genre et la police ' mais il a peu retenu l'attention des sciences sociales en France et dans d'autres pays européens 2. Cet ouvrage comble donc une lacune importante. Mais là n'est pas son seul mérite. En effet, l'auteure ne se limite pas à l'approche traditionnelle d'une analyse des modalités statutaires, salariales et organisationnelles prises par la féminisation et des débats localisés à la stricte sphère professionnelle de la police. Elle aborde au contraire, dans leur interrelation, les policier(e)s, les logiques professionnelles, celles de la sphère politique, les échos médiatiques, l'évolution du rapport à la violence, ainsi que les changements dans les rapports sociaux de sexe qui configurèrent ce processus, sans jamais oublier les mutations sociales et politiques plus amples dans lesquelles ils s'inscrivent. L'auteure entreprend le récit de l'entrée des femmes dans la police, non plus comme une contre-histoire exclusivement féminine qui pourrait être comprise séparément d'une autre, face masculine de l'organisation policière. Elle montre au contraire comment l'accès des femmes aux métiers de police au cours du XXe siècle a bouleversé et redéfini l'institution policière dans son ensemble, les définitions de ses missions et son rapport à la violence. Il s'agit en effet, comme l'explique G. Pruvost, d'un « fait anthropologique inédit » (p. 10): l'entrée des femmes dans la police a profondément « perturbé » et remis en cause le monopole masculin de la force publique. Les femmes policiers ont obtenu le droit de port et d'usage des armes et du commandement armé ainsi que l'accès à la quasi-totalité des métiers de police, et elles ont maintenu leurs acquis au fil des changements politiques. Surtout, même si le processus de féminisation fut très lent et n'a pas immédiatement suivi la voie des pleins pouvoirs de police, il s'est opéré en temps de paix (il n'a donc pas obéi à une logique d'armement provisoire des femmes en période de crise politique), dans la durée, et sans impliquer une spécialisation féminine des tâches policières. Il constitue donc une transformation profonde, « un événement au cheminement long, qui ne s'est pas encore tout à fait banalisé » (p. 25). Pour retracer sur soixante-dix ans la lente percée des femmes dans le monde policier, Γ au teure mobilise tour à tour, toujours avec pertinence, la sociologie, l'histoire, l'anthropologie ou les apports des gender studies. Elle s'intéresse tant aux sujets occultés qu'aux sujets phares et fonde son analyse sur des archives policières, municipales, ministérielles, législatives et médiatiques, ainsi que sur des entretiens biographiques avec 128 policiers (39 hommes et 79 femmes) recrutés du début des années 1970 aux années 2000. Le plan chronologique de l'ouvrage distingue trois périodes: 1935-1968, 1968-1983 et 1983-2005. La féminisation de la police française débute, sous la pression des féministes réformistes, au sein de la préfecture de Police de Paris, où les premières femmes sont recrutées en 1935 en tant qu'« assistantes de police », spécialement chargées de « tout ce qui, sur la voie publique, intéresse, du point de vue social, les femmes, les jeunes filles et les enfants » (p. 48) et détentrices d'un « droit de police limité » car elles ne sont pas armées. Après la Seconde Guerre mondiale, certaines revendications statutaires, salariales et organisationnelles de ces assistantes parisiennes, bien insérées dans la profession policière, sont satisfaites : en 1952, elles ne doivent plus être assistantes sociales et, en 1960, elles sont versées dans un grade équivalent à celui d'inspecteur. Néanmoins, la fémi- 836 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 16 Mar 2016 22:27:59 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions nisation de la police ne s'étend pas au niveau national, où la police reste « un club masculin semi-privé où la femme n'a pas sa place » (p. 81). Elle demeure « cantonnée » à la brigade mixte des mineurs et cette spécialisation féminine des tâches constituera un obstacle conceptuel à la pleine entrée des femmes dans le monde policier. L'exercice de la coercition reste en pratique réservé aux hommes policiers. De la fin des années 1960 au début des années 1980, sous l'influence décisive du féminisme d'État, et rendue possible par l'harmonisation des statuts de la préfecture de Police avec ceux de la Sûreté nationale, la dénonciation de la violence d'État par les policiers de la génération « 1968 », l'émancipation féminine et l'action du MLF, la première « expérience de généralisation de la mixité dans la police » (p. 114) se concrétise. Les femmes policiers sont armées, elles suivent la même formation, accèdent à une grande diversité d'emplois et résistent aux tentatives féministes d'une quelconque spécialisation auprès des femmes victimes. Les grades policiers s'ouvrent un à un selon un ordre significatif et à des degrés de publicisation divers : le premier est le prestigieux corps des commissaires de police en 1974, qui fait l'objet d'une vaste campagne de communication. En 1978, celui des gardiens de la paix est également ouvert, mais cette fois le fait est beaucoup plus discret. La mise en place de ce nouvel ordre des sexes au sein de la police correspond aussi à une forte interrogation interne sur les missions policières, notamment en matière de prévention. Cependant, l'existence de quotas de recrutement d'effectifs féminins n'est pas remise en cause par l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, le taux de féminisation reste bas et le monopole masculin des CRS persiste. La féminisation de la police étant désormais généralisée, s'ouvre une troisième période, de 1983 à 2000, débutant par une phase de stabilisation des compromis antérieurs, cette fois prise en charge par les femmes policières ellesmêmes, au sein de structures syndicales ou associatives dynamiques. Leurs revendications bénéficient des premières grandes enquêtes ministérielles sur les femmes policiers entre 1982 et 1988, mais là où les premières qui concernent le droit à la différence (séparation des vestiaires, gilets pare-balles adaptés, etc.) sont validées, la levée des quotas suscite plus de résistances. La mort en service de deux femmes gardiens de la paix en 1991 vient alors accélérer le processus : « le tribut du sang » (p. 213) versé, les femmes sont élevées au rang policier à part entière; elles sont érigées en emblèmes de l'insécurité vécue par la corporation policière. Le lien de cause à effet est immédiat : les quotas, condamnés déjà en 1988 par le Conseil de l'Europe comme contraire au principe d'égalité de sexes, sont définitivement supprimés l'année suivante (décret du 30 mars 1992) sous l'effet de la reconnaissance des risques semblables encourus par les policiers des deux sexes. À partir de 1993, la féminisation de la police n'est plus un « problème public » (p. 225). La dernière décennie se caractérise par une double progression d'un regard asexué sur ces professionnelles de la sécurité et d'une surreprésentation médiatique qui tend à faire oublier les interdits qui demeurent. Une nouvelle figure s'impose, celle du policier femme - policier avant d'être femme, tantôt victime de l'insécurité, tantôt productrice de désordre (bavure, corruption), citée au même titre que ses homologues masculins. Ce processus d'asexuation a cependant son envers: les affaires de harcèlement sexuel sont tues et les femmes policiers sont privées de moyens de défense collective puisqu'elles ne peuvent se mobiliser en se constituant en groupe de femmes. De plus, le nombre de femmes recrutées demeure faible, la barrière des CRS reste fermée à la féminisation et, surtout, l'intégration des femmes est passée par leur alignement sur les critères masculins. C'est toute l'ambiguïté du phénomène : il reflète un déplacement réel et fondamental dans l'ordre des genres et des missions policières au long du siècle, qui induit une mutation de fond dans la configuration de l'espace public comme dans la perception de l'autorité au sein de la police. Mais en même temps, il révèle à quel point demeure central l'usage de la contrainte physique, en tous lieux et à toute heure, et sur ce plan la prédominance des hommes est jugée indépassable : « le 'genre' de l'organisation policière n'a pas changé » (p. 288). Cet ouvrage exceptionnel répond entièrement à sa promesse de nous offrir une autre histoire de l'institution policière et du rapport 837 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 16 Mar 2016 22:27:59 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions à la violence : s'appuyant sur une analyse multidisciplinaire et sophistiquée, il en éclaire plusieurs zones d'ombre. G. Pruvost réussit le pari de mettre en lumière la perméabilité de la profession policière aux mœurs de la société civile concernant les rapports sociaux de sexe et les relations entre police et citoyens. Elle innove également en abordant sur une longue durée la question du changement institutionnel, ses origines, ses dynamiques, ses controverses, ses portées et ses limites, ses avancées et ses retours en arrière, au sein de l'institution policière et au-delà. La perspective anthropologique, l'entrée par le genre et la réflexion sur la perturbation de l'ordre des sexes, constituent une des premières tentatives en ce sens dans les travaux sur la police. Ainsi, le livre de G. Pruvost révèle, entre autres, que l'accès des femmes à l'ensemble des grades policiers et de leurs prérogatives ne s'est pas opéré sans conditions, ni limites au procès d'égalité, et appelle notre attention sur ces formes ambiguës d'intégration des femmes, faites à la fois de reconnaissance et de discrimination plus discrète. Margo De Koster 1 - Voir, par exemple, Louise A. Jackson, Women police: Gender, welfare, and surveillance in the twentieth century, Manchester, Manchester University Press, 2006; Jennifer Brown et Frances Heidensohn, Gender and policing: Comparative perspectives, Londres, Macmillan, 2000. 2 - Clive Emsley, « The policeman as worker: A comparative survey, c. 1800-1940 », International Review of Social History, 45-1, 2000, p. 89-1 10, ici p. 92. Manuela Martini et Philippe Rygiel (dir.) Genre et travail migrant. Mondes atlantiques, XIXe -XXe siècles Paris, Publibook, 2009, 198 p. Manuela Martini et Philippe Rygiel (dir.) « Genre, filière migratoires et marché du travail : acteurs et institutions de la société civile en Europe au XXe siècle », Migrations Société II, 127, 2010, p. 45-155. Le livre dirigé par Manuela Martini et Philippe Rygiel rend compte d'un cycle de recherches entamé dans le cadre du séminaire d'histoire sociale de l'École normale supérieure et continué lors d'un colloque « Histoire, genre, migration» tenu à Paris en mars 2006. Le dossier coordonné par les mêmes auteurs dans la revue Migrations Société est consacré à une question plus limitée. Il s'inscrit cependant dans la continuité de ces travaux et participe au renouvellement de ces études sur le travail migrant. Les présentations de ces textes par M. Martini et P. Rygiel situent bien ces contributions dans le cadre d'une historiographie marquée par l'histoire des femmes puis par les travaux anglosaxons sur le genre. Les migrantes n'occupent pas les mêmes emplois que les migrants ou que les « nationales ». Ils impliquent des relations sociales différentes que celles des ouvriers d'usine, et des situations contrastées entre les femmes engagées comme domestiques ou celles embauchées dans l'industrie. Les études sur les migrantes au travail ont d'abord insisté sur leur dépendance vis-à-vis de leurs compatriotes hommes, et le poids accru de la famille dans une situation de déracinement. Elles ont montré le manque de protection lié à la rupture entre le foyer et le lieu de travail, et le cantonnement de ces femmes à des emplois peu qualifiés et mal payés. Sans remettre en cause le constat de ces difficultés, de nouveaux travaux, notamment américains, ont souligné les stratégies autonomes qu'elles pouvaient élaborer et les marges de manœuvre dont elles bénéficiaient. Les contributions regroupées dans ces deux ouvrages, qu'elles soient historiques ou sociologiques, s'inscrivent dans cette perspective tout en montrant les contraintes fortes limitant leur capacité à agir. Les organisateurs de ce colloque ont choisi d'aborder ces questions dans le cadre des « Mondes atlantiques, XlXe-XXe siècles », en variant les échelles d'analyses et les périodes considérées. L'article de Leslie Page Moch, sur les Bretonnes à Paris sous la IIIe République, montre ainsi la mise en place de trajectoires différenciées par le genre au niveau régional. Raffaella Sarti, en retraçant l'histoire longue de la globalisation du service domestique, souligne, du niveau local au niveau global, l'importance de ce dynamisme féminin et ses conséquences sur les mouvements migratoires. Elles invitent ainsi à étudier les modifications des rapports This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 16 Mar 2016 22:27:59 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions