EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Annales. Histoire, Sciences Sociales. http://www.jstor.org EHESS Review Author(s): Tyler Stovall Review by: Tyler Stovall Source: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 64e Année, No. 6 (novembre-décembre 2009), pp. 1456-1458 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40929965 Accessed: 16-03-2016 22:40 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/ info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 16 Mar 2016 22:40:53 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions d'une question complexe et taboue, jusqu'ici passée sous silence, n'aurait-il pas été judicieux de tenter de démocratiser l'usage du concept d* ascription 1 - l'attribution par les autres d'une étiquette ethnique - qui semble d'ailleurs plus approprié aux phénomènes que les auteurs décrivent, et auxquels ils tentent d'apporter l'esquisse d'une réponse politique au regard de la diversité de leurs recherches scientifiques ? Thomas Pierre 1 - Le concept à' ascription a notamment été popularisé par Talcott Parsons, l'une des grandes figures de la sociologie américaine. Plus récemment, Jean-François GossiAUX est, lui aussi, revenu sur le concept : « Gomme toute frontière, la frontière ethnique est définie à l'aide de bornes, de marqueurs. En l'occurrence, ceux-ci sont des traits culturels (ou physiques, la perception de ces derniers étant bien sûr culturelle) en fonction desquels [...] un individu sera attribué à tel ou tel groupe. Cette opération, dite ascription, est au principe du phénomène d'ethnicité », in Pouvoirs ethniques dans les Balkans, Paris, puf, 2002, p. 13. Pap Ndiaye La condition noire. Essai sur une minorité française Paris, Calmann-Lévy, 2008, 436 p. Que signifie être un Français noir ou une Française noire ? Quelle est la relation entre la race, la discrimination, la conscience de soi et l'identité nationale ? Ces questions sont au cœur de l'impressionnant ouvrage de Pap Ndiaye. Cette étude historique de la vie des Noirs en France, la plus importante depuis plus d'une génération, devrait servir de texte fondateur - c'est l'ambition de son auteur - à la création de Black studies à la française 1. Alors que l'actualité a mis les questions « raciales » sur le devant de la scène politique et sociale, les émeutes de novembre 2005, la fondation du Conseil représentatif des associations noires (cran), la nomination de Rama Yade au gouvernement par Nicolas Sarkozy, le passage de la loi Taubira (du nom de la seule députée noire), sont, pêle-mêle, autant d'éléments qui soulignent la place des Noirs dans la vie française, passée et présente. L'étude de P. Ndiaye n'est donc pas seulement une enquête nécessaire sur un aspect trop longtemps négligé de l'histoire de France : elle intervient dans les débats très contemporains sur l'identité française. Comme P. Ndiaye le note dès le début de son ouvrage, le paradoxe de la condition noire en France est le mélange de visibilité et d'invisibilité: alors que dans une nation majoritairement blanche les Noirs se remarquent facilement en tant qu'individus, leur présence collective passe inaperçue. L'existence même d'un collectif noir fait débat. Cela s'explique en partie par la diversité : contrairement aux Amériques, où la grande majorité de la population noire est passée par le chaudron de l'esclavage, les Noirs français ont des origines aussi bien en Afrique que dans les Antilles; leurs histoires et leurs expériences actuelles en France diffèrent significativement. Si l'on prend aussi en compte la population - petite mais influente - des Noirs américains à Paris, on est frappé de l'hétérogénéité des populations noires en France. Tout aussi important, cependant, est la très forte tradition républicaine française, dans laquelle toute discussion sur la différence raciale est vue comme illégitime voire raciste. Cela se traduit, notamment, par l'absence de statistiques publiques faisant mention de race. La persécution des juifs sous Vichy est souvent prise comme exemple des dérives d'un État qui identifie les individus par ethnicité ou race. Mais l'absence d'information raciale dans le recensement et autres statistiques est l'une des raisons majeures de l'invisibilité des Noirs en France. Pour aborder ce problème de l'invisibilité, P. Ndiaye commence par un travail de définition, qui forme la première partie de son livre. La tâche n'est pas facile, car il rejette à la fois les définitions biologiques de la race et les croyances essentialistes en une culture noire : « Parler des 'Noirs', n'est-ce pas supposer qu'il existerait une 'race' noire, alors que la notion de 'race' n'a aucune validité scientifique et morale ? » (p. 29) Pour lui, si l'identité et la structure sociale sont des facteurs importants, la clé de la condition noire réside dans l'expérience de la discrimination : les Noirs sont ceux qui sont traités comme des Noirs. Etre Noir est 1456 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 16 Mar 2016 22:40:53 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions donc une construction historique et politique, une condition plutôt qu'une essence. Une telle conception a beaucoup à apporter, même si elle n'est pas sans poser problème : elle tend à sous-estimer l'auto-identification des Noirs, et à éluder les débats difficiles sur le sens de la culture noire. Malgré tout, en évitant le Scylla du stéréotype raciste et le Charybde de l'afrocentrisme, cette définition permet à P. Ndiaye de construire son argument sur la présence des Noirs dans la culture et la société françaises, et de l'analyser habilement dans une multiplicité de perspectives. La condition noire est divisée en six parties, chacune portant sur un aspect différent de l'expérience des Noirs en France. La deuxième partie porte sur la question complexe que P. Ndiaye nomme « colorisme » : l'impact de la grande variation de la couleur de peau, de la plus claire à la plus foncée, sur la population noire. L'auteur montre comment, historiquement, les Noirs les plus clairs de peau ont joui d'un statut plus élevé, et moins souffert de discrimination, que leurs proches plus sombres de peau, et souligne qu'il faut comprendre ce phénomène dans le contexte général de privilège des Blancs. Une telle distinction met en question, bien entendu, l'existence d'un collectif noir, mais P. Ndiaye convainc quand il décrit le métissage comme un aspect de la stratification sociale plutôt qu'une exception. La troisième partie, la plus développée du livre, esquisse l'histoire des communautés noires en France, depuis leurs premières manifestations notables au XVIIIe siècle (bien qu'il y ait eu des Noirs en France depuis l'Antiquité): P. Ndiaye, comme les autres spécialistes européens, prend bien soin de souligner que les Noirs ont en France une histoire qui remonte bien au-delà des années 1960, et que les Noirs français, loin d'être un phénomène récent, font partie intégrante de l'histoire de la nation. Il aborde également une question qui ne laisse pas de troubler les historiens : comment analyser la vie de gens dans le contexte de catégories sociales qu'eux-mêmes n'auraient pas reconnues ou acceptées ? Les deux parties suivantes passent de l'histoire à l'actualité, et portent sur le racisme et la discrimination contre les Noirs. P. Ndiaye trace l'évolution des discours racistes, portant une attention particulière à la distinction entre les formes biologiques et culturalistes de la pensée raciale. Il montre aussi la multitude des formes de discrimination auxquelles sont confrontés les Noirs aujourd'hui, soulignant par exemple que beaucoup de Noirs éduqués ont choisi de partir pour la Grande-Bretagne, où ils se sentent plus acceptés. Il réfute également ces intellectuels qui se plaignent d'un racisme « anti-Blancs », faisant observer qu'être Blanc n'a jamais été un handicap social en France. Enfin, dans la dernière partie du livre, P. Ndiaye s'intéresse (en tant qu'observateur et que participant) aux mouvements sociaux et organisations noires en France, de la négritude de l'entre-deux-guerres au CRAN. Son analyse illustre une histoire institutionnelle des Noirs en France, mais montre plus généralement comment des individus ont pu créer une identité collective centrée sur la race. Un aspect frappant de La condition noire est son approche transnationale : centré sur la France, le livre fait des comparaisons constantes avec les Noirs américains. Ce n'est guère surprenant, puisque P. Ndiaye est historien des États-Unis. Mais ce n'est pas la seule raison : les études sur la race ont souvent pris l'expérience des Noirs américains comme modèle. Une tendance souvent critiquée : Paul Gilroy et Stuart Hall, en abordant la condition noire comme diaspora, font partie de ceux qui veulent sortir de ce schéma. Certains, en France, accuseront sans doute P. Ndiaye d'appliquer une perspective « anglo-saxonne » à la race et la condition noire (le redouté « communautarisme») à un contexte national très différent. Pourtant, dans La condition noire, P. Ndiaye utilise les Noirs américains comme point de comparaison plutôt que comme réfèrent canonique, et son travail est fermement ancré dans la réalité nationale française. De plus, bien qu'il se concentre sur les Noirs de la métropole, il fait souvent référence à la situation en Afrique francophone et aux Antilles. La question reste ouverte de savoir si une étude de « la France noire » devrait inclure les départements d'outre-mer, voire « la plus grande France » : P. Ndiaye devrait d'ailleurs l'affronter plus directement. Nombre d'historiens de l'empire ont déjà souligné à quel point la distinction entre métropole et colonie est U57 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 16 Mar 2016 22:40:53 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions illusoire. La condition noire s'inscrit cependant clairement dans une approche transnationale, qui interroge l'Etat-nation et pose que les frontières et institutions nationales ne peuvent pas contenir l'intégralité de l'expérience humaine. S'il faut transcender ces frontières pour comprendre la condition noire en France, peut-être en va-t-il de même pour l'identité française en général. Inévitablement, un texte si ambitieux ne peut répondre à toutes les questions qu'il soulève. On aurait aimé une discussion plus nourrie sur les différences entre les Noirs d'origine africaine et ceux d'origine antillaise, et leurs visions peut-être contradictoires de la condition noire. De même, s'intéresser à ce qui pourrait être unique dans l'expérience des Noirs en France, comparée aux autres pays, aurait pu apporter un éclairage bienvenu. Une attention à la géographie sociale des Noirs aurait pu s'avérer également féconde: où vivent les Noirs, et dans quelles sortes de communautés ? Mais souligner les domaines qu'on aimerait voir explorer plus en détail n'est pas tant critiquer un travail qu'en reconnaître toute l'étendue et la portée. P. Ndiaye livre ici une étude pionnière des Noirs en France, qui ne peut qu'attirer l'attention et provoquer, sans nul doute, la polémique. Nul ne peut dire si cet ouvrage inspirera le développement d'une version française des Blacks studies. Il leur ouvre toutefois des pistes très prometteuses. Tyler Stovall (traduit par NICOLAS Barreyre) 1 - Les deux principales histoires des Noirs de France à cette date sont Shelby McCloy, The Negro in France, Lexington, University of Kentucky Press, 1961, et William Cohen, Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs, 1530-1880, Paris, Gallimard, 1981. U58 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 16 Mar 2016 22:40:53 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions