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Zkouška: zápo…et + épreuve orale comportant l'analyse et le commentaire des textes et portant sur le programme du semestre Problématique Pour cerner la problématique de la littérature canadienne francophone, il convient de l'insérer dans plusieurs contextes. a) Francophonie Bien que le terme de Afrancophonie@ soit un terme avant tout politique destiné à donner une apparence d'unité à l'ensemble de 59 États, aussi différents les uns des autres que la Belgique ou le Canada d'une part et le Sénégal ou le Vietnam d'autre part, il recouvre néanmoins une réalité linguistique commune: le français ne s'y trouve pas dans la même situation que dans la France métropolitaine. Par conséquent la langue et la culture que celle-ci véhicule n'a pas le même statut, les deux s'insérant dans un contexte axiologique différent. Le français n'y est en effet qu'une des langues parlées du territoire national respectif. Une situation de bilinguisme, trilinguisme ou polylinguisme y est courante, avec une hiérarchisation des valeurs spécifique de pays en pays. De plus, dans les deux tiers des pays francophones, en dehors de l'Europe, cette situation est le résultat de l'aventure coloniale de la France. C'est aussi le cas du Canada, même si son cas doit être distingué de celui des pays africains ou asiatiques. La différence de la situation linguistique entre la France et les pays francophones se manifeste notamment dans la problématique identitaire. Alors que le français en France est l'instrument Anaturel+ de la vie nationale, dans les pays francophones - et au Canada - il habille une autre langue ou bien il est habillé ou entouré d'une autre langue. Le résultat en est l'attention particulière dont la question linguistique est souvent investie. On parle de la Asurconscience linguistique+ (Lise Gauvin, Langagement, André Major). Le terme, qui est québécois, traduit bien les efforts qui, dans le combat contre la suprématie anglophone, ont abouti à la loi 101 (1977) sur le statut du français au Québec. b) Problématique identitaire La langue, on le sait structure aussi bien l'individu (Jacques Lacan) que la collectivité (Edward Sapir). Les implications du bilinguisme peuvent être multiples. À défaut d'autres structures identitaires (étatique, politique, etc.) ou à cause de leur caractère incomplet, la langue peut devenir l'élément identitaire majeur d'une minorité, suppléant aux carences dans les autres domaines. D'autre part, on sait que le dynamisme des rapports au sein d'une situation de bilinguisme ou de polylinguisme varie de la diglossie (où la stratification sociale ou autre intervient dans la hiérarchie des langues) au bilinguisme classique. La confrontation des langues peut alors s'avérer inhibitoire, destructrice pour l'une d'elle ou bien elle peut au contraire constituer un enrichissement réciproque. Les enjeux linguistiques touchent alors de façon positive ou négative les valeurs aussi bien les valeurs individuelles (horizon mental, culturel) que celles de la communauté. La vie de Canadiens français est vivement concernée par cette problématique tout au long de leur histoire, notamment depuis 1760, histoire qui apparaît comme une trajectoire conduisant à l'émancipation progressive. c) Problématique culturelle Sur le plan culturel, la problématique linguistique identitaire se combine avec celle de la structuration de l'espace culturel, en particulier avec la question du centre et de la périphérie culturelle. En effet, la littérature canadienne française est par ses origines liée à la France (Paris), d'où elle tirait pendant longtemps ses modèles et dont elle reconnaissait la suprématie. Mais en même temps elle se trouvait confrontée à la culture et à la littérature anglophones du Canada et des États-Unis et à l'attirance forte des centre culturels américains - New York, Montréal anglophone, Toronto, Hollywood. La culture canadienne française reste pendant longtemps plusieurs fois périphérique: par rapport à la France, par rapport à la culture canadienne anglophone, par rapport à la culture américaine anglophone. Elle porte les caractéristiques de la périphérie: subordination à la hiérarchie axiologique émanant des centres qui sont la source des valeurs majeures; retard culturel; discontinuité de la dynamique culturelle interne; instabilité et glissement tantôt vers l'un, tantôt vers l'autre des centres; mais aussi situation d'un lieu de passage et d'échanges de valeurs. Il ne devrait pas être surprenant de voir les Canadiens francophones considérer leur propre histoire, en s'identifiant à la rhétorique politique de la décolonisation des années 1960 (Parti pris, Liberté), comme celle d'un pays triplement colonisé: Canada - colonie française, Canada - colonie anglaise, Canada - colonie des États-Unis. Les aspirations sont en effet semblables à celle des jeunes pays africains, asiatiques ou sud-américains, notamment en ce qui concerne les liens entre l'émancipation linguistique, identitaire et culturelle. Ce n'est qu'au cours des années 1960 et 1970, suite à la ARévolution tranquille@ qui est une transformation et une émancipation complexe de la société québécoise, que la culture canadienne francophone trouve sa centralité propre en devenant un des foyers mondiaux de la culture moderne et postmoderne. Plusieurs phases peuvent être identifiées dans ce processus d'émancipation linguistique, identitaire et culturelle: - phase Aprémoderne@: retard culturel sous l'emprise des modèles importés; recherche du Anational@ comme spécificité exclusive d'un milieu renfermé sur lui-même (Aroman du terroir@; traditionalisme, conservatisme); - phase Amoderne@: modernité en tant que contestation du conservatisme et dénonciation de la situation de subordination (sociale, culturelle, etc.); statut de la langue reste préservé (Gabrielle Roy, Anne Hébert, Saint-Denys Garneau); - phase de la Amodernité expérimentale@, mais qui n'a pas toutà fait le même rôle que l'expérimentation esthétique dans les cultures émancipées: c'est une dénonciation qui s'étend du domaine social politique et culturel à la langue même; écriture expérimentale Acontre la langue@ et contre l'institution littéraire (cf. Hubert Aquin; Marie-Claire Blais, Tremblay); recherche d'un nouveau discours identitaire (collectif); recherche des racines; - phase Apost-moderne@: échec de la modernité en tant que voie vers l'affirmation identitaire de la collectivité et l'aboutissement de l'émancipation nationale; blocage de la collectivité; littérature-identité remplacée par une littérature ipséité/altérité; identité racine remplacée par une identité rhizome; langue composite, métissée, Abilangue@ (Godbout, Poulin). d) Problématique terminologique Elle est le point d'intersection et le résumé des aspects évoqués ci-dessus: linguistique, identitaire, culturel. En effet, plusieurs termes sont utilisés pour désigner la littérature qui, sur le territoire canadien s'écrit en français: - littérature française du Canada: le terme reflète la suprématie de la centralité européenne et ne peut guère être utilisé qu'à propos de la toute première phase du développement culturel du Canada; - littérature canadienne française: le terme est souvent appliqué à la situation littéraire jusqu'à la Révolution tranquille en 1960; il est refusé actuellement parce que trop grevé de connotations politiques évoquant le concept d'un Canada uni, réunissant deux cultures majeures - anglophone et francophone; - littérature québécoise: le terme est appliqué à la littérature du Québec devenu au cours des années 1960 et 1970 un véritable centre culturel autonome (Parti pris 1965); c'est l'expression de l'émancipation à la fois linguistique, territoriale (politique) et culturelle et de la suprématie culturelle du Québec dans le domaine francophone; désavantage: exclusion des littératures francophones hors du Québec, réduction de la dimension canadienne et américaine au seul territoire québécois et à la littérature francophone de ce territoire (à côté de l'anglophone, italienne, etc.); cette réduction touche, en les excluant, des auteurs comme Gabrielle Roy ou Antonine Maillet; - littératures acadienne, ontarienne, manitobaine: dénominations recouvrant les auteurs francophones du Canada après 1965 suivant leur appartenance régionale. Périodisation La périodisation que nous allons présenter ici tâche de respecter les données majeures de l'histoire politique et culturelle (linguistique et identitaire). I. Période française: 1534-1760 II. Rupture politique et culturelle: 1760-1837 III. Réveil culturel et littéraire: 1837-1930 IV. Sur la voie de la modernité: 1930-1960 V. Révolution tranquille: de la modernité à la pluralité postmoderne: 1960 à nos jours I. Période française (1534-1760) Il est difficile de parler d'une littérature proprement canadienne à cette période, car il s'agit, en vérité, d'un des pendants de la littérature française: une littérature coloniale, périphérique. La population, absente jusqu'au début du 17^e siècle, peu nombreuse tout au long des 17^e et 18^e siècles, ne permettait pas en effet le déploiement d'une vie culturelle et littéraire autonome. Les textes étaient destinés en grande partie au public français et européen, mesurés l'aune de la norme française. Pourtant, la culture québécoise et canadienne moderne revendique cette période comme une époque fondatrice en se reconnaissant dans les auteurs qui, sans se sentir souvent comme Canadiens, surtout dans les premiers temps, apportent le témoignage de leurs expériences. La nouveauté de la matière, pour laquelle les auteurs ne trouvaient pas parfois, de modèles littéraires à appliquer, imprime aux textes des traits particuliers dans lesquels les Canadiens francophones voient les premiers éléments de la différenciation d'avec la France et les premiers fondements de la canadianité. Par ailleurs, certains textes contiennent les thèmes porteurs qui seront développés par la culture canadienne française: thématique indienne, aventure de colonisation, mission civilisatrice, mission évangélisatrice, rêve de la Cité de Dieu (Montréal fondé sous le nom de Ville-Marie). Même si les manifestations culturelles sont liées déjà à la vie des tout premiers colons (Le Théâtre de Neptune de Marc Lescarbot en 1606, la représentation du Cid à Québec en 1646), la vie culturelle ne commence à s'organiser véritablement que dans le dernier quart du 17^e siècle. Grâce à la politique de Jean-Baptiste Colbert et de son intendant en Nouvelle-France Jean Talon (1665-1672) sous lequel la population est portée de 3.000 en 1666 à 8.000 en 1676, cette oeuvre de colonisation, basée sur le soutien apporté au développement de l'agriculture et des activités économiques locales, est secondée par la présence des ordres religieux: Récollets, Jésuites, Sulpiciens, Ursulines. Dans leurs écoles (celle des Jésuites est fondée à Québec en 1635), les premières élites locales sont formées. Les villes de l'administration coloniale ‑ Québec, Montréal, Trois Rivières ‑ constituent le cadre des activités culturelles. La situation périphérique se traduit par le caractère incomplet du paysage littéraire: de toute la gamme des genres, peu nombreux sont ceux qui sont présents - récits de voyage, Relations des Jésuites, lettres. Jacques Cartier (1491-1557) Le fameux explorateur est recommandé au roi François I^er par l'évêque de Lisieux grâce à ses expériences antérieures acquises durant une expédition au Brésil. Ses trois voyages en Nouvelle-France (1534, 1535-36, 1541-42) ont donné lieu à trois Récits. Le Récit du premier voyage est publié d'abord en italien - La prima relazione di Jacques Cartier della Terra Nova dette la nuova Francia, trovata nell'anno M.DXXXIII (Venetia 1565, 3^e volume de Ramusio Navigatori e viaggi) - ensuite en anglais, enfin en français en 1598). Le Brief Récit, relatant le deuxième voyage paraît sans nom d'auteur en 1545. On l'attribuait un certain temps à Jehan Poullet, parfois même à Rabelais. Le Récit du troisième voyage a été publié en 1600 en version anglaise d'après un document trouvé vers 1583 et disparu depuis. Jacques Cartier est l'homme de la Renaissance: homme d'action capable de donner à son expérience et son aventure une forme artistique. (Cf. les textes) Samuel de Champlain (vers 1570-1635) Ancien maréchal des logis dans l'armée du roi Henri IV, excellent cartographe, écrivain cultivé, organisateur dévoué, Samuel de Champlain est l'auteur de plusieurs oeuvres où il relate ses activités, voyages et découvertes: Des Sauvages ou Voyage de Samuel Champlain, de Brouage fait en la France nouvelle, l'an mil six cent trois (Paris 1603) - description des tribus indiennes Les Voyages et Descouvertes faites en la Nouvelle-France, depuis l'année 1615, jusques à la fin de l'année 1618 (Paris 1619) Les témoignages sur le Nouveau Monde sont rédigé par d'autres personnalités, hommes d'action, explorateurs, colons, administrateurs, sont nombreuses: Nicolas Denys (1598-1688) - colon acadien, entrepreneur; autodidacte, auteur de récits relatant les événements survenus principalement en Acadie, dont le récit sur le jeune Latour qui sera repris dans l'Histoire du Canada de Michel Bibaud d'où Antoine Gérin-Lajoie tirera sa tragédie patriotique (1844). Louis Jolliet (1645-1700) - découvreur du Mississippi Pierre Le Moyne d'Iberville (1661-1706) - soldat, explorateur (Louisiane), aventurier Nicolas Jérémie (1669-1732) - a prospecté les territoires de la Baie d'Hudson. Il a épousé une Indienne que le Conseil souverain de la Nouvelle-France l'a forcé à repudier sous prétexte qu'il n'avait pas l'àge recquis. Il a passé une quinzaine d'années au fort Bourbon comme interprète, directeur du commerce et gouverneur. Il a rédigé la Relation de la Baie d'Hudson. Marc Lescarbot (1570-1642) Historien et poète, avocat, commissaire de la marine royale né à Vervins. Après les études au collège de Vervins et de Laon (grec, latin, droit, littératures anciennes et modernes) il s'établit à Paris où un de ses clients Jean de Biencourt de Poutrincourt l'invite à participer au voyage en Acadie. Il y passe un hiver rigoureux, où la difficile survie de la toute nouvelle colonie d'Annapolis est secondée par l'idée de Poutrincourt de fonder l'Ordre de Bon-Temps qui invitait les colons à agrémenter les loisirs de la société par le concours de repas et des représentations organisées à tour de rôle. C'est dans ce cadre, au retour d'une des expéditions de Poutrincourt que Lescarbot écrit et met en scène Le Théâtre de Neptune (1606). Rentré en France, Lescarbot publie Histoire de la Nouvelle-France (1609) de 877 pages, où sont insérées Les Muses de la Nouvelle-France - 13 courtes oeuvres poétiques et le texte du Théâtre de Neptune. Relations Il s'agit des rapports annuels envoyé par les membres des ordres religieux - Récollets, Jésuites, Sulpiciens, etc. - à leurs supérieur européens. Les Relations sont non seulement une source de renseignements précieux sur les événements historiques, sur la vie de la colonie et sur les indigènes, elles sont encore des oeuvres littéraires estimables. Les textes, le plus souvent rédigés en latin, ont été très tôt traduits en français pour satisfaire la curiosité du public européen. Pierre Briard (1567-1622) De son séjour dans le Nouveau Monde il rapporte La Relation de la Première Mission d'Acadie. Gabriel Théodat Sagard (avant 1604 - 1650?) - secrétaire privé du provincial des Récollets à Paris, nommé missionnaire en Nouvelle-France, il reste en Huronie de 1623 à 1624. Il publie Le Grand Voyage du pays des Hurons (1632) et Histoire du Canada (1636), où il fait entre autres l'apologie de l'oeuvre évangélisatrice des Récollets et proteste contre leur exclusion du pays au profit des Jésuites. Les Relations des Jésuites sont le recueil des rapports annuels des Supérieurs Généraux et missionnaires à leur provincial à Paris, rédigés de 1632 à 1673. Il s'agit donc d'une oeuvre collective, mais où on discerne certains auteurs éminents. Paul Le Jeune (1591-1664) - entre chez les Jésuites en 1613 après avoir abjuré le calvinisme, nommé Supérieur Général du Canada, il séjourne à Québec de 1632 à 1649. Jean de Brébeuf (1593-1649) - missionnaire, ethnographe, martyr et patron du Canada. Il séjourne chez les Hurons de 1625 à 1642 et de 1644 à 1649 où il est fait prisonnier par les Iroquois et martyrisé avec son compagnon Gabriel Lalemant. Ses Relations sont importantes pour la connaissance de l'univers religieux et mythologique des Indiens. François Le Mercier (1604-1690) Barthelémy Vimont (1594-1667) Jérôme Lalemant (1593-1673) Pour le 18^e siècle, il faut ajouter à la liste Joseph-François Lafitau (1681-1746) qui a travaillé à la mission de Sault-Saint-Louis de 1712 à 1717. Sa description de la vie et des mythes des Iroquois dans Moeurs des sauvages américains comparés aux moeurs des premiers temps lui a valu la considération de ses contemporains et, plus tard, des encyclopédistes. Son approche descriptive et analytique fait de lui un précurseur des anthropologues modernes (cf. Anthologie, p 241 sqq. ALe calumet du soleil@) Marie Guyard, dite Marie de l'Incarnation (1599-1671) - Ursuline, mystique, née à Tours. Fille d'un boulanger, tôt attirée par la vie spirituelle, elle est néanmoins mariée en 1617 à Claude Martin, marchand de soie. Son mari mort en 1619, elle se consacre à l'éducation de son fils Claude (né en 1618), devenu plus tard un personnage important dans l'ordre des Bénédictins et éditeur de l'oeuvre de sa mère. En 1631, elle confie son fils à sa soeur et entre chez les Ursulines de Tours. Ayant accepté de participer au projet de mission, elle s'embarque en 1639 pour la Nouvelle-France. À Québec elle construit le couvent des Ursulines qu'elle destine à l'éducation des jeunes filles des colons et des sauvages dont elle sait attirer les sympathies. Excellente organisatrice, énergique et efficace, elle n'en est pas moins dépourvue d'une vocation mystique. Elle a laissé une oeuvre manuscrite de 13.000 lettres, de relations et de cantiques d'où son fils Claude Martin a utilisé 221 lettres pour sa Vie de la Vénérable mère Marie de l'Incarnation (Paris, 1681). Les Lettres ont été également publiées à part (Paris, 1681). Toutefois la plupart de l'oeuvre manuscrite a été détruite à la Révolution française. Élisabeth Bégon (1696-1755) - une habitante de Montréal qui échange des lettres avec son genre resté en France. Ce courrier, en plus de la valeur documentaire, possède les qualités littéraires, aujourd'hui appréciées par la critique. Marie Morin (1649-1730) - née à Québec, élevée chez les Ursulines, elle entre à 13 ans chez les Hospitalières de l'Hôtel-Dieu de Montréal. C'est sur l'ordre de sa supérieure qu'elle entreprend la rédaction des Annales de l'Hôtel-Dieu de Montréal qui ne seront publiées qu'en 1921. Le témoignage de Marie Morin est précieux car il est représentatif de la première génération liée par leur naissance au pays, comme son frère aîné, le premier prêtre canadien autochtone. Elle exprime donc mieux et façon plus immédiate l'horizon canadien. Marguerite Bourgeoys (1620-1700) - institutrice, mémorialiste et fondatrice des Soeurs de la Congrégation de Notre-Dame, née à Troyes. Entrée en religion (Congréganistes de Troyes), elle a pour supérieure Louise de Chomedey de Sainte-Marie, soeur de Paul de Maisonneuve qui, de passage Troyes, la persuade de l'accompagner à Ville-Marie - Montréal où elle arrive en 1653. C'est l qu'elle organise une première école pour les jeunes filles et, plus tard, d'autres écoles-missions, en territoire indien. D'origine algonquine, Marie-Thérèse Cannensaquaa, et une Iroquoise, Marie-Barbe Atontinon, sont les deux soeurs indigènes formées par Marguerite Bourgeoys. Vers la fin de sa vie elle rédige ses mémoires: Les Écrits de mère Bourgeoys (publiés en 1964). Marie-Andrée Duplessis de Sainte-Hélène (1687-1760) est une religieuse qui, à 15 ans, arrive de France à Québec où elle travaille à l'Hôtel-Dieu. Les Annales de l'Hôtel-Dieu de Québec raconte l'histoire de la communauté des Soeurs Hospitalières de 1636 à 1716. À la différence de Marie Morin, Duplessis est plus ouverte à la sensibilité mondaine. Louis-Armand de Lom d'Arce de Lahontan (1666-1715) - aventurier, soldat, explorateur, issu d'une famille illustre de barons occitans, il vient au Canada à l'âge de 17 ans. Entre 1683 et 1693, il parcourt le continent en participant à des expéditions militaires, d'exploration ou de chasse. Il apprend les langues locales, il apprécie la civilisation indienne. Il doit quitter le pays pour échapper au mandat d'arrêt émis contre lui. Il voyage en Europe avant de publier, en 1703, à La Haye, trois ouvrages qui sont devenus une source d'information sur le nouveau continent non moins importante et populaire que les Relations des Jésuites: Les Nouveaux voyages de M. Baron de Lahontan dans l'Amérique septentrionale Les Mémoires de l'Amérique septentrionale Les Dialogues curieux entre l'auteur et un sauvage de bon sens qui a voyagé L'oeuvre de Lahontan, qui a été aussitôt traduite en plusieurs langues. Les Dialogues entre Lahontan et le Huron Adario, qui ont connu 13 éditions en 14 ans, sont une première mise en question de la perspective Aeuropéenne@. Cette contestation de la civilisation européenne, exprimée par la voix que Lahontan prête à un personnage indien, a inspiré Voltaire, Swift, Diderot, Rousseau. Lahontan est le précurseur du concept du bon sauvage. Pierre Boucher (1622-1717) - sieur de Grobois, lieutenant, juge royal, gouverneur de Trois-Rivières, fondateur de la seigneurie de Boucherville. Arrivé au Canada à l'âge de 13 ans en 1635, il s'engage pleinement dans l'aventure évangélisatrice et coloniale en devenant l'homme d'action et une des personnalités éminentes de la Nouvelle-France et en s'identifiant avec le Nouveau Monde. Son Histoire véritable et naturelle des moeurs et productions du pays de la Nouvelle-France vulgairement dit le Canada (1664, Paris) exprime déjà un point de vue canadien. La decription du Canada et de ses ressources naturelles, en plus de la fonction informative, est une sorte d'invitation propagandiste à la colonisation. Le 18^e siècle voit l'apparition d'une vie de société dans les deux centres de la colonie française - à Québec et à Montréal. D'une part, la situation démographique s'améliore: la colonie comptera près de 70.000 habitants au moment de la conquête anglaise. D'autre part, les élites sociales veulent recréer, dans les conditions coloniales, l'ambiance à laquelle elles s'étaient habituées en Europe. Les premières tentatives de la vie de société apparaissent toutefois dès le siècle précédent. Elles concernent le théâtre comme nous l'avons vu à propos du théâtre de Neptune de Marc Lescarbot. En 1646, on donne, au magasin de la compagnie des Cent-Associés à Québec Le Cid de Corneille. Plusieurs autres pièces de Corneille sont jouées entre 1646 et 1694. En 1694, un conflit oppose le gouverneur Frontenac à l'évêque de Québec M^gr de Saint-Vallier qui interdit, par un mandement, Le Tartuffe de Molière. L'affaire se termine sur la grand-place de Québec où l'évêque rencontrant le gouverneur le prie d'obéir en lui offrant comme dédommagement 100 pistoles. Même blâmé pour avoir accepté ce pot-de-vin, Frontenac fait annuler le spectacle. Cette victoire de l'Église pèsera néanmoins sur la situation ultérieure, marquée par l'influence de la censure ecclésiatique sur la vie culturelle en général. L'emprise de l'Église catholique sur la société et la culture va se renforcer encore après la victoire anglaise. Mutatis mutandis, elle reste un des traits plus ou moins apparents de la vie franco-canadienne en général. Le théâtre restera cependant une des composantes de la vie culturelle du Canada. Un art provincial fait son apparition. Il faut mentionner les sculpteurs en bois Jacques Leblond de Latour (1671-1715) et François-Noël Levasseur (1703-1794), le peintre Claude François, dit AFrère Luc@ (1614-1685), ou l'orfèvre François Ranvoyzé (1739-1819). Tous sont les représentants du style baroque qui influence aussi le style colonial de l'ameublement. II. Rupture politique et culturelle (1760-1837) La période s'insère entre la conquête anglaise qui trasforme la Nouvelle-France en 15^e colonie anglaise en Amérique du Nord, et le soulèvement des patriotes qui marque le point culminant de la prise de conscience d'une nouvelle classe libérale francophone, porteuse d'une nouvelle identité. La rupture qui suit la défaite sur les Plaines d'Abraham et les clauses du Traité de Paris en 1763, est radicale: les élites - seigneurs, gros négociants, administrateurs, militaires et lettrés - quittent le pays pour rentrer en France. Les membres du clergé et de la noblesse qui choisissent de rester cherchent un compromis avec la Couronne britannique, assuré en matière religieuse et juridique par l'Acte de Québec (1774) et l'Acte Constitutionnel (1791). Toutefois, les Anglais prennent rapidement les léviers de l'économie et de l'administration. Leur nombre s'accroît par la présence de l'armée et des Aloyalistes@ refluant des États-Unis. La position de la culture française et du français décline rapidement. Le manque des élites est accentué par la détérioration de l'enseignement. Le collège des jésuites de Québec est fermé en 1759, le séminaire de Québec interromp ses cours entre 1757 et 1765, le collège de Montréal ne dispense un eseignement complet qu'à partir 1790. De plus, l'Église catholique, de peur de voir lui échapper un secteur qu'elle veut maintenir sous son contrôle, s'oppose longtemps aux tentatives de réforme de l'enseignement que l'administration anglaise désire réaliser (1789, 1801). L'analphabétisme augmente, surtout dans les campagnes. L'image du paysan québécois inculte, illetré et soumis à l'autorité du curé, persistera jusqu'au 20^e siècle et ne sera balayé, définitivement, que par la ARévolution tranquille@. Encore en 1839, dans son Report on the Affair of British North America, lord Durham constate: AOn ne peut guère concevoir de nationalité plus dépourvue de tout ce qui peut vivifier et élever un peuple que les descendants des Français dans le Bas-Canada, du fait qu'ils ont gardé leur langue, et leurs coutumes particulières. C'est un peuple sans histoire et sans littérature.@ Le clergé sort renforcé du compromis avec les Anglais. Il est le seul élément francophone organisé institutionnellement. Désormais, la foi catholique et la francité ne feront qu'un au Québec. Le clergé devient le porteur de l'identité nationale québécoise et le foyer des élites nationales. L'importance du clergé a des conséquences positives (organisation, omniprésence), mais aussi négatives. Le clergé français qui accueille dans ses rangs un grand nombre de prêtres royalistes réfugiés au Québec après la Révolution française, est un clergé conservateur. Sa mainmise sur le secteur social (hospices, écoles) et culturel pèsera lourd dans l'évolution de la littérature canadienne francophone. Suite au compromis avec le pouvoir anglais, l'Église catholique ne commence développer l'enseignement secondaire - sept collèges entre 1803 et 1832 - et plus tard primaire - écoles de Afabrique@, sous le contrôle de conseils paroissiaux (dès 1824). Les écoles laïques, dites de Asyndics@, sous le contrôle de l'administration communale n'apparaîtront qu'à partir de 1829. Ce sont les collèges qui forment les nouvelles élites - médecins, juristes, notaires, journalistes, traducteurs qui seront les porteurs de la nouvelle identité - libérale - en 1837 et plus tard. La vie publique est dominée par les Anglais qui forment bientôt la population culturellement majoritaire des deux grandes villes Québec et Montréal. La culture française est repoussée vers les campagnes, dans les couches populaires. La richesse et la qualité de la tradition orale française est un élément important dans la survie de la culture nationale: chansons, berceuses, ballades, complaintes, contes. Le Canada a non seulement conservé un partie du folklore français européen, il l'a encore enrichi de ses éléments propres (couple antithétique curé-diable; éléments de l'histoire nationale). La présence des Anglais a toutefois des aspects positifs, stimulateurs. Ils représentent la modernité à laquelle les francophones sont obligés de s'adapter. Leur dominantion est libérale, imprégnée de germes de démocratie. C'est autour des institutions établies par les Anglais - théâtres, journaux - que la nouvelle culture francophone commence à se définir. Les premiers théâtres s'ouvrent à Montréal en 1804, 1806, 1808, mais leur activité n'est souvent que de courte durée. En 1825 enfin, une grande scène est inaugurée, celle du Royal Theater. Les représentations sont bien sûr anglaises, mais elles sont fréquentées et appréciées par le public bourgeois francophone de Montréal. Des représentations françaises s'organisent: pièces françaises (Molière), mais aussi quelques créations originales, comme celles de Joseph Quesnel (1749-1809), un Français de Saint-Malo naturalisé Canadien grâce à son amitié avec le gouverneur anglais et qui s'installe à Boucherville où il décède en 1809. Joseph Quesnel est l'auteur d'un Traité de l'art dramatique et de 5 pièces dont il faut citer au moins deux: Colas et Colinette, comédie-vaudeville jouée et publiée en 1790, et surtout un court divertissement L'Anglomanie ou le dîner à l'anglaise de 1802 où, sur le mode du Bourgeois gentilhomme, il raille la nouvelle anglomanie des élites françaises fraîches écloses qui veulent s'insérer dans l'administration coloniale anglaise. L'intrigue se joue autour de la visite du gouverneur et de Milady chez M. Primembourg qui ne sait pas quel menu composer, qui inviter, quelle vaisselle choisir pour honorer ses invités: faut-il rester Français ou bien repecter les coutumes anglaises. Il est partagé entre les conseils de son gendre, fonctionnaire sottement soumis au nouveau régime, et ceux de sa mère qui représente la bonne simplicité familiale, de souche française. Ce tableau d'époque met en scène, sous forme amusante, un problème crucial et qui sera repris, forcément, plusieurs fois par la suite: celui de l'entente et de la vie en commun avec les Anglais dominateurs (cf. Jacques Ferron, La Tête du Roi). Quesnel prêche encore la bonne entente des deux Apeuples fondateurs@ du Canada. Vu la forte présence anglaise dans les villes, il n'est pas étonnant de constater que le premier journal où paraissent les textes français est un journal bilingue The Quebec Gazette/La Gazette de Québec, fondé en 1764 par deux Américains venus de Philadelphie - William Brown et Thomas Gilmore. C'est un journal officiel dont l'orientation change selon la politique du moment. Bientôt les journaux en français font leur apparition: La Gazette littéraire (1788), organe de l'Académie de Montréal, et comme elle d'inspiration libérale, voltairienne; Le Canadien (1806- 1899; suspendu entre 1825-1831), organe du parti politique patriotique éponyme; La Minerve (1826), journal qui remplace Le Canadien au moment de sa suspension. Le journalisme est non seulement une école politique pour les jeunes élites libérales et souvent anticléricales, mais également une tribunes littéraires. Parmi les grands journalistes, il faut citer Étienne Parent (1802-1874), animateur du Canadien et l'avocat et excellent orateur Joseph-Louis Papineau (1786-1871). III. Réveil culturel et littéraire (1837-1930) L'année 1837 est un moment de crise. Le malaise qui la provoque a plusieurs sources. Dans la partie anglophone - le Haut-Canada (la future province d'Ontario) - il s'agit avant tout des revendications démocratiques (le AReform Party@ avec, en tête, William Lyon Mackenzie et William et Robert Baldwin), dans le Bas-Canada, le mécontentement est exprimé par les jeunes de la nouvelle élite libérale (notaires, avocats, médecins) qui réclament, au nom de la population francophone, plus de participation à l'exercice du pouvoir politique et économique. Le Parti Canadien (1806) devenu le Parti Patriote tente par la voix de Joseph-Louis Papineau (1802-1874), d'Étienne Parent (1786-1871), de Louis-Hippolyte Lafontaine (1807-1864) d'obtenir des concessions par la voie parlementaire. Le mouvement se radicalise jusqu'à la révolte armée (novembre 1837; bataille de Saint-Denis), vite réprimée. La conséquence en est la mission du lord John George Durham et son fameux Report on the Affairs of British North America (1839) qui servira de point de départ de la démocratisation et de la décolonisation progressive du Canada. De l'Acte d'Union en 1840 on s'achemine à la création de la Confédération Canadienne (Acte de l'Amérique du Nord) en 1867. La société canadienne française et sa culture sont désormais exposées à des facteurs qui d'un côté menacent et compromettent l'identité nationale, mais qui peuvent tout aussi bien la stimuler. Parmi les facteurs négatifs il faut compter la volonté du gouvernement britannique d'assimiler la population francophone. Le statut du français comme langue officielle et la parité des sièges à l'Assemblée législative ne seront obtenus qu'en 1848. Le combat linguistique et culturel réapparaîtra au moment de l'élargissement de la Confédération (soulèvements de Louis-David Riel, question du Manitoba et du Saskatchewan en 1879-80 et 1884-85) et lors des débats sur les réformes scolaires (Manitoba en 1916). Il faut y ajouter la pression économique de l'économie libérale qui joue constamment en faveur de la domination de la langue la plus utile - l'anglais qui représente l'instrument obligé de chacun qui aspire à une carrière. Tous ces facteurs fortifient, chez les francophones, les tendances au repli, à l'enfermement. Dans le contexte canadien cela signifie le renforcement du rôle de l'Église catholique francophone et de son emprise sur la culture. Les facteurs positifs sont les principes modernes que les réformes politiques introduisent: libertés civiles, droits individuels, laïcité. Les ouvertures de la société moderne sont autant des menaces que des défis. Ces tendances modernistes dans la culture ne pourront se manifester que progressivement, à mesure que se constituera un public urbain francophone cultivé, assez nombreux, au sein de la nouvelle bourgeoisie libérale, pour contrebalancer le poids de la masse paysanne dominée par l'Église. Ce n'est que l'alliance des libéraux anglophones et francophones et l'insertion des élites francophones dans le nouveau système économique et administratif du Canada qui sanctionnera, définitivement, la victoire de ses tendances progressistes (sir Wilfrid Laurier, premier ministre de 1896-1911, d'origine francophone). Le poids du clergé, après la défaite des Patriotes en 1837, augmente, car l'Église catholique est, de nouveau, l'interlocuteur tout désigné entre le vainqueur et les vaincus: elle contrôle, directement ou indirectement, tous les niveaux du système d'éducation, elle veille à la pureté des moeurs et de la langue en proposant - tel un agent d'homogénéisation et de sacralisation - un projet à la fois moral et culturel du peuple élu à la souffrance du travail dans la tâche de la conquête des nouvelles terres (colonisation), à l'humilité devant les autorités, à la sauvegarde des vertus chrétiennes, catholiques. Le clergé oriente la littérature vers un discours pédagogique, moralisant. Il s'opose toutes les tendances littéraires novatrices, tel le roman, jugé pernicieux car incarnant l'aventure individuelle, l'indépendance sentimentale, l'amour, bref le péché. Un journaliste de L'Opinion publique résume, en 1879, la situation: ALes peuples honnêtes n'ont pas de romans@. L'Abbé Henri-Raymond Casgrain (1831-1904), grand animateur des lettres canadiennes-françaises, définit, dans Le Mouvement littéraire en Canada (1866) la mission de la littérature qui doit être Aessentiellement croyante et religieuse@. L'Université Laval, fondée en 1852, représente en fait une extension du séminaire de Québec. Le clergé, qui fournit la meilleure part des élites, participe à la formulation des projets littéraires de la Société historique de Montréal (fondée en 1858) et de l'École patriotique de Québec (Joseph-Charles Taché, Henri-Raymond Casgrain, Antoine-Gérin-Lajoie, Hubert La Rue, Octave Crémazie) qui cristallise autour de deux revues - Les Soirées canadiennes (1861) et Le Foyer canadien (1863). Le pôle laïque se constitue notamment autour de l'Institut canadien, fondé à Montréal en 1844. Les batailles les plus rudes se déroulent par la presse interposée. Le représentant des tendances libérales est avant tout le journaliste et essayiste Joseph-Marie-Arthur Buies (1840-1901) auteur de Lettres sur le Canada (1864, 1967, 1884) et de Chroniques (1873). Le centre libéral de Montréal voit, dans les années 1890, la création de l'École littéraire de Montréal (Alphonse Beauregard, Jean Charbonneau, Albert Lozeau, Émile Nelligan). La nouvelle littérature canadienne francophone se définira, progressivement, au sein de la tension dynamique créée par les deux pôles. Une attention particulière doit être consacrée au genre historique, au roman et à la poésie. Histoire Le genre historique fournit un cadre propice à l'auto-réflexion et à la définition de la nouvelle place que la collectivité francophone cherche dans la nouvelle conjoncture historique. Les grandes lignes de la nouvelle mission nationale ont été formulées par François-Xavier Garneau (1809-1866). Issu d'une famille pauvre, quoique de vieille souche poitevine installée au Canada depuis le 17^e siècle, le futur historien ne peut s'instruire qu'en autodidacte en travaillant dans le bureau d'étude notariale d'Archibald Campbell, un Écossais, mécène des beaux-arts et membre de la Literary and Historical Society of Quebec. Son instruction s'achève au cours des voyages aux États-Unis, en Agleterre et en France, dans les années 1830. Il publie des poésies dans les journaux, il est lui-même journaliste. La rédaction de L'Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours (1845-1852, 4 tomes) est aussi une réaction à la nouvelle situation due à la défaite des Patriotes et à la nouvelle constitution (Acte d'Union) de 1840 qui menaçait l'ethnie française de disparition. Si l'inspiration française par Jules Michelet ou Adolphe Thiers est patente, il n'en est pas moins vrai que Garneau a su créer l'image à la fois moderne, libérale, mais aussi tragique et héroïque de la destinée de son peuple. L'aspect moral et l'appel à rester Afidèles à eux-mêmes@ sont devenus les éléments importants du nouveau discours identitaire dont l'oeuvre de Garneau a posé la base. Parmi les autres historiens, importants pour l'évolution des lettres, il convient de citer Michel Bibaud (1782-1857) dont l'Histoire du Canada sous la domination française (1844) résonne d'accents patriotiques. L'épisode rapportant le conflit entre le fils et le père Latour, reprise à Nicolas Denys, constituera l'intrigue de la première tragédie canadienne d'Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882) Le Jeune Latour (1844). Jean-Baptiste-Antoine Ferland (1805-1865) représente le pôle catholique, non laïque, de l'historiographie canadienne francophone. Orphelin de père, il accède à l'instruction grâce l'aide de l'abbé Rémi Gaulin. Embrassant la carrière ecclésiastique, il devient enseignant dans différents collèges avant d'être nommé, en 1855, professeur d'histoire à l'Université Laval. Son Cours d'histoire du Canada (1861-1865, 2 tomes), mieux documenté et plus riches en détails sans doute que l'oeuvre de Garneau, s'avère moins synthétique. L'histoire du pays y est conçue essentiellement comme un héritage à préserver par l'adhésion aux principes catholiques. Roman Le genre romanesque exploite trois sources d'inspiration: le folkore, l'histoire et l'expérience contemporaine. Les trois sources sont souvent mêlées comme le montre l'exemple de deux auteurs, père et fils, Philippe-Joseph Aubert de Gaspé (1786-1871) et Philippe-Ignace-François Aubert de Gaspé (114-1841). À Philippe Aubert de Gaspé fils revient le prestige du premier romancier francophone du Canada. Jeune journaliste turbulant, en conflit avec la Chambre des députés et Louis-Joseph Papineau, cet aristocrate doit se réfugier en 1836 au manoir de son père où il redige L'Influence d'un livre (1840). L'intrigue, comme l'auteur précise, est puisée dans la réalité - les expériences de la magie noire d'un habitant extravaguant qui, sous l'influence des Secrets du Petit Albert, se met en quête des trésors cachés. Le développement de cette thématique Agothique@ donne lieu, cependant, à une composition relâchée où entrent, sous formes de récits, des éléments folkloriques comme les chapitres AL'Étranger@ ou AL'Homme de Labrador@, le premier étant attribué à la collaboration de Philippe Aubert de Gaspé père. Le livre est mal reçu par la critique de l'époque. L'auteur, obligé de quitter la demeure paternelle après l'arrestation du père, trouve refuge à Halifax chez Thomas Pyke qui l'emploie comme rapporteur à la Chambre des députés de la Nouvelle-Écosse. Malade, il meurt à 27 ans. Philippe Aubert de Gaspé père a eu lui aussi une vie mouvementée. Descendant d'une famille illustre arrivée en Nouvelle-France en 1655 il est apparenté aux plus illustres familles de l'époque (Alison, de Lanaudière). Les études de droit le portent à la carrrière publique où il se montre très actif: membre de la première société littéraire de Québec, membre fondateur de la Banque de Québec (1809), capitaine du premier bataillon de la ville de Québec, intéressé à la vie sportive. En 1816, il devient sherif du district de Québec: mauvais administrateur, il doit se retirer, ruiné, au manoir hérité de sa mère à Saint-Jean-Port-Joli où il demeurera une quinzaine d'années. Accusé de détournement de fonds, il est emprisonné de 1838 à 1841. Ce n'est que plus tard qu'il renouera avec la vie culturelle de Québec en participant aux rencontres du Club des Anciens. Conteur admiré, il est encouragé à rédiger un livre. La publication des Anciens Canadiens (1863) et des Mémoires (1866) lui vaut la faveur du public qui pouvait apprécier sans doute la formule patriotique de l'intrigue sentimentale: l'amitié de Jules d'Haberville, un Français canadien, et de l'Écossais Archibald Cameron de Locheill que l'histoire oppose au champ de bataille, mais qui se retrouvent après la guerre propriétaires des domaines voisins. Alors que Jules épouse la soeur d'Archibald, celui-ci se heurte au refus patriotique de Blanche d'Haberville, digne descendante des héroïnes cornéliennes. Le récit, campé dans la récente histoire du Canada et reflétant un aspect important du débat identitaire, ne constitue pas le seul intérêt du livre. Si l'éloge du bon vieux temps, celui du régime seigneurial d'avant la défaite de 1760, s'engage sur la pente nostalgique qui sera suivie plus tard par Napoléon Bourassa (1827-1916) ou par Joseph Marmette (1844-1895), il ne représente pas la richesse véritable de l'oeuvre. L'auteur, excellent conteur, décrit les meurs et les habitudes de la campagne, reproduit le folklore canadien, reprend la veine narratrice des conteurs populaires, ménage une place au récit des aventures vécues par l'homme au sein de la nature canadienne. Pierre-Georges-Prévost Boucher de Boucherville (1814-1894), issu d'une des plus illustres familles canadiennes, avocat de formation, il se consacre à la politique dans la mouvance du Parti Patriote: secrétaire de l'association Ales Fils de la Liberté@, il sera emprisonné par le pouvoir anglais après la révolte des patriotes, avant de s'exiler en Louisiane. Revenu au Canada, il poursuit la carrière politique, administrative (greffier du Conseil exécutif de la province de Québec en 1867), scientifique (économie) et littéraire. Publié d'abord en feuilleton (1849-1851), le roman Une de perdue, deux de trouvées (1864-1865) combine le schéma du roman gothique, du roman d'aventures et du roman politique. L'action se situe en Louisiane, aux Caraïbes pour la première partie, et au Canada ensuite où l'actualité politique - la révolte des Patriotes - constitue la toile de fond de la quête de la parenté perdue du protagoniste. Les prises de position libérales de l'auteur se traduisent par les sympathies exprimées à l'égard des esclaves révoltés et des Patriotes conspirateurs. Napoléon Bourassa (1827-1916), peintre par sa formation, retrace dans son roman historique Jacques et Marie (1866) le Agrand dérangement@ de 1755 dont avait été frappée son Acadie natale. Joseph-Étienne-Eugène Marmette (1844-1895) combine la verve d'Alexandre Dumas et le goût de l'aventure de Fenimore Cooper: Charles et Eva (1866-67), François de Bienville, scènes de la vie canadienne du XVII^e siècle (1870), L'Intendant Bigot (1871), Le Chevalier de Mornac (1873), Le Tomahawk et l'épée (1877). À côté du roman historique, une autre veine narrative, inspirée par le présent, affirme de plus en plus sa présence. Un des premiers à aborder cette thématique a été Pierre-Joseph-Olivier Chauveau (1820-1890). Après de remarquables études, il devient avocat, puis homme politique qui tout au long de sa vie n'a cessé de cumuler diverses fonctions et charges publiques: député, ministre, président du Sénat. Lecteur passionné de Balzac, il veut donner à la littérature canadienne française une oeuvre qui soit une description scentifique de la société. Le roman Charles Guérin (1846-47) apporte une analyse pertinente de la situation de crise que la société québécoise a traversé de 1830 à 1832. L'éducation sentimentale du protagoniste est accompagnée du dilemme lié au choix d'une carrière. Le constat est triste: les jeunes élites francophones n'ont que quatre voies possibles: avocature, notariat, médecine ou prêtrise. Que faire, comment échapper à la cage de cet horizon bouché? Le seul salut possible est l'engagement à la campagne. Le roman, pessimiste, cerne la problématique en partant des positions libérales de l'auteur. La même solution figure également sous forme d'un projet social Aclérical@, formulé par le roman du terroir. Un des premiers représentants de cette tendance est Joseph-Patrice-Truillier Lacombe (1807-1863) dont le roman La Terre paternelle (1846) apporte un schéma typologique qui fera fortune: le père accroché à sa terre, la mère fidèle à son devoir social et religieux, un des fils aventurier, l'autre attaché à la tradition familiale, le problème de la transmission de l'héritage aux enfants, le malheur de la vie urbaine opposé au seul salut possible qu'est une vie ordonnée la campagne. Sinon, la déchéance guette. Cette thématique a été enrichie par Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882) par le projet de colonisation des territoires vierges. Le héros romanesque de Gérin-Lajoie - Jean Rivard lui aussi se retrouve devant le dilemme du choix d'une carrière. Conseillé par le prêtre de son village il embrasse la mission de défricheur dans le canton de Bristol. Autour de sa ferme, une église, puis un village surgissent, il se marie, devient maire, plus tard député. La population québécoise s'accroît en évitant la misère et la perdition des villes. Les deux romans Jean Rivard, le défricheur canadien (1862) et Jean Rivard économiste (1864) joignent la méfiance envers la vie urbaine, anglaise, étrangère, à l'idéal de la fidélité aux racines nationales-paysannes, à la foi catholique et à la mission-aventure civilisatrice. Le patriotisme de Gérin-Lajoie découle de ses origines familiales remontant aux premiers colons de Trois-Rivières (1646) et à son grand-père surnommé Lajoie, soldat de l'armée royale française. Ce patriotisme trouve son expression romantique dans la chanson devenue vite célèbre AUn canadien errant@ et sa forme cornélienne dans la première tragédie canadienne française Le Jeune Latour (1844). Le 19^e siècle canadien ne se dégage que progressivement de l'étreinte du roman historique et du roman du terroir. Deux points de repère apparaissent dans ce cheminement. Le premier est le roman Angéline de Montbrun (1882-1882; 1884) de Laure Conan (1845-1924), l'autre et Maria Chapdelaine (1914; 1916) de Louis Hémon (1880-1913). Laure Conan (1845-1924) est le pseudonyme de Marie-Louise-Félicité Angers. Angéline de Montbrun, un roman en partie épistolaire, en partie rédigé sous forme de journal intime, est l'histoire d'un drame personnel (avec un fonds autobiographique) où l'analyse des sentiments, par la sincérité des aveux, a choqué l'opinion de l'époque. Si, pour son aspect sentimental, le roman est encore redevable à la poétique romantique, l'intrigue et la mise en scène du drame intime anticipent l'écriture autobiographique du 20^e siècle. La critique psychocritique y découvre le drame d'un amour incestueux ou homosexuel. Raisonnée par la critique littéraire de l'époque, en grande partie dominée par l'esprit clérical (abbé Casgrain), Laure Conan ne produira plus guère que des romans historiques retraçant les grands moments du passé canadien français: À l'oeuvre et à l'épreuve (1891), Jeanne le Ber, l'adoratrice de Jésus-Hostie (1910), Louis Hébert, premier colon du Canada (1912), Philippe Gaultier de Comporté, premier seigneur de la Malbaie (1917). Louis Hémon (1880-1913) est né à Brest, dans une famille d'intellectuels qu'il fuiera après de brillantes études (droit, licence de langues orientales vivantes). De 1902 à 1911, il s'installe à Londres qui lui inspirera plusieurs romans et récits où la problématique sociale ou politique se fondent avec la thématique sportive ou psychologique: Battling Malone, pugiliste (1925), Monsieur Ripois et la Némésis (1950), Colin Maillard (1924), Nouvelles londoniennes (1991). De Londres, il passe au Canada où il vit de plusieurs métiers dont celui d'ouvier agricole dans la région du Lac Saint-Jean. Avant de périr dans un accident de train, il rédige l'oeuvre classique de la littérature canadienne française - le roman Maria Chapdelaine. Au delà de la typologie des protagonistes - prétendants de la belle Maria Chapdelaine (coureur de bois, ouvrier émigré aux États-Unis, paysan-défricheur sédentaire), le roman frappe par la grandeur épique des destinées humaines et la vision poétisante de l'austère campagne canadienne, sublimé dans le caractère de Maria. Les traits typologiques deviennent symboles dans lesquels les Canadiens francophones se sont reconnus. Le chef-d'oeuvre de Louis Hémon a transformé le roman du terroir en lui imprimant une nouvelle direction, tout en assurant la survie de la thématique rurale jusqu'aux années 1940. C'est en 1909 que l'École littéraire de Montréal fonde la revue Le Terroir. Poésie La poésie qui, à la moitié du 19^e siècle encore, reste à la marge de la dynamique litéraire, devient un des grands enjeux de l'évolution littéraire avec l'apparition des premiers grands poètes au tournant du 20^e siècle. La situation périphérique de la culture canadienne française est une des causes du retard qui frappe la manifestation des nouvelles tendances esthétiques. La sensibilité romantique ne s'impose pleinement qu'après 1850, les autres tendances - l'art pour l'art, le parnassisme, le symbolisme, la décadence - ne pénètrent au Canada français que vers 1900. Toutefois le mouvement s'accélère et la poésie québécoise rattrape le retard, comble vite les lacunes. Elle est secondée par le caractère intégrateur de la sensibilité esthétique du tournant du siècle ce qui permet, comme d'ailleurs à la poésie belge de la même période, d'accéder à la nouvelle modernité au sein de laquelle la présence des éléments "retardateurs" - n'est plus perçue comme une tare, mais un des aspects de la nouvelle synthèse. Avec la décadence et le symbolisme, la poésie, la poésie canadienne française se retrouve de plain-pied avec les grand mouvement esthétiques de l'époque tout en résorbant et son propre passé et les influences décisives, françaises notamment, depuis Lamartine, Musset ou Hugo, jusqu'à Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. Toutefois, l'idée de la grande poésie oratoire, patriotique, au service de la collectivité, n'est pas éteinte. C'est là que l'héroïsme baroquisant ou bien les tons élégiaques ou idylliques typiques du préromantisme continuent à résonner pour seconder le sentiment nationaliste romantique. Un des représentants de cette poésie est Louis-Honoré Fréchette (16.11. 1839 Lévis - 31.5. 1908 Montréal), journaliste, homme politique, poète et dramaturge qui s'est plu à se styliser dans le rôle d'un Victor Hugo canadien. Il a exalté le sentiment patriotique dans ses drames Papineau (1880) et Le Retour d'un exilé (1880) aussi bien que dans ses poésies La Voix d'un exilé. Poésies canadiennes (1869) et La Légende d'un peuple (1887). Très appréciées à son époque, ces oeuvres cèdent aujourd'hui devant l'intérêt suscité par ses proses: Originaux et Détraqués (1892), La Noël au Canada (1900), Mémoires intimes (1961). Proche de Fréchette par son patriotisme, quoique sur un mode mineur, est le poète Léon-Pamphile Le May (1837-1918), auteur des Vengeances. Poème canadien (1875). La veine poétique "lamartinienne" de Le May et sa sensibilité à la nature trouvent cependant leur meilleure expression dans les tons plus personnels des reueils comme Essais poétiques (1865), Les Épis (1914) et Les Reflets d'antan (1916). Ses romans ou ses pièces de théâtre sont de nos jours presque oubliés. La charnière du patriotisme et de la nouvelle sensibilité romantique et individualiste est un des aspects de la personnalité d'Octave Crémazie (16.4. 1827 Québec - 16.1. 1879 Le Havre). La librarie que lui et son frère Joseph ont fondé en 1844 à Québec est devenue pour 18 ans le centre de la vie littéraire francophone: importateur des livres français les plus récents, Crémazie devient un des agents les plus importants de la modernité esthétique. C'est dans l'arrière-boutique de la librairie de Crémazie que se réunissent les membres de l'École patriotique de Québec qui publiera plus tard les revues Les Soirées canadiennes et Le Foyer canadien. À la suite de la banqueroute, survenue en 1862, Crémazie doit s'exiler en France où il meurt en pauvreté. Sous les accents patriotiques, la poésie de Crémazie cèle une âme romantique sombre et déchirée. Bien que les 34 poèmes de Crémazie, tels membra disiecta, n'aient jamais constitué un recueil, ils représentent les premiers pas de la poésie canadienne francophone vers la modernité: AChant du vieux soldat canadien@, ALes Morts@, APromenade des trois morts@. Crémazie s'est révélé également un observateur lucide de la vie littéraire. Les lettres envoyées de France à son ami l'abbé Henri-Raymond Casgrain offrent un regard très critique de la situation canadienne: son caractère périphérique, sa marginalité, son public Aépicier@. L'essor de la poésie canadienne française ne vient qu'à la fin du 19^e siècle au moment où les tendances modernistes entrent en syntonie avec la nouvelle sensibilité individualiste qui se développe, notamment, en milieu urbain. C'est Montréal qui prend la relève de Québec comme capitale de la vie culturelle. Après l'Institut canadien (1844), devenu un des premiers points de ralliement des éléments libéraux, modernistes, Montréal assiste, en 1895, à la fondation de l'École littéraire de Montréal qui rassemble les écrivains, les peintres et les journaliste et qui, à partir de 1899 propose des séances de lectures publiques au château de Ramezay, dans le viex Montréal. Parmi les fondateurs, on trouve surtout le journaliste et critique Louvigny de Montigny (1876-1955), le poète Jean Charbonneau (1875-1969), le peintre Charles Gill (1871-1918). D'autres poètes rejoindront le mouvement ou y seront assimilés Alphonse Beauregard (1891-1924), secrétaire puis président du mouvement, René Chopin (1885-1953), Albert Lozeau (1878-1924), Alfred Garneau (1836-1904) et Émile Nelligan (1879-1941). L'École littéraire de Montréal ouvre la voie du modernisme et de l'ouverture aux mouvements esthétique internationaux - Parnasse, symbolisme, décadence. Jean Charbonneau (1875 Montréal - 1969 Saint-Eustache), poète, dramaturge et essayiste, reflète, dans sa poésie, les sentiments décadents du mal de vivre: Les Blessures (1912), L'Âge de Sang (1921). Alphonse Beauregard (5.1. 1881 La Patrie - 15.1. 1924 Montréal) est un poète plutôt méditatif - Les Forces (1912), Les Alternances (1921). - de même que René Chopin (2.4. 1885 Sault-au-Récollet - 28.6. 1953 Montréal), auteur des recueils exprimant l'angoisse existentielle: Le Coeur en exil (1913), Dominantes (1933). Celle-ci se manifeste également dans les vers d'un poète injustement oublié - Alfred Garneau (1936-1904), fils de l'historien et grand-oncle du poète Hector de Saint-Denys Garneau. Ses Poésies ont été publiés à tittre posthume en 1906. La poésie fragile d'Albert Lozeau (23.1. 1878 Montréal - 24.3. 1924 Montréal) est une sorte de journal intime du poète cloué par la maladie au lit et condamné à attendre la mort. Dans L'Âme solitaire (1907) et Le Miroir des jours (1912), une puissante charge émotionnelle, retenue, se cache sous les tons intimistes. Émile Nelligan (24.12. 1879 Montréal - 18.11. 1941 Montréal) est dans doute le plus grand poète de la période. Ses dons poétiques, ses modèles (Baudelaire, Verlaine, Rodenbach, Poe), le passimisme désespéré de ses vers, mais aussi le malheur de sa vie privée ont fait de lui l'incarnation du poète maudit. Il a créé la plupart de son oeuvre entre ses 17 et 20 ans, avant d'être interné, en 1899, et jusqu'à la fin de sa vie en 1941, dans un asile d'aliénés mentaux. La poétique du parnassisme et du symbolisme lui a servi pour formuler la version canadienne, originale, du mal de vivre moderne. Ses poèmes ont été recueillis dans le volume Émile Nelligan et son Oeuvre (1903). Parmi les poètes qui ont côtoyé l'École littéraire de Montréal, il en faut signaler deux dont l'oeuvre se place sous le signe du culte de l'art, de la beauté, de la difficulté. Le premier est René Chopin (2.4. 1885 Sault-au-Récollet - 28.6. 1953 Montréal). Étudiant en droit, il rencontre, à l'Université de Montréal, Paul Morin qui l'encourage ses poèmes au National. Devenu notaire, il part pour Paris, où il suit des cours de musique, et pour Rome. De retour au Canada, il pratique le notariat tout publiant ses critiques au Devoir et ses poésies à l'Action, au Nigog, la Revue Moderne. Son oeuvre est succinte, mais touffue et riche: Le Coeur en exil (1913), Dominantes (1933). Les thèmes majeurs: incompréhension, marginalisation du poète, ostracisme, inquiétude, angoisse existentielle. Paul Morin (6. 4. 1889 Montréal - 17. 7. 1963 Beloeil) opère par son oeuvre une importante ouverture thématique de la poésie québécoise. Cet homme cultivé, diplômé de droit et docteur ès lettres (Sorbonne 1912), est tour à tour professeur, avocat, secréatire, traducteur, rédacteur. Il nie les difficultés de la vie par son dandysme qui choque la société étriquée de son temps. La poésie - aux tournures précieuses, subtilement ironiques, aux sujets exotiques qui contrastent avec l'horizon borné des Québécois - est pour lui un terrain de fuite devant le quotidien et les basseses de la vie: Le Paon d'émail (1911), Poèmes de cendre et d'or (1922). Morin est le représentant le plus important de l'art pour l'art canadien français. Guillaume Lahaise (1888 Saint-Hilaire -1969 Montréal), publie sa poésie sous son nom de plume Guy Delahaye. Après des études de médecine à Montréal et à Paris, il se spécialise en psychiatrie. Nommé médecin aliéniste à l'Hôpital Saint-Jean de Dieu, il soignera Nelligan. Après avoir collaboré à plusieurs oeuvres collectives (L'Aube, L''Encéphale), il fonde en 1910 un cercle littéraire - le Soc. Comme son ami René Chopin, il publie deux recueils - Les Phases (1910), Mignonne, alllons voir si la rose (1912) - avant de se tourner vers l'étude de l'hébreu et le mysticisme - L'Unique voie à l'unique but, Immaculée conception (1934). Sa poésie, notamment celle qui prend la forme dialoguée, cherche la prise directe avec la réalité qu'elle élève au niveau symbolique. IV. Sur la voie de la modernité (1930-1960) Avant de passer au domaine littéraire, il convient de rappeler les facteurs externes qui ont contribué à la dynamique culturelle. L'évolution sociale du Canada est étroitement liée son essor économique. Le Canada n'a pas connu l'intensité du développement orageux des années 1920 - les années folles, comme son voisin les États-Unis. La continuité domine, l'espace canadien, trop vaste et moins peuplé, offre toujours encore des possibilités de développement extensif. En effet, la fin du 19^e siècle et le début du 20^e siècle sont caractérisés, à l'ouest, par l'effort de la mise en valeur des prairies et, à l'est, par l'industrialisation qui ne touche davantage que l'Ontario. Au Québec, ce n'est que Montréal qui connaît un véritable développement à l'américaine, l'essentiel de la société québécoise francophone restant toujours encore rattaché à son horizon rural. La véritable rupture ne survient qu'avec la grande crise économique de 1929, aux conséquences catastrophiques. La crise signale la faillite des modèles traditionnels, fait surgir de fortes tensions idéologiques. D'autre part, elle accélère la modernisation de l'industrie et de l'agriculture. Sur le plan social, elle décompose l'ancienne société rurale, elle intensifie l'urbanisation. Sur le plan politique, elle force le gouvernement à adopter de nouvelles approches: participation de l'État et son intervention dans l'économie (new deal) et le domaine social (lois l'assurance-maladie, l'assurance-chômage, retraites, soins médicaux, scolarité). Au Québec, la décomposition du monde rural et l'industrialisation accélérée renforcent, dans un premier temps, jusqu'en 1960, la domination de l'élément anglophone. Pour les masses paysannes, c'est le passage du monde rural - autonome, replié sur ses habitudes et son univers francophone - au monde de la ville où les ouvriers salariés se retrouvent dans une position de subordination face à une classe d'entrepreneurs, en majorité anglo-saxons. La conflictualité sociale est doublée ainsi d'une stratification et d'une hiérachisation socio-linguistiques. Face à cette situation, le gouvernement conservateur du premier ministre québécois Maurice Duplessis (1936-1939; 1944-1959) adopte une attitude de duplicité. Sur le plan économique, il favorise la modernisation accélérée en se comportant en vrai patron autoritaire. Dans les autres domaines, le même autoritarisme joue en faveur de la fermeture sociale et idéologique et de la conservation des valeurs jugées traditionnelles: famille, religion, patrie. La tension crée, à la longue, dans les élites aussi bien dans la population, un climat qui sera caractérisé comme la Agrande noirceur@. Le cadre idéologique de la culture canadienne française a été longtemps dominé par le modèle défini par l'abbé Henri-Raymond Casgrain (Mouvement littéraire en Canada, 1866) qui veut que la littérature canadienne soit Agrave, méditative, spiritualiste, religieuse, évangélisatrice comme nos missionnaires, généreuse comme nos martyrs, énergique et persévérante comme nos pionniers@. C'est la conjonction de la voie religieuse et nationaliste. La voie de la littérature, selon Casgrain, Aest tracé d'avance: elle sera le miroir fidèle de notre petit peuple@. Ce modèle a été indirectement mis en question par l'École littéraire de Montréal. Cependant le poids, à la fois de responsabilité, de fermeture et d'horizon bouché, continuera à peser sur les générations suivantes d'autant plus que les transformations économiques, sociales et culturelles mettront en évidence la caducité de ce cadre idéologique emprisonnant l'individu au sein d'une société étriquée, autoritaire et bornée - celle que Duplessis entendait perpétuer. Le sociologue Fernand Dumont, dans La Vigile de Québec (HMH, Montréal 1970), caractérise la situation de 1930: AAvec une terrible angoisse, la génération de Saint-Denys Garneau a pris conscience qu'elle appartenait à un peuple confronté depuis toujours à son obscurité et incapable de la nommer.@ Revues À défaut d'une structure éditoriale solide autonome, qui pût donner à la littérature canadienne-française une assise indépendante de l'édition française européenne et de l'édition anglophone, la dynamique littéraire trouve son appui principal dans les revues. Les tendances modernistes se manifestent dès la fin du premier conflit mondial qui fut, pour certains intellectuels canadiens-français une occasion de mieux connaître les milieux des avant-gardes européennes. Une revue moderniste importante est fondée en 1918 - Le Nigog. Le titre de la revue est significatif: le terme indien désigne une sorte de harpon, arme et instrument de pêche. La modernité canadienne se veut donc autochtone, imprégnée qu'elle est d'un sentiment d'identité nationale, mais elle se désigne aussi comme une arme tournée contre les conservateurs et un instrument devant apporter la nourriture de l'avenir. L'esprit de modernité se reflète jusque dans la composition de son équipe rédactionnelle qui regroupe les écrivains - Marcel Dugas (1883-1947), Jean-Aubert Loranger (1896-1942), Robert de Roquebrune (1889- ????); les peintres - Fernand Préfontaine, Ozias Leduc; le musicien Léo-Paul Morin. L'aventure du Nigog n'est que de courte durée, car la plupart des artistes ont préféré retourner en France où ils trouvaient une ambiance plus propice à leur épanouissement. Néanmoins leurs activités canadiennes ont soulevé une polémique importante entre les Aexotistes@, comme on les désignait, et les Arégionalistes@ dans les rédactions du Devoir (1910), Du Pays laurentien (1916), Du Terroir (1918), de L'Action française (1917), distincte de celle de Charles Maurras en France, mais proche d'elle par l'esprit de son animateur - le grand historien nationaliste, mais aussi écrivain et essayiste Lionel Groulx (1878-1967). La crise économique ébranle la base de la société canadienne au point d'instaurer la question d'un nouveau contrat social. Le Canada n'évite pas l'influence de l'extrémisme de gauche et de droite. Ce dernier est cependant le plus fort. Héritière d'un nationalisme conservateur, la revue Vivre (1934-1935), fondée à Québec par Jean-Louis Gagnon (1913), attaque, en même temps que les institutions démocratiques et parlementaires, le grand capital international jugé responsable de la crise économique. La revue regroupe les intellectuels nationalistes et compte parmi ses collaborateurs Lionel Groulx et Olivar Asselin (1874-1937). Certains intellectuels se montrent proches des idées maurassiennes, d'autres admirent les fascismes européens et sont partisans d'un État libre, corporatif, sous une direction autocratique. La modernité et le renouveau intellectuels sont toutefois davantage liés à la revue La Relève, fondée en 1934 et devenue La Nouvelle Relève en 1941. La rédaction est animée par le prosateur, romancier et essayiste Robert Charbonneau (3.2. 1911 Montréal - 26.6. 1967 Saint-Jovite). La revue s'inspire du néo-thomisme de Jacques Maritain et du personnalisme d'Emmanuel Mounier qui collaborent à la rédaction. Ce contact direct avec la modernité française se reflète dans la qualité des polémiques, des articles de critique littéraire et de réflexion politique, confiés à de jeunes auteurs comme Anne Hébert (1.8. 1916 Sainte-Catherine-de-Fossambault - 22.1. 2000 Montréal), Roger Lemelin (7. 4. 1919 Québec - 16. 3. 1992 Saint-Augustin-de-Desmaures), Yves Thériault (28.11. 1915 Québec - 20.10. 1983 Joliette). La nouvelle génération admire les auteurs français qui sont perçus comme des chrétiens non-conformistes: Charles Péguy, Georges Bernanos, François Mauriac. La position personnaliste permet d'enrayer le monolithe de la pensée conservatrice, qui fut, au Québec, collectiviste à la fois par son nationalisme et sa foi chrétienne. L'accent est mis désormais sur les valeurs individuelles et sur le dépassement, par le spirituel, du malaise social, conçu comme un avatar temporel (accidens) du malaise existentiel inhérent à la condition humaine (universale). Un essai de Robert Charbonneau Connaissance du personnage (1944) explique les objectifs de la littérature à laquelle il assigne une fonction métaphysique: Aexprimer l'être@, la vérité de l'homme au-delà de son milieu et de son corps. Les nouveaux intellectuels groupés autour de La Relève sont porteurs du nouvel humanisme chrétien formulé notamment par les jésuites. La résonnace de la revue est renforcée par le fait qu'en 1938 une nouvelle faculté, celle des Sciences sociales, est fondée par le Père Georges-Henri Lévesque à l'Université Laval à Québec en 1938. C'est ici que sont formés les économistes, sociologues et les politologues de la Révolution tranquille qui s'imposeront définitivement en 1960. Sur le plan littéraire, La Relève servira de tremplin à la nouvelle génération qui veut briser le carcan idéologique nationaliste et clérical en visant, comme critère dominant, la qualité esthétique. Elle sera aussi le point focal autour duquel cristallisera l'idée d'une littérature canadienne autonome que Robert Charbonneau défendra, dans les poémiques qui dureront de 1946 1947, et que Robert Charbonneau présentera sous forme d'un recueil d'articles intitulé La France et nous (1947). La polémique a opposé essentiellement La Nouvelle Relève aux Lettres françaises, notamment à Georges Duhamel, Jean Cassou, Stanislas Fumet, François Mauriac, Louis Aragon. L'enjeu de la polémique est en partie politique, car on reproche aux Canadiens Français de publier les écrivains français Aépurés@ et collaborateurs comme Pierre Drieu La Rochelle ou Robert Brasillach. L'autre partie de la polémique jette le doute sur la qualité esthétique et l'existence même d'une littérature autonome au Québec, car les auteurs et critiques français sont convaincus que la littérature canadienne francophone n'est qu'une annexe de la littérature française. La querelle sera une occasion pour les Québécois d'affirmer clairement, et sur la scène internationale, leur autonomie institutionnelle et esthétique. La deuxième guerre mondiale a favorisé la situation en ce sens. Les milieux intellectuels canadiens sont renforcés par le retour de ceux qui jusque là avaient préféré l'Europe. La culture canadienne française entre aussi en contact immédiat avec les Français réfugiés soit aux États-Unis, soit au Canada. La guerre, qui a coupé la voie de l'approvisionnement européen en livres, a donné le feu vert aux éditeurs locaux. L'édition canadienne française (Beauchemin, Granger, Fides) se développe en permettant aux auteurs canadiens de mieux s'exprimer, voire de s'imposer sans passer par le tamis parisien. Ce sera l'ascension de Gabrielle Roy, Roger Lemelin, Alain Grandbois, Yves Thériault etc. Le développement de l'édition stimule également le développement de la critique littéraire dans la presse quotidienne qui introduit les pages littéraires - Le Canada (1943), La Tribune (1945), Le Devoir (1948). La critique dans les journaux est en retour un facteur publicitaire puissant qui stimule en retour et la production littéraire et l'impact des revues littéraires spécialisées. Certaines d'entre elles sont directement liées aux maisons d'éditions: Les Idées (1934; Éditions du Totem) d'Albert Pelletier, La Nouvelle Relève (1941; Éditions de l'Arbre), Amérique française (1944; Société des Éditions Pascal), Lectures (1946; Fides). Même si, après 1945, qui marque le retour des éditeurs français sur le marché canadien, plus de douze maisons d'éditions cessent de publier, la situation est désormais irréversible. La littérature canadienne française est institutionnellement autonome. Le fait est confirmé par la continuité des années 1950, inaugurées par l'apparition de la Cité libre, une revue fondée par Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier et qui remplace La Nouvelle Relève (disparue en 1948). La Cité libre hérite des tendances catholiques progressistes formulées par le personnalisme, d'autre par elle insiste sur l'ouverture et la modernisation de la société. En ce sens elle contribue à la pénétration des idées liberales du centre-gauche qui mèneront à la Révolution tranquille. Sa prise de position dans l'affaire de la grève d'Asbestos (1949; article fondamental de Trudeau ALa grève de l'amianthe@ est de 1956) en fait une tribune pour la dénonciation de la Agrande noirceur@ de la politique de Duplessis. Politique et sociologique, la Cité libre jouera moins un rôle littéraire que celui du point de repère dans la prise de conscience des intellectuels canadiens français. Sur le plan littéraire, cette fonction revient à la revue Écrits du Canada français (1954) qui regroupe un large éventail de tendances et d'idées: Robert Élie (1915-1973) et Claude Hurtubise avaient été de la première rédaction de La Relève, Jean-Louis Gagnon avait dirigé Vivre, Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier dirigent la Cité libre, Gilles Marcotte (1925), jusque-là critique au Devoir. L'ouverture d'esprit et la variété de la revue n'est pas son seul avantage. Le principal atout est le rôle d'éditeur que la revue assume en publiant même des textes longs - romans, pièces de théâtre. En cela, elle se rapproche d'une maison d'édition qui est à la fois un groupe de poètes - les Éditions de l'Hexagone (1953). Si le nom reflète le nombre des six fondateurs du groupe, le rôle principal revient à Gaston Miron (8. 1. 1928 Sainte-Agathe-des-Monts - 14. 12. 1996 Montreal) et Olivier Marchand (1928), co-auteurs du recueil Deux sangs (1953). L'Hexagone aura une grande importance, notamment dans le développement de la poésie. Les Écrits du Canada français et l'Hexagone ouvrent la voie aux revues qui ont marqué l'effervescence des années 1960 - les revues Liberté (1959) et Parti pris (1963). Poésie La poésie des années 1930 et 1940 se développe pour une bonne part sous le signe du spiritualisme chrétien, notamment du pesonnalisme. C'est le cas de trois grands esprits créateurs - Alain Grandbois, Hector de Saint-Denys Garneau et Rina Lasnier. La quatrième grande figure poétique Claude Gauvreau, esprit moderniste et tourmenté, sans liens marqués avec la tradition catholique, déborde dans le domaine du théâtre. La transformation de la poésie concerne deux aspects les plus importants: l'application de la versification moderne, c'est-à-dire du vers libre, et la libération de l'imagination. La poésie canadienne française se dégage des règles de la rhétorique qui jusqu'alors constituaient le cadre obligé. Au Québec, plus qu'ailleurs, cette double démarche libératrice contenaient une implication Aidéologique@, celle d'@échapper au contrôle@: de la régularité normative (donc collective) au profit du principe créateur individualisé, de la conscience au profit de l'inconscient, de la morale établie au profit de l'épanouissement individuel. Hector de Saint-Denys Garneau (13.6. 1912 Montréal - 24.10. 1943 Sainte-Catherine-de-Fossambault), poète et peintre, est l'arrière-petit-fils de l'historien François-Xavier Garneau, le neveu du poète Alfred Garneau et le cousin de la grande femme-écrivain Anne Hébert. Après avoir remporté des premiers prix dans des concours de poésie, il fréquente l'École des Beaux-Arts. Atteint d'une lésion au coeur, il doit abbandonner ses études en 1934. La même année, il s'associe à Robert Charbonneau, Paul Beaulieu et Robert Élie, ses amis et condisciples du collège des jésuites, pour fonder La Relève, où il signe des chroniques sur les Beaux-Arts et des articles de critique littéraire (1934-1937). En 1937, il publie Regards et Jeux dans l'espace. Sa période créatrice n'est que de courte durée. Après un séjour de trois semaines à Paris (1937), il se retire, peu à peu dans une solitude aggravée par des crises de dépression. Il vit sa révolte poétique comme une contradiction insoluble, ce dont témoignent son Journal (1954) et sa correspondance - Lettres à ses amis (1967). La publication complète de la poésie de Saint-Denys Garneau est publiée par ses amis Robert Élie et Jean Le Moyne en 1949 - Poésies complètes, après la mort du poète en 1943, retrouvé noyé dans la rivière Jacques-Cartier, près de Sainte-Catherine. Le vers libre qu'il adopte en suivant l'exemple de Jean-Aubert Loranger (1896-1942) frappe par la force des images et la dimension existentielle, cosmogonique. Sous les scènes de l'enfance, elle exprime, également, l'angoisse existentielle, celle d'un autre poète maudit, après Nelligan, de la poésie canadienne française. Conscient de la nouveauté de sa poésie et redoutant les critiques Hector de Saint-Denys Garneau tente de retirer les Regards et Jeux dans l'espace de la vente. Une des grande autorités de la critique universitaire l'abbé Camille Roy traite l'oeuvre d'obscure, d'@inintelligible@, Avaléryenne@ écrite Asans points, ni virgules@, étrangère à l'esprit du français. Le vers libre de Garneau souligne l'aspect cognitif de sa poésie qui est une prospection de la part cachée du monde. Elle procède moins par images (métaphores, comparaisons) que par questionnements et approximations. Elle ne revendique pas le brio d'une maîtrise souveraine (c'est là la position de la poétique classiciste, fermée, achevée dans le dit et la façon de dire). Elle le processus même de l'interrogation, la modulation de l'énonciation. Garneau est sensible la mobilité du sens et aux accents d'intensité de la phrase parlée. Il doit donc casser le rythme du vers classique, scandé par les syllabes, la césure et les coupes en évacuant la césure hors du vers, dans l'espace vide, à droite. L'accent est alors mis sur les unités phrastiques elles-mêmes. L'agencement des vers est Aspatial@, procédant de l'ancrage que représente la marge de gauche vers l'ouverture de l'inconnu de la marge gauche. C'est en même temps une prospection du réel, du concret. Par là, Garneau échappe au carcan métaphysique dans lequel ses amis de La Relève ont voulu enfermer la poésie. Alain Grandbois (25.5. 1900 Saint-Casimir-de-Portneuf ‑ 18.3. 1975 Québec) est sans aucun doute le Amagnus parens@ de la poésie moderne québécoise. Issu d'une famille enracinée depuis 1635 au Québec (Guibeault de Granbois) et enrichie par le commerce du bois,, il a pu échapper au monde clos de la société québécoise. Après des études de droit, il néglige la carrière professionnelle et passe deux décennies de sa vie - jusqu'à l'épuisement des ressources financières - en voyages (1925-1945): France, Italie, Maroc, Algérie, Allemagne, Union Soviétique, Chine, Tibet, Afrique. Il se lie d'amitié avec Blaise Cendrars. C'est loin du Québec, en Chine, à Hankéou, qu'il publie son recueil novateur Poèmes (1934). Il développera cette veine poétique dans les recueils suivants: Les Îles de la nuit (1944), Rivages de l'homme (1948), L'Étoile pourpre (1957). L'éloignement du Québec et les horizons élargis par les voyages lui ont permis d'ouvrir le libre champ à ses méditations existentielles et à son imagination. Le poète exprime, en vers libres, les mouvements intimes de son moi et la plénitude de son imaginaire personnel qui prennent l'aspect des associations libres des métaphores filées. La critique des Îles de la nuit qu'écrit pour Le Devoir un grand poète de la génération précédente René Chopin montre l'écart qui les sépare. Tributaire de la poétique traditionnelle qui assigne au mot et à l'image (métaphore) une fonction somme toute ornementale, Chopin reproche Grandbois la pauvreté et la facilité de la rime. Or, pour Grandbois, les mots et les images sont avant tout un moyen de prospection des potentialités de signification, une re-création du sens du monde. Un autre aspect de la poésie de Grandbois est son effet dialogique qui dramatise le discours poétique. La poésie est une polémique avec soi, avec l'autre. Cet appel de l'autre brise la ligne de l'intimité et transforme le poème en grand chant lyrique, en poésie-chant. Par l'accumulation des analogies, par le jeu des variations par asyndète Grandbois fait de la matière des mots une Aforme signifiante@. En cela, sa poésie rappelle celle d'Apollinaire tout en se rapprochant du principe constructiviste de la peinture moderne. Les Îles de la nuit seront illustrées par le peintre Alfred Pellan. La poésie-chant ouvre la voie, à la nouvelle génération qui commencera à s'imposer dans les années 1950: Gaston Miron, Roland Giguère, Paul-Marie Lapointe, Anne Hébert, etc. Alain Grandbois a également publié des proses: Né à Québec (1933), Les Voyages de Marco Polo (1941), Avant le chaos (1945, nouvelles). Rina Lasnier (6. 8. 1915 Saint-Grégoire d'Iberville - 9. 5. 1997 Saint-Grégoire d'Iberville) est avant tout la poétesse d'une profonde spiritualité tourmentée. Sa foi est une quête qui a trouvé sa meilleure forme dans le verset claudélien, dans le psaume biblique et la litanie. Sa poésie est faite, comme chez Grandbois, d'enchaînements d'images. Le recueil Le Chant de la montée (1947) est une transposition moderne du chant d'amour de Jacob et de Rachel. Les Escales (1950) et Le rêve du quart jour (1973) apportent l'élargissement thématique de la prospection spirituelle de l'univers. Rina Lasnier compose également les légendes chrétiennes dramatisées: Féerie indienne (1939; consacrée à la vierge iroquoise Kateri Takakwitha). La poésie canadienne française a été influencée, moins directement d'abord, mais non moins durablement, par le biais de la peinture et de la nouvelle poétique dramatique et poétique qui, sur les traces du dadaïsme et de la révolution surréaliste, cristallise autour des peintres - Alfred Pellan, auteur d'un manifeste intitulé Prisme d'yeux (1948), et surtout autour des Automatistes - Fernand Leduc, Jean-Paul Riopelle et Paul-Émile Borduas. L'importance de ces manifestations consiste dans l'effort de théorisation qui donne à la modernité une solide assise théorique. Paul-Émile Borduas qui organise en 1947 une exposition appelée Refus global et ses environs dans le cadre de laquelle les premiers spectacles-provocations au Québec ont eu lieu. Il s'agit de Apièces automatistes@, tout à fait dans la tradition des provocations dadaïstes et surréalistes: Bien-être de Claude Gauvreau et Une pièce sans titre de Jean Mercier. En août 1948 le manifeste Asurrationnel@ de Paul-Émile Borduas Refus global est publié avec, encartés, les textes de Claude Gauvreau: Bien-être, Au coeur des quenouilles et L'Ombre sur le cerceau. Malgré l'admiration qu'il voue à André Breton, Paul-Émile Borduas se détache du surréalisme bretonien sur bien des points. Sa conception de l'art renoue avec les avant-gardes au sens large, y compris les futuristes, les cubistes et dadaïstes. C'est cette approche large qui constitue la spécificité du surréalisme canadien. Claude Gauvreau (19.8. 1925 Montréal - 6.7. 1971 Montréal) applique à son théâtre et sa poésie la théorie de la Alangue exploréenne@ - une tentative de réunir, au sein d'une unité originelle le mot, la chose et le moi énonciateur. L'oeuvre de Gauvreau a été recueillies sous le titre Oeuvres créatrices complètes (1977), où figurent aussi bien ses pièces de théâtre Les oranges sont vertes (1958-1970), La Charge de l'orignal épomyable (1958, Útok epomyabilního losa) que sa poésie Brochuges (1957, Najehlení), Étal mixte, poèmes avec six dessins de l'auteur (1968, Smíšený Íeznický pult, básn� se šesti autorovými kresbami). De 1950 à 1951 Claude Gauvreau tiendra une chronique AMasques et bergamasques@ dans le journal le Haut-parleur et il publie également dans le Canada. Les journaux deviennent la tribune de la modernité et de l'affirmation libertaire du théâtre (cf. l'extrait de la chronique ALe théâtre dans le concret I: l'enseignement à souhaiter@, in le Canada, 4 juin 1952, p. 4; cité d'après Legris, Larrue, Bourassa, David. Le Théâtre au Québec. 1825-1980, Québec, VLB éditeur 1988, p.97-98). Paul-Marie Lapointe (* 1929 Saint-Félicien): après ses études au collège de Chicoutimi et au collège de Saint-Laurent, il en entre à l'École des Beaux-Arts. Indépendamment du Refus global et du mouvement automatiste, il publie son recueil surréaliste Le Vierge incendié (1948). La même année il rencontre Claude Gauvreau qui sera son conseiller en matière de poésie, il sera aussi l'ami de Jean-Louis Gagnon. Son gagne-pain sera le journalisme à L'Événement-Journal (1950-1954), à La Presse (1954-1960), au Nouveau Journal et au Magazine Maclean (1964). Il est une des figures de prou de sa génération. Recueils: Choix de poèmes-Arbres (1960), Pour les âmes (1966), Le Réel absolu (1971). Roland Giguère (*1929 Montréal) étudie la gravure et la lithographie à l'École des Arts graphiques de Montréal et à l'École Estienne à Paris. Ami et admirateur d'André Breton, il fonde en 1949 les Éditions Erta destinées à la poésie canadienne et aux oeuvres graphiques. Recueils: Faire naître (1949), Trois pas (1950), Les Nuits abat-jour (1950), Yeux fixes (1951), Adorable Femme des neiges (1959), Naturellement (1968). Gilles Hénault (*1920): journaliste, critique d'art au Jour et au Devoir, auteur de recueils Totems (1953), La poésie et nous (1958), Sémaphore suivi de Voyage au pays de mémoire (1962). Yvese Préfontaine (*1937 Montréal), après ses études à la Sorbonne, il devient journaliste et rédacteur en chef de la revue Liberté. Sa poésie tens à promouvoir Aune écriture française d'Amérique@: Boréal (1957), Les Temples effondrés (1957), La Poésie et nous (1958), Pays sans parole (1967). Gaston Miron et l'Hexagone introduisent, dès les années 1950, un nouveau statut de la parole dans la poésie: une parole-acte, une parole subjective qui est aussi la parole et la conscience de la collectivité, un acte inséré dans l'histoire, une destinée individuelle qui se fait épopée collective en conférant au poète le rôle de poète-chantre du peuple. Ce dynamisme situe la poésie entre le pôle lyrique et épique dans une synthèse moderne. Miron transforme la poésie-chant de Grandbois en poésie invocation, protestation, imprécation en accentuant non plus l'aspect noétique de la dimension existentielle, mais son aspect éthique. Gaston Miron (8. 1. 1928 Sainte-Agathe-des-Monts - 14. 12. 1996 Montréal) a fait des étude de sciences sociales avant de fonder, en 1953, le groupe poétique et les éditions de l'Hexagone. Dans les années 1950, 1960 et 1970, il organise de nombreux récitals de la poésie et des rencontres des poètes en portant la parole dans l'espace public. Sa conception de Al'homme agonique@, réunissant la subjectivité individuelle et l'appel à l'intersubjectivité collective, est mise au service de l'émancipation nationale - le destin du Québec. Il est devenu une sorte de poète national dont se réclament bon nombre de poètes modernes: André Brochu (* 1942), Louise Dupré (*1949), François Charron (* 1952). La poésie de Miron est avant tout orale, sans cesse remise sur chantier, modifiée ou inventée au cours des récitations publiques. Aussi a-t-il peu publié: Deux Sangs (1953, avec Olivier Marchand), L'Homme rapaillé (1970), Courtepointes (1975). Prose Les années 1930 et 1940 apportent un grand tournant, à la fois thématique et idéologique, dans l'évolution de la prose. D'un côté, c'est le moment culminant du roman du terroir, de l'autre côté l'apparition de la thématique urbaine. Roman du terroir Si les grand romans du terroir de la période - ceux de Claude-Henri Grignon, Félix-Antoine Savard, Ringuet ou de Germaine Guèvremont se situent dans le prolongement de la tradition lancée au 19^e siècle par Lacombe et Chauveau et portée au sommet par Louis Hémon, ils constituent en même temps un dépassement et une transformation du genre et qui peut aller jusqu' une mise en question de l'idéologie Afamille, religion, patrie@. Félix-Antoine Savard (31.8. 1896 Québec - 24.8. 1982 Saint-Joseph-de-la-Rive) est de la trempe des prêtres patriotes, représentants insignes et défenseurs du peuple québécois. À la suite des études au Grand Séminaire de Québec il est ordonné prêtre (1922). Professeur de rhétorique au Séminaire, il décide de se lancer dans la prêtrise active: en 1931 il fonde une nouvelle paroisse - de colonisation - celle de Saint-Philippe-de- Clermont où il travaille jusqu'en 1945. C'est au contact de la nature et des paysans qu'il trouve l'inspiration de son oeuvre qui le rend célèbre dès la parution, en 1937, de Menaud, maître-draveur. En 1945, il est nommé professeur de littérature à l'Université Laval où il assume, de 1950 à 1957, la fonction de doyen de la Faculté des Lettres. Parallèlement à son travail d'enseignant il entreprend des enquêtes ethnologiques et folkloriques en Gaspésie et en Acadie. Oeuvre Menaud, maître-draveur (1937): évocation lyrique et exaltation de la campagne et nature québécoises (le Saguenay), héroïsation des habitants, défenseur de la terre paternelle - ici, l'auteur a pris comme modèle un draveur authentique Joseph Boies, rencontré à La Malbaie; mais aussi étude psychologique d'une folie, celle du personnage principal; le rappel, sous forme de citations, de Maria Chapdelaine de Hémon sert d'encadrement poétique. L'Abatis (1943) - roman, évocation de la vie des olons dans une forêt Le Barachois (1959, Píse…ná kosa) - roman inspiré par l'Acadie et la Gaspésie La Folle (1960), La Dalle-des-Morts (1966, PeÍej mrtvých) - drames lyriques Claude-Henri Grignon (8.8. 1894 Sainte-Adèle - 3.4. 1976 Sainte-Adèle) est un esprit indépendant qui a trouvé sa voie dans le journalisme et les activités littéraires. Son catholicisme courageux le pousse à se lancer dans des polémiques à la manière de Léon Bloy et Georges Bernanos (la publication, de 1936-1943, de la revue Les Pamphlets de Valombre). Dès 1920, il est membre de l'École littéraire de Montréal. Oeuvre Un homme st son péché (1933) - est une analyse impitoyable de l'avarice paysanne, un récit qui détruit l'image idyllique d ela campagne; le roman a été adapté pour la radio (1939) et pour la télévision (années 1950 et 1960) L'Enfant du mystère (1928), Le Déserteur (1934) - récits Le Secret de Lindbergh (1928) - biographie romancée Les Vivants et les autres (1922), Ombres et clameurs (1933) - eseje Germaine Guèvremont, née Grignon (16.4. 1893 Saint-Jérôme - 21.8. 1968 Montréal), cousine éloignée de Claude-Henri Grignon, journaliste à Sorel, puis à Montréal. Le succès de son oeuvre lui vaut l'entrée à la Société Royale du Canada (1949) et le doctorat honorifique de l'Université d'Ottawa. Oeuvre En pleine terre. Paysanneries, trois contes (1942) Le Survenant (1945), Marie-Didace (1947), Du plomb dans l'aile (1959) - le saga de la famille des Beauchemin; regard critique, mais sympathisant, qui suit la décomposition des valeurs traditionnelles de la campagne Ringuet, pseudonyme de Philippe Panneton (30.4. 1895 Trois-Rivières - 28.12. 1960 Lisabon). Sa carrière professionnelle est d'abord celle d'un médecin: études de médecine à Québec et à Montréal (1920), voyage en Europe et spécialisation en oto-rhino-laryngologie (1920-1922), pratique l'hôpital (1923-1940). Parallèlement, il enseigne comme professeur, l'histoire de la médecine l'Université de Montréal (1935-1950). La littérature et sa carrière univesitaire lui ouvrent la carrière diplomatique: mission au Brésil (1946), délégué à Paris (1952), enfin poste d'ambassadeur à Lisbonne (1956-1960). Oeuvre Trente arpents (1938) - désacralisation du mileu paysan, assujetti par le travail; c'est la terre qui subjugue ses occupants; mais l'issue en est une autre servitude, celle de la ville Fausse Monnaie (1947), Le Poids du jour (1949) - romans L'Héritage et autres contes (1946) Un monde était leur empire (1943) - essai sur les civilisations amérindiennes, prise de position contre l'europocentrisme L'Amiral et le facteur ou Comment l'Amérique ne fut pas découverte (1954) - essai, comparaison entre Christophe Colomb et Amerigo Vespucci sur la question de la véritable découverte de l'Amérique que Ringuet attribue au dernier Thématique urbaine La ville - non plus comme une opposition à la campagne ou un repoussoir, mais comme un sujet autonome et représentant la réalité moderne - entre en littérature au cours des années 1940. C'est un regard critique, désabusé et souvent individualiste de la société canadienne. Gabrielle Roy (22.3. 1909 Saint-Boniface - 13.7. 1983 Quebec) est une Manitobaine, descendante des colons québécois installés dans les prairies au début du 20^e siècle. Après des études, elle travaille comme institutrice avant de partir en Europe - Angleterre, France (1937-1939) - où elle étudie l'art dramatique. Au retour, au Québec, elle décide de se consacrer au journalisme et l'écriture. Ses origines, ainsi que ses expériences européennes lui permettent de jeter un regard neuf sur la réalité québécoise. Son premier roman Bonheur d'occasion (1945) lui apporte la gloire qui ne se démentira plus. La réalité, la fiction se mêlent aux éléments autobiographiques et aux réflexions dans un style maîtrisé. romans Bonheur d'occasion (1945) est un texte fondateur qui a obtenu un succès immédiat au Canada et en France où il a été couronné du prix Fémina en 1947. Le succès canadien s'explique par la force du nouvel imaginaire qui marque un tournant. La représentation du milieu urbain, stratifié en zones du pouvoir (Montréal - Westmount) et en périphérie (Saint-Hilaire), la thématique actualisée, pleinement engagée dans l'Histoire ont permis à l'écrivain de prendre le contre-pied du roman du terroir. Le Bonheur d'occasion peut se lire aussi comme une polémique implicite, non avouée, avec Maria Chapdelaine de Louis Hémon. Comme ce roman, le Bonheur d'occasion est un texte fondateur. Alexandre Chenevert (1954) retrace l'histoire d'un Aêtre innombrable@, un ce ceux que la ville déverse dans les rues le matin. Le protagoniste travaille comme caissier dans une banque montréalaise. Victime de la vie moderne, insomniaque, neurasthénique, il est un étranger dans le monde moderne, il aspire à la plénitude qui lui est accordée lors d'un voyage au Lac Vert. La tendresse et la pitié retrouvées l'aident à donner un sens à sa vie et à sa mort. La Petite Poule d'eau (1950), Rue Deschambault (1955) et La Route d'Altamont (1966) introduisent la thématique manitobaine, en partie campagnarde. Mais c'est une campagne revue par la ville et par les yeux des individus qui ont une expérience du monde différente que celle des paysans et des intellectuels du roman du terroir. La tentation de retourner, par l'imagination, dans le monde édénique de l'enfance ne fait pas oublier la précariété de l'existence, le sentiment de la fuite inexorable du temps qui est le pendant nécessaire de la joie de vivre. Le nouvel humanisme individualiste de Gabrielle Roy est ce qui distingue le plus ses récits du roman du terroir. Gabrielle Roy adopte une stratégie narrative fragmentée, faite de récits à la fois autonomes et enchaînés, formant une unité thématique. La Montagne secrète (1961) - est une allégorie de la création artistique, une sorte de poétique implicite, sous forme de récit. La Détresse et l'enchantement (1984) accentue l'aspect autobiographique de la narration qui retrace lnfance et la vie de l'écrivain jusqu'à la deuxième guerre mondiale. novely La Rivière sans repos (1970) Cet été qui chantait (1972) Ces enfants de ma vie (1977) De quoi t'ennuies-tu, Éveline? (1982) Roger Lemelin (7.4. 1919 Québec - 16.3. 1992 Saint-Augustin-de-Desmaures) est l'exemple type d'un Aself made man@. Issu des des quartiers pauvres de Québec, ouvrier autodidacte, il deviendra journaliste de renom et plus tard propriétaire d'un empire journaistique et éditorial. Il doit sa renommée à la peinture mi humoristique, mi sentimental des milieux populaires qu'il a connus. romans Au pied de la pente douce (1944) Les Plouffe (1948) Pierre le Magnifique (1952) Le Crime d'Ovide Plouffe (1982) André Langevin (* 11.7. 1927 Montréal) a projeté dans son oeuvre le sentiment de solitude et de désolation provoqué par son enfance d'orphelin. Il connaît des débuts difficile, mais finit par s'imposer, d'abord comme journaliste, plus tard comme romancier et dramaturge. Ses proses portent une empreinte existentialiste, celle de l'époque culturelle de l'après-guerre. Cependant, cet existentialisme est aussi celui de l'ambiance et du sentiment du vide de l'homo quebeciensis. C'est une critique métaphysique de la situation canadienne. trilogie thématique: trois échecs - de l'idividu et de sa révolte; de l'amour et du mariage; de la vocation sacerdotale Évadé de la nuit (1951) Poussière sur la ville (1953) Le Temps des hommes (1956) d'autres romans L'Élan d'Amérique (1972) Une chaîne dans le parc (1974) théâtre L'Oeil du peuple (1972) Yves Thériault (28. 11. 1915 Québec - 20. 10. 1983 Joliette), romancier conteur, dramaturge. Il quitte l'école à 14 ans pour exercer divers métiers (trappeur, conducteur de camions, vendeur) avant de devenir annonceur à la radio (1935-1942). Il travaille aussi à l'Office Nationale du Film (1942-1945) puis au Radio-Canada comme publicitaire et scripteur (1945-1950). Ses origines partiellement indiennes lui valent un poste officiel, celui de directeur des Affaires Indiennes Ottawa. Il est l'auteur d'une quarantaine d'oeuvres prosaïques, de 1200 pièces radiophoniques, de 200 scénarios télévisés. Ses riches expériences professionnelles, mais aussi ses origines ethniques contribuent sans doute à sa sensibilité pour les liens secrets ou inavoués avec la part cachée du moi, celle qui met l'homme au contact des forces de la nature, avec le sang de sa tribu, de son ethnie, avec le fond secret de sa culture. Il est le premier des écribains canadiens français et québécois à s'intéresser en profondeur à la proplématique des différentes éthnies - indienne, inuite, juive, etc. Oeuvres Contes pour un homme seul (1944) La Fille laide (1950) Le Dompteur d'ours (1951) Le Vendeur du temple (1951) Aaron (1954) Agaguk (1958), Tayaut, fils d'Agaguk (1969), Agoak, l'héritage d'Agaguk (1975) Ashini (1960) N'Tsuk (1968) Kesten (1968) Moi, Pierre Huneau (1976) Anne Hébert (1. 8. 1916 Sainte-Catherine-de-Fossambault - 22. 1. 2000 Montreal) vient d'une famille cultivée, ancrée dans l'histoire culturelle du Canada. Le poète Hector de Saint-Denys Garneau est son cousin, son père Maurice Hébert, qui a eu sur elle une grande influence, est un éminent critique littéraire. Ses débuts, liés à la revue La Relève, sont influencés par le néothomisme de Jacques Maritain, mais aussi par la découverte de la poésie française moderne: Claudel, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. Poétesse d'abord, elle s'affirmera plus tard comme dramaturge et romancière. La touche féminine de sa sensibilité profonde se libérera progressivement dans des images et scènes traduisant la violence profonde, cachée, des situations où nous jettent l'amour, la solitude, la mort. C'est une prospection jungienne des ombres de l'âme humaine. La personnalité d'Anne Hébert dépasse le horizon canadien. Après une brève collaboration avec la radio et le film, elle obtien une bourse d'études en France (1954-1957) où elle s'installe pour de longues années (1967-1997). Oeuvres Poésie Les Songes en équilibre (1942) Le Tombeau des rois (1953) Poèmes (1960) Théâtre Le Temps sauvage. La Mercière assassinée. Les invités au procès (1967) Proses Le Torrent (1950, nouvelles) Les Chambres de bois (1958) Kamouraska (1970) Les Enfants du sabbat (1975) Héloïse (1980) Les Fous de Bassan (1982) L'Enfant chargé de songes (1992) Un habit de lumière (1999) Jacques Ferron (20. 1. 1921 Louiseville - 22. 4. 1985 Longueil) a marqué la prose et le théâtre québécois de la manière analogue à la trace de Gaston Miron en poésie. Médecin de formation et de métier, il est proche par ses liens familiaux et par ses activités des milieux non-conformistes: sa soeur est un peintre d'avant-garde, lui-même fonde, en 1963, le Parti Rhinocéros. Sa veine nationaliste, de gauche, tente de lancer un pont entre le passé canadien français et l'émancipation nationale des années 1950 et 1960 à laquelle il confère une nouvelle dimension historique. Oeuvre Théâtre L'Ogre (1949) Le Dodu (1953) Le Chevalier de Don Juan (1957) Les Grands Soleils (1958) La Tête du roy (1967) Proses Cotnoir (1962) Contes anglais et autres (1964) La Nuit (1965) Contes (1968) Le Ciel de Québec (1969) L'Amélanchier (1970) Le Salut de l'Irlande (1970) Les Roses sauvages (1971) La Chaise du Marréchal-Ferrant (1972) Les Confitures de Coing (1972) Le Saint-Élias (1972) V. Révolution tranquille - de la modernité à la pluralité postmoderne: 1960 à nos jours Les transformations de la société canadienne française initiées en 1960 par la gauche libérale du premier ministre Jean Lesage concernaient moins le système politique, économique et social que l'horizon mental des Canadiens francophones. Après plus d'un siècle de nationalisme Adéfensif@, centré sur la reconnaissance juridique des droits nationaux, le Québec renoue avec le nationalisme Aoffensif@ qui avait culminé au 19^e siècle par la révolte des Patriotes en 1837. Au moment où le Canada s'apprête à célébrer, l'Exposition Universelle à l'appui, le centenaire de la Confédération (1967), les patriotes québécois transforment l'anniversaire en commémoration du cent-trentenaire des événements de 1837. Le nouveau gouvernement québécois assume le rôle de l'État laïque moderne, notamment en réformant le système de l'éducation (1967-1968), en instaurant une politique sociale et culturelle moderne. On investit dans le système scolaire, on crée de nouvelles universités, on prend soin de la sphère culturelle. La francisation s'étend de l'enseignement au domaine économique où les nouvelles élites francophones s'imposent. Les intellectuels francophones de qualité occupent d'ailleurs des postes importants soit à l'échelle fédérale, soit provinciale: Pierre-Eliott Trudeau, René Lévesque. Le patriotisme et le nationalisme assument plusieurs visages. Les libéraux qui restent partisans de la fédération s'efforcent d'imposer un bilinguisme effectif à l'enseble du territoire national. La gauche, par contre va jusqu'à identifier la cause nationale avec l'anticolonialisme, l'émancipation du tiers monde et la révolution mondiale de Che Guevarra ou de Mao (cf. Pierre Vallières: Nègres blancs d'Amérique). Le radicalisme révolutionnaire du Front de Libération du Québec) qui débouche sur les attentats et l'état de siège de 1970 est bientôt relayé par un nationalisme de droite, incarné par le Parti Québécois de René Lévesque qui, une fois installé au pouvoir, règle la question linguistique en instaurant le français comme la langue officielle du Québec (1977; loi 101). Désormais, l'anglais n'est - sur le territoire de la province - que la langue de la minorité anglophone. Quels que soient les avatars de la vie politique, toujours est-il que l'émancipation nationale aboutit à une transformation en profondeur de l'échelle des valeurs, y compris la langue et la culture. Le Canada francophone cesse de se considérer comme une colonie éloignée de la mère-patrie, une périphérie de la France. Le Québec s'assume désormais comme la source de sa propre centralité. Sa prépondérance, accentuée par sa prise de conscience, se traduisent dans la terminologie littéraire. Désormais on ne parle plus de la littérature canadienne française, mais de la littérature québécoise. Dans le domaine linguistique, le bon usage européen cesse d'être érigé référence majeure. Ainsi, l'usage canadien n'est plus pris pour une couleur locale, exotique, mais pour une langue autonome dans le plein sens du terme. La Défense et illustration de la langue québécoise (1979) de Michèle Lalonde affirme haut ce que la Société du parler français du Canada, fondée en 1902, n'avait fait qu'esquisser et ce que le critique Camille Roy n'avait exprimé que comme un souhait sous forme du programme de la Anationalisation de la littérature canadienne@ (1904). La sensibilité de l'époque, liant l'émancipation nationale à l'émancipation sociale, joue en faveur de l'instauration, comme langue littéraire, du joual montréalais et des dialectes (acadien). L'effervescence intellectuelle s'exprime dans plusieurs revues importantes de l'époque: Cité libre, de tendance libérale, Parti pris et Liberté (fondée par Jacques Godbout) favorables la gauche radicale. La richesse littéraire des années 1960 profite de l'élan intellectuel de la période précédénte. C'est le cas, notamment, de la poésie où deux tendances principales se dessinent: le courant mironien alliant le chant individuel, subjectif à l'histoire de la collectivité et le courant surréaliste chargé de la modernité radicale. Les années 1960 sont particulèrement marquées par l'essor de la prose romanesque et du théâtre. En prose, on peut distinguer grosso modo deux filières. La première est celle de la modernité affirmée, désormais perchée au sommet de la dynamique littéraire mondiale dont elle embrasse le goût de l'expérimentation. L'autre tendance, Anationale@, innove le genre par le biais des particularités linguistiques (Ajoual@, acadien) et thématiques (thématique montréalaise, acadienne) qu'elle impose comme partie intégrante de l'héritage culturel universel. Au nombre des représentants de la première filière se rangent tous ceux qui absorbent l'expérience du nouveau roman: Gérard Bessette, Marie-Claire Blais, Jacques Godbout, Réjean Ducharme, Hubert Aquin, Claude Jasmin, Roch Carrier, etc. Gérard Bessette (25. 2. 1920 - Sainte-Anne-de-Sabrevois) est avant tout un critique littéraire, docteur ès lettres (1950) et professeur de français aux universités de Saskatchewan (1946-1949), de Pittsburgh (1952-1958), au Collège militaire royal de Kinsgton (1958-1960), à l'Université Queen's de Kingston (après 1960). Influencé par la psychanalyse et la psychocritique de Charles Mauron il analyse l'oeuvre de Nelligan (thèse de doctorat), Anne Hébert, Yves Thériault, etc. Poète à ses débuts (Le Coureur et autres poèmes, 1947; Poèmes temporels, 1954), il s'affirme comme romancier qui, tout en expériementant les techniques narratives, porte un regard critique, voire caustique, sur la société. La Bagarre (1958) Le Libraire (1960) Les Pédagogues (1961) L'Incubation (1965) Le Cycle (1971) La Commensale (1975) Une littérature en ébullition (1968) Histoire de la littérature canadienne-française par les textes (1968) Jacques Godbout (27. 3. 1933 Montréal) est poète, romancier, cinéaste, peintre. Après ses études l'Université de Montréal (1954) il embrasse une carrière d'enseignant de français à l'étranger: Éthiopie, Grèce, Égypte, Antilles. Rentré à Montréal, en 1957, il est engagé à l'Office National du Film comme scénariste et réalisateur. Il a fondé et dirigé la revue Liberté qui a un impact important au cours des années 1960. S'il aime recourir, dans ses proses, aux procédés expérimentaux, il le fait avec beaucoup d'humour et une (auto)dérision parfois décapante. Poésie Carton-pâte (1956) Les Pavés secs (1958) La Grande Muraille de Chine (1969) Prose L'Aquarium (1962) Le Couteau sur la table (1965) Salut Galarneau (1967) D'Amour P.Q. Théâtre L'Interview (1973) - pièce radiophonique, texte en Ajoual@ Marie-Claire Blais (5. 10. 1939 Québec) est porteuse d'une écriture féminine provocatrice. Issue d'un milieu plus que modeste, elle doit interrompre ses études à seize ans pour travailler dans une usine. Encouragée et soutenue par le Père Georges-Henri Lévesque, professeur de l'Université Laval, elle publie, en 1959, La Belle Bête, suivie, en moins de cinq ans, de deux autres proses - Tête blanche (1960), Le Jour est noir (1962) - et de deux recueils de poésie - Pays voilés (1963) et Existence (1964). La critique est étonnée par la maturité technique de son écriture qui allie le réalisme et la poésie tout en variant les registres narratifs et le ton, tantôt sublime et pathétique, tantôt celui de la dérision. Les figures dominantes de Marie-Claire Blais sont celles de la solitude, du malheur, de la déchéance, de la marginalité. Le mal dans lequel elles sont plongées ou dans lequel on les plonge les porte souvent à la révolte qui leur permet de préserver un espace de pureté et de lumière, l'autre source de la liberté étant l'écriture. Les subventions de la Fondation Guggenheim et plus tard les succès littéraires lui permettent de s'exiler aux États-Unis (Cap Cod dans le Massachussetts) et en France. Autres romans: Une Saison dans la vie d'Emmanuel (1965) L'Insoumise (1966) David Sterne (1967) trilogie Les Manuscrits de Pauline Archange (1968), Vivre! Vivre! (1969), Les Apparences (1970) Le Loup (1972) Un Joualonais, sa Joualonie (1973) Une Liaison parisienne (1975) Les Nuits de l'Underground (1978) Le Sourd dans la ville (1979) Visions d'Anna ou le vertige (1982) L'Ange de la solitude (1989) Hubert Aquin (24. 10. 1929 Montréal - 15. 3. 1977 Montréal) est un intellectuel de gauche, formé l'Université de Montréal, où il obtient une licence de philosophie, et à l'Institut d'études politiques à Paris. De retour au Canada il devient animateur à Radio-Canada, puis travaille comme scénariste et réalisateur à l'Office National du Film. Nommé directeur de la revue Liberté, il se tourne ensuite vers l'enseignement universitaire et le théâtre. Son engagement dans le mouvement d'émancipation nationale se fond avec le désir d'une libération personnelle et la volonté d'échapper à l'aliénation collective et individuelle. L'impasse où il s'est retrouvé l'a conduit au suicide. Ses romans, notamment, reflètent le mal existentiel par leur poétique labyrinthique et ambiguë - au niveau de la langue, du narrateur, de l'intrigue - où la réalité se confond avec le rêve, la fiction avec la mystique kabbalistique. Oeuvre: pièces radiophoniques Vingt-quatre heures de trop (1969) Double sens (1972) romans Prochain épisode (1965) Trou de mémoire (1968) L'Antiphonaire (1969) Neige noire (1974) Réjean Ducharme (12. 8. 1941 Saint-Félix-de-Valois) est arrivé à l'écriture après une jeunesse errante: ayant abandonné l'École polytechnique de Montréal en première année, il passe quelques mois dans l'aviation, travaille comme vendeur et commis de bureau, voyage trois années à travers le Canada, les États-Unis, le Mexique. Dès son premier roman - L'Avalée des Avalées (1966) - il s'impose grâce à sa langue novatrice qui mêle différents registres, surprend par ses jeux de mots et néologismes. La créativité langagière et le jeu sont en syntonie avec le caractère juvénile des héros - enfants et adolescents qui se révoltent contre la grisaille du monde des adultes en tentant déséspérément de conserver la pureté et la liberté de leur monde à eux. Oeuvre: romans L'Avalée des Avalées (1966) Le Nez qui voque (1967) L'Océantume (1968) La Fille de Christophe Colomb (1969) Les Enfantômes (1976) Dévadé (1990) Va savoir (1994) L'Hiver de force (1973) - récit Inès Pérée et Ina Tendu sur la terre (1968) - drame Ha ha! (1982) Claude Jasmin (10. 11. 1930 Montréal) - romancier, dramaturge et essayiste - a commencé sa carrière comme décorateur à Radio-Canada avec un diplôme de l'École des arts appliqués de Montréal. Après plusieurs pièce télévisées, il se consacre à la critique d'art dans La Presse et au journalisme. Son oeuvre offre un double visage: d'un côté elle reste près de l'actualité politique qu'elle reflète, d'autre part elle est chargée de la nostalgie de l'enfance, du paradis perdu que certains personnages de Jasmin cherchent à retrouver. Oeuvres: romans La Corde au cou (1960) Délivrez-nous du mal (1961) Ethel et le terroriste (1964) Et puis tout est silence (1965) Pleure pas, Germaine (1965) Rimbaud, mon beau salaud! (1969) La Petite Patrie (1972) Le Loup de Brunswick City (1979) La Sablière (1979) Pâques à Miami (1996) Blues pour un homme averti (1964) - théâtre Roch Carrier (13. 5. 1937 Sainte-Justine) - après ses études universitaires conclues par une thèse de doctorat sur André Breton à Montréal et une thèse sur Cendrars à la Sorbonne, il a enseigné au collège militaire de Saint-Jean, puis à l'Université de Montréal. Excellent conteur, qui renoue avec la tradition du conte populaire, il s'impose en littérature par ses récits Jolis Deuils (1964), puis par sa trilogie romanesque qui confronte la société québécoise à la marche inexorable de l'histoire: La Guerre, yes sir (1968; l'adaptation théâtrale est de 1970), Floralie, où es-tu? (1969), Il est par là le soleil (1970). Autres romans Le Jardin des délices (1975) Un chameau en Jordanie (1984) Petit homme Tornade (1996) Une chaise (1999) théâtre La Céleste Bicyclette (1980) Le Cirque Noir (1982) Antonine Maillet (10. 5. 1929 Bouctouche), représente le renouveau de la culture acadienne. Originaire du Nouveau-Brunswick, elle fait ses études à Moncton, à l'Université de Montréal (1962). De 1962 à 1964, elle séjourne comme boursière à Paris. En 1970 elle obtient le grade de docteur ès lettres à l'Université Laval à Québec. À la fois religieuse et enseignante universitaire, elle travaille à Radio-Canada de Moncton. Elle doit sa notoriété à ses pièces de théâtre et à ses proses, dont les personnages - gens du peuple - parlent l'acadien. Comme Jacques Ferron pour le Québec, Maillet a su relier l'histoire de son peuple acadien au présent. Oeuvres: romans Pointe-aux-Coques (1958) On a mangé la dune (1962) Don l'Orignal (1972) Mariaagélas (1973) Les Cordes-de-bois (1977) Pélagie-la-Charette (1979) L'Oursiade (1990) Chronique d'une sorcière de vent (1996) Par derrière chez mon père (1972) - contes théâtre Les Crasseux (1968) La Sagouine (1971) Gapi et Sullivan (1973) Michel Tremblay (25. 6. 1942 Montréal) est l'un des représentant majeur de la tendance Ajoualisante@ de la littérature québécoise, tendance qui, au théâtre a connu son apogée dans les années 1960 et 1970. Son rapport au Ajoual@, qui à l'origine a été un argot montréalais, se nourrit de son enfance passée dans les quartiers populaires de l'Est montréalais. Il a quitté le métier de linotypiste et le travail dans une imprimerie pour se lancer dans divers métiers - vendeur, costumeur - avant de réussir en littérature. Sa première prose - Contes pour buveurs attardés (1966) - traduit pleinement l'ampleur de l'art de Tremblay: dosage savant de la littérarité et de la langue parlé, de la tradition (Poe, romantiques allemands) et de la parole spontannée, de la banalité quotidienne avec le fantastique. Le premier prix au Concours des jeunes auteurs de Radio-Canada qu'il a remporté par sa pièce radiophonique Le Train (1964) lui donne, à titre de boursier, la possibilité de passer deux mois au Mexique où il rédige un roman fantastique La Cité dans l'oeuf (1969). Le vrai triomphe vient avec sa pièce Les Belles-Soeurs (1968), une tragi-comédie qui consacre la place privilégiée du Ajoual@ dans la mesure où la langue populaire cesse d'être un simple véhicule de la couleur locale ou un effet de réel pour porter l'univers de la marginalité à la hauteur de la grandeur dramatique, grâce aux procédés, notamment, de la tragédie antique (choeurs) ou du drame religieux médiéval et baroque. Il en fait de même pour toutes les couches marginalisée de Montréal - les homosexuels, les lesbiennes, les travestis, les prostituées: A toi pour toujours, ta Marie-Lou (1971), Hosanna (1973), Sainte Carmen de la Main (1976), Damnée Manon, Sacrée Sandra (1977). Les proses de Tremblay retracent en partie l'histoire des quartiers populaires de Montréal et la sienne propre. C'est le cycle Les Chroniques du Plateau de Mont-Royal (1978-1987): La Grosse Femme d'à côté est enceinte, Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges, La Duchesse et le roturier, Des Nouvelles d'Édouard, Le Premier Quartier de la lune, Un objet de beauté. Les autres proses sont centrées sur la problématique de la marginalité sociale (p. ex. homosexuels, prostituées): C't'à ton tour, Laura Cadieux (1973), Le Coeur découvert. Roman d'amours (1986), Le Coeur éclaté (1989), La Nuit des princes charmants (1995). Jacques Poulin (23. 9. 1937 Saint-Gédéon-de-Beauce) a étudié la psychologie à l'Université Laval de Québec avant de gagner sa vie comme traducteur commercial et conseiller pédagogique en orientation. Dès le succès de son deuxième roman, il se consacre entièrement à la littérature. Il est représentatif de la nouvelle tendance de la littérature québécoise qui se détache de sa québécité exclusive pour s'ouvrir à l'américanité symbolisée par le voyage du roman Volkswagen blues (1984). Oeuvres: Romans Mon cheval pour un royaume (1967) Jimmy (1969) Le Coeur de la baleine bleue (1970) Faites de beaux rêves (1974) Chat sauvage (1990) Dany Laferrière (1953 Port-au-Prince; Haiti) est d'origine haïtienne. Il s'est établi, émigré, au Canada, en 1978. Il a travaillé plusieurs années comme journaliste, surtout à la télévision. Dans ses proses il observe avec beaucour d'humour critique, teinté de cynisme, les conflits des cultures qui compose le monde postmoderne, multiculturel du Canada. La tendance autobiographique de son oeuvre le ramène au souvenir de son Haïti natal. Oeuvres: Romans Comment faire l'amour avec un Nègre sans se fatiguer? (1985) Chronique de la dérive douce (1994) Éroshima (1987) L'odeur du café (1991) Le goût des jeunes filles (1992) Le charme des après-midi sans fin (1997) Le cri des oiseaux fous (2000) Ying Chen (1961 Šanghai) a émigré au Canada en 1989. Elle vit à Montréal. Ses romans confrontent la culture et la civilisation chinoise et canadienne. Oeuvres: Romans La Mémoire de l'eau (1992) Les Lettres chinoises (1993) Ingratitude (1995) Immobile (1998) Marco Micone (1945 Montelongo; Italie) est arrivé au Canada à 13 ans pour rejoindre son père, ouvrier immigré de l'après-guerre. Ses pièces de théâtre mettent en scène la vie difficile et les conflits qui agitent la communauté italienne du Québec., conflits liés à la recherche difficile d'une nouvelle identité culturelle. S'y ajoute la problématique identitaire individuelle, celle de la recherche du père. Oeuvres: trilogie dramatique: Gens du silence (1972), Addolorata (1982), Déjà l'agonie (1988) dialogues Le figuier enchanté (1992) Naïm Kattan (1928 Bagdad) est un juif qui d'Iraq a émigré d'abord en France, où il a fait ses études, ensuite au Canada. Son oeuvre se situe à la fois au croisement des cultures (juive, arabe, européenne, américaine) et au croisement des genres (litérature et critique). Les personnages de ses romans sont souvent des voyageurs en quête d'identité: Adieu Babylone (1975), La Fiancée promise (1983), Le Repos et l'oubli (1987), La Fortune du passager (1989). Sergio Kokis - auteur brésilien établi au Canada Le Pavillon des miroirs (1994) Negăo et Doralice (1995) Errances (1996) L'Art du maquillage (1997) Un sourire blindé (1998) Le Maçtre de jeu (1999)