Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 1 Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) Nous avons déjà abordé la question des images schématiques dans C. Cusimano (2008 : 77- 80), mais c’était alors dans un but clair et unique, celui de déterminer ce que les sciences cognitives pouvaient apporter à l’étude de la polysémie. On sait que cette question, tout comme celle de la métaphore d’ailleurs, est centrale dans les théories de G. Lakoff et M. Johnson. Ce dernier auteur (1987 : 107) en faisait même l’une des six preuves de l’existence des images schématiques : À mon avis, l’une des meilleures preuves de l’existence des images schématiques et de leur élaboration métaphorique est le phénomène de la polysémie ; j’entends par là non pas seulement des sens multiples pour un terme unique, mais plusieurs sens liés. En effet, M. Johnson postule que la polysémie n’est possible que grâce à l’existence d’images schématiques qui permettent, par extension métaphorique, de dériver un sens premier à des domaines nouveaux. Nous avions alors combattu cette idée en rappelant qu’il est bien souvent impossible de justifier d’un sens « premier ». Cela dit, un tel raisonnement ne disqualifie pas nécessairement les images schématiques. Dès 1991, en observateur averti de l’histoire des idées, F. Rastier semblait d’ailleurs partager cet avis ; après avoir rétabli quelques vérités sur les fondements historiques des sciences cognitives et noté avec justesse que la place de la linguistique y était réduite à sa portion congrue, celui-ci voyait d’un bon œil l’avènement des théories avancées par G. Lakoff, M. Johnson et R. W. Langacker (F. Rastier, 1991 : 112). Les contestations élevées par les linguistes sont plus intéressantes pour notre propos. Elles touchent en fait la nature du niveau conceptuel. Des auteurs comme Lakoff ou Langacker le présentent non plus comme une forme logique, mais comme une sorte d’espace visuel abstrait. Par la suite, de nombreux travaux (dont nous essaierons de présenter une partie) ont montré leur utilité, ce à quoi M. Johnson, dans un raisonnement souvent manichéen et trop peu nuancé, ne parvient que partiellement. Nous ferons toutefois souvent à cet ouvrage fondateur qu’est The body in the mind car il fixe et délimite les contours de la notion d’image schématique. Formulons alors, avant d’approfondir la question, une nécessaire mise en garde. Il faut savoir que la littérature en sémantique cognitive regorge plus d’exemples d’application de cette théorie que de réflexions sur l’aspect novateur des notions avancées. En fait, comme nous le verrons, tout n’y est pas neuf et pourtant, aucun héritage plus ancien que celui des années 1980 n’est assumé par les tenants de cette perspective théorique. La citation de P. Gärdenfors (2007 : 57) est de ce point de vue tout à fait éloquente. En contraste avec les théories réalistes, une nouvelle théorie sémantique, appelée sémantique cognitive, a été élaborée (voir par exemple Lakoff 1987, Langacker 1986, 1987, Croft et Cruse 2004, Evans 2006). La devise primordiale de la sémantique cognitive est la suivante: le sens est dans la tête. D’ailleurs, on voit mal comment ledit slogan pourrait être révolutionnaire puisque personne ne le nie vraiment. Bref, l’idée est que les auteurs qui travaillent sur les images schématiques ne font allusion qu’à une poignée de récents prédécesseurs, ce qui se justifie mal d’un angle historique. F. Rastier (1991 : 61) l’énonce clairement. Mais ces développements intéressants [la sémantique cognitive] ne peuvent faire oublier les voies ouvertes depuis longtemps par des théories injustement marginalisées qui se rattachent à la linguistique structurale européenne. Notre objectif sera donc double : d’une part, voir à quel courant plus ancien rattacher cette sémantique cognitive et en présenter les particularités ; d’autre part, mesurer par l’expérimentation ce que peut nous apporter ce type d’analyse : bien que positionnée clairement dans le champ conceptuel, d’où la sémantique est éclairée – et où cette dernière joue donc un rôle Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 2 moins prépondérant1, nous essaierons de montrer en quoi les images schématiques peuvent réduire de solides difficultés sémantiques. Nous nous focaliserons alors sur l’une des distinctions les plus difficiles d’accès aux apprenants de français dont les langues ne comportent pas d’articles, celle qui met en jeu l’article défini et l’article indéfini. Avant cela, prenons donc pour point de départ le raisonnement produit par M. Johnson dans The body in the mind. 1. Une théorie anti-objectiviste Une des caractéristiques définitoires de la sémantique cognitive est le rejet de ce qu’on appelle la sémantique objectiviste. J. I. Saeed, 2003 : 344 À la lecture de cet ouvrage, le linguiste est d’emblée frappé par la diatribe initiée par M. Johnson (1987 : xxii) envers les théories dites objectivistes. Tout héritage cartésien, frégéen et saussurien est renié. De cette critique virulente, reprise plus tard par les partisans de cette option théorique, nous retenons les points suivants que nous résumons tout en les traduisant grossièrement : 1. Dans les théories objectivistes, les mots sont censés correspondre aux choses et propriétés existant dans le monde réel. 2. Les concepts y sont entendus comme des représentations mentales ou des entités logiques. 3. Ces concepts sont séparés des expériences que les locuteurs vivent. 4. Les conditions de vérité, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles un mot satisfait au sens commun, sont essentielles pour déterminer la signification d’un mot. 5. Le sens littéral prime toujours sur le sens figuré (métaphorique) auquel ce dernier est toujours réductible. 6. Le point de vue universel prend le dessus sur la dimension individuelle des locuteurs. Cette définition comporte donc le refus de toute définition référentielle, logique et universaliste du sens. On y trouve aussi le refus de la dichotomie sens littéral vs. sens dérivé désormais acté par de nombreux linguistes, en sémantique textuelle notamment. On comprend bien ici que l’idée de M. Johnson est de glisser vers une sémantique pleine des expériences vécues par les locuteurs et donc, individuelle, mais encore métaphorique, ce qui dans la terminologie de G. Lakoff et M. Johnson désigne autant la métaphore figée2 que neuve : La métaphore est considérée comme étant liée à d’autres structures fondamentales telles que les images schématiques qui fournissent une sorte de cadre conceptuel de base issu de la perception et de l’expérience corporelle (J. I. Saeed, 2003 : 345). Cela conduira notamment M. Johnson à envisager une théorie cognitive et linguistique de l’imagination, justement sur la base des images schématiques. Il s’agit en quelque sorte d’instruire une sémantique de la perception plutôt qu’une sémantique liée à la réalité extralinguistique, possiblement formalisable en termes logiques et de vérité, ou dans son incarnation en langue, décomposable en unités telles que les sèmes par exemple. Le concept devient roi. La vérité du sens d’une lexie ou d’une expression n’est plus essentielle, mais mineure dans ce modèle. Comme le dit T. Regier (1996 : 27), On peut donc s’attendre à ce que la nature humaine des systèmes perceptifs et cognitifs soit d’une pertinence significative pour l’étude du langage lui-même. Une des tâches principales de la 1 R. W. Langacker va même jusqu’à identifier le sens avec la conceptualisation, ce qui pousse F. Rastier (1991 : 113) à objecter : « Certes le sens est chose mentale. Cela n’entraîne pas qu’une science de l’esprit soit un préalable ou une condition à la constitution de la sémantique ». 2 Et donc ce que nombre de linguistes ne considèreraient pas comme des métaphores. Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 3 linguistique cognitive est de mettre au jour les liens entre la langue et le reste de la cognition humaine. Dans ce cadre, on comprend mieux que M. Johnson puisse parler de « body in the mind » puisqu’il s’agit ni plus ni moins que d’une sémantique de la perception : de fait, les organes du corps pouvant servir cette fonction sont mis à contribution. L’originalité et la force de cette théorie résident justement dans cette sollicitation perceptive du corps pour l’établissement du sens. L’exposé que produit M. Johnson dans cette optique est particulièrement représentatif de cette « embodied » sémantique. Nous dirions alors que les images schématiques sont les plus profondes machines actives de ce modèle. De par leur statut d’entité de base, elles sont le socle de toute la théorie. 2. Les images schématiques 2.1. Éléments de définition Grâce à notre expérience physique qui est de prendre place dans le monde et d’y produire des actes [...] nous formons des structures conceptuelles que nous utilisons ensuite pour organiser notre pensée dans l’ensemble des domaines abstraits. J. I. Saeed, 2003 : 353 Outre la définition de vulgarisation formulée par J. I. Saeed ci-dessus, nous pourrions partir d’une définition de M. Johnson lui-même (1987 : 2) qui contient plus ou moins les mêmes idées et présente l’avantage d’être aussi, dans l’ouvrage, le point de départ de son raisonnement. Prenons d’abord une image schématique, qui est un modèle dynamique qui fonctionne un peu comme une structure abstraite d’image, et se connecte donc à une vaste gamme d’expériences différentes qui manifestent le même modèle récurrent. Sur la seule base de cette définition, on peut d’ores et déjà en déduire que toute image schématique doit pouvoir être réductible à une image abstraite, un schéma. Toutefois, cet aspect doit être nuancé, et il convient d’ajouter que l’abstraction n’est pas un critère décisif dans la description des images schématiques. C’est le sens de la remarque que font T. C. Claustner et W. C. Croft (1999 : 14) : Les images schématiques structurent notre expérience corporelle (Talmy 1972, 1977, 1983), et elles structurent aussi notre expérience non-corporelle, à travers la métaphore (Lakoff 1987: 453; Johnson, 1987: 29). Cette définition clarifie la description apparemment contradictoire des images schématiques qu’on rencontre parfois : or les images schématiques sont en un sens “abstraites” puisqu’elles sont schématiques, mais non “abstraites” dans un autre sens puisqu’elles sont dans le corps. Puisque les images schématiques conditionnent à la fois les perceptions corporelles et les autres – par extension métaphorique, il faut reconnaître qu’elles sont toutes abstraites dans le sens où nous pouvons les ramener à une représentation dans l’espace, mais encore parfaitement incarnées, si l’on peut dire, seulement dans les expériences perceptives corporelles. On pourrait aussi insister sur l’aspect topologique des images schématiques, en particulier sur celles qui mettent en œuvre la perception corporelle, comme le font certains auteurs comme S. Peňa Cervel (1999 : 188) : Les images schématiques sont des conceptualisations topologiques abstraites qui peuvent être utilisées pour donner une structure à une grande variété de domaines cognitifs. Cette omniprésence de l’espace dans la description du champ conceptuel n’avait pas échappé à F. Rastier, une dizaine d’années auparavant : « Cette hypothèse sur la prééminence du spatial est très répandue dans les grammaires cognitives californiennes : elle témoigne d’un néo- Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 4 localisme généralisé », hérité pour les sources les plus récentes de L. Hjemslev (1935). Ceci permet de relativiser la caractère tout à fait novateur de ce genre d’approche que l’on pourrait même rapprocher des schèmes relationnels d’A. Culioli (1991) et de l’espace sémantique des constructivistes comme B. Victorri et C. Fuchs, puis J. J. Franckel (qui parle plutôt de forme schématique) à leur suite3. Il s’agit de prendre en considération, comme le dit joliment M.-L. Groussier (1997 : 221) la « primarité du spatial ». Cette primarité dans les théories de l’embodiment serait alors étendue à toute unité sémantique, et plus seulement à quelques prépositions ou verbes polysémiques, comme c’était le cas auparavant, la métaphore entendue au sens large permettant justement cette extension. De ce fait, une image schématique est tant le point de rencontre des domaines divers qu’elle convoque que le point de propagation de ses propriétés aux domaines4. Johnson (1987 : 29) énonce même clairement cet engagement de généralisation de la théorie localiste : Un schéma est un modèle et une forme récurrents, réguliers, de ou à l’intérieur des activités programmées. En clair, toutes nos activités perceptives seraient assujetties à une image schématique au moins. Elles font le lien entre elles : c’est pourquoi M. Johnson (1987 : 41) n’hésite pas à parler de gestalt, ce qui nous permet aussi de faire écho à notre travail sur la synesthésie. Rappelons ainsi, pour reprendre la terminologie adoptée plus haut, que les images schématiques, servant diverses applications, ne sont propres à aucune modalité, perceptive ou autre. Le terme de contrainte est fortement suggéré et ne tarde pas à être lâché par M. Johnson. C’est ce que d’autres auteurs tels A. Frank et M. Raubal (1999 : 70) retiennent en particulier : Les images schématiques sont censées être omniprésentes, bien définies, et suffisamment structurées pour contraindre la compréhension et le raisonnement. Il est évident que lorsqu’on postule ainsi un concept qui aurait une telle importance dans nos vies que les preuves sur son existence sont une question majeure, ce à quoi s’attelle M. Johnson (1987 : 104-112). On peut alors être déçu par le raisonnement utilisé par l’auteur pour sa démonstration : en effet, M. Johnson ne fait qu’inverser les concepts avancés et les illustrations données auparavant. Ainsi, les illustrations, au titre desquelles nous trouvons : 1. les transformations des images schématiques (les opérations que nous faisons par leur biais et qui donc les transforment) ; 2. les opérations systématiques qui permettent de créer et d’unifier certains sens métaphoriques, comme le fait que les ‘théories’ soient fréquemment associées à des termes du champ notionnel du ‘bâtiment’ et de la ‘construction’. 3. la possibilité d’extension des images schématiques à d’autres domaines, pour produire de nouvelles métaphores ; 4. la polysémie qui, comme nous l’avons montré (C. Cusimano, 2008), n’est pas un argument parfaitement convaincant ; 5. la sémantique diachronique, censée montrer que le sens évolue selon des modèles bien précis et donc souvent de manière prévisible ; 6. et enfin, les contraintes qu’impose la métaphore à la raison, se trouvent posées comme preuves de la présence dans notre esprit des images schématiques. Le raisonnement logique est pour le moins circulaire, même si cela n’enlève rien à l’intérêt des conclusions. D’ailleurs, comme l’affirment T. C. Claustner et W. C. Croft (1999 : 13) : 3 Cf. C. Cusimano (2008 : 75-77). 4 Nous pourrions toutefois signaler une objection de T. Clausner et de W. C. Croft (1999 : 25) à M. Johnson. Ceux-ci préfèrent considérer les images schématiques comme des types de domaines, justement ceux qui peuvent être représentés dans l’espace : « Nous avons soutenu que certains domaines relèvent des images schématiques et que les images schématiques sont des types de domaines ». Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 5 elles [les schémas image] ont une réalité psychologique pour laquelle il existe des preuves provenant de la recherche expérimentale en psycholinguistique, en psychologie cognitive et en psychologie du développement (Gibbs et Colston 1995), Certaines expériences tendraient donc à en attester l’existence. Mais peu importe au fond : l’essentiel est plutôt de mesurer l’utilité que l’on peut en faire en linguistique, en sémantique et voir comment la sémantique traditionnelle, qui traite des signifiés, peut s’accommoder de ce localisme conceptuel étendu. Mais avant ceci, une dernière remarque que nous devons à P. Gärdenfors (2007 : 63) et valant mise en garde, s’impose : Ni Lakoff ni Langacker, qui utilisent la notion de manière extensive, ne donnent une définition très précise de ce que constitue une image schématique [...]. Johnson (1987) qui fut parmi les premiers à discuter des images schématiques, reste ambivalent entre imagerie et embodiment. Qu’est-ce à dire ? Simplement que les contours de la notion, faute de recul sans doute, sont mal esquissés et que les choses ne sont pas aussi claires que notre brève présentation pourrait le laisser penser. En se basant sur cette toute récente tradition, il semble même possible d’employer les termes de « embodied schema » ou de « schema » pour être court, sans que l’on cesse de désigner les images schématiques, terme que nous conserverons pour notre part devant la difficulté de traduire « embodied ». De plus, le terme d’image schématique ou schème d’image est désormais bien implanté dans la littérature francophone. 2.2. Types d’images schématiques et exemples d’application La position localiste exprimée ainsi à propos des prépositions de l’anglais est devenue extrêmement banale. M.-L. Groussier, 1997 : 221 Il est logique, comme le dit M.-L. Groussier, que la notion d’image schématique qui permet d’appréhender l’espace d’un point de vue conceptuel, puisse servir à définir les prépositions, difficilement définissable en termes de sèmes, du moins pour ce qui est admis. Les prépositions comme ang. ‘accross’, ‘over’, ou ‘under’ ou encore ‘out’ comptent parmi les premières à avoir été envisagées sous cet angle, par R. W. Langacker, M. Johnson et G. Lakoff. Parfois, au lieu de relier une préposition donnée à une image schématique comme on pourrait s’y attendre5, l’analyse produit une identification de la préposition étudiée avec une image schématique. C’est ainsi qu’à propos de ‘out’, M. Johnson (1987 : 34) en vient à parler de l’image schématique IN-OUT : … notre image schématique DEDANS-DEHORS provient en premier de notre expérience corporelle, de notre perception du mouvement. C’est pour le moins étrange puisqu’il s’appuie pour ce faire sur l’exposé de S. Lindner qui identifie trois images schématiques de base à relier à la préposition. Figure 1 : Trois interprétations de ‘out’ 5 Dans le sens où une image schématique relève du niveau conceptuel alors qu’une préposition est lexicalisée. Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 6 Par la suite, M. Johnson (1987 : 33) essaie de ramener ces trois images schématiques à une seule, en précisant : Notons que dans chaque cas différent le schéma est réalisé d’une manière différente, même s’il conserve une forme reconnaissable. En d’autres termes, il s’agit d’une forme de récurrence à travers ces cas, mais dans chaque cas particulier la forme est modifiée dans sa réalisation. Si l’on se souvient à présent de la liste – non-exhaustive à ses propres dires – des images schématiques répertoriées par M. Johnson (1987 : 126), il semblerait que la préposition combine au moins deux de celles-ci, à savoir CONTENEUR et CHEMIN, respectivement représentées par une croix (signalant un élément) inscrite dans un cercle, et un trait reliant deux points dont l’un est la source et l’autre la cible. Figure 2 : Image schématique du CONTENEUR A B Figure 3 : Image schématique du CHEMIN Ne vaudrait-il pas mieux dire alors qu’il existe une préposition ‘out’ qui se construit conceptuellement parlant par la combinaison des images schématiques CONTENEUR et CHEMIN et donne ainsi lieu à trois variantes ? On voit bien alors que le flou qui règne autour de la notion se répercute sur les analyses. Ces travaux ne sont pas sans rappeler, outre le localisme dont nous parlerons plus en détails infra, les essais de G. Guillaume sur les liens entre les prépositions françaises ‘à’ et ‘de’, que le diagramme ci-dessous synthétise. La partie qui nous intéresse en particulier est la partie inférieure dans laquelle on distingue nettement l’intérêt de l’auteur (2004 : 52) pour ce qu’il appelle la « délimitation spatiale ». Le diagramme est accompagné de la mise au clair suivante : « À la limite de son mouvement, à signifie la position. On est passé du cinétisme (Je vais à Paris) au statisme (Je suis à Paris) ». Figure 4 : Les prépositions ‘à’ et ‘de’ en français (G. Guillaume) x Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 7 Tout cela nous montre que l’usage de la dimension spatiale, ici matérialisée par le « cinétisme » et le « statisme », notions toutes guillaumiennes, est plus répandu dans la communauté linguistique que ne le laisse entendre le silence des cognitivistes sur leur héritage. Cela dit, les prépositions ne sont pas les seuls éléments étudiés par les tenants de la sémantique cognitive. Les verbes, en vertu de leurs composantes modales et aspectuelles, sont eux aussi une cible privilégiée, pour les mêmes raisons : leur dimension conceptuelle prend nettement le dessus sur leur dimension sémantique. En sémantique cognitive, T. Nesset (2007) s’est particulièrement intéressé aux verbes d’action en russe, avec un certain succès. T. Nesset a notamment utilisé l’image schématique du CHEMIN pour tenter de rendre compte de la dichotomie aspectuelle perfectif/imperfectif (2007 : 70). … nous avons vu que la présence ou l’absence de chemin correspondent à la distinction entre réalisable jusqu’au terme ou non, ce qui explique qu’un verbe de mouvement préfixé soit perfectif ou imperfectif. M. Johnson s’était quant à lui quelques années plus tôt attelé à la description de ‘must’ (1987 : 21-57) en anglais. Cette fois-ci, c’est l’image schématique dite de CONTRAINTE qui est sollicitée, ce qui se comprend aisément, alors que pour ang. ‘may’, ce serait plutôt l’image schématique ABSENCE OU SUPPRESSION DU CONTROLE qui le serait. À la suite de ces exemples, tous grammaticaux, on comprend fort bien que la spatialité soit tout aussi essentielle pour les partisans de la grammaticalisation, que l’on pourrait définir comme suit selon P. J. Hopper et E. C. Traugott (2003 [1993] : 4) : …Quand un mot plein assume les caractéristiques grammaticales d’un mot grammatical, la forme est dite grammaticalisée. Assez souvent, ce qui est grammaticalisé n’est pas un simple contenu, mais une construction entière qui comprend ce mot… La perte d’éléments du signifié des unités des langues renvoie ces dernières à ce qui est censé leur rester après le processus : leur concept. M.-L. Groussier le confirme en ces termes (1997 : 230). La théorie localiste est partout plus ou moins accompagnée de la définition du processus de dérivation du spatial au non-spatial comme un processus métaphorique. Ceci est particulièrement fréquent dans la littérature sur la grammaticalisation. Rappelons d’ailleurs, pour compléter cette digression, que M. Johnson lui-même faisait de l’évolution diachronique l’un des indices majeurs dans l’optique d’attester l’existence des images schématiques. Il y aurait encore de nombreux travaux à exposer qui se situent tous plus ou moins dans ce même registre. 3. Images schématiques et diachronie Même si nous avons un peu laissé cette dimension de côté jusqu’à présent, nous avons déjà signalé que l’évolution diachronique du signifié des unités lexicales a donné lieu à des théories comme celles qui se rattachent à la grammaticalisation. L. Hjelsmlev (1972 : 41) ne fait pas non plus l’économie de remarques à ce propos dans son ouvrage sur les cas dont nous avons déjà abondamment traité. Il faut au point de vue de la grammaire générale considérer comme un progrès décisif la théorie établie par POTT (1836.620 sv., 643 sv.), selon laquelle les désinences des cas obliques sont expliquées exclusivement comme d’anciennes prépositions. Si ce sont ici les relations entre parties grammaticales qui sont mises en évidence, nous allons plutôt nous focaliser sur les mouvements à l’intérieur d’une même catégorie. Nous aurions pu choisir pour illustration à notre raisonnement d’autres cas d’évolution sémantique, mais la Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 8 suivante concerne une préposition (parfois adverbe) – ce qui permet de prendre appui sur ce qui a déjà été dit, et fait référence à ce qu’on pourrait appeler un cas exemplaire, parfaitement prototypique en clair. En outre, chose profitable, les auteurs qui le relatent, B. Fagard et W. De Mulder, le font de façon claire et concise dans un article récent (2010) intitulé « Devant : Évolution sémantique d’une préposition en français ». L’intérêt de cet article pour notre section réside enfin dans le choix des auteurs (2010 : 193) de faire appel au localisme et à l’embodiment tout au long de l’article, comme ils l’indiquent en introduction. Nous nous interrogeons dans cet article sur l’évolution sémantique de la préposition devant en partant de l’hypothèse localiste, selon laquelle le sens évoluerait le plus souvent du concret vers l’abstrait, et plus précisément du domaine spatial vers d’autres domaines dits plus abstraits, comme le domaine temporel. Cette application, la dernière du chapitre, a donc pour objectif de voir comment d’un glissement de sens s’ensuit une modification de la définition conceptuelle d’une lexie. Nous allons ainsi pouvoir mesurer si une délimitation du concept de ‘devant’ par le biais d’images schématiques permet de bien cerner la modification en question. Précisons tout d’abord pourquoi ‘devant’ présente un intérêt certain dans cette optique : Nous nous intéressons au cas de devant, adverbe et préposition du français, dont l’évolution sémantique constitue un parcours intéressant de ce point de vue. Ce morphème paraît suivre parfaitement le chemin prédit par l’hypothèse localiste, avec le passage d’un sens purement spatial à divers sens notionnels, mais il présente une caractéristique au prime abord étonnante : le développement puis la perte d’un emploi temporel. Si l’on devait résumer les enseignements réunis dans cette étude, on pourrait commencer par dire que la préposition nous vient du latin ‘ante’ ou encore plus loin de l’indo-européen ‘ *ant-’ signifiant « front ». Or ‘avant’ provient plus exactement de ‘ab’ + ‘ante’ quand nous devons ‘devant’ à l’adjonction de ‘de’ au même segment ‘ante’. C’est ainsi que l’on pourrait suivre B. Fagard et W. De Mulder (2010 : 194) lorsqu’ils affirment qu’« on part d’un objet ou plus précisément d’une partie du corps (le front) pour ensuite désigner une portion d’espace (la chaise est devant la table), avec enfin des emplois figurés : “en présence de” dans il a comparu devant les juges ou encore “en raison de” dans devant ce désastre, il a dû renoncer ». Pour évoquer la source de cette évolution, disons que les occurrences de ‘devant’ en ancien français se divisent entre emplois adverbiaux et prépositionnels, avec une forte préférence pour ces derniers : dans les deux cas cohabitent des emplois temporels et spatiaux du morphème grammatical. Sur ce point, les auteurs (2010 : 201) affirment : L’ordre spatial et l’ordre temporel coïncident donc dans ce cas et ils sont tous les deux impliqués dans les mouvements, de sorte qu’on peut s’imaginer que les locuteurs passent imperceptiblement de l’un à l’autre. Bref, les emplois temporels de la préposition pourraient avoir plusieurs origines, ce qui n’est pas surprenant s’il est vrai qu’ils sont dérivés du sens spatial. On comprend bien que sous cette difficulté se cache la tentation de recourir à la grammaticalisation, ce que B. Fagard et W. De Mulder feront d’ailleurs à quelques reprises : métonymie et métaphore s’invitent alors dans le raisonnement des auteurs, un peu comme le faisait R. Martin pour établir une typologie des emplois polysémiques (cf. C. Cusimano, 2008 : 57-64). Dans la longue période qui s’étale entre l’ancien français et le français classique, on note ensuite une nette baisse du nombre d’emplois temporels. Ne reste presque plus, dès le français classique, que des emplois spatiaux ou « figurés », ces derniers étant constitués par les types de transferts évoqués ci-dessus. L’évolution vers le français moderne conserve ces deux types d’emplois et l’on aboutit ainsi à la configuration suivante (2010 : 203) : Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 9 Dans ses emplois spatiaux en français moderne, devant peut introduire un animé ou une chose (tlfi), et les emplois figurés sont présentés comme des extensions de cet emploi spatial par le tlf-i (qui considère comme vieillis et poétiques, ou régionaux, les emplois temporels du type devant l’été des ans j’en ai touché l’hiver) : “en présence de” (avec un ensemble d’individus, une chose concrète, une institution, un corps juridique) ; “face à, au regard de” ; “du fait de, sous l’influence de qch”. Comme nous l’avons déjà souligné, les auteurs ne manquent pas de faire référence aux théories localiste et de l’embodiment pour agrémenter leur propos de considérations théoriques et même souvent typologiques. La thèse localiste n’est donc confirmée qu’en partie ; c’est plutôt l’hypothèse de l’embodiment qu’il faudrait retenir, puisqu’un terme indiquant une notion spatiale s’est développé à partir d’une appellation d’une partie du corps humain. Il s’agit d’ailleurs là d’un phénomène courant. Toutefois, jamais les images schématiques ne sont évoquées ; or c’est justement par l’intermédiaire de cet outil que nous voudrions essayer de compléter cette étude. M. S. Peña Cervel (2003), en reprenant la liste des images schématiques données par M. Johnson, a essayé de les classer. La plupart se sont ainsi vu ranger dans l’un des trois types que sont : i. CONTENEUR (regroupant plein-vide et excès par exemple), ii. CHEMIN (dont devant-derrière, verticalité, force, etc.), et iii. PARTIE-TOUT (centre-périphérie, fusion, correspondance, etc.) Il est bien évident que celle qui pourrait servir nos objectifs est celle que G. Lakoff avait introduite en 1987 en la nommant FRONT-BACK, ce que l’on devrait pouvoir traduire par DEVANTDERRIERE et relève donc du type CHEMIN. Là encore, il aurait été appréciable qu’une notation particulière régisse l’emploi des types et des sous-types, mais ce n’est pas le cas. Cela n’enlève rien à la justesse de la définition de l’image schématique que M. S. Peña Cervel (2003 : 180) produit. a. La source ou le point de départ peuvent être considérés comme DERRIERE. b. La destination ou l’arrivée peuvent être dits AVANT. c. Une série de points intermédiaires entre la source et la destination font progresser le TR de la source vers l’objectif. d. La directionnalité ou l’orientation inhérente font évoluer le TR dans l’espace. En ce sens, on pourrait même dire qu’il y a identité entre ‘devant’ et une partie de l’image schématique, celle qui marque la fin du chemin effectué par le trajecteur jusqu’au point de repère (cidessous en gras). Rappelons que dans la terminologie propre à la sémantique cognitive, « TR » est l’abréviation correspondant à ang. ‘trajector’, soit l’animé ou l’inanimé engagé sur le chemin (le trajecteur), et « LM » à ang. ‘landmark’, c’est-à-dire le point de référence pour apprécier la trajectoire. A. Borillo (1998 : 13) procède à un nécessaire éclaircissement terminologique : Pour décrire cette relation asymétrique que l’on pose entre les éléments d’une situation spatiale, différents termes ont été choisis pour distinguer l’entité à localiser et l’entité de référence. En anglais, plusieurs couples de termes ont été proposés : trajector/landmark (Langacker 1986), theme/reference object (Jackendoff 1983), figure/ground (Talmy 1983). En français, on parle de corrélat de lieu/lieu (Boons 1985), de cible/site (Vandeloise 1986) C’est d’ailleurs ce dernier couple que A. Borillo retient. S’ensuit (1998 : 33-34) un développement rondement mené sur les caractéristiques auxquelles obéissent la cible (le sujet de la relation spatiale selon C. Vandeloise) et le site (l’objet de la relation spatiale) que nous ne relaterons pas ici, ce qui nous conduirait à une trop longue digression. En termes d’images schématiques, on pourrait exprimer la relation par le diagramme suivant (Y.-L. Wu, 2009 : 15). Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 10 Figure 5 : L’image schématique DEVANT-DERRIERE (Yi-Ling Wu) À y regarder de plus près, cette image schématique, qui semble permettre de rendre compte tant du ‘devant’ spatial que du ‘devant’ temporel 6 de l’ancien français, conduit à l’indifférenciation, ou plus exactement à l’impossibilité de différencier les deux types d’emplois par ce biais : si l’on peut déterminer tous les emplois temporels par la même image schématique que celle utilisée pour les emplois spatiaux, alors cela signifie que les images schématiques servent à définir les concepts à un niveau plus profond, comme le sémème tel que nous l’avons conçu le fait à un niveau sémantique. Les images schématiques sont donc des outils de définition du noyau des concepts, que les inférences contextuelles permettent de compléter. Pour mieux le comprendre, la question du lien entre les deux types d’emplois est une question majeure que n’éludent d’ailleurs pas B. Fagard et W. De Mulder (2010 : 201). Dans notre corpus, il n’y a pas d’emploi temporel qui ne soit pas lié à un contexte clairement temporel (voir par exemple les compléments Pentecôte, none, la nativité, trois mois dans les exemples (42) à (45) ci-dessus), ce qui invite à considérer qu’il ne s’agit là que d’inférences contextuelles. D’autre part, cela n’exclut pas que de tels emplois aient existé ; les emplois adverbiaux (donc sans complément) de devant sont clairement temporels. Ainsi, on peut certes postuler que les emplois temporels sont dérivés des emplois spatiaux, mais la seule image schématique ne permet pas d’en rendre compte. Cela se comprend fort bien si l’on admet que le ‘devant’ temporel équivalait quasiment à ‘avant’ (préposition) ou ‘auparavant’ (adverbe) contemporains. Or l’image schématique donnée plus haut se prêterait sûrement peu ou prou à leur définition. Ce qui change, c’est en fait la sphère d’application de l’image schématique, ce que nous avons appelé des Traits Sémiques d’Application au niveau sémantique. Nous pourrions le matérialiser de la sorte. Figure 6 : Transfert d’une image schématique en diachronie (C. Cusimano) Comme on le devine, on doit concevoir cette représentation comme pourvue d’une certaine souplesse au fil des siècles : en effet, nous avons choisi de laisser en transparence l’image schématique DEVANT-DERRIERE dans la sphère temporelle pour attester de la situation actuelle, dans laquelle ‘devant’, écarté de cette sphère par la concurrence de ‘avant’ en particulier, se trouve relégué dans sa sphère d’origine uniquement. On aurait bien sûr pu ajouter une troisième sphère 6 Comme dans l’exemple d’emploi adverbial donné par B. Fagard et W. De Mulder (2010 : 197) : « … si com lo moinent li mesage qui devant i orent esté « (il chevauche droit vers Carthage) en suivant les messagers qui y étaient déjà allés » (Enéas 705, ibid. : 239) » ; ou l’exemple d’emploi prépositionnel suivant (Ibid., 201) : « A Tintaguel le troverent Vint jorz devant nativité « Ils le trouvèrent à Tintagel, vint jours avant la nativité » (Erec 6519, cité par Tobler-Lommatzsch 1853) ». Sémantique cognitive et images schématiques (C. Cusimano) 11 correspondant au domaine notionnel, mais cela n’aurait fait qu’alourdir la figure sans comporter de réel apport. Il est intéressant de noter que ce phénomène de transfert du concept de lexies issues de la sphère spatiale vers la sphère temporelle ou notionnelle est très répandu, et ce dans un grand nombre de langues. C’est ce que signalent B. Fagard et W. De Mulder (2010 : 193). Ainsi, Svorou (1994 : 127 sqq.) a trouvé, dans un échantillon de 94 langues, des extensions sémantiques du sens spatial à des sens temporels (“avant”, “il y a”…) et notionnels (“en face de, en présence de”, “en comparaison de”, “avec”, “malgré”). Heine et Kuteva (2002) notent quant à eux la grammaticalisation du nom front en adposition ou adverbe, signifiant d’une part “avant”, en bulgare, turc, mandarin, lingala et kwaio, et de l’autre “après”, en shona et moré. Après une brève recherche, nous avons pu nous-même le vérifier : ainsi, on peut observer un transfert du domaine spatial en ancien anglais vers le domaine notionnel dans les langues germaniques comme le suédois (cf. L. Ekberg, 2004 : 26). En Ancien Anglais le sens central de wiÞ était grosso modo celui qu’il a en Anglais Moderne : “contre” (Dekeyser 1990). Le sens originel de wiÞ (et de ses cognats) en Ancien Anglais était directionnel : “vers” (Onions 1966), ce qui devint oppositionnel dans certains contextes concrets (Traugott 1985: 518) a. wiÞ Italia Contre l’Italie b. Hie gefuhtun wiÞ Walum Il se sont battus contre les Celtes d’Angleterre et les Gallois. Cette généralisation des transferts entre dans le cadre des modifications bien connues des linguistes. Si les cerner par le biais des images schématiques apporte une certaine matérialisation de l’essence conceptuelle des lexies engagées, cette dernière expérimentation a surtout permis de mettre en évidence que la diachronie donne parfois lieu à un changement de sphère d’application dont les théories de l’embodiment ou de la grammaticalisation ne peuvent revendiquer la paternité. À l’inverse, cette idée de l’incarnation première et originelle des concepts qui donnent naissance aux lexies concentre une bonne part du mérite dû à la sémantique cognitive qui, si elle n’a que partiellement assumé son héritage européen, a du moins remis au goût du jour en l’adaptant au contexte contemporain la théorie localiste et des auteurs comme L. Hjelmslev. Bibliographie Borillo A., L’Espace et son expression en français, Paris, Ophrys, 1998. Clausner T. C. et Croft W., « Domains and image schemas », Cognitive Linguistics, n°10, New York, Mouton de Gruyter, 1999, p. 1-31. Croft W. et Cruse D. A., Cognitive Linguistics, Cambridge, Cambridge UP, 2004. Cruse A., Lexical Semantics, Cambridge, Cambridge UP, 1986. –, Meaning in language, Chippenham, Oxford UP, 2004. Ekberg L., « Transformations on image schemas and cross-linguistic polysemy », dans « Tre uppsatser om semantisk förändring hos relationella lexem », Nordlund, n°24, Småskrifter från Institutionen för nordiska språk i Lund, 2004, p. 25-46. Fagard B. et De Mulder W., « Devant : Évolution sémantique d’une préposition en français » dans Neveu F., Muni Toke V., Durand J., Klingler T., Mondada L., Prévost S. (dir.) CMLF2010 Proceedings, Paris, 2010. Gärdenfors P., « Cognitive semantics and image schemas with embodied forces » dans Krois J. M., Rosengren M., Steidele A. et Westerkamp D. (dir.), Embodiment in cognition and culture, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins, 2007, p. 57-76. Groussier M.-L., « Prépositions et primante du spatial : de l’expression de relations dans l’espace à l’expression de relations non-spatiales », Faits de langues, n° 9, 1997, p. 221-234. Hjelmslev L., La Catégorie des cas. Étude de grammaire générale, Munich, Wilhelm Fink Verlag, 1972. 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Cela semble être le cas de ici/là en français contemporain. C’est ce que suggère L. Foulet dès la moitié du siècle (1954 : 454) : … une opposition fondamentale du moyen âge a l’air d'avoir subsisté jusqu’à nous. Il n’en est rien. Un véritable bouleversement s’est produit dans ce coin de la langue. Voici ce qu’on entend tous les jours : « Y a-t-il longtemps que vous êtes là ? — Non, je suis là depuis deux minutes ». Tout le moyen âge et peut-être toute l’époque classique auraient dit « je suis ici ». Or comme le note J. C. Smith (1995 : 45), Malheureusement, peu de commentateurs creusent la notion d’« opposition » en ce qui concerne la division du travail entre ici et là. Toutefois, nous pourrons mettre à l’épreuve certaines de leurs hypothèses. Il suffira de trouver un cas où seul l’un des deux termes peut être utilisé, à l’exclusion de l’autre, pour rejeter l’hypothèse de la synonymie. L’existence d’un contexte où on peut employer ici mais pas là nous permettra en même temps d'écarter l’hypothèse de l’hyponymie. On voit donc que ce problème se prête particulièrement bien à un travail de linguistique folk que chaque lecteur pourra réaliser par entretiens ou par questionnaires, auprès de son entourage, auprès d’étudiants, etc. Ici et là sont-ils toujours employés dans des contextes différents ou non, alors qu’ils l’étaient assurément en ancien français et en moyen français ? Qu’en est-il des oppositions qui répondent d’un fonctionnement similaire, comme voici/voilà, ceci/cela ? Dans un second temps, il faudrait essayer de cerner le fonctionnement de l’opposition en moyen français en termes d’image schématique, puisque L’évolution sémantique et pragmatique de ces éléments […] semble d’un intérêt évident, surtout dans la mesure où elle peut être rapportée à des travaux récents sur le rôle de la métaphore et de la métonymie dans le changement sémantique et sur la subjectivation et l’évolution de sens épistémiques. (J. C. Smith, 1995 : 43) Il serait alors peut-être possible de caractériser, si évolution il y a, celle de cette opposition en diachronie. Outre une relecture du chapitre en question, nous recommandons vivement, avant de faire l’exercice, la lecture des deux articles déjà cités qui abordent spécifiquement la question. Foulet L., « L’effacement des adverbes de lieu : II — ici, là et leur groupe », Romania, n° 75, 1954, p. 433-456. Smith J. C., « L’évolution sémantique et pragmatique des adverbes déictiques ici, là, et là-bas », Langue française, Vol. 107, n°1, 1995, p. 43-57.