Texto I Textes et Cultures, Vol. XXI, n°1 (2016) Reflexions critiques sur les tests lexicaux proposes aux malades d'Alsheim er Christophe Cusimano Universite Masaryk de Brno (Rep. tcheque) ccusim@phil.muni.cz Resume : Dans cet article, nous proposons un examen critique des tests lexicaux (de denomination, de designation et d'appariemeni) realises lors du diagnostic ou de la prise en charge de la maladie d'Alzheimer. En effet, jamais soumis a une expertise linguistique, encore moins semantique, ces tests placent les patients dans des situations de communication artificielles ou ne sont pris en compte ni le paradoxe de Fobservateur ni la constitution du lexique telle que la semantique textuelle contemporaine la concoit, c'est-a-dire comme des reseaux modeles du plus global vers le plus local. En prenant appui sur les acquis de la linguistique de corpus, nous tenterons alors de montrer comment d'autres tests sont possibles. MotS-cles : Alzheimer — semantique textuelle — anomie — manque du mot - denomination — designation — appariement — hermeneutique — paradoxe de Fobservateur — domaine — taxeme Abstract: This article is a critical review of the lexical tests {naming tests, showing tests, impairments) proposed to patients in order to make a diagnosis and to define a treatment in Alzheimer's disease. Indeed, patients are confronted with artificial situations of communication in which the observer's paradox is not taken into consideration. Moreover, these tests simply keep quiet the construction of the lexicon as the contemporaneous textual semantics understands it, namely networks designed from discourse kinds to morphemes. According to the expertise of corpus linguistics, we thus try to show how other tests are possible. Keywords: Alzheimer — textual semantics — anomia — missing word — showing tests — naming tests — impairment — hermeneutics — observer's paradox — discourse kind — textual kind Texto I Textes et Cultures, Vol. XXI, n°1 (2016) Reflexions preliminaires sur tes linguistes et la maladie d'Al^heimer Alors que le diagnostic (rarement sur) et la detection de la maladie d'Alzheimer (ou demence de type Alzheimer, desormais DTA) se font sur une base essentiellement clinique, il est curieux que le langage des malades ait ete si peu etudie par les specialistes du «langage non-pathologique », si l'on peut le dire ainsi, par exemple des semanticiens comme nous-meme. II est inutile d'en chercher les raisons qui sont sans doute a situer entre un desinteret pour la question et une supposee absence de competence en la matiere. Quoi qu'il en soit, les avancees de la linguistique theorique mais aussi celles de la semantique des textes, sont tenues loin du debat, ce qui permet de comprendre 1'absence de mise en pratique de concepts et de lois dont la validite operatoire a pourtant ete confirmee par de minutieuses analyses de (grands) corpus : nous pensons en particulier a la loi hermeneutique de determination du local par le local, totalement absent des travaux qui comportent des tests lexicaux (tests de denomination ou naming tests en anglais, d'appariement ou impairments), alors qu'elle permettrait d'asseoir theoriquement le choix et la construction des epreuves proposees aux malades. Cet article se compose d'une presentation sommaire des differents stades de la maladie et des facteurs influant sur les competences linguistiques des malades, puis d'analyses de cas pratiques, c'est-a-dire de presentations critiques de tests lexicaux. Nous tenterons alors de montrer comment d'autres tests sont possibles en tenant compte des recentes observations de la semantique textuelle. 7. Langage et troubles de demence de type Alzheimer: une inevitable approche multi-fa ctorie lie Les troubles du langage dans la MA se caracterisent par une heterogeneite tres importante. II n'y a pas, en effet, de profil venant signer a lui seul le deficit linguistique des patients. M. Barkat-Defradas et. alii (2008) Disons-le tout de suite, dans les ouvrages generalistes la question du langage est balayee en quelques paragraphes synthetiques. Ranges parmi les troubles cognitifs (au meme titre que les troubles de la memoire, les troubles praxiques, etc.), les troubles du langage sont a repartir en plusieurs phases, diverses etapes d'aggravation. Selon J. Touchon et F. Portet (2002 : 39-40), la premiere d'entre elle, la phase d'etat, correspond aux symptomes suivants : Le discours est peu mformatif, pauvre, voire deja partiellement incoherent. [...] En effet, Fexpression devient jargonnee, emaillee de periphrases, de nombreuses paraphasies phonemiques (ex. : modification d'un ou plusieurs phonemes dans le mot) et semantiques (remplacement d'un mot par un autre voisin de sens), de neologismes, de perseverations, avec tendance a l'echolalie (repetition d'un phoneme ou groupe de phonemes enonces par autrui) et a la palilalie (repetition spontanee d'un phoneme ou groupe de phonemes). Le diagnostic repose bien evidemment sur des reponses positives a une serie de criteres (determinees lors de tests d'attention, de memoire, de reconnaissance) dont les capacites langagieres ne sont qu'une partie. Lors de l'examen, toujours selon les memes auteurs (2002 : 53) les difficultes suivantes sont particulierement recherchees : II s'agit de reperer les troubles phasiques : simple perte du mot juste ou troubles de Fexpression plus marques, troubles de la comprehension, alteration de la lecture et de l'ecnture... L'analyse du discours spontane et des possibilites de comprehension des directives donnees, la realisation d'epreuves de denomination et de fluence verbale permettent une premiere approche de ces troubles du langage. Toutefois, alors qu'ils donnent en annexe des exemples de tests de denomination, J. Touchon et F. Portet n'en disent pas plus sur les methodes utilisees pour analyser ledit « discours spontane ». D'autres auteurs avancent que, avec le temps, il devient si difficile de se rememorer les mots que Texto I Textes et Cultures, Vol. XXI, n°1 (2016) les malades en viennent par exemple « ä utiliser des mots tres eloignes du mot cible (par exemple « nid » pour « pigeon ») » (M. Barkat-Defradas et alii, 2008). Pour l'instant, notons encore que la phase dite «terminale » correspond ä des symptomes qui ne laissent plus planer aucun doute puisque «la communication est difficile, elle ne peut passer que par le non verbal (melodie du langage, toucher, regards...). » (J. Touchon et F. Portet, 2002 : 46). Afin de disposer de plus d'elements d'analyse discursive, l'on doit alors chercher du cote des praticiens orthophonistes comme Thierry Rousseau (2011). Des parametres linguistiques (sont exclus ici, l'age, le niveau socio-culturel du patient, etc.) se trouvent en effet mis au jour : bien qu'evoluant dans le cadre clivant de la theorie pragmatique des actes du langage, l'auteur note que les competences communicationnelles orales, lors d'entretiens pousses, peuvent etonnamment varier selon (i.) le theme d'interlocution, (ii.) le contexte d'enonciation (situation de dialogue vs. conversation de groupe, differences selon les interlocuteurs du malade). On sait aussi que la langue de l'enonciation est un facteur de variation : on peut assister ä la « resurgence vs. oubli d'une langue chez les sujets bilingues » (M. Barkat-Defradas et alii, 2008). L'enonciation en langue etrangere contribue, semble-t-il de maniere frequente et sensible, ä une nette modification du comportement du malade. Nous-meme avons pu en etre temoin aupres d'une malade, de langue maternelle italienne, qui suivait bien mieux les dialogues lorsqu'ils avaient lieu en italien, quand bien meme ne parlait-elle plus que francais depuis fort longtemps. Ce phenomene est aussi atteste dans le journal de C. Couturier intitule Pu^le, Journal d'une Alzheimer. L'auteure (2004: 112) n'explique-t-elle pas : Et puis, bizarrement, j'ai remarque que lorsque je suis en face de personnes qui ne parlent pas la meme langue que moi, j'arrive ä suivre le principal des conversations. Je suis sans doute plus attentive ä leurs regards et ä leurs gestes. Marlene avait dejä remarque cela, car je ne connais pas un mot de liollandais et je traduis pour elle les mots quelle ne trouve pas. C'est un comble quand moi-meme je ne suis pas fichue de trouver un mot ordinaire en francais, ma propre langue, dans mes propres conversations. Ce passage illustre, en meme temps que le renforcement de 1'attention lorsque l'enonciation a lieu en langue etrangere, le sentiment largement repandu parmi les malades du « mot sur le bout de la langue », ou manque du mot dans leur langue maternelle. Mais le plus important ä noter ici est done que toute approche des discours de malades ne saurait etre que multi-factorielle. Or, nous verrons que les batteries de tests effectues passent souvent cet imperatif sous silence. 2. Aux sources des tests lexicaux : le « manque du mot» II est acquis que l'un des symptomes ä la fois le plus precoce mais aussi le plus repandu, ä tel point qu'il sert ä delivrer le diagnostic, est-ce qu'on appelle couramment le « manque du mot» (ou anomie) : d'abord leger et susceptible d'etre compense par d'habiles tournures, il s'accentue inevitablement. II est manifestement ä l'origine de cette attention toute particuliere portee au lexique dans les etudes sur la DTA, d'autant plus que les troubles d'ordre syntaxique semblent tardifs et peu significatifs pour ce type de demence. II est done primordial que les tests lexicaux soient construits ä bon escient. Or, disons le tout d'abord, ces tests ne reposent pas sur une connaissance claire de l'organisation du lexique mental : les mots existent-ils en eux-memes ? Sont-ils organises en reseaux et, si oui, comment ? Les concepts sont-ils vraiment agences hierarchiquement autour de prototypes ? Aucune reponse n'est apportee, alors meme qu'il s'agit lä d'interrogations essentielles. Ces insuffisances, sans doute imputables au parti-pris de la psychologie cognitive pour qui le langage est constitue de mots, se repercutent necessairement dans les experiences menees sur la DTA, toutes destinees ä tester l'acces lexical. En outre, un semanticien sera frappe par le grand flou terminologique dans certains travaux sur la DTA qui comportent des tests lexicaux : ainsi, lorsqu'on parle de comprehension, on entend souvent par la les reponses lors de tests visuels de denomination ou d'appariement, tests le plus Texto I Textes et Cultures, Vol. XXI, n°1 (2016) souvent pratiques, comme nous le verrons, sans discernement et que des locuteurs sains ne seraient pas surs de reussir tous, faute d'en saisir la consigne, d'apprecier correctement les images, ou sous l'effet du stress d'etre interroges. De meme, rarement evoquee, la methodologie de recueil ne semble pas gerer le paradoxe de l'observateur , ce qui pourrait laisser entendre que les resultats sont biaises par avance. Or, le moins que l'on puisse dire, c'est que le test de depistage de la maladie d'Alzheimer n'est pas une situation de communication naturelle, « ecologique » comme diraient les praticiens. Pire, lesdits tests sont sommaires et partiaux. Pour illustration, void comment ils se presentent sous la plume de T. M. Tran et alii: Figure 1 : Illustration des trois laches cle la BETL pour item cible « verre » 0 0 Q I. Denomination II. Designation III. Appariement sémantique Aprés le test de denomination (ici I.) , soit Facte de nommer l'image presentee, la täche ä effectuer en II. et III. est expliquée de la sorte (2012 : 1662) : «la comprehension lexicale orale évaluée par une épreuve de designation ďimages ä partir d'un mot présenté ä ľoral. Chaque planche comprend 6 images avec, en plus de la able (ex. de la figure 1 : verre), un distracteur visuel (ex. : bocal), un distracteur phonologique (ex. : fer), un distracteur sémantique (ex. : tasse) et deux distracteur [sic] neutres (ex. : pyramíde et autobus) dont ľun correspond ä une autre able sans rapport ni de forme ni se sens avec la able explorée (ia pyramíde). Quinze planches comportent un distracteur neutre et un distracteur mixte qui peut étre visuo-sémantique (ex. de la figure 2 : moule et huítre), sémantico-phonologique (ex. : oreille et orteil) ou encore visuo-sémantico-phonologique (ex. : escalier et escabeau). » Pour ne prendre que cet exemple pour l'instant, on peut déjä voir que ce qui est percu comme un test de comprehension lexicale est en fait un simple test de mise en rapport entre signifiant et referent, au mieux de mise en evidence de liens associatifs. Mais la encore les choses sont mal posées, car le test brise les lois de la communication : jamais un locuteur ne se trouve « naturellement» face ä des tests de ce genre. Pour des locuteurs qui se trouvent en situation plus ou moins avancée de détresse langagiére, de nombreuses etudes (cf. notamment T. Rousseau, 2011) montrent qu'il est indispensable de ne pas « passer du coq ä ľane ». Or c'est exactement ce que produisent ces tests : ainsi, le test succédant celui de la figure 1 met le patient aux prises avec toutes sortes d'animaux marins ou fruits de mer. Claude Couturier, dans son journal, exprime toute son apprehension devant certaines situations de communication, en particulier les entretiens libres dans lesquels elle sent que les competences pour intervenir lui échappent. Elle semble plus ä l'aise dans certaines situations mieux cadrées, oú aucun imprévu ne guette ; nous dirions en termes plus linguistiques tant contextualisées que co-textualisées, insérées dans un discours et un genre textuels. Car il est bien connu que le genre, entendu comme variable linguistique, crée en production des contraintes et en reception des attentes. En ce sens, méme des tests lexicaux ne sauraient étre prives de ces axiomes, d'autant plus lorsqu'ils s'adressent ä des locuteurs angoissés par leur situation et qui, manifestement, comprennent fort bien ce qui leur arrive. 1 On ne peut en juger que lorsque la methodologie est evoquee, car dans la plupart des cas les auteurs gardent secrete la liste proposee aux patients, ou, quand c'est le cas, ils ne cherchent aucunement a la justifier. 2 Meme les linguistes ne s'en preoccupent guere, comme le montre la these de doctorat — par ailleurs tres instructive, de H. Lee (2012) ou cette question n'est jamais posee. Texto I Textes et Cultures, Vol. XXI, n°1 (2016) 3. Inventaire des biais des tests lexicaux Nous voudrions d'emblee clarifier notre position : il ne s'agit pas dans cette etude de porter un jugement sur les nombreux travaux, provenant majoritairement de collegues medecins, orthophonistes (plus rarement linguistes), consacres a la maladie d'Alzheimer ou, pour etre plus precis, aux troubles de demence de type Alzheimer (DTA). D'ailleurs, nous ne disposons pas des competences necessaires a l'examen des donnees strictement medicales et, de fait, nous nous focaliserons seulement sur leur dimension langagiere. II est bien evident que 1'« heterogeneite » des troubles (dont parlent M. Barkat-Defradas et alii) est alors un frein a notre demarche mais le manque de sources realisees par des semanticiens l'est plus encore. Certes les etudes sont plethore, et force est de consigner «l'abondance et la richesse des travaux consacres a la dimension linguistique de la MA», en anglais3 en particulier, mais trop peu s'appuient sur des fondements theoriques actualises, dirions-nous : certes les echecs aux tests, qu'ils soient le fait d'un delai de reponse trop long, de periphrases ou d'hyperonymes qui remplacent les mots absents, sont significatifs et exploitables (dans le sens ou ils montrent un ecart net avec les locuteurs sains), mais plusieurs objections doivent etre formulees : (i) ils ne sont en rien symptomatiques de la maniere dont les malades comprennent ces mots, car il est bien connu que l'on parle toujours moins bien que ce que l'on ne comprend : ces echecs pourraient done au mieux etre interpreter comme les marques d'un recul de l'etendue du vocabulaire actif; et encore, les tests ne mettent en jeu que des substantifs au referent concret dont la realite est peut-etre eloignee pour certains locuteurs, comme pour les animaux marins, ce qui implique un usage peu regulier des termes ; (ii.) les tests ne prennent pas non plus en compte le niveau d'etude des patients, ni meme les competences des differents locuteurs en vocabulaire avant que la maladie ne soit decelee et observee, alors que de nombreuses etudes en montrent l'importance : dit autrement, elles eludent artificiellement des facteurs peut-etre decisifs, meme si la celebre formule «toutes choses egales par ailleurs » ne semble pas realisable dans ce cas ; (iii.) en outre, ils font fi de la construction des champs semantiques telle que la linguistique de corpus la concoit. En effet, il existe des tendances a 1'attraction/repulsion entre lexemes qui ne sont pas aussi evidentes que cela pourrait paraitre a des non-linguistes et ces tendances ne sont aucunement susceptibles d'etre determinees a priori par le praticien : par exemple, comme l'a fort bien demontre Francois Rastier, alors qu'on pourrait penser que « caviar » et « poisson pane », tous deux pourvus du seme /alimentation/ se rencontrent frequemment en contexte, des etudes de corpus montrent que ce n'est jamais le cas, le seme afferent /luxe/ de 'caviar' les isolant fermement l'un de 1'autre4. Au lieu de ca, on peut lire sous la plume de T. M. Tran et alii (2012 : 1661) que les mots sont choisis au regard de leur frequence (comment est-elle evaluee ?), leur longueur (alors que selon e'est surtout la densite de voisinage phonologique qui semble faciliter la recuperation du mot), et l'opposition objet manufacture/naturel: Les variables linguistiques de cette epreuve sont equilibrees en termes de frequence (18 mots frequents, 18 mots moyennement frequents, 18 mots peu frequents), longueur (18 mots de 1 syllabe, 18 de 2, et 18 de 3 syllabes) et de categorie semantique (27 objets manufactures et 27 categories naturelles). En persiflant un peu, on pourrait done dire que rien n'empecherait de trouver a la suite dans le test un refrigerateur puis une scie-sauteuse, ou un calamar puis un ananas. Nous exagerons a peine, puisque le test de denomination dit« de Boston » (« The 60-item Boston Naming Test» ou BNT), qui fait autorite en neuropsychologic, fait defiler les representations des referents suivants : 3 Nous faisons ici une autre hypothese jamais soulevee, dans aucune des etudes que nous avons feuilletees : les troubles de demence de type Alzheimer se manifestent-ils au travers du langage de la meme maniere en francais, en anglais, mais aussi dans des langues typologiquement plus eloignees ? Pour ne prendre qu'un exemple qui nous vient a l'esprit, dans les langues bantoues, les locuteurs perdent-ils l'usage des classificateurs et, si oui, a quoi le relier dans les langues qui ne disposent pas de cette categorie ? 4 « Or, en situation d'enonciation, caviars, beaucoup plus de chances d'etre atteste au voisinage de champagne ou de foiegras que de poisson pane, lequel, theoriquement, ne serait pourtant distant, dans le reseau de WordNet, que d'un embranchement! » (F. Rastier, 2011 : 154). Texto I Textes et Cultures, Vol. XXI, n°1 (2016) 1. Bed 2. Tree 3. Pencil 4. House 5. Whistle 6. Scissors 7. Comb 8. Flower 9. Saw 10. Toothbrush 11. Helicopter 12. Broom 13. Octopus 14. Mushroom 15. Hanger 16. Wheelchair 17. Camel 18. Mask 19. Pretzel 20. Bench 21. Racquet 22. Snail 23. Volcano 24. Seahorse 25. Dart 26. Canoe 27. Globe 28. Wreath 29. Beaver 30. Harmonica 31. Rhinoceros 32. Acorn 33. Igloo 34. Stilts 35. Dominoes 36. Cactus 37. Escalator 38. Harp 39. Hammock 40. Knocker 41. Pelican 42. Stethoscope 43. Pyramid 44. Muzzle 45. Unicorn 46. Funnel 47. Accordion 48. Noose 49. Asparagus 50. Compass 51. Latch 52. Tripod 53. Scroll 54. Tongs 55. Sphinx 56. Yoke 57. Trellis 58. Palette 59. Protractor 60. Abacus En clair, la memoire des patients est promenee de domaine en domaine et de taxeme en taxeme sans le moindre management (semantique). Notons que nombre d'etudes lexicologiques, en particulier sur la polysemie, comportent le meme defaut de regrouper artificiellement des acceptions qui ne partagent aucun contexte d'apparition. Cette remarque pourrait etre denuee d'interet si les tests orthophoniques ne prenaient pas pour base cette meprise theorique ; or l'on peut lire sous la plume de certains professionnels comme M. Castera, V. Kuhn et M. Medina que : La selection lexicale est entrainee a partir : - d'un travail sur la polysemie : Pactivite consiste a trouver les differentes acceptions d'un mot en facilitant revocation par un indice contextuel : « Vous devez creer des phrases avec le mot BAGUETTE alors que vous etes boulanger, puis chef d'orchestre, puis menuisier. Or il est peu probable, jeux de mots exclus, que ces differentes acceptions de 'baguette' se rencontrent en contexte, ce qui contraint les locuteurs souffrant de DTA a emprunter des reseaux lexicaux artificiellement connectes. Pour etre plus instructifs, les tests devraient au contraire etre contextualises en ne proposant que des images de referents, eventuellement reparties en cycles, qui sont susceptibles d'apparaitre dans un meme contexte. En somme, on peut dire que le plus embarrassant est que ceux-ci enfreignent la loi hermeneutique de determination du local par le global qui augmente les affinites entre certains lexemes et reduit drastiquement les chances d'en voir d'autres se cotoyer dans un texte donne. Or ces contraintes constituent une part essentielle du langage tel que tout locuteur l'apprend, l'interiorise et le restitue. Les praticiens pourraient plutot proposer aux patients de courts textes (ou de courts extraits de textes homogenes du point de vue du genre) comportant des images qui representent des objets a nommer, comme dans certains livres pour enfants, ou au pire des images de referents que les corpus ont statistiquement plus de chances de Her : une veritable continuity thematique serait alors assuree. Conclusion Le point final de cet article se presente, etrangement, sous la forme d'une hypothese : si l'on admet que les tests de denomination, comme le BNT cree en 1983, n'ont au sens propre ni queue ni tete, cela signifie peut-etre que les erreurs des malades d'Alzheimer ne disent pas exactement ce qu'on leur fait dire. En effet, on parvient generalement a la conclusion que les patients souffrent d'anomie: c'est indubitable, mais n'est-ce pas plus precisement la difficulty de nommer des unites en sautant d'un domaine a un autre, ou d'un taxeme a un autre qui est ici mesuree ? Cette question merite d'etre posee, car elle met en evidence une variable supplemental, celle du basculement continu et artificiel d'un reseau semantique a un autre ; ceci sans que nul ne sache vraiment comment sont stockees les connaissances lexicales a l'interieur du cerveau, ni localiser ce phenomene d'anomie dans une zone precise. A l'inverse, la semantique textuelle commence a avoir une idee nette de la maniere dont les textes, rassembles en grands corpus, construisent les regroupements d'unites lexicales, et non l'inverse : pour le dire autrement, la definition des champs lexicaux semantiques ne va pas de soi car elle est modelee du plus global vers le plus local. Si l'on admet ce principe, les termes choisis dans le cadre de ces tests ne sont pas necessairement d'aussi bons points d'entree du lexique qu'on pourrait le penser : ainsi, les tests qui visent a mettre en evidence une deficience des liens associatifs sur cette base devraient etre amendes et soumis a une expertise linguistique. Notons que cette absence de communication entre les differentes sciences touchant au langage est largement repandue, comme F. Rastier Texto I Textes et Cultures, Vol. XXI, n°1 (2016) (2012) l'a montre au sujet des requisitions du parquet, finalement et heureusement non-suivies par les juges dans l'affaire Breivik. En guise « de mot de la fin », nous voudrions proposer comme breve alternative culinaire au « 60-item naming test» une liste basee sur une veritable analyse de corpus : nous commencerions volontiers par le champagne, puis le caviar et le foie gras a mettre sur des tartines, avant d'aj outer du saumon fume ou non, des pommes et des truffes. Mais nous eviterions soigneusement de melanger a notre caviar des croquettes de poisson ou avec pour accompagnement du jus d'orange, ce que ne ferait pas non plus, convenons-en, tout bon neuropsychologue ou orthophoniste a son reveillon de Noel. Bibliographie Barkat-Defradas, M., Martin, S., Rico-Duarte, L. & Brouillet, D. (2008) « Les troubles du langage dans la maladie d'Alzheimer », 27es journees d'etudes sur la Parole, Avignon. En Hgne ä Fadresse : https://hal.archives-ouvertes.fr/lial-00321233 Castera M., Khun V., Medina F., « Mobilisation de Faeces lexical en orthophonie aupres de patients Alzheimer ». En ligne ä Fadresse : http://www.gnosia.fr/download/poster%20mce%20version%20finale.pdf Couturier C. (2004 : 3e ed.) Pu^le '.journal d'une Alzheimer, Paris : Josette Lyon. 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