Review: Arlette Gautier: "Genre et biopolitiques. L'enjeu de la liberté" Reviewed Work(s): Genre et biopolitiques. L'enjeu de la liberté by Arlette Gautier Review by: Edmée Ballif Source: Nouvelles Questions Féministes, Vol. 32, No. 2, TRAVAIL SOCIAL (2013), pp. 126-129 Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Éditions Antipodes Stable URL: http://www.jstor.org/stable/24586401 Accessed: 11-04-2018 17:49 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms Éditions Antipodes, Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nouvelles Questions Féministes This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 11 Apr 2018 17:49:19 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Ariette Gautier: Genre et biopolitiques. L'enjeu de la 1 Par Edmée Ballif L'accès à la contraception ou le libre choix de procréer sont des m récurrents de théorisations et revendications féministes, formant des tiques féministes de la reproduction»2. Dans les années 1980, un nouv cadre conceptuel est apparu au sein de certains mouvements, appe penser la reproduction en termes de «santé reproductive» et «droits ductifs»3. Ces concepts promeuvent un nouveau paradigme: la s reproductive propose d'intégrer dans une même politique des pro tiques de santé (santé maternelle et infantile, infections sexuelle transmissibles, cancers du sein et des organes génitaux), de planifica familiale (contraception), ainsi que d'égalité et de respect (lutte contr discriminations et les violences faites aux femmes). Les droits reprodu mettent l'accent sur la promotion de la liberté de choix des femmes Programme d'Action du Caire (ci-après PAC4), adopté à la suite Conférence internationale sur la population et le développement de 1 consacre et promeut la santé et les droits reproductifs, qui seront en massivement diffusés par l'Organisation mondiale de la santé et l'Int tional Planned Parenthood Foundation. Ce tournant stratégique en fa des droits reproductifs ne fait pas l'unanimité dans les mouvements nistes. Certain e s lui reprochent de se fonder sur une conception de vidu proprement occidentale, ou de négliger le fait que l'obtenti droits ne suffit pas à donner un accès concret à la contraception l'avortement, accès qui peut être entravé par des inégalités économiq politiques ou raciales5. Il n'existe néanmoins que très peu de littératu sciences sociales sur ce changement de paradigme. En ce sens, l'ou d'Ariette Gautier est une contribution bienvenue: l'auteure s'appu 1. Ariette Gautier (2012). Genre et biopolitiques. L'enjeu de la liberté. Paris : L'Harmattan. i. inaiana ueroaem et veromque Monier icasj (2009). «Special issue: feminist politics of repro duction». Feminist Theory, 10 (2), 147-269. Gins burg, Faye et Rayna Rapp (1991). «The politics of reproduction». Annual Review of Anthropology, 20, 311-43. 3. Doris Bonnet et Agnès Guillaume (2004). «La santé de la reproduction: une émergence des droits individuels». In Agnès Guillaume et Myriam Khlat (Éds), Santé de la reproduction au temps du sida en Afrique (pp. 11-32). Nogent-sur-Marne Centre Population et Développement. 4. Nations Unies (1995). Rapport de la Conféren internationale sur la population et le développ ment. Le Caire, 5-13 septembre 1994. 5. Mottier, Véronique (2013). «Reproductiv Rights». In Georgina Waylen, Karen Celis, Johann Kantola et Laurel Weldon (Éds), The Oxford Hand book of Gender and Politics (pp. 188-209). Oxfor Oxford University Press. 126. I NQF Vol. 32, No 2/2013 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 11 Apr 2018 17:49:19 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Édito I Grand angle | Champ libre | ParcoursCollectif5 Ariette Gautier : Genre et biopolitiques. L'enjeu de la liberté Par Edmée Ballif cette nouvelle vision de la reproduction et la défend. Mais elle n'aborde néanmoins pas les débats théoriques qui fondent ce paradigme des droits reproductifs. L'auteure, démographe et sociologue, est profondément convaincue de la nécessité de promouvoir les droits reproductifs et la liberté de choix, et ne s'en cache pas dans son introduction. Son ouvrage vise à mettre en lumière le changement de paradigme que le PAC a représenté dans la pla nification familiale, et à comprendre les difficultés de sa mise en œuvre par les États. Elle se fonde pour cela sur des données essentiellement quan titatives de seconde main, et sur deux enquêtes menées au Mexique (Yuca tan). L'ouvrage est divisé en deux parties regroupant au total dix chapitres dont six ont déjà fait l'objet d'une publication et n'ont été que peu ou pas retouchés, ce qui entraîne parfois des redondances et une certaine hétéro généité de l'ensemble. De plus, les données empiriques ne sont pas systé matiquement mises à jour (l'enquête au Mexique relatée dans le premier chapitre date de 1986), ce qui rend difficile l'insertion des propos dans le contexte contemporain. La première partie, qui porte sur l'histoire de la planification familiale dans les pays en développement, est susceptible d'intéresser autant les sociologues et anthropologues de la santé ou de la naissance que du genre. Le cœur du chapitre est constitué par une synthèse de l'évolution historique qui a fait passer la planification familiale de politiques néomalthusiennes (contrôle antinataliste de la fécondité) à des politiques fondées sur les droits reproductifs, en évaluant la mise en œuvre du PAC (chap. 2 et 3). Ariette Gautier y a adjoint, à titre d'exemple, une enquête sur le Mexique (chap. 1). Elle cherche à montrer ensuite, sur la base de statistiques des Nations Unies, que la planification familiale est positive pour le développement (chap. 4), et avance que les droits reproductifs devraient être intégrés dans les objec tifs de développement officiels des Nations Unies (chap. 5). La seconde partie s'articule autour d'un chapitre clé qui offre une syn thèse de l'histoire des droits reproductifs, concept central de l'ouvrage (chap. 7) ; l'auteure y expose sa vision des droits reproductifs comme «nou velle génération de droits», à côté des droits civils, politiques et sociaux. Il est suivi d'une seconde enquête au Mexique portant sur la compréhension des droits reproductifs par le personnel sanitaire (chap. 8). Les autres cha pitres s'adressent en premier lieu aux démographes, en proposant de renou veler la discipline et ses outils pour .mieux saisir l'avancée des droits repro ductifs. La création de nouveaux indicateurs ou la notion de «régime de la procréation» devrait permettre de saisir et de mesurer les conditions (de liberté ou de contrainte) dans lesquelles s'inscrivent les décisions reproduc tives. Le livre a l'avantage de montrer que la question de l'accès à la contra ception ne suffît pas à améliorer la condition des femmes ; c'est la liberté de choix qui devrait être évaluée. Mais on peut se demander si l'approche NQF Vol. 32, No 2/ 2013 | 127. This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 11 Apr 2018 17:49:19 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms généralement macrosociologique et l'utilisation de données de seconde main, parfois datées, sont des méthodes propres à saisir la complexité des parcours individuels de procréation. Quoi qu'il en soit, l'engagement poli tique revendiqué par l'auteure a le mérite d'aboutir à des propositions concrètes pour la démographie. Cet ouvrage constitue sans aucun doute un apport important pour qui s'intéresse à l'histoire de la notion des droits reproductifs, et il offre une base de réflexion critique pour celles et ceux qui élaborent les politiques de planification familiale. Cependant, alors que le titre de l'ouvrage annonce une réflexion en termes de «genre» et de «biopolitique», il manque de discussions théo riques et épistémologiques sur une telle approche, ce qui laisse la lectrice quelque peu sur sa faim. Premièrement, la fertilité et la contraception sont des champs d'étude qui ne sont pas anodins pour les études genre, car la question de la différence sexuée des corps apparaît au premier plan. Ariette Gautier a un positionnement clair: «l'espèce humaine étant gonochorique, sa reproduction nécessite bien deux sexes» (p. 10), contestant fermement «le nouveau paradigme des études sur le genre, passées de l'idée que le genre est construit à partir des différences entre les sexes à celle que sexe et genre sont totalement construits» (ibid.). L'auteure voit dans «les capaci tés d'enfantement des femmes» une différence «irréductible» (p. 132) entre les sexes; autrement dit, elle fonde son approche sur le caractère biolo gique d'une «bicatégorisation sexuelle»6. Or, cette idée de l'existence «naturelle» de deux catégories de sexe a fait l'objet de nombreuses études critiques, qui ont historicisé et problématisé cette représentation7, de manière à montrer, selon la célèbre formule de Christine Delphy8, com ment «le genre précède le sexe». On peut regretter qu'Ariette Gautier éva cue si rapidement cette question, ne contribuant ainsi que peu aux débats qui renouvelleraient les sciences sociales de la reproduction. Deuxièmement, c'est une vision très homogénéisante des catégories «femme» et «homme» qui traverse l'ouvrage. D'abord, la procréation est décrite comme «un fardeau pour les femmes» (p. 211); or, la reproduction n'est pas un vécu commun des femmes. Que ce soit volontaire ou non, toutes ne s'engagent pas dans un processus de procréation. Une discussion s'imposerait sur la pertinence de l'usage même de la dénomination «femme» lorsqu'on ne parle que de celles qui sont devenues ou devien dront mères. Ensuite, les hommes ne sont présents que comme des oppres seurs potentiels, l'auteure dénonçant à plusieurs reprises «l'alliance entre les maris et les médecins» (p. 222). Leurs choix et leur liberté reproductive ne sont pas questionnés. Enfin, même si l'auteure annonce une approche 6. Dorlin, Eisa (2008). Sere, genre et sexualités. 7. Laqueur, Thomas (1992 [1990]). La fabrique du Introduction à la théorie féministe. Paris: PUF, sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident. coll. Philosophies. Paris : Gallimard. 8. Christine Delphy (1998). L'ennemi Penser le genre. Paris : Syllepse. 128. |NQF Vol. 32, No 21 2013 This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 11 Apr 2018 17:49:19 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Édito I Grand angle | Champ libre | ParcoursCollectifs Ariette Gautier : Genre et biopolitiques. L'enjeu de la liberté Par Edmée Ballif intersectionnelle en introduction, les rapports de classe et de race (y com pris entre femmes ou entre hommes) sont peu évoqués. Troisièmement, le concept de biopolitique n'est pas déployé dans tout son potentiel théorique. Chez Ariette Gautier, il signifie simplement une politique qui vise à protéger la vie, en l'occurrence celle des femmes. Chez Michel Foucault9 pourtant, la biopolitique soulève des questions bien plus larges sur la manière dont elle investit, contrôle, surveille la vie et les corps. Si l'approche de la planification familiale en termes de biopolitiques peut ouvrir sur des réflexions riches et fructueuses!0, ce n'est pas vérita blement l'objet du livre d'Ariette Gautier. ■ 9. Michel Foucault (1976). Histoire de la sexualité 10. Marcia C. Inhom (Éd.) (2007) I. La volonté de savoir. Paris: Gallimard. Disruptions: Gender, Technology, and B the New Millenium. Oxford Et New York: Berghahn. NQF Vol. 32, No 2 / 2013 | 129. This content downloaded from 147.251.6.77 on Wed, 11 Apr 2018 17:49:19 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms