Elsevier Masson SAS Review Reviewed Work(s): L'État et la toxicomanie by Henri Bergeron Review by: Claude Faugeron Source: Sociologie du Travail, Vol. 43, No. 2 (Avril - Juin 2001), pp. 286-289 Published by: Elsevier Masson SAS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41928618 Accessed: 02-04-2018 21:12 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms Elsevier Masson SAS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Sociologie du Travail This content downloaded from 147.251.6.77 on Mon, 02 Apr 2018 21:12:53 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 286 Comptes rendus l'ouvrage. Mais on regre tion, au sein d'un ouvra qu'ambitieux, ne soit jam explicite. Alexandra Bidet, François Vatin Laboratoire Travail et Mobilités, CNRS université Paris-X, 200, avenue de la République, 92000 Nanterre, France. 1 Y. Clot, Le travail sans l'homme ? Pour une psychologie des milieux de travail et de vie, La Découverte, Paris, 1995. 2 Voir aussi Y. Clot (Ed.), Les histoires de la psychologie du travail, Octarès, Toulouse, 1996 et 1999. 3 Y. Clot (Ed.), Avec Vygotski, La Dispute, Paris, 1999. 4 Nous employons ici la terminologie de Nicolas Dodier. Voir sur le croisement des deux approches le compte rendu de N. Dodier, « Des hommes et des machines : sociologie et psychologie », par Y. Clot et C. Dejours, in : Sciences sociales et santé 15, 1997. 5 Voir notamment l'ouvrage collectif Je, sur l'individualité, Messidor, Paris, 1987, auquel il contribua avec notamment L. Sève et Y. Schwartz. 6 On peut consulter à ce sujet Bruno Karsenti, L'homme total. Sociologie, anthropologie et philosophie chez Marcel Mauss, Puf, Paris, 1997 et Muriel Combes, Simondon. Individu et collectivité, Puf, Paris, 1999. S003 802960 101145 1 /BRV Henri Bergeron, L'État et la toxicomanie , Puf, Paris, 1999, 370 p. Parmi les pays d'Europe de l'Ouest, la France a été l'un des derniers à introduire ouvertement le politique des drogues dite de « réduction des risques ». Il a fallu attendre le milieu des années 1990 pour que les traitements de substitution commencent à être appliqués de façon visible. Bien que la prévention des risques liés à l'usage de drogue soit maintenant largement acceptée, y compris dans l'opinion publique (Beck, 1998), le débat n'est pas clos. L'auteur veut comprendre les raisons du trop long silence autour des questions de santé des toxicomanes, de la cristallisation du modèle français de lutte contre la drogue autour du bipôle répression de l'usage vs thérapeutique d'inspiration psychanalytique, ainsi que le décalage entre ce modèle et la mise en place de stratégies de réduction des risques dans les pays avoisinants. Pour cela, il s'appuie sur le modèle des croyances collectives développées par Raymond Boudon, en mettant en évidence des effets de positions et de dispositions. Il pose comme hypothèse principale que la structure même du secteur spécialisé de prise en charge des toxicomanes et ses modalités de fonctionnement ont permis l'éviction des modèles concurrents pourtant présents au début des années 1970. Par ailleurs, les cadres cognitifs des acteurs ne leur ont permis d'intégrer que les informations congruentes avec leurs pratiques, à la fois pour des raisons éthiques et scientifiques. Enfin, la construction progressive de réseaux fondés sur des communautés d'intérêts, sur la circulation des informations nécessaires au financement des centres de soins et à la justification des pratiques ont créé un effet complémentaire de situation qui a renforcé le refus de solutions alternatives, en particulier des traitements palliatifs à base de méthadone. C'est la combinaison de ces trois effets, de position, de disposition et de situation, qui permet d'expliquer la spécificité du modèle français. Pour sa démonstration, Henri Bergeron retrace l'histoire de la constitution du secteur spécialisé des soins aux toxicomanes, depuis l'édiction de la loi du 31 décembre 1970 au milieu des années 1990, ou la dominance du modèle de traitement fondé sur un objectif d'abstinence va plus ou moins s'effondrer et permettre le développement d'une politique de réduction des risques. La loi de 1970 est le repère à partir duquel le système de traitement de la toxicomanie va s'édifier. Cette loi est bifrons : elle pénalise l'usage de stupéfiants tout en recommandant une prise en charge sanitaire (Bernât de Célis, 1996). Pour faciliter l'entrée des toxicomanes dans le système de soins, la loi permet l'anonymat des usagers de drogue qui, du même coup, sont protégés contre une pénalisation lorsqu'ils acceptent une prise en charge sanitaire. Cette disposition de la loi aura des conséquences non négligeables sur la constitution du secteur spécialisé de prise en charge des toxicomaThis content downloaded from 147.251.6.77 on Mon, 02 Apr 2018 21:12:53 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Comptes rendus 287 nes. Mais au début des années 1970 tout est à construire. Et cette construction va s'opérer sur des principes, inspirés de Mai 1968, ď antipsychiatrie, de refus du contrôle social et de la camisole médicamenteuse1. C'est une des raisons pour lesquelles, bien que l'administration de la santé soit ouverte à toutes sortes d'expérimentations, faute de précédents en la matière, les communautés thérapeutiques et les traitements médicamenteux sont très largement refusés par ceux qui vont initier des programmes de soins des toxicomanes. De leur côté, la réticence de la médecine hospitalière (Parquet, 1995) et, en particulier, de la psychiatrie, à prendre en charge des patients réputés difficiles va permettre l'autonomisation du secteur spécialisé. Les débuts sont quelque peu chaotiques. Le militantisme anti-institutionnel des premiers intervenants se heurte à des difficultés de capture et de gestion d'une population instable. La construction du rapport aux toxicomanes sur un mode relationnel peu théorisé se révèle insuffisante et même quelquefois dangereuse. Peu à peu, la nécessité de prendre de la distance et de légitimer une pratique parfois erratique impose le recours à un cadre de référence thérapeutique. Celui-ci va être fourni par une adaptation de la psychanalyse. Il présente bien des avantages : la difficulté de stabiliser les toxicomanes dans un cadre thérapeutique peut s'expliquer par une élaboration insuffisante de la demande de soin, les nombreuses rechutes par la lenteur du travail analytique, les échecs par le désir ď autodestruction. Dans ce cadre, l'abstinence est à la fois l'exigence de départ et l'objectif du traitement. Et le refus de recourir à des produits médicamenteux est justifié par le trouble que cela introduirait dans la relation thérapeutique : la « loi symbolique » qui borne l'usage d'opiacés ne peut être enfreinte par la distribution de produits équivalents, ni même de médicaments psychotropes. Il importe de ne pas faciliter le remplacement d'une dépendance à un produit illégal par une autre dépendance quelle qu'elle soit. Au-delà de l'élaboration de ce cadre de référence, il va se constituer un couple DGS (Direction générale de la santé) - secteur spécialisé de soin aux toxicomanes. En effet, il est plus facile pour les conseils généraux d'obtenir des financements de la DGS que de la DAS (Direction des affaires sociales). De plus, les financements de la DGS permettent de préserver l'anonymat des patients. Plus tardivement, la relation entre le bureau chargé de la toxicomanie à la DGS et les centres spécialisés sera encore plus directe, fondée sur un partage des représentations qui favorise le clientélisme. L'expertise des acteurs du secteur spécialisé, fondée sur une pratique qui ne touche qu'une population sélectionnée par les conditions d'accès aux thérapies (l'abstinence et la demande d'une thérapie par la parole), ne peut être contredite en raison de la faiblesse des connaissances épidémiologiques sur les populations concernées par l'usage d'héroïne, et le monopole de l'administration de la santé est facilité par l'inconsistance du dispositif interministériel en charge des questions de toxicomanie. À la fin des années 1980, cet édifice va être ébranlé par des acteurs extérieurs au secteur spécialisé. La population de toxicomanes injecteurs subit de plein fouet les conséquences de la diffusion des virus des hépatites et du sida. Les médecins généralistes et les urgences hospitalières reçoivent des patients en état de détresse physique et sociale. Une population de toxicomanes issue des quartiers défavorisés émerge sur la scène de la vie municipale, ainsi qu'aux yeux des praticiens, jusque-là plus ou moins cachée par les processus de sélection. Des groupes de pression d'origine hétérogène (Aides, Act-up, Médecins du Monde, réseaux de médecins généralistes, etc.) vont nouer des alliances autour de la question de la contamination des héroïnomanes injecteurs (collectif « limiter la casse »). Après le choc du scandale du sang contaminé, le modèle français de santé publique se détourne d'une culture orientée par le curatif vers des préoccupations de prévention des maladies associées à l'injection d'héroïne. Les débuts sont timides (la mise en vente libre des seringues par Michèle Barzach en 1987) et se heurtent à de nombreuses résistances, mais une politique de réduction des dommages2 va réussir à s'implanter. En 1995, la méthadone et la buprénorphine à haut dosage (Subutex®) reçoivent leur autoThis content downloaded from 147.251.6.77 on Mon, 02 Apr 2018 21:12:53 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 288 Comptes rendus risation de mise sur le dernier rapport de l'Ob des drogues et des tox 1999, p. 108), le nombre traitement de substitutio en janvier 1996 à 64 300 dont 57 200 sous Subutex®3. On aboutit donc à une sorte de résultat non prévu : la mise sur le marché des médicaments opiacés de substitution a surtout profité à la buprénorphine à haut dosage, et c'est la médecine généraliste qui a pris la main dans l'approche des problèmes des héroïnomanes4. Ce bref résumé ne rend pas justice à la méticulosité avec laquelle l'auteur décrit ces trois périodes. Il montre de façon convaincante comment le modèle prévalent de soin, adossé à la notion de demande du patient, n'a aucune raison de se préoccuper des aléas de la carrière du toxicomane dépendant5. C'est là que la démonstration se veut théoriquement fondée. Ces effets permettent aux acteurs de ne pas avoir besoin de confronter leurs certitudes aux informations qui les contredisent, soit parce que ces informations ne leur arrivent pas (c'est ce qui se passe lorsque les mécanismes de sélection empêchent ceux qui auraient un besoin urgent de méthadone d'avoir accès aux centres spécialisés qui refusent la substitution) ou parce qu'ils peuvent intégrer ces informations dans leur pratique sans trop de difficultés. La bonne foi des acteurs n'est pas en cause : leurs croyances sont d'autant mieux ancrées qu'elles sont adossées à des raisons éthiques, notamment le respect de la liberté du patient de s'engager dans une cure, qu'elles sont opérationnelles, en permettant de légitimer et d'orienter les pratiques, et qu'elles sont partagées par un réseau professionnel. Ces croyances deviennent des convictions, qui ne seront ébranlées que tardivement, lorsque des acteurs extérieurs au système mis en place depuis 1970 feront valoir haut et fort des arguments, aussi appuyés sur des raisons éthiques (le droit à la santé) et des convictions (une société sans drogue n'existe pas). Ces acteurs deviennent crédibles aux yeux des responsables de la santé publique (voir par exemple le rapport Henrion (Henrion, 1995) commandité par Simone Veil). Mais il faut ajouter à la force de ces croyances l'organisation particulière du secteur spécialisé, couplée avec le bureau compétent de la DGS, la réticence des responsables politiques à porter le problème sur la place publique (Erhenberg, 1995), ainsi que le peu d'audace novatrice du dispositif de concertation interministériel. La force de la démonstration tient à ce que l'auteur ne cherche pas à établir une hiérarchie entre les raisons axiologiques et cognitives qui motivent les acteurs et leur intérêt à défendre leur position dans la structure du système de soin où ils sont considérés comme les seuls experts. Il montre comment ces trois dimensions sont imbriquées les unes dans les autres et se renforcent mutuellement. Il montre aussi comment les contraintes de financement peuvent être à l'origine de la forme que va prendre le dispositif, ici une forme à dominante sanitaire aux dépens de l'action sociale, et comment l'organisation des relations à l'intérieur du système va renforcer sa clôture et pérenniser les jeux d'acteurs. La démonstration aurait été encore plus convaincante si l'auteur avait mieux rendu compte de la faiblesse de l'action publique en matière de toxicomanie. Tout au long de ces années, les plans d'action successifs mis en place par le dispositif de concertation interministériel ont été quasiment inappliqués. L'absence d'un dispositif d'évaluation de l'action publique a laissé une large place aux ministères en charge de la répression, en particulier à celui de l'Intérieur qui avait des savoir-faire immédiatement mobilisables et un affichage des résultats facile : les statistiques d'arrestations en matière de répression de l'usage (Aubusson de Cavarlay, 1997). Le ministère de la Justice, quant à lui, a oscillé entre tolérance envers les usagers de drogue et répression. Le décollage de l'injonction thérapeutique a été tardif et son application erratique (Setbon, 2000). Or cette mesure était un des piliers du dispositif imaginé en 1970. Le chantier de l'histoire de la politique récente des drogues en France peut encore être travaillé, en particulier à la lumière des évolutions les plus récentes. Quoi qu'il en soit, la recherche d'H. Bergeron fait notablement avancer la compréhension de la spécificité française en matière de toxicomanie, et ceci sans porter de jugements de valeur, ce qui est rare en la matière, This content downloaded from 147.251.6.77 on Mon, 02 Apr 2018 21:12:53 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Comptes rendus 289 et sans avoir recours complot. Son ouvrag qui s'intéresse au dom la loi de 1970. Claude Faugeron Cesames, CNRS - université de Paris-5, Iresco, 59, rue Pouchet, 75849 Paris cedex 17, France. 1 Ce n'est pas un des moindres paradoxes du système de soins français que de refuser le contrôle des toxicomanes tout en laissant le champ libre au dispositif le plus contraignant en matière de contrôle, le système judiciaire. 2 L'expression « réduction des dommages » est québécoise. Elle me semble préférable à celle de « réduction des risques » qui prévaut en France et en Belgique car elle rend mieux compte des conséquences sur la vie sociale et professionnelle, ou encore liées à l'intervention pénale, de la prise de toxiques illégaux ou même d'alcool. 3 Le Subutex® peut être prescrit directement par les médecins généralistes, la méthadone l'est après un traitement initié dans un centre spécialisé. C'est ce qui explique la disproportion entre les deux types de traitement. 4 Cette configuration, typique de la France, ne peut malheureusement pas être expliquée dans les limites temporelles de la recherche d'H. Bergeron. 5 Les recherches en termes de carrières sont d'ailleurs assez tardives. Elle ont commencé en même temps que s'est mise en place une incitation à la recherche sur les usages de drogue, c'est-à-dire au début des années 1990. Voir les travaux menés dans le cadre de l'Association Descartes, qui font essentiellement l'inventaire des manques de la recherche française en sciences sociales (Ehrenberg, 1992), ainsi que le bilan effectué à l'occasion d'un colloque en 1998 (Faugeron, 1999). Aubusson de Cavarlay, B., 1997. L'usage de stupéfiants dans la carrière pénale. Psychotropes 4, 7-24. Beck, F., 1998. Perceptions, attitudes et connaissance de la population française en matière de toxicomanie : état des lieux et étude des évolutions depuis la fin des années 1980. OFDT, Paris. Bernât de Célis, J., 1996. Drogues : consommation interdite. La genèse de la loi de 1970 sur les stupéfiants. L'Harmattan, Paris. Ehrenberg, A. (dir.), 1992. Penser la drogue, penser les drogues. I - État des lieux. Descartes, Paris. Erhenberg, A., 1995. L'individu incertain. Calmann-Lévy, Paris. Faugeron, C. (dir.), 1999. Les drogues en France. Politiques, marchés, usages. Georg, Genève. Henrion, R., 1995. Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie. La Documentation française, Paris. Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 1999. Drogues et toxicomanies. Indicateurs et tendances, OFDT, Paris. Parquet, P.J., 1995. Place de l'hôpital (CHR) dans la prise en charge des « patients toxicomanes ». Rapport au ministre délégué à la Santé, Paris. Setbon, M., avec la collaboration de Calan, J. (de), 2000. L'injonction thérapeutique. Évaluation du dispositif légal de prise en charge sanitaire des usagers de drogues interpellés. OFDT, Paris. S003 802960 1011 463/BRV Lee Clarke, Mission Improbable , Using Fantasy Documents to Tame Disaster , The Chicago University Press, Chicago, 1999, 217 p. L'auteur de cet ouvrage s'intéresse à l'activité de planification et plus particulièrement aux plans de protection des civils (et de protection de la nature) en cas de grande catastrophe naturelle, industrielle ou nucléaire. Sa réflexion est très largement étayée par l'analyse détaillée de plusieurs plans : le plan d'évacuation de Long Island en cas de catastrophe nucléaire, le plan d'intervention en cas de fuite d'un pétrolier au large de l'Alaska, les plans de protection des populations en cas de guerre nucléaire. Cet ouvrage s'inscrit dans la tradition américaine de la sociologie critique de la gestion des risques techniques, à la frontière entre l'analyse organisationnelle et l'évaluation sociale des techniques (Perrow, 1984). On retrouve dans Mission Improbable la même critique radicale d'une rationalité technique qui affirme tout pouvoir prévoir et qui, néanmoins, est régulièrement contredite par les faits. Les plans présentés par Lee Clarke correspondent à des situations très incertaines, mais pas totalement improbables (on se souvient du naufrage de l' Exxon Valdez en Alaska). Toute la difficulté de la rédaction de ce type de plan, c'est qu'il n'y a aucune connaissance disponible sur les faits potentiels, leurs conséquences, les attitudes possibles de la population. Personne n'est capable de dire a priori en quoi consistera une action efficace et bien souvent, quand la This content downloaded from 147.251.6.77 on Mon, 02 Apr 2018 21:12:53 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms